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Adiós, Coco 1972-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo

Carlos Ángel Lázzari

Adiós, Coco est un au revoir, ou plutôt un adieu à Rafael D’Agostino, le neveu de Ángel D’Agostino qui était pianiste, com­pos­i­teur, auteur et jour­nal­iste spé­cial­isé dans les spec­ta­cles (notam­ment au jour­nal La Razón à l’Editorial Anahi et à Radio Colo­nia). Par son oncle et ses activ­ités, il était mem­bre de la grande famille du tan­go et sa mort trag­ique dans un acci­dent de la route a sec­oué la com­mu­nauté, comme en témoigne ce tan­go com­posé par Láz­zari, ban­donéon­iste et arrangeur de l’orchestre de D’Arienzo et l’enregistrement par l’orchestre de ce dernier, un mois seule­ment, après la mort de Coco. Main­tenant, il me reste à vous expli­quer pourquoi un dinosaure con­duit une voiture…

Extrait musical

Adiós, Coco 1972-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Adiós, Coco s’inscrit dans la lignée des tan­gos tardifs enreg­istrés par D’Arienzo. La puis­sance est énorme. Les vio­lons vir­tu­os­es et les longs breaks ren­dent ce style recon­naiss­able immé­di­ate­ment. Le piano de Juan Poli­to est en ponc­tu­a­tion per­ma­nente et bien sûr, les ban­donéons (instru­ment du com­pos­i­teur, Car­los Ángel Láz­zari) et la con­tre­basse assurent la base ryth­mique que repren­nent les autres instru­ments.
Dans cette ver­sion, quelques solos de vio­lons font taire le martelle­ment du rythme, une pointe de roman­tisme en l’honneur de Coco.
Cet orchestre tardif de D’Arienzo, le dernier de sa car­rière était com­posé de la façon suiv­ante :
Car­los Láz­zari (ban­donéon­iste et arrangeur de l’orchestre. C’est lui qui repren­dra la direc­tion à la mort de D’Arienzo et qui enreg­istr­era des titres du même type de dynamisme avec las solis­tas de D’Arienzo (les solistes de D’Arienzo, orchestre créé en 1973 avec l’autorisation de D’Arienzo). Voyons donc ces autres solistes :
Enrique Alessio, Felipe Ric­cia­r­di et Aldo Jun­nis­si (ban­donéon­istes de D’Arienzo, comme Láz­zari de 1950 à 1975).

Juan D’Arien­zo dans une atti­tude typ­ique, ani­me ses ban­donénistes. De gauche à droite, Enrique Alessio, Car­los Láz­zari, celui de droite me sem­ble être Aldo Jun­nis­si plus que Felipe Ric­cia­r­di, mais je ne garan­tis rien… Les qua­tre ban­donéon­istes de D’Arienzo sont restés les mêmes de 1950 à 1975. Cette pho­to sem­ble dater de la décen­nie précé­dente, prob­a­ble­ment les années 60.

Juan Poli­to (pianiste de l’orchestre de D’Arienzo en 1929, 1938–1939, 1957–1975)
Cayetano Puglisi, Blas Pen­sato, Jaime Fer­rer et Clemente Arnaiz (vio­lonistes de D’Arienzo depuis 1940. Cette longévité explique la mer­veille des vio­lons de D’Arienzo qui était lui-même vio­loniste).
Vic­to­rio Vir­gili­to (con­tre-bassiste de D’Arienzo depuis 1950).

Cette ver­sion est instru­men­tale, mais je pense intéres­sant de présen­ter les chanteurs de l’époque :
Osval­do Ramos (ténor). C’est le père de Pablo Ramos qui dirige l’orchestre Los Herederos del Com­pás que vous pour­rez enten­dre et voir dans ce titre en fin d’article.
Alber­to Echagüe et Arman­do Labor­de (bary­tons)
Mer­cedes Ser­ra­no (mez­zo-sopra­no).

