Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Au sujet de cette valse bien sympathique, avec une introduction un peu plus longue que la moyenne, je pensais faire un petit encart sur le diapason, justifié par le changement effectué à cette époque par Biagi. À cause des réactions sur le sujet, je vais me concentrer sur le diapason pour cette anecdote. Nous voilà prêts à accorder nos violons…
Extrait musical et autre version
Je vous donne ici, les deux principaux enregistrements de cette valse. Celui de Biagi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.
D’un point de vue technique, cet enregistrement est sans doute le dernier enregistré avec le diapason à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Biagi s’accordera à 440Hz. Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le premier enregistrement en 440Hz par Biagi. D’Arienzo a-t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est important pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écoutons plutôt les différences stylistiques entre les deux versions, c’est plus passionnant à mon goût.
On remarque tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue introduction de Biagi. C’est classique chez D’Arienzo qui aime bien rentrer directement dans le feu de la danse. Le rythme est en revanche plus lent. Malgré l’absence des 21 secondes d’introduction de la version de Biagi, la version de D’Arienzo fait 6 secondes de plus. S’il avait joué au même rythme que Biagi, sa version aurait totalisé 21 secondes de moins. Ce sont donc 27 secondes de différence, c’est beaucoup et beaucoup plus que le passage de 435 à 440 Hz dans la différence de sensation 😉
Petit jeu
Je me suis « amusé » à trafiquer les deux enregistrements de la façon suivante :
J’ai enlevé l’introduction de Biagi.
J’ai accéléré la version de D’Arienzo pour la mettre au même rythme que celle de Biagi.
Vous pouvez donc comparer les deux versions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sacrilège, car D’Arienzo a volontairement enregistré une version plus lente, mais cela me semble intéressant pour bien sentir les différences d’orchestrations sur la même partition.
Et comme je ne suis pas avare de fantaisies, je vous propose maintenant une version mixte comprenant la version de Biagi sans l’introduction dans le canal de gauche et la version de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remarquera que le mélange n’est pas si détonnant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un système stéréo, voire au casque.
Prisionero. Version de Biagi sans introduction, dans le canal de gauche. Version de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.
Si vous avez apprécié le petit jeu, vous pouvez avoir un autre particulier dans le dernier chapitre de cette anecdote, sur les diapasons. Un truc qui régale certains spécialistes, ce que je ne suis pas.
Paroles
Libre es el viento Que doma la distancia, Baja a los valles Y sube a las montañas. Libre es el agua Que se despeña y canta, Y el pájaro fugaz Que surge de ver Una azul inmensidad…
Libre es el potro Que al viento la melena, Huele a las flores Que es mata en la pradera. Libre es el cóndor Señor de su cimera, Yo que no sé olvidar Esclavo de un dolor No tengo libertad…
Loco y cautivo Cargado de cadenas, Mi oscura cárcel Me mata entre sus rejas. Soy prisionero De incurable pena, Preso al recuerdo De mi perdido bien.
Nada me priva De andar por donde quiero, Pero no puedo Librarme del dolor. Y pese a todo Soy prisionero, De los recuerdos Que guarda el corazón. Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Libre est le vent qui dompte la distance, descend dans les vallées et gravit les montagnes. Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immensité bleue… Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hauteur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pousser, mais il y a peut-être mieux à faire…). Libre est le condor, seigneur de son sommet, moi qui ne sais pas oublier, esclave d’une douleur, je n’ai pas de liberté… Fou et captif, chargé de chaînes, ma prison sombre me tue derrière les barreaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un discret jeu de mots). Je suis prisonnier d’un chagrin incurable, emprisonné dans la mémoire de mon bien perdu. Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’arrive pas à me libérer de la douleur. Et malgré tout, je suis prisonnier des souvenirs que le cœur garde.
Mettons-nous au diapason…
Le diapason est la fréquence de référence qui permet que tous les musiciens d’un orchestre jouent de façon harmonieuse. Vous avez en tête les séances d’accordage qui précèdent une prestation. Le principe est simple. On prend pour référence l’instrument le moins accordable rapidement, par exemple le piano qui est accordé avant le concert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps. En l’absence de piano, les orchestres classiques se calent sur le hautbois, celui du « premier hautbois ». Ensuite, ses voisins, les autres instruments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes. Je vous propose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remarquera que c’est bien le hautbois qui y donne le La3.
Installation interactive « Sous-ensemble » de Thierry Fournier – Enregistrement de l’accord pour chaque instrument.
La note de référence doit pouvoir être jouée par tous les instruments. Dans les concerts où il y a des instruments anciens, on est parfois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une tension exagérée des cordes sur des instruments fragiles. En général, cela est défini à l’avance et on accorde le piano en conséquence avant le concert. La note de référence est généralement un La, le La3 (situé entre la deuxième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturellement sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les violons et altos, c’est la seconde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regardant le violon de face. Les musiciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par comparaison avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précédente et vous savez tout cela. Dans le cas du tango, le piano est généralement la base, mais quand c’est possible, on se cale sur le bandonéon qui n’est pas accordable pour régler le piano. En effet, la note de référence, si c’est en principe toujours le La3, n’a pas la même hauteur selon les époques et les régions.
Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle
Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.
Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
Les membres de la commission étaient : Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ; Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ; Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ; Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ; Mansuete César Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences. Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ; Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ; Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ; Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ; Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ; Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ; Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.
Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
Les critiques contre le diapason uniforme…
On voit donc que l’histoire est un éternel recommencement et que les pinaillages actuels n’en sont que la continuité…
Vous pouvez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)
Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous permettront de constater la variété des diapasons, leur évolution et donc la nécessité de mettre de l’ordre et notamment de freiner le mouvement vers un diapason plus aigu. Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibrations ». Il faut donc diviser par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ainsi, le diapason de Paris indiqué 896 correspond à 448 Hz.
Compléments sur le diapason
Si vous n’avez pas consulté le document de 12 pages, il est encore temps de vous y référer, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pouvez le charger en PDF pour le lire plus facilement.
Si vous voulez entendre la différence entre le diapason à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous propose cette vidéo.
Diapason 435 Hz et 440 Hz.
Sur l’histoire du diapason, cet article signalé par l’ami Jean Lebrun.
Choisir le bon diapason quand on restaure des disques anciens peut avoir son utilité. Cependant, c’est une véritable jungle et aujourd’hui encore, les DJ, éditeurs de musique et même les musiciens continuent de se quereller au sujet de ce fameux diapason. Pour vous amuser, je vous propose d’entrer dans un débat qui a eu lieu en 1859… Pour vous faciliter la lecture, vous pouvez aussi télécharger le texte intégral au format PDF (en fin de cet article).
Entrons dans le débat…
Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.
Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
Les critiques contre le diapason uniforme…
Rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme
Vous avez chargé une commission « de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore, qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation.
Votre arrêté était fondé sur ces considérations :
« Que l’élévation toujours croissante du diapason présente des inconvénients dont l’art musical, les compositeurs de musique, les artistes et les fabricants d’instruments ont également à souffrir ; et que la différence qui existe entre les diapasons des divers pays, des divers établissements musicaux et des diverses maisons de facture est une source constante d’embarras pour la musique d’ensemble, et de difficultés dans les relations commerciales. »
La commission a terminé son travail. Elle vous doit compte de ses opérations, de la marche qu’elle a suivie ; elle soumet à l’appréciation de Votre Excellence le résultat auquel elle est arrivée.
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Cette commission était composée de :
Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ; Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ; Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ; Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ; César-Mansuète Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences. Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ; Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ; Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ; Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ; Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ; Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ; Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut. ======================================
I
Il est certain que dans le cours d’un siècle, le diapason s’est élevé par une progression constante. Si l’étude des partitions de Gluck ne suffisait pas à démontrer, par la manière dont les voies sont disposées, que ces chefs-d’œuvre ont été écrits sous l’influence d’un diapason beaucoup moins élevé que le nôtre, le témoignage des orgues contemporaines en fournirait une preuve irrécusable. La commission a voulu d’abord se rendre compte de ce fait singulier, et de même qu’un médecin prudent s’efforce de remonter aux sources du mal ayant d’essayer de le guérir, elle a voulu rechercher, ou au moins examiner les causes qui avaient pu amener l’exhaussement du diapason. On possède les éléments nécessaires pour évaluer cet exhaussement. Les orgues dont nous avons parlé accusent une différence d’un ton au-dessous du diapason actuel. Mais ce diapason si modéré ne suffisait pas à la prudence de l’Opéra de cette époque : Rousseau, dans son dictionnaire de musique (article Ton), dit que le ton de l’Opéra à Paris était plus bas que le ton de chapelle. Par conséquent, le diapason, ou plutôt le ton de l’Opéra était, au temps de Rousseau, de plus d’un ton inférieur au diapason d’aujourd’hui.
Cependant les chanteurs de ce temps, au rapport de beaucoup d’écrivains, forçaient leur voix. Soit défaut d’études, soit défaut de goût, soit désir de plaire au public, ils criaient. Ces chanteurs, qui trouvaient moyen de crier si fort avec un diapason si bas, n’avaient aucun intérêt à demander un ton plus élevé, qui aurait exigé de plus grands efforts ; et, en général, à nulle époque, dans aucun pays, aujourd’hui comme alors, jamais le chanteur, qu’il chante bien ou mal, n’a d’intérêt à rencontrer un diapason élevé, qui altère sa voix, augmente sa fatigue, et abrège sa carrière théâtrale. Les chanteurs sont donc hors de cause, et l’élévation du diapason ne peut leur être attribuée.
Les compositeurs, quoi qu’aient pu dire ou penser des personnes qui n’ont pas des choses de la musique, une idée bien nette, ont un intérêt tout contraire à l’élévation du diapason. Trop élevé, il les gêne. Plus le diapason est haut, et plus tôt le chanteur arrive aux limites de sa voix dans les cordes aiguës ; le développement de la phrase mélodique est donc entravé plutôt que secondé. Le compositeur a dans sa tête, dans son imagination, on peut dire dans son cœur, le type naturel des voix. La phrase qu’il écrit lui est dictée par un chanteur que lui seul entend, et ce chanteur chante toujours bien. Sa voix, souple, pure, intelligente et juste, est fixée d’après un diapason modéré et vrai qui habite l’oreille du compositeur. Le compositeur a donc tout avantage à se mouvoir dans une gamme commode aux voix, qui le laisse plus libre, plus maître des effets qu’il veut produire, et seconde ainsi son inspiration. Et d’ailleurs, quel moyen possède-t-il d’élever le diapason ? Fabrique-t-il, fait-il fabriquer ces petits instruments perfides, ces boussoles qui égarent ? Est-ce lui qui vient donner le la aux orchestres et nous n’avons jamais appris ou entendu dire qu’un maestro, mécontent de la trop grande réserve d’un diapason, en ait fait fabriquer un à sa convenance, un diapason personnel, à l’effet d’élever le ton d’un orchestre tout entier. Il rencontrerait mille résistances, mille impossibilités. Non, le compositeur ne crée pas le diapason, il le subit. On ne peut donc non plus l’accuser d’avoir excité la marche ascensionnelle de la tonalité.
Remarquons que cette marche ascensionnelle, en même temps qu’elle a été constante, a été générale ; qu’elle ne s’est pas bornée à la France ; que les Alpes, les Pyrénées, l’Océan n’y ont pas fait obstacle. Il ne faut donc pas, comme nous l’avons entendu faire, en accuser spécialement la France, qu’on charge assez volontiers des méfaits qui se produisent de temps à autre dans le monde musical. Notre pays n’a eu que sa part dans cette grande invasion du diapason montant, et s’il était complice du mal, il en était en même temps victime. Les causes de cette invasion, qui agissaient partout avec suite, ensemble, persévérance, on pourrait dire avec préméditation, ne sauraient être ni accidentelles, ni particulières à un pays. Elles devaient tenir à un principe déterminant, à un intérêt. En vertu d’un axiome bien connu, il faut donc rechercher ceux qui avaient un intérêt évident à surélever ainsi le la qu’espéraient nous léguer nos ancêtres. Ceux qui fabriquent ou font fabriquer les diapasons, voilà les auteurs, les maîtres de la situation. Ce sont les facteurs d’instruments, et on comprend qu’ils ont à élever le diapason, un intérêt légitime et honorable. Plus le ton sera élevé, plus le son sera brillant. Le facteur ne fabriquera donc pas toujours ses instruments d’après le diapason ; il fera quelquefois son diapason d’après l’instrument qu’il aura jugé sonore et éclatant. Car il se passionne pour la sonorité, qui est la fin de son œuvre, et il cherche sans cesse à augmenter la force, la pureté, la transparence de voix qu’il sait créer. Le bois qu’il façonne, le métal qu’il forge, obéissant aux lois de la résonance, prendront des timbres intelligents, qu’un· artiste habile, et quelquefois inspiré, animera bientôt de son archet, de son souffle, de son doigté, léger, souple ou puissant. L’instrumentiste et le facteur sont donc deux alliés, leurs intérêts se combinent et se soutiennent. Introduits à l’orchestre, ils le dominent, ils y règnent, et l’entraînent facilement vers les hauteurs où ils se plaisent. En effet, l’orchestre est à eux, ou plutôt ils sont l’orchestre, et c’est l’instrumentiste qui, en donnant le ton, règle, sans le vouloir, les études, les efforts, les destinées du chanteur.
La grande sonorité acquise aux instruments à vent trouva bientôt une application directe, et en reçut un essor plus grand encore. La musique, qui se prête à tout et prend partout sa place, marche avec les régiments ; elle chante aux soldats ces airs qui les animent et leur rappellent la patrie. Il faut alors qu’elle résonne haut et ferme, et que sa voix retentisse au loin. Les corps de musique militaire, s’emparant du diapason pour l’élever encore, propagèrent dans toute l’Europe le mouvement qui l’entraînait sans cesse.
