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Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna

Osmar Maderna

Vous n’avez sans doute jamais dan­sé sur des musiques de Mader­na et c’est sans doute ras­sur­ant quant aux choix des DJ. Cepen­dant, la cul­ture tan­go va au-delà de la danse et il me sem­ble intéres­sant de s’intéresser à cet OVNI du tan­go qu’est Osmar Mader­na. Je vous invite à gravir les degrés d’une gamme bleue pour décou­vrir ce com­pos­i­teur et chef d’orchestre à part.

 Extrait musical

Par­ti­tion de Escalas en azul de Osmar Mader­na.
Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na

Il n’est pas très dif­fi­cile de devin­er d’où vient le titre. Le terme de escalas en musique peut être traduit par gammes. On notera que le piano joue tout au long de l’œuvre des gammes, c’est-à-dire des suc­ces­sions de notes ascen­dantes ou descen­dantes. Ce style orne­men­tal est typ­ique de Mader­na.
Le reste de l’orchestre sem­ble dédié à l’accompagnement du piano qui voltige au-dessus des autres instru­ments.
Le tem­po est bien mar­qué, souligné par les ban­donéons et les cordes qui effectuent des paus­es précédées d’élans, un peu comme dans une ranchera.
La musique est inter­prétée de façon vir­tu­ose qui donne une impres­sion de très grande vitesse.
Des danseurs piégés par un DJ facétieux qui se retrou­veraient sur la piste pour­raient s’appuyer sur cette présence du rythme pour garder une cadence raisonnable et ne pas se lancer dans des pas fébriles et ridicule­ment rapi­des.
Même si on n’est pas dans un rythme ter­naire de valse, une éventuelle inter­pré­ta­tion dan­sée de ce titre pour­rait s’apparenter à celui d’une valse. Des temps bien mar­qués et des mou­ve­ments tour­nants, toniques, mais pas ver­tig­ineux.
On notera les nom­breux change­ments de tonal­ité et la richesse des vari­a­tions et des par­ties. On est plus en face d’une com­po­si­tion de musique clas­sique que d’un tan­go tra­di­tion­nel.
Je ne vous encour­agerai pas à danser ce titre, mais à l’écouter atten­tive­ment, assuré­ment.
Osmar Mader­na

Mader­na a rel­a­tive­ment peu enreg­istré. Avec un peu plus d’une soix­an­taine d’enregistrements, c’est presque éton­nant que son nom nous soit par­venu.

Des orchestres plus pro­lifiques sont passés aux oubli­ettes.

Les musiciens de Maderna

Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1946, en Uruguay, puis, la même année pour la Vic­tor, et cela jusqu’en 1951. Les musi­ciens des derniers enreg­istrements sont un peu dif­férents, mais je vous pro­pose ici, ceux qui ont par­ticipé à l’enregistrement de Escalas en azul, enreg­istré le 17 mai 1947.
Osmar Mader­na (Direc­tion et piano)
Felipe Ric­cia­r­di, Eduar­do Rovi­ra, José Cam­bareri et Leopol­do Fed­eri­co (ban­donéon). Comme on peut le remar­quer, des musi­ciens de pre­mier plan et plutôt vir­tu­os­es.
Aquiles Rog­gero, Harol­do Ghe­sagui et Angel Bodas (vio­lon)
Ariel Ped­ern­era (con­tre­basse)

Une par­tie de ces musi­ciens vient, tout comme Mader­na (qui avait rem­placé Stam­poni au piano en 1939), de l’orchestre de Miguel Caló (1941–1945), ce sont donc des estrel­las (étoiles). Ces transfuges sont :
Felipe Ric­cia­r­di et José Cam­bareri (le mage du ban­donéon, con­nu pour ses tem­pos de folie). Atten­tion, au pupitre des ban­donéons de Caló, on trou­ve aus­si un Fed­eri­co, Domin­go de son prénom, mais il n’est pas appar­en­té à Leopol­do.
À la con­tre­basse, c’est le même Ariel Ped­er­na qui œuvre.

