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El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

García Roberto Cantoral (MyL)

Notre tango du jour n’est pas un tango. Notre tango du jour est un tango. C’est un tango, ou ce n’est pas un tango, il faudrait savoir ! Disons que c’est un tango, mais que ce n’est pas un tango. sait chanter l’amour, mais il n’est pas le seul. Son copain le boléro le fait sans doute tout aussi bien et sans doute mieux. Alors, nous allons décortiquer le mécanisme de l’horloge, celle qui dit oui, qui dit non, dans le salon.

Boléro y tango

Je vous raconterai en fin d’anecdote l’histoire qui a donné naissance à ce boléro. Oui, ce titre est né boléro.
En Argentine, certains tangos un peu mielleux et hyper romantiques sont surnommés boléros par les tangueros et ce n’est pas forcément un compliment. Quelqu’un comme Borges aurait pu sortir le facón (couteau de gaucho) pour faire un sort au musicien qui aurait osé proposer ce type de tango, pas assez viril à son goût.
Mais le boléro est aussi un genre musical originaire de Cuba, qui, comme le tango, s’est exporté avec succès en Europe au point d’être une des pièces indispensables des bals de village. On notera toutefois que les danseurs « musette » le dansent exactement comme le tango, avec le même anapeste, le fameux lent-vite-vite-lent des cours de danse de société, alors que celui du boléro serait plutôt du type vite-vite-lent. Les deux danses sont d’ailleurs du type 4/4, même si dans le cas du tango, on aime à parler de 2/4 (dos por cuatro).
Attention, il me semble qu’il faut préciser que le boléro d’Amérique du Sud n’est pas le boléro espagnol qui est lui de rythme ternaire et qui est un dérivé des séguedilles. Il fut très populaire durant tout le dix-neuvième siècle, jusqu’au terrible « Boléro » de Maurice Ravel en 1928, qui en est une légère variante, mais dans lequel on reconnaît bien le rythme ternaire (3/4).
Les Européens se sont jetés sur le boléro d’origine sud-américaine dans les années 30 en s’approvisionnant aux deux principales sources de l’époque, Cuba et le Mexique, ce qui leur a permis d’oublier l’insupportable Boléro de Maurice Ravel. La diffusion était bien sûr la radio et le disque, mais aussi les bals et tout comme le tango de danse a été codifié en Europe, le boléro l’a été.
En Argentine, le boléro a aussi fait son apparition, mais le tango était bien en place et c’est un peu plus tardivement, notamment dans les années 50, qu’il est devenu très important.
Notre tango du jour appartient justement à cette époque. Auréolé de son succès, ce boléro écrit et chanté par García Roberto Cantoral (avec son trio mexicain Los 3 Caballeros) est arrivé jusqu’aux oreilles de Juan D’Arienzo qui a décidé de l’adapter à sa musique, en le transformant en tango.

Comparaison du chant boléro et tango

Je me suis livré à une petite expérience. Roberto Cantoral chante plus lentement que Jorge Valdez. C’est logique, il n’a pas la fusée D’Arienzo pour le pousser et c’est un boléro…
J’ai donc accéléré son pour le placer à la même vitesse que celui de D’Arienzo. Dans ce premier montage, on va entendre un extrait des deux versions en même temps. C’est un peu fouillis, mais on voit tout de même des analogies.

– D’Arienzo Valdez et Roberto Cantoral. On entend les deux en même temps sur un extrait, le début de la partie chantée.
El reloj – Cantoral Puis D’Arienzo Valdez.

