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La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro

; (Roberto Firpo) Letra : Pascual Contursi ;

J’ai présen­té, dans une autre anec­dote, de D’Arien­zo de 1951. J’ai env­i­ron 800 enreg­istrements de la cumpar­si­ta et il n’est pas ques­tion de faire une anec­dote pour cha­cune d’elles.
Je vous pro­pose aujour­d’hui d’é­couter l’ensem­ble des ver­sions de Canaro et en par­ti­c­uli­er celle qui fête ce jour son 92e anniver­saire.
Je vous invite à vous reporter à l’anec­dote sur La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo pour avoir les dif­férentes paroles et des détails sur l’his­toire de ce titre.

Extrait musical

La cumpar­si­ta 1933-02-14 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.
La joyeuse troupe des amis de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez défile sur la cou­ver­ture de droite. Ils sont cités en haut de la par­ti­tion. À droite Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez devant sa par­ti­tion chez un édi­teur de par­ti­tions. On notera que les joyeux fêtards sont rem­placés par une femme masquée. Le masque peut évo­quer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aus­si évo­quer une voi­lette de deuil, celui qu’évoque Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez dans sa ver­sion des paroles.

Les cumparsitas de Canaro

La cumpar­si­ta 1927-02-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Comme on peut s’y atten­dre avec Canaro, surtout en cette année, il s’ag­it d’une ver­sion bien avec de très beaux pas­sages. À par­tir de 27 s des petits motifs de flûte ren­dent cet enreg­istrement plus léger. Puis, le vio­lon­celle enchaîne un très beau solo, accom­pa­g­né par les vio­lons en pizzi­cati. Le chant du vio­lon pour ter­min­er les 30 dernières sec­on­des est égale­ment sub­lime.

La cumpar­si­ta 1929-04-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fior­i­t­ures de la flûte sont désor­mais effec­tuées par le ban­donéon qui, à un joli solo à par­tir d’une minute. Même durant le solo de vio­lon, le ban­donéon vir­tu­ose con­tin­ue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’ar­rivée de Fed­eri­co Scor­ti­cati et dans l’orchestre.

La cumpar­si­ta 1933-02-14 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. C’est notre tan­go du jour.

On retrou­ve le ban­donéon vir­tu­ose de la ver­sion de 1929, avec les mêmes ban­donéon­istes et un résul­tat très, très proche.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1951-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Mario Alon­so.

Cette ver­sion est assez tonique et bril­lante avec un tem­po bien mar­qué. On notera que les fior­i­t­ures sont aus­si exé­cutées par­tielle­ment au piano et pas seule­ment au ban­donéon et le retour de la flûte. La jolie voix, pro­fonde de Mario Alon­so apporte un final orig­i­nal, presque à la Caló…

La cumpar­si­ta (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 — Orques­ta con .

C’est une ver­sion du frère de Canaro, Juan mais je la trou­ve intéres­sante à con­naître, même si ce n’est pas une ver­sion de danse. Elle a été enreg­istrée au , pays pas­sion­né par cette musique, comme nous le ver­rons avec les enreg­istrements de Fran­cis­co. C’est une des ver­sions inté­grale­ment chan­tées (et par­lée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Con­tur­si et Maroni que vous pou­vez retrou­ver dans cette autre anec­dote.

La cumpar­si­ta 1955-01-31 — Quin­te­to dir. Fran­cis­co Canaro.

Là, les musi­ciens sem­blent pressés d’ar­riv­er à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de pré­cip­i­ta­tion. Je ne pro­poserais sans doute pas cela en bal.

La cumpar­si­ta 1959-04-29 — dir. Fran­cis­co Canaro.