Pour l’anecdote, on notera qu’il y avait un vio­loniste prénom­mé Aquiles dans les deux orchestres. Aguilar pour Caló et Rog­gero pour Mader­na. Ce dernier, Aguilar Rog­gero, dirig­era un orchestre en l’honneur de Mader­na qui était décédé dans un acci­dent d’avion (28/04/1951), l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na”.

La Orquesta Símbolo “Osmar Maderna”

L’année suiv­ant la mort de Mader­na, l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” reprend une par­tie du réper­toire et des com­po­si­tions de Mader­na.
Orlan­do Tripo­di rem­place Osmar Mader­na au piano.
Aquiles Rog­gero, con­tin­ue à tenir le vio­lon, tout en dirigeant et étab­lis­sant les arrange­ments de l’orchestre. Le pupitre des vio­lons est com­plété par Car­los Tav­er­na, Edmun­do Baya, et Este­ban Cañete.
Au ban­donéon, on retrou­ve Felipe Ric­cia­r­di, son frère Jorge, Héc­tor Let­tera et Toto Pan­ti pour com­pléter le pupitre des ban­donéons.
Víc­tor Mon­teleone tient la con­tre­basse.

L’orchestre sem­ble avoir cessé les enreg­istrements après la mort de Aquiles Rog­gero, ce dernier étant juste­ment mort d’une crise car­diaque lors d’une séance, en 1977. Ces enreg­istrements ne sem­blent pas avoir été pub­liés.

Autres versions

Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na. C’est notre tan­go du jour.
Escalas en azul 1959-06-17 — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Un immense mer­ci au col­lègue et col­lec­tion­neur Michael Sat­tler qui m’a procuré ce titre en bonne qual­ité.

Cette ver­sion est proche de celle enreg­istrée en 1950, comme on peut l’entendre et même voir dans l’illustration ci-dessous. Le tem­po est le même, les paus­es sont syn­chro­nisées et les deux ver­sions peu­vent être jouées ensem­ble durant les 40 pre­mières sec­on­des sans prob­lèmes nota­bles.

En haut, en vert la ver­sion de 1950 par Osmar Mader­na. En bas, en vio­let, la ver­sion de 1959 par la Orques­ta Sím­bo­lo.

Cette simil­i­tude vrai­ment frap­pante est la preuve que l’hommage à Osmar Mader­na, trag­ique­ment dis­paru n’est pas seule­ment dans le nom de l’orchestre, mais aus­si dans le respect de son style.

Ce respect est peut-être une autre expli­ca­tion, avec sa mort gardeli­enne, du fait que Mader­na n’est pas tombé dans l’oubli. Les ver­sions bril­lantes étaient bien adap­tées aux années 60–70, années où la danse était passé au sec­ond plan.

Selec­ción de Osmar Mader­na 1968 (Pot­pour­ri) — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Encore dix ans plus tard, une autre ver­sion de Escalas en azul. Ce pot­pour­ri com­porte trois titres com­posés par Mader­na ; Escalas en azul, Llu­via de estrel­las et Concier­to en la luna. Un DJ facétieux pour­rait en faire une tan­da…
Dans ces trois titres, on recon­naît la prépondérance du piano, comme dans les enreg­istrements de Mader­na. La tâche de Orlan­do Tripo­di a été de con­tin­uer à faire vivre le style de jeu si par­ti­c­uli­er de Mader­na.

Ce titre, comme la plu­part des enreg­istrements de Mader­na, n’est pas des­tiné à la danse, tout comme son célèbre vol du bour­don (El vue­lo del moscardón) qu’il a adap­té de l’œuvre de Niko­lai Rim­sky-Kor­sakov et que je vous pro­pose d’écouter pour ter­min­er ce petit hom­mage à Osmar Mader­na.

El vue­lo del moscardón 1946-05-13 — Orques­ta Osmar Mader­na.

Dans ce thème, le piano est le bour­don qui volette et la sen­sa­tion de rapid­ité est encore plus vive que dans notre tan­go du jour. L’orchestre est moins présent pour don­ner tout son envol au bour­don à dents blanch­es et noires.

El vue­lo del moscardón

À bien­tôt, les amis !

