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Alma de bohemio 1943-07-15 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La con­nex­ion du monde du tan­go avec le théâtre, puis le ciné­ma a tou­jours été naturelle. Le tan­go du jour, Alma de bohemio est un par­fait exem­ple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux repris­es par le ciné­ma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il réson­nera ensuite sur les grandes scènes où Alber­to Podestá l’offrait à son pub­lic. Je suis sûr que cer­tains ver­sions vont vous éton­ner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Rober­to Fir­po Letra:Juan Andrés Caru­so. Par­ti­tion et à droite réédi­tion de 1966 de notre tan­go du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la par­ti­tion dédi­cacée à l’acteur Flo­ren­cio Par­ravici­ni qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étren­née en 1914 au Teatro Argenti­no de Buenos Aires. On notera que la cou­ver­ture de la par­ti­tion porte la men­tion Tan­go de concier­to. Les auteurs ont donc conçu ce tan­go comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tan­go a été réu­til­isé au ciné­ma à au moins deux repris­es, en 1933 et en 1944, nous en par­lerons plus bas.
À droite, la réédi­tion en disque microsil­lon de 1966 de notre tan­go du jour. Alma de bohemio est le pre­mier titre de la face A et a don­né son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá.

Paroles

Pere­gri­no y soñador,
can­tar
quiero mi fan­tasía
y la loca poesía
que hay en mi corazón,
y lleno de amor y de ale­gría,
vol­caré mi can­ción.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que can­to,
por eso mi encan­to
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acari­ciar
y como una flor
per­fumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrel­las
y las cosas más bel­las,
despier­to he de soñar,
porque le con­fío a ellas
toda mi sed de amar.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Yo bus­co en los ojos celestes
y rene­gri­das cabelleras,
pasiones sin­ceras,
dulce emo­ción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Rober­to Fir­po Letra: Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fan­taisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chan­son.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pau­vre âme de bohème veut caress­er et par­fumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais par­ler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveil­lé, car je leur con­fie toute ma soif d’amour.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du dra­peau argentin) et les chevelures noir obscur des pas­sions sincères, une douce émo­tion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux don­ner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 — Orques­ta Argenti­na Rober­to Fir­po.

Le tan­go, tel qu’il était joué dans la pièce orig­i­nale, par Fir­po, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caru­so qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 — Orques­ta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 — Igna­cio Corsi­ni.

La plus anci­enne ver­sion chan­tée avec les paroles de Caru­so. Il est assez logique que Corsi­ni soit le pre­mier à l’avoir chan­té, car il était à la fois proche de Fir­po avec qui il a enreg­istré Patotero sen­ti­men­tal en 1922 et de Caru­so dont il a enreg­istré de nom­breux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enreg­istr­er le pre­mier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsi­ni (debout) avec, de gauche à droite, ses gui­taristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Arman­do Pagés. La pho­to date prob­a­ble­ment des années 30, elle est donc moins anci­enne que l’enregistrement présen­té.
Alma de bohemio 1927-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une belle ver­sion instru­men­tale, rel­a­tive­ment éton­nante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion typ­ique de Canaro. On ver­ra qu’il l’enregistrera à d’autres repris­es.

Alma de bohemio 1927-07-26 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Treize ans plus tard, Rober­to Fir­po redonne vie à son titre, tou­jours de façon instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-05-18 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Deux ans plus tard, la Típi­ca Vic­tor, dirigée par Adol­fo Cara­bel­li donne sa pro­pre ver­sion égale­ment instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-09-19 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Ada Fal­cón avec sa voix d’une grande pureté en donne une ver­sion mag­nifique accom­pa­g­née par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impres­sion­nant, plus que ce qu’en avait don­né Corsi­ni. Dis­ons que Fal­cón lancera la course à la note tenue le plus longtemps pos­si­ble.

Le suc­cès de Corsi­ni avec les paroles de Caru­so va per­me­t­tre au titre de retourn­er dans le spec­ta­cle avec le pre­mier film par­lant argentin, Tan­go réal­isé par Luis Moglia Barth et sor­ti en 1933.

1933 Tan­go – Alma de Bohemio par Alber­to Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tan­go sor­ti le 27 avril 1933.

