C’est sympa de faire des rêves, mais parfois le retour à la réalité est terrible. C’est ce qui arrive au héros de cette magnifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milongas. Ciriaco Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provincianos, l’a enregistrée, il y a exactement 93 ans…
Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz.
Dès le début on remarque que le titre est conçu sous forme de questions-réponses. L’orchestre lance une question et un soliste donne la réponse. Si les violons avec Elvino Vardaro sont majoritairement les solistes, les bandonéons, dont celui de Ciriaco Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troilo ont également leurs réparties. Pour les danseurs, ces dialogues sont très intéressants, car cela leur permet de varier l’improvisation. La répétitivité de la structure permet de préparer une « réponse » au cas où les premiers dialogues auraient été loupés dans l’improvisation. Pour les danseurs moins avancés, les premiers temps de chaque mesure sont marqués par la contrebasse de Manfredo Liberatore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vraiment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles. C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère temporel bien marqué. À 1:58, Carlos Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu surprendre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop perturber les danseurs. On remarquera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sourdine par un discret Poum-Tchi-Tchi, ce qui permet aux danseurs de garder le rythme. On remarquera la complexité modale de l’œuvre, avec de nombreux changements de tonalité, ce qui peut parfois donner une impression de dissonance si on reste sur l’élan de la tonalité précédente.
Il est difficile d’authentifier les instrumentistes de l’orchestre, car les orchestres de la Victor étaient à géométrie variable. Comme ces orchestres se limitaient aux enregistrements, ils se construisaient à chaque session avec des musiciens de premier plan, disponibles. On considère généralement que les principaux musiciens de Los Provincianos dirigés par Ciriaco Ortiz étaient : Ciriaco Ortiz, Aníbal Troilo, Horacio Gollino (bandonéonistes) Orlando Carabelli (pianiste) Elvino Vardaro, Manuel Núñez, Antonio Rossi (violonistes) Manfredo Liberatore (contrebassiste)
Un des orchestres de la Victor
Cette photo généralement légendée comme étant de Los Provincianos, sans doute à cause de la présence de Ciriaco Ortiz. Cependant, Mercedes Simone n’est pas intervenue dans cet orchestre. Il me semble donc qu’il faut plutôt considérer que c’est une composition mixte, notamment avec l’orchestre Típica Victor de Carabelli dont Ciriaco Ortiz était également membre. On notera la présence du jeune Aníbal Troilo. Sur la droite, le violoniste Benjamín Holgado Barrio qui est à l’origine de la première scission de l’orchestre de D’Agostino. Il réclamait 17 pesos, pour lui et les autres membres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enregistrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Vargas compris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée. Je propose pour cette photo, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui permet de réunir le plus de protagonistes. Mercedes Simone a enregistré ce jour Circo criollo avec la Tipica Victor (Carabelli). Sur cette photo, il manque Carabelli et, Lesende, qui n’a jamais enregistré avec la Victor est plutôt un intrus. En effet, il enregistrait à l’époque avec deux compagnies concurrentes de la Victor, la Brunswick (avec la Orquesta Típica Brunswick) et avec la Columbia (avec l’orchestre de Antonio Bonavena). Horacio Gollino est généralement indiqué comme ayant fait partie des premiers bandonéonistes de Los Provincianos. Il était né le 5 février 1911, il aurait donc eu quasi 20 ans, ce qui semble correspondre à l’âge du troisième bandonéoniste de la photo. José María Otero, qui est toujours très bien documenté, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la photo suivante, représentant l’orchestre de Troilo en 1941, il semblerait que l’on puisse valider l’hypothèse de Toto.
De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Anibal Troilo, Eduardo Marino et Hugo Baralis. À l’arrière : Pedro Sapochnik, Orlando Goñi, Francisco Fiorentino, Kicho Díaz et Astor Piazzolla (qui fit le forcing auprès de Troilo pour remplacer Toto qui était malade). Hugo Baralis a appuyé sa candidature…
Cependant, selon Toto Tango qui est également une source de haute qualité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma datation de la photo est bonne, ce qui semble tout de même un peu jeune et ne correspond pas à l’image. Si on regarde l’âge probable des différents musiciens de la première photo, la date de 1931 est fort plausible ; Troilo fait vraiment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la seconde, il a 27 ans, il semble difficile de considérer qu’il y a beaucoup moins de 10 ans entre les photos. Je propose donc d’identifier Horacio Gollino sur cette photo, ce qui nous permettra d’avoir enfin un visage à mettre sur ce musicien de grande qualité, qui termina sa vie en donnant des cours de musique sans pouvoir pratiquer le bandonéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.