En tus ojos de cielo 1944-07-10 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieuse­ment, Osmar Mader­na ne sem­ble pas avoir enreg­istré ce titre qu’il a com­posé. Pour­tant, dans la ver­sion de Caló, on recon­naît bien son orches­tra­tion. Si on creuse un peu la ques­tion, on se rend compte qu’il l’a enreg­istré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musi­ciens excep­tion­nels de cet orchestre. Il était dif­fi­cile de faire mieux pour met­tre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tan­go.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Mader­na. Son style déli­cat et sim­ple cadre par­faite­ment avec la mer­veilleuse déc­la­ra­tion d’amour que con­stitue ce tan­go. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Ban­donéons : Domin­go Fed­eri­co, Arman­do Pon­tier, José Cam­bareri (le mage du ban­donéon et sa vir­tu­osité épous­tou­flante) et Felipe Ric­cia­r­di.
Vio­lons : Enrique Franci­ni, Aquiles Aguilar, Ari­ol Ghe­saghi et Angel Bodas.
Con­tre­basse : Ariel Ped­ern­era, dont nous avons enten­du la ver­sion mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci — Par­ti­tion de En tus ojos de cielo — Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enreg­istrements de notre tan­go du jour, je vous pro­pose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfi­no. Ce titre a été enreg­istré trois jours plus tôt, le ven­dre­di 7 juil­let 1944.

Sans souci 1944-07-07 — Orques­ta Miguel Caló (Enrique Delfi­no).

Pour ceux qui aiment faire des tan­das mixtes, il est envis­age­able de pass­er les deux faces du disque dans la même tan­da. En effet, dans une milon­ga courte (5 heures), on passe rarement deux tan­das de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instru­men­tal et chan­té, on peut com­mencer par deux titres chan­tés, puis ter­min­er par deux titres instru­men­taux. Les titres instru­men­taux sont sou­vent un peu plus toniques ce qui jus­ti­fie de les plac­er à la fin. Par ailleurs, ils sont aus­si un peu plus intéres­sants pour la danse avec cer­tains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’é­tant pas au ser­vice du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque asso­ci­a­tion doit se faire en fonc­tion du moment et des danseurs. On peut même envis­ager une tan­da instru­men­tale tonique qui ter­mine de façon plus roman­tique, par exem­ple en fin de milon­ga.

Paroles

Je trou­ve que c’est un mag­nifique poème d’amour. Luis Rubis­tein a fait ici une œuvre splen­dide.

Como una piedra tira­da en el camino,
era mi vida, sin ter­nuras y sin fe,
pero una noche Dios te tra­jo a mi des­ti­no
y entonces con tu embru­jo me des­perté…
Eras un sueño de estrel­las y luceros,
eras un ángel con per­fume celes­tial.
Aho­ra sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mun­do mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azu­la­da can­ción,
ten­go mi alma per­di­da,
pupi­las dormi­das
en mi corazón…

Vos dijiste que, al fin, la vida es bue­na
cuan­do un car­iño nos embru­ja el corazón,
con tu ter­nu­ra, luz de som­bra para mi pena,
mi som­bra ya no es som­bra porque es can­ción…
Sólo me res­ta decir ¡ben­di­ta seas!,
alma de mi alma, esper­an­za y real­i­dad.
Ya nun­ca ha de arran­car­me de tus bra­zos,
porque en ellos hay amor, luz y ver­dad…

Osmar Mader­na (Osmar Héc­tor Mader­na) Letra: Luis Rubis­tein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans ten­dresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a con­duite à mon des­tin et depuis avec ton sor­tilège je me suis réveil­lé…
Tu étais un rêve d’é­toiles et d’astres (lucero peut par­ler de Vénus et des astres plus bril­lants que la moyenne), tu étais un ange au par­fum céleste.
Main­tenant seule­ment, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insom­nies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chan­son bleue, j’ai mon âme per­due, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finale­ment, la vie est bonne quand l’af­fec­tion envoûte nos cœurs, avec ta ten­dresse, lumière d’om­bre pour mon cha­grin, mon ombre désor­mais n’est plus une ombre, car c’est une chan­son…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réal­ité.
Main­tenant, rien ne m’ar­rachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tan­gos. Ici, ils sont le par­adis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrou­ve le même thème chez Fran­cis­co Bohi­gas dans El cielo en tus ojos

El cielo en tus ojos
yo vi ama­da mía,
y des­de ese día
en tu amor con­fié,
el cielo en tus ojos
me habló de ale­grías,
me habló de ter­nuras
me dió valen­tías,
el cielo en tus ojos
rehi­zo mi ser.

