Chito Galindo (Juan Carlos Speciali)
À diverses reprises, j’ai présenté des liens entre le folklore et le tango. Notre valse du jour est également à cheval sur ces deux domaines. Chito Galindo avec sa belle histoire d’amour tirée d’une légende andine a ému De Angelis et Lalo Martel qui l’ont ajoutée à leur répertoire. C’est notre version du jour.
Extrait musical

Paroles
No hay ningún juez en el mundo
Que te pueda condenar,
María Teresa Torres
Pastorcita de Amancay.Solamente a ti, tu madre
Ella te podrá juzgar,
María Teresa Torres
Si has pecado por amar.Si el (Al) hombre que tu creíste
Y que se portó tan mal,
No lo maldigas tú nunca
Que ese maldito ya está.Cómo pudo a ti engañarte
Pastorcita de Amancay,
Con tus ojitos de cielo
Y tu cara angelical.Según dicen que una tarde
Triste te vieron pasar,
Con tu majada de ovejas
Rumbo hacia el cañaveral.Cómo pueden condenarte
Pastorcita de Amancay,
Si hasta las flores te admiran
Cuando a ti te ven pasar.Cuando llegada la noche
(Y) Al no verte regresar,
Todos fueron a buscarte
Para implorarte piedad.Pero tan sólo encontraron
En la inmensa oscuridad,
Tu majadita de ovejas
Y tu perrito guardián.Todas las noches yo miro
Una estrella parpadear,
Según cuenta la leyenda
Que allí llorando tú estás.Cómo pudo a ti engañarte
Pastorcita de Amancay,
Si hasta las flores te lloran
Porque no te ven pasar.María Teresa Torres
Nunca te voy olvidar…
Chito Galindo (Juan Carlos Speciali)
Traduction libre
Il n’y a aucun juge au monde qui puisse te condamner
María Teresa Torres, bergère d’Amancay, seulement ta mère peut te juger, María Teresa Torrres, si tu as péché pour avoir aimé…
Si l’homme en qui tu croyais et qui s’est si mal comporté, tu ne le maudis jamais, car c’est un misérable.
Comment a‑t-il pu te tromper, petite bergère d’Amancay, avec tes yeux bleu ciel et ton visage angélique ?
Selon ce qu’ils racontent : un triste après-midi ils t’ont vue passer avec ton troupeau de moutons en route vers le champ d’églantiers (les paroles parlent de roseau, mais c’est en fait le roseau de Bariloche, autre nom de la rosa mosqueta, c’est-à-dire l’églantier…) comment pourraient-ils te condamner, bergère d’Amancay, si même les fleurs ont souri en te voyant passer…
Et c’est que, lorsque la nuit tomba et qu’ils ne te virent pas revenir, que tout le monde alla te chercher pour implorer ta pitié, mais ils ne trouvèrent dans l’immense obscurité que ton troupeau de moutons et ton chien de garde…
Chaque nuit je regarde une étoile scintiller, selon ce que dit la légende, c’est là que tu pleures, comment peuvent-ils te condamner, bergère d’Amancay si même les fleurs pleurent pour toi parce qu’elles ne te voient pas passer…
Autres versions
Ce qui frappe à l’écoute de ce titre, c’est la puissance des paroles et le fait que le nom de l’héroïne soit mentionné, María Teresa Torres.
D’ailleurs on trouve aussi cette chanson de Chito Galindo avec comme titre, ce nom.
Vous aurez remarqué que plusieurs versions introduisent des sonorités asiatiques, notamment dans les introductions. La relation entre le tango et le Japon est une affaire de très longue date, depuis les années 20. Dans les années 50, ce lien se renforce avec notamment des tournées d’orchestres argentins au Japon, comme notamment celui de Juan Canaro en 1954. Peut-être que ces sonorités asiatiques étaient à la mode ?
À la fin de la guerre, le Japon a favorisé l’émigration, notamment en signant des traités avec les pays d’Amérique du Sud. Le cas particulier de l’île d’Okinawa est à souligner. Lorsque les réfugiés ont voulu retourner sur leur terres, elle n’étaient plus disponibles et ces Japonais migrèrent donc intensément dans les années 50–60.
On trouve encore aujourd’hui un lien amusant entre les deux territoires, un restaurant argentin sur l’île d’Okinawa qui s’appelle justement « Amancay »…

Qui était la Pastorcita de Amancay ?