Avec cette ver­sion, Canaro, cor­rige le tir et l’im­pres­sion de pré­cip­i­ta­tion a dis­paru. Il y a telle­ment de ver­sions de la cumpar­si­ta que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en pre­mière tan­da, elle peut faire l’af­faire, car elle per­met de rester avec le Pir­in­cho et de met­tre des tan­gos sym­pa­thiques pour ter­min­er la tan­da. Cepen­dant, ces ver­sions me sem­blent moins sur­prenantes et rich­es que les pre­mières.

La cumpar­si­ta (en vivo) 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Encore un enreg­istrement au Japon, avec les applaud­isse­ments à la fin. Là, Canaro s’ap­proche du style martelé de D’Arien­zo. Là encore le ban­donéon vibrant cha­touille les oreilles. Comme c’est un enreg­istrement pub­lic au théâtre Koma de Tokio, il y a une émo­tion que n’ont pas tou­jours les enreg­istrements de stu­dio.

La cumpar­si­ta 1961-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On ter­mine avec un dernier enreg­istrement au Japon, cette fois, au stu­dio Koji­machi de Tokio. Il est intéres­sant de com­par­er avec la ver­sion égale­ment enreg­istrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me sem­ble moins « habitée ». Le vio­lon est plus dis­cret et le ban­donéon un peu moins lumineux. Le rythme est mar­qué de façon un peu plus dis­crète, avec un piano plus présent. J’au­rais donc ten­dance à priv­ilégi­er la ver­sion live…

Canaro mour­ra trois ans plus tard sans enreg­istr­er d’autre com­par­si­ta, mais il est intéres­sant de voir son évo­lu­tion sur 34 années.
À bien­tôt, les amis !

El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Francisco Canaro (paroles et musique)

Le prénom Pan­taleón est bien con­nu dans le domaine du tan­go à cause de Piaz­zol­la qui l’avait en sec­ond prénom. Chi­no ‚me fait penser au génial Chi­no Labor­de, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tan­go jeu­di à Nue­vo Chique. En com­bi­nant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Fran­cis­co Canaro. Cette «  » fait par­tie de ces titres à la lim­ite du lun­far­do qui jouent sur les mots, mélangeant tan­go et castagne.

Extrait musical

1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.
Disque Odeón 55157. El Chi­no Pan­taleón est sur la face A et Y… No la puedo olvi­dar, sur la face B.

Le rythme de cette com­po­si­tion est un peu atyp­ique et il rend dif­fi­cile de la class­er, milongua tangue­an­da, . Ce n’est peut-être pas de tout pre­mier choix pour le bal…
La voix de Car­los Roldán est sym­pa.
On notera la fin abrupte, très orig­i­nale, comme si la musique avait été mise KO.

Paroles

Caballeros milongueros,
la milon­ga está for­ma­da
y el que cope la para­da
que se juegue todo entero,
si es que tiene com­pañero,
la gui­tar­ra bien tem­pla­da
pa’ aguan­tar cualquier tren­za­da
con razón o sin razón,
cara a cara, frente a frente,
a corazón.

Era el Chi­no Pan­taleón
milonguero y cachafaz,
que al sonar de un ban­doneón
vibore­a­ba en su com­pás.
Era un tau­ra pa’ copar
y de ley como el mejor;
si lo entra­ban a apu­rar
era capaz de can­tar
“La vio­le­ta” o “Trovador”.

Caballeros milongueros,
vayan salien­do a la can­cha
porque el que hace la “patan­cha“
es señal que le da el cuero;
siem­pre el que pega primero
lle­va la may­or ven­ta­ja;
no le ponen la mor­ta­ja
al que tira sin errar;
no es de vivo, com­pañero,
el dejarse madru­gar.
Fran­cis­co Canaro (paroles et musique)