Rafael D’Agostino (Coco)

Son oncle, Ángel D’Agostino, est bien plus con­nu et j’ai eu à divers­es repris­es l’honneur de présen­ter cer­taines de ses inter­pré­ta­tions. Je vous pro­pose un petit éclairage sur le neveu, Coco, objet de cet hom­mage.
L’histoire com­mence entre Juan D’Arienzo et Ángel D’Agostino, les D’ du tan­go. D’Arienzo vio­loniste et D’Agostino pianiste sont amis depuis l’adolescence.
Lorsqu’en 1928 naquit Rafael, ce dernier est entré dans le cer­cle d’amitié des deux hommes qui l’ont accom­pa­g­né dans son entrée dans la car­rière musi­cale.
Mal­gré ses capac­ités de pianiste, Rafael s’est dirigé vers le jour­nal­isme, notam­ment de spec­ta­cle. Il fut util­isa­teur dans ses chroniques de surnoms pour les artistes. Cette mode a été ini­tiée par Felix Laiño, le sous-directeur du jour­nal La Razón. Coco s’est expliqué sur cette cou­tume, par exem­ple en par­lant de Tita Merel­lo :

“Nadie puede negar que Tita Merel­lo es las­timera; todos los días se que­ja de su mis­e­ria, sus años y su mala suerte, Estos apo­dos nacen de sus pro­pios defec­tos y vir­tudes.”

(Per­son­ne ne peut nier que Tita Merel­lo est pitoy­able ; chaque jour elle se plaint de sa mis­ère, de son âge et de sa malchance. Ces surnoms nais­sent de leurs pro­pres défauts et ver­tus.)

On attribue un cer­tain nom­bre d’œuvres à Coco :
Pasión milonguera
Vida bohemia
(avec Ricar­do Gar­cía)
Paica ale­gre
Mis flo­res negras
(Pas le pas­sil­lo colom­biano arrangé en valse que chan­ta Gardel)
Noches de Cabaret
(pas celui d’Héctor Varela avec Rodol­fo Lesi­ca)
Mi cov­acha

On voit que ces œuvres sont peu con­nues et celles qui le sont por­tent le nom d’autres auteurs. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. On lui attribue égale­ment El Ple­siosauro. Voyons un peu de ce côté…

El Plesiosauro

Ce sym­pa­thique ani­mal marin, un dinosaure, aime faire des farces. En Écosse, il s’appelle Nes­si et hante le Loch Ness. En Argen­tine, on l’appelle par son nom sci­en­tifique, El Ple­siosauro, mais il porte aus­si le nom de El Nahueli­to, car il serait apparu au Lac Nahuel Huapi (Bar­iloche) ou à un autre lac bien plus au sud, el lago Epuyén.
Con­traire­ment à son cousin d’Écosse, ce dernier s’est offert le luxe d’écrire une let­tre que pub­lia le jour­nal La Nación, en mars 1922, dont voici les ter­mes :
“El obje­ti­vo de mi car­ta es per­suadir­los de que me dejen en paz, ya que soy un mon­struo dis­cre­to y desin­tere­sa­do”
“L’objet de ma let­tre est de vous per­suad­er de me laiss­er en paix, car je suis un mon­stre dis­cret et dés­in­téressé.“
Je pense que vous com­mencez à penser à un can­u­lar, voici l’histoire :
La pre­mière men­tion de cet ani­mal date de 1910 et c’est la pub­li­ca­tion en 1922 de cette « vision » par George Gar­ret qui don­na l’idée à un Nord Améri­cain nom­mé Martín Sheffield d’annoncer la présence de cet ani­mal.
Cela arri­va aux oreilles du Doc­teur Clemente Onel­li, directeur du Zoo de Buenos Aires, qui aurait bien aimé le met­tre dans ses col­lec­tions. Il envoya des fonds à Martín Sheffield et organ­isa une expédi­tion.
À son arrivée, Martín Sheffield avait dis­paru avec l’argent et vous vous en doutez, la quête de El Nahueli­to s’est avérée vaine, mal­gré les descrip­tions qu’en ont faites les pré­ten­dus témoins.
La bête aurait un long cou, la taille d’une vache et serait car­ni­vore. Cer­tains sci­en­tifiques y voy­aient la descrip­tion d’un plé­siosaure, d’où le nom le plus courant à l’époque et d’autres d’un ichtyosaure. Des pho­tos auraient été réal­isées, mais où sont-elles ?

