Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argen­tine pour l’Europe. La coïn­ci­dence de date fait, que je me devais le choisir comme tan­go du jour. Il y a un siè­cle, les musi­ciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notam­ment à Paris, les portes du suc­cès. Un détail amu­sant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Com­par­si­ta et Fer­nan­do Sil­va Valdès…

Cor­re­spon­dance de date. Cette anec­dote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voy­age entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me per­me­t­tra d’animer quelques milon­gas et je ren­tr­erai à Buenos Aires, fin avril.

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nom­breux sujets. Pas ques­tion de les traiter tous. Je liq­uide rapi­de­ment celui de l’histoire con­tée dans ce tan­go, d’autant plus que cette ver­sion est instru­men­tale. C’est un gars de la cam­pagne qui s’est fait vol­er sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quit­tant l’Argentine « Adios Argenti­na ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on con­naît la nos­tal­gie des orig­i­naires de la Province de l’Est (voir par exem­ple, Feli­cia écrit par Car­los Mauri­cio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imag­in­er qu’il va en Europe. Il dit dans la chan­son qu’il cherche d’autres ter­res, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est com­mun, quoique d’aspect dif­férent sur les deux dra­peaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siè­cle jusqu’en 1939 a vu de nom­breux musi­ciens et chanteurs argentins venir ten­ter leur chance en Europe.
Par­mi eux, en vrac :
Alfre­do Euse­bio Gob­bi et sa femme Flo­ra Rodriguez, Ángel Vil­lol­do, Eduar­do Aro­las, Enrique Sabori­do, Eduar­do Bian­co, Juan Bautista Deam­brog­gio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Car­los Gardel, Vicente Lod­u­ca, Manuel Pizarro, José Ricar­do, José Raz­zano, Mario Melfi, Víc­tor Lomu­to, Genaro Espósi­to, Celesti­no Fer­rer, Eduar­do Mon­e­los, Hora­cio Pet­torossi…
La liste est inter­minable, je vous en fais grâce, mais nous en par­lerons tout au long des anec­dotes de tan­go. Sachez seule­ment que, selon l’excellent site « La Bible tan­go », 345 orchestres ont été réper­toriés, chaque orchestre comp­tant plusieurs musi­ciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de nais­sance, ils ont don­né dans la mode « Tan­go ». Pour en savoir plus, vous pou­vez con­sul­ter l’excellent site de Dominique Lescar­ret (dit el Inge­niero « Une his­toire du tan­go »)

Vous remar­querez que l’orchestre de Bian­co et Bachi­ta est vêtu en cos­tume de Gau­cho et qu’ils por­tent la fameuse bom­bacha, bom­bacha offerte par la France à l’Ar­gen­tine… En effet, le syn­di­cat des musi­ciens français oblig­eait les artistes étrangers porter un cos­tume tra­di­tion­nel de leur pays pour se dis­tinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On con­naît tous la tenue tra­di­tion­nelle des gau­chos, avec la culotte ample, nom­mée bom­bacha. Ce vête­ment est par­ti­c­ulière­ment pra­tique pour tra­vailler, car il laisse de la lib­erté de mou­ve­ment, même s’il est réal­isé avec une étoffe qui n’est pas élas­tique.
Cepen­dant, ce qui est peut-être moins con­nu c’est que l’origine de ce vête­ment est prob­a­ble­ment française, du moins indi­recte­ment.
En France mét­ro­pol­i­taine, se por­taient, dans cer­taines régions, comme la Bre­tagne, des braies très larges (bragou-braz en bre­ton).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditer­ranée, ce pan­talon était aus­si très util­isé. Par exem­ple, par les janis­saires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désas­treuse guerre de Crimée en provo­quant la mort de 800 000 sol­dats a égale­ment libéré des stocks impor­tants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont qua­tre rég­i­ments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrou­vé à la tête d’un stock de près de 100 000 uni­formes com­por­tant des « babuchas », ce pan­talon ample. Il déci­da de les offrir à Urquiza, alors prési­dent de la fédéra­tion argen­tine. Les Argentins ont alors adop­té les babuchas qu’ils réformeront en bom­bachas.
En guise de con­clu­sion et pour être com­plet, sig­nalons que cer­taines per­son­nes dis­ent que le pan­talon albicéleste d’Obélix, ce fameux per­son­nage René Goscin­ny et Albert Uder­zo est en fait une bom­bacha et que c’est donc une influ­ence argen­tine. Goscin­ny a effec­tive­ment vécu dans son enfance et son ado­les­cence en Argen­tine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc cer­taine­ment croisé des bom­bachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus cer­tain, c’est qu’il a con­nu les ban­des alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur dra­peau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscin­ny ait influ­encé Uder­zo sur le choix des couleurs du pan­talon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volon­té de lui faire porter un cos­tume tra­di­tion­nel, qu’il soit argentin ou bre­ton… Et si vrai­ment on devait retenir le fait que son pan­talon est une bom­bacha, alors, il serait plus logique de con­sid­ér­er que c’est un bragou-braz, par Tou­tatis, d’autant plus que les Gaulois por­taient des pan­talons amples (braies) ser­rés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argenti­na 1930-03-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Les paroles

