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Tigre viejo

Tigre viejo 1934-08-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Salvador Grupillo

Avec ses grandes cas­cades musi­cales qui se ter­mi­nent dans des écrase­ments impres­sion­nants, Tigre viejo (le vieux tigre) attire l’attention. C’est devenu un incon­tourn­able des milon­gas tant à Buenos Aires qu’en Europe dans la ver­sion d’Osvaldo Frese­do enreg­istrée en 1934.

Frese­do, « El Pibe de la Pater­nal » (le gamin de la Pater­nal, un quarti­er du nord-ouest de la ville de Buenos Aires) est claire­ment un chef d’orchestre de la vieille garde. Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1922 et une très grande par­tie de sa musique instru­men­tale, jusqu’à 1934, est mar­quée par les accents du canyengue avec un rythme mar­qué que Frese­do allège cepen­dant, notam­ment avec de jolis traits de vio­lon, voire de ban­donéon, son instru­ment. Tigre viejo est un titre charnière qui mar­que une tran­si­tion entre cette époque anci­enne et une plus mélodique, celle qu’il déploiera pro­gres­sive­ment avec les chanteurs Rober­to Ray et plus encore Ricar­do Ruiz. On con­sid­ère Frese­do comme un chef d’orchestre raf­finé con­venant bien aux audi­teurs de la bonne société.

Extrait musical

Partitura de Tigre viejo composé par Salvador Grupillo…
Par­ti­tu­ra de Tigre viejo com­posé par Sal­vador Grupil­lo…
Tigre viejo 1934-08-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do

On remar­que dès le début de Tigre viejo la puis­sance du rythme, bien appuyé, mais à par­tir de 19 sec­on­des sur­git un élé­ment per­tur­ba­teur, une spi­rale vibrante des vio­lons qui sem­ble tomber pour s’aplatir dans un lourd accord de piano. Frese­do sera friand de cet effet qu’il emploiera jusqu’à la fin de sa car­rière, comme dans Pimien­ta de 1962.
Les vio­lons et les ban­donéons sont chan­tants et le piano leur donne la réponse. Les vio­lons alter­nent les pizzi­cati et le jeu lega­to, par­fois, en se sub­di­visant pour faire cohab­iter les deux styles.
Les grandes vagues des vio­lons et des ban­donéons don­nent un car­ac­tère nos­tal­gique et on se prend à penser à un vieux tigre, triste de sen­tir les forces s’en aller, mais avec suff­isam­ment de vigueur pour vivre les traits énergiques pro­posés par Frese­do.

Une édition par les éditions Melos. C’est pour un cuarteto, mais cela peut être facilement étendue en doublant les parties de violons et bandonéons. On remarque les vagues évoquées, elles se retrouvent graphiquement dans l’édition musicale… https://melos.com.ar/
Une édi­tion par les édi­tions Melos. C’est pour un cuar­te­to, mais cela peut être facile­ment éten­due en dou­blant les par­ties de vio­lons et ban­donéons. On remar­que les vagues évo­quées, elles se retrou­vent graphique­ment dans l’édition musi­cale… https://melos.com.ar/

Autres versions

Même si elle est de très loin la plus célèbre, la ver­sion enreg­istrée de Frese­do n’est pas la plus anci­enne. L’année précé­dente, Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, avait enreg­istré une ver­sion plutôt sur­prenante.

Tigre viejo 1933 — Sex­te­to de Elvi­no Var­daro.

Elvi­no Var­daro et Hugo Bar­alis (vio­lonistes), Jorge Argenti­no Fer­nán­dez et Aníbal Troi­lo (ban­donéon­istes, Pedro Carac­ci­o­lo (Con­tre­bassiste) et José Pas­cual (Pianiste). Cette ver­sion dans l’esprit de De Caro, presque étrange, aura bien du mal à sat­is­faire les danseurs, notam­ment car elle est rem­plie de sur­pris­es ren­dant l’improvisation impos­si­ble. Au côté des deux excel­lents vio­lonistes, on notera la qual­ité des musi­ciens au ser­vice de cette ver­sion et notam­ment la présence d’Anibal Troi­lo, âgé de 19 ans lors de cet enreg­istrement.

Tigre viejo 1934-08-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

Une ver­sion par­faite­ment dans­able et sans doute bien­v­enue après l’expérience pro­posée par Var­daro.

Tigre viejo 1947-07-08 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

La ver­sion de Enrique Franci­ni et Arman­do Pon­tier a sans doute plus de points com­muns avec l’interprétation de Var­daro.

Tigre viejo 1948 — Orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Comme l’indique le nom de l’orchestre, Pizarro a fait une par­tie très impor­tante de sa car­rière en France, où il est arrivé en 1920 et y où il est mort en 1982. Bien sûr, il a fait de nom­breux voy­ages et sa présence en France n’a pas été con­tin­ue.

Tigre viejo 1969-09-18 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Dans sa péri­ode tar­dive, D’Arienzo pro­pose une ver­sion peu facile à danser, ce qui est plutôt rare chez lui. On con­sid­ér­era sans doute cette ver­sion comme une curiosité, plus que comme une per­le à pro­pos­er en milon­ga.

Tigre viejo 2011 — Hype­r­i­on Ensem­ble.

Hype­r­i­on est dans l’ensemble un orchestre de danse. Il pro­pose cette ver­sion qui évoque celle de Frese­do. Cepen­dant, si cela est sans doute un peu dans­able, il n’y a prob­a­ble­ment aucune rai­son de pro­pos­er cette ver­sion en milon­ga.