L’af­faire du Plé­siosaure à Bar­iloche. De gauche à droite. Mar­tin Shi­ef­feld, l’aventurier d’Amérique du Nord. Il a quit­té les lieux avec l’argent et n’a pas fait par­tie de l’expédition. Doc­teur Clemente Onel­li, le directeur du Zoo et organ­isa­teur de l’expédition. Sur la pho­to cen­trale : Alber­to Merkle, un taxi­der­miste alle­mand qui aurait pu con­serv­er El Nahueli­to si ses col­lègues l’avaient abat­tu comme prévu. Emilio Frey, un ingénieur, ami de Clemente Onel­li qui est à droite de lui sur la pho­to cen­trale San­ti­a­go Andueza et José Cinaghi, les chas­seurs. La pho­to de droite représente une recon­sti­tu­tion du Plé­siosaure à Bar­iloche.

Le Plé­siosaure a sus­cité des pas­sions, des rires et plusieurs musiques ont exploité le filon.
Par­mi celles-ci, la par­ti­tion attribuée à Rafael D’Agostino.

La par­ti­tion attribuée à Rafael D’Agosti­no du Ple­siosauro. Elle serait de 1922. On remar­que la dédi­cace à Clemente Onel­li, le Directeur de l’expédition, et à un Manuel Gar­cia que je n’ai pas iden­ti­fié. Est-il de la famille de Ricar­do Gar­cía avec qui il a com­posé Vida Bohémia ?

Tous les auteurs qui par­lent de ce tan­go men­tion­nent sans hési­ta­tion Coco, Rafael D’Agostino comme le com­pos­i­teur du Ple­siosauro.
Le fait qui m’intrigue est que la par­ti­tion serait datée de 1922, ce qui est logique vu que c’est l’époque des faits. Ce qui est moins logique, c’est que Rafael D’Agostino est né en 1928 (il avait 40 ans en 1968 selon une inter­view, et 44 à a sa mort en 1972). Un prodi­ge comme Mozart peut écrire une œuvre à six ans, mais pas six ans avant sa nais­sance…
Il faut donc soit con­sid­ér­er que la par­ti­tion n’est pas de 1922, soit que c’est d’un autre Rafael D’Agostino.
Le fait que Coco soit un plaisan­tin pour­rait laiss­er penser qu’il aurait réal­isé un faux. Dans le sens de cette hypothèse, je met­trai la réal­i­sa­tion assez som­maire de la cou­ver­ture de la par­ti­tion.
Ce qui ne fait pas de doute, c’est l’expédition à Bar­iloche de Onel­li, les doc­u­ments sont suff­isam­ment pré­cis sur la ques­tion et ce sci­en­tifique n’aurait pas mis en jeu sa répu­ta­tion pour un can­u­lar.
Le fait qu’il soit cité sur la par­ti­tion est un peu plus éton­nant. En effet, comme il est ren­tré bre­douille, il est peu prob­a­ble qu’il ait appré­cié l’attention. Avoir un tan­go dédi­cacé à son nom et qui rap­pelle un échec n’est sans doute pas des plus réjouis­sant. Cela me con­forte dans l’idée du faux que j’attribuerai à Rafael D’Agostino, un drôle de coco (« drôle de coco » en français peut sig­ni­fi­er un farceur, quelqu’un d’un peu orig­i­nal).
Son com­parse, l’auteur des paroles, serait Amíl­car Mor­bidel­li, un « poète » dont on n’a pas vrai­ment de traces. Est-ce aus­si un élé­ment de la blague ? Nous ver­rons que les paroles peu­vent ren­forcer cette impres­sion.
L’orchestre Sci­ammarel­la tan­go a pro­duit la seule ver­sion enreg­istrée de cette œuvre.

El Ple­siosauro 2023 — Sci­ammarel­la tan­go.

Sci­ammarel­la aurait retrou­vé la par­ti­tion et exé­cuté l’œuvre. Est-ce une com­po­si­tion orig­i­nale de cet orchestre ou réelle­ment une œuvre écrite en 1922, ou un can­u­lar tardif de Coco ?
Le site très sérieux et extrême­ment bien doc­u­men­té Todo Tan­go cite l’œuvre, donne Rafael D’Agostino comme com­pos­i­teur et Amíl­car Mor­bidel­li comme auteur des paroles.
https://www.todotango.com/musica/tema/6341/El-plesiosauro/
Cet élé­ment peut faire pencher la bal­ance du côté de l’œuvre authen­tique, dont voici les paroles.

Paroles de El Plesiosauro

Yo soy un pobre ani­mal bus­ca­do
por los ingratos y sin con­cien­cia.
Porque soy raro y tam­bién lo soy curioso
(según dice la gente allí).