Paroles
Que sueño aquel tan hondo y cruel Me vi en la gloria de tu pecho amante Y a al instante todo se acabo Fue mi Sueño imaginado Nada más que un soplo de placer Que se fumó y una ilusión hecha canción que se apagó Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti
Traduction libre
Quel rêve si profond et cruel. Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instantanément, tout fut terminé. C’était mon rêve imaginé, rien de plus qu’un souffle de plaisir qui partit en fumée et une illusion faite chanson qui s’éteignait.
Autres versions…
Il n’y a pas d’autre version enregistrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nombreux auteurs de tous types de musique. Je vous propose donc de terminer en réécoutant cette valse.
Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz. C’est notre valse du jour.
À bientôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réaliseront.
Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques remerciements. L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres. La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements. Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. Merci à Gérard Cardonnet,Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires. Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable. Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium. Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure, Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”… Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook. Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe. Merci aux merveilleux DJ de Buenos Aires et qui sont ma référence. Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment. Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.
Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).
Merci à mes principaux sites de référence :
Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’enregistrement et les auteurs des tangos. TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango. La Bible TangoUne autre référence, notamment pour le tango européen. Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à Paris au début du vingtième siècle. Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre Histoire de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.
Pour les livres, cela serait un peu long
J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer. Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :
Mis memorias(1906–1956) Mis bodas de oro con el tango (Francisco Canaro). Un des plus intéressants, car autobiographique. Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté. Osvaldo Pugliese, Testimonios de mi vida (Beba Pugliese). Par la fille de Pugliese. Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage. El tango en la sociedad portena 1880–1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde). La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo). Así nacieron los tangos (Francisco García Jiménez). Cien tangos fundamentales (Oscar del Priore y Irene Amuchástegui). El origen del tango (Roberto Selles). Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique). Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.
Carlos Di Sarli Letra : Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)
Une grande partie des titres composés par Carlos Di Sarli ont des paroles de Héctor Marcó, commeCorazón (le premier titre de leur collaboration), Porteño y bailarín,Nido gaucho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frappé, et la merveille d’aujourd’hui, La capilla blanca, transcendée par la voix de AlbertoPodestá.
Héctor Marcó écrira les paroles de ce tango à la suite d’une expérience personnelle. Carlos Di Sarli le mettra soigneusement en musique, avec le temps nécessaire pour donner sa mesure à un sujet qui parlait à sa sensibilité. Di Sarli n’était pas un compositeur de l’instant, il savait prendre son temps…
Comme vous le découvrirez à la lecture des paroles si vous ne les connaissiez pas, ce tango pourrait être l’objet d’un fait divers, comme en relatent les journalistes, journalistes auquel ce tango est dédié.
”Existe un gremio que siempre pidió para los demás, y nunca para sí mismo. …Ese gremio, es el de los periodistas. Muy justo entonces que yo lo recuerde con cariño y dedique a todos los periodistas de la Argentina, este tango”. Carlos Di Sarli.
Dédicace inscrite sur la couverture de la partition éditée par Julio Korn.
« Il existe un syndicat qui a toujours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syndicat c’est celui des journalistes. C’est donc très juste que je m’en souvienne avec affection et que je dédie ce tango à tous les journalistes argentins. » Carlos Di Sarli.
La capilla blanca 1944-07-11 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.
Les propositions légères des violons sont ponctuées de lourds accords du piano de Di Sarli. La tonalité passe du mode majeur au mode mineur à diverses reprises, suggérant des émotions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des violons. Le passage au second thème est signalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.
La capilla blanca. À gauche, édition Korn sur laquelle on peut lire la dédicace aux journalistes. Au centre et à droite, édition brésilienne de la Partition. Le chanteur est Victor Manuel Caserta. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’interprétation enregistrée par lui. On notera qu’il est né à Buenos Aires de parents d’origine brésilienne. Il fut également poète, mais pas auteur de textes de tango, à ma connaissance.
Paroles
En la capilla blanca de un pueblo provinciano, muy junto a un arroyuelo de cristal, me hincaban a rezar tus manos… Tus manos que encendían mi corazón de niño. Y al pie de un Santo Cristo, las aguas del cariño me dabas de (a) beber.
Feliz nos vio la luna bajar por la montaña, siguiendo las estrellas, bebiendo entre tus cabras, un ánfora de amor… Y hoy son aves oscuras esas tímidas campanas que doblan a lo lejos el toque de oración. Tu voz murió en el río, y en la capilla blanca, quedó un lugar vacío ¡Vacío como el alma de los dos…!
En la capilla blanca de un pueblo provinciano, muy junto a un arroyuelo de cristal, presiento sollozar tus labios… Y cuando con sus duendes la noche se despierta al pie de Santo Cristo, habrá una rosa muerta, ¡que ruega por los dos!
Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó
Alberto Podestá et Mario Pomar chantent seulement ce qui est en gras.
