Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

Agustín Bardi (compositeur)

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sub­lime tan­go s’appelait « Tin­ta Verde » (Encre verte). La ver­sion de ce tan­go du jour a été enreg­istrée par Ani­bal Troi­lo le 7 mars 1938, il y a exacte­ment 86 ans, mais la musique a été écrite par Bar­di en 1914. Une his­toire d’amitié comme il en existe tant en Argen­tine.

Jetez l’encre

Agustín Bar­di (13 août 1884 — 21 avril 1941) a écrit ce très beau tan­go en 1914. Il n’en existe pas à ma con­nais­sance de ver­sions chan­tées, toutes les ver­sions sont instru­men­tales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tan­gos qui par­laient d’encre (tin­ta).
Tin­ta roja (Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin tein­té (les his­panophones dis­ent vino tin­to pour par­ler du vin rouge). Tin­ta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tin­ta verde qui avait tou­jours du suc­cès comme en témoignent les enreg­istrements de D’Arienzo 1935 et Troi­lo 1938, celui dont on par­le aujourd’hui).
Tin­ta chi­na (Anto­nio Poli­to Letra : Héc­tor Poli­to). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même suc­cès, ce tan­go écrit en 1942 par­le des per­son­nes à la peau noire. Tin­ta chi­na se réfère donc à la couleur de la peau.
Tin­ta verde. J’ai gardé le sus­pens, mais je vous ras­sure, c’est impos­si­ble de devin­er pourquoi ce tan­go s’appelle Tin­ta verde (encre verte). Ce n’est pas une his­toire de couleur de peau (pas de petits Mar­tiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émis­sion d’Orson Welles met­tant en scène la Guerre des Mon­des d’Her­bert George Wells (le plus grand pio­nnier de la sci­ence-fic­tion) n’a été dif­fusée que le 30 octo­bre 1938 et ce tan­go écrit en 1914.
Je lève le sus­pens, il s’agit tout sim­ple­ment de l’encre verte, celle que l’on peut met­tre dans les sty­los.

1 Je suis par­ti dune pho­to de Octo­pus Flu­ids le fab­ri­cant de lexcellente encre Barock 1910 la verte sappelle jade Jespère que le col­lègue pho­tographe ne men voudra pas de cet emprunt mais jai trou­vé sa pho­to si belle que je nai pas eu didée pour faire mieux Voici le site dOctopus Flu­ids pour ceux que ça intéresse httpswwwoctopus fluidsdeenwriting ink fountain pen inksbarock fountain pen inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car le tan­go étant instru­men­tal, c’est dif­fi­cile à véri­fi­er.
La preuve, la voici ; Agustín Bar­di avait pour voisin et ami, Eduar­do Aro­las (24 févri­er 1892 — 29 sep­tem­bre 1924). Ce dernier était illus­tra­teur en plus d’être ban­donéon­iste, com­pos­i­teur et chef d’orchestre. Il était donc cou­tu­mi­er de l’usage des encres. Curieuse coïn­ci­dence, à la même époque, Agustín Bar­di tra­vail­lait pour une entre­prise de trans­port, « La Car­gado­ra » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet étab­lisse­ment, Agustín écrivait les éti­quettes des expédi­tions à l’encre verte. Cela lui a don­né d’écrire le tan­go pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), com­pagnon d’usage des encres.

Eduar­do qui était donc égale­ment illus­tra­teur a réal­isé la cou­ver­ture de la par­ti­tion qui lui était dédiée à len­cre verte La boucle est bouclée

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu divers­es ver­sions du titre. Vous pour­rez enten­dre la plu­part en fin de cet arti­cle. Mais le tan­go du jour est l’excellente ver­sion de Troi­lo de 1938. Il l’a réen­reg­istré, avec moins de bon­heur à mon sens en 1970.

Tin­ta verde 1938-03-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est le tan­go du jour.

