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Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Fran­cis­co Canaro est un immense suc­cès, mais la ver­sion du jour va sans doute vous éton­ner. Si elle ne vous plait pas, je me rat­trap­erai avec les nom­breuses ver­sions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me par­don­nerez de vous infliger une ver­sion de Alfre­do De Ange­lis, bien étrange.

Extrait musical

Corazón de oro 1980-07-01 — Orques­ta De Ange­lis.

L’introduction est réduite en étant jouée plus rapi­de­ment (les descentes chro­ma­tiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapi­de­ment.
Ce qui vous sur­pren­dra rapi­de­ment, ce sont les sonorités, au piano de De Ange­lis, aux superbes vio­lons, aux ban­donéons vir­tu­os­es, s’ajoute un orgue élec­tron­ique, à par­tir de 45 sec­on­des.
Celui chante la mélodie, puis les autres se mélan­gent de nou­veau. Le résul­tat manque un peu de clarté et je ne suis pas con­va­in­cu qu’il soit totale­ment appré­cié par les danseurs qui risquent de regret­ter les ver­sions de Canaro que vous allez pou­voir appréci­er à la suite de cet arti­cle.

Corazón de oro — Fran­cis­co Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co.

La par­ti­tion demande trois pages, con­tre deux générale­ment à cause de la très longue intro­duc­tion, vrai­ment très longue dans cer­taines ver­sions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Ange­lis qui ne fait « que » 15 sec­on­des.

Paroles

Con su amor mi madre me enseñó
a reír y soñar,
y con besos me alen­tó
a sufrir sin llo­rar…
En mi pecho nun­ca ten­go hiel,
en el alma, can­ta la ilusión,
y es mi vida ale­gre cas­ca­bel.
¡Con oro se for­jó mi corazón!…
Siem­pre he sido noble en el amor,
el plac­er, la amis­tad;
mi car­iño no causó dolor,
mi quer­er fue ver­dad…
Cuan­do sien­to el filo de un puñal
que me cla­va a veces la traición,
no enmudece el pájaro ide­al,
¡porque yo ten­go de oro el corazón!…

Entre amor
flo­recí
y el dolor
huyó de mí.
Sé curar
mi aflic­ción
sin llo­rar,
¡ten­go de oro el corazón!…

¡Los ruiseñores de mi ale­gría
van por mi vida can­tan­do a coro
y en las cam­panas del alma mía
resue­na el oro del corazón!…

Yo pagué la negra ingrat­i­tud
con gen­til com­pasión,
y jamás dejó mi juven­tud
de entonar su can­ción…
Al sen­tir el alma enarde­cer
y apu­rar con ansia mi pasión,
no me da dolores el plac­er,
¡pues ten­go de oro puro el corazón!…
Entre risas pasa mi vivir,
siem­pre amé, no sé odi­ar,
y con­vier­to en tri­nos mi sufrir
porque sé per­donar…
Mi exis­ten­cia quiero embel­le­cer,
pues al ver que muere una ilusión,
otras bel­las sien­to renac­er,
¡mi madre me hizo de oro el corazón!…

Fran­cis­co Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co

Traduction libre

Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des bais­ers, elle m’a encour­agé à souf­frir sans pleur­er…
Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux car­il­lon (cas­ca­bel = grelot, j’ai un peu inter­prété et surtout, il ne faut pas pren­dre cas­ca­bel pour une de ses sig­ni­fi­ca­tions en lun­far­do).
Mon cœur s’est forgé avec de l’or…
J’ai tou­jours été noble en amour, en plaisir, en ami­tié ; mon affec­tion ne cau­sait pas de douleur, mon amour était vrai…
Quand je sens le tran­chant d’un poignard qui me transperce par­fois de trahi­son, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or…
entouré d’amour, je fleuris­sais et la douleur me fuyait.
Je sais guérir mon afflic­tion sans pleur­er, j’ai un cœur en or…
Les rossig­nols de ma joie tra­versent ma vie en chan­tant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur…
J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce com­pas­sion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chan­son…
Quand je sens mon âme enflam­mer et ani­mer avec ardeur ma pas­sion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur…
Entre les rires ma vie passe, j’ai tou­jours aimé, je ne sais pas haïr, et je trans­forme ma souf­france en trilles parce que je sais par­don­ner…
Je veux embel­lir mon exis­tence, car quand je vois qu’une illu­sion (un sen­ti­ment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…

Autres versions

Corazón de Oro par Canaro

La com­po­si­tion est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enreg­istrements. Je vous pro­pose de com­mencer par lui et de revenir ensuite avec des enreg­istrements inter­mé­di­aires d’autres orchestres.

