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Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio Carrasco

Ce tango enregistré par Pugliese est une composition de Julio Carrasco, un violoniste qui fut fidèle pendant près de 30 ans à l’orchestre. Comme beaucoup des membres de l’orchestre de Pugliese, il était aussi arrangeur et compositeur et sans doute amateur de fleurs, puisque deux de ses titres les plus célèbres sont De floreo et Flor de tango.

Nous sommes ici en présence du premier titre de la trilogie proposée par Pugliese et Carrasco : 

  • Flor de tango 1945-08-28
  • De floreo 1950-03-29
  • Mi lamento 1954-03-17

Extrait musical

Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur.
À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique.
En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible.
On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.

Il n’y a pas d’autre version enregistrée

Comme cela arrive pour les chefs-d’œuvre, personne n’a osé enregistrer le titre après San Pugliese.

Il n’y a donc pas d’autres versions. Cependant, en plus des éléments de la trilogie déjà évoqués, Carrasco a écrit, dans une époque plus ancienne, quelques titres parmi lesquels :

Stud El Pueblo 1929-03-06 – Orquesta Francisco Canaro. Comme le nom l’indique (Stud = cheval de course ou une écurie de course), il s’agit d’un titre parlant de chevaux…
La couverture de la partition de Stud El Pueblo où on apprend que c'était un succès de Bachicha qui avait gagné un deuxième accessit lors d'un concours dirigé par Francisco Canaro.
La couverture de la partition de Stud El Pueblo où on apprend que c’était un succès de Bachicha qui avait gagné un deuxième accessit lors d’un concours dirigé par Francisco Canaro.

Canaro et Carrasco sont Uruguayens. C’était donc probable qu’ils se retrouvent à Montevideo pour ce concours. Bachicha (Juan Bautista Deambroggio) est Argentin, mais il allait régulièrement à Montevideo depuis 1916.

Noches de carnaval 1929-10-09 – Orquesta Francisco Canaro.

La trilogie de Julio Carrasco

Je vous propose pour terminer de réécouter la trilogie avec Pugliese à partir d’un extrait de mon article sur De Floreo.
Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.

Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0:35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese.
Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs.
Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie.
Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs.
Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur.
Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese.
À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments.
Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.

Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser De floreo…
Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.

Mi lamento 1954-03-17 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages, comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.
Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout, Julio Carrasco est violoniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin.
La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano.
Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants.

À bientôt, les amis !

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio Carrasco

De floreo de Julio Carrasco est l’élément central d’une trilogie de trois tangos. Flor de tango (1945), De floreo (1950) et Mi lamento (1954). De floreo peut avoir différentes significations allant d’un bavardage inutile ou léger, par exemple, un piropo (compliment à une femme que l’on cherche à conquérir) à une danse parfaitement maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre acception, celle du musicien épanoui qui domine son instrument. Il n’est qu’à écouter le solo de violon de Enrique Camerano pour se conforter dans cette idée.

Extrait musical

De floreo. Partition, Disque Odeon 30610B (matrice 17601), pochette et disque vinyle 4334 de EMI. De floreo est le sixième et dernier titre de la face A, mais aussi le nom de l’album, ce qui témoigne de son succès.
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0:35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese.
Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs.
Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie.
Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs.
Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur.
Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese.
À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments.
Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.

Détail du revers de la pochette du disque 33 tours De floreo édité par EMI sous le numéro 4334.

Autres versions

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
De floreo 2004 – Color Tango de Roberto Álvarez.

On retrouvera bien sûr des accents de Pugliese dans cette version de Color Tango. Son créateur, Roberto Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plupart des musiciens étaient aussi arrangeurs). J’en profite pour rappeler qu’il y a eu deux et même trois orchestres Color Tango, tous héritiers de Pugliese. L’orchestre originel « Color Tango » créé par Roberto Álvarez (bandonéoniste de Pugliese), Amílcar Tolosa (violoniste de Pugliese) et Fernando Rodríguez (contrebassiste de Pugliese).
À la suite d’un désaccord, l’orchestre se scinda en deux parties égales et Roberto Álvarez et Amílcar Tolosa dirigèrent chacun un orchestre « Color Tango ». Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu compliqué, mais un accord a été trouvé et les deux orchestres ont coexisté avec le nom de leur directeur accolé. Color Tango de Roberto Álvarez et Color Tango de Amílcar Tolosa.
À ce sujet, une petite remarque. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musiciens sont remplacés. Aujourd’hui, la situation est encore plus marquée. Les orchestres voyageant à travers le monde, ils ont souvent recours à des musiciens différents suivant les lieux de la tournée ou suivant les engagements déjà pris avec un autre orchestre par un instrumentiste. La séparation de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si surprenante, mais c’est bien que le nom les différencie, même si la plupart des éditions restent vagues sur le sujet. Un Color Tango peut en cacher un autre.

