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Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Mais les danseurs qui se jet­tent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troi­lo est le pre­mier à l’avoir enreg­istré, oui, mon­sieur, oui, madame, avant Frese­do… De plus, je peux même vous mon­tr­er le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la ten­ta­tion de voir le jeune Pichu­co à l’œuvre avec son ban­donéon en fin d’article.

L’expression Ara­ca la cana peut sem­bler mys­térieuse. Je vous don­nerai sa sig­ni­fi­ca­tion dans la tra­duc­tion des paroles.
Je vous pro­pose d’écouter main­tenant notre tan­go du jour.

Extrait musical

Ara­ca la cana 1933-06-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray

Paroles

¡Ara­ca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engay­olao.
Oja­zos pro­fun­dos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con bril­los de acero que van a matar.
De miedo al mirar­los el cuor me ha fayao.
¡Ara­ca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he gua­peao
yo que al bar­do me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil ven­go a ensar­tarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfi­no Letra : Mario Fer­nan­do Rada

Traduction libre et indications

Ara­ca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme sig­nalant un dan­ger). Je suis déjà der­rière les bar­reaux (en prison)
Une paire d’yeux noirs m’a empris­on­né. Des yeux pro­fonds, som­bres et féro­ces, vifs et féro­ces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regar­dant, le cœur m’a man­qué.
Ara­ca la cana ! Je suis déjà engril­lagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occa­sions et dans toutes, j’ai affron­té, moi, qui naturelle­ment ai misé tout mon cœur sans répug­nance ni pré­cau­tion.
Comme un cave (type quel­conque, ne con­nais­sant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capa­ble, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous ver­rons les deux pre­mières ver­sions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Ara­ca la cana 1933-06-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray. C’est notre tan­go du jour.
Ara­ca la cana 1933-06-12 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, Domin­go Riverol, Domin­go Julio Vivas, Hora­cio Pet­torossi (gui­tar­ras).

Un tout petit peu après Frese­do, Gardel enreg­istre sa ver­sion.

Ara­ca la cana 1933-06-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un suc­cès. Voici donc sa ver­sion. Avec des pas­sages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette péri­ode de son orchestre. Peut-être l’influence de Frese­do dont la ver­sion dans le film était sor­tie le mois précé­dent.

Ara­ca la cana 1951 — Edmun­do Rivero con orques­ta dir. por Vic­tor M. Buchi­no.

Une ver­sion qui n’est prob­a­ble­ment pas pour les car­diaques. En effet, le démar­rage de Edmun­do Rivero après une intro­duc­tion longue sur­prend. Bien sûr, ce n’est pas une ver­sion de danse.

Bébé Troilo

Le film annon­cé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à pas­sion… Dans le cas du film, ce sont les trois pas­sions des Portègnes, à savoir, le ciné, le foot­ball et… le tan­go. Pour être pré­cis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tan­go, le foot­ball et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de met­tre le ciné­ma au cœur de l’action.
C’est le deux­ième film sonore argentin, sor­ti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tan­go que nous avons déjà évo­qué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tan­go du jour par Frese­do et Ray.
Il a été dirigé par Enrique Telé­ma­co Susi­ni à par­tir d’un scé­nario de Arnal­do Mal­fat­ti et Nicolás de las Llan­deras. L’extrait que je vais vous présen­ter présente le tan­go du jour, inter­prété par un orchestre imag­i­naire, EL Con­jun­to Nacional Foc­cile Marafiot­ti. Vous recon­naîtrez sans mal le jeune ban­donéon­iste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troi­lo. Il s’agit du sec­ond plus ancien enreg­istrement de lui dont nous dis­posons, le plus ancien étant avec Car­los Gardel (La que nun­ca tuvo novio de 1931).
Osval­do Frese­do fai­sait aus­si par­tie de l’équipe du film, il était donc par­faite­ment légitime pour enreg­istr­er ce titre.
L’intrigue du film est autour des pas­sions des enfants d’un quin­cail­li­er. Les affaires de la quin­cail­lerie ne sont pas bril­lantes et le père se dés­espère de voir ses enfants délaiss­er l’entreprise famil­iale pour leurs pas­sions. Nous nous intéres­sons à la par­tie tan­go du film avec un des fils, joué par Luis San­dri­ni qui veut devenir com­pos­i­teur de tan­go.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le pre­mier film par­lant, mais c’est en fait le sec­ond, tan­go étant sor­ti la semaine d’avant.