Corazón de oro 1928-05-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une intro­duc­tion qui prend son temps, très lente. La valse ne com­mence qu’après 50 sec­on­des, ce qui est beau­coup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuelle­ment la plac­er en début de tan­da, ou couper l’introduction. Les vio­lons émet­tent des miaule­ments éton­nants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 min­utes), cette valse n’est pas monot­o­ne et pour­ra sat­is­faire les danseurs. Elle est très rarement passée en milon­ga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéres­santes. Jetons‑y un œil.

Corazón de oro 1928-08-07 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

L’introduction est rel­a­tive­ment longue, mais plus rapi­de que pour la ver­sion de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suiv­re. Elle est plus rapi­de et Char­lo, inter­vient pour chanter le refrain à près de deux min­utes. C’est une ver­sion qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milon­ga.

Corazón de oro 1929-12-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est déjà le troisième enreg­istrement de cette valse par Canaro. L’in­tro­duc­tion est du type long, mais moins lente que dans la pre­mière ver­sion de 1928. Le ralen­tisse­ment de la fin est sym­pa­thique.

Corazón de oro 1930-06-11 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

L’introduction avec ses 25 sec­on­des peut être lais­sée. Elle laisse immé­di­ate­ment la place à la voix mag­nifique de Ada Fal­cón. Ce n’est pas une ver­sion de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne par­tie des danseurs par­don­neront aux DJ qui la passera en milon­ga. Pour ma part, j’adore.

Corazón de oro 1938-03-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Décidé­ment Canaro enchaîne les enreg­istrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la ver­sion qui passe le plus sou­vent en milon­ga. Elle démarre sans longue intro­duc­tion et le rythme est bien mar­qué. L’équilibre entre les ban­donéons avec les vio­lons en con­tre­point est mag­nifique. C’est donc logique­ment que les danseurs l’apprécient d’autant que cer­tains pas­sages plus énergiques réveil­lent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rap­pel­lent que Canaro donne aus­si dans le jazz donne une sonorité orig­i­nale à cette ver­sion qui n’est pas monot­o­ne mal­gré sa durée respectable de 3:13 min­utes. Sa fin dynamique per­met de l’envisager en fin de tan­da.

Corazón de oro 1951-11-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Canaro a lais­sé quelques années de côté sa valse pour la ressor­tir dans une ver­sion remaniée. C’est la ver­sion qui servi­ra de mod­èle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tan­go de Car­los Saura. La présence de chœur chan­tant la mélodie sans paroles est aus­si une orig­i­nal­ité, égale­ment reprise par Lalo Schifrin. Cette ver­sion béné­fi­cie aus­si de la fin tonique qui en fait une bonne can­di­date de fin de tan­da.

Corazón de oro 1961-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con coro.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enreg­istrement a été effec­tué au Japon. Les Japon­ais sont pas­sion­nés de tan­go et le suc­cès des tournées des artistes argentins en témoigne.
Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la pre­mière ver­sion qui atteint 50 sec­on­des. Le résul­tat est encore une valse qui dépasse les 4 min­utes, ce qui peut pouss­er les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la ver­sion la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la ver­sion de la décen­nie précé­dente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remar­quable, après un pas­sage extrême­ment lent, une fin, explo­sive. En milon­ga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son pub­lic avant de pass­er cette ver­sion.

On con­tin­ue avec le Quin­te­to Pir­in­cho qui a pro­longé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enreg­istrements.

Corazón de oro 1978 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Oscar Bassil.

Cette ver­sion, sou­vent éti­quetée Canaro, car il s’agit du Quin­te­to Pir­in­cho a été enreg­istré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (ban­donéon­iste) qui dirigeait le Quin­te­to à cette époque.

Corazón de oro 1996 — Quin­te­to Pir­in­cho Dir. Anto­nio D’Alessandro.

Autre ver­sion du Pir­in­cho, dans la ver­sion lente. Cette fois dirigée par Anto­nio D’Alessandro.

