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Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

Ceux qui aiment les milongas dynamiques se ruent en général sur la piste aux premières notes de Milonga querida interprétés par D’Arienzo et Echagüe et ils ont bien raison. Malgré un rythme qui semble soutenu, cette milonga aide les danseurs à s’amuser, ce qui n’est pas autant le cas avec ces milongas que l’on met trop souvent en pensant que les danseurs ne sont pas au niveau… Au contraire, il faut ce type de milonga pour les faire progresser et danser avec joie. Le canyengue n’est pas de la milonga…

Extrait musical

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Le piano incisif de Juan Polito qui venait de reprendre la main (je devrais dire les deux mains, puisqu’il s’agit de piano) après l’exclusion de Rodolfo Biagi de l’orchestre. Deux accords posent le tempo et le piano lance la milonga immédiatement. Des passages traspies (staccato) alternent avec des passages lisses (legato), ce qui permet aux danseurs, à la fois de varier les improvisations et de se reposer un peu, ou pour le moins de prendre leur marque dans le flot de la milonga pour s’intégrer dans l’harmonie du bal.
La vitesse semble très rapide, mais elle est suffisamment modérée pour pouvoir parfaitement jouer avec la musique.
L’attention est soutenue par l’alternance des parties et quand Echagüe commence à chanter, il reste totalement dans le rythme, ce rythme cher à D’Arienzo et qu’il ne sacrifiera surtout pas pour une milonga.
Les instruments, notamment les cordes et les bandonéons, semblent lancer des piques. Les accords sont brefs, nerveux. On se représente bien D’Arienzo, penché en avant avec l’avant-bras dont le poing est serré, encourageant ses musiciens à donner ces accords, un par un ou par salves nettes dans un staccato très intense, jusqu’aux délivrances des passages liés.
Si vous êtes danseur et intéressé par la musicalité, vous trouverez sans doute pas mal d’inspiration dans cette milonga ponctuée par les fioritures du piano de Polito dans la lignée de Biagi.
La diction de Echagüe, sans doute à son apogée dans cette interprétation, permet de capter les paroles, tout en utilisant la voix comme un instrument rythmique, favorisant la continuité stylistique avec les parties orchestrales.
La fin arrive de façon abrupte, comme si D’Arienzo après avoir lancé les danseurs dans une danse effrénée, voulait les pousser à la faute en les faisant continuer de bouger alors que la musique s’est arrêtée.
Bien sûr, cet enregistrement est tellement connu que les danseurs ne se laissent pas surprendre, mais on peut imaginer l’ambiance que le titre provoquait lors de ses premières exécutions.

Paroles

No la pintaron los poetas
en sus versos seductores,
ni conocieron su vida
ni el amor de sus amores.
Fue la más linda del barrio
y por linda, codiciada,
y más de cien entreveros
su belleza provocó.

Pero ella bien conocía
quién en silencio la amaba
y a nadie al fin comprendía
pues con ninguno se daba;
por verla sola, muy sola,
mil comentarios se hicieron
y difamaron su nombre
al no conseguir su amor.

Aquel muchacho tan triste,
tan humilde y tan sencillo,
se fue en silencio una noche
del alegre conventillo.
Y aquella piba bonita
por bonita codiciada,
cargó una tarde sus cosas,
y a su barrio no volvió.

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

Traduction libre

Les poètes ne l’ont pas peinte dans leurs vers séducteurs ni ne connurent sa vie ni l’amour de ses amours.
C’était la plus belle du quartier et parce qu’elle était belle, convoitée, et plus d’une centaine de bagarres, sa beauté a provoqué.
Mais elle savait bien qui l’aimait en silence, et elle ne comprenait personne à la fin, car à aucun elle se donnait ;
À la voir seule, très seule, mille commentaires se firent et diffamèrent son nom, car ils n’avaient pas obtenu son amour.
Ce garçon, si triste, si humble et si simple, sortit en silence une nuit du joyeux conventillo (logement collectif pauvre).
Et cette jolie fille, convoitée pour sa beauté, une après-midi, a emporté ses affaires, et elle n’est pas revenue dans son quartier.

