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El bajel 1948-06-24 – Orquesta Osmar Maderna

Francisco De Caro; Julio De Caro

Le bateau à voiles, el bajel et ses compagnons plus tardifs à charbon, ont été les instruments de la découverte des Amériques par les Européens. Notre tango du jour lui rend hommage. C’est un tango plutôt rare, écrit par deux des frères De Caro. Si les deux sont nés à Buenos Aires, leurs parents José De Caro et Mariana Ricciardi sont nés en Italie et donc venus en bateau. Mais peut-être ne savez-vous pas qu’on vous mène en bateau quand on vous vante les qualités de compositeur et de novateur de Julio De Caro. Nous allons lever le voile et hisser les voiles pour nous lancer à a découverte de notre tango du jour.

Ce week-end, j’ai animé une milonga organisée par un capitaine de bateau. Je lui dédie cette anecdote. Michel, c’est pour toi et pour Delphine, que vous puissiez voguer, comme les pionniers à la rencontre des merveilles que recèlent la mer et les terres lointaines au compas y al compás de un tango.

Sexteto de Julio De Caro vers 1927.

Au premier plan à gauche, Émilio de Caro au violon, Armando Blasco, bandonéon, Vincent Sciarretta, Contrebasse, Francisco De Caro, piano; Julio De Caro, violin à Cornet et Pedro Laurenz au bandonéon. Emilio est le plus jeune et Francisco le plus âgé des trois frères présents dans le sexteto. Julio avec son violon à cornet domine l’orchestre

Extrait musical

Partition de El bajel signée Francisco et Julio De Caro… Notez qu’il est désigné par le terme “Tango de Salon » et qu’il est dédicacé à Pedro Maffia et Luis Consenza.
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna.

Ce n’est assurément pas un tango de danse. Il est d’ailleurs annoncé comme tango de salon. Contrairement aux tangos de danse où la structure est claire, par exemple du type A+B, ou A+A+B ou autre, ici, on est devant un déploiement musical comme on en trouve en musique classique. Pour des danseurs, il manque le repère de la première annonce du thème, puis celle de la reprise. Ici, le développement est continu et donc il est impossible de deviner ce qui va suivre, sauf à connaître déjà l’œuvre.
C’est une des caractéristiques qui permet de montrer que la part de Francisco et bien plus grande que celle de son petit frère dans l’affaire, ce dernier étant plus traditionnel, comme nous le verrons ci-dessous, par exemple dans le tango 1937 qui est de conception « normale ». Entrée musicale, chanteur qui reprend le thème avec le refrain…

Autres versions

El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour.
El bajel Horacio Salgán au piano. C’est un enregistrement de la radio, la qualité est médiocre et de plus, le public était enrhumé.
El bajel — Horacio Salgán (piano) et Ubaldo De Lío (guitare). Une version de bonne qualité sonore avec en plus la guitare de Ubaldo De Lío.
El bajel 2013 — Orquesta Típica Sans Souci.

L’orchestre Sans Souci sort de sa zone de confort qui est de jouer dans le style de Miguel Caló. Le résultat fait que c’est le seul tango de notre sélection qui soit à peu près dansable. On notera en fin de musique, le petit chapelet de notes qui est la signature de Miguel Caló, mais que l’on avait également dans l’enregistrement de Maderna…

El bajel 2007 — Trio Peter Breiner, Boris Lenko y Stano Palúch.

Une version tirant fortement du côté de la musique classique. Mais c’est une tendance de beaucoup de musiciens que de tirer vers le classique qu’ils trouvent parfois plus intéressant à jouer que les arrangements plus sommaires du tango de bal.

Julio ou Francisco ?

Si le prénom de Julio a été retenu dans les histoires de tango, c’est qu’il était, comme Canaro, un entrepreneur, un homme d’affaires qui savait faire marcher sa boutique et se mettre en avant. Son frère Francisco, aîné d’un an, n’avait pas ce talent et est resté toute sa vie au second plan, malgré ses qualités exceptionnelles de pianiste et compositeur. Il a failli créer un sexteto avec Clausi, mais le projet n’a pas abouti, justement, par manque de capacité entrepreneuriale. Nous évoquerons en fin d’article un autre sexteto dont il est à l’origine, sans lui avoir donné son prénom.
En tango comme ailleurs, ce n’est pas tout que de bien faire, encore faut-il le faire savoir. C’est dommage, mais ceux qui tirent les marrons du feu ne sont pas toujours ceux qui les mangent.
Julio, était donc un homme avec un caractère plutôt fort et il savait mener sa barque, ou son bajel dans le cas présent. Il a su utiliser les talents de son grand frère pour faire marcher sa boutique.
Francisco est mort pauvre et Pedro Laurenz qui, comme Francisco a beaucoup donné à Julio, a aussi connu une fin économiquement difficile.
Julio a signé ou cosigné des titres avec Maffia, Francisco (son frère) et Laurenz, sans toujours faire la part des participations respectives, qui pouvaient être nulles dans certains cas, malgré son nom en vedette.
Par exemple ; El arranque, Boedo ou Tierra querida sont signés par Julio Caro alors qu’ils sont de Pedro Laurenz qui n’est même pas mentionné.