Con­traire­ment à Bassil, D’Alessandro reprend la tra­di­tion de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 sec­on­des. Les pre­miers temps de la valse sont très accen­tués par moments ce qui peut paraître man­quer de sub­til­ité. Cette ver­sion me sem­ble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trou­ve hor­ri­ble, voire presque lugubre. Cer­taine­ment pas ma ver­sion préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objec­tif pre­mier…

Corazón de oro par d’autres orchestres

Pas­sons à d’autres orchestres main­tenant.

Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion de Cam­bareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour don­ner des inter­pré­ta­tions à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses ver­sions.

Corazón de oro 1954-11-05 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

Une ver­sion calme, bien dansante, sans doute enten­due trop rarement en milon­ga. Il faut dire qu’avec le choix que pro­pose Canaro, on peut hésiter à sor­tir des sen­tiers bat­tus. Les con­tre­points du piano sont par­ti­c­ulière­ment orig­in­aux. J’aime beau­coup et en général, les danseurs aus­si (c’est la moin­dre des choses pour un DJ que de pass­er des choses qui don­nent envie de danser…).

Corazón de oro 1955-06-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

Une ver­sion intéres­sante, destruc­turée et avec des artistes vir­tu­os­es, que ce soit le vio­lon de Franci­ni ou le piano de Angel Sci­chet­ti. J’avoue que je n’irai pas la pro­pos­er en milon­ga, mais cette ver­sion vaut tout de même une écoute atten­tive.

Corazón de oro 1959 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to de Ayer.

Non, Cam­bareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette ver­sion est qua­si­ment aus­si rapi­de que celle de 1950.

Corazón de oro 1959 — Los Vio­lines De Oro Del Tan­go.

Une ver­sion plutôt ori­en­tée musique clas­sique, mais pas inin­téres­sante.

Corazón de oro 1979 — Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de José Canet.

La voix chaleureuse de Nel­ly Omar donne une ver­sion orig­i­nale de cette valse. Il y a peu de ver­sions chan­tées, il est donc intéres­sant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon per­son­nelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orques­ta De Ange­lis. C’est notre valse du jour.

Je vous pro­pose de ter­min­er avec cette ver­sion, on pour­rait sinon con­tin­uer à se per­dre dans les ver­sions pen­dant des heures, tant ce titre a été enreg­istré.

Canaro et De Angelis

Un des derniers dis­ques de De Ange­lis s’appelle Bodas de Oro con el Tan­go. Le livre de mémoires de Canaro est égale­ment sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tan­go. J’ai trou­vé amu­sante cette coïn­ci­dence.

Las bodas de oro de Canaro y De Ange­lis. Le disque et la cas­sette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Ange­lis, la fille de De Ange­lis, chanteuse.

Alfre­do De Ange­lis a enreg­istré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque inti­t­ulé Al col­orado de Ban­field (1985), le col­orado (le rouquin), c’est De Ange­lis, qui était fan du club de foot­ball de Ban­field. Il a d’ailleurs écrit un tan­go « El Tal­adro », El Tal­adro étant le surnom du club de Ban­field.

L’album s’appelle Al Col­orado de Ban­field à cause du tan­go com­posé par Ernesto Baf­fa et Rober­to Pérez Prechi en l’honneur de De Ange­lis.
Il a été pub­lié en 1985, mais il com­porte des enreg­istrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.

Canaro et De Ange­lis ont leurs par­ti­sans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entr­er dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troi­lo, D’Arienzo et Di Sar­li, mais ils ont créé tous les deux suff­isam­ment de titres intéres­sants pour avoir une bonne place dans le pan­théon du tan­go et tant pis pour les ron­chon­chons qui n’aiment pas.

À demain les amis !

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

S’il fal­lait prou­ver un lien entre la France et le tan­go, il suf­fi­rait de men­tion­ner le cham­pagne, breuvage typ­ique­ment français qui fut inven­té par le moine béné­dictin, DOM Pierre Pérignon et imité par tous les vitic­ul­teurs du Monde et notam­ment d’Argentine qui pro­duisent le « cham­pagne » des milon­gas portègnes.