Traduction libre et indications

Messieurs les milongueros (dans le sens de bagar­reurs), l’af­faire est for­mée (milon­ga a ici le sens d’af­faire dou­teuse, désor­dre) et celui qui prend posi­tion doit tout jouer, s’il a un parte­naire (un parte­naire. Cela con­firme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse).
La gui­tare (peut aus­si faire allu­sion à l’ar­gent) bien accordée pour résis­ter à toute bagarre avec rai­son ou sans rai­son,
Face à face, front à front, cœur à cœur.
C’é­tait le Chi­no Pan­taleón milonguero et inso­lent (cachafaz comme était surnom­mé Ovidio José Bian­quet, qui tra­vail­la avec Canaro pour ses revues musi­cales), qui, lorsque son­nait un ban­donéon (Ban­donéon n’est pas ici l’in­stru­ment, mais l’ac­tion de gên­er l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme.
Il était un tau­ra (généreux) à boire et de ley (loy­al, véri­ta­ble comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ;
s’ils le cher­chaient (se jetaient sur lui, l’oblig­eaient), il pou­vait chanter « La vio­le­ta » (tan­go de avec des paroles de , chan­té par Mai­da et Gardel, puis, par Troi­lo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » ( de Car­los Alcaraz avec des paroles de Car­los Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt don­nés pour indi­quer que le type a du répon­dant dans la bagarre.
Messieurs les milongueros, sortez sur le ter­rain, car celui qui fait le « patan­cha » (, la grosse pat­te, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ;
Celui qui frappe le pre­mier a tou­jours le meilleur avan­tage ;
Ils ne met­tent pas le linceul à celui qui tire sans se per­dre (per­dre de temps, sans errer) ;
Il n’est pas vivant, cama­rade, de se laiss­er devancer (madru­gar peut sig­ni­fi­er, devancer, gag­n­er du temps, atta­quer le pre­mier).
On voit que les paroles rich­es de lun­far­do, jouent sur les mots. Avec le vocab­u­laire de la milon­ga, on par­le bel et bien de bagarre.

Autres versions

Notre pre­mier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point com­mun, le prénom Pan­taleón…

Pan­taleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo. (Eleu­terio Irib­ar­ren Letra: ).
El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre milon­ga du jour.
El chi­no Pan­taleón 1942-06-17 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Par­fois, Lomu­to fait des choses plus intéres­santes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet que je trou­ve plus sym­pa à danser. On remar­quera, dès le début, une util­i­sa­tion dif­férente des instru­ments, ce ne sont pas les mêmes élé­ments qui sont mis en valeur. En ce qui con­cerne la voix, on peut préfér­er Roldán à Díaz, mais je trou­ve que cette milon­ga est rel­a­tive­ment joueuse et qu’elle pour­rait trou­ver sa place dans une milon­ga. Sa fin est en revanche plus clas­sique avec les deux accords fin­aux, habituels.

El chi­no Pan­taleón 1953-03-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas y Mario Alon­so.

Canaro reprend sa com­po­si­tion pour l’en­reg­istr­er en duo. On pour­rait presque dire en trio, tant le piano qui s’a­muse est présent. C’est tou­jours Mar­i­ano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940.
La ver­sion ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la ver­sion de 1942, notam­ment à cause de ses dia­logues et des paus­es dans la musique.

Qui est Pantaleón ?

Je n’ai pas d’autre ver­sion de cette milon­ga en stock. Cepen­dant, il reste un autre titre par­lant d’un Pan­taleón et ce prénom est accom­pa­g­né d’un nom de famille, Lucero.
Écou­tons ce titre.

Yo Soy Pan­taleón Lucero 1979 — Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). (Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res)

Ce titre com­posé au début du vingtième siè­cle par Faus­to Fron­tera avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res a été enreg­istré par Chiqui en 1979. Il ne sem­ble pas y avoir d’autres ver­sions enreg­istrées.

Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Rober­to Goyeneche sur la pho­to de gauche.

Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Yo soy Pan­taleón Lucero
de pro­fe­sión may­oral,
cump­lo cuarenta en enero
aunque algunos me dan más.
Nací por el Bar­rio Norte
y me crié por el sur,
tal vez no ten­ga dinero,
pero me sobra salud.