Traduction libre
Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, tes mains m’ont agenouillé pour prier… Tes mains qui ont illuminé mon cœur d’enfant. Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as donné à boire les eaux de l’affection. La lune nous a vus descendre heureux de la montagne, suivant les étoiles, buvant parmi tes chèvres, une amphore d’amour… Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui sonnent au loin l’appel à la prière. Ta voix s’est éteinte dans la rivière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été laissée. Vide comme l’âme des deux… ! Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, je sens tes lèvres sangloter… Et quand avec ses duendes (sorte de gnomes, lutins de la mythologie argentine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte, Priez pour nous deux !
Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une connotation religieuse marquée. C’est assez courant dans le tango, l’Argentine n’ayant pas la séparation de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la religion, les religions sont beaucoup plus présentes. Par ailleurs, Di Sarli était religieux et donc ce type de traitement du sujet n’était pas pour lui déplaire.
Autres versions
La capilla blanca 1944-07-11 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.
C’est notre tango du jour et probablement la version de référence pour ce titre. Podesta ne chante que les premiers couplets.
La capilla blanca 1953-06-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar (Mario Corrales).
J’aime beaucoup Mario Pomar. Cette version est suffisamment différente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tempo est plus lent, plus majestueux. Je peux passer indifféremment, selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces versions.
La capilla blanca 1973 — Roberto Rufino.
Comment dire. Rufino qui a fait de si belles choses avec Di Sarli aurait peut-être pu se dispenser de cet enregistrement. Même pour l’écoute, je ne le trouve pas satisfaisant, mais je peux me tromper.
La capilla blanca 1973 — Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.
La capilla blanca 1973 — Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico. Podestá enregistre de nouveau son grand succès. Ici, avec l’orchestre suave et discret de Leopoldo Federico.
La capilla blanca 1986 — Alberto Podestá accomp. Orquesta de Alberto Di Paulo. Encore Podestá. La capilla blanca 2000c — Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.
Podestá accompagné par Federico nous propose une autre version encore plus lente.
La capilla blanca 2008 (publication 2009-09) – José Libertella (Pepe) con Adalberto Perazzo.
Pepe Libertella, le leader du Sexteto Mayor propose cette version de notre tango du jour. Adalberto Perazzo chante tous les couplets, y compris la triste fin.
La capilla blanca 2011 — Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.La capilla blanca 2020-07-10 — Pablo Montanelli.
Dans son interprétation au piano, Pablo Montanelli fait ressortir le rythme de habanera à la main gauche.
L’illustration de couverture
Une chapelle blanche au bord d’une rivière, ça ne se trouve pas si facilement. J’ai pensé délirer à partir de la création de Le Corbusier, Notre dame du haut à Ronchamp.
Notre Dame du Haut à Ronchamp, architecte Le Corbusier. Le cours d’eau au premier plan est bien sûr une création de ma part…
Premier jet que je n’ai pas continué, la chapelle aussi magnifique soit elle ne me paraît pas pouvoir convenir et je ne voyais pas comment l’intégrer avec une rivière qui aurait détruit la pureté de ses lignes.
J’ai pensé ensuite à différentes petites églises vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.
Une photo brute, avant toute intervention de la Iglesia San José de Cachi.
Cette église a également les trois cloches, comme sur la partition éditée par Julio Korn. Cependant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sarli et Marcó comme on l’a vu sur la partition éditée par Jules Korn. Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéressant, type art déco ou autre stylisation. Une autre candidate aurait pu être la chapelle mystérieuse de Rio Blanco. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse découvrir en suivant ce lien… J’ai finalement opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage romantique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte parle de montagne, alors, autant en choisir de belles… La montagne a été constituée à partir d’éléments pris dans les Andes, dont le merveilleux pic de El Chalten, la montagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a utilisée pour son texte sur ce tango. Pour donner un effet romantique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Photoshop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trouve que le résultat, avec sa rivière meurtrière et ce contre-jour dévoilant des ombres inquiétantes, exprime bien ce que je ressens à la lecture du texte de Héctor Marcó.
La capilla blanca, dans ce montage, vous reconnaîtrez El Chalten, la montagne qui fume, cet impressionnant pic de la Patagonie. La chapelle est en fait l’ermitage de la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne).
Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)
Vous savez tous que « El once », en espagnol, signifie le 11. Mais peut-être ne connaissez-vous pas la raison de ce nom. Ceux qui connaissent Buenos Aires, pourront penser à la place Once de Septiembre 1852 que l’on appelle simplement Once. On lit parfois que c’est le numéro 11 dans une course de chevaux, voire le 11 au football. Je pense que vous avez compris que j’allais vous proposer une autre explication…
El once
S’il existe des tangos sur le quartier de Once (Barrio Once), ses habitants (Muñeca del Once), le train de onze heures (El tren de las once), la messe de onze heures (Misa de once), une adresse (Callao 11), ou une équipe de football (El once glorioso) qui célèbre l’équipe d’Uruguay qui a gagné la première coupe du Monde en 1930.