Tier­ra gen­erosa,
en mi des­pe­di­da
te dejo la vida
tem­b­lan­do en mi adiós.
Me voy para siem­pre
como un emi­grante
bus­can­do otras tier­ras,
bus­can­do otro sol.
Es hon­do y es triste
y es cosa que mata
dejar en la plan­ta
mar­chi­ta la flor.
Pam­per­os sucios
ajaron mi chi­na,
adiós, Argenti­na,
te dejo mi amor.

Mi alma
pren­di­da esta­ba a la de ella
por lazos
que mi car­iño puro tren­zó,
y el gau­cho,
que es varón y es altane­ro,
de un tirón los reven­tó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hom­bre
su per­fume ya dejó?

Lle­vo la gui­tar­ra
hem­bra como ella;
como ella tiene
cin­tas de col­or,
y al pasar mis manos
rozan­do sus cur­vas
cer­raré los ojos
pen­san­do en mi amor.
Adiós, viejo ran­cho,
que nos cobi­jaste
cuan­do por las tardes
a ver­la iba yo.
Ya nada que­da
de tan­ta ale­gría.
Adiós Argenti­na,
ven­ci­do me voy.

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra: Fer­nan­do Sil­va Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie trem­blante dans mes adieux. Je pars pour tou­jours comme un émi­gré à la recherche d’autres ter­res, à la recherche d’un autre soleil. C’est pro­fond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laiss­er la fleur sur la plante fanée. Les sales pam­per­os ont sali ma chérie, au revoir, Argen­tine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affec­tion tres­sait, et le gau­cho, qui est homme et hau­tain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà lais­sé son par­fum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma gui­tare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans col­orés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fer­merai les yeux en pen­sant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abri­tais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argen­tine, vain­cu, je pars.

J’ai lais­sé le terme « Pam­per­os » dans sa forme orig­i­nale, car il peut y avoir dif­férents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pam­pa, vu ce qu’ils ont fait à sa chi­na (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pam­pero est aus­si un vent vio­lent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pour­rait faire du mal à une fleur. Dans un autre tan­go, Pam­pero de 1935 com­posé par Osval­do Frese­do avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pam­pero (le vent) donne des gifles aux gau­chos.

¡Pam­pero!
¡Vien­to macho y altane­ro
que le enseñaste al gau­cho
golpeán­dole en la cara
a lev­an­tarse el ala del som­brero!

Pam­pero 1935-02-15 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray (Osval­do Frese­do Letra: Edmun­do Bianchi)

Pam­pero, vent macho et hau­tain qui a appris au gau­cho en le giflant à la face à lever les ailes de son cha­peau (à saluer).