Le suc­cès du cham­pagne vient du fait que les musi­ciens argentins, dès 1906, sont venus à Paris pour enreg­istr­er leurs dis­ques. À par­tir de 1910, cela devient une véri­ta­ble ruée, ren­for­cée par la folie des Parisiens pour cette musique et la danse asso­ciée.
Même si le syn­di­cat des musi­ciens français impo­sait aux Argentins de jouer en cos­tume tra­di­tion­nel de leur pays, les musi­ciens argentins ont fait recette. Canaro qui a enreg­istré en 1938 notre tan­go du jour ne nous con­tredi­ra pas, lui qui ain­si que ses frères fut un habitué des cabarets parisiens.
Ces cabarets se sont exportés à Buenos Aires, y com­pris dans les noms. Les paroles de Con­tur­si men­tion­nent le Pigall, l’un des plus réputés. Cabaret et cham­pagne, Chapô au lieu de som­brero. Le ton est don­né, les Portègnes s’amusent à être à Paris.
Je vous invite à con­som­mer sans mod­éra­tion, Cham­pagne tan­go.

Extrait musical

Cham­pagne tan­go 1938-05-09 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro

Fidèle à son style « marchant » Canaro à la tête de son Quin­te­to Don Pan­cho nous pro­pose une ver­sion qui se déroule sans encom­bre. Ceux qui sont habitués aux ver­sions de Di Sar­li seront sans doute très dépaysés, mais cette ver­sion avec ses petites fior­i­t­ures au vio­lon est bien sym­pa­thique. Une ver­sion assez légère qui s’envole comme les bulles du cham­pagne.

Paroles

Il faut se lever de bonne heure pour trou­ver une ver­sion chan­tée de Cham­pagne tan­go… Vrai­ment de très bonne heure, car je n’en ai pas trou­vé.

Esas minas vet­er­anas
que siem­pre se con­forma­ban,
que nun­ca la protesta­ban
aunque picara el buyón,
vivien­do así en su cotor­ro
pasan­do vida pib­era
en una pobre catr­era
que le falta­ba el colchón.

¡Cuán­tas veces a mate amar­go
el estó­ma­go engrupía
y pasa­ban muchos días
sin ten­er para mor­far!
La catr­era era el con­sue­lo
de esos ratos de amar­gu­ra
que, cul­pa « e la mishiadu­ra
no tenía pa » mor­far.

Se acabaron esas minas
que siem­pre se con­forma­ban
con lo que el bacán les daba
sí era bacán de ver­dad.
Hoy sólo quieren vesti­dos
y riquísi­mas alha­jas,
coches de capota baja
pa’ pasear por la ciu­dad.

Nadie quiere con­ven­til­lo
ni ser pobre cos­tur­era,
ni tam­poco andar fulera…
Sólo quieren aparentar
ser ami­go de fulano
y que ten­ga mucho ven­to
que alquile depar­ta­men­to
y que la lleve al Pigall.

Ten­er un coche,
ten­er muca­ma
y gran “chapó“
y pa’ las far­ras
un gigoló;
pieza alfom­bra­da
de gran para­da,
ten­er sirvien­ta
y… ¡qué se yo !
Y así…
de esta man­era
en donde quiera
“cham­pán tangó”.

Manuel Gre­go­rio Aróztegui Letra : Pas­cual Con­tur­si

Traduction libre et indications

Ces filles vétéranes qui s’adaptaient tou­jours, qui ne protes­taient jamais même si elles tiraient le dia­ble par la queue, vivant ain­si dans son gour­bi (cotor­ro, garçon­nière, cham­bre de soli­taire, cham­bre de pros­ti­tuée) une vie de pau­vre fille dans un pau­vre lit auquel il man­quait le mate­las.
Com­bi­en de fois l’estomac s’est-il con­tenté de mate amar­go (Mate, la bois­son d’Uruguay, Paraguay et Argen­tine qui se boit sans sucre, amère) et beau­coup de jours se sont écoulés sans rien avoir à manger !
Le lit était la con­so­la­tion de ces moments d’amertumes où, par la faute de la mis­ère, il n’y avait rien à manger.
C’est fini, les filles qui se con­tentaient tou­jours de ce que le mec leur don­nait s’il était un vrai bacán (qui entre­tient une fille).
Aujourd’hui, elles ne veu­lent que des robes et des bijoux somptueux, des voitures décapota­bles pour se promen­er dans la ville.
Per­son­ne n’a envie de con­ven­til­lo (habi­ta­tion col­lec­tive des pau­vres de Buenos Aires) ou d’être une pau­vre cou­turière, ni d’aller incon­nue (fulera est une per­son­ne quel­conque, sans pres­tige. La Fulera est aus­si la mort, mais pas dans ce con­texte)
Elles veu­lent juste paraître être amis avec untel ayant beau­coup d’argent, qu’il loue un apparte­ment et qu’il l’emmène au Pigall (le cabaret/Casino Pigall appar­tient à ce phénomène de mode où se copi­ent les mœurs parisi­ennes, Pigalle étant un quarti­er ani­mé de Paris).
Avoir une voiture, avoir une femme de ménage et un grand « chapó » (cha­peau, autre mode, par­ler avec des mots de français, voire en français) et d’avoir un gigo­lo pour les fêtes, une pièce recou­verte de tapis lux­ueux (gran para­da est à pren­dre dans le sens français de parade), d’avoir une ser­vante et… que sais-je !
Et ain­si… de cette façon, elle veut « Cham­pagne et Tan­go ».