Mais aujourd’hui la musique militaire pourrait, sans rien craindre, descendre quelque peu de ce diapason qu’elle a surexcité. Sa fierté n’en souffrirait pas, ses fanfares ne seraient ni moins martiales, ni moins éclatantes. Le grand nombre d’instruments de cuivre dont elle dispose maintenant lui ont donné plus de corps, plus de fermeté, et un relief à la fois solide et brillant qui lui manquait autrefois. Espérons d’ailleurs que de nouveaux progrès dans la facture affranchiront bientôt certains instruments d’entraves regrettables, et leur ouvriront l’accès des riches tonalités qui leur sont interdites. L’honorable général qui représente dans la commission l’organisation des corps de musique seconderait de tous ses efforts cette amélioration désirable, ce progrès véritable, qui apporterait aux orchestres militaires des ressources nouvelles, et varierait l’éclat de leur sonorité.
Nous croyons avoir établi, monsieur le ministre, que l’élévation du diapason est due aux efforts de l’industrie et de l’exécution instrumentales ; que ni les compositeurs ni les chanteurs n’y ont participé en rien. La musique religieuse, la musique dramatique ont subi le mouvement sans pouvoir s’en défendre, ou sans chercher à s’y dérober. On pourrait donc, dans une certaine mesure, abaisser le diapason, avec la certitude de servir les véritables, les plus grands intérêts de l’art.
II
Nous avions l’assurance que ce fait de l’élévation toujours croissante du diapason ne s’était pas produit en France seulement, que le monde musical tout entier avait subi cet entraînement, mais il fallait en acquérir des preuves authentiques ; il fallait aussi savoir dans quelle mesure, à quels degrés différents s’était fait sentir cette influence dans les divers pays, dans les centres principaux. Nous avons donc pensé, monsieur le ministre, que, pour mener à bonne fin l’étude que votre Excellence nous avait confiée, il fallait commencer par nous renseigner au dehors et autour de nous, interroger les chefs des établissements importants en France et à l’étranger, prendre connaissance de l’état général du diapason, faire en un mot une sorte d’enquête. Cette conduite nous était d’ailleurs tracée par l’arrêté même qui nous institue, dans lequel vous signalez avec juste raison « la différence qui existe entre les diapasons des divers pays comme une source constante d’embarras. »
Nous nous sommes donc adressés sous vos auspices, et par l’organe de notre président, partout où il y a l’opéra, un grand établissement musical, dans les villes où l’art est cultivé avec amour, avec succès, pratiqué avec éclat, et qu’on peut nommer les capitales de la musique, demandant qu’on voulût bien nous renseigner sur la marche du ton, nous envoyer les diapasons en usage aujourd’hui, et d’anciens diapasons, s’il était possible, pour en mesurer exactement l’écart. En même temps, nous demandions aux hommes éclairés à qui nous nous adressions de_ nous faire connaître leur opinion, sur l’état actuel du diapason, et leurs dispositions favorables ou contraires à un abaissement. à une modération dans le ton. La musique est un art d’ensemble, une sorte de langue universelle. Toutes les nationalités disparaissent devant l’écriture musicale, puisqu’une notation unique suffit à tous les peuples, puisque des signes, partout les mêmes, représentent les sons qui dessinent la mélodie ou se groupent en accords, les rythmes qui mesurent le temps, les nuances qui colorent la pensée ; le silence même s’écrit dans cet alphabet prévoyant. N’est-il pas désirable qu’un diapason uniforme et désormais invariable vienne ajouter un lien suprême à celte communauté intelligente, et qu’un la, toujours le même, résonnant sur toute la surface du globe avec les mêmes vibrations, facilite les relations musicales et les rende plus harmonieuses encore ?
C’est dans ce sens que nous avons écrit en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Italie, jusqu’en Amérique, et nos correspondants nous ont envoyé des réponses consciencieuses, des renseignements utiles, des souvenirs intéressants. Quelques-uns nous adressaient d’anciens diapasons âgés d’un demi-siècle, aujourd’hui dépassés ; d’autres des diapasons contemporains, variés dans leur intonation. Tous, reconnaissant et repoussant l’exagération actuelle, nous envoyaient leur cordiale adhésion. Trois d’entre eux, nos compatriotes 1, tout en partageant l’opinion générale, demandent, il est vrai, qu’on fixe le diapason à l’état actuel de celui de Paris, mais c’est pour l’arrêter dans sa progression ascendante, et eu faire un obstacle à de nouveaux envahissements : obstacle impuissant, à notre avis, qui protège le mal, l’oppose à lui-même, et le consacre au lieu de le détruire. Les autres sont unanimes à désirer un diapason moins élevé, uniforme, inaltérable, véritable diapason international, autour duquel viendraient se rallier, dans un accord invariable, chanteurs, instrumentistes, facteurs de tous les pays. La plupart de nos correspondants étrangers joignent à leur approbation l’éloge de l’initiative : » Je vous dois des remerciements, nous écrit-on, pour la cause importante que vous avez entrepris de plaider : il est bien temps d’arrêter les dérèglements auxquels on se laisse emporter. »
J’adopte la somme entière de vos sages réflexions, nous dit un autre maître de chapelle des plus distingués, en espérant que toute l’Europe applaudira vivement à la commission instituée par S. Exc. Je ministre d’État, à l’effet d’établir un diapason uniforme. La grande élévation du diapason détruit et efface l’effet et le caractère de la musique ancienne, des chefs-d’œuvre de Mozart, Gluck, Beethoven.
Je ne doute pas, écrit-on encore, que la commission ne réussisse dans celle question importante. Ce sera un nouveau service rendu par votre nation à l’art et au commerce.
L’élévation progressive du diapason, dit un autre de nos honorables correspondants, est non seulement préjudiciable à la voix humaine, mais aussi à tous les instruments. Ce sont surtout les instruments à cordes qui ont beaucoup perdu pour le son, depuis que l’on est obligé, à cause de cette élévation, d’employer des cordes très-minces, les cordes fortes ne pouvant résister à cette tension exagérée de là, ce ton, qui au lieu de se rapprocher de la voix humaine, s’en éloigne de plus en plus. »
Fixer le diapason une fois pour toutes, dit un cinquième, ce serait mettre fin à bien des doutes, à une multitude d’inconvénients et même de caprices. Je vous témoigne le vif intérêt que nous portons dans toute l’Allemagne musicale à l’exécution de votre projet.
Vous avez bien dit, écrit-on encore, que l’Europe entière est intéressée aux recherches des moyens d’établir un diapason uniforme. Le monde musical a senti depuis longtemps la nécessité urgente d’une réforme, et il remercie la France d’avoir pris l’initiative. M. Drouet, maître de chapelle du grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha, nous a envoyé trois diapasons d’époque et d’élévation différentes, et une note intéressante : Enfin nous avons reçu de deux hommes très compétents, M. W Wieprecht, directeur de la musique militaire de Prusse, à Berlin, et M. le docteur Furke des mémoires où la matière est traitée avec une véritable connaissance de cause. Les auteurs s’associent entièrement à la pensée qui a institué la commission.
Ces nombreuses adhésions, émanées d’autorités si considérables, nous donnent l’assurance qu’une proposition d’abaissement dans le diapason sera bien accueillie dans toute l’Allemagne. Il faut d’ailleurs rappeler ici que déjà, en 1834, des musiciens allemands réunis à Stuttgart avaient exprimé le vœu d’un affaiblissement du diapason, et recommandé l’adoption d’un la plus sensiblement plus bas que notre la actuel. Certes, il y aura d’abord des difficultés qui naîtront surtout de la division de l’Allemagne en un si grand nombre d’États différents. C’est une opinion qui nous a été exprimée ; mais il y a lieu de penser qu’après quelques oscillations, un type invariable et commun s’établira dans ce pays, qui pèse d’un grand poids dans les destinées de l’art musical.
Nous n’avons encore reçu d’Italie qu’une seule lettre. Elle est de M. Coccia, directeur de l’académie philharmonique de Turin, maître de chapelle de la cathédrale de Novare. M. Coccia a bien voulu nous adresser le diapason usité à Turin, un peu plus bas que celui de Paris, et le plus doux (il più mite), dit M. Coccia, qu’il ait rencontré jusqu’à présent. Il en recommande l’adoption. M. Coccia est donc aussi de l’avis d’un adoucissement dans le ton, et c’est d’un bon augure pour l’opinion de l’Italie, dont il faut tenir grand compte.
Nous avons reçu de Londres une communication de MM. Broadwood, célèbres facteurs de pianos. Ils ont eu l’obligeance de nous adresser trois diapasons, employés tous les trois dans leur établissement, chacun d’eux affecté à un service spécial.
Le premier, plus bas d’un grand quart de ton que le diapason de Paris, était, il y a vingt-cinq ou trente ans, celui de la Société philharmonique de Londres. Il a été judicieusement conservé par MM. Broadwood comme plus convenable aux voix, et ils accordent, d’après le ton extrêmement modéré qu’il fournit, les pianos destinés à l’accompagnement des concerts vocaux. Le second, beaucoup plus haut, puisqu’il est plus élevé que le nôtre, est celui d’après lequel MM. Broadwood accordent, en général, leurs pianos, parce qu’il est à peu près conforme à l’accord des harmoniums, des flûtes, etc. : c’est le diapason des instrumentistes. Enfin le troisième, encore plus élevé, est celui dont se sert aujourd’hui la Société philharmonique. Cette extrême liberté du diapason doit avoir ses inconvénients, et peut bien faire courir quelques hasards à la justesse absolue. Aussi MM. Broadwood font-ils des vœux « pour la réussite de nos recherches, si intéressantes et si importantes pour tout le monde musical.
M. Bender, directeur de la musique du roi des Belges et du régiment des guides, voudrait deux diapasons, à la distance d’un demi-ton : le plus élevé, à l’usage des musiques militaires ; l’autre, destiné aux théâtres. M. Bender pratique son système ; le diapason de la musique des guides n’est pas applicable à la musique vocale. C’est le plus élevé de tous ceux que nous avons reçus.
M. Daussoigne-Méhul, directeur du Conservatoire royal de Liège, n’adresse pas de diapason, celui qu’il emploie étant semblable à celui de Paris. Il est un des trois correspondants qui concluent à l’adoption définitive de ce diapason, comme limite extrême, comme sauvegarde, et ne fut-ce, dit M. Daussoigne Méhul, que pour arrêter ses dispositions ascendantes.
M. Lubeck, directeur du Conservatoire royal de La Haye, en nous envoyant son diapason, un peu moins élevé que le nôtre, nous assure de son adhésion et de son concours. Vous voyez, monsieur le ministre, combien de sympathies et d’approbations rencontre voire désir de l’établissement d’un diapason uniforme.
Nous avions écrit en Amérique. New York n’a pas encore répondu. M. E. Prévost, chef d’orchestre de l’Opéra-Français de La Nouvelle-Orléans, nous a adressé une lettre d’adhésion, et un diapason qui ne nous est pas parvenu.
Nous avons reçu de quelques-unes des grandes villes de France, où la musique est en honneur, des renseignements communiqués par des artistes distingués.
Le diapason qui nous a été envoyé par M. Victor Magnien, directeur de l’Académie impériale de musique de Lille est, après celui de M. Bender et après ceux de Londres, le plus élevé des diapasons qu’on nous a adressés. Il est plus haut par conséquent que celui de Paris. Sans doute il a subi, par un procédé de bon voisinage, l’influence de la musique des guides de Bruxelles. Aussi· M. Magnien se rallie-t-il avec empressement à la demande d’un diapason plus modéré.
M. Mézerai, chef d’orchestre du grand théâtre de Bordeaux, nous a communiqué son diapason, moins élevé que celui de Paris. M. Mézerai avait d’abord adopté celui-ci, mais, nous dit-il, il fatiguait trop les chanteurs.
Le diapason de Lyon est celui de Paris, celui de Marseille est très peu plus bas. M. Georges Hainl, chef d’orchestre de Lyon, croit qu’il faut maintenir le diapason de Paris, malgré son élévation, dans la crainte d’affaiblir l’éclat de l’orchestre. M. Aug. Morel, directeur de l’École communale de Marseille, incline vers cet avis. Ces deux artistes forment, avec M. D. Méhul, le groupe que nous avons mentionné, proposant l’état actuel comme terme définitif.
Toulouse nous a adressé deux diapasons : celui du théâtre, moins élevé que le nôtre, presque semblable à celui de Bordeaux, et le diapason de l’École de musique, plus bas d’environ un quart de ton ; différence remarquable, qu’il importe d’autant plus de constater, que Toulouse· est une de ces villes à l’instinct musical, où le chant est populaire, où l’harmonie abonde, et qui, de tout temps, a fourni à nos théâtres des artistes à la voix mélodieuse et sonore.
Le diapason de l’École de Toulouse est, avec celui du théâtre grand-ducal de Carlsruhe (sic), dont il ne diffère que de quatre vibrations, le plus bas de tous les diapasons qui nous ont été communiqués. Celui de la musique des guides de Bruxelles, qui compte neuf cent onze vibrations par seconde, est, à l’aigu, le terme extrême de ces diapasons ; celui de Carlsruhe, qui ne fait que huit cent soixante-dix vibrations, en est le terme au grave. Entre cet écart, qui n’est pas beaucoup moindre d’un demi-ton, se meuvent les diapasons en usage aujourd’hui, et, par conséquent, les orchestres, les corps de musique, les ensembles de voix dont ils sont la règle et la loi, et dont ils résument pour ainsi dire l’expression.
Ainsi la France compte à ses deux extrémités un des diapasons les plus élevés, celui de Lille, un des diapasons les plus graves, celui de l’École de Toulouse. On peut suivre sur la carte la route que suit en France le diapason ; il s’élève et s’abaisse avec la latitude. De Paris à Lille, il monte ; il descend de Paris à Toulouse. Nous voyons le nord soumis évidemment au contact, à la prédominance de l’art instrumental, tandis que le midi reste fidèle aux convenances et deux bonnes traditions des études vocales.