Si me quieren, tam­bién quiero
si no me quieren, tam­bién,
soy querendón y sin­cero
porque soy hom­bre de fe.
Ami­go que sale malo
yo lo olvi­do y ter­minó,
pero no puedo olvi­dar­la
a la que a mí me olvidó.

Yo soy Pan­taleón Lucero
no sé si recor­darán,
deci­dor y refranero
y criol­lo a car­ta cabal.
Matear amar­go es mi vicio
mi des­dicha, enam­orar,
qué ale­gría, can­tar siem­pre
así las penas se van.

(Coda)
Yo soy Pan­taleón Lucero,
pa’ lo que guste man­dar.
Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res

Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Je suis Pan­taleón Lucero, may­oral (pré­posé aux bil­lets du Tramway) de pro­fes­sion,
J’au­rai quar­ante ans en jan­vi­er, bien que cer­tains m’en don­nent plus.
Je suis né dans le Bar­rio Norte et j’ai gran­di dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’ar­gent, mais j’ai beau­coup de san­té.
S’ils m’ai­ment, j’aime aus­si. S’ils ne m’ai­ment pas, égale­ment. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi.
L’a­mi qui devient mau­vais, je l’ou­blie et c’est fini, mais je ne peux pas oubli­er celle qui m’a oublié.
Je suis Pan­taleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en sou­venez, un décideur et un diseur et un créole absol­u­ment (l’ex­pres­sion a car­ta cabal sig­ni­fie, pleine­ment).
Boire le mate amer est mon vice, ma mis­ère, tomber amoureux, quelle joie, tou­jours chanter, ain­si les cha­grins s’en vont.
(Coda)
Je suis Pan­taleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez deman­der.

En savons-nous plus sur Pantaleón ?

Nous avons main­tenant trois por­traits d’un Pan­taleón.

S’il est dif­fi­cile de savoir si les deux Pan­taleón de Canaro cor­re­spon­dent au même per­son­nage. En revanche, il est peu prob­a­ble que le may­oral, qui sem­ble un être pais­i­ble soit le même que celui de la milon­ga de Canaro.
Je pro­pose donc de laiss­er la ques­tion en sus­pens et en com­pen­sa­tion, une petite remar­que.
Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mar­i­ano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’é­toile de l’aube), qu’en l’hon­neur d’un dis­trib­u­teur de bil­lets dans un tramway…
De nos jours, le terme chi­no est plutôt réservé aux Chi­nois.
Cepen­dant, en lun­far­do, la chi­na est la chérie, et, dans une moin­dre mesure chi­no est égale­ment util­is­able pour chéri.
Le terme « chi­no » définit égale­ment des métiss­es d’In­di­ens et de Noirs. Cela expli­querait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre.
Je fais donc l’hy­pothèse que El chi­no Pan­taleón est un per­son­nage som­bre de peau, bagar­reur, un des nom­breux com­padri­tos qui han­taient les faubourgs de Buenos Aires.

À bien­tôt les amis !

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mar­i­ano Mores qui nous avait don­né Uno hier pour une autre mer­veille, Una lágri­ma tuya. Les paroles sont d’Home­ro Manzi, on reste dans le très haut du reg­istre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, , calle de ensueños. Je pense que vous allez être très sur­pris par ce tan­go, mais est-ce vrai­ment un tan­go?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, s’est adjoint deux chanteurs de pre­mier plan, Fran­cis­co Fiorenti­no et Ricar­do Ruiz.
On est habitué à associ­er Fran­cis­co Fiorenti­no à Troi­lo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son pro­pre orchestre dont il con­fia la direc­tion à Astor Piaz­zol­la. Ce dernier par­tant à son tour, Fiorenti­no ira en 1948 chanter pour deux ans avec Bas­so.
De son côté Ricar­do Ruiz est asso­cié à Frese­do. Cepen­dant, il avait quit­té cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il tra­vaille avec Bas­so. En 1949, il est donc logique de trou­ver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Bas­so.