Atten­tion, je par­le du point de vue du DJ, pas de celui du Directeur artis­tique. En effet, un orchestre peut se per­me­t­tre des musiques un peu moins con­sen­suelles, il y a l’effet orchestre qui mod­i­fie l’écoute des danseurs. C’est un peu comme quand on passe des dis­ques noirs, les danseurs réagis­sent dif­férem­ment, même si le son est rigoureuse­ment iden­tique (copie numérique de bonne qual­ité du disque 78 tours, par exem­ple).

Tigre viejo 2017 — Tan­go Bar­do.

Cet autre orchestre con­tem­po­rain s’inspire de Frese­do en appor­tant une note énergique qui peut tout à fait con­venir aux danseurs actuels. Dis­ons que, si l’on souhaite chang­er de la ver­sion de Frese­do, on peut con­sid­ér­er cet enreg­istrement. https://tangobardo.bandcamp.com/track/tigre-viejo

Tigre viejo 2018 — Esquina Sur.

Une ver­sion dans l’esprit de Frese­do et qui se révèle dans­able, même s’il lui manque sans doute un peu de l’âme qu’avait su don­ner Frese­do.

Tigre viejo 2021 (in the style of Enrique Franci­ni & Arman­do Pon­tier) — Cuar­te­to SolTan­go.

Comme ils l’annoncent, cette inter­pré­ta­tion s’inspire de celle de Enrique Franci­ni et Arman­do Pon­tier et elle rejoint la grande lignée des ver­sions des­tinées exclu­sive­ment à l’écoute.

Tigre viejo 2023 — Estación Buenos Aires Quar­tet.

C’est tou­jours sym­pa de voir les musi­ciens. Voici donc une vidéo de 2023. Atten­tion, il manque la fin. Vous devrez donc acquérir la piste si vous souhaitez l’entendre en entier. https://www.halidonmusic.com/it/tango-from-origins-to-piazzolla-album-8104.html

Même si on peut envis­ager de la pro­pos­er en milon­ga, je trou­ve qu’il ne jus­ti­fie pas de déclass­er Frese­do, qui reste, pour ma part, le seul à avoir sat­is­fait les danseurs.

D’autres vieux tigres

Le titre a été util­isé pour divers­es œuvres. Pour votre amuse­ment, en voici qua­tre exem­ples :

Tigre viejo 1926-12-06 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Adol­fo Cara­bel­li. (Nicolás Guas­tavi­no Ara­gay)
Tigre viejo 1934 — Impe­rio Argenti­na con Gui­tar­ras (Enrique Nieto de Moli­na — Toko — Jose Abel­da).
Tigre viejo 2022 — José Romero Bel­lo Con Joseito Romero y Nativi­dad Díaz. Une com­po­si­tion inter­prétée à la harpe.
Tigre viejo 1960 — Ángel C. Loy­ola y sus Guariqueños (José Ren­jiló y Ángel Cus­to­dio Loy­ola).

Grupillo et les tigres

Je n’ai pas d’explication sur l’origine de ce titre. Le tigre était, par exem­ple le ban­donéon­iste Eduar­do Aro­las. Ce dernier a con­nu une fin trag­ique, alcoolique et tuber­culeux à Paris, de quoi faire un thème pour un tan­go. D’ailleurs, le tan­go de Nicolás Guas­tavi­no Ara­gay por­tant le même titre et enreg­istré par Cara­bel­li avec l’orchestre de la Vic­tor est de 1926, deux ans après la mort d’Arolas, ce qui est un bon délai pour un enreg­istrement en hom­mage.

Un tigre, cela peut être aus­si, en lun­far­do, une per­son­ne souf­frant de var­i­ole avec le vis­age grêlé, une per­son­ne cru­elle et san­guinaire, ou au con­traire, quelqu’un d’habile, mais l’un n’empêche cepen­dant pas l’autre. C’est aus­si, dans l’argot des pris­ons, celui qui net­toie les excré­ments…

Grupil­lo, quant à lui, est né dans les Pouilles et est donc un de ces si nom­breux Ital­iens d’origine mod­este pour ne pas dire pau­vre qui ont peu­plé l’Argentine.

Ma chasse au tigre

En 2009, j’ai par­lé pour la pre­mière fois avec Dany Borel­li, un des plus grands DJ de Buenos Aires. C’était juste­ment à pro­pos de ce tan­go. C’était à El Arranque, cette belle milon­ga de l’après-midi, si chaleureuse, qui est aujourd’hui rem­placée par un club de sport…

Dany et Vivi, deux talentueux DJ de Buenos Aires. Vivi est la fille de l'organisateur de la Milonga El Arranque et a appris le métier de DJ avec Dany. Photo de Dany y Vivi https://jantango.wordpress.com/2014/10/19/milonga-review-el-arranque-revisited/
Dany et Vivi, deux tal­entueux DJ de Buenos Aires. Vivi est la fille de l’or­gan­isa­teur de la Milon­ga El Arranque et a appris le méti­er de DJ avec Dany. Pho­to de Dany y Vivi https://jantango.wordpress.com/2014/10/19/milonga-review-el-arranque-revisited/

Une vidéo sou­venir du Salon La Argenti­na où avait lieu la milon­ga El Arranque.

Le salon "Nuevo Salon La Argentina) où avait lieu El Arranque. Pas de plancher, pas de clim, seulement d’immenses ventilateurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milongas de l'après-midi.
Le salon “Nue­vo Salon La Argenti­na) où avait lieu El Arranque. Pas de planch­er, pas de clim, seule­ment d’immenses ven­ti­la­teurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milon­gas de l’après-midi.
En 2018, le salon était à louer et aujourd'hui, c'est un lieu de fitness...
En 2018, le salon était à louer et aujour­d’hui, c’est un lieu de fit­ness…

Voilà, les amis. Je ter­mine ici,  après cette petite séquence « nos­tal­gie ». À bien­tôt !