Nous vous avons présenté, monsieur le ministre, le résumé fidèle des informations qui nous ont été transmises : nous vous avons fait connaître les impressions que nous en avons reçues. En présence des opinions presque unanimes exprimées pour une modération dans le ton, et des opinions unanimes pour l’adoption d’un diapason uniforme, c’est-à-dire pour un nivellement général du diapason, librement consenti ; en présence des différences remarquables qui existent entre les divers diapasons que nous avons pu comparer, différences mesurées avec toute la précision de la science en nombre de vibrations, el consignées dans un des tableaux annexés à ce rapport, la commission, après avoir discuté, a adopté en principe, et à l’unanimité des voix ; les deux propositions suivantes :
Il est désirable que le diapason soit abaissé.
Il est désirable que le diapason abaissé soit adopté généralement comme régulateur invariable.
III
Il restait à déterminer la quantité dont le diapason pourrait être abaissé, en lui ménageant les meilleures chances probables d’une adoption générale comme régulateur invariable.
Il était évident que le plus grand abaissement possible était d’un demi-ton, qu’un écart plus considérable n’était ni praticable ni nécessaire ; et sur ce point, la commission se montrait unanime. Mais le demi-ton rencontra des adversaires, et trois systèmes se trouvèrent en présence : abaissement d’un demi-ton, abaissement d’un quart de ton, abaissement moindre que ce dernier.
Un seul membre proposait l’abaissement moindre que le quart de ton. Craignant surtout de voir les relations commerciales troublées, il proposait un abaissement très modéré, et qui devait tout au plus, dans sa plus grande amplitude, atteindre un demi-quart de ton.
La question des relations commerciales est assez importante pour qu’on s’y arrête un instant. D’ailleurs, monsieur le ministre, en nous instituant, vous l’avez signalée à notre attention.
Parmi les documents qui nous ont été remis, figure une lettre signée de nos principaux, de nos plus célèbres facteurs d’instruments de tout genre. Dans cette lettre, adressée à Votre Excellence, sont exposés tous les embarras résultants de l’élévation toujours croissante du diapason et de la différence des diapasons. On vous demande de mettre un terme à ces embarras en établissant un système uniforme de diapason. “Il appartient à Votre Excellence, disent les signataires, de faire cesser cette sorte d’anarchie, et de rendre au monde musical un service aussi important que celui rendu autrefois au monde industriel par la création d’un système uniforme de mesures.” La commission prend en haute considération les intérêts de notre grande fabrication d’instruments, c’est une des richesses de la France, une industrie intelligente dans ses produits, heureuse dans ses résultats. Les hommes habiles qui la dirigent et l’ont élevée au premier rang ne peuvent douter de notre sollicitude ; ils savent que nous sommes amis de celte industrie qui fournit à quelques-uns des membres de la commission de précieux et charmants auxiliaires. Mais si, parmi ces maîtres facteurs qui ont si bien signalé à Votre Excellence “les embarras” résultant de la divergence et de l’élévation toujours croissante, » quelques-uns, comme il nous a été dit, craignent maintenant « les embarras » résultant des mesures qu’on veut prendre pour les contenter, que faudrait-il faire ? Puisqu’ils ont demandé, avec tout le monde musical, un diapason uniforme, comment le choix d’un diapason, destiné dans nos espérances et dans les leurs à devenir· uniforme, peut-il troubler « les relations commerciales » déjà troublées, à leur avis, par la divergence des diapasons ? L’établissement d’un diapason uniforme implique nécessairement le choix d’un diapason, d’un seul. Or, nous avons reçu, entendu, comparé, mesuré, vingt-cinq diapasons différents, tous en activité, tous usités aujourd’hui. De tant de la, lequel choisir ? Le nôtre apparemment.
Mais pourquoi ? De ces vingt-cinq diapasons, aucun ne demande à monter, beaucoup aspirent à descendre, et quinze sont plus bas que celui de Paris. De quel droit dirions-nous à ces quinze diapasons, montez jusqu’à nous ? N’est-ce pas alors que les relations commerciales courraient grand risque d’être troublées ! N’est-il pas plus logique, plus raisonnable, plus sage, dans l’intérêt de la grande conciliation, que nous voulions tenter, de descendre vers cette majorité, et n’est-ce pas ainsi que nous avons la plus grande chance d’être écoutés des artistes étrangers dont nous avons réclamé le concours, et que nous remercions ici d’avoir répondu à notre appel avec tant de cordialité et de sympathie ?
Pour donner à l’industrie instrumentale un témoignage de sa sollicitude, la commission convoqua les principaux facteurs, ceux qui avaient obtenu les premières récompenses à l’Exposition universelle de 1855, c’est-à-dire ceux mêmes qui avaient écrit à Votre Excellence, et ce n’est qu’après avoir conféré avec eux et plusieurs de nos chefs d’orchestre, que la commission délibéra sur la quantité dont pourrait être abaissé le diapason.
Dans cette discussion, l’abaissement du quart de ton a réuni la grande majorité des suffrages ; apportant une modération sensible aux études et aux travaux des chanteurs, sans jeter une trop grande perturbation dans les habitudes, il s’insinuerait pour ainsi dire incognito en présence du public ; il rendrait plus facile l’exécution des anciens chefs-d’œuvre ; il nous ramènerait au diapason employé il y a environ trente ans, époque de la production d’ouvrages restés pour la plupart au répertoire, lesquels se retrouveraient dans leurs conditions premières de composition et de représentation. Il serait plus facilement accepté à l’étranger que l’abaissement du demi-ton. Ainsi amendé, le diapason se rapprocherait beaucoup du diapason élu, en 1834 à Stuttgart. Il avait déjà pour lui l’avantage d’une pratique restreinte, il est vrai, mais dont on peut apprécier les résultats.
La commission a donc l’honneur de proposer à Votre Excellence d’instituer un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France ; et de décider que ce diapason, donnant le la, sera fixé à 870 vibrations par seconde.
Quant aux mesures à prendre pour assurer l’adoption et la conservation du nouveau diapason, la commission a pensé, monsieur le ministre, qu’il conviendrait :
Qu’un diapason type, exécutant 870 vibrations par seconde à la température de 15 degrés centigrades, fût construit sous la direction d’hommes compétents, désignés par Votre Excellence.
Que Votre Excellence déterminât, pour Paris et les départements, une époque à partir de laquelle le nouveau diapason deviendrait obligatoire.
Que l’état des diapasons et instruments dans tous les théâtres, écoles et autres établissements musicaux, fût constamment soumis à des vérifications administratives.
Nous espérons que vous voudrez bien, monsieur le ministre, dans l’intérêt de l’unité du diapason, pour compléter autant que possible l’ensemble de ces mesures, intervenir auprès de S. Exc. le ministre de la guerre, pour l’adoption du diapason ainsi amendé dans les régiments ; auprès de S. Exc. le ministre du Commerce pour qu’à l’avenir, aux expositions de l’industrie, les instruments de musique conformes à ce diapason soient seuls admis à concourir pour les récompenses ; nous sollicitons aussi l’intervention de Votre Excellence pour qu’il soit seul autorisé et employé dans toutes les écoles communales de la France où l’on enseigne la musique.
Enfin, la commission vous demande encore, monsieur le ministre, de vouloir bien intervenir auprès de S. Exc. le ministre de l’Instruction publique et des Cultes, pour qu’à l’avenir les orgues, dont il ordonnera la construction ou la réparation, soient mises au ton du nouveau diapason.
Telles sont, monsieur le ministre, les mesures qui paraissent nécessaires à la commission pour assurer et consolider le succès du changement que l’adoption d’un diapason uniforme introduirait dans nos mœurs musicales. L’ordre et la régularité s’établiraient où règnent parfois le hasard, le caprice ou l’insouciance ; l’étude du chant s’accomplirait dans des conditions plus favorables ; la voix humaine, dont l’ambition serait moins excitée, serait soumise à de moins rudes épreuves. L’industrie des instruments, en s’associant à ces mesures, trouverait peut-être le moyen de perfectionner encore ses produits déjà si recherchés. Il n’est pas indigne du Gouvernement d’une grande nation de s’occuper de ces questions qui peuvent paraître futiles, mais qui ont leur importance réelle. L’art n’est pas indifférent aux soins qu’on a de lui ; il a besoin qu’on l’aime pour fructifier, s’étendre, élever les cœurs et les esprits. Tout le monde sait avec quel amour, avec quelle inquiétude ardente et rigoureuse les Grecs, qu’animait un sentiment de l’art si vif et si profond, veillaient au maintien des lois de leur musique. En se préoccupant des dangers que peut faire courir à l’art musical l’amour excessif de la sonorité, en cherchant à établir une règle, une mesure, un principe, Votre Excellence a donné une preuve nouvelle de l’intérêt éclairé qu’elle porte aux beaux-arts. Les amis de la musique vous remercient, monsieur le ministre, ceux qui lui ont donné leur vie entière, et ceux qui lui donnent leurs loisirs ; ceux qui parlent la langue harmonieuse des sons, et ceux qui en comprennent les beautés.
Nous avons l’honneur d’être avec respect,
Monsieur le ministre,
De Votre Excellence
Les très humbles et très dévoués serviteurs.
J. PELLETIER, président ; F. HALÉVY, rapporteur ; AUBER, BERLIOZ, DESPRETZ, CAMILLE DOUCET, LISSAJOUS, GÉNÉRAL MELLINET, MEYERBEER, Ed. MONNAIS, ROSSINI, AMBROISE THOMASTABLEAUX ANNEXÉS AU RAPPORT.
Arrêté du 16 février 1859
Vu l’arrêté en date du 17 juillet 1858 qui a institué une commission chargée de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation ;
Vu le rapport de la commission en date du 1er février 1859,
Arrête :
Art. 1er. Il est institué un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France, théâtres impériaux el autres de Paris et des départements, conservatoires, écoles, succursales et concerts publics autorisés par l’État.
Art. 2. Ce diapason, donnant le la adopté pour l’accord des instruments, est fixé à huit cent soixante-dix vibrations par seconde ; il prendra le titre de diapason normal.
Art. 3. L’étalon prototype du diapason normal sera déposé au Conservatoire impérial de musique et de déclamation.
Art. 4. Tous les établissements musicaux autorisés par l’État devront être pourvus d’un diapason vérifié et poinçonné, conforme à l’étalon prototype.
Art. 5. Le diapason normal sera mis en vigueur à Paris le 1er juillet prochain, et le 1er décembre suivant dans les départements.
À partir de ces époques, ne seront admis dans les établissements musicaux ci-dessus mentionnés que les instruments au diapason normal, vérifiés et poinçonnés.
Art. 6. L’état des diapasons et des instruments sera régulièrement soumis à des vérifications administratives.
Art. 7. Le présent arrêté sera déposé au secrétariat général, pour être notifié à qui de droit.
Paris, le 16 février 1859
ACHILLE FOULD.
Les critiques du rapport et de l’arrêté…
Le rapport et l’arrêté ministériel précédents, lui ordonne l’établissement d’un diapason modèle pour tous les théâtres et les établissements, lyriques de Paris et de la France, ont soulevé de nombreuses réclamations. Les constructeurs d’orgues, les fabricants d’instruments, les artistes qui se voient forcés de renouveler la flûte, le basson, le hautbois, etc., etc., dont ils se servent depuis longtemps ont fait aux conclusions pratiques contenues dans le rapport de la commission de telles objections, que l’arrêté ministériel n’a pas encore reçu d’exécution dans aucun théâtre de Paris. Un écrivain laborieux et très-versé dans les matières qui touchent à la fabrication des orgues et des autres instruments, M. Adrien de La Fage a publié un opuscule intéressant sous le titre de l’unité tonale, où il examine, tant au point de vue historique que sous le rapport praticable de nos jours, les idées qui ont déterminé la commission à s’arrêter au nombre de 870 vibrations par seconde pour le diapason normal de la France.
Il ne paraît pas, dit M. de La Fage, que les peuples anciens qui nous sont le mieux connus n’ont jamais songé à établir un son fixe qui servit de régulateur aux voix et aux instruments. Les plus anciennes opérations relatives au calcul des sons sont celles qu’on attribue à Pythagore qui vivait cinq cents ans avant l’ère vulgaire. Il semble résulter des recherches qu’on a faites dans l’histoire des Chinois qu’ils ont été les premiers à posséder un système musical d’une certaine régularité. C’est sous le règne de l’empereur Hoang-ti, 2600 avant Jésus-Christ, qu’aurait eu lieu la grande réforme de la musique chinoise, sous la direction d’un ministre tout-puissant, Ling-lun. Au moyen âge, les idées exactes étaient trop rares pour que l’on s’occupât d’une opération aussi délicate que la fixation d’un son régulateur. Les instruments s’accordaient à peu près au hasard et c’est à peine si l’on sait quelle était la dimension des gros tuyaux des principales orgues de l’Europe. Il faut arriver jusqu’aux premières années du dix-septième siècle, pour trouver quelques renseignements précis sur l’objet qui nous occupe.
En effet, c’est en 1615 que Salomon de Caus publia le premier ouvrage qui ait été écrit sur la construction des orgues ; mais c’est au P, Mersenne, dit M. de La Fage, que l’on doit la fixation exacte d’un son modèle et régulateur. Le P. Mersenne, qui était un très savant homme, avait parfaitement conscience de l’utilité de son opération, car il dit : « Tous les musiciens du monde feront chanter une même pièce de musique selon l’intention du compositeur, c’est-à-dire, au ton qu’il veut qu’elle se chante, pourvu qu’il connaisse la nature du son. » Le P. Mersenne, remarque M. de La Fage, ne peut s’empêcher d’admirer son idée, car il ajoute : « Celte proposition est l’une des plus belles de la musique pratique, car si l’on envoyait une pièce de musique de Paris à Constantinople, en Perse, en Chine, encore que ceux qui entendent les notes et qui savent la composition ordinaire le puissent faire chanter en gardant la mesure, néanmoins ils ne peuvent savoir à quel ton chaque partie doit commencer, etc. » Ainsi donc, comme l’observe fort judicieusement M. de La Fage, le principe de la fixation scientifique d’un son modèle aurait pu être appliqué dès la première moitié du dix-septième siècle ; mais le besoin ne s’en fit pas sentir, parce que la musique vocale était renfermée alors dans une portion assez restreinte de l’échelle sonore.