Alber­to Gómez suiv­ra donc égale­ment les traces de Fal­cón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Fran­cis­co Canaro reste sur la voie du tan­go de concier­to avec une ver­sion très éton­nante et qui fait l’impasse sur les notes très longue­ment tenues. Je pense qu’il faut associ­er cette inter­pré­ta­tion aux recherch­es de Canaro en direc­tion du tan­go fan­ta­sia ou sym­phonique. Pour moi, il n’est pas ques­tion de pro­pos­er cela à des danseurs, mais je trou­ve cette œuvre cap­ti­vante et je suis con­tent de vous la faire décou­vrir (enfin, à ceux qui ne con­nais­saient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Le Trío Ciri­a­co Ortiz offre lui aus­si une ver­sion très sophis­tiquée et sur­prenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Teó­fi­lo Ibáñez.

On peut au moins apporter au crédit de Bia­gi qu’il a essayé de faire la pre­mière ver­sion de danse. Cette ver­sion est à l’opposé de tout ce qu’on a enten­du. Le rythme soutenu et martelé est presque car­i­cat­ur­al. J’ai du mal à con­sid­ér­er cela comme joli et même si c’est éventuelle­ment dans­able, ce n’est pas la ver­sion que je passerais en milon­ga.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.

Avec cette ver­sion mise au point par Pedro Lau­renz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enreg­istré à mon goût, on a une bonne syn­thèse d’une ver­sion pour la danse et à écouter. Alber­to Podestá gagne claire­ment le con­cours de la note tenue la plus longue. Il sur­passe Fal­cón, Gómez et en 1949, Castil­lo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

Alber­to Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a bat­tu avec cette ver­sion. Cela con­stitue une alter­na­tive avec la ver­sion de Lau­renz.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó. Avec cet enreg­istrement, Osval­do Ribó prou­ve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Tiens, une ver­sion instru­men­tale. Fir­po ten­terait-il de tem­pér­er les ardeurs des chanteurs gon­flés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Tino Gar­cía.

La ten­ta­tive de Fir­po ne sem­ble pas avoir réus­si, Tino Gar­cía explose les comp­teurs avec cette ver­sion servie par le tem­po mod­éré de D’Agostino.

Voici Alber­to Castil­lo, pour la sec­onde ver­sion ciné­matographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tan­go.

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait, à par­tir de 3 min­utes) dans le film réal­isé par Julio Saraceni (1949)

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait) dans le film réal­isé par Julio Saraceni à par­tir d’un scé­nario de Rodol­fo Sci­ammarel­la et Car­los A. Petit. Le film est sor­ti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduar­do Rovi­ra ou Ángel Con­der­curi… L’enregistrement a été réal­isé le 6 mai 1949.
Castil­lo ne dépasse pas Podestá dans le con­cours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exer­ci­ce.

Fidel Pin­tos (à gauche) et Alber­to Castil­lo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co con Alber­to Casares.

Alber­to Casares fait dur­er de façon mod­érée les notes, l’originalité prin­ci­pale de cette ver­sion est l’orchestration déli­rante de Cam­bareri, avec ses traits vir­tu­os­es et d’autres élé­ments qui don­nent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prou­ver… Sig­nalons qu’une ver­sion avec le chanteur Hec­tor Berar­di cir­cule. Berar­di a en effet rem­placé Casares à par­tir de 1955, mais cette ver­sion est un faux. C’est celle de Casares dont on a sup­primé les pre­mières notes de l’introduction. Les édi­teurs ne recu­lent devant aucune manœu­vre pour ven­dre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion bien dif­férente et qui mar­que la maîtrise créa­tive de Pugliese. Sou­venons-nous tout de même que d’autres orchestres, y com­pris Canaro s’étaient ori­en­tés vers des ver­sions sophis­tiquées.

Alma de bohemio 1958 — Argenti­no Galván.

La ver­sion la plus courte (37 sec­on­des), extraite du disque de Argenti­no Galván que je vous ai déjà présen­té His­to­ria de la orques­ta tipi­ca.

Alma de bohemio 1959-04-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

À la tête de son Quin­te­to Pir­in­cho, Fran­cis­co Canaro, donne une nou­velle ver­sion de l’œuvre. Rien qu’avec ses ver­sions on croise une grande diver­sité d’interprétations. De la ver­sion de 1927, canyengue, l’émouvante ver­sion avec Ada Fal­cón, celle de 1930, éton­nam­ment mod­erne et finale­ment celle-ci, légère et rel­a­tive­ment dansante. Il y a du choix chez Mon­sieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Nel­ly Vázquez.

