Archives par étiquette : Juan Porteño (Tango de Di Sarli et Marcó)

Les années 50 marquent tout à la fois une entrée dans une nouvelle ère, la télévision, la bombe H, de nouvelles modes et de nouveaux modes de vie. C’est aussi le début de la fin pour le tango. Di Sarli a composé Juan Porteño comme un souvenir, un regret, d’un monde qui devient de plus en plus superficiel et moins humain. J’ai choisi de vous parler de ce tango, car les paroles évoquent si fort ce que Héctor Marcó a appelé « siècle de folie » et qu’il semble difficile de ne pas attribuer au siècle actuel le même qualificatif. Le tango est une pensée heureuse qui se danse, ou pas…

Juan Porteño 1955-01-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar

Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)

Les années 50 marquent tout à la fois une entrée dans une nouvelle ère, la télévision, la bombe H, de nouvelles modes et de nouveaux modes de vie. C’est aussi le début de la fin pour le tango. Di Sarli a composé Juan Porteño comme un souvenir, un regret, d’un monde qui devient de plus en plus superficiel et moins humain. J’ai choisi de vous parler de ce tango, car les paroles évoquent si fort ce que Héctor Marcó a appelé « siècle de folie » et qu’il semble difficile de ne pas attribuer au siècle actuel le même qualificatif. Le tango est une pensée heureuse qui se danse, ou pas…

Extrait musical

Deux versions du disque RCA Victor 1A-0372-A de Juan Porteño de Di Sarli et Mario Pomar. On notera qu’il est écrit « Estribillo » sur les disques, mais, en fait, Pomar chante tout et pas seulement le refrain.
Deux versions du disque RCA Victor 1A-0372-A de Juan Porteño de Di Sarli et Mario Pomar. On notera qu’il est écrit « Estribillo » sur les disques, mais, en fait, Pomar chante tout et pas seulement le refrain.
Juan Porteño 1955-01-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

Des sifflements suivent l’introduction et, rapidement Mario Pomar commence à chanter. Ce tango est en fait à la limite de la chanson, l’orchestre se fait relativement discret pour laisser la place aux paroles. On peut donc imaginer que Di Sarli souhaitait faire passer le message des paroles de Héctor Marcó. Une autre preuve est que Pomar chante l’intégralité des paroles et qu’il reprend le refrain, et ce, malgré la mention erronée sur le disque qui ne parle que d’estribillo (refrain).
Après la reprise du refrain, les sifflements reprennent et le tango s’arrête net par deux accords plaqués.

Paroles

Este siglo es de locura,
de robot y escaparate.
Buenos Aires sigue el ritmo
de París y Budapest.
Todo el mundo se alza de hombros
y habla de la Bomba H,
quiera Dios que no te cache
una del Follies Bergere.
Ríe el pobre, canta el rico,
ronca el tano en su cotorro.
Se inventó el avión a chorro
y el chorro raja en avión.
Viene Gina, se va Gina
y de un pícaro planeta
un marciano en camiseta
baja en plato volador.

Y rescostao, pensativo,
contra el farol de una esquina,
Juan Porteño se santigua
mordiendo el pucho, tristón.
Piensa acaso, en su nostalgia,
que aquella ciudad bajita
de románticas casitas
sólo está en su corazón.
Despunta la madrugada,
Buenos Aires rompe el sueño
y allá se va Juan Porteño,
silbando un tango llorón.

Hoy se dice que la luna
es un queso fluorescente
y hasta un croto bajo el puente
oye radio en su atelier.
Greta quiere ser artista
con su espejo ríe y sueña
y no ve que se le quema
la comida en la sartén.
Por TV hoy se palpita
el campeonato en la catrera,
de Nueva York y Avellaneda
dan las fijas por radar.
Este siglo es de locura
y si Marte busca arrime
es que ha visto una bikini
por la playa caminar.
Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)

Traduction libre

Affiche de la Loïe Fuller aux Folies-Bergère, par Toulouse Lautrec.
Affiche de la Loïe Fuller aux Folies-Bergère, par Toulouse Lautrec.