L’invention du diapason tel que nous le connaissons de nos jours, dit M. de La Fage, est due à un sergent-trompette de la maison royale d’Angleterre, nommé John Shore. Il étudia la trompette avec tant de persévérance qu’il était parvenu à en tirer des sons aussi doux que ceux du hautbois. John Shore faisait partie de la bande des trompettes royaux depuis 1711. À l’entrée de Georges 1er, en 1741, il remplissait les fonctions de sergent, montant, à la tête de sa petite troupe, un cheval richement caparaçonné. Le 8 août 1715, le personnel de la chapelle ayant été augmenté, il y fut admis en qualité de luthiste. Il avait toujours avec lui le diapason dont il était inventeur ; il s’en servait pour accorder son luth. Le diapason eut dès lors la forme qu’il a maintenant, et il se nommait en anglais tuning-fork, c’est-à-dire, fourchette d’accord. Il fut adopté par toute l’Angleterre, d’où il se propagea en Italie sous le nom de corista. (La corista vient en fait de choriste, un autre type de diapason constitué d’un sifflet avec un piston permettant de faire varier la fréquence de référence.) Il fut admis en France sous le nom grec de diapason. La différence des diapasons admis dans les divers pays de l’Europe était souvent très considérable…
M. de La Fage a pu constater qu’on rencontrait en Italie deux diapasons qui offraient l’énorme différence d’une tierce majeure. Le diapason de la Lombardie et de l’État vénitien était plus haut, et celui de Rome plus bas. À cette même époque, le diapason en usage à Paris était plus haut que celui de Rome et de la Lombardie.
D’après l’opinion de M. de La Fage, qui diffère de celle émise par la commission, ce seraient les instruments à cordes qui seraient la cause de l’ascension toujours croissante du diapason. Je pense, dit l’auteur de la brochure que nous analysons, que c’est la facilité qu’ont les instruments à cordes de modifier leur accord et de l’avantage qu’ils trouvent à le hausser, qu’est résulté l’ascension progressive du diapason. C’est dire que je ne partage pas en ceci l’opinion de M. Lissajous, qui croit que ce résultat a été produit par les instruments à vent. Chaque fois qu’un artiste nouveau en remplace un ancien dans un orchestre, dit M. Lissajous, il substitue un instrument plus récent qui influe, pour sa part, sur le mouvement ascensionnel du ton d’orchestre. Cet effet, insensible d’un jour à l’autre, se traduit, au bout d’un certain temps, par une différence notable.
Que ce soient les instruments à cordes ou les instruments à vent qui sont la cause de cette élévation où est arrivé le diapason moderne, ce qu’il fallait avant tout, c’est d’en arrêter l’ascension. II est évident, comme le dit M. de La Fage, que ce ne sont pas les chanteurs qui ont contribué à l’élévation toujours progressive du diapason dont ils sont les premières victimes. L’auteur ajoute : « Si tant de voix perdent aujourd’hui promptement leur fraîcheur primitive, ce n’est pas au diapason qu’il faut s’en prendre, mais aux compositeurs, qui sont les maîtres d’écrire dans la véritable étendue de chaque voix. »
Qui les force à placer le centre vocal dans la partie la plus élevée de l’échelle ? Non, ajoute M. de La Fage, ce n’est pas l’élévation du diapason qui empêche les voix de se produire, et qui altère celles qui se produisent ; ce sont les mauvais maîtres de chant, les mauvais compositeurs ; c’est eux qu’il faut accuser, c’est eux qu’il faut poursuivre ; et qu’on se hâte, car bientôt il faudrait accuser et poursuivre tout le monde ; toutes ces choses réunies peuvent avoir contribué au mal dont on se plaint ; l’essentiel, c’est d’y porter remède.
Dans le dix-neuvième article de sa brochure, M. de La Fage donne l’analyse d’un instrument curieux de
M. Lissajous pour faire apprécier à l’œil le nombre de vibrations que produit la tension d’une corde. Le but que se propose l’auteur, dit-il, est d’imposer une méthode optique propre à l’étude des mouvements vibratoires. Cette méthode, fondée sur la persistance des sensations usuelles et sur la composition de deux ou plusieurs mouvements vibratoires simultanés,
permet d’étudier, sans le secours de l’oreille, toute espèce de mouvements vibratoires, et, par suite, toute espèce de sons. « Quoique M. Lissajous n’ait pas encore développé expérimentalement toutes les conséquences de cette méthode, il pense qu’elle présentera une utilité réelle pour la fabrication des instruments de musique… M. de La Fage termine sa brochure par des conclusions qui semblent contraires aux principes émis dans le rapport de la commission, et il serait d’avis qu’on eût fixé un diapason, mais en laissant à chacun la liberté de s’y conformer. Nous ne saurions partager cette manière de voir, et nous pensons qu’après de vaines résistances de la part de certains fabricants d’instruments, on se soumettra au diapason légal, et que l’arrêté ministériel aura sa pleine et salutaire exécution.
Les questions d’érudition, d’investigation et d’utilité pratique sont à l’ordre du jour, et viennent, de plus en plus, solliciter l’attention de la critique. Nous avons sous les yeux une réponse de M. Vincent, membre de l’Institut, au mémoire de M. Fétis sur l’existence de l’harmonie simultanée des sons de la musique des Grecs, dont nous avons parlé dans le chapitre sixième de ce volume. Le titre de la brochure de M. Vincent qui vient de paraître tout récemment est : Réponse à M. Pétis et réfutation de son mémoire· sur cette question : Les Grecs et les Romains ont-ils connu l’harmonie simultanée des sons ? Sans entrer dans le fond du débat, nous sommes heureux de reconnaître que les conclusions, qui ressortent du travail très-serré et très-savant de M. Vincent, sont conformes à celles que nous avons émises en examinant le mémoire de M. Fétis. M. Vincent dit avec une haute raison (page 50 de sa brochure) : « Il est certain que les tierces, quoiqu’elles ne fussent pas prises théoriquement pour des consonances, étaient considérées comme telles dans la pratique des artistes. » À la bonne heure, donc, voilà de la science qui ne contredit pas le sens commun. M. Vincent ajoute un· peu après : « Or, dans les beaux-arts, les règles ne s’établissent pas a priori : c’est la pratique qui les dicte, la théorie ne fait que les enregistrer. » Page 63, nous lisons encore ce passage concluant : a Comment en définitive connaître toutes les ressources d’un système d’harmonie pratiqué suivant des règles que nous ignorons complètement, et qui étaient certainement très différentes des nôtres ? que ces règles fussent infiniment moins complexes et moins savantes que celles de nos jours, c’est un fait incontestable ; mais cela ne suffit pas pour se refuser à reconnaître ici l’existence d’une certaine harmonie, quelle qu’elle fût… Pour appuyer celle idée fort juste, M. Vincent ajoute, page 6 : Quand on a vu de rustiques montagnards, qui n’avaient certainement reçu les leçons d’aucun Conservatoire, ameuter tout Paris sur les places publiques, rien qu’avec un chalumeau et une cornemuse, on a peine à concevoir que des hommes intelligents persistent à dénier à un peuple splendidement doué pour tout le reste, jusqu’aux plus simples éléments d’un art qui possède, plus que tout autre, la puissance d’émouvoir certaines organisations privilégiées. En résumé, que réclamons-nous ? la connaissance des procédés, des finesses, des délicatesses de la science moderne ? Nullement : que l’on nous accorde un simple duo soutenu par un ou deux pédales, voilà toutes nos prétentions… Tout cela nous paraît trop raisonnable, trop fondé sur la nature des choses pour que M. Fétis n’en reconnaisse pas la vérité. La brochure de M. Vincent, écrite avec une extrême vivacité de paroles, est suivie de quelques planches qui la rendent d’autant plus curieuse à consulter.
Le siècle que nous traversons, et qui a déjà fourni plus de la moitié de sa carrière peut se diviser en deux époques dont chacune semble destinée à remplir une tâche différente. La première qui commence à la Révolution française a été une période de mouvement, de spontanéité et de création dans toutes les directions de la pensée, dans tous les faits soumis à la volonté de l’homme. La période qui va s’accomplissant sous nos yeux paraît devoir être, au contraire, une époque d’investigation, d’études et d’appréciation historique. La musique a largement participé au mouvement créateur de la première époque, car elle a produit Beethoven, Rossini, Weber et tout un monde d’idées nouvelles. Il faut nous résigner maintenant à partager le sort commun, à étudier le passé, à en pénétrer l’esprit jusqu’à ce que Dieu nous envoie un de ces révélateurs inspirés qui changent le cours des choses et viennent inaugurer, dans l’art, un nouvel idéal.
Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…
Extrait musical
Paroles
Uno busca lleno de esperanzas El camino que los sueños prometieron a sus ansias Sabe que la lucha es cruel y es mucha Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina Uno va arrastrándose entre espinas Y en su afán de dar su amor Sufre y se destroza hasta entender Que uno se quedó sin corazón Precio de castigo que uno entrega Por un beso que no llega O un amor que lo engañó Vacío ya de amar y de llorar Tanta traición Si yo tuviera el corazón El corazón que dí Si yo pudiera, como ayer Querer sin presentir Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño Los cerrara con mil besos Sin pensar que eran como esos Otros ojos, los perversos Los que hundieron mi vivir Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor
Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo
Traduction libre
Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède. Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé. Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons. Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné. Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie. Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu. Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.
Autres versions
Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.
Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque. C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…
En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance. Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale. Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.
Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.
C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.
Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.
Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours. Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur. Le résultat peut être différent de ce qui a été jouée. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu. Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque. En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :
L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.
Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.
Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…
Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.
Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…
Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.
On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.
Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposée de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.
Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.
Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.
Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…
José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.
De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.
On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie. Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.
N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.
Temo (j’ai peur), est une valse merveilleuse qui depuis une quinzaine d’années fait partie des valses les plus passées en milonga. Lorsque les premières notes retentissent, les danseurs se ruent sur la piste.
Une équipe de choc
Certains danseurs pensent que l’orchestre Típica Victor est un orchestre comme un autre. Il s’agit en fait d’un orchestre destiné aux enregistrements. Il ne se produisait pas sur scène. Son autre particularité est qu’il a changé de chef au cours du temps. Le premier Carabelli n’est plus dans l’orchestre au moment de l’enregistrement de Temo. C’est le bandonéoniste Federico Scorticati qui dirige l’orchestre à ce moment. Cet excellent bandonéoniste, encore un enfant prodige a joué pour les plus grands orchestres et malgré sa discrétion, la compagnie Victor lui confia la direction de l’orchestre, de 1935 à 1941. Il était modeste, mais excellent. La Victor savait choisir ses musiciens, voici la liste de ceux qui travaillaient pour l’orchestre au moment de l’enregistrement de notre valse du jour : Federico Scorticati (direction et bandonéon) Eduardo Del Piano (bandonéon), Horacio Gollino (bandonéon), Domingo Triguero (bandonéon), Héctor Stamponi (piano), Elvino Vardaro (violon), Víctor Felice (violon), Víctor Braña (violon), Abraham Gosis (violon), Emilio González (violon), Humberto Di Tata (contrebasse) et au chant, Mario Pomar. Que l’on semble plus désormais appeler par son nom réel, Corrales, je ne connais pas la raison de cette mode.
Extrait musical
Paroles
Porque tus ojos me huyen Acaso no me amas ya… Dime que lo haces tan sólo Por ver si te quiero más… Dilo, no ves que mi alma Espera escuchar tu voz… Entre canciones de besos Me dices: “Te quiero, mi vida…”
Temo que ya no me quieras Que ya no me quieras más… Y es cruel tortura el pensar Que no me amas, que a otro amás… Dime que es fiel tu cariño Dime que es mío, muy mío, Que sólo me huyen tus ojos Por verme sufrir.
Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)
Traduction libre
Pourquoi tes yeux me fuient-ils ? Peut-être que tu ne m’aimes plus ? Dis-moi que tu le fais juste pour voir si je t’aime encore plus… Dis-le, ne vois-tu pas que mon âme attend d’entendre ta voix, entre deux chansons de baisers me dire : « Je t’aime, ma vie… » J’ai peur que tu ne m’aimes pas, que désormais tu ne m’aimes plus et c’est une cruelle torture de penser que tu ne m’aimes pas, que tu aimes un autre… Dites-moi que ton affection est fidèle, dis-moi que tu es mienne, bien mienne, que tes yeux se détournent seulement, car ils me voient souffrir.
Autres versions
Le succès de cette valse est lié uniquement à la version de la Típica Victor. Donc, pas vraiment d’autres versions à vous proposer. Signalons toutefois que l’orchestre Hypérion l’a à son répertoire et la joue régulièrement. Malheureusement les versions disques ne sont pas géniales et il vaut mieux écouter l’orchestre en direct. Je vous propose donc un autre exercice, une tanda de valse de la Típica Victor
Une tanda de valses
Faire une tanda de la Típica Victor n’est pas si facile. Il y a pourtant près de 50 valses par cet orchestre, mais comme nous l’avons vu, cet orchestre a des styles très différents selon les époques et les directeurs qui se sont succédé. Le but de la Victor était d’enregistrer les gros succès de l’époque, pas de faire des tandas homogènes. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un orchestre de bal, seulement d’un orchestre de disques.
Construction d’une tanda avec Mario Pomar au chant
En général, on s’arrange pour placer dans une tanda des titres du même orchestre. S’il y a un chanteur, on reste souvent avec le même chanteur, dans la même période et le même style. Avec la Victor, autour de la valse Temo, si on suit ce principe, on n’a que trois autres valses à proposer. Les voici par ordre chronologique avec Temo pour terminer :
Ce titre démarre d’une façon assez rapide. Il a contre lui de ne pas être beaucoup joué. Pour un premier titre, il y a donc le risque que ça ne se lève pas assez vite. Il a un autre point faible, lorsque Pomar commence à chanter, le rythme a un peu ralenti. L’ingénieur du son a de plus nettement baissé le volume de l’orchestre pour favoriser la voix, ce qui peut faire perdre le pas aux danseurs. N’oublions pas le conseil de Adolfo Pugliese, à son fils, Osvaldo : « regarde les pieds des danseurs. S’ils perdent la musique, c’est de ta faute ». Sur une tanda de trois, je ne mettrais pas ce titre.