Le début de la version chantée par Cantoral, un petit pont par D’Arienzo puis Jorge Valdez. On notera que même si le rythme de l’orchestre est différent, les chanteurs ne sont pas si différents.
On remarquera l’arrastre de Cantoral, bien plus marqué que chez Valdez. De plus, si vous prenez en compte que j’ai accéléré l’enregistrement de Cantoral pour qu’il soit au compas de celui de D’Arienzo, on comprendra que la même partition peut donner lieu à des interprétations très différentes.
Vous pourrez entendre la version de Cantoral en entier dans la partie « Autres versions ».
Pour interpréter son tango qui n’est pas un boléro, mais qui est romantique comme un boléro, Juan D’Arienzo a fait appel à Jorge Valdez, son chanteur romantique et voici le résultat…

Extrait musical

El reloj Roberto Cantoral. Partition de boléro pour piano au centre et partition pour chanteur à droite. Cantoral et Valdez chantent sensiblement la même partition. La différence de rythme vient de l’orchestre.
El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Comme vous pouvez l’entendre, cette version n’a rien de boléro dans le rythme. Les accents suaves du boléro d’origine sont découpés par des passages martelés au piano et au bandonéon. Un petit motif léger au piano évoque un carillon de salon et Jorge Valdez commence à chanter. Je ne suis en général pas fan de Valdez pour la danse, mais curieusement et malgré l’origine en boléro, le résultat reste acceptable pour la danse en tango et cela bien que Valdez chante la totalité des paroles et par conséquent plus de la moitié du tango. Peut-être que la beauté des paroles aide. Je vous laisse en juger.

Paroles

Reloj, no marques las horas
Porque voy a enloquecer
Ella se irá para siempre
Cuando amanezca otra vez
Nomás nos queda esta noche
Para vivir nuestro amor
Y tú tic-tac me recuerda
Mi irremediable dolor
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca.

García Roberto Cantoral (MyL)

libre

Horloge, ne marque pas les heures parce que je vais devenir fou.
Elle disparaîtra pour toujours lorsque le soleil se lèvera à nouveau.
Nous n’avons que cette nuit pour vivre notre amour et ton tic-tac me rappelle ma douleur irrémédiable.
Horloge, arrête ton chemin parce que ma vie s’arrête.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube n’arrive jamais.
Horloge, arrête ton chemin, car ma vie s’éteint.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle, pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube ne se lève jamais.

Une histoire romantique

Roberto Cantoral aurait composé ce titre alors qu’il était en tournée avec Los 3 caballeros, le trio de guitaristes chanteurs (les trios de guitaristes chanteurs sont une spécialité mexicaine) qu’il avait formé avec Chamin Correa et Leonel Gálvez.

Los tres caballeros. De gauche à droite, Leonel Gálvez, Roberto Cantoral, et Chamin Correa.

Il aurait eu à cette occasion une histoire d’amour avec une des femmes de la tournée, une danseuse.
La chanson conterait donc cette dernière nuit où lui devait revenir au Mexique et elle à .
Cette histoire est tellement plausible, qu’elle est quasi officielle. On peut juste se demander pourquoi il écrivait un boléro au lieu de profiter de ses derniers moments et pourquoi imaginait-il que cette histoire était terminée ? Engagement de la belle dans une autre histoire ? Il était marié et il ne voulait pas quitter sa femme.

Une histoire encore plus romantique

S’il était marié, c’est le thème de la seconde histoire. La femme de Roberto était gravement malade et le boléro a été composé alors qu’il la veillait à l’hôpital Beneficencia Española de Tampico. Les médecins avaient livré un sombre pronostic et il n’était pas du tout certain que son épouse « passerait la nuit ». D’après un journaliste signant lctl dans El Heraldo de México du 10 février 2021, la femme aurait survécu.
Si cette histoire est véridique, alors, elle est bien romantique également. Mais j’ai un doute sur cette histoire dans la mesure où Roberto Cantoral a vécu une autre aventure romantique… et que s’il chérissait tellement sa femme, il est peu probable qu’il se lance dans l’aventure que je vais exposer, mais avant, un détail.
Je n’ai pas évoqué les débuts de Roberto avec son frère aîné Antonio en 1950-1955 (Los Hermanos Cantoral). Antonio a créé ensuite aussi son groupe, Los Plateados de México. Contrairement à son petit frère, il était marié à l’époque de l’écriture de El reloj, amoureux et sa femme mourut jeune, en 1960. Peut-être que le séjour à l’hôpital était celui de la femme d’Antonio et pas d’une hypothétique femme de Roberto.
Et voici la troisième histoire…