Sexteto De Caro – Julio de Caro (violoniste et directeur d’orchestre, Emilio De Caro (violoniste), Pedro Maffia (bandonéoniste), Leopoldo Thompson (contrebassiste), Francisco De Caro (pianiste), Pedro Laurenz (bandonéoniste).

Sur cette image tirée de la couverture d’une partition de La revancha de Pedro Laurenz on trouve l’équipe de compositeurs associée à Julio De Caro :

  • Emilio De Caro, le petit frère qui a composé une dizaine de titres joués par l’orchestre de Julio.
  • Francisco De Caro, le grand frère qui est probablement le compositeur principal de l’orchestre de Julio, que ce soit sous son nom, en collaboration de Julio ou comme compositeur « caché ».
  • Pedro Maffia, qui « donna » quelques titres à Julio quand il travaillait pour le sexteto
  • Pedro Laurenz, qui fut également un fournisseur de titres pour l’orchestre.
  • Je pourrais rajouter Ruperto Leopoldo Thompson (le contrebassiste) qui a donné Catita enregistré par l’orchestre de Julio de Caro en 1932. Contrairement aux compositions des frères de Julio, de Maffia et de Laurenz, c’est un tango traditionnel, pas du tout novateur.

Quelques indices proposés à l’écoute

Avancer que Julio De Caro n’est pas forcément la tête pensante de l’évolution decarienne, mérite tout de même quelques preuves. Je vous propose de le faire en musique. Voici quelques titres interprétés, quand ils existent, par l’orchestre de Julio de Caro pour ne pas fausser la comparaison… Vous en reconnaîtrez certains qui ont eu des versions prestigieuses, notamment par Pugliese.

Tangos écrits par Julio de Caro seul :

Viña del mar 1936-12-13 – Orquesta Julio De Caro con Pedro Lauga.

Après l’annonce, le thème qui sera repris ensuite par le chanteur, Pedro Lauga. Une composition classique de tango.

1937 (Mil novecientos treinta y siete) 1938-01-10 – Orquesta Julio de Caro con Luis Díaz.

Le tango est encore composé de façon très traditionnelle, sans les innovations que son frère apporte, comme dans Flores negras que vous pourrez entendre ci-dessous.

Ja, ja, ja 1951-06-01 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri. Des rires que l’on retrouvera dans Mala junta.

Je vous laisse méditer sur l’intérêt de ces enregistrements.

Attention, pour ces titres, comme pour les suivants, il ne s’agit pas de musique de danse. Ce n’est donc pas l’aune de la dansabilité qu’il faut les apprécier, mais plutôt sur leur apport à l’évolution du genre musical, ce qui permet de voir que l’apport de Julio dans ce sens n’est peut-être pas aussi important que ce qu’il est convenu de considérer.

Tangos cosignés avec Francisco De Caro (en réalité écrits par Francisco)

Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 — Orquesta Julio De Caro.

Si on considère que c’est un enregistrement de 1928, on mesure bien la modernité de cette composition. Pugliese l’enregistrera en 1944.

La mazorca 1931-01-07 — Orquesta Julio De Caro
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour,

Tangos écrits seulement par Francisco De Caro

Sueño azul 1926-11-29 — Orquesta Julio De Caro.

On pensera à la magnifique version de Osvaldo Fresedo (celle de 1961, bien sûr, pas celle de 1937 écrite par Tibor Barczy (T. Baresi) avec des paroles de Tibor Barczy et Roberto Zerrillo et qu’a si merveilleusement interprété Roberto Ray.
La version de 1961 n’est pas pour la danse, c’est plutôt une œuvre « symphonique » et qui s’inscrit dans la lignée de Francisco De Caro, objet de mon article. Merci à Fred, TDJ, qui m’incite à donner cette précision que j’aurais dû faire, d’autant plus que l’univers de De Caro est souvent moins connu, voire méprisé par les danseurs.