Deje­men solo aquí, gozan­do
en la soledad de este lago
¿Qué es lo que haréis con sacarme si es en vano
lle­varme vivo de este lugar ?

¿No saben los señores
que esto no es coger flo­res?
Pre­tenden aquí cazarme y lle­var
como si nada fuera.

¡Maldito! No me nom­bres.
Nada te debo Onel­li.
Deja que yo viva con igual pre­rrog­a­ti­vas
como tú vives allí.
Rafael D’Agostino Letra: Amíl­car Mor­bidel­li

Traduction libre et indications

Je suis un pau­vre ani­mal recher­ché par les ingrats et sans con­science.
Parce que je suis bizarre et que je suis aus­si curieux (selon ce que dis­ent les gens de là-bas).
Lais­sez-moi seul ici, prof­i­tant de la soli­tude de ce lac
Que fer­ez-vous de me sor­tir, si c’est en vain que vous voulez m’en­lever vivant d’i­ci ? (Les mem­bres de l’expédition sont armés et deux chas­seurs y par­ticipent. La présence d’une grande seringue dans l’équipement est par­fois men­tion­née, mais mise en doute. Ils pen­saient tuer le « mon­stre » et l’empailler « d’où la présence d’un empailleur dans l’expédition.
Ces messieurs ne savent-ils pas qu’il ne s’ag­it pas de cueil­lir des fleurs ?
Ils ont l’in­ten­tion de me tra­quer et de m’emmener comme si de rien n’é­tait.
Mau­dit ! Ne me nom­mez pas.
Je ne te dois rien, Onel­li.
Lais­sez-moi, que je vive avec les mêmes prérog­a­tives que vous là-bas.

On voit que l’auteur a pris la parole pour el Nahueli­to. À moins que ce soit lui, puisqu’il avait déjà pub­lié une let­tre dans le jour­nal La Nación.
On remar­quera que, si la cou­ver­ture dédi­cace l’œuvre à Onel­li, le texte n’est pas du tout à sa gloire. Cela me fait encore hésiter. Un auteur aurait-il dédi­cacé un tan­go où il traite de mau­dit son dédi­cataire ? Cela me sem­ble bien étrange.
Si on tient compte que le Plé­siosaure est un dinosaure qui vit dans l’eau, on pour­rait penser à un pois­son d’avril, cou­tume qui con­siste à racon­ter un truc incroy­able que l’on retrou­ve dans quelques pays d’Europe et dans le Monde, mais pas en Argen­tine.
On pour­rait aus­si voir dans cette his­toire un rap­pel de la coloni­sa­tion… Ces Indi­ens et gau­chos que l’on a déplacés et mas­sacrés sans ménage­ment pour con­quérir leur ter­ri­toire.

Autres versions de Adiós, Coco

Adiós, Coco 1972-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre tan­go du jour.

Du fait qu’il s’agit d’un tan­go tardif, il n’a pas eu le temps d’entrer dans le réper­toire des orchestres. Une excep­tion toute­fois, Los Herederos del Com­pás, l’orchestre ani­mé par Pablo Ramos, le fils de l’ancien chanteur de D’Arienzo, Osval­do Ramos, et qui tra­vaille ardem­ment à entretenir le sou­venir de son père et de la Orques­ta Del Rey del Com­pás.
Cet orchestre joue régulière­ment le thème, et je l’ai donc écouté par eux à divers­es repris­es avec des évo­lu­tions intéres­santes.

Adiós Coco 2021 — Pablo Ramos & Los Herederos del Com­pás. C’est la ver­sion du disque “Que siga el encuen­tro de 2021”.

Mais je pense que vous serez con­tent de voir l’une de leurs presta­tions. C’était l’an passé, le 8 avril 2023, à la huitième édi­tion du fes­ti­val de La Pla­ta.

Adiós Coco 2023-04-08 — Pablo Ramos & Los Herederos del Com­pás, en La Pla­ta Baila Tan­go (8va edi­ción).

Avec cette vidéo, je pense que l’on peut dire Adiós Coco, au revoir, les amis. Soyez pru­dent sur les routes, un dinosaure pour­rait tra­vers­er sans crier gare !