Autres versions

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre milonga du jour.
Milonga querida 1990c – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Avec l’Uruguayen Villasboas, on reste dans une dimension joueuse. On reconnaît son style et ses arrangements particuliers. Son piano est sans doute moins présent que celui de Polito, cela laisse plus de clarté pour les violons et bandonéons. On pourra peut être moins apprécier la trop grande régularité qui peuvent engendrer de la monotonie. Je pense qu’écouter cette version après celles de D’Arienzo qui lui est antérieure d’un demi-siècle montre bien la différence d’une musique parfaite pour la danse par rapport à une musique sympathique, mais qui ne porte pas aussi bien.

Et un titre identique, mais totalement différent. C’est une création de Eduardo Pereyra (El Chon) qui est encore dans l’esprit canyengue.

Milonga querida 1931-11-23 – Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.


On ne peut pas dire que ce soit vilain, mais sauf pour les amateurs d’encuentros, difficile de résister (dans le sens supporter) à une tanda de ce type…
La fin un peu plus vivante ne sauve pas forcément l’ensemble…

Vous aurez compris que si on me demande « Milonga querida » je proposerai systématiquement la version de D’Arienzo et Echagüe.

Paroles du tango « Milongua querida » de Eduardo Pereyra

Milonguita querendona
Mi más vieja compañera,
Te llevo en el corazón
Como al más fiel de mis amores.

Tu canción es el recuerdo
De mi vida aventurera,
Que me embriaga de dolor
Al recordar aquel tiempo mejor.

Eduardo Pereyra (El Chon) (Paroles et musique)

Traduction libre du texte de Eduardo Pereyra (El Chon)

Petite milonga amoureuse (qui s’énamoure facilement)
Ma plus vieille compagne,
Je te porte dans mon cœur
Comme le plus fidèle de mes amours.


Ta chanson est le souvenir
De ma vie aventureuse,
Qui m’enivre de douleur
Au souvenir de ces temps meilleurs.
Le texte fait sans doute plus penser aux textes des milongas des payadores qu’au rythme allègre qui en reprendra le nom.

Les auteurs

La collaboration entre Juan Larenza et Lito Bayardo a donné la très célèbre zamba, Mama vieja, que De Angelis enregistrera en forme de valse, comme la magnifique valse Flores del alma (dont les paroles ont été coécrites avec Alfredo Lucero).

Juan Larenza (1911-1980), pianiste et compositeur

Juan Larenza

Les compositions de Larenza ont été enregistrées par de nombreux orchestres, dont De Angelis, D’Arienzo, Aníbal Troilo (avec le fameux Guapeando) et même Di Sarli.
Sa plus célèbre biographie a été écrite ; justement par Lito Bayardo dans son ouvrage « Mis 50 años con la canción argentina »

Le livre de Lito Bayardo50 años con la canción argentina” dans lequel il parle de son ami Juan Larenza. À droite, Larenza est le deuxième en partant de la droite et Bayardo le troisième.

Manuel Juan García Ferrari (1905-1986), plus connu comme Lito Bayardo, guitariste, chanteur, compositeur et parolier

Bayardo a écrit à la fois des textes de tangos et a composé des tangos dont il était également le parolier. Un des plus connus est sans doute Cuatro lágrimas enregistré, notamment, par Ricardo Tanturi avec Enrique Campos, Francisco Canaro avec Alberto Arenas et Rodolfo Biagi avec Alberto Amor.

Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette valse bien sympathique, avec une introduction un peu plus longue que la moyenne, je pensais faire un petit encart sur le diapason, justifié par le changement effectué à cette époque par Biagi. À cause des réactions sur le sujet, je vais me concentrer sur le diapason pour cette anecdote. Nous voilà prêts à accorder nos violons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux principaux enregistrements de cette valse. Celui de Biagi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.

Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

D’un point de vue technique, cet enregistrement est sans doute le dernier enregistré avec le diapason à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Biagi s’accordera à 440Hz.
Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le premier enregistrement en 440Hz par Biagi. D’Arienzo a-t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est important pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écoutons plutôt les différences stylistiques entre les deux versions, c’est plus passionnant à mon goût.

Prisionero 1943-12-27 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

On remarque tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue introduction de Biagi. C’est classique chez D’Arienzo qui aime bien rentrer directement dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Malgré l’absence des 21 secondes d’introduction de la version de Biagi, la version de D’Arienzo fait 6 secondes de plus. S’il avait joué au même rythme que Biagi, sa version aurait totalisé 21 secondes de moins. Ce sont donc 27 secondes de différence, c’est beaucoup et beaucoup plus que le passage de 435 à 440 Hz dans la différence de sensation 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafiquer les deux enregistrements de la façon suivante :

  • J’ai enlevé l’introduction de Biagi.
Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la version de D’Arienzo pour la mettre au même rythme que celle de Biagi.
Prisionero 1943-12-27 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pouvez donc comparer les deux versions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sacrilège, car D’Arienzo a volontairement enregistré une version plus lente, mais cela me semble intéressant pour bien sentir les différences d’orchestrations sur la même partition.

  • Et comme je ne suis pas avare de fantaisies, je vous propose maintenant une version mixte comprenant la version de Biagi sans l’introduction dans le canal de gauche et la version de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remarquera que le mélange n’est pas si détonnant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un système stéréo, voire au casque.
Prisionero. Comparaison des deux versions à la même vitesse et synchronisées.

Prisionero. Version de Biagi sans introduction, dans le canal de gauche. Version de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez apprécié le petit jeu, vous pouvez avoir un autre particulier dans le dernier chapitre de cette anecdote, sur les diapasons. Un truc qui régale certains spécialistes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el viento
Que doma la distancia,
Baja a los valles
Y sube a las montañas.
Libre es el agua
Que se despeña y canta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmensidad…

Libre es el potro
Que al viento la melena,
Huele a las flores
Que es mata en la pradera.
Libre es el cóndor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvidar
Esclavo de un dolor
No tengo libertad…

Loco y cautivo
Cargado de cadenas,
Mi oscura cárcel
Me mata entre sus rejas.
Soy prisionero
De incurable pena,
Preso al recuerdo
De mi perdido bien.

Nada me priva
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy prisionero,
De los recuerdos
Que guarda el corazón.
Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la distance, descend dans les vallées et gravit les montagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immensité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hauteur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pousser, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le condor, seigneur de son sommet, moi qui ne sais pas oublier, esclave d’une douleur, je n’ai pas de liberté…
Fou et captif, chargé de chaînes, ma prison sombre me tue derrière les barreaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un discret jeu de mots).
Je suis prisonnier d’un chagrin incurable, emprisonné dans la mémoire de mon bien perdu.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’arrive pas à me libérer de la douleur.
Et malgré tout, je suis prisonnier des souvenirs que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le diapason est la fréquence de référence qui permet que tous les musiciens d’un orchestre jouent de façon harmonieuse.
Vous avez en tête les séances d’accordage qui précèdent une prestation.
Le principe est simple. On prend pour référence l’instrument le moins accordable rapidement, par exemple le piano qui est accordé avant le concert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps.
En l’absence de piano, les orchestres classiques se calent sur le hautbois, celui du « premier hautbois ». Ensuite, ses voisins, les autres instruments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous propose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remarquera que c’est bien le hautbois qui y donne le La3.

Installation interactive « Sous-ensemble » de Thierry Fournier – Enregistrement de l’accord pour chaque instrument.