Autres versions

Cham­pagne tan­go 1914 Orques­ta Rober­to Fir­po.

Cette ver­sion acous­tique, desservie par la tech­nique d’enregistrement, per­met tout de même de pren­dre con­nais­sance de l’interprétation de Fir­po qui nous pro­posera 32 ans plus tard, un autre enreg­istrement que nous pour­rons com­par­er. La flûte (jouée par Ale­jan­dro Michet­ti) qui vit ses dernières années dans les orchestres de tan­go est ici bien présente.

Cham­pagne tan­go 1929 — Orques­ta Vic­tor Pop­u­lar.

Une ver­sion un peu vieil­lotte. La clar­inette joue avec les vio­lons. Ce n’est pas vilain, mais un peu monot­o­ne et ce disque est en mau­vais état.

Cham­pagne tan­go 1938-05-09 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro. C’est notre tan­go du jour.
Cham­pagne tan­go 1938-06-22 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est le tout dernier enreg­istrement avec Bia­gi au piano, avant qu’il se fasse vir­er pour avoir pris la vedette à D’Arienzo. L’orchestre est dans un intense dia­logue avec le piano qui est effec­tive­ment la vedette, le soliste.
Quand on voit l’évolution du piano pen­dant les trois années où Bia­gi a offi­cié dans l’orchestre de D’Arienzo, on peut se deman­der ce qu’aurait don­né l’évolution de l’orchestre de D’Arienzo avec Bia­gi si el Rey del Com­pás avait été un peu moins sus­cep­ti­ble…

Cham­pagne tan­go 1944-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Qui n’a jamais enten­du Cham­pagne tan­go par Di Sar­li n’a jamais pris de cours de tan­go. Même si Di Sar­li en pro­pose trois enreg­istrements, cette ver­sion bien ryth­mée est la préférée des pro­fesseurs qui pensent que leurs élèves doivent avoir un tem­po bien mar­qué et suff­isam­ment lent pour que leurs élèves puis­sent met­tre en pra­tique les fig­ures com­pliquées qu’ils vien­nent de leur appren­dre.
Rel­a­tive­ment peu de sur­prise dans cette ver­sion. Les danseurs peu­vent être en con­fi­ance.

Cham­pagne Tan­go 1946-09-25 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

32 ans plus tard, Fir­po qui essaye de se refaire une san­té finan­cière s’est remis au tan­go. Son inter­pré­ta­tion est très orig­i­nale et inspir­era des orchestres uruguayens, comme nous le ver­rons ci-dessous.
L’attaque des cordes des vio­lons par des coups d’archet brefs ou des pizzi­cati donne une ver­sion pétil­lante comme des bulles de cham­pagne.

Cham­pagne tan­go 1952-09-19 — Orques­ta Héc­tor Varela.

Je sais que cer­tains essayeront de ne pas écouter cette ver­sion à cause du nom de Varela. Cepen­dant cette ver­sion est plutôt sym­pa­thique. Elle est énergique et sen­si­ble. Elle con­vient à la danse et est dépourvue des pon­cifs fati­gants de Varela. Alors, allez‑y en con­fi­ance et lais­sez-vous enivr­er par Varela.

Cham­pagne tan­go 1952-10-27 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Encore Di Sar­li. La musique est beau­coup plus glis­sée. Les vio­lons ondoy­ants alter­nent avec des pas­sages plus martelés. Cette ver­sion est plus con­trastée que celle de 1944. C’est un Di Sar­li typ­ique, un incon­tourn­able des milon­gas.