Nada más 1938-07-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Nous avons vu il y a peu Un tan­go y nada más où j’évoquais l’existence d’une ving­taine de tan­go con­tenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils mar­quent des points, beau­coup de points.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano éditée par Jules Korn de Nada más.
Nada más 1938-07-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

La musique se déroule en par­ties s’opposant, de pas­sages martelés (ban­donéons et piano) et d’autres ondoy­ants (vio­lons). La voix de Echagüe se lance, pour un court pas­sage, le refrain, en totale har­monie avec la musique qui con­tin­ue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organ­i­sa­tion jusqu’à la fin. Une ver­sion pour danseurs. On notera que les petites accen­tu­a­tions du piano sont un peu plus dis­crètes que dans les dernières ver­sions avec Bia­gi au piano. Juan Poli­to est en train de trou­ver ses mar­ques pour suc­céder aux mains sor­cières de Rodol­fo Bia­gi.

Paroles

No quiero nada, nada más
que no me dejes, frente a frente, con la vida.
Me moriré si me dejás
por qué sin vos no he de saber vivir.

Y no te pido más que eso,
que no me dejes sucumbir,
te lo supli­co por Dios
no me quites el calor
de tu car­iño y tus besos,
que, si me fal­ta la luz
de tu mirar, que es mi sol,
será mi vida una cruz.

Cuán­ta nieve habrá en mi vida
sin el fuego de tus ojos!
Y mi alma, ya per­di­da,
san­gran­do por la heri­da,
se dejará morir,
y en la cruz de mis anh­e­los
llenaré de bru­mas mi alma,
morirá el azul del cielo,
sobre mi desvelo
vién­dote par­tir.

No quiero nada, nada más
que la men­ti­ra de tu amor, como limosna.
¿Qué voy a hac­er si me dejás
con el vacío de mi decep­ción?
No te vayas te lo ruego,
no destro­ces mi corazón,
si no lo hacés por amor
hace­lo por com­pasión
pero por Dios no me dejés
jamás te molestaré,
seré una som­bra a tus pies,
tira­da en algún rincón.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubis­tein Letra: Luis Rubis­tein

Echagüe ne chante que le refrain (en gras).
Rober­to Mai­da chante ce qui est en bleu.
Ada Fal­cón chante tout et ter­mine en reprenant le refrain (en gras).

Traduction libre

Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laiss­es pas face à face avec la vie.
Je mour­rai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre.
Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laiss­er suc­comber, je te sup­plie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affec­tion et de tes bais­ers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix.
Com­bi­en de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux !
Et mon âme, déjà per­due, saig­nant de la blessure, se lais­sera mourir, et sur la croix de mes désirs je rem­pli­rai mon âme de brouil­lards, le bleu du ciel mour­ra, sur mon insom­nie en te regar­dant par­tir.
Je ne veux rien, rien de plus que le men­songe de ton amour, comme une aumône.
Que vais-je faire si tu me laiss­es avec le vide de ma décep­tion ?
Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en sup­plie, ne détru­is pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par com­pas­sion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.

Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Une pre­mière ver­sion de la musique a été asso­ciée à des paroles, égale­ment de Rubin­stein à la gloire de Alfre­do Calle­jas surnom­mé « El Tigre » qui était un jock­ey fameux de l’hippodrome de Paler­mo (Buenos Aires). Son fils égale­ment prénom­mé Alfre­do a repris sa car­rière comme entraîneur et quit­ta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son com­pa­tri­ote Robert Pérez à New York (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernar­do a suivi le même chemin et a un éle­vage de chevaux à Bel­mont (USA).
Les paroles évo­quent Bland­engues. Il me sem­ble qu’il s’agit d’un lieu situé à Bar­ra­cas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jock­ey et entraîneur.
Le nom est égale­ment celui d’un rég­i­ment argentin créé au 18e siè­cle et dis­sous au 19e (notons qu’un rég­i­ment de ce nom existe tou­jours en Uruguay). Il est donc peu prob­a­ble que Alfre­do soit réelle­ment un mem­bre de Bland­engues. je pro­pose plutôt d’y voir un hom­mage his­torique, ce jock­ey rejoignant les illus­tres défenseurs de la patrie (con­tre les peu­ples pre­miers), ou tout sim­ple­ment son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu par­ti­c­ulière­ment prop­ice aux exploits équestres et au tan­go, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces prop­ices à ces exer­ci­ces. Aujourd’hui encore, un grand parc sub­siste, El par­que Leonar­do Pereyra.

Sos de Bland­engues el mejor
Y no hay quién ten­ga tu muñe­ca pa’ tal­lar,
Ni se conoce un cuidador
Con más car­pe­ta pa’ poder ganar.