À gauche, les capitaines d’Argentine et Uruguay se saluent avant la finale. À droite, après la victoire de l’Uruguay, les journaux argentins se déchaînent, accusant les Uruguayens d’avoir été brutaux…
Carlos Enrique (musique) et Luis César Amadori (paroles), écrivent El once glorioso en l’honneur de l’équipe gagnante. Les paroles sont dignes des chants des inchas (supporters) d’aujourd’hui :
Ra ! Ra ! Ra ! Le football uruguayen ! Ra ! Ra ! Ra ! Le Championnat du monde !
Une autre piste peut se trouver dans les courses. Leguisamo avait un cheval nommé Once, je vous invite à consulter l’excellent blog de José María Otero pour en savoir plus… Mais, ce n’est toujours pas la bonne explication. Une première indication est le sous-titre « a divertirse » (pour s’amuser). Cela correspond peu aux différents thèmes évoqués ci-dessus. Cela incite à creuser dans une autre direction. Nous allons donc interroger la musique du jour, puis les paroles pour voir si nous pouvons en savoir plus.
Extrait musical
El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
On a l’impression d’une balade. Tout est tranquille. Difficile d’avoir une indication utile pour résoudre notre énigme. Heureusement, si notre version est instrumentale, Emilio Fresedo, le frère de Osvaldo a écrit des paroles.
Paroles
No deje que sus penas se vayan al viento porque serán ajenas al que oye lo cierto. No espere que una mano le afloje el dolor, sólo le dirán pobre y después se acabó. Por eso me divierto, no quiero sentirlas, no quiero oír lamentos que amarguen la vida; prefiero que se pierdan y llegue el olvido que todo remedia, que es lo mejor.
Si busca consuelo no vaya a llorar, aprenda a ser fuerte y mate el pesar. Sonría llevando a su boca el licor, que baile su almita esperando un amor. El humo de un puro, la luz del lugar, las notas que vagan le harán olvidar. Quién sabe a su lado los que irán así con los corazones para divertir.
A divertirse todos rompiendo el silencio para cantar en coro siquiera un momento. Recuerden que en la vida si algo hay de valor es de aquel que lleva pasándola mejor. Alegre su mirada no piense en lo malo, no deje que su cara se arrugue temprano. Deje que todo corra, no apure sus años que a nadie le importa lo que sintió.
Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)
En gras le refrain que chantent Teófilo Ibáñez et Roberto Ray.
Traduction libre
Ne laisse pas tes chagrins s’envoler au vent, car ils seront étrangers à celui qui entend la vérité. N’attends pas qu’une main soulage la douleur ; ils te diront seulement, le pauvre, et puis c’est tout. C’est pour cela que je m’amuse, je ne veux pas les sentir, je ne veux pas entendre des lamentations qui aigrissent la vie ; je préfère qu’ils se perdent et qu’arrive l’oubli qui remédie à tout, c’est le mieux. Si tu cherches du réconfort, ne pleures pas, apprends à être fort et tuer le chagrin. Sourire en portant la liqueur à ta bouche, laisse ton âme danser en attendant l’amour. La fumée d’un joint (puro est sans doute mis pour porro, cigarette de marijuana, à moins que ce soit un cigare), la lumière du lieu, les notes vagabondes te feront oublier. Qui sait, à ton côté, ceux qui iront ainsi avec à cœur de s’amuser. Amusons-nous tous, en rompant le silence pour chanter en chœur, ne serait-ce qu’un instant. N’oublie pas que dans la vie, si quelque chose a de la valeur, c’est d’avoir passé le meilleur moment. Rends joyeux ton regard, ne pense pas au mal, ne laisse pas ton visage se froisser prématurément. Laisse tout couler, ne précipite pas tes années parce que personne ne se soucie de ce que tu ressens.
C’est donc une invitation à oublier ses problèmes en faisant la fête. C’est assez proche du Amusez-vous immortalisé par Henri Garat (1933) et Albert Préjean (1934) Je vous le proposerai en fin d’article. Ça n’a rien à voir avec notre propos, mais c’est euphorisant 😉
Autres versions par Fresedo
Bien sûr, pour un titre aussi célèbre, il y a forcément énormément d’autres versions. Je vous propose dans un premier temps d’écouter les versions de l’auteur, Fresedo. Ce dernier devait être fier de lui, car il a enregistré à de nombreuses reprises.