Voici une version en vidéo par Martin Klett & Ensemble.

De floreo 2019c – Martin Klett & Ensemble

La trilogie de Julio Carrasco

Comme indiqué ci-dessus, De floreo fait partie d’une trilogie composée par Julio Carrasco.
Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.

Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur.
À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique.
En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible.
On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.

Vous trouverez dans l’article sur Flor de tango, quelques éléments sur l’auteur de la trilogie, Julio Carrasco.

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser de floreo…
Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.

Mi lamento 1954-03-17 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.

Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout Julio Carrasco est violoniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin.
La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano.
Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants, mais celui de De floreo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dansable des trois, je passerai De floreo en priorité.

Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo

Je propose cet exercice qui consiste à faire une tanda de Pugliese un peu moins consensuelle. Dans une milonga courte, je ne m’y risquerai sans doute pas et je resterai avec la vingtaine de titres validés par les danseurs. Mais admettons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se mettre en « danger ».
Dans cette tanda, je ne passerai probablement pas deux des titres de la trilogie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seulement pour des tandas de quatre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (difficile de passer un de ces titres en premier et en dernier, il en faut donc a minima un avant et un après).
Pour donner un peu de variété à la tanda en gardant un esprit un peu decaréen, je pourrais proposer.

1) Boedo 1948-07-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une composition de De Caro, assez connue et qui peut donc rassurer en premier thème.

2) De floreo en deuxième, car pas suffisamment connu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servira d’aiguillage. Si je vois qu’il est parfaitement adopté, je pourrai envisager de passer Mi lamento en 3e titre. Si je sens que c’est passable, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exemple :

3) Bien milonga 1951-07-31 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas trop difficile à danser et avec un beau solo de violon pour rester dans l’esprit de De floreo.

4) La cachila 1952-11-24 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Avec des passages très « yumba ». Ce titre très connu, plus facile à danser, pourrait terminer la tanda.

Si je vois qu’il faut raccrocher les wagons, je pourrais passer à Canaro à Paris en troisième titre de la tanda, qui est plus rassurant pour les danseurs et qui comporte de magnifiques solos de bandonéon et de violoncelle.

3) alternative selon la réception de De floreo. Canaro en París 1949-11-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Le 4e titre pourra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tanda. Sinon, La Cachila pourra faire l’affaire.

Si je vois que Boedo ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je basculerai vers les grands standards, en ne passant donc pas De floreo et autres.
Passer une tanda de Pugliese avec des titres peu connus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette raison, il est indispensable, lorsque l’on ne connaît pas le public, d’être prêt à tout changer à la volée et c’est un bon exemple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ résident et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en formant leur goût. C’est d’ailleurs une responsabilité du DJ résident, car à routiner les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloigner de la communauté tanguera. Par exemple, dans certaines milongas, le DJ résident met beaucoup de tango alternatif ou des titres peu typiques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milongas « normales ». Ouvrir les oreilles et les horizons, c’est bien, mais il ne faut pas oublier le cœur du tango.
À bientôt les amis !

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese – L’écoute des tourbillons de musique qui entrent dans les oreilles.

Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra : Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Nous avons découvert, à l’occasion de Porteña linda Rosita, l’amour malheureux d’Horacio Sanguinetti. Dans ce tango interprété par Julio Sosa, Sanguinetti nous parle d’elle et de son amour. Sortez vos mouchoirs.

Rosita

Rosita, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coiffés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de Sanguineti. Malheureusement, celle-ci est partie avec un autre, mais on peut trouver son portrait en filigrane dans différentes compositions de Sanguinetti et notamment dans Princesa del fango.
En effet, Rosita était une travailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ternit les âmes.

Rosita, alias : Princesa del fango. Rosita, que j’imagine un peu à la Evita était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « moderne ».

Extrait musical

Partition pour piano de Princesa del fango avec en couverture, Francini et Pontier.
Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au service de la nostalgie triste de Sanguinetti. Cette version qui est la seule enregistrée ne sera pas destinée à la danse, mais c’est une belle chanson, émotionnante.