En revanche Noche de estrellas est suffisamment connu pour faire un premier titre et même s’il n’est pas plus rapide que la précédente, ses jeux de violons et bandonéons la rende moins monotone. Pomar chante également de façon plus tonique. Sur une tanda de trois, c’est un excellent premier titre.
Anita a un rythme plus rapide. Elle est entraînante. Le style est cependant différent des deux premières valses. Pour ma part, cela me gêne. En revanche, la fin est entraînante. Le changement de tonalité vers un son plus aigu donne l’impression d’accélération. La fin est donc très satisfaisante pour les danseurs.
On arrive à notre valse du jour, la vedette des enregistrements avec Pomar. Aucun problème pour terminer la tanda, avec cette valse, car le titre est consensuel. Cependant, si on a passé avant Anita, on peut trouver que la fin manque d’élan Dans ce cas on pourrait imaginer de passer Anita en dernier. Mais c’est un peu comme terminer un repas en reprenant du fromage après le dessert. C’est là que l’observation des danseurs est très importante. En effet, selon le moment de la milonga, selon ce qu’on va mettre ensuite, on ne fera pas le même choix. Il est sûr que les deux premiers titres iront au début d’une tanda de quatre et que les deux derniers iront à la fin d’une tanda de quatre. Si on fait une tanda de trois, ce qui commence à devenir courant, notamment pour les valses, même à Buenos Aires. On pourrait donc avoir :
Noche de Estrellas — Anita — Temo ou Noche de Estrellas — Temo — Anita.
Je pencherai plutôt pour la seconde solution, car la petite déception d’avoir Anita après Temo sera absorbée par la fin plus tonique, mais c’est le type de cas où je prends la décision dans les 20 secondes qui précèdent l’avant-dernier titre…
Exploration d’autres tandas à partir de Temo
Il y a d’autres possibilités que de se cantonner aux quatre valses de Pomar.
Prendre une ou des valses de la Típica Victor, instrumentales ou par un autre chanteur.
C’est souvent ce qu’on fait quand on veut faire une tanda des grands hits. Dans ce cas, on va placer les valses les plus fameuses de cet orchestre, comme Sin rumbo fijo (chantée par Ángel Vargas).
La voix est moyennement compatible, mais la musique, si, et après tout, le chanteur ne chante qu’une toute petite partie, ce qui fait que les danseurs auront oublié la différence de voix. Attention, certains chanteurs ne vont pas du tout ensemble. Par exemple, Carlos Lafuente qui chante un mois avant Pomar la valse Íntima risque d’être très gênant.
Toutefois, on peut faire pire en prenant une valse d’un caractère totalement différent, ici, toujours par Lafuente, Lamentos de mujer :
Dans ce cas extrême, les deux valses par Lafuente ne vont même pas ensemble. On notera que l’introduction très longue (40 secondes) devra être coupée pour un passage en cours de tanda afin d’éviter que les danseurs, même les plus bavards, s’ennuient. Si on ne veut pas prendre de risque de mélanger des voix incompatibles, on peut mixer avec de l’instrumental, par exemple en choisissant la valse Novia mía :
Prendre des titres célèbres pour faire une super tanda est une excellente solution. Son seul inconvénient pour des milongas de très longue durée (8 heures ou plus comme j’en fais souvent), c’est que l’on grille toutes ses cartouches dans une tanda. Si on veut faire une autre tanda semblable quelques heures plus tard, on a moins de choix de morceaux phares. C’est aussi le même problème dans les événements où se succèdent plusieurs DJ qui ne s’écoutent pas (ou qui travaillent avec des playlists immuables), on peut avoir deux fois de suite les mêmes morceaux. À Buenos Aires où les milongas durent souvent longtemps, il arrive qu’il y ait deux DJ. Lors de la passation de « pouvoir », on indique au collègue ce qu’on a passé pour qu’il évite les répétitions. Cela lui permet aussi de boucher les éventuels trous, les orchestres qui ne sont pas passés, par exemple. Pour ma part quand je passe après d’autres DJ, j’évite les répétitions et si j’anime tout un week-end (5 ou 6 milongas), je garde des tangazos (tangos très appréciés) pour chaque orchestre afin de pouvoir proposer une variété, sans épuiser les titres incontournables trop rapidement.
Prendre un titre par un autre orchestre
Pour les enregistrements anciens de la Típica Victor, avec Carabelli, il est assez logique de marier les tandas avec des titres de Carabelli dirigeant son orchestre personnel. Dans le cas de Scorticati, c’est impossible, il n’a pas enregistré avec ses propres orchestres qui étaient par ailleurs temporaires et plus de circonstance que la volonté de ce bandonéoniste d’avoir son orchestre. Cela se fait très peu en tango. En revanche, cela se pratique assez souvent en milonga et en valse. Cela peut être une bonne solution. Encore faut-il que le DJ le fasse avec goût. Rien de plus frustrant pour un danseur de s’élancer sur la piste avec un thème qui lui plaît et de se retrouver ensuite avec un titre qui ne l’inspire pas. Voici une suggestion, un peu limite, mais qui peut passer avec Temo, du moins à mon avis.
Con tus besos pourrait faire un bon début de tanda.
Le tango est une passion, mais la passion est aussi objet de tango. Cette jolie valse a été écrite par Firpo qui l’a enregistrée à deux reprises. Je vous invite donc à entrer dans la valse horas de pasión (Heures de passion). Un sujet léger, à la limite du mystique.
Cette valse a été écrite par Roberto Firpo pour la comédie lyrique Hoy te llaman milonguita qui a été interprétée au Teatro Apolo de Buenos Aires durant l’année 1932. Les protagonistes, acteurs et chanteurs, membres de la compagnie Olinda Bozán, étaient les suivants : Olinda Bozán (qui assurait aussi la mise en scène), Eloy Alvarez, Rosita Arrieta, Francisco Charmiello, Pedro Fiorito, Tita Galatro, Miguel Ligero, Carlos Morales, Chola Osés, Leonor Rinaldi, Aída Sportelli, Susana Vargas. Principe Azul (Herberto Emiliano Costa) qui a enregistré le titre sur disque semble aussi avoir fait partie du spectacle. Roberto Firpo a écrit et dirige la musique.
Extrait musical
Paroles
Fiebre del amor que ignoraba mi corazón nubes de ilusión de un ensueño arrobador, yo seré la fuente de tu noble inspiración donde volcarse tus alegrías y tu dolor. Si mi lirismo es tu fe tu poesía es mi religión.
(recitado) Noches de ilusión de un ensueño arrobador.
Del inmortal Dios amor tal es el gran poder, que nos conduce al placer en brazos del dolor.
(recitado) Sueños, placeres, dolor, sigue cantando mi bien, que la canción es también caricia para el amor
En la noche larga de mi honda desolación me llegó una vez que a la esperanza me despertó de tan celestial como campana de nuevo son la divina voz de Jesucristo me pareció, Me descubriste al amor… ¡Y yo bendigo tu aparición!
(recitado) Me llegó una voz que a la esperanza me despertó.
Roberto Firpo Letra: José A. Bugliot ; Rafael José De Rosa
Principe Azul ne chante et dit que ce qui est en gras. Il est probable que dans le spectacle, la partie chantée était plus longue. Faute d’enregistrement, on ne le saura pas…
Fièvre de l’amour que mon cœur a ignorée, nuages d’illusion d’un rêve enchanteur, je serai la source de ta noble inspiration où déverser tes joies et ta douleur. Si mon lyrisme est ta foi, ta poésie est ma religion. (récitatif) Nuits d’illusion d’un rêve enchanteur. De l’immortel Dieu Amour, tant est grand le pouvoir, qu’il nous mène au plaisir dans les bras de la douleur. (récitatif) Rêves, plaisirs, douleurs, continue à chanter ma bonne, car la chanson est aussi, caresse pour l’amour. Dans la longue nuit de ma profonde désolation, une fois que la voix divine de Jésus-Christ m’a semblé m’éveiller à l’espérance, aussi céleste que le son de la cloche, tu m’as ouvert à l’amour… Et je bénis ton apparition! (récitatif) Une voix m’est parvenue qui m’a éveillé à l’espoir.
Autres versions et pièces complémentaires
C’est la version de la comédie lyrique « Hoy te llaman Milonguita”. Principe Azul ne chante que l’estribillo et dit un récitatif (en gras dans les paroles). Cette forme est un intermédiaire entre la version théâtrale et la version de danse.
On notera, comme pour beaucoup d’œuvres de l’époque, une introduction assez longue. Comme DJ, on les coupe ou on les raccourcit souvent, sauf parfois en début de tanda ou de longues introductions permettent aux danseurs d’aller tranquillement sur la piste. Vous vous êtes peut-être demandé quelle mouche piquait les compositeurs pour faire des introductions qui duraient parfois une minute. Si oui, vous avez peut-être déjà la réponse. Sinon, voici la mienne. Ces compositions étant destinées à la scène ou au cinéma, elles s’inscrivent dans la continuité de l’action et il convient donc « d’amener » la partie musicale de façon harmonieuse. Les acteurs/chanteurs se mettent en place, on change l’ambiance par rapport à la scène précédente. Ceux qui pratiquent l’opéra connaissent ce principe. Lorsque l’on souhaite adapter ce type de composition à une milonga, il nous faut couper l’introduction. Les logiciels spécialisés pour les DJ le permettent facilement en permettant de repérer le début souhaité (c’est une des raisons des écoutes au casque, pour caler les musiques). On place des « Points CUE » qui permettent d’accéder directement à la partie souhaitée. Si le titre a été préparé à l’avance, on peut avoir supprimé directement l’introduction. C’est ce que font les « DJ » qui utilisent des playlists, car ils ne peuvent pas intervenir sur les points d’entrée à partir des logiciels pour playlist (type iTunes).
Le nom de ce tango, qui est celui de la comédie lyrique où elle a été créée, vient bien sûr des paroles de « Milonguita » (paroles de Samuel Linning, sur une musique d’Enrique Pedro Delfino). Cette œuvre contient des motifs de « Cabaret de Cristal », comme vous pourrez en juger vous-même.
Il s’agit d’un tango sinfónico, donc a priori, pas destiné à la danse, mais il est tout de même sympa et je pense que certains danseurs apprécieront. Bien sûr, la très longue introduction de 45 secondes devra être amputée pour éviter que les danseurs s’endorment sur la piste.
La reprise du titre par le Cuarteto de Firpo, 24 ans plus tard. C’est notre valse du jour. L’introduction qui faisait 22 secondes est ici réduite à une dizaine de secondes, ce qui la rend compatible avec les milongas actuelles. Voici maintenant, Milonguita, qui a inspiré les paroliers de la comédie lyrique. Ici en version instrumentale, par Firpo en 1920. La première à avoir chanté le titre était María Esther Podesta, de la famille qui possédait le théâtre Apolo… C’était le 12 mai 1920 avec le guitariste José Ricardo, le disque de Firpo doit donc être un peu postérieur, comme les autres de la même année, qui prouvent que ce tango (surnommé également Esthercita) a eu beaucoup de succès.
Une petite fantaisie
Pour terminer cette histoire d’amour, deux autres titres totalement différents et qui ne sont liés à notre valse du jour que par le titre. Il s’agit du pasillo ecuatoriano, Horas de pasión composé par Francisco Paredes Herrera (Équateur) avec des paroles de Juan de Dioz Peza (Mexique). Il a été enregistré par le Dúo Benítez-Valencia.
Mais surtout, je vous propose la magnifique version de Julio Jaramillo (Équateur) avec en prime les paroles en karaoké.
Fin du cours accéléré d’espagnol… À demain, les amis !
Certains puristes affirment que l’on doit passer les disques à la vitesse exacte à laquelle ils ont été enregistrés, qu’ils ont été enregistrés ainsi et que donc ce serait un sacrilège de changer cela. Je saisis cette affirmation pour apporter quelques éléments de réflexion.
Toutes les éditions ne sont pas à la même vitesse.
On peut trouver une édition ou la musique est plus rapide et aiguë qu’une autre, ou au contraire plus grave et lente. À moins d’avoir l’oreille absolue, peu de danseurs se rendent compte de la différence. Pour s’en convaincre, allez sur un site comme l’excellent https://tango-dj.at/database et comparez la durée des morceaux. Par exemple, Milonga de mis amores a des durées comprises entre 1:38 et 3:53.
Pour un orchestre donné, par exemple, la version de Canaro enregistrée le 26 mai 1937 (matrice 9026) et bien que la source de ces différents enregistrements soit des exemplaires du même disque (Odeon 5028 face A), on trouve des variations de 2:58 chez TangoTunes (9026 – 5028 A TangoTunes) à 3:05 chez Danza y Movimiento (DZ020234). À l’écoute, la version de TangoTunes est clairement plus aiguë et rapide. Cela correspond à une différence de 4 %.
Dans les années 40, les orchestres jouaient en vivo.
Ils pouvaient donc jouer avec les danseurs, accélérer ou ralentir. Aujourd’hui, le disque a figé la vitesse. Les danseurs vont toujours écouter le même morceau à la même vitesse, avec les mêmes « surprises ». Le DJ peut recréer des « effets », comme le font les orchestres live, en faisant une reprise, en augmentant les breaks, en modifiant la vitesse, en proposant des versions moins courantes du même orchestre ou en proposant un orchestre dans un registre inhabituel (par exemple Troilo qui imite Calo).
Deux orchestres peuvent jouer le même thème avec des vitesses très différentes.
Des extrêmes comme Milonga de mis amores par exemple qui peut être un canyengue ou une milonga selon les interprétations.
Je considère que le travail du DJ est de mettre de l’ambiance, pas de dire la messe.