Une histoire encore plus et plus romantique

Dans le domaine du boléro, plus c’est romantique et mieux c’est. En 1962 à Viña del Mar (Chili), Roberto était en tournée. Il y rencontra une trapéziste argentine qui était également en tournée. Cette trapéziste s’appelait , elle était également championne de judo, actrice et danseuse contemporaine. La partie romantique de l’histoire est qu’il se marièrent 9 jours après leur rencontre et qu’ils restèrent unis jusqu’à leur mort, 2010 pour lui, 2020 pour elle qui déclarait :
« Je suis la femme d’un seul homme, car quand l’amour est pur et le couple a un bon cœur, il ne peut pas se changer comme des chaussures. Il se garde pour toujours dans l’âme »
Si cette histoire, qui contrairement aux deux autres, est sûre si j’en crois mes croisements de sources, il faudrait que d’époux inquiet en 1956-1957, il devienne divorcé ou veuf cinq ans plus tard, condition nécessaire pour contracter en neuf jours le mariage. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé de trace d’un premier mariage.
En 1956-57, il était en tournée, il avait 21 ans et en plein essor artistique. Ce ne sont pas les données idéales pour confirmer un mariage.
Avec Itatí Zucchi, ils ont eu quatre enfants, trois garçons et une fille, qui a pris le prénom et le nom de sa mère et le nom de son père… Itatí Cantoral Zucchi. Elle est actrice et chanteuse.

Roberto Cantoral, Itatí Zucchi et Itatí Zucchi (fille)

Je vous laisse donc choisir l’histoire qui vous semble la plus crédible et vous propose de regarder maintenant les autres versions.

Autres versions

Comme le titre est avant tout un boléro, malgré l’usage qu’en a fait D’Arienzo, je vais vous proposer surtout des boléros.

El reloj 1957 – Los 3 caballeros.

C’est la première version proposée par Roberto Cantoral, Chamin Correa et Leonel Gálvez, Los 3 Caballeros. Le style est celui du boléro mexicain.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

C’est donc au début du succès du titre que D’Arienzo s’est lancé dans sa version.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos. Un début avec des claquements évoquant l’horloge. Le boléro se déroule ensuite de belle façon, appuyé par une percussion légère de clave, très cubaine. Cependant, aucun des trois n’est cubain, Chucho Navarro et Alfredo Gil sont mexicains et Hernando Avilés est portoricain.

El reloj 1960 – Roberto Cantoral.

À partir de 1960, Roberto Cantoral entame sa carrière de soliste. Le style n’est plus mexicanisant.

El reloj 1960c con Alfredo Montalbán.

Ce tango est daté 1950 dans tango.info, ce qui semble impossible si le boléro a été écrit en 1956. Le début au vibraphone évoque le tintement de Big Ben, suivi d’un petit motif horaire rappelant le son d’un carillon de salon. Puis le titre continue, sous une forme qui pourrait s’apparenter au tango.

El reloj 1961 – .

Une version en boléro par le chanteur chilien, Antonio Prieto.

El reloj 1981 – José José.

Comme pour le tango, il y a des boléros de danse et d’autres plus pour écouter. C’est ce dernier usage qui est recommandé pour celui-ci, enfin pas tout à fait, il est utilisable en slow pour danser « bolero », mais pas le bolero.

El reloj 1997 – .

Même motif, même punition pour cette version en boléro, très célèbre par Luis Miguel.

El reloj 2012 – Il Volo… Takes Flight – Detroit Opera House.
Ce trio de jeunes Italiens avait enregistré ce titre dès leur premier album sorti le 30 novembre 2010.

Ces jeunes chanteurs italiens peuvent rappeler Roberto Cantoral et son frère Antonio qui se lancèrent, mineurs, dans les tournées.