Troi­lo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le sec­ond film sonore argentin appa­raît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous pro­pose plusieurs extraits per­me­t­tant de voir com­ment était com­posé et lancé un tan­go au début de l’âge d’or.
Dans le pre­mier extrait, Aníbal Troi­lo joue avec le vio­loniste Vicente Tagli­a­coz­zo. José María Rizut­ti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour cor­riger cette injus­tice, je vous pro­pose un autre extrait où on le voit jouer Ara­ca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dic­tée sif­flée de Luis San­dri­ni. (qui ressem­ble à Enrique Delfi­no, l’auteur du tan­go du jour).
La nais­sance d’un tan­go, c’est aus­si l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fer­nan­do Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La tran­scrip­tion de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizut­ti qui avait joué sous la dic­tée sif­flée par Luis San­dri­ni dans la scène du piano.
Dès les paroles ter­minées, les musi­ciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au bal­con réservé aux orchestres. On peut ain­si enten­dre la pre­mière ver­sion de Ara­ca la Cana avec Aníbal Troi­lo (ban­donéon) Vicente Tagli­a­coz­zo (vio­lon) José María Rizut­ti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osval­do Frese­do jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tan­go » aura ain­si aidé à sauver l’entreprise famil­iale.

Extraits choi­sis par DJ BYC Bernar­do du film Los tres berretines.

El cisne 1950-05-15 (Vals) – Orquesta Juan D’Arienzo

Antonio Anselmi (Musique et paroles)

Un cygne peut en cacher un autre. Celui que nous allons évo­quer aujourd’hui, s’est fait faire une toi­lette par D’Arienzo, le 15 mai 1950, il y a 74 ans. Mais il avait déjà adop­té un autre cygne, 12 ans plus tôt, presque jour pour jour. Allons faire un tour avec les vilains petits canards, canards que l’orchestre ne fait pas.

Une petite pré­ci­sion pour les lecteurs qui sont en ver­sion traduite, en français, un canard est une fausse note. Juan D’Arienzo fait donc tout pour éviter que ses musi­ciens en fassent.

Extrait musical

La par­ti­tion de El cisne, dans la ver­sion d’Anto­nio Ansel­mi. La dédi­cace sem­ble éton­nante. En effet elle est adressée à José Gomez, qui était juste­ment un ami de Jose Maria Riz­zu­ti, l’auteur d’un autre « El cisne », mais en tan­go. Il peut toute­fois s’agir d’un homonyme, mais la coïn­ci­dence est amu­sante…
El cisne 1950-05-15 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une valse entraî­nante, mais D’Arienzo sait-il en faire d’un autre type ? Au piano, Ful­vio Sala­man­ca, inter­vient tou­jours selon le principe négo­cié avec Bia­gi quinze ans. Comme c’est de cou­tume, la fin paraît s’accélérer, mais c’est tou­jours la même méth­ode. Le tem­po reste sta­ble, mais les notes sont dou­blées, ce qui entraîne les danseurs dans un galop final effréné.
Il est presque impos­si­ble, voire com­plète­ment impos­si­ble de devin­er les paroles en enten­dant la musique de cette valse. Mais il est temps d’en par­ler.

Paroles

La ver­sion de D’Arienzo est instru­men­tale. Cepen­dant Anto­nio Ansel­mi a égale­ment écrit les paroles que voici :

En un lago cristal­i­no
hacia la oril­la costan­do
un blan­co cisne nadan­do
del lago dueño y señor,
lle­ga hacia el bosque veci­no
a sat­u­rarse de arome
porque espera a su palo­ma
para una cita de amor.

Como hace rato que espera
ya la impa­cien­cia lo inqui­eta
por la palo­ma coque­ta
que a la cita no llegó
y abrien­do sus blan­cas alas
medi­ta el cisne arro­gante
¿será ver­dad que otro amante
su car­iño me robó?

Pero después de un momen­to
des­de la veci­na loma
se ve lle­gar la palo­ma
en un vue­lo seño­r­i­al;
y como el cisne pre­gun­ta:
¿dónde te has entretenido?,
con­tes­ta: Con mi queri­do
a la som­bra de un sauzal.