La note de référence doit pouvoir être jouée par tous les instruments. Dans les concerts où il y a des instruments anciens, on est parfois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une tension exagérée des cordes sur des instruments fragiles.
En général, cela est défini à l’avance et on accorde le piano en conséquence avant le concert.
La note de référence est généralement un La, le La3 (situé entre la deuxième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturellement sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les violons et altos, c’est la seconde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regardant le violon de face. Les musiciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par comparaison avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précédente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tango, le piano est généralement la base, mais quand c’est possible, on se cale sur le bandonéon qui n’est pas accordable pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe toujours le La3, n’a pas la même hauteur selon les époques et les régions.

Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.

  • Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.

Les membres de la commission étaient :
Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ;
Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ;
Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ;
Mansuete César Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences.
Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ;
Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ;
Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ;
Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ;
Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ;
Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.

  • Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
  • Les critiques contre le diapason uniforme…

On voit donc que l’histoire est un éternel recommencement et que les pinaillages actuels n’en sont que la continuité…

Vous pouvez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous permettront de constater la variété des diapasons, leur évolution et donc la nécessité de mettre de l’ordre et notamment de freiner le mouvement vers un diapason plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibrations ». Il faut donc diviser par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ainsi, le diapason de Paris indiqué 896 correspond à 448 Hz.

Tableau des diapasons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du diapason au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme (Arrêté du 17 juillet 1858) – Paris, le 1er février 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas consulté le document de 12 pages, il est encore temps de vous y référer, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pouvez le charger en PDF pour le lire plus facilement.

Si vous voulez entendre la différence entre le diapason à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous propose cette vidéo.

Diapason 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’histoire du diapason, cet article signalé par l’ami Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la question du diapason et de la vitesse en tango, je vous propose ce court article que j’avais écrit.

Et un article bien plus complet, mais en anglais de Michael Lavocah signalé par Angela.

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

On se damnerait pour ce tango de José Dames. Sa musique subtile et élégante remue l’âme et on ne peut cacher son émotion en le dansant. Les paroles d’Horacio Sanguinetti expliquent la puissance de la musique en révélant la bien triste histoire de celui qui étant parti ne retrouve pas son amour en revenant.

Extrait musical

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.

Le piano de Di Sarli lance les deux premières notes, deux accords puis la mélodie démarre ascendante, alternant les parties percutées et les parties glissées. Comme si deux émotions se partageaient la musique. Les vagues se relancent les unes après les autres, que ce soit au violon ou à la voix. La musique reste tout le temps, dansante, même lors des passages plus glissés. La fin se fait dans un ralentissement et se termine avec la voix de Podestá qui chante « amor ». En fait, il reste un petit paquet de notes au piano qui ponctuent la fin, un peu à la manière de Caló, Caló que vous pourrez entendre dans le chapitre « autres versions ».
Mais pour l’instant, intéressons-nous aux belles et poignantes paroles d’Horacio Sanguinetti.

Les paroles

He llegado hasta tu casa…
¡Yo no sé cómo he podido!
Si me han dicho que no estás,
que ya nunca volverás…
¡Si me han dicho que te has ido!
¡ Cuánta nieve hay en mi alma!
¡Qué silencio hay en tu puerta!
Al llegar hasta el umbral,
un candado de dolor
me detuvo el corazón.

Nada, nada queda en tu casa natal…
Sólo telarañas que teje el yuyal.
El rosal tampoco existe
y es seguro que se ha muerto al irte tú…
¡Todo es una cruz!
Nada, nada más que tristeza y quietud.
Nadie que me diga si vives aún…
¿ Dónde estás, para decirte
que hoy he vuelto arrepentido a buscar tu amor?


Ya me alejo de tu casa
y me voy ya ni sé dónde…
Sin querer te digo adiós
y hasta el eco de tu voz
de la nada me responde.
En la cruz de tu candado
por tu pena yo he rezado
y ha rodado en tu portón
una lágrima hecha flor
de mi pobre corazón.

José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Raúl Iriarte ne chante que ce qui est en gras et pas le dernier couplet. Alberto Amor et Alberto Podesta font de même, mais reprennent la fin du refrain (en bleu) pour terminer.