Cham­pagne tan­go 1958-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Encore, encore Di Sar­li qui a enreg­istré de nom­breux titres à deux repris­es durant la décen­nie des années 50. C’est un développe­ment de la ver­sion précé­dente. Elle est bien flu­ide. On sent le disque qui tourne, imper­turbable. On peut préfér­er les autres ver­sions, mais celle-ci a aus­si ses fana­tiques. Sur l’île déserte, il faut emporter tout le cham­pagne de Di Sar­li

Cham­pagne Tan­go 1959-03-23 — Dona­to Rac­ciat­ti y sus Tangueros del 900.

Le retour de la flûte (et pas seule­ment de cham­pagne) et d’un style de jeu qui plaît à Borges qui n’a jamais digéré que le tan­go sorte des bor­dels et de sa fange pour se « déna­tur­er » avec la guimauve sen­ti­men­tale. Rac­ciat­ti nous pro­pose une ver­sion légère et qui pour­rait être une réminis­cence des années 1910, époque où la gui­tare et la flûte le dis­putaient encore au piano et au ban­donéon.

Cham­pagne tan­go 1959-12-07 — Miguel Vil­las­boas y Su Quin­te­to Bra­vo del 900.

On reste sur la rive uruguayenne. Le style entraî­nant de Vil­las­boas et sa sonorité par­ti­c­ulière sont en général bien appré­ciés. On retrou­vera des sim­i­lar­ités avec Fir­po. Une ver­sion joueuse. Vil­las­boas n’a pas le cham­pagne triste.

Cham­pagne tan­go 1970 — Quin­te­to Año­ran­zas.

Le Quin­te­to Año­ran­zas nous pro­pose une autre ver­sion avec un ensem­ble réduit. Il sem­blerait que le cham­pagne se prête bien aux petites for­ma­tions. Là encore _une flûte présente, mais qui partage la vedette avec le ban­donéon et le vio­lon. Cette ver­sion est cepen­dant un peu terne. On désir­erait un peu plus de mou­ve­ment (Año­ramos a más movimien­to 😉

Cham­pagne tan­go 1979-09 — Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to.

Vingt ans après, Vil­las­boas nous livre une autre ver­sion. Pour ma part, je trou­ve la réver­béra­tion exagérée. Cela rend con­fuse l’écoute et per­turbe la sérénité des danseurs. J’éviterais donc de vous pass­er cette version.Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to. Vingt ans après, Vil­las­boas nous livre une autre ver­sion.
Notons que trois ver­sions par des orchestres uruguayens, c’est peut-être un signe de chau­vin­isme, Aróztegui étant lui aus­si Uruguayen…

Cham­pagne tan­go 1996 — Quin­te­to Fran­cis­co Canaro dir. Anto­nio D’Alessandro.

Peut-être que les musi­ciens ont un peu abusé de la divine bois­son. La pièce est un peu assoupie. C’est peut-être pour exprimer la nos­tal­gie des paroles, mais en tous cas, cela ne donne pas envie de la danser.

Le coup de l’étrier (La copa de la despedida)

Je ne pou­vais pas vous laiss­er sur la ver­sion du Quin­te­to Canaro. Je vous pro­pose donc un autre titre, venu d’un autre univers, mais qui par­le aus­si de cham­pagne. Il s’agit de Cham­pagne bub­bles par Jose‑M.Lucchesi. Ce musi­cien pas­sion­né de tan­go argentin n’a pas tou­jours été recon­nu à sa juste valeur, notam­ment à cause d’une cer­taine jalousie des musi­ciens argentins qui voy­aient en lui un tal­entueux con­cur­rent. D’origine corse (France), mais né au Brésil, il fait l’essentiel de sa car­rière en France, comme com­pos­i­teur et chef d’orchestre. Il se fera d’ailleurs nat­u­ralis­er Français.

Cham­pagne-bub­bles 1935 Jose-Maria Luc­ch­esi.
Cham­pagne Bub­bles (com­posé par Jose-Maria Luc­ch­esi, un titre en anglais et des indi­ca­tions en alle­mand pour cette pro­duc­tion réal­isée par Elec­tro­la à Berlin (Alle­magne). Ceci mon­tre la dif­fu­sion du tan­go… et du cham­pagne. 1935, on est dans la péri­ode où les nazis encour­ageaient le tan­go plutôt que le jazz, musiques de noirs qu’ils mépri­saient.

Pour en savoir plus sur Luc­ch­esi, vous pou­vez reporter à l’excellent site Milon­ga Ophe­lia.