Fran­cis­co Bohi­gas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à par­tir de ce jour-là j’ai fait con­fi­ance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a par­lé de joie, il m’a par­lé de ten­dresse, il m’a don­né du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Home­ro Expósi­to, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suff­isent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más lin­da
que ata­ba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuer­do.

Qué me van a hablar de amorHome­ro Expósi­to
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est dev­enue un sou­venir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évo­qué que très briève­ment, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notam­ment Ital­iens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majori­taires…

  • Tus ojos de tri­go (blé) dans Tu casa ya no está de Vir­gilio et son frère Home­ro Expósi­to, valse enreg­istrée par Osval­do Pugliese avec Rober­to Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tan­go par Juan Canaro) et vals par Hum­ber­to Canaro Letra: Alfre­do Defilpo (superbe dans son inter­pré­ta­tion par Fran­cis­co Canaro et Fran­cis­co Amor, ain­si qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Sal­vador Fed­eri­co Valverde; Rafael de León; Arias de Saave­dra.
  • Tus ojos de azú­car que­ma­da (sucre brûlé) de Pedac­i­to de Cielo de Home­ro Expósi­to, valse enreg­istrée par divers orchestres dont Troi­lo avec Fiorenti­no en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Gre­co et des paroles de José Aro­las (frère aîné de Eduar­do) et d’autres de Pedro Numa Cór­do­ba, mais aus­si par Rosi­ta Mon­temar (musique et paroles)
  • Ojos negros que fasci­nan de Manuel Sali­na Letra: Florián Rey.
  • Mucha­chi­ta de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de José Dames Letra: Hora­cio San­guinet­ti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osval­do Adri­ani (paroli­er incon­nu)
  • Yo ven­do unos ojos negros de Pablo Ara Luce­na très con­nu dans l’interprétation de Mer­cedes Simone con Juan Car­los Cam­bon y Su Orques­ta mais qui est tiré d’une tona­da chile­na (chan­son chili­enne) dont une belle ver­sion a été enreg­istrée par Moreyra — Canale y su Con­jun­to Criol­lo avec des arrange­ments de Félix Vil­la.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces his­toires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Car­men, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…).
Mais non, je ne me suis pas per­du loin du tan­go. Bizet a écrit Car­men pour flat­ter la femme de Napoléon III d’origine espag­nole (Euge­nia de Mon­ti­jo, Guz­man). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des rem­parts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tan­gos, les milon­gas et la musique de Piaz­zol­la, car ne l’oublions pas, le pre­mier tan­go est d’origine espag­nole.

Georges Bizet — Car­men : ” L’amour est un oiseau rebelle” sur un rythme de habanera. 2010 — Eli­na Garan­ca — Met­ro­pol­i­tan Opera de New York Direc­tion, Yan­nick Nézet-Séguin.

Le tan­go est en effet né dans les théâtres et pas dans les bor­dels et son inspi­ra­tion est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) com­por­tait dif­férents rythmes dont la séguedille (que l’on retrou­ve dans Car­men dans Près des rem­parts de Séville) et la habanera. Les musi­ciens, qu’ils soient français ou espag­nols, con­nais­saient donc ces musiques.
En 1857 pour le spec­ta­cle (une sorte de zarzuela) El gau­cho de Buenos Aires O todos rabi­an por casarse de Estanis­lao del Cam­po, San­ti­a­go Ramos, un musi­cien espag­nol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidem­ment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui repren­nent la musique avec des adap­ta­tions et un titre légère­ment dif­férent. Je vous les pro­pose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta de la argen­tinidad con Rodol­fo Flo­rio y Car­los del Monte.

Évidem­ment, presque un siè­cle après l’écriture, il est cer­tain que les arrange­ments de Canaro ont mod­i­fié la com­po­si­tion orig­i­nale, mais je suis con­tent de vous avoir présen­té le tan­go au berceau.