El once 1924 – Sexteto Osvaldo Fresedo
Merci à mes collègues Camilo Gatica et Gabbo Fresedo (quand Gabbo vient au secours d’Osvaldo et Emilio…) qui m’ont fourni cet enregistrement qui me manquait). Remarquez les superbes solos de violon notamment à 1:05,1:52, 2:24 et 2:56. Cette version est assez allègre. Notez bien ce point, il nous servira à déterminer l’usage de ce titre et donc son nom.
El once (A divertirse) 1927 – Sexteto Osvaldo Fresedo.
Je trouve intéressant de comparer cette version avec celle de 1924. Pour moi représente un recul. Le rythme est beaucoup plus lent, pesant. C’est un exemple du « retour à l’ordre » des années 20, dont Canaro est un des moteurs. Vous pourrez le constater dans sa version de 1925 ci-dessous.
El once (A divertirse) 1931-11-14 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez.
Osvaldo a fini par enregistrer les paroles de son frère, Emilio (Gardel l’avait fait en 1925). On reste dans le tempo anémique de 1927. On a du mal à voir comment cette version, comme la précédente, d’ailleurs peut appeler à se divertir… Il est vrai qu’il ne chante que le refrain qui n’est pas la partie la plus allègre du titre.
El once (A divertirse) 1935-04-05 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.
Cette fois, Fresedo retrouve une version un peu plus dynamique qui peut mieux correspondre à l’idée du divertissement. On pourrait presque voir des personnes gambader. C’est un des premiers enregistrements où l’on remarque la propension de Fresedo à rajouter des bruits bizarres qui deviendront sa marque de fabrique dans ses dernières années, même si Sassone fait la même chose.
El once 1945-11-13 – Osvaldo Fresedo.
Fresedo va encore plus loin que dans la version de 1935 dans l’ajout de bruits. C’est dansable, mais pas totalement satisfaisant à mon goût.
El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
C’est notre tango du jour. Comme déjà évoqué, on pense à une promenade. Les bruits sont un peu plus fondus dans la musique. Mais on ne peut pas dire que c’est un tango de danse fabuleux. Je trouve que ça manque un peu de fête. On retrouve quelques grosses chutes qui ont fait la notoriété de Fresedo dans les années 1930. Fresedo se souvient peut-être un peu trop de ses origines de la haute société pour une musique de danse qui se veut souvent plus populaire.
El Once (A divertirse) 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1979, Fresedo enregistre pour la septième fois son titre fétiche. On y retrouve presque tous ses éléments, comme les bruits bizarres, de jolis passages de violon, une élégance aristocratique, manquent seulement les grosses chutes. Cela reste tranquille, dansable une après-midi chaude juste avant de prendre le thé, avec la pointe d’ennui « chic » qui convient.
Pourquoi « El once »
Il est impossible de deviner la raison du titre à partir des versions de Fresedo, sauf peut-être avec celle de 1924. Je vais donc vous donner l’explication. Les internes en médecine de Buenos Aires ont décidé en 1914 de faire un bal destiné à se divertir. Musique, alcool, femmes compréhensives, le cocktail parfait pour ces jeunes gens qui devaient beaucoup étudier et devaient donc avoir besoin de relâcher la pression. Si on regarde les paroles sous ce jour, on comprend mieux. Reste à expliquer pourquoi El once (le 11). L’explication est simple. Le premier événement a eu lieu en 1914 et ensuite, chaque année, un autre a été mis en place. Celui de 1924 est donc le… onzième (je vois que vous êtes forts en calcul). Les frères Fresedo ont donc nommé ce tango, le 11 ; El once. De 1914 à 1923 inclus, c’était Canaro qui officiait à cette occasion. Les frères Fresedo fêtaient donc aussi leur entrée dans cette manifestation dont la première a eu lieu au « Palais de glace » un lieu qu’un tango de ce nom des années 40 évoque avec des paroles et une musique d’Enrique Domingo Cadícamo. Vous trouverez quelques précisions sur cette histoire dans un article d’Isaac Otero.
Autres versions
El Once (A divertirse) 1925 – Orquesta Francisco Canaro.
L’année précédente, Fresedo a grillé la place à Canaro qui animait ce bal depuis 10 ans. Canaro enregistre tout ce qu’il peut, alors, malgré sans doute une petite déception, il enregistre aussi El once, lui qui a fait de uno a diez (1 à 10)
El once (A divertirse) 1925 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitares).
Le petit Français 😉 donne sa version avec toutes les paroles de Emilio, contrairement à Ibáñez et Ray qui ne chantaient que le refrain.
El once (A divertirse) 1943-01-13 – José García y su Orquesta Los Zorros Grises.