Ce siècle est celui de la folie, des robots et des vitrines.
Buenos Aires suit le rythme de Paris et de Budapest.
Tout le monde hausse les épaules et parle de la bombe H, Dieu vous en préserve d’en obtenir une chez les Folies-Bergère (Salle de spectacle parisienne où s’était produite la Loïe Fuller. Folies était le nom donné à des lieux de divertissement, parcs ou bâtiments, et Bergère vient du nom de la rue, ce qui explique l’absence de s. On dit que c’était aussi pour avoir un nom porte-bonheur de treize lettres…).
Le pauvre rit, le riche chante, le tano (Italien) ronfle dans son cotorro (chambre de célibataire, pièce pour les rendez-vous amoureux).
L’avion à réaction a été inventé et le voleur file en avion (jeu de mot ; chorro = jet, donc celui des réacteurs et en lunfardo, chorro est le voleur).
Gina arrive, Gina part (il s’agit bien sûr de Gina Lollobrigida, qui est venue à Buenos Aires et Mar del Plata en 1954 pour le premier Festival international de Cinéma de Mar del Plata. Sa venue à suscité de l’enthousiasme, jusque chez Perón, qui lui permit de visiter Tigre à bord du yacht présidentiel), et d’une planète louche un Martien en T-shirt sur une soucoupe volante (en 1947 eut lieu le premier signalement d’OVNI en Argentine, au Parque San Martín de La Plata. Je pense que la mention de T-Shirt vient de ce que le martien est plutôt un Étatsunien, pays où, la même année a été déclaré le premier OVNI et qui a mondialisé le port du T-Shirt…).
Et, adossé pensivement contre le lampadaire d’un coin de rue, Juan Porteño se bénit en mordant son mégot, triste.
Peut-être pense-t-il, dans sa nostalgie, que cette ville basse aux petites maisons romantiques n’est que dans son cœur.
L’aube se lève, Buenos Aires rompt le rêve et Juan Porteño s’en va au loin, sifflant un tango pleurnichard.
Aujourd’hui, on dit que la lune est un fromage fluorescent et même un clochard sous le pont écoute la radio dans son atelier.
Greta veut être une artiste avec son miroir, elle rit et rêve et ne voit pas que sa nourriture crame dans la poêle.
À la télévision aujourd’hui, le championnat palpite dans le lit, de New York et Avellaneda donnent les conseils aux turfistes par radar (Avellaneda, centre hippique Barracas al Sur).
Ce siècle est celui de la folie et si Mars cherche à s’approcher, c’est qu’il a vu un bikini marcher sur la plage.

Autres versions

Juan Porteño 1955-01-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

Notre tango du jour est probablement le premier enregistrement de ce titre, même si au moins deux autres sont de la même année.

Juan Porteño 1955 – Orquesta Joaquín Do Reyes con Armando Forte.

Dès les premières notes, on est dans un univers très différent de celui de Di Sarli. Forte chante également toutes les paroles et effectue également la reprise finale du refrain. On notera que les sifflements, absent au début, se retrouvent à la fin de cette version.

Juan Porteño 1955 – Edmundo Rivero con guitarras.

Dans les années 50, Rivero a beaucoup chanté avec un groupe de guitaristes (il était lui-même guitariste) parmi lesquels Armando Pagés et Rosendo Pesoa. La datation de cet enregistrement est cependant floue. Certaines sources parlant de 1954 et d’autres de 1955. On notera que la fin est également sifflée et Rivero insiste en répétant silbando un tango llorón (en sifflant un tango pleurnichard).
Je vous propose d’écouter aussi cette vidéo illustrée par Agujavier. Les images suivent les paroles…

Juan Porteño 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.

Gente de Tango reprend l’idée des sifflements dès le début. Le traitement est semblable aux autres versions en mettant l’accent sur les paroles. On notera que ces dernières ont été actualisées pour tenir compte des folies du vingt-et-unième siècle…

Une version d’aujourd’hui aurait sans doute d’autres points à dénoncer, autour de l’IA, de la montée de l’égoïsme et des enrichissements excessifs qui conduisent à des guerres odieuses.

La face B des disques de Carlos Di Sarli de Juan Porteño, Noche de Locura, chantée par Oscar Serpa et enregistrée le même jour et pour être précis, juste avant Juan Porteño (matrices S003713 et S003714).
La face B des disques de Carlos Di Sarli de Juan Porteño, Noche de Locura, chantée par Oscar Serpa et enregistrée le même jour et pour être précis, juste avant Juan Porteño (matrices S003713 et S003714).
Noche de locura 1955-01-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Oscar Serpa.

Plus classique, ce tango bénéficie d’une minute de musique instrumentale avant de laisser la place à Serpa. C’est, comme le précédent, un tango pas forcément génial à danser. Aujourd’hui on restera donc dans l’écoute.

À bientôt, les amis, peut-être à El Beso ? Je ne passerai pas Juan Porteño, mais des titres qui donnent de la joie. L’actualité argentine et mondiale le rendent nécessaire…

Affiche du 16 juin 2025
Affiche du 16 juin 2025