D’autres can­di­dats comme Bar­to­lo tenía una flu­ta, dont on n’a, sem­ble-t-il, pas de trace, mais qui est évo­qué dans un cer­tain nom­bre de titres comme Bar­to­lo toca la flau­ta (ranchera) Che Bar­to­lo (tan­go) ou La flau­ta de Bar­to­lo (milon­ga) l’ont suivi.
Je cit­erai égale­ment El que­co (bor­del en lun­far­do d’o­rig­ine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Sil­va et dont le titre orig­inel était Kico (diminu­tif de Fran­cis­co. Le clar­inet­tiste Lino Galeano l’a adap­té à l’air du temps en changeant Kico pour Que­co, avec des paroles vul­gaires. Le titre orig­inel invi­tait Kico à danser, le nou­veau texte est bien moins élé­gant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bor­del, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Que­co a obtenu du suc­cès et fut l’un des tout pre­miers tan­gos à être large­ment dif­fusé et qui con­firme les orig­ines andalous­es du tan­go.
Je n’oublie pas l’origine « can­dom­béenne », on repar­lera un jour de El Negro Schico­ba com­posé en 1866 par José María Palazue­los et inter­prété pour la pre­mière fois par Ger­mán Mack­ay avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suiv­re.

À demain, les amis !

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

On asso­cie sou­vent Raúl Berón à Miguel Caló et on n’a pas tort. Berón com­mence vrai­ment sa car­rière avec Caló et la ter­mine avec lui. Cepen­dant, il y a eu quelques sépa­ra­tions, notam­ment en 1943, date de notre tan­go du jour. Dans cet inter­valle s’est glis­sé le tal­entueux Jorge Ortiz, un ténor alors que Caló priv­ilé­giait des voix plus graves de bary­tons. Je vous pro­pose d’écouter Mi can­tar par l’intérimaire de tal­ent, Jorge Ortiz.

Extrait musical

Mi can­tar 1943-05-21 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héc­tor Stam­poni (Luciano Héc­tor Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)].

Paroles

Mi can­tar
es un can­to de esper­an­za,
flor de yuyo, rabia mansa,
soledad.

Mi can­tar
lo robé de las estrel­las
en las horas de tris­teza
que tu adiós me dejó.
Calle­jón
de cari­cias y sonidos
que, lle­gan­do del olvi­do
dan moti­vo a mi can­ción.

Mi can­tar
es un can­to de esper­an­za,
es un gri­to de dolor.
Un ayer de per­fumes
y de flor,
y un adiós sin moti­vo,
y el ren­cor de esper­ar
y de esper­ar
escribió con olvi­do.

Mi can­tar
gra­cia ple­na del fra­ca­so,
con mi angus­tia, con tu aca­so,
con tu adiós.

Mi can­tar
cofre azul de lo imposi­ble,
noche siem­pre, noche hor­ri­ble,
noche así, como yo.
Corazón,
tú qué sabes de la angus­tia
de mi voz cansa­da y mus­tia,
no pre­tendas des­per­tar.

Mi can­tar
es la gra­cia del fra­ca­so,
es el no saber llo­rar.

Héc­tor Stam­poni (Luciano Héc­tor Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)

Traduction libre

Ma chan­son est une chan­son d’espoir, une fleur sauvage (fleur de mau­vaise herbe, voir Yuyo verde), une douce rage, une soli­tude.
J’ai volé mon chant aux étoiles dans les heures de tristesse que ton adieu m’a lais­sées.
Une ruelle de caress­es et de sons qui, venus de l’oubli,
don­nent rai­son à ma chan­son.
Ma chan­son est une chan­son d’espoir, c’est un cri de douleur.
Un hier de par­fums et de fleurs, et un adieu sans rai­son, et la rancœur de l’attente et de l’attente écrites dans l’oubli.
Mon chant de toute la grâce de l’échec, avec mon angoisse, avec tes hési­ta­tions, avec tes adieux.
Ma chan­son, cof­fre bleu de l’impossible, nuit de tou­jours, nuit hor­ri­ble, nuit ain­si, comme moi.
Mon cœur, toi qui con­nais l’angoisse de ma voix fatiguée et fanée (se dit aus­si d’une fleur), n’essaye pas de te réveiller.
Mon chant est la grâce de l’échec, celui de ne savoir pas pleur­er.