Et les Zorros sont arrivés ! C’est une version entraînante, avec plusieurs passages originaux. Un petit florilège des « trucs » qu’on peut faire pour jouer un tango. Le résultat n’a rien de monotone et est suffisamment festif pour convaincre des internes décidés à faire la fête. C’est sans doute une version qui mériterait de passer plus souvent en milonga, même si quelques ronchons pourraient trouver que ce n’est pas un tango convenable. J’ai envie de leur dire d’écouter les conseils de ce tango et de se divertir. Le tango est après tout une pensée allègre qui peut se danser.
El once (A divertirse) 1946-10-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Cette version particulièrement gaie est sans doute une de celles qui conviendraient le mieux à une fête d’internes. On retrouve les sautillements chers à Firpo. Elle trouvera sans doute encore plus de ronchons que la précédente, mais je réagirai de la même façon.
El once (A divertirse) 1946-12-05 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Avec cette version, on retrouve la maîtrise de Di Sarli qui nous propose une version élégante, parfaite pour la danse. C’est sûr que là, il n’y aura pas de ronchons. Alors, pourquoi s’en priver ?
El once (A divertirse) 1951-10-23 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Je préfère la version de 1946, mais cette interprétation est également parfaite pour la danse. Elle aura toute sa place dans une tanda de cette époque.
El once (A divertirse) 1951 – Oswaldo Bercas et son orchestre.
De son vrai nom, Boris Saarbecoof a travaillé en France et a produit quelques titres intéressants. On a des enregistrements de sa part de 1938 à 1956. C’est un des 200 orchestres de l’âge d’or dont on ne parle plus beaucoup aujourd’hui. Il a également produit de la musique classique.
El once (A divertirse) 1952-11-14 – orquesta Alfredo De Angelis.
C’est sans doute une des versions que l’on entend le plus. Son entrain et sa fin tonique permettent de bien terminer une tanda instrumentale de De Angelis.
El once (A divertirse) 1954-11-16 – Orquesta Carlos Di Sarli.
On retrouve Di Sarli avec des violons sublimes, notamment à 1:42. Je préfère cette version à celle de 1951. Je la passerai donc assez volontiers, comme celle de 1946 qui est ma chouchoute.
El once (A divertirse) 1955-10-25 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Francisco Canaro qui n’est pas rancunier (???) enregistre de nouveau le titre des Fresedo avec son quinteto Pirincho. C’est une version bien rythmée avec de beaux passages, comme le solo de bandonéon à 1:02. Une version guillerette qui pourra servir dans une milonga un peu informelle où les danseurs ont envie de se divertir (celles où il n’y a pas de ronchons).
El once (A divertirse) 1956-10-30 – Orquesta Enrique Rodríguez.
Un Rodríguez tardif qui reste léger et qui sera apprécié par les fans de cet orchestre.
El once (A divertirse) 1958 – Argentino Galván.
Je cite cette version ultracourte, car je l’ai évoquée dans Historia de la orquesta típica — Face 1. Pas question de la placer dans une tanda, bien sûr à cause de sa durée réduite à 33 secondes…
El once (A divertirse) 1960c — Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.
Juan Cambareri, le mage du bandonéon (El Mago del Bandoneón) fournit la plupart des temps des versions virtuoses, souvent trop rapides pour être géniales à danser, mais dans le cas présent, je trouve le résultat très réussi. On notera également que d’autres instrumentistes sont virtuoses dans son orchestre. C’est une version à faire péter de rage les ronchons… Un grand merci à Michael Sattler qui m’a fourni une meilleure version que celle que j’avais (disque 33 tours en mauvais état).
El once (A divertirse) 1965-07-28 – Orquesta Enrique Mora.
Une version intéressante, mais qui ne bouleverse pas le paysage de tout ce que nous avons déjà évoqué.
El once (A divertirse) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Finalement D’Arienzo se décide à enregistrer ce titre qui manquait à son répertoire. J’adore le jeu de la contrebasse de Victorio Virgilito.
Amusez-vous ! 1934 — W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz
Ce titre faisait partie de l’opérette de Sacha Guitry, Florestan Ier prince de Monaco. Le titre a été créé par Henri Garat.
Amusez-vous 1933 — Henri Garat
L’année suivante, Albert Préjean l’enregistre à son tour. C’est la version la plus connue.
Amusez-vous 1934 — Albert Préjean.
Et c’est sur cette musique entraînante que se termine l’anecdote du jour. À mes amis ronchons qui ont envie de dire que ce n’est pas du tango, je répondrai que c’est une cortina et qu’il faut prendre la vie par le bon bout.