Le terme de Pam­pero était donc dans l’air du temps et je trou­ve que l’hypothèse d’un quel­conque mal­otru de la Pam­pa fait un bon can­di­dat, en tout cas meilleur que le com­pagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quin­ter­no, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son com­pagnon qu’en 1936, 8 ans après la créa­tion de la BD et donc trop tard pour ce tan­go. Mais de toute façon, je n’y croy­ais pas.

Autres versions

D’autre ver­sions, notam­ment chan­tées, pour vous per­me­t­tre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enreg­istré ce titre dans les années 1930 étaient tous fam­i­liers de la France. C’est dans ce pays que le tan­go s’est acheté une « con­duite » et qu’il s’est ain­si ouvert les portes de la meilleure société argen­tine, puis d’une impor­tante par­tie de sa com­mu­nauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siè­cle.

Adiós Argenti­na 1930-03-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.
Adiós Argenti­na 1930 — Ali­na De Sil­va accom­pa­g­née par l’Orchestre argentin El Mori­to. Voir ci-dessous un texte très élo­gieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argenti­na 1930-07-18 — Alber­to Vila con con­jun­to
Adiós Argenti­na 1930-12-03 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro
Adiós Argenti­na 1930-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Fal­cón, Fran­cis­co Canaro enreg­istre une ver­sion instru­men­tale.
Adiós Argenti­na 1930-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Il s’agit du même disque que le précé­dent, mais lu sur un gramo­phone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les util­isa­teurs de l’époque… La com­para­i­son est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont env­i­ron réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la dif­férence.
Adiós Argenti­na 2001-06 — Orques­ta Matos Rodríguez (Orques­ta La Cumpar­si­ta). Une sym­pa­thique ver­sión par cet orchestre à la gloire du com­pos­i­teur uruguyane, autour de la musique du tan­go du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons con­nue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immé­di­ate­ment et juste­ment remar­qué, réu­nit les éloges unanimes de la cri­tique.
Elle s’est imposée main­tenant dans la pléi­ade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incom­pa­ra­ble, elle est habitée d’une pas­sion frémis­sante, qu’elle sait courber à sa fan­taisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre con­frère Louis-Léon Mar­tin a écrit, ce nous sem­ble, des phras­es défini­tives :
“Ali­na de Sil­va chante et avec quel art. Elle demeure immo­bile et l’émotion naît des seules index­ions de son vis­age et des mod­u­la­tions de sa voix. Elle pos­sède cette ver­tu extra­or­di­naire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volon­taire, soumise et impérieuse, capi­teuse, pas­sion­née, mais jamais je ne I’avais enten­due s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoi­sons. Ali­na de Sil­va joue de sa voix comme les danseuses, ses com­pa­tri­otes, de leurs reins émou­vants et flex­i­bles. Elle sub­jugue…”
Deux ans ont suf­fi à Mlle Ali­na de Sil­va pour con­quérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle péné­tra dans la cap­i­tale.
La petite chanteuse argen­tine est dev­enue main­tenant une » étoile » digne de fig­ur­er à côté des plus écla­tantes.
Il est des émo­tions qui ne trompent pas. Celles que con­tin­ue à nous don­ner Ali­na de Sil­va accrois­sent notre cer­ti­tude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

Et ce n’est qu’un des nom­breux arti­cles dithyra­m­biques qui salu­ent la folie du tan­go en France à la belle époque des années folles.

A. B. ? La Rampe du pre­mier décem­bre 1929

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bien­tôt atter­rir à Madrid, c’est mer­veilleux de faire en si peu d’heures le long tra­jet qu’ont effec­tué en bateau tant de musi­ciens argentins pour venir semer le tan­go en Europe. Je vais essay­er, lors de cette tournée européenne, de faire sen­tir l’âme de notre tan­go à tous les danseurs qui auront la gen­til­lesse de danser sur mes propo­si­tions musi­cales.
À très bien­tôt les amis !

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