Y de Bland­engues sos el mago
Que ha con­quis­ta­do más hala­gos,
“Tigre” Calle­jas, no hay qué hac­er­le
Se impone tu muñe­ca de gran “com­pos­i­tor”.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubis­tein Letra : Luis Rubis­tein

Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Tu es de Bland­engues le meilleur et il n’y a per­son­ne qui a ton poignet pour domin­er (tal­lar n’est pas à pren­dre dans le sens de tailler, mais de domin­er, c’est du lun­far­do), ni aucun soigneur con­nu avec plus d’habileté (car­pe­ta en lun­far­do) pour pou­voir gag­n­er.
Et de Bland­engues vous êtes le magi­cien qui a con­quis le plus d’éloges, « Tigre » Calle­jas, il n’y a rien à faire, votre tal­ent (muñe­ca en lun­far­do = habileté) de grand « com­pos­i­teur » s’impose (un com­pos­i­tor en lun­far­do est un pré­para­teur de chevaux de course).

Autres versions

Calle­jas solo (A Alfre­do Calle­jas) 1928 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Car­los Dante.

D’Arienzo et Rubin­stein avaient déjà util­isé cette même musique sous le titre Calle­jas solo. Vous recon­naîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrême­ment dif­férente. Heureuse­ment que Car­los Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet enreg­istrement.

Calle­jas solo 1930 — Orques­ta Eduar­do Bian­co.

Même si cette ver­sion instru­men­tale a été pub­liée sous le titre de Calle­jas Solo, la douceur de son inter­pré­ta­tion sem­ble plus adap­tée aux nou­velles paroles, celle de Nada más. La ver­sion française serait donc un précurseur des futures ver­sions.

Nada más 1938-07-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.
Nada más 1938-08-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

On remar­que tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Mai­da chante d’une voix cares­sante. On est aux antipodes de la ver­sion de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments dis­tincts de la milon­ga. Les deux sont par­faits pour la danse.

Nada más 1938-09-28 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Un mois plus tard, Canaro enreg­istre avec sa chérie, Ada Fal­cón une ver­sion à écouter. C’est absol­u­ment clair. L’orchestre intro­duit directe­ment le chant, puis par la suite ne sert que de ponc­tu­a­tion. Ada chante qua­si­ment a capel­la. C’est une ver­sion très éton­nante, mais pas­sion­nante.

Nada más 1958-07-10 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la ver­sion de D’Arienzo avec Echagüe avec celle inter­prétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Fal­cón.

Nada más 1971-12-20 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Mer­cedes Ser­ra­no.

Treize ans plus tard, D’Arienzo enreg­istre sa troisième ver­sion du titre avec Mer­cedes Ser­ra­no. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trou­ve que la ver­sion avec Mer­cedes Ser­ra­no en 1971 est bien plus intéres­sante que celle avec Jorge Valdez.

Pour ter­min­er la liste des ver­sions, je vous pro­pose un autre enreg­istrement, par les mêmes. Il s’agit d’une ver­sion enreg­istrée dans l’émission El Tan­go del Mil­lón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été col­orisée par Pablo Ramos qui effectue un tra­vail for­mi­da­ble, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Com­pás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui rem­plaça, à mon avis très effi­cace­ment, Jorge Valdez.

Juan D’Arienzo con Mer­cedes Ser­ra­no. 1971 ou 1975.

Et Jacques Brel, dans l’affaire ?

La pho­to de cou­ver­ture a sans doute éton­né cer­tains, je vous dois une expli­ca­tion, que vous avez peut-être déjà dev­inée en prenant con­nais­sance des paroles.
Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pou­vait être une référence au jock­ey Calle­jas, mais à cause des paroles de sa chan­son immortelle « Ne me quitte pas ».

Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.

En effet, elle se ter­mine par :

« Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
 »

Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.

Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubin­stein :

“jamás te molestaré,
seré una som­bra a tus pies,
tira­da en algún rincón.”

Luis Rubis­tein, fin des paroles de Nada más.

L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intri­g­ante, peut-être même inquié­tante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique som­bre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la ques­tion. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais aupar­a­vant, délectez-vous de la chan­son de Jacques Brel.

Ne me quitte pas, Jacques Brel

« Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve ».

Edmond Ros­tand (Cyra­no de Berg­er­ac)

À demain, les amis !