Les paroles de Amusez-vous
Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie entre nous est si brève Amusez-vous, comme des fous La vie est si courte, après tout. Car l’on n’est pas ici Pour se faire du souci On n’est pas ici-bas Pour se faire du tracas. Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie passera comme un rêve Faites les cent coups, dépensez tout Prenez la vie par le bon bout. Et zou
Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie entre nous est si brève Amusez-vous, comme des fous La vie est si courte, après tout. Car l’on n’est pas ici Pour se faire du souci On n’est pas ici-bas Pour se faire du tracas. Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie passera comme un rêve Faites les cent coups, dépensez tout Prenez la vie par le bon bout. Et zou
Pour que la vie soit toujours belle Ha, que j’aimerais un quotidien Qui n’annoncerait qu’de bonnes nouvelles Et vous dirait que tout va bien Pour ne montrer qu’les avantages Au lieu d’apprendre les décès On apprendrait les héritages C’est la même chose et c’est plus gai Pour remplacer les journaux tristes Que ça serait consolateur De lancer un journal optimiste Qui dirait à tous ses lecteurs :
Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie entre nous est si brève Amusez-vous, comme des fous La vie est si courte, après tout. Car l’on n’est pas ici Pour se faire du souci On n’est pas ici-bas Pour se faire du tracas. Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie passera comme un rêve Faites les cent coups, dépensez tout Prenez la vie par le bon bout. Et zou
Amusez-vous, foutez-vous d’tout La vie passera comme un rêve Faites les cent coups, dépensez tout Prenez la vie par le bon bout. Et zou
Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)
Le tango du jour, El Ingeniero,est indubitablement associé à Carlos Di Sarli. C’est assez logique, car il est le seul à l’avoir enregistré à la belle époque du tango. Il a enregistré le titre à trois reprises. En 1945, le 20 février, le 22 juillet 1952 et le 31 janvier 1955. Le titre est assez clair et pour une fois, il ne s’agit pas d’un surnom, d’un mot d’argot (lunfardo), mais bien de la fonction, du métier d’ingénieur. L’auteur de la musique, Alejandro Junnissi, dédicace sa composition « a todos los ingenieros egresados de las universidades argentinas » (À tous les ingénieurs diplômés des universités argentines). On retrouve dans cette dédicace, la fierté d’un âge d’or de l’Argentine, le début du vingtième siècle. Cet âge d’or se dévoile dans l’architecture, mais aussi par les créations industrielles. À la fin des années 20, l’Argentine était considérée comme un important pays industriel.
L’ingénieur
Luis Augusto Huergo est le premier ingénieur diplômé en Argentine. C’était le 6 juin 1870.
Un des héros discrets de ce succès est l’ingénieur que l’Argentine célèbre deux fois en juin, le 6 juin avec el Día del Ingeniero et indirectement le 16 juin avec el Día de la Ingeniería Argentina. La première date est en souvenir du premier ingénieur civil d’Argentine, Luis Augusto Huergo, diplômé le 6 juin 1870. Rien ne prouve que celui qui a inspiré Junnissi soit Huergo. Disons que c’est le métier qui est illustré ici.
Un pays à bonne école
Les efforts consentis en matière d’éducation par l’Argentine qui devait accueillir et « argentiniser » des millions de migrants donnaient leurs fruits et bientôt l’Argentine disposait de nombreuses universités, qui aujourd’hui encore restent prestigieuses.
Citons les Ingenierías de Córdoba y de La Plata ou l’Escuela de Ingenieros de Minas de San Juan.
Les pays étrangers, notamment européens, ont également investi en Argentine. Par exemple, l’École Centrale des Arts et Manufactures de Paris qui a ouvert une école d’ingénieurs à Buenos Aires.
Ces nouveaux ingénieurs ont permis le développement du pays, des ponts, du chemin de fer, de l’architecture et la découverte de pétrole a accentué le développement industriel du pays.
Les montagnes russes
L’essor industriel a été soutenu par une immigration extrêmement forte. La main‑d’œuvre était abondante et déjà concentrée dans les villes, car les campagnes appartenaient à quelques propriétaires terriens et n’offraient que peu de débouchés aux nouveaux arrivants. Cette concentration explique aussi les problèmes politiques récurrents de l’Argentine, problèmes donnant lieu à des crises graves et des émeutes. À peine écrit ce tango, en 1930 que, la même année, en septembre, les militaires prenaient le pouvoir en destituant Hipólito Yrigoyen. Ce président au double visage a assumé deux fois la présidence. Double visage, car il prône une Argentine aux mains des ouvriers, mais commandite une répression sanglante contre des grévistes, réalisant par la même le premier pogrom d’Amérique du Sud (Semaine tragique, du 7 au 14 janvier 1919). Ceux qui suivent l’actualité de l’Argentine constateront que les événements actuels rappellent ceux des années passées, 2001, 1976, 1930, et autres. Bon, j’ai un peu oublié mon ingénieur dans tout cela. Revenons donc à la musique. Lorsqu’Alejandro Junnissi écrit sa musique, l’Argentine est encore dans une période relativement optimiste, malgré les contrecoups de la crise de 1929.
