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Le Tangomètre (éditorial de Tango y Cultura Popular n°110)

Cet édi­to­r­i­al a été pub­lié le 13 décem­bre 2009, dans le numéro 110 de la revue rosa­ri­na, Tan­go y Cul­tura Pop­u­lar.
J’ai choisi de le repro­duire ici, car en ce moment cir­cu­lent des textes qui ne repren­nent pas les sources et je pense utile de ren­dre à César ce qui lui appar­tient (même si dans le cas présent il s’ap­pelle Ricar­do Schoua).
Ce sera le pre­mier d’une série de textes polémiques sur le tan­go et son évo­lu­tion.
Bonne lec­ture.

Vous trou­verez le texte orig­i­nal, en espag­nol, en fin d’ar­ti­cle

Le Tan­gomètre (édi­to­r­i­al)

Logo de Tan­go y Cul­tura Pop­u­lar, la revue de tan­go de Rosario (Argen­tine)

L’inscription au pat­ri­moine mon­di­al, la mul­ti­pli­ca­tion des fes­ti­vals, l’ouverture de nou­velles milon­gas, le fait que de nom­breux jeunes musi­ciens soient enclins à ce genre indiquent un essor du tan­go. Mais, comme toute man­i­fes­ta­tion de la cul­ture pop­u­laire, cet essor con­tient beau­coup d’impuretés et s’inscrit dans une lutte per­ma­nente con­tre les con­cep­tions qui ten­dent à la lim­iter ou à la vider de son con­tenu.

La ques­tion est de savoir dans quelle mesure nous com­prenons ce que sig­ni­fie la cul­ture pop­u­laire. Ce n’est pas un sujet facile à com­pren­dre, c’est pourquoi beau­coup se réfugient dans des con­cep­tions dog­ma­tiques. Je pense que c’est une tâche quo­ti­di­enne d’apprendre, avec un esprit ouvert, de quoi il s’agit. Et c’est un proces­sus d’apprentissage sans fin.

Je vais essay­er d’énumérer les élé­ments qui, à mon avis, sont, en ce moment, un obsta­cle à un développe­ment authen­tique du tan­go en tant qu’expression pop­u­laire.

1.— Les opin­iono­logues qui n’admettent pas de change­ments au-delà de ce que furent les années 40, oubliant que cette époque se dis­tingue pré­cisé­ment par le boom de l’innovation et du renou­veau. Sou­vent, cette pos­ture de « défenseurs à tout prix » du tan­go cache la médi­ocrité con­sciente de ceux qui l’adoptent comme éten­dard. L’attitude est com­pa­ra­ble à celle d’un patron, dans n’importe quel tra­vail, qui s’entoure de gens médiocres pour s’assurer qu’ils ne « bougent pas le sol », parce qu’il sait qu’il est lui-même médiocre.

La résis­tance au change­ment est exploitée, et ce n’est pas nou­veau. Hora­cio Fer­rer racon­te dans son livre El gran Troi­lo que, lorsque Pichu­co a créé Respon­so à Mon­te­v­ideo, l’un des spec­ta­teurs lui a crié : « Gor­do, arrête de jouer des pasodobles ! »

2.— Ceux qui, au nom d’un sup­posé « nou­veau tan­go », se pla­cent à l’extrême opposé des précé­dents, c’est-à-dire qu’ils nient les antécé­dents. Par­mi eux, ceux qui ont l’intention de fusion­ner le tan­go (qui est le pro­duit d’une fusion naturelle et évo­lu­tive) avec d’autres gen­res, en par­ti­c­uli­er le jazz. Pugliese a défi­ni : « Le tan­go est un mélange de la cam­pagne avec l’expression pop­u­laire de la ville. Beau­coup de choses peu­vent être soulevées, dans dif­férentes direc­tions. Vous pou­vez venir de Gardel, Bar­di, Cobián, Maf­fia, Lau­renz, mais vous ne pou­vez jamais arrêter les étapes ni per­dre de vue les sources. Ceux qui veu­lent s’exprimer dans le tan­go doivent se référ­er à la con­ti­nu­ité, sans s’en détach­er. Le reste n’est pas du tan­go. C’est de la musique, d’autres musiques.

Et Atahual­pa Yupan­qui a dit : « Pour que les enfants vivent, il n’est pas néces­saire de tuer leurs par­ents. »

Des musi­ciens qui écrivent pour des musi­ciens, qui sem­blent croire que plus la par­ti­tion a de notes, mieux c’est. Ils ont pour cor­rélat les danseurs « de scène », pour qui l’important sem­ble être le nom­bre de fig­ures par sec­onde et non la danse elle-même.

Encore une fois, je cite Yupan­qui : « Il y a des gens qui éblouis­sent et d’autres qui illu­mi­nent, je préfère illu­min­er. »

4.— Le soi-dis­ant « tan­go élec­tron­ique », un pro­duit dérivé d’une étude de marché, l’une des nom­breuses pier­res que la con­tre-cul­ture médi­a­tique met sur le chemin.

5.— Les méth­odes de danse égale­ment qual­i­fiées de « neo tan­go » qui, au nom de la tech­nique et de la pro­preté sup­posée, décon­nectent totale­ment le danseur de la musique et de l’émotion.

6.— L’arrogance avec laque­lle beau­coup de ceux qui défend­ent l’une ou l’autre des posi­tions décrites sont traités.

Eh bien, avec cela, j’ai déjà gag­né la haine de tout le monde. Si j’en ai man­qué, faites-le-moi savoir…

Sérieuse­ment, même si nous n’aimons pas les résul­tats, toute pour­suite sincère est saine et devrait être encour­agée et cri­tiquée en même temps.