Extrait musical

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.
Avec la pho­to de Mar­i­ano Mores, la par­ti­tion de Una lagri­ma tuya.

Je pense que dès les pre­mières mesures, vous avez été sur­pris par le rythme de cette œuvre. Les con­nais­seurs auront recon­nu le rythme du malam­bo.
Vous con­nais­sez sans doute le malam­bo sans le savoir, car son élé­ment essen­tiel est le zap­ateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacar­era.
C’est une démon­stra­tion d’agilité, un défi que se lançaient les gau­chos au XIXe siè­cle. C’est devenu aujour­d’hui un élé­ment de folk­lore et les groupes de dans­es tra­di­tion­nelles présen­tent cette danse si ent­hou­si­as­mante à pra­ti­quer.
Comme il s’ag­it d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’ag­it pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milon­gas, ou de petits bat­te­ments de pieds, légers qui sem­blent caress­er le sol.
Il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de choré­gra­phie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’ag­it plutôt d’un duel­liste) fait preuve d’imag­i­na­tion et de créa­tiv­ité pour effectuer les fig­ures les plus auda­cieuses. Le gag­nant du duel est celui qui reste, le per­dant part, épuisé ou dégoûté par les capac­ités de son adver­saire.
La chacar­era offre une forme « civil­isée » du malam­bo. Pas ques­tion de se livr­er à des exubérances, il s’ag­it de con­quérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacar­era est une danse de groupe et un peu d’har­monie dans l’ensem­ble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malam­bo effec­tué par deux ado­les­cents. Vous recon­naîtrez la musique ini­tiale qui est celle de notre « tan­go » du jour. C’est une créa­tion de Canal Encuen­tro, une mer­veilleuse chaîne cul­turelle argen­tine, mal­heureuse­ment men­acée, car la cul­ture n’en­tre pas dans les pri­or­ités du nou­veau prési­dent argentin, Javier Milei.

Dans la sec­onde par­tie de la musique, on retrou­ve une autre musique tra­di­tion­nelle, la huel­la (à par­tir de 1 h 30). Vous con­nais­sez cer­taine­ment cette musique pop­u­lar­isée par Ariel Ramírez dans sa Misa criol­la.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pou­vez enten­dre ici une inter­pré­ta­tion de La Pere­gri­nación (huel­la pam­peana) faisant par­tie de la Misa Criol­la. Il s’ag­it ici d’une danse choré­graphiée par un groupe de danse tra­di­tion­nelle, mais on peut se ren­dre compte qu’il y a des simil­i­tudes avec la chacar­era (vueltas et zap­ateos, par exem­ple).

Avec une référence au malam­bo norteño et à la huel­la pam­peana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Ar­gen­tine.

Paroles

Una lágri­ma tuya
me moja el alma,
mien­tras rue­da la luna
por la mon­taña.

Yo no sé si has llo­rado
sobre un pañue­lo
nom­brán­dome,
nom­brán­dome,
con descon­sue­lo.

La voz triste y sen­ti­da
de tu can­ción,
des­de otra vida
me dice adiós.

La voz de tu can­ción
que en el tem­blor de las cam­panas
me hace evo­car el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágri­ma tuya
me moja el alma
mien­tras gimen
las cuer­das de mi gui­tar­ra.

Ya no can­tan mis labios
jun­to a tu pelo,
dicién­dote,
dicién­dote,
lo que te quiero.

Tal vez con este can­to
puedas saber
que de tu llan­to
no me olvidé,
no me olvidé.