Paroles

(recitado)
Se alargan las graves cadencias de un tango,
un místico soplo recorre el salón…
Y rezan las tristes princesas del fango
plegarias que se alzan desde un bandoneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, amiga,
el bello topacio del mágico alcohol.
La sed que yo tengo me quema la vida,
bebiendo descansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabello, tu piel de azucena,
tu largo vestido de seda y de tul,
me alegran los ojos, me borran las penas,
me envuelven el alma en un sueño azul.

Princesa del fango,
bailemos un tango…
¿No ves que estoy triste,
que llora mi voz?
Princesa del fango,
hermosa y coqueta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me siento esta noche más triste que nunca
me ronda un oscuro fantasma de amor
por eso es que quiero matar su recuerdo
ahogando mi angustia, con tangos y alcohol.
Yo sé que si miente tu boca pintada,
esconde un amargo cansancio fatal.
Tu alma y mi alma están amarradas
lloramos el mismo dolor de arrabal.

Enrique Mario Francini Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Récitatif)
Les cadences graves d’un tango s’allongent, un souffle mystique parcourt la pièce…
Et les tristes princesses de la boue récitent des prières qui s’élèvent d’un bandonéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool magique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouissent mes yeux, effacent mes peines, enveloppent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dansons un tango…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un sombre fantôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son souvenir en noyant mon angoisse avec des tangos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleurons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fango a inspiré plusieurs compositeurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

Cuna de tango (Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fango 1952-08-11 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Coro.

Un titre contemporain de notre tango du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chanson à caractère de milonga.
Au début, Alberto Arenas, dans son récitatif initial, dit :

A este tango, flor de tango
Quieren cambiarlo de rango,
Pobre tango, flor de tango
Mecido en cuna de fango.

De ce tango, fleur du tango
Ils veulent changer le rang,
Pauvre tango, fleur du tango
Bercé dans le berceau de la fange.

Rango, Fango et Tango sont des rimes riches. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déclaration liminaire, il affirme une position semblable à celle de Borges qui considère que le tango est affaire de bordel et qu’il aurait dû se cantonner à cet univers « viril »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: Pascual Contursi)

Peut-être le Flor de tango évoqué par Cuna de tango…

Flor de fango 1918 — Carlos Gardel con acomp. de José Ricardo (guitare).

On est à l’opposé de la milonga précédente. Carlos Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tango qui s’affirment. Gardel et Borges, ennemis à vie. Rien de tango brutal et rugueux dans cette chanson du charmeur Gardel.

Flor de fango 1926-10-25 — Orquesta Típica Victor dir. Carabelli.

Une version vieille garde. Suffisamment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Carabelli n’est pas si loin dans cette version) et à Borges.

Flor de fango 1940-04-25 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo dans son style sautillant. Sûr que ça va éclabousser. Je ne sais pas comment a réagit Borges à cette version sympathique mais manquant tout de même un peu de charpente.

Flor de fango 1960-02-12 — Miguel Villasboas y su Quinteto Bravo del 900.

Et on continue à éclabousser avec Villasboas qui reprend le style sautillant de Firpo.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; C. Franzino Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fango, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fango 1931-07-08 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente.

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nostalgie. On est loin de la fleur sautillante de Firpo et Villasboas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour terminer avec notre orchestre du jour. Francini-Pontier. Voici un titre qui a une lettre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tango. La musique est du même Enrique Francini, mais cette fois les paroles sont de Carlos Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tango, Julio Sosa, mais le moins connu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Italie et établi à Montevideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre raison pour que j’associe cet enregistrement à notre tango du jour.

Pablo Moreno, le baryton italo-uruguayen
Triste flor de tango 1953-09-22 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno.

Lorsque Francini et Pontier quittèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils formèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs talents de violoniste (Francini) et bandonéoniste (Pontier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est nettement moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de baryton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des merveilles s’il avait eu une carrière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa version de Manos adoradas surpasse les versions de Roberto Rufino et celles de Caló et si la version de Pugliese avec Alberto Morán est peut-être supérieure, elle le doit aussi au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Francini, Montier et Moreno pour la valse Manos adoradas, histoire d’utiliser la force centrifuge pour éjecter toute la boue accumulée…

Manos adoradas 1952-12-10 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno
Princesa del fango.