Je m’arroge donc le droit de varier le rythme des morceaux, parfois la tonalité en fonction de l’effet que je veux obtenir. Je fais cela depuis plus de vingt ans, dès que j’ai eu un magnétophone à cassettes avec un variateur de vitesse. L’avantage de l’ordinateur est que je peux le faire en cours de morceau, sans changement de tonalité, ce qui rend l’opération discrète pour les danseurs. J’ai réglé mes logiciels pour limiter la variation à 10 % et je n’utilise de telles valeurs que pour accélérer le final d’une valse ou d’une milonga, par exemple afin de faire rire les danseurs, lorsqu’en fin de tanda ils ont réussi à tenir le rythme d’une tanda « infernale ». Dans la pratique courante, je peux modifier la vitesse d’un morceau pour pouvoir le placer à un moment différent dans une tanda. Cela ne m’empêche pas de toujours chercher de meilleures copies, même si maintenant la majorité de ma musique a été numérisée à partir de disques Schellac. Je pense qu’il faut distinguer l’aspect collectionneur, musicologue, de celui de DJ. On peut être les deux, je dirai même qu’on devrait être les deux, mais pas au même moment.
Lorsque l’on est DJ de tango, on a en général à cœur d’utiliser la meilleure qualité de musique possible. Cependant, cela ne suffit pas à la réussite d’une prestation de DJ. Il vaut mieux une excellente animation avec de la musique de qualité moyenne, qu’une diffusion maladroite de morceaux « parfaits ».
Ces conseils sont donc pour ceux qui veulent, comme moi, essayer d’avoir la meilleure musique au meilleur moment dans les milongas.
Utiliser un original de la meilleure qualité possible
Les supports à utiliser sont dans cet ordre de la meilleure qualité à la pire. En rouge, ce qui est déjà numérisé.
Matrice originale (il en reste très peu). C’est ce qui sert à presser les disques, c’est une forme d’original.
Bande magnétique originale d’époque (si elle est de bonne qualité).
Disque d’époque (78 tours en shellac). Malheureusement, beaucoup sont en mauvais état et les DJ qui passent ces disques en milonga détruisent un patrimoine.
CD ou FLAC d’après un disque d’époque (shellac) — ATTENTION, toutes les éditions ne se valent pas. Ces dernières années, plusieurs éditeurs se sont lancés dans ce marché avec des fortunes variées. C’est une façon économique de se constituer une base musicale.
Disque vinyle, 33 ou 45 tours (si l’enregistrement n’a pas de réverbération ajoutée, car c’est presque impossible à supprimer de façon correcte).
CD ou FLAC d’après une copie d’un vinyle (33 tours)
Cassette ou cartouche audio depuis un disque d’époque
Service de musique en ligne, type Spotify. C’est en général une très mauvaise source, car les musiques sont mal étiquetées. En revanche, ça peut servir pour trouver le meilleur disque à acheter.
Musique numérique en MP3
Tomas radiales (enregistré depuis la radio ou la télévision). Elles sont rarement exploitables en milonga, car de qualité généralement médiocre, mais ce sont souvent des documents intéressants d’un point de vue historique. Ces documents sont en général sur bandes, mais on en trouve des copies numériques.
Précaution pour utiliser la copie avant traitement
Utiliser un diamant adapté et une pression de bras adaptée au disque utilisé. Pour ne pas endommager le disque, le diamant doit être en excellent état.
Réglez la vitesse de la platine avec son stroboscope. Cependant, certaines marques n’étaient pas tout à fait à la bonne vitesse, notamment pour les disques les plus anciens. Si la tonalité exacte du morceau vous intéresse, il vous faudra la chercher en variant la vitesse, ou procéder à un traitement ultérieur après numérisation. Pour un DJ, cela a peu d’importance, il est possible de modifier ces paramètres à la volée lors de la diffusion et aucun danseur ne va remarquer même un demi-ton d’écart.
Réglez de façon optimale la courbe d’égalisation. Pour la plupart des disques Odeon et les vinyles après 1955, c’est la courbe RIAA. Pour des disques plus anciens, il vous faudra creuser en fonction de la marque et de la date.
Numériser dans un format non destructif (Lossless), en 44 kHz ou 48 kHz. Il est inutile d’utiliser un taux d’échantillonnage supérieur, car les disques ne transmettent pas de fréquences supérieures à 20 000 Hz. Pour ma part, j’enregistre en stéréo, même si le disque est mono. Cela permet d’avoir le choix entre deux versions très légèrement différentes. C’est utile pour le traitement des scratchs ou de certains défauts du signal.
Enregistrer le bruit du disque ou du support magnétique avant la musique et après la musique).
Ranger précieusement le disque et ne plus y toucher (le stocker verticalement et légèrement pressé à l’abri de l’humidité excessive et de la forte chaleur).
Jusqu’en 1955, chaque compagnie utilisait ses propres réglages. Cela conduit, si on ne respecte pas le rétablissement de la pré-égalisation à des sons infidèles. Une bonne restitution d’un disque ancien commence par la recherche des paramètres utilisés par le fabricant pour rétablir le son d’origine.
Copie de support analogique (cassette ou bande)
Les bandes magnétiques ont plusieurs défauts. Il peut y avoir une duplication de la spire antérieure, qui fait que l’on a une musique « fantôme », car la magnétisation d’une spire a « bavé » sur une autre. C’est surtout audible avant un fortissimo, on l’entend quelques instants avant, de façon réduite.
Si les bandes ou cassettes ont été mal conservées, le support et/ou le liant qui maintient les oxydes métalliques se délitent, ce qui provoque des défauts dans le magnétisme de la bande aux endroits considérés et donc un son défectueux.
Si la bande est en bon état, il faut aussi veiller à ce que le magnétophone le soit également.
Préparation du magnétophone
Pour les cassettes, en général un bon magnétophone est suffisant et ne demande pas de réglage particulier.
Il est cependant recommandé d’utiliser un démagnétiseur de têtes de lecture pour enlever une magnétisation résiduelle qui pourrait donner du souffle et/ou endommager le signal magnétique de la bande magnétique.
Pour utiliser un démagnétiseur, c’est assez simple, mais il faut bien suivre la procédure.
Débrancher le magnétophone (s’il est à pile, enlever les piles).
Brancher le magnétiseur, mais laisser le bouton en position OFF.
Approcher le démagnétiseur aussi près que possible de la tête de lecture.
Glisser le bouton en position ON.
Effectuer des petits cercles autour de la tête de lecture, aussi près que possible, mais sans toucher la tête de lecture. Pour un magnétophone à bande, il y a plusieurs têtes…
Éloigner lentement le démagnétiseur, le plus loin possible, SANS l’ÉTEINDRE.
Une fois qu’il est le plus loin possible (le câble d’alimentation est un peu court, prévoir de l’organiser de façon à pouvoir éloigner le démagnétiseur des têtes facilement), mettre le bouton curseur sur OFF.
C’est tout pour la démagnétisation. Il reste une autre étape pour nettoyer le magnétophone, nettoyer les têtes. Pour cela, utilisez un Coton-Tige imbibé d’alcool (isopropylique ou à défaut 90°). Si cela fait un moment que vous ne l’avez pas fait, vous retirerez un dépôt brun ou noirâtre. Ce sont des particules arrachées aux bandes et/ou de la saleté 😉
Attention à ne pas faire couler d’alcool dans le magnétophone ou ailleurs que sur le coton tige humide.
Pour les lecteurs de cassettes, il existe des cassettes de nettoyage.
Humidifier la bande à travers de la fenêtre (elle ne comporte pas de vitre, contrairement aux cassettes normales). Faire défiler la bande. Certaines cassettes contiennent une zone plus abrasive pour nettoyer. Ne pas en abuser.
Ces cassettes sont désormais assez chères (il faut les changer tous les quatre ou cinq utilisations). Si les têtes de lecture sont accessibles, il est plus économique d’utiliser des Cotons-Tiges et la procédure pour les magnétophones à bande. Lorsque les têtes sont sèches, vous pouvez utiliser le magnétophone (c’est instantané si vous avez utilisé de l’alcool isopropylique).
La vitesse et l’enroulement des bandes magnétiques
Contrairement aux cassettes qui sont relativement standardisées, les magnétophones à bande utilisent des vitesses différentes et même des types d’enroulement différent.
Il faut donc un magnétophone disposant des mêmes vitesses que l’appareil d’origine. Tous les magnétophones actuels n’ont pas ces vitesses. On pourra copier ces bandes, mais il faudra restituer la vitesse originale sur le signal numérisé.
Sur les matériels anciens, la bande était parfois enroulée avec l’oxyde magnétique à l’extérieur de la bande. Sur d’autres matériels et sur les plus récents, l’oxyde est sur la partie intérieure de l’enroulement. Il peut donc être compliqué de lire une bande ancienne sur un appareil plus moderne.
Une autre difficulté est l’utilisation d’alignements différents des têtes de lecture. Les bandes anciennes étaient normalement mono. Elles étaient enregistrées dans la partie inférieure de la bande, puis retournées pour lire l’autre côté. Il y a donc deux pistes, une dans chaque sens. Sur un matériel stéréo, il y a deux pistes. La lecture avec une tête mono fait qu’on lit également l’espace entre deux pistes, c’est-à-dire que l’on a un signal moins bon.
Avec un magnétophone stéréo, on peut lire une piste mono à condition que les têtes soient en face de la piste. Au pire, on utilise qu’une seule des pistes.
Si le magnétophone disposait de plus que deux pistes dans chaque sens, il faut un magnétophone multipiste, ce qui est un matériel professionnel. Dans ce cas, les pistes sont toutes dans le même sens. La bande ne se retourne pas quand on arrive au bout.
Un autre piège, ce sont les réglages du magnétophone en fonction du type de bande. Si on dispose des boîtes originales des bandes, on trouve les indications. Sinon, il faut y aller par tâtonnement.
Un tout dernier point, certains magnétophones utilisaient un système de réduction de bruit, type Dolby. Il faut donc en tenir compte et utiliser le décodeur adéquat. Avec les cassettes, c’est assez simple, avec les magnétophones à bande, il faudra peut-être acquérir un décodeur séparé.
Il a existé aussi des cartouches, sortes de grosses cassettes. Pour ces bandes, la difficulté sera de trouver un lecteur en bon état de marche.
En gros, récupéré des bandes anciennes, c’est compliqué, sauf pour les cassettes.
Utilisation d’une copie déjà numérique
Vous avez acheté une copie numérique, ou vous avez procédé vous-même à l’enregistrement. Si la musique est parfaite, n’y touchés pas. Mais c’est rarement le cas.
Il ne faut pas oublier que vous allez créer des tandas et que ces dernières doivent être homogènes. Pas question d’avoir un titre criard, suivi d’un titre sourd, puis un titre très fort et à la limite de la distorsion et terminer sur un titre presque inaudible.
Un autre point consiste à normaliser les débuts et les fins de morceaux. Pour ma part, j’ai 0,7 seconde au début de tous mes morceaux et 3 secondes à la fin de tous mes morceaux. Cela évite que deux morceaux se choquent, ou qu’il faille attendre 10 secondes entre deux titres.
Ordre des opérations pour le traitement des musiques numériques
Faire une sauvegarde du support numérique pour revenir à l’état initial en cas d’erreur.
Sélectionner une partie sans musique et avec le bruit de fond du disque. S’il y a des scratchs, les nettoyer auparavant, un par un, ou mieux, sélectionner une zone entre deux scratchs.
Faire une empreinte du bruit de fond, de préférence à la fin du disque et la soustraire de l’enregistrement. ATTENTION à ne pas soustraire uniformément, mais seulement dans les fréquences du bruit afin de ne pas toucher la musique (on peut activer 100 % pour les fréquences très basses ou très hautes et doser les autres fréquences en fonction de la musique). Cela demande un logiciel évolué, pas du type Audacity qui applique l’empreinte de façon égale sur toutes les fréquences). Il y a d’autres options à prendre en compte, ce tutoriel est simplifié…
Faire la même chose avec une empreinte au début du disque. Cependant, attention à bien choisir le lieu, car souvent le début du disque est abîmé par l’impact de la pointe de lecture lors des écoutes. L’empreinte ne sera pas représentative de l’état du disque sur son intégralité. Si le début du disque n’est pas abîmé (ou si l’original était une matrice). Si la copie numérique ne comporte pas des bouts d’amorce au début ou à la fin, essayer d’utiliser un moment de silence. Attention à ne pas prendre une partie avec un peu de son. Si c’est impossible, mettre à zéro la déduction d’empreinte sur les fréquences de la musique présente dans cette sélection.
Nettoyer les scratchs sur la musique. C’est un travail de patience. Sélectionner le scratch et appliquer l’outil de correction sur les quelques millisecondes nécessaires. Il existe des plugins de suppression automatique de scratchs, mais ils sont souvent néfastes au message sonore. Il convient donc de ne pas en abuser. Ne pas utiliser la suppression de fréquence pour limiter le bruit (méthode la plus courante), car cela se fait également au détriment de la musique). C’est en revanche la seule méthode possible lors de la diffusion en direct, par exemple si le morceau « original » fourni pour une démo est vraiment trop bruité.
Revoir l’équilibre sonore du morceau. Cela consiste à restituer la vitesse initiale (au cas où l’original serait un disque 33 tours ou une copie numérique d’origine douteuse). On peut aussi jouer sur les fréquences pour réharmoniser le morceau. Ce travail se fait de préférence au casque. On vérifie que les instruments se distinguent bien. Je conseille de vérifier le résultat également sur une sono… Plus le morceau sera propre et bien équilibré et le moins il y aura besoin d’intervenir en milonga pour adapter le volume et les fréquences.
Enregistrer le résultat dans un format numérique sans perte (Lossless).
Éventuellement, faire une copie pour l’utilisation en milonga, au minimum MP3 à 320 kb/s si on n’a pas la place de conserver l’original en HD. Pour ma part, je diffuse de l’ALAC, Lossless, mais chaque fichier fait au moins 30 Mo…
Exemple de morceau avec restauration :
Ce qu’il ne faudrait pas faire
Acheter de la musique dite « Remasterized ».