Mar­i­ano Mores Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tan­dis que la lune roule sur la mon­tagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mou­choir en me nom­mant, incon­solable.
La voix triste et sincère de ta chan­son, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chan­son qui dans le trem­ble­ment des cloches me fait évo­quer le ciel bleu de tes mat­inées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma gui­tare gémis­sent.
Mes lèvres ne chantent plus, col­lées à tes cheveux, te dis­ant, te dis­ant, com­bi­en je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chan­son, tu pour­ras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mar­i­ano Mores fait référence au folk­lore dans ses com­po­si­tions., par exem­ple :
Adiós, pam­pa mía qui incor­pore des rythmes de per­icón nacional et de esti­lo.
(cheval qui lève la tête con­tin­uelle­ment, ce qui gêne le cav­a­lier) avec rythme de estil­lo.
Lors de ses tournées inter­na­tionales, il était tou­jours accom­pa­g­né de bal­lets de folk­lore, car, il ne lais­sait jamais de côté les dans­es folk­loriques.

Autres versions

Una lagri­ma tuya 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enreg­istré en France et édité par qui a par ailleurs pub­lié sa pro­pre ver­sion dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 sem­ble bien pré­coce. J’ai con­tac­té les édi­tions Luis Gar­zon, si j’ob­tiens des infor­ma­tions j’adapterai la date, si néces­saire.

Una lágri­ma tuya 1949-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Edmun­do Rivero y .

Cette ver­sion a con­nu le suc­cès dès son lance­ment sur disque et à la radio. C’est la pre­mière ver­sion avec les paroles défini­tives de Manzi.

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. C’est notre ver­sion du jour.
Una lágri­ma tuya 1949-10-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con .

Canaro sort sa ver­sion, sans duo, un mois après la sor­tie du film dans lequel il est inter­venu. Pour une fois, il n’est pas dans les pre­miers à avoir enreg­istré (sauf si on tient compte de la ver­sion du film enreg­istrée en août 1948).

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril.

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril. Une ver­sion bien adap­tée au zap­ateo dans sa pre­mière par­tie (malam­bo), avec la belle voix chaude de Del Car­ril. Mar­i­ano Mores aurait aimé que De Car­ril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chan­ta.

Una lágri­ma tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qual­ité de cet enreg­istrement est très mau­vaise, car c’est un enreg­istrement acé­tate, un sup­port peu durable. Il a été réal­isé en pub­lic lors d’un con­cert à San Pablo au Brasil et a été retrans­mis par Radio Ban­deirantes. On peste con­tre ce son effroy­able, mais quelle presta­tion ! On notera l’ac­cent brésilien du présen­ta­teur qui annonce le titre, évo­quant le malam­bo.

Una lágri­ma tuya char­lo 1951-12-18 – Char­lo y su orques­ta.

Une belle ver­sion avec la voix qui domine un orchestre dont l’orches­tra­tion est orig­i­nale.

Una lágri­ma tuya 1953 — y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li.

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li. Pas éton­nant que Her­rero enreg­istre ce titre, car il avait été cat­a­logué par Odeon du côté du folk­lore et ils lui fai­saient enreg­istr­er cela plutôt que du tan­go. Il était donc un spé­cial­iste des deux gen­res, mais aurait préféré enreg­istr­er du tan­go. Cet enreg­istrement est donc une revanche, car il a coupé l’in­tro­duc­tion en malam­bo. Il n’a gardé que les accords fin­aux, typ­iques du malam­bo. On retrou­ve la marche, mar­quée par le ban­donéon, mais guère plus que les autres ver­sions, celle-ci est adap­tée aux danseurs exigeants. L’autre orig­i­nal­ité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágri­ma tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orques­ta Juan Canaro con Héc­tor Insúa.

Le s’est toqué du tan­go et les tournées des orchestres argentins ont été des suc­cès for­mi­da­bles.

Una lágri­ma tuya 1954 — Luis Tue­bols et son Orchestre typ­ique argentin.

Oui, comme je l’ai men­tion­né à divers­es repris­es, l’his­toire du tan­go n’est pas qu’en Argen­tine et Uruguay. Luis Tue­bols a con­tin­ué à pro­mou­voir le tan­go en France, notam­ment en enreg­is­trant avec Riv­iera, puis Bar­clay. Cet enreg­istrement fait par­tie des enreg­istrements avec Riv­iera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Bar­clay.