El reloj 2018-11-20 – con Marisol Martinez y Roberto Minondi.

Pour terminer, place au tango avec cette excellente version de la Romántica Milongera et ses deux chanteurs, Marisol Martinez et Roberto Minondi.

Finalement, ce boléro a donné vie à au moins deux belles exécutions en tango, celle de D’Arienzo et celle de la Romántica Milongera.

Roberto Cantoral, compositeur du boléro qui donna notre tango du jour.

À demain, les amis !

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.

Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle.
La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores.
Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros.
Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá.

La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.

Mi serenata, Partition avec Donato et Gavioli en photo

Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires.
La partition est dédicacée par Donato à José Lectoure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.

Ismael Pace et José Lectoure en compagnie de techniciens de la construction du Stadium Luna Park dont ils sont les propriétaires (photo de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la dédicace. Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi corazón
brindarte quiero un cantar
que sea el reflejo fiel
de cariño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrella guiñó
y aquel día forjé
mi primera ilusión.
Serenata que allí
para ti improvisó mi amor,
tu promesa de amor,
tu mirada, un clavel,
dieron premio a mi canción.

Hoy que ya el tiempo pasó,
vine a tu reja a cantar,
silencio fue el responder
a este triste dolor
que tu dejó.

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Traduction libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…).
À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments.
Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.

Autres versions

Mi serenata 1940-01-11 — Orquesta Edgardo Donato con Romeo Gavio y Lita Morales.

C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios.
C’est sans doute la version préférée de la plupart des et elle le mérite.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.
Mi serenata 1955-09-02 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Montero.
Mi serenata 1973 – Los Solistas de D’Arienzo con Osvaldo Ramos y
Mi serenata 1980 – Orquesta Donato Racciatti con Marcelo Biondini y Gabriel Reynal.

Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.

Mi Serenata 2022-06 – . Sans doute la palme de l’originalité pour cette version.

Et pour terminer, une belle version de la en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi.
C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.

Orquesta Romantica Milonguera avec et en duo – « Mi serenata »

À demain les amis !

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.

Ajout de deux versions le 29 août 2024, une en letton et une en arabe
(Cadeau d’André Vagnon de la Bible Tango).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉

Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.
Poema 1935-06-11 — Orquesta con .

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de querer.
Fue el poema de ayer,
que yo soñé de dorado color.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de adoración!…

Cuando las flores de tu rosal
vuelvan más bellas a florecer,
recordarás mi querer
y has de saber
todo mi intenso mal…

De aquel poema embriagador
ya nada queda entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sentirás la emoción
de mi dolor !…

Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco

libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.

La version traditionnelle

Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.

Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et . Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.

Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…

Une variante :

Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.

En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema.
Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco.
En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.

La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire :
« Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel.
Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus.
Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas.
Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema.
Compositions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Concerto de minuit, classé comme musique légère
Czardas Divertimento 1959
Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble.
El Fanfarrón 1963
El queño
Furtiva lagrima 1962
Gaucho negro
Intermezzo de tango 1952
Je n’ai plus personne
Le tango que l’on danse
Linda brunita
Manuska
Mon cœur attendra 1948
Oro de la sierra
Où es-tu mon  ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma Youka 1948
Rêvons ensemble 1947
Souffrir pour toi 1947
Tango d’amour
Tango maudit
Tendrement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la samba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gipsy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire.
Meditación 1963
Nuages
One kiss
Pampa linda 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tango marcato 1963
Un roi à 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
Valse minuit
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango.
Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas.
Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres.
Je vous propose de l’écouter.

Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, .

Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Voici les photos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour Ausencia.

Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.

Un argument musical

N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question.
Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ?
Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.

Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?

Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly

Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.

Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.

Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.

Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.

Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.

Poema 1934 – .

Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.

On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.

Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.

Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?

Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.

Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).

Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.

Poema 1957 – Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…

Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Solo Tango Orchestra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique.
Pour terminer, une autre version actuelle, par la qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.

Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.

La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.

À demain, les amis !