Nel­ly Vázquez prou­ve que les femmes ont aus­si du cof­fre. L’orchestre d’Aníbal Troi­lo est ici au ser­vice de la chanteuse, il ne pro­pose pas une ver­sion révo­lu­tion­naire qui aurait nuit à l’écoute de Nel­ly Vázquez. Cette inté­gra­tion fait que c’est une ver­sion superbe, à écouter les yeux fer­més.

Alma de bohemio 1967 — Astor Piaz­zol­la y su Orques­ta.

Piaz­zol­la pro­pose sans doute la ver­sion la plus éton­nante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une sur­prise pour beau­coup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tran­chants, moins, car ils font par­tie du vocab­u­laire usuel d’Astor. Le thème orig­i­nal est trans­fig­uré, la plu­part du temps dif­fi­cile à retrou­ver, mais ce n’est pas un prob­lème, car il n’a servi que de pré­texte à Piaz­zol­la pour illu­min­er les nou­velles voies qu’il ouvrait dans le tan­go.

Il y a bien d’autres enreg­istrements, mais aucun ne me sem­blait pour­voir lut­ter con­tre cette ver­sion de Piaz­zol­la, aucun, peut-être pas, et je vous pro­pose de revenir à notre con­cours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siè­cle, Plá­ci­do Domin­go qui nous l’offre. Écoutez comme, tran­quille­ment, il explose tous les comp­teurs avec une facil­ité appar­ente incroy­able.

Alma de bohemio 1981 — Plá­ci­do Domin­go — dir. y arr. Rober­to Pansera.

Impres­sion­nant, non ?

Vous en rede­man­dez, alors, je vous pro­pose une ver­sion un peu plus tar­dive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il défini­tive­ment meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plá­ci­do Domin­go (piano) — Avery Fish­er Hall (New York)

À demain, les amis !

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

Il est des cour­ri­ers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Fran­cis­co Fiorenti­no qui a reçu un cour­ri­er défini­tif, mais qui réag­it en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le mer­veilleux orchestre d’Aníbal Troi­lo est telle­ment prodigieuse, que ce titre est désor­mais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorenti­no lui-même et j’en apporte la preuve.

Extrait musical

Te acon­se­jo que me olvides 1941-04-16 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Dès le début, la mon­tée piquée au ban­donéon donne le rythme. Puis les vio­lons annon­cent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorenti­no. Sa dic­tion est par­faite, un léger ruba­to ani­me sa par­ti­tion. Il exploite com­plète­ment, le con­traste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond mer­veilleuse­ment. La mon­tée piquée revient régulière­ment pour relancer le mou­ve­ment. Aucun risque de monot­o­nie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorenti­no ter­mine et l’orchestre ponctue par un accord de dom­i­nante suivi par un accord de tonique, atténué.

Les paroles

Recibí tu últi­ma car­ta,
en la cual tú me decías:
“Te acon­se­jo que me olvides,
todo ha muer­to entre los dos.
Sólo pido mi retra­to
y todas las car­tas mías,
ya lo sabes que no es jus­to
que aún eso con­serves vos”.
Hoy recono­ces la fal­ta,
tienes miedo que yo diga…
que le cuente
al que tú sabes (a tu mari­do)
nues­tra ínti­ma amis­tad;
¡Soy muy hom­bre, no te ven­do,
no soy capaz de una intri­ga!
Lo com­pren­do que, si hablara,
quiebro tu feli­ci­dad.

Pero no vas a negar
que cuan­do vos fuiste mía,
dijiste que me querías,
que no me ibas a olvi­dar;
y que cie­ga de car­iño
me besabas en la boca,
como si estu­vieras loca…
Sedi­en­ta, nena, de amar.

Yo no ten­go incon­ve­niente
en enviarte todo eso,
sin embar­go, aunque no quieras,
algo tuyo ha de quedar.
El vacío que dejaste
y el calor de aque­l­los besos
bien lo sabes que no puedo
devolvérte­los jamás.
Yo lo hago en bien tuyo
evi­tan­do un com­pro­miso,
sac­ri­fi­co mi car­iño
por tu apel­li­do y tu hon­or ;
me con­for­mo con mi suerte,
ya que así el des­ti­no quiso
pero acuér­date bien mío,
¡que esto lo hago por tu amor!

Pedro Mario Maf­fia Letra : Jorge Curi

On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu mari­do » au lieu de « al que tú sabes».