Traduction libre

Je suis arrivé à ta maison…
Je ne sais pas comment j’ai pu le faire !
S’ils m’ont dit que tu n’y es pas, que tu ne reviendras jamais…
S’ils m’ont dit que tu es partie !
Que de neige il y a dans mon âme !
Quel silence il y a à ta porte.
Alors que j’atteignais le seuil, un verrou de douleur a arrêté mon cœur.

Rien, rien ne reste dans ta maison natale… Seulement les toiles d’araignées que la végétation tisse.
Le rosier n’existe pas non plus, et il est certain qu’il est mort par ton départ.
Tout est une croix !
Rien, rien que de la tristesse et du calme.
Personne pour me dire si tu vis encore…
Où tu es, pour te dire qu’aujourd’hui je suis revenu repentant pour chercher ton amour ?

Je m’éloigne de ta maison et je m’en vais, je ne sais où…
Sans le vouloir, je te dis adieu et jusqu’à l’écho de ta voix, sortie du néant, me répond.
Sur la croix de ton verrou pour ta douleur, j’ai prié et une larme a roulé sur ta porte et fait fleurir mon pauvre cœur.

Autres versions

Nada est le titre de l’année 1944. Ses trois meilleures versions sont de cette année et je n’ai pas envie de vous proposer celles qui ne sont pas au même niveau ou pas dansables, notamment celles des années 60, comme Julio Sosa (1963), Fulvio Salmanca avec Luis Roca (1964), Juan D’Arienzo avec Jorge Valdez (1964), ou celles que Calo fera en 1965 avec Raúl del Mar ou en 1966 avec Ledesma (en vivo). Voici donc, par ordre chronologique, les trois versions enregistrées en deux mois, en 1944.

Nada 1944-03-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Comme Di Sarli, Caló commence par un « Ploum plum », puis expose avec notamment les cordes et quelques accents du piano le thème. Le bandonéon pleure à 0 h 47, puis à 1 h 5 commence Raúl Iriarte. Le rythme est bien marqué, notamment par des cordes percutées, cette marcation s’altère pour laisser la place aux passages émouvants. Le thème se termine par un joli trait de bandonéon et la fin classique de Caló égrenée au piano.

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Nada 1944-05-09 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.

Le début est également un « ploum ploum, ou plutôt un « tchac tchac » incisif. Le tempo est beaucoup plus soutenu que dans les deux autres versions. Malgré la jolie voix et l’interprétation de Alberto Amor, on perd un peu d’émotion, mais l’énergie de Biagi rend le titre très dansant.

Pour ma part, c’est la version de Di Sarli que je préfère, suivie de celle de Caló et enfin celle de Biagi. Je peux passer les trois en milonga, selon l’énergie et les circonstances du moment. Les DJ ont à leur disposition ces trois merveilleux enregistrements pour renouveler le bonheur des danseurs.

Sondage. Quelle est votre version préférée ?

L’histoire à laquelle vous avez failli échapper

Je n’ai pas envie de détruire la magie de ce tango magnifique en vous contant des histoires sur l’auteur des paroles, Horacio Basterra, alias Horacio Sanguinetti. Je laisse ceux que ça intéresse s’en charger. Sachez seulement qu’on a perdu sa trace et que différentes hypothèses essayent d’expliquer sa disparition, notamment qu’il aurait tué son beau-frère militaire et qu’il se serait enfui du pays.
Je ne retiens que la fin de cette histoire. S’il a quitté l’Argentine, c’est pour retourner au pays (l’Uruguay) pour essayer de retrouver celle qui lui a inspiré Nada. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
FIN.

Les images auxquelles vous avez failli échapper

Lisón 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

José Ranieri Letra : Julián Centeya

Lison est un prénom à la mode depuis la fin du vingtième siècle. Il y a donc à parier que dans la nouvelle génération de danseuses de tango, nous allons avoir prochainement des Lison. Ce tango sera donc utile pour mettre en valeur une de ces danseuses. Les Lisón des années 40 étaient ces grisettes qui avaient quitté la France pour venir participer au «rêve» argentin.