C’est dans presque tous les cas très, très médiocre, y compris dans les CD du commerce. Ces morceaux donnent l’impression que la musique est jouée dans une salle de bain. Les sons sont étouffés. En un mot, c’est moche à écouter.
Mais c’est aussi moche à voir…
Espérer qu’un morceau en MP3 va donner un excellent FLAC.
Si je conseille d’enregistrer tout ce qu’on modifie dans un format Lossless, c’est juste pour ne pas perdre en qualité à chaque enregistrement. Le morceau passé de MP3 à FLAC ne sera pas meilleur… C’est juste qu’il ne se dégradera pas si on l’enregistre plusieurs fois.
Conclusion
Avoir la meilleure musique est un respect pour les danseurs et contrairement à ce que certains disent, ils s’en rendent compte, même de façon inconsciente.
Les sonorisateurs s’en rendent également compte et cela permet d’instaurer une relation de confiance avec eux et ainsi, ils donnent un peu plus de liberté au DJ pour intervenir sur la sonorisation. Ils apprécient d’avoir une prestation de niveau sonore toujours adapté et de ne pas avoir à revoir sans cesse le volume, voire l’égalisation quand le DJ a des musiques d’origines différentes et incompatibles.
Les disques Shellac (gomme-laque), sont les disques 78 tours. Ceux qui ont accueilli la musique de l’âge d’or du tango. Ce sont des témoins précieux qu’il convient de préserver.
Sur la diffusion de disques historiques en milonga
Certains DJ ont choisi de passer des disques 78 tours en milonga, ce qui est une pratique que je ne cautionne pas, car elle est dangereuse pour les disques et n’apporte absolument rien à la qualité sonore de la prestation. Elle est dangereuse, car les disques se cassent facilement et le passage répété de la pointe de lecture abîme le sillon et donc dégrade le signal sonore. De plus, l’usage de disques hétérogènes et avec un choix réduit (on ne peut pas transporter 600 disques à une milonga) limite les possibilités d’animation de la milonga. Sans une pointe de snobisme de la part des danseurs, cette pratique n’existerait pas.
Je ne parle pas des DJ qui passent des vinyles, ces supports ont peu d’intérêt en ce qui concerne la musique de l’âge d’or, car ce sont des copies de copies et qu’il existe des enregistrements de bien meilleure qualité réalisés à partir des originaux. Là, au snobisme, se rajoute la diffusion d’une musique de qualité médiocre, souvent noyée dans de la réverbération outrée.
Prendre soin de ses disques
Le premier soin est de ne pas utiliser inutilement le disque. Il convient d’en faire une copie de sauvegarde, celle qui gardera l’état optimal de la copie à disposition. On gardera le disque pour un usage ultérieur, par exemple si la technique de numérisation a progressé, mais en dehors de cela, on le laissera tranquille. Je partage ici quelques conseils pour vous permettre de tirer le meilleur parti de ces disques, si vous avez la chance d’en trouver en bon état. Cependant, cela devient de plus en plus difficile.
Rien n’est éternel, les disques 78 tours non plus
Les disques 78 tous en gomme laque sont fragiles. Ils se cassent facilement en tombant. Il convient donc de les manipuler avec soin. La matière, elle-même peut se dégrader au contact de l’air, de l’humidité, de solvants, par usure, abrasion ou en se couvrant de poussière ou autres matières. Un autre ennemi pernicieux est le scotch que l’on utilise parfois pour réparer les pochettes. Il y a aussi les éventuels débris alimentaires et autres déchets organiques, les moisissures.
Bien conserver les disques
L’idéal serait de placer les disques dans des pochettes non acides en polypropylène sans acide ou en papier Perma/Dur, sans acide, sans lignine et avec réserve alcaline (pour lutter contre l’acidité présente). En effet, l’acidité du papier original fait que les pochettes peuvent endommager la surface du disque et donc le son qu’il porte. Des pochettes sans acides sont donc essentielles. Les pochettes originales sont par ailleurs souvent dégradées, cassantes et les conserver n’est pas aussi indispensable dans la mesure où la majorité est sans aucune indication, les informations étant sur l’étiquette du disque, visible par le trou central de la pochette. Celles qui sont décorées ont un intérêt, mais elles sont les mêmes pour tous les disques d’une même époque et du même éditeur. On peut donc conserver celles dans le meilleur état, séparément ou les conserver pour si on souhaite revendre un jour sa collection. Il existe également des albums ou des boîtes permettant de ranger quelques dizaines de disques. C’est une bonne solution pour l’archivage.
Les disques se rangent de toute façon de façon verticale. Légèrement serrés, mais pas compressés. L’humidité doit être modérée (inférieure à 50 %), la lumière doit être atténuée et le lieu suffisamment ventilé. En fait, ce sont les conditions de conservation idéale de beaucoup de choses… Faites attention au mobilier qui contient les disques. Ce serait dommage de leur offrir des pochettes spéciales et de les mettre dans une armoire dégageant du formaldéhyde à grosses doses.
Procédure de numérisation des disques Shellac
Avant de ranger les disques dans les nouvelles pochettes, il convient de les nettoyer. Je conseille donc d’opérer de la façon suivante :
Identification et saisie du disque dans la base de données
Photographie recto verso de l’étiquette
Nettoyage du disque (voir ci-dessous)
Numérisation du disque Format sans perte (WAV, AIFF, FLAC ou ALAC) 44 ou 48kHz 32 bits. Des valeurs supérieures n’ont aucun intérêt car il n’y a pas de signal supérieur à 20 kHz (voire 15kHz) sur les disques de pâte.
Rangement du disque dans les pochettes et boîtes
Complément de la base de données (référence de la boîte).
L’étape 3 du processus annoncé ci-dessus consiste à mettre le disque en condition pour sa numérisation et son archivage ultérieur.
Examen du disque à nettoyer
La première chose à faire est de vérifier que le disque n’est pas fendu et qu’il n’y a pas des endroits où la gomme-laque s’est dégradée. Si c’est le cas, il va falloir être très précautionneux. Pour ma part, il m’est arrivé de sacrifier une des faces du disque pour sauver l’autre face. Par exemple, si le disque est cassé et que les sillons d’un des côtés sont trop endommagés. J’utilise la face sacrifiée pour renforcer le disque, afin que le sillon de la face choisie soit parfaitement continu et que le disque soit aussi plat que possible. L’armature créée pour renforcer le disque est idéalement démontable, mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai ainsi pu numériser des disques qui étaient en plusieurs morceaux.
Mais revenons au processus le plus courant.
Identifier la matière du disque. Si on a déjà restauré des disques de la même époque et du même éditeur, les procédés précédemment utilisés devraient être efficaces.
Dépoussiérer le disque avec un aspirateur muni d’une brosse adaptée (poils antistatiques, idéalement en fibre de carbone). Évidemment, ne pas utiliser cette brosse pour d’autres usages. Attention, ne surtout pas frotter. Si vous touchez la surface, faites-le dans le sens des sillons.
Vérifier que la surface du disque est en bon état.
Si après aspiration et nettoyage, le disque semble propre, essayer de l’écouter.
Réglez l’égalisation dans votre système si vous avez d’autres courbes disponibles que la RIAA sur votre préampli phono. Si ce n’est pas le cas, vous gérerez cela sur le fichier numérisé.
Vérifier la propreté du diamant (utiliser une brosse adaptée).
Placer le disque sur la platine
Donner un coup de brosse antistatique en faisant tourner le disque
Essayez de faire une première copie du disque.
Si la copie est bonne et ne semble pas devoir être améliorée, c’est terminé.
Si vous pensez qu’il va falloir pousser le nettoyage, gardez la copie en sécurité et passez aux étapes de nettoyage, suivantes.
Placez le disque sur une vieille platine qui ne sert pas à la reproduction des disques et qui ne craint pas des accidents éventuels avec les liquides.
Procédez au nettoyage humide du disque Shellac. Le nettoyage humide est très efficace, mais il y a deux points très importants à prendre en compte :
Il ne faut surtout pas utiliser d’alcool qui dégrade la laque et donc choisir un liquide adapté.
Il ne faut pas mouiller l’étiquette.
Il existe dans le commerce des liquides pour le nettoyage des disques. Le plus inoffensif est l’eau distillée. Bien sûr, on ne plonge pas le disque directement dans le liquide, mais on dépose un film uniforme sur la surface du disque en évitant de mouiller l’étiquette. À l’aide d’une brosse ou tampon en microfibre, on répartit le liquide sur le disque en faisant tourner la platine à la main en prenant garde de ne pas sortir de la direction du sillon avec la brosse. Lorsque toute la surface est recouverte d’un fin film de liquide, mettez la platine en rotation (16 ou 33 tours/minute) en appliquant légèrement la brosse en microfibre. La brosse crée un petit bourrelet en amont de son passage, ce qui aide à déloger la saleté. Si l’eau distillée ne vient pas à bout des résidus sur le disque, utilisez un produit adapté. Par exemple : Clearaudio Pure Groove Shellac.
Vérifiez que le produit porte bien la mention Shellac, car la plupart des magasins vendent du produit pour vinyle qui contient de l’alcool et qui détruirait votre disque 78 tours. En revanche, le produit spécial pour Shellac peut être utilisé sans inconvénient pour les disques vinyle.
Le produit s’applique comme décrit pour l’eau distillée.
Le séchage du disque est une étape importante. Pas question de le laisser humide plus longtemps que nécessaire. Utilisez un chiffon non pelucheux et, là encore, toujours agir dans le sens du sillon. Le but est d’enlever le plus possible de produit de nettoyage.
Rincez le disque à l’eau distillée propre. Il faut donc la changer très souvent (ne pas traiter 50 disques avec la même eau). Si vous disposez d’une cuve à ultrason assez profonde, vous pouvez positionner le disque de façon qu’il trempe dans la cuve en mettant un axe en travers de la cuve. Mettez les ultrasons en fonctionnement et faites tourner très lentement le disque. Attention à ce que l’eau distillée ne coule pas sur l’étiquette (essuyez le disque au fur et à mesure) qu’il sort de l’eau distillée).
Essuyez le disque à l’aide de chiffons non pelucheux (différents de celui utilisé pour éponger le liquide de nettoyage…). Veillez à ne pas mouiller l’étiquette dans la manipulation.
Laisser le disque terminer de sécher en le positionnant verticalement. (veiller à ce que les supports ne touchent que les bords du disque et l’étiquette).
Si vous avez un aspirateur avec une brosse en fibre de carbone dédiée à cet usage, vous pouvez accélérer le séchage en passant la brosse dans le sens du sillon.
Lorsque le disque est parfaitement sec, vous pouvez reprendre la numérisation du disque après avoir vérifié que la pointe de lecture était propre. Vous devez bien sûr utiliser une autre platine que celle utilisée pour le nettoyage…
Voilà, votre précieux disque est désormais sauvegardé. Il peut attendre sagement dans sa pochette et son boitier sécurisés que vous en ayez besoin. Mais en attendant, utilisez la merveilleuse copie numérique que vous avez réalisée.
Dans les milongas, on ne diffuse que des enregistrements postérieurs à 1926. Savez-vous pourquoi ?
La vieja guardia n’est pas toujours intéressante à danser.
Les orchestres ne jouaient pas vraiment du tango avant 1926.
La qualité des enregistrements antérieurs n’est pas assez bonne.
La première raison n’est pas exacte. Si à Buenos Aires la Vieja guardia est très peu diffusée, c’est loin d’être le cas en Europe. Disons que ces enregistrements sont souvent un peu pauvres et moyens à danser, mais ils sont diffusables quand ils ont été enregistrés après 1926…
La seconde n’est pas exacte non plus. La combinaison entre les différents rythmes originaux, candombe, chansons de payador, habanera, canyengue et autres avait déjà donné naissance à de véritables tango (2X4 notamment). Certains morceaux assez lents ont été ensuite accélérés et sont devenus des milongas, d’autres ont gardé le caractère du tango. Donc, ce n’est pas la seconde raison.
Dans le film d’Homero Manzi, le son est bien sûr celui de 1950, pas celui de 1912 que l’on peut entendre ici :
En 1925, l’enregistrement électrique va rapidement mettre au rebut ce type d’équipement… En Argentine, il faudra attendre 1926 pour trouver les premiers enregistrements électriques, les éditeurs cherchant à écouler leur vieux stock…
L’enregistrement électrique
En 1906, l’invention du microphone a un peu amélioré le dispositif, mais ce n’est qu’en 1925 que l’enregistrement électrique a vu le jour de façon industrielle.
Le microphone est associé à un amplificateur qui permet de graver avec une grande précision les masters (disques qui serviront après moulage au pressage des disques diffusés).
Les microphones, l’âme de l’enregistrement électrique
Écoutons la différence entre acoustique et électrique
L’orchestre de Francisco Canaro a enregistré à deux reprises le tango Caricias. Une fois en 1924, avec un système d’enregistrement acoustique et une fois en 1927, avec un système électronique.
Il est très intéressant de voir comment la qualité a été améliorée en l’espace de quelques mois…
Voilà donc pourquoi on n’écoute généralement pas de tangos enregistrés avant 1926 dans les milongas
Pour vous en convaincre, écoutez ces deux extraits du même thème avec des interprétations très différentes et une qualité technique fort dissemblable.
Je pense que vous êtes nombreux à penser que les premiers enregistrements sonores datent environ de 1877, avec l’invention d’Edison et Marie qui a un petit agneau.
En effet, si le Phonographe d’Edison est probablement le plus ancien à avoir diffusé un son enregistré, deux inventions françaises antérieures l’ont précédé.
La première et la plus ancienne est celle d’Édouard-Léon Scott de Martinville qui permettait de voir le son grâce à son Phonautographe.
La demande de brevet a été déposée le 25 mars 1857 sous la référence 1 BB 31470.