L’ingénieur mérite son tango ; le voici.
Extrait musical
El Ingeniero 1945-02-20 — Carlos di Sarli
La version est plus sèche, les violons moins lyriques que dans les versions des années 50. Même si Di Sarli a continué dans les années 50 à proposer du tango de danse, on sent dans cette évolution la transition que d’autres orchestres ont opéré de façon plus drastique. Le Di Sarli des années 50 est souvent le plus utilisé dans les milongas, car il tranche plus avec les autres orchestres de référence, les quatre piliers par son aspect plus romantique. Cela permet de donner du contraste à la milonga. Vous pourrez les entendre en fin d’article.
Les paroles
Alejandro Junnissi (n/d — 29 May 1956)
Vous m’attendiez au tournant. Toutes les versions enregistrées par de grands orchestres de tango sont instrumentales. Cependant, il existe au moins une version des paroles que je reproduis ici. Je n’imagine pas très bien le résultat, tant on est habitué à l’entendre avec les violons de Di Sarli. D’une façon plus générale, de nombreux tangos sont sans paroles, d’autres ont changé de paroles au cours du temps et certains textes de tango n’ont pas encore trouvé leurs musiques. Il reste du pain sur la planche pour les auteurs et compositeurs… Celui qui a écrit les paroles est Juan Manuel Guerrera. Sa création est récente, 2020, soit 90 ans après la musique. Si vous enregistrez une version d’El Ingeniero avec les paroles, je vous promets de la placer ici et si elle est dansable, je la diffuserai en milonga…
El Ingeniero
Y allá va el ingeniero Por las calles del dolor Camina solo Llorando Se va derrumbando Es pura desolación Tanto quiere Olvidar Que ha vivido sin quererlo para los demás Que ha dejado sus pasiones demasiado atrás Que ha olvidado entre sus cuentas animarse a más Tanto quiere Abandonar Un destino que sabe a nada El que eligió Y no cambió Y allá va el ingeniero Hundido en la frustración Su penar suena a nostalgia Con dejos de bandoneón Y allá va el ingeniero Con su arte en un cajón Ahora no juega, no apuesta Sus miedos no enfrenta Y gana su perdición “Soy un cobarde” Se dice tarde Y vuelve a reflexionar: “No es buena elección, la resignación Renunciar a un sueño, es como morir Sin resolución, no hay realización, Sin un ideal, tan triste es vivir” Y encuentra en lo que siente Respuestas que su mente Buscaba desde siempre Con científica obsesión Y allá va el ingeniero Se le muere el corazón Acompañan los violines Su dramática canción Y allá va el ingeniero Se desangra en su razón Pierde su tiempo, pensando En vez de arriesgando Y entierra su vocación Tanto quiere Regresar A un pasado irremediable que ha quedado atrás A un presente esperanzado que no volverá A un futuro imaginado que ya no será Tanto quiere Escapar De su vida equivocada La que él mismo eligió Y, sin valor, jamás cambió
Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)
Autres enregistrements
Signalons que le même jour, le 20 février 1945, Di Sarli enregistrera avec Jorge Durán, Porteño y bailarín, un tango composé par Carlos Di Sarli avec des paroles d’Héctor Marcó. Ce titre enregistré sur la matrice 80553–1 sera publié sur le même disque 60–0639, sur la face A et el Ingeniero, sur la face B. Ce dernier a été enregistré sur la matrice 80554–1.
Porteño y bailarín 1945-02-20 Carlos Di Sarli con Jorge Durán (Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó)
Les principaux enregistrements d’El Ingeniero sont ceux de Di Sarli. Il faut dire qu’il a mis la barre très haute et qu’il était difficile de proposer des versions surpassant les trois enregistrements du maître de Bahia Blanca.
El Ingeniero, 1945-02-20 — Carlos Di SarliEl Ingeniero 1952-07-22 — Carlos Di SarliEl Ingeniero 1955-01-31 — Carlos Di Sarli
Pour terminer, un enregistrement du 21e siècle. J’aime bien. Cependant, il est peu probable que je le propose en milonga, car le manque de franchise dans la marcacion fait que les versions originales sont à mon avis préférables pour danser.
El Ingenierro — Orquesta Típica de la Guardia Vieja 2002
Sylvie Sureda-Cagliani ; Chapitre II. Panorama de l’histoire de l’Argentine de 1930 à 1974 in Victimes et bourreaux dans le théâtre de Griselda Gambaro ; Presses universitaires de Perpignan http://books.openedition.org/pupvd/32217
Andrés H. Reggiani, Hernán González Bollo ; Dénatalité, «crise de la race» et politiques démographiques en Argentine (1920–1940) ; Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2007/3 (n° 95), pages 29 à 44
El Ingienero
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