Je trou­ve amu­sant de pro­pos­er en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chan­tées par Fiorenti­no. Nous en repar­lerons sans doute en octo­bre…

Tin­ta roja 1941-10-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no / Sebastián Piana Letra : Cátu­lo Castil­lo

Je vous laisse appréci­er le con­traste. Ces titres peu­vent être com­pat­i­bles, pour les DJ qui mélan­gent les tan­gos chan­tés et instru­men­taux.

D’autres enregistrements

Cette his­toire d’amitié, trop vite inter­rompue par la mort d’Eduardo Aro­las (en 1924, à 32 ans), a don­né lieu à de nom­breuses et belles ver­sions. Agustín Bar­di aura le bon­heur d’entendre les ver­sions de D’Arienzo et Troi­lo, mais prob­a­ble­ment pas l’intéressante inter­pré­ta­tion de Demare. Ce dernier l’a enreg­istré plus d’un an après la mort de Bar­di, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.

Tin­ta verde 1916 — Quin­te­to Criol­lo Atlanta. Une ver­sion acous­tique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milon­gas, mais à décou­vrir, tout de même.
Tin­ta verde 1927-10-17 — Osval­do Frese­do. Une ver­sion un peu canyengue, moyen­nement intéres­sante, même pour l’époque. À réserv­er aux fans abso­lus de Frese­do et de la vieille garde.
Tin­ta verde 1929-10-03 — Orques­ta Pedro Maf­fia. Une ver­sion tran­quille qui aura une sœur 30 ans plus tard.
Tin­ta verde 1935-08-12 — Orques­ta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typ­ique de sa pre­mière péri­ode, avant l’arrivée de Bia­gi dans l’orchestre.
Tin­ta verde 1938-03-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est le tan­go du jour.
Tin­ta verde 1942-12-09 — Orques­ta Lucio Demare. J’aime bien l’entrée du piano au début de cette ver­sion.
Tin­ta verde 1945-10-30 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Mag­nifique solo de vio­lon.
Tin­ta verde 1954-01-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Une ver­sion lente et majestueuse, comme sait en pro­duire El Señor del Tan­go.
Tin­ta verde 1957-06-19 — Orques­ta Juan Cam­bareri. Une ver­sion un peu pré­cip­itée comme adore en pro­posé “El Mago del Ban­doneón”. Amu­sante, qua­si­ment dans­able en milon­ga. Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occa­sion très par­ti­c­ulière.
Tin­ta verde 1959 — Orques­ta Pedro Maf­fia. 30 ans après le pre­mier enreg­istrement, Maf­fia joue avec une sonorité dif­férente, mais un rythme proche.
Tin­ta verde 1966-12-23 — Orques­ta Arman­do Pon­tier. Une ver­sion assez orig­i­nale. Pas for­cé­ment géniale à danser, mais agréable à écouter.
Tin­ta verde 1967-11-14 Orques­ta Juan D’Arienzo. Ce n’est claire­ment pas la meilleure ver­sion. Je ne pro­poserai pas en milon­ga, même si cela reste dans­able.
Tin­ta verde 1970-11-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tan­go de danse. C’est mag­nifique, mais sans doute insat­is­faisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres ver­sions, les thèmes appré­ciés par Troi­lo ou D’Arienzo ont beau­coup de suc­cès avec les orchestres con­tem­po­rains. N’hésitez pas à don­ner votre avis sur votre ver­sion préférée en com­men­taire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très con­traig­nant).

Agustin Bar­di à droite a écrit ce tan­go pour son ami Eduar­do Aro­las à gauche

Une réflexion sur « Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo »

  1. Alart

    Troi­lo bien-sûr. Mais tout autant Di Sar­li, dans ses dif­férentes ver­sions.
    Mais aus­si Demare. Et une men­tion spé­ciale au Maf­fia de 1959 que je décou­vre (et que l’on peut danser).
    Mer­ci.

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