Traduction libre

J’ai reçu ta dernière let­tre, dans laque­lle tu me dis­ais : « Je te con­seille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon por­trait et toutes mes let­tres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu recon­nais la faute, tu as peur que je dise… que je racon­te à qui tu sais, notre ami­tié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capa­ble d’intriguer ! Je com­prends que, si je par­lais, je bris­erais ton bon­heur.
Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de ten­dresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoif­fée, petite, d’aimer.
Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cepen­dant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as lais­sé et la chaleur de ces bais­ers, tu sais que je ne pour­rai jamais te les ren­dre. Je le fais pour ton bien, en évi­tant un engage­ment, je sac­ri­fie mon affec­tion à ton nom et à ton hon­neur ; je me con­tente de mon sort, car c’est ce que le des­tin a voulu, mais sou­viens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !

Autres versions

Pour moi, il n’y a pas d’autre ver­sion que celle de Troi­lo et Fiorenti­no…
On peut essay­er Fiorenti­no sans Troi­lo, par exem­ple avec Alber­to Man­cione, ça ne va pas.
On peut essay­er des noms pres­tigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomu­to. Rien n’arrive à la cheville de la ver­sion épous­tou­flante de Troi­lo et Fiorenti­no.
Voici tout de même une petite sélec­tion. Vous avez le droit d’y trou­ver des per­les qui m’auraient échap­pé, mais je serai éton­né que vous y trou­viez mieux que Troi­lo et Fiorenti­no…

Te acon­se­jo que me olvides 1928-09-17 — Char­lo con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Une chan­son, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regret­ter le début dif­férent de notre ver­sion de référence par Troi­lo et Fiorenti­no.

Te acon­se­jo que me olvides 1928-09-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une semaine plus tard, Canaro remet le cou­vert, mais sans Char­lo. Cette fois, il n’omet pas le début si spec­tac­u­laire dans la ver­sion de Troi­lo.

Te acon­se­jo que me olvides 1928-10-11 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José María Aguilar, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa ver­sion avec ses gui­taristes. Comme pour la ver­sion avec Char­lo, on regrette aus­si le début. Mais on n’est pas là pour danser.

Te acon­se­jo que me olvides 1928-10-15 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Si vous trou­viez la ver­sion de Canaro un peu plan­plan et sopori­fique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Fran­cis­co a réus­si à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.

Te acon­se­jo que me olvides 1941-04-16 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

C’est notre tan­go du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque ver­sion dif­férente…

Te acon­se­jo que me olvides 1950-12-29 — Orques­ta Alber­to Man­cione con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Neuf ans plus tard, Fran­cis­co Fiorenti­no enreg­istre de nou­veau le thème, mais cette fois avec Alber­to Man­cione. Je ne sais pas s’il faut pleur­er, crier ou tout sim­ple­ment se tass­er dans un coin avec des bou­chons dans les oreilles, mais cette ver­sion ne me sem­ble pas du tout une réus­site. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.

Te acon­se­jo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co con Alber­to Casares.

Tou­jours très orig­i­nal, Cam­bareri. Le ban­donéon énervé n’arrive pas à faire chang­er le rythme de Casares, on échappe ain­si à une des ver­sions express de Cam­bareri. Le résul­tat est mignon, sans plus.

Te acon­se­jo que me olvides 1954-05-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Juan Car­los Cobos.

El Negro Cobos qui a rem­placé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dis­pose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résul­tat est très Pugliese. Dès les pre­mières mesures San Pugliese a mar­qué son empreinte. Pas un tan­go de danse, même si je sais que cer­tains le passeront tout de même. C’est un très bel enreg­istrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la mer­veille de Troi­lo et Fiorenti­no. En tous cas, c’est mon avis.

Te aconsejo que no le olvidas

(Je te con­seille de ne pas l’oublier)

Un petit mot sur l’illustration de cou­ver­ture. Le tan­go des années 20, on par­le de let­tre, l’homme qui pleure au cen­tre me parais­sait logique. Seule­ment, le sujet de ce tan­go est de tous les temps. J’ai pen­sé aux sig­naux de fumée, mais c’était com­pliqué à dessin­er et à faire com­pren­dre. Je suis donc resté à un moyen de com­mu­ni­ca­tion moins ancien, le télé­graphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Mont­martre. Les postrévo­lu­tion­naires ne s’embarrassaient pas de con­sid­éra­tion de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sac­rilège. À droite, un télé­phone portable, pas de la toute dernière généra­tion, mais qui annonce le même fatidique mes­sage. Je con­nais une église qui a une antenne de télé­phonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télé­graphe Chappe à la fin de la Révo­lu­tion française.