Les auteurs

José Ranieri

José Ranieri (José Ranieri Magarotti) est également connu sous les pseudonymes de Pirula et Rudy Grant. Ne pas le confondre avec José Ranieri Virdo, flûtiste et trompettiste de Canaro.
Le José Ranieri du jour est né à Buenos Aires le 20 décembre 1911 et décédé le 9 novembre 1972 (je ne sais pas où).
Il était bandonéoniste, trompettiste et compositeur.

José Ranieri compositeur de tango et de jazz

Parmi ses compositions (tangos et jazz), citons :
A los muchachos (Pa’ los muchachos), Cantares de oriente, Dibujos, La negra quiere bailar, La novia del mar, Lisón, Muñequita de París, Noches blancas, Oh ! Ma chérie, Pa’ los muchachos, Que no sepan las estrellas, Que te cuente mi violín, Sólo una novia, Te quiero todavía.

José Ranieri trompettiste

Comme trompettiste, c’est un scoop, car je n’ai trouvé nulle part la mention qu’il était trompettiste. Je répare donc cette lacune…

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).

Vous avez certainement déjà entendu ce Fox-trot, car certains DJ de tango le passent comme milonga… Il y a deux trompettes, celle d’Ignacio Verrotti et celle de José Ranieri.

Cantares de oriente 1931-03-26 — Adolfo Carabelli Jazz Band con Francisco Donaldson. Un autre fox-trot où il intervient à la trompette avec Verrotti. Il en est également le compositeur.
Oh ! Ma chérie 1932-03 — Orquesta Adolfo Carabelli, dont il est aussi le compositeur.

Noches Blancas — Elio Rietti y su Jazz Band.

Là, il y a trois trompettes, celle de Gaetano Ochipinti s’est rajoutée aux deux autres. Ranieri a également composé ce titre. Je vous le donne à écouter. Mais difficile de dire laquelle des trompettes est la sienne.

José Ranieri bandonéoniste

Curieusement, si aucun site ne parle de Ranieri comme flûtiste ou trompettiste, tous disent qu’il était bandonéoniste, mais impossible de le trouver mentionné.
J’en suis donc réduit à des hypothèses.
Le 26 mars 1931, Carabelli enregistre deux titres. Cantares de oriente et Por qué?, un tango d’Osvaldo Fresedo et Emilio Augusto Oscar Fresedo pour les paroles. Le chanteur est le même que pour Cantares de oriente et ce titre n’utilise pas la trompette. Est-il exagéré de suggérer que Ranieri pourrait avoir joué du bandonéon, puisque ce serait son instrument principal dans cet orchestre ? Je n’ai aucune preuve de cela, mais je garde l’idée sous le coude, d’autant plus que durant cette période Carabelli a enregistré divers Paso Dobles ou Fox-trots conjointement à des tangos.
Dernière hypothèse, existe-t-il un lien de parenté entre les deux José Ranieri ? Magarotti pourrait être le nom de la femme de son père et Virdo, celui de la femme de son grand-père paternel. Pas facile d’avoir des informations sur des instrumentistes discrets, plus d’un siècle après les faits (pas trouvé dans les sites de généalogie).

Julián Centeya (Amleto Enrico Vergiati)

Julián Centeya est un poète et auteur de paroles de tango. Vous l’avez tous entendu au début de Café Dominguez de Ángel D’Agostino. C’est lui qui dit le récitatif « Café Dominguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda… ».
Il a mis les paroles sur le tango du jour, Lisón, notre tango du jour, mais aussi sur Pa’ los muchachos (que l’on connaît chanté par Roberto Rufino avec l’orchestre de Carlos Di Sarli ou par Ángel Vargas et son orchestre dirigé par Eduardo Del Piano).
On lui doit aussi les paroles de :
Claudinette, avec la musique de Enrique Pedro Delfino.
Este cuore, avec la musique de Daniel Melingo.
Felicita, avec la musique de Hugo del Carril.
Julián Centeya, avec la musique de José Canet (on n’est jamais si bien servi que par soi-même).
La vi llegar, avec la musique de Enrique Francini.
Lisón, avec la musique de Ranieri (notre tango du jour).
Lluvia de abril, avec la musique de Enrique Francini.
Más allá de mi rencor, avec la musique de Lucio Demare.