Les goûts de cha­cun sont respecta­bles, mais ce n’est pas une ques­tion de goût ici.

Et il n’existe pas de «tan­gomètre», bien que si un lecteur veut en con­cevoir un pour nous, nous le fer­ons volon­tiers savoir.

La pire chose qui puisse nous arriv­er, c’est que notre cerveau s’atrophie. De nou­velles propo­si­tions con­tribuent à la péren­nité. […]

Le Directeur (Ricar­do Schoua)

De l’humour dans le tango “Le tango, une pensée triste qui se danse.”

Pour cer­tains, le tan­go est une musique com­passée, triste, à la lim­ite dépres­sive.

Cette impres­sion est bien sou­vent causée par une mécon­nais­sance de cette cul­ture, ou pour le moins par la prise en compte d’une par­tie trop restreinte du réper­toire.

En regar­dant rapi­de­ment dans ma col­lec­tion, j’identifie env­i­ron 200 titres claire­ment à class­er comme faisant preuve d’humour, voire à la lim­ite de la farce.

Bien sûr, l’humour n’est pas uni­versel et ce qui fai­sait rire les Argentins dans les années 40 n’est sans doute pas ce qui fait rire un européen d’aujourd’hui.

Tout d’abord, quand on est DJ, un des buts est que les gens s’amusent. Je sais que mon tra­vail est réus­si quand les gens souri­ent, voire rigo­lent.

Beau­coup de milon­gas son hila­rantes à danser, mais aus­si cer­taines valses et des tan­gos ne man­quent pas d’humour. Même ce cher Pugliese a fait des enreg­istrements amu­sants.

Le DJ joue avec les sen­ti­ments pour altern­er des tan­das gaies et d’autres plus roman­tiques voire tristes, mais avec mod­éra­tion, les danseurs sont là pour s’amuser, pas pour ce couper les veines.

C’est d’ailleurs une grande dif­férence entre les milon­gas d’Europe et celles de Buenos Aires. Dans les pre­mières, on se prend au sérieux, dans les sec­on­des, on vient pass­er un bon moment. C’est peut-être ce genre d’attitudes qui inci­tent cer­tains DJs européens à adopter des réper­toires peu eupho­risants.

Avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine, je peux témoign­er que même dans les plus sérieux encuen­tros, l’humour a sa place et que finale­ment, les danseurs appré­cient les musiques diver­tis­santes, même si leur pro­por­tion est sans doute moin­dre dans ce type d’événement.

La vie est trop courte pour la gâch­er en étant triste, la milon­ga est une fête et oubli­er que le tan­go est avant tout un diver­tisse­ment pop­u­laire est à mon sens une erreur.

Je pense que je vais faire un arti­cle sur le sujet pour mon blog, car cela me désole de voir des danseurs s’ennuyer avec des DJs dépres­sifs. Ces derniers croient bien faire, mais ain­si, ils desser­vent l’âme du tan­go et c’est dom­mage.

Entre la vul­gar­ité d’un Rodriguez, la joie nos­tal­gique d’un Fir­po, l’énergie eupho­risante de D’Arienzo ou l’éclectisme de Canaro il y a de quoi faire.

Rions le tan­go !

For some, tan­go is a piece of com­passed, sad music, bor­der­ing on depres­sion.

This impres­sion is often caused by a lack of knowl­edge of this cul­ture, or at least by con­sid­er­ing too small a part of the reper­toire.

By quick­ly look­ing through my col­lec­tion, I iden­ti­fy about 200 titles clear­ly to clas­si­fy as humor­ous, even bor­der­ing on farce.

Of course, humour is not uni­ver­sal and what made Argen­tines laugh in the ’40s is prob­a­bly not what makes a Euro­pean laugh today.

First, when you’re a DJ, one of the goals is for peo­ple to have fun. I know that my work is suc­cess­ful when peo­ple smile or even laugh.

Many milon­gas are hilar­i­ous to dance, but some waltzes and tan­gos do not lack humour. Even this dear Pugliese made some fun­ny record­ings.

The DJ plays with feel­ings to alter­nate cheer­ful tan­das and oth­er more roman­tic or even sad ones, but in mod­er­a­tion, the dancers are there to have fun, not to cut the veins.

This is also a big dif­fer­ence between the milon­gas of Europe and those of Buenos Aires. In the first, we take our­selves seri­ous­ly, in the sec­ond, we come to have a good time. It is per­haps this kind of atti­tude that encour­ages some Euro­pean DJs to adopt reper­toires that are not very euphor­ic.

With more than 20 years of expe­ri­ence in the field, I can tes­ti­fy that even in the most seri­ous encuen­tros, humour has its place and that final­ly, dancers appre­ci­ate enter­tain­ing music, even if their pro­por­tion is prob­a­bly low­er in this type of event.

Life is too short to ruin it by being sad, the milon­ga is a par­ty, and for­get­ting that tan­go is above all a pop­u­lar enter­tain­ment is, in my opin­ion, a mis­take.

I think I’m going to do an arti­cle on the sub­ject for my blog because it sad­dens me to see dancers bored with depressed DJs. The lat­ter think they are doing well, but in this way, they serve the tango’s soul, which is a shame.

Between the vul­gar­i­ty of a Rodriguez, the nos­tal­gic joy of a Fir­po, the eupho­ri­ant ener­gy of D’Arienzo, or the eclec­ti­cism of Canaro there is plen­ty to do.

Let’s laugh at the tan­go!

Le tan­go, une pen­sée joyeuse qui se danse (DJ BYC Bernar­do)