Una lágri­ma tuya 1957-04-30 – Orques­ta Mar­i­ano Mores con .

Voici com­ment Mar­i­ano Mores inter­prète sa créa­tion. On remar­quera la voix pro­fonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enreg­istrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mar­i­ano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pour­rez voir cette vidéo à la fin de cet arti­cle.

Una lagri­ma tuya 1959 c — Pri­mo Corchia y su Orques­ta.

Pri­mo Corchia, encore un exem­ple français du tan­go (même s’il est né en Ital­ie, il a fait toute sa car­rière en France).

Una lágri­ma tuya 1961-05-05 — Orques­ta José Bas­so.

Un autre enreg­istrement de José Bas­so, instru­men­tal celui-ci. Il assume par­faite­ment son affil­i­a­tion au folk­lore. Le rythme est plus rapi­de que dans la ver­sion de 1949. J’e­spère que ce petit coup de pro­jecteur sur ce musi­cien trop sou­vent nég­ligé, José Bas­so vous don­nera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour ter­min­er cette liste bien incom­plète, je vous pro­pose deux curiosités :

Una lagri­ma tuya 1961 c— Orchestre Luis Gar­zon.

C’est celui qui aurait pub­lié dès 1948 l’en­reg­istrement de Bachicha. Cette ver­sion est pure­ment musette. Le beau rythme de marche du malam­bo du départ, se com­mue en ryth­mique de tan­go musette, mais pas tout le temps. J’imag­ine que c’est une des raisons du suc­cès de ce tan­go en France, la marche très mar­quée écrite par Mores s’adapte par­faite­ment au style musette. Le terme musette, vient de l’in­stru­ment à vent, de la famille des corne­mus­es, util­isé dans les bals pop­u­laires en France. Con­traire­ment aux instru­ments des Écos­sais, la musette appelée cabrette dans le Mas­sif-Cen­tral se rem­plit à l’aide d’un souf­flet et non pas en souf­flant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagri­ma tuya y Adiós Pam­pa mía 1994 – Rober­to Gal­lar­do y su gran orques­ta con Beat­riz Suarez Paz y Oscar Lar­ro­ca (hijo).

Deux titres de Mar­i­ano Mores ayant trait au folk­lore, enchaînés, Una lágri­ma tuya et Adiós Pam­pa mía. Le nom du chanteur vous dit cer­taine­ment quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chan­ta si bien, par exem­ple avec De Ange­lis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Cor­ri­entes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Bar­reto sur un scé­nario de Luis Saslavsky sor­ti le 29 sep­tem­bre 1949.

Une pub­lic­ité pour le film Cor­ri­entes, calle de ensueños. Cette rue a une his­toire et je dois la con­ter.

Home­ro Manzi, peu de temps avant sa mort, regret­tait de ne pas avoir tra­vail­lé en col­lab­o­ra­tion avec Mar­i­ano Mores. Oscar Del Pri­ore et racon­tent dans Cien tan­gos fun­da­men­tales (Mar­i­ano Mores a d’ailleurs écrit le pro­logue de ce livre…) que Mores de vis­ite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui pro­pos­er pour sa musique. En réal­ité, les paroles défini­tives évolueront, jusqu’à la ver­sion que don­nera Canaro avec Alon­so en 1949, quelque temps avant le lance­ment du film.
Canaro était bien placé pour con­naître cette œuvre, puisqu’il l’in­ter­prète, juste­ment à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présen­ter. Par­mi les acteurs, Mar­i­ano Mores, lui-même, dans son pre­mier rôle au ciné­ma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien ter­min­er cette chronique.

Mar­i­ano Mores joue Una lágri­ma tuya au piano au début du film Cor­ri­entes, calle de ensueños