Extrait musical

Avec tous ces propos liminaires, vous pensiez que nous n’y arriverons pas. Mais voici le tango du jour…

Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.

Ce tango est assez rarement passé en milonga. Je pense que c’est en partie à cause de ses faux départs et de ses arrêts intempestifs. En effet, le rythme de la musique est cassé à de nombreuses reprises. Ce n’est pas forcément très agréable pour la danse.

Les paroles

Lisón
Tu amor quedó en mi corazón.
Lisón, dulce Lisón.
Y fue
La melodía de tu voz
Sentí triste canción.
Lisón
Eran tus manos blancas
Y yo soñaba con la luna
Vida mía.
En un
Romance azul de juventud
Lisón, dulce Lisón.

Muchachita de ojos negros
La canción
Del buen amor.
En la sombra de los muelles
Es invierno cruel y llueve,
Pasa el viento que te nombra,
Y yo sueño entre las sombras
Que te llama, corazón
Con este amor.

José Ranieri Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Lison
Ton amour est resté dans mon cœur.
Lison, douce Lison.
Et c’était la mélodie de ta voix, que je sentais être une triste chanson.
Lison
C’étaient tes mains blanches, et j’ai rêvé de la lune, ma vie.
Dans une romance bleue de jeunesse Lison, douce Lison.

Fille aux yeux noirs, la chanson du bon amour.
Dans l’ombre des quais c’est l’hiver cruel et il pleut, le vent qui te nomme passe, et je rêve dans l’ombre, qu’il t’appelle, cœur, avec cet amour.

Autres versions

Ce titre n’a pas eu un énorme succès, il n’a été enregistré que deux fois, en 1944.

Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor. C’est notre tango du jour
Lisón 1944-10-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera.

Cette version est beaucoup plus liée. Les pauses sont mieux annoncées et si la version est plutôt moins énergique, elle peut convenir à une tanda de retour au calme, après une tanda de milonga par exemple. La voix plus rare d’Alberto Rivera n’est pas désagréable et la musique est sympathique, elle reste dansable, même si ce n’est pas un des 50 titres indispensables sur l’île déserte.

Qui était Lisón ?

Lison était un prénom courant en France au début du vingtième siècle, voire un surnom courant. La jeune femme aux yeux noirs de la chanson est donc probablement une de ces grisettes qui effectuaient des travaux domestiques ou peuplaient les maisons closes de l’époque, comme tant d’autres qui ont inspiré les compositeurs et auteurs de l’époque.
Vous pouvez vous reporter à mes autres anecdotes de tango sur le sujet, notamment En Lo de Laura, El Porteñito, Madame Ivone, Bajo el cono azul ou Mañanitas de Montmartre (avant l’exportation…).
En France, un autre tango porte le prénom Lison dans son titre : Tango pour Lison 1943 de Louis Moisello avec des paroles d’Achem.
En France, toujours, le film musical Ils sont dans les vignes réalisé par Robert Vernay et sorti en 1952 contient une chanson (valse) Le jupon de Lison chantée par Line Renaud. C’est un titre de Louis Gasté (Loulou) et avec des paroles de Bernard Michel et Philippe Gérard.
Pour revenir à la Lisón du tango du jour. Impossible à savoir vu le peu d’informations sur la vie privée des auteurs et le nombre conséquent de Lisón qui ont hanté les pensées des hommes de Buenos Aires.