Que es lo que has dicho, palo­ma,
que bien no lo he com­pren­di­do,
has habla­do de un queri­do
y te olvi­das quién soy yo.
De pron­to el cisne celoso,
muy encegue­ci­do aca­so
de un ter­ri­ble pico­ta­zo
a su palo­ma mató.

Car­go a su pre­sa en el pico
y allá en el lugar más hon­do
fue a sumer­girse has­ta el fon­do
del lago, dueño y señor.
Des­de entonces en la noche
cuan­do todo está dormi­do
se oye del cisne un gemi­do
porque llo­ra de amor.

Anto­nio Ansel­mi (Musique et paroles)

Traduction libre

Dans un lac cristallin, vers la rive voi­sine, un cygne blanc nage, du lac maître et seigneur. Il arrive à la forêt voi­sine pour se sat­ur­er d’arome, car il attend sa colombe pour un ren­dez-vous amoureux.
Comme ça fait un moment qu’il attend, l’impatience l’inquiète pour la colombe coquette qui n’est pas arrivée au ren­dez-vous et ouvrant ses ailes blanch­es, le cygne arro­gant médite. Serait-il vrai qu’un autre amant m’aurait volé son affec­tion ?
Mais au bout d’un moment, de la colline voi­sine, on voit la colombe venir d’un vol majestueux ; et comme le cygne demande : « Où vous êtes-vous amusée ? » elle répond : « Avec mon chéri à l’ombre de saules pleureurs. »

Qu’as-tu dit, colombe, que je n’ai pas bien com­pris ? Tu as par­lé d’un être cher et tu oublies qui je suis. Aus­sitôt, le cygne jaloux, peut-être très aveuglé, d’un ter­ri­ble coup de bec sur sa colombe, la tua. Il chargea sa proie sur le bec et là, dans l’endroit le plus pro­fond, il alla plonger jusqu’au fond du lac, maître et seigneur. Depuis cela, la nuit, quand tout dort, on entend le cygne gémir parce qu’il pleure d’amour.

Autres versions

Si vous enten­dez cette valse, il est fort prob­a­ble qu’elle soit inter­prétée par Juan D’Arienzo, car il n’en existe pas d’autres enreg­istrements his­toriques, pas même une petite chan­son pour enten­dre com­ment les paroles s’harmonisent avec la musique.
En revanche, vous pou­vez enten­dre el Cisne sous forme de tan­go. Par D’Arienzo et par Frese­do.
Atten­tion, ce cygne n’est pas com­posé par Anto­nio Ansel­mi, mais par Jose Maria Riz­zu­ti. C’est donc une œuvre qui n’a de com­mun que le titre.

La par­ti­tion avec sa cou­ver­ture de El cisne, mais cette fois par Jose Maria Riz­zu­ti. Un tan­go sans paroles.

Avant de retrou­ver D’Arienzo, une petite pépite. Un enreg­istrement de 1922. Il y a donc plus d’un siè­cle que Frese­do l’a enreg­istré.

El cisne 1922-08-25 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Mal­gré un enreg­istrement acous­tique, ancien, la musique est plutôt mag­nifique. Un très beau Frese­do, que l’on serait presque ten­té de pass­er en milon­ga.
Pour ter­min­er, on retrou­ve D’Arienzo, avec le cygne en tan­go sur une musique de Riz­zu­ti.

El cisne 1938-05-06 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est un des derniers enreg­istrements de Bia­gi dans l’orchestre de D’Arienzo. Sa place est bien établie. Il a toutes les petites paus­es pour ajouter ses petites fior­i­t­ures. Il sur­nage par moment sur l’orchestre et s’il n’a pas de par­tie en soliste, con­traire­ment aux vio­lons, il est tou­jours présent et ponctue le com­pas. Je trou­ve amu­sant de con­stater que 15 ans plus tard, la façon de faire de Bia­gi a con­tin­ué d’être util­isée par D’Arienzo et ses pianistes, comme nous l’avons con­statée pour notre valse du jour, que du coup, je vous replace ici. Quand on aime, on ne compte pas.

El cisne 1950-05-15 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour.

À demain, les amis !

El cisne. Mon his­toire est pliée pour aujourd’hui.