Édouard-Léon Scott de Martinville (1817-1879) a réalisé les premières captures de son dès 1853, soit 24 ans plus tôt qu’Edison. Mais alors, pourquoi ne lui donne-t-on pas la palme du premier enregistreur ?
Pour le comprendre, il faut étudier le fonctionnement de l’engin.
Un pavillon canalise les sons entrants. Ce système était courant, car le cornet acoustique utilisé par les personnes ayant une baisse de l’audition utilisait déjà ce principe depuis plusieurs siècles.
Cependant, contrairement aux procédés ultérieurs d’Edison, le système de Scott de Martinville enregistre la déviation d’un faisceau lumineux sur une feuille de papier sensible à la lumière.
Le catalogue de Rudolph Kœnig
Rudolph Kœnig, fabricant de matériel de laboratoire, obtient un accord d’exclusivité pour la fabrication des Phonautographes à partir de 1859. Voici comment il décrit ce matériel dans son catalogue. Tout d’abord, dans la préface : « Dans le présent catalogue, j’ai ajouté aux instruments d’acoustique réunis dans la dernière édition du Catalogue de M. Marloye, de 1851, et aujourd’hui partout adoptés dans les cabinets de physique, un nombre assez considérable d’appareils nouveaux. Une partie de ces appareils sont devenus, dans l’état actuel de la science, presque indispensables pour l’étude de l’acoustique ; les autres offrent encore assez d’intérêt pour figurer dans les cours et les collections, d’instruments de physique. Je crois devoir attirer particulièrement l’attention des savants sur l’appareil de phonautographie (fixation graphique du son) reposant sur les brevets de M. L. Scott, et dont je suis le seul constructeur, parce que cet instrument ne permet pas seulement de répéter une longue série d’expériences très-intéressantes, mais qu’il donne aussi le moyen de faire un grand nombre de recherches scientifiques qui jusqu’à présent étaient restées absolument inabordables. »
Puis vient la description de l’équipement :
48. Phonautographe de M. t. Scott. 500 »
49. Le même, avec cylindre et porte-membrane en bois. 400 » Par les trois moyens sur lesquels s’appuient les brevets de M. L. Scott, c’est-à-dire : 1° l’emploi d’un style souple et tout à fait léger ; 2° l’application de ce style sur une membrane placée à l’extrémité d’un conduit ou récepteur du son, et 3° la fixation des figures obtenues sur un papier ou tissu revêtu d’une couche d’un noir de lampe spécial, il devient possible d’obtenir avec cet appareil non seulement le tracé de tous les mouvements vibratoires des corps solides d’une manière beaucoup plus facile et complète, et sur une étendue beaucoup plus grande qu’avec les deux instruments des Nos 46 et 47, mais on peut aussi imprimer directement tous les mouvements qui s’accomplissent dans l’air ou dans d’autres fluides, et c’est par là surtout que l’appareil ouvre un champ nouveau et vaste à des recherches de ce genre. Dans le prospectus ci-joint de M. Scott, on trouve encore des détails sur cet instrument et l’énumération d’une série d’expériences qui nous ont déjà réussi au point de pouvoir être répétées sans difficulté par tout le monde, car le maniement de l’appareil est rendu excessivement facile par la manière dont il est disposé.
50. Collection d’épreuves de tout genre obtenues par l’appareil précédent.
Extrait du catalogue de Rudolph Kœnig 1859 – Page de couverture et fascicule sur le Phonautographe.
Ce principe de l’enregistrement optique est viable, car il a été utilisé pendant des décennies pour le cinéma, notamment pour les grands classiques hollywoodiens qui utilisaient le son optique (procédé Movietone).
Ce qui manquait à l’époque de Scott de Martinville, c’était le système de lecture de ce que l’on avait enregistré.
L’invention de Charles Cros
Il manquait donc la partie de reproduction du son enregistré avec le Phonautographe. Charles Hortensius Émile Cros a eu l’idée vers 1876 de graver par gravure chimique des tracés réalisés avec un Phonautographe. Les gravures obtenues devaient permettre d’être reproduite en faisant se déplacer une aiguille reliée à une membrane connectée à un pavillon.
Allant plus loin dans sa logique, il considère l’idée de graver directement, sans passer par l’étape optique. Il dépose alors le 18 octobre 1876, un document décrivant « un procédé d’enregistrement et de reproduction des phénomènes perçus par l’ouïe ». Ce document est finalement enregistré par l’Académie des sciences le 30 avril 1877 et ouvert le 8 décembre, à la demande de Charles Cros, soit deux jours après l’enregistrement d’Edison (Mary has a little lamb) et plus d’une semaine avant la demande de brevet d’Edison.
Son appareil qu’il a nommé Paléophone est constitué d’une membrane vibrante dotée en son centre d’une pointe qui repose sur un « disque animé d’un double mouvement de rotation et de progression rectiligne » (c’est le principe des platines à bras tangentiel pour disques vinyles).
Dans le dispositif décrit par Charles Cros, le son de la voix fait vibrer la membrane qui elle-même anime l’aiguille qui trace un sillon sur le disque. Lorsque l’aiguille parcourt le sillon produit, elle transmet une vibration à la membrane qui reproduit le son du départ.
Le petit doute sur la viabilité de la solution par rapport à celle d’Edison, c’est l’utilisation de la feuille d’étain ou cuivre mince qui n’est pas clairement mentionnée dans le brevet, mais dans des écrits antérieurs, non-déposés.
Contrairement au Phonautographe, le procédé est réversible. Il enregistre et restitue les sons.
Edison est-il inventeur ou copieur ?
Si on en croit les « on-dit », l’idée qu’Edison se serait approprié l’idée de Scott de Martinville et celle de Cros ne serait pas si étonnante, si on se souvient qu’on l’accuse d’avoir également volé les idées :
de la lampe à incandescence à Humphry Davy
de la chaise électrique à Harold P. Brown
de la caméra à William Dickson
du négatif sur papier ciré à Gustave Le Gray
de l’utilisation des rayons X (fluoroscope) à Wilhelm Röntgen
Je ne me lancerai pas dans le débat, c’est un peu comme Gardel qui, bien que né en France, est revendiqué par les Uruguayens. L’enregistrement sonore est né en France et Edison qui était parfaitement documenté a eu plusieurs mois pour avoir connaissance du procédé imaginé par Charles Cros, d’autant plus que ce dernier a été publié par l’abbé Lenoir dans la Semaine du Clergé et que donc Edison avait tous les éléments sous la main. Le Phonautographe de Scott de Martinville et la description du dispositif de Charles Cros.
Récemment, FirstSound a essayé de donner la parole aux enregistrements de Scott Martinville. L’idée a été de transformer les tracés en sons.
Je n’entrerai pas dans le détail des deux méthodes employées, mais vous pourrez avoir des précisions dans le site de FirstSound.
Sur ce site, vous pourrez également entendre divers enregistrements restitués, comme « Au clair de la Lune » (dans deux versions de 1860).
Parmi les enregistrements restitués, j’attire votre attention sur « Diapason at 435 Hz – at sequential stages of restoration (1859 Phonautogram) [#33] ». On peut y écouter successivement différents états de restauration du signal, le dernier étant digne d’un enregistrement moderne. Cependant, il y a plusieurs biais dans leur restitution.
La première est que ce serait l’enregistrement d’un diapason à 435 Hz. Pour ma part, je pense qu’il s’agit plutôt du diapason à 512 Hz dans la mesure où dans son catalogue, Rudolph Kœnig vend sur la même page que le Phonautographe, un diapason à 512 Hz (Ut). Ce serait assez curieux qu’il utilise un autre matériel que celui qu’il vend pour son enregistrement…
C’est d’autant plus embêtant que cela discrédite un peu les restitutions. Ils sont partis de ce qu’ils voulaient obtenir pour faire « parler » l’enregistrement. On se fiera donc plutôt au début du fichier sonore en imaginant que Rudolph Kœnig a enregistré un son plus aigu que celui qu’ils restituent.
Pour les autres enregistrements, comme « Au clair de la Lune », il faut espérer que la part d’interprétation n’est pas exagérée.
Quoi qu’il en soit, avec un siècle et demi de retard, les enregistrements de Scott de Martinville parlent et même chantent.
Merci à FirstSound pour cet exploit et Monsieur Edison, arrêtez de piquer les idées des autres.
Stages montés sur mesure dans le cadre de festivals ou pour des particuliers, dans ma salle de danse ou à domicile.
Les points abordés peuvent faire partie de cette liste ou plus… Une durée de trois heures est idéale pour chaque stage x1 à x3 pour les stages DJ (3 à 9 heures) et x1 à x6 pour les stages danseurs (3 à 18 heures). Les cours peuvent aussi être proposés aux débutants complets, notamment aux futurs danseurs qui souhaitent apprendre le tango argentin de bal rapidement (sans chorégraphie). Possibilité de débuter en bal à partir de 6 à 9 heures de cours. Ils sont aussi destinés aux danseurs avancés qui souhaitent danser plus en musique et explorer les pistes de l’improvisation.
Tarif indicatif, 100 € le module de 3 heures (à répartir entre les participants, soit, par exemple 25 € pour 4 participants). Déplacements en sus – Bon plan:Inclure les stages dans un événement où je suis DJ, tarifs adaptés 😉
Langues du cours Français – Anglais – Espagnol (prévoir traducteurs si plusieurs langues en mode conférence)
Clase para DJ
Clase de musicalidad para bailarines y DJ
Autour d’une table ou dans une salle de conférence. De 1 à 20 participants, illimité en conférence
Rôles du DJ Comment assembler une tanda Critères de dansabilité Savoir lire la piste et la salle Les orchestres du tango à danser Animation de la milonga Gestion de sa musique Utilisation d’un logiciel DJ spécialisé Utilisation d’une table de mixage et de matériels spécifiques aux DJ Technique de la restauration de fichiers Ressources pour DJ Trucs et astuces
Un lieu où on peut danser… De 1 à 4 participants (travail individuel / couple) Le tango est une danse d’improvisation Danser sur la musique ou danser la musique ? Comment interpréter une musique ? Différence entre les différents styles de danse Danser sur différents orchestres Principes et mise en œuvre du guidage portègne Découverte de son style personnel (ne pas danser comme les autres) Cours accessibles aux danseurs débutants Aucune chorégraphie ne sera proposée dans le cadre de mes stages basés sur la pratique Configurations idéales : Femme seule un ou deux couples
Exemple de contenus. Cette liste est très loin d’être exaustive, les contenus sont définis en amont avec les organisateurs et/ou stagiaires.
Clases y talleres para bailarines y DJ
Clases como parte de festivales o especial cabida aduana en mi salón de baile o en vuestro hogar.
Las cuestiones planteadas pueden ser parte de esta lista y más … Una clase de tres horas es ideal para cada curso x1 a x3 cursos DJ (3-9 horas) y X1 a X6 prácticas para bailarines (3-18 horas). Los cursos también pueden ser ofrecidas para los principiantes completos, incluyendo futuros bailarines que desean aprender el baile de tango argentino rápidamente (sin coreografía). Posibilidad de iniciar en milongas después de 6 a 9 horas de clases. Son también para bailarines avanzados que quieren bailar más música y explorar las formas de improvisación.
Precio €100 cada módulo de 3 horas (para 4 participantes, cada €25). además viajes – Consejos: Incluir cursos en un evento en el que las tasas de DJ sean adaptados 😉
Alrededor de una mesa o en el modo de conferencia 1 a 20 participantes. Por conferencias sin limitada
Papeles de lDJ Cómo armar una tanda Criterios por el baile Saber leer la pista de baile y el salón Las orquestas de baile de tango Animación de la milonga Gestión de la música El uso de un software especializado para DJ El uso de un mezclador (mesa) y equipamiento específico para DJ Restauración de la música Recursos para DJ Trucos y astucias
Un lugar donde se puede bailar… de 1 a 4 participantes (Trabajo individual / pareja)
El tango es una danza de improvisación Bailar con la música o bailar la música? ¿Cómo interpretar la música? Diferencia entre diferentes estilos de baile Orquestas de baile Principios y aplicación de las indicaciones del guía porteño Descubrimiento de estilo proprio (No bailar como los demás) Curso accesible para principiantes Se propondrá ninguna coreografía como parte de mis cursos de formación basada en la práctica configuraciones ideales: Mujer sola una o dos parejas
Ejemplo de contenido. Esta lista está lejos de ser exhaustiva, los contenidos se definen previamente con los organizadores y/o los participantes.
Fitted internships as part of festivals or special in my dance room or at your home.
The points raised can be part of this list and more … A three-hour lesson is ideal for each course x1 to x3 DJ courses (3-9 hours) and x1 to x6 internships for dancers (3-18 hours). Courses may also be offered for complete beginners, including future dancers who wish to learn the Argentine tango dance quickly (without any choreography). Possibility of starting in milongas after 6 to 9 hours of classes. They are also for advanced dancers who want to dance more in music and explore ways of improvisation.
Indicative price 100 € each 3-hours module (for distribution to participants, eg € 25 for 4 participants). not including trips – Tips: Include courses in an event where I am DJ for adapted rates 😉
Course languages French – English – Spanish
Tango DJ lessons
Musicality classes for dancers and DJ
Around a table or in conference mode 1 to 20 participants, unlimited for conferences
DJ’s Roles How to assemble a tanda Criteria for dancing Knowing how to read the dance floor and the room The orchestras of tango Animation of the milonga How to organize the music Using a specialized DJ software Using a mix table and DJ’s specific equipment Restoring files DJ Resources Tips and tricks
A place where you can dance… of 1 to 4 participants (Individual work/couple)
The tango is a dance of improvisation Dance with the music or dance the music? How to interpret music? Difference between different dance styles Dance orchestras Principles and implementation of the porteño guiding Discovery of his own style (Do not dance like the others) Course accessible to beginners No choreography will be proposed as part of my training courses based only on practice Ideal configurations: Alone woman One or two couples
Example of content. This list is far from being exhaustive, the contents are previously defined with the organizers and/or participants.