Il est normal de rechercher qui était cette María Teresa Torres, même si cette recherche risque de porter aussi peu de fruit que celle sur les sonorités asiatiques…
La chanson nous informe qu’elle était bergère et qu’elle a souffert d’être trompée par l’homme qu’elle aimait. Cependant, ces détails sont un peu faibles pour retrouver d’éventuels protagonistes réels.
Des Maria Teresa Torres ayant été trompées par leur amour, il doit y en avoir quelques-unes.
L’auteur, Juan Carlos Speciali, alias Chito Galindo, est uruguayen, mais, comme il fut un véritable globe-trotter et que rien de particulier ne rattache son pays de naissance à ce titre, il ne semble pas possible d’y trouver une piste.
On pourrait penser qu’Amancay est un nom de lieu. Google Maps donne une rue, située à proximité de la Feria de Matedero, un des hauts lieux du folklore à Buenos Aires. Cela peut laisser penser que le nom de cette minuscule voie, au milieu d’un espace vert, a été nommé ainsi en référence justement à cette chanson.
Google Maps connaît aussi, dans la région de Cordoba, Villa Amancay, un village qui est connu pour son Sendero del Bambú (sentier de bambous qui pourraient être les cannes évoquées dans la chanson). Il s’agit d’un lieu de vacances vertes de dimension très modeste, difficile toutefois d’y rattacher une histoire plus ou moins tragique mettant en scène une bergère, d’autant plus que le village a été fondé en 1947 et qu’il n’a pas de vocation pastorale.
Ces éléments ne portent pas vraiment au rêve et il me semble qu’il est préférable de rattacher la chanson, même si elle ne correspond pas exactement, à une légende née en Patagonie. Née dans la région de Bariloche. Cette légende conte l’histoire d’Amancay, qui a donné son nom à cette fleur, symbole d’amour et nous allons voir pourquoi.
La légende d’Amancay
Dans la région du Cerro Tronador (imposante montagne près de Bariloche), vivait la tribu Vuriloch, dont le nom déformé donnera Bariloche.
Quintral, fils du cacique local, a, par sa beauté et sa vaillance, provoqué chez la jeune Amancay, une femme de basse condition, un amour profond pour lui.
Si cet amour secret était réciproque, la différence de condition des deux amoureux faisait qu’une union n’était pas envisageable.
Un jour, une épidémie commença à rendre malades plusieurs membres de la tribu. Quintral était l’un d’eux et dans sa fièvre délirante, il ne cessait de répéter le nom de sa bien-aimée au point que son père consulta son conseiller qui lui confirma l’amour profond et silencieux qui unissait les deux jeunes gens.
Le père désespéré envoya des meilleurs guerriers à la recherche d’Amancay, qui avait quitté le village, à la recherche d’un remède pour sauver les siens et, plus particulièrement, Quintral.
Elle avait consulté la Machi (autorité religieuse et médicale du peuple mapuche).
La Machi lui avait prescrit de réaliser une infusion à partir des fleurs jaunes qui poussent sur le Cerro Tronador.
Amancay s’est livrée à la difficile ascension et a finalement trouvé la fleur convoitée. Malheureusement, le Grand Condor qui l’observait se posa à côté d’elle et la réprimanda d’avoir dérobé la fleur des Dieux et qu’en sa qualité de gardien il ne pouvait pas tolérer ce sacrilège.
Devant les larmes d’Amancay, qui justifiait son larcin par son désir de sauver son amour, le Grand Condor, ému par le chagrin d’Amancay, lui fit une offre. Il lui offrirait la fleur en échange de son cœur.
Amancay accepta le don. À quoi lui aurait servi son cœur si elle n’avait plus l’être aimé ?
Elle s’agenouilla devant le Grand Condor, qui prit dans son bec le cœur de la jeune fille dont les derniers mots furent le nom de son amour.
Le Grand Condor, ému, s’envola avec le cœur et la fleur vers le domaine des Dieux pour leur demander d’exaucer le dernier vœu d’Amancay, apporter le remède à Quintral, son amour. Durant le trajet, des gouttes de sang tombaient sur la fleur et sur la montagne.
Les Dieux accordèrent la faveur que la fleur pouvait être apportée à Quintral pour le sauver.
Amancay avait donné sa vie et son cœur pour sauver son amour et, depuis, celui qui vous offre une fleur d’Amancay vous donne son cœur.
De chaque goutte de sang tombée dans les vallées et les montagnes naquit une belle fleur jaune aux gouttes rouges qui devint donc le symbole d’un amour inconditionnel. On la trouve donc maintenant dans d’autres endroits, même si les rivages du Lac Nahuel Huapi sont leur refuge favori.