L’orchestre de Miguel Caló en 1943

Ce n’est pas pour rien que l’orchestre de Miguel Caló était appelé les Étoiles (Las Estrel­las). Il avait mon­té un orchestre excep­tion­nel. Presque chaque exé­cu­tant pour­rait faire l’objet d’une notice.
Ban­donéons : Domin­go Fed­eri­co, Arman­do Pon­tier, José Cam­bareri, Felipe Ric­cia­r­di
Piano : Osmar Mader­na
Vio­lons : Enrique Franci­ni, Aquiles Aguilar, Ari­ol Ghe­saghi, Angel Bodas
Con­tre­basse : Ariel Ped­ern­era
Chanteurs : Jorge Ortiz (ténor, celui de ce titre), Raúl Iri­arte et Alber­to Podestá (bary­tons). Sig­nalons aus­si pour mémoire Raúl Berón, un autre bary­ton qui est indis­so­cia­ble de l’orchestre de Miguel Caló. C’est qu’en 1943, Raúl Berón était avec l’orchestre de Lucio Demare. Il est retourné avec Caló seule­ment en 1944. Il y a donc un trou dans l’association avec Berón qui a duré de 1942 à 1963 (avec quelques trous, dont un grand en ce qui con­cerne les enreg­istrements entre 1950 et 1963…

Jorge Ortiz avec Miguel Caló

Curieuse­ment, ce titre est encore un orphe­lin. Per­son­ne n’a, sem­ble-t-il, eu l’idée de l’enregistrer à la suite de Caló et Ortiz.
Pour ter­min­er en musique, je vous pro­pose donc quelques exem­ples de tan­gos chan­tés par Jorge Ortiz avec l’orchestre de Calo :
La pre­mière ses­sion d’enregistrement, sur deux jours a don­né trois titres par­faits :

Bar­rio de tan­go 1943-01-19 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Aníbal Troi­lo Letra: Home­ro Manzi).
Pa’ qué seguir 1943-01-19 – Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Fran­cis­co Fiorenti­no Letra: Pedro Lloret).
A las siete en el café 1943-01-20 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Arman­do Baliot­ti Letra: San­ti­a­go Luis D. Adami­ni).

C’est une ver­sion bien plus intéres­sante que celle de Ángel D’agostino et Raúl Aldao, de la même année.
Cela com­mençait bien, non ?
Un mois plus tard, ils enreg­istrent :

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Luis Rubis­tein, Musique et paroles).

Une des plus impres­sion­nantes intro­duc­tions liées au monde fer­rovi­aire. Je vous laisse décou­vrir si vous ne con­nais­sez pas.

De bar­ro 1943-05-21 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi).

Pour moi, c’est un ovni, une soucoupe volante que l’on aura bien du mal à cas­er dans une tan­da de Caló.

Mi can­tar 1943-05-21 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héc­tor Stam­poni (Luciano Héc­tor Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)].

C’est notre tan­go du jour. Il me ras­sure sur l’association de Caló et Ortiz.
Le dernier titre enreg­istré par ces deux-là, c’est une milon­ga can­dombe :

Pobre negra 1943-06-10 — Enrique Mario Franci­ni; Héc­tor Stam­poni [Héc­tor Luciano Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)]

Le DJ qui veut faire une tan­da Calo Ortiz a 6 titres au choix (la milon­ga est orphe­line). Si on con­sid­ère que De bar­ro est à terre, il reste 5 titres… Pour une tan­da de qua­tre, il faut en élim­in­er un et pour une tan­da de trois, deux. C’est une des raisons où je trou­ve que les tan­das de qua­tre sont plus intéres­santes, car elles per­me­t­tent de faire des par­cours plus sub­tils que des tan­das de trois. Mais c’est un autre débat. Voir mon arti­cle Tan­da 5–4‑3–2‑1.

Mi can­tar