Flores negras 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.

S’il fallait une seule preuve du talent de Francisco, je convoquerai à la barre ce titre. On peut entendre comment commence le titre, avec ces élans des cordes que l’on retrouvera chez Pugliese bien plus tard, tout comme les sols de pianos de Francisco seront ressuscités par Pugliese en son temps. La contrebasse de Thompson marque le compas, mais avec des éclipses, tout comme le fera Pugliese dans ces alternances de passages rythmées et d’autres glissés. Si vous faites attention, vous pourrez distinguer la différence entre le violon d’Emilio et celui de son grand frère Julio qui utilise encore le cornet de l’époque acoustique.
Cette différence de sonorité permet d’attribuer avec certitude les traits plus virtuoses à Emilio. Même si on n’est pas vraiment dans la danse, ce titre pourra curieusement plaire aux amateurs des tangos de Pugliese des années 50, ce qui démontre l’avancée de Francisco par rapport à ses contemporains.
Par rapport à notre tango du jour, il reste un peu de la structure traditionnelle, mais avec de telles variations que cela rendrait la tâche des danseurs très compliquée s’ils leur prenaient l’envie de le danser en improvisation.
Cette magnifique mélodie fait partie de la bande-son du film La puta y la ballena (2004). De Angelis, et Fresedo en ont des versions intéressantes et fort différentes. Celle de De Angelis est même tout à fait dansante.

Je rajoute un enregistrement de qualité très moyenne, mais qui est un excellent témoignage de l’admiration d’Osvaldo Pugliese pour Francisco De Caro.

Flores negras — Osvaldo Pugliese (solo de piano).

Encore une version enregistrée à la radio et avec un public enrhumé.

Loca bohemia 1928-09-14 — Orquesta Julio De Caro
Un poema 1930-01-08 Sexteto Julio De Caro.

Si on compare avec une composition de Julio, même plus tardive, comme Viña del mar (1936), on voit bien qui est le novateur des deux.

Tangos cosignés par Francisco De Caro et Pedro Laurenz

Esquelas 1932-04-07 — Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz

Tangos écrits par Pedro Laurenz et signés Julio De Caro

Tierra querida 1927-09-12 — Orquesta Julio De Caro
Boedo 1928-11-16 — Orquesta Julio De Caro
Boedo, une composition de Pedro Laurenz, signée Julio de Caro et interprété par son orchestre en novembre 1928.

Sur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’étaiSur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’était appelé Hermanos De Caro ou tout simplement De Caro, peut-être que la contribution majeure de Francisco De Caro serait plus connue aujourd’hui. Sur le disque, seul le nom de Julio De Caro apparaît pour la composition, alors que c’est une œuvre de Pedro Laurenz. On comprend qu’à un moment ce dernier ait également quitté l’orchestre.

El arranque 1934-01-04 — Orquesta Julio De Caro

Tango cosigné avec Pedro Laurenz (avec apports de Laurenz majoritaires, voire totaux)

Orgullo criollo 1928-09-17 — Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro

Tangos cosignés avec Pedro Maffia (en réalité écrits par Maffia)

Chiclana 1936-12-15 — Quinteto Los Virtuosos.

Quinteto Los Virtuosos (Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro et Elvino Vardaro (violon)

Tiny 1945-12-18 Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas de version enregistrée par Julio de Caro.

Tangos co-écrits avec Maffia et Laurenz mais signés par Julio de Caro

Buen amigo 1925-05-12 — Orquesta Julio De Caro.

On pensera aux versions de Troilo ou Pugliese pour se rendre compte de la modernité de la composition de Maffia et Laurenz. L’enregistrement acoustique rend toutefois difficile l’appréciation de la subtilité de la composition.

Photographiés en 1927, de gauche à droite : Francisco De Caro, Manlio Francia, Julio De Caro et Pedro Laurenz.

Le violoniste Manlio Francia composa deux tangos qui furent joués par l’orchestre de Julio De Carro, Fantasias (1929) et Pasionaria (1927).

Mais alors, pourquoi on parle de Julio et pas de Francisco ?

J’ai évoqué la personnalité forte de Julio. En fait, l’orchestre initial a été formé par Francisco qui a demandé à ses deux frères de se joindre à son sexteto, en décembre 1923. Le succès aidant, l’orchestre a obtenu différents contrats permettant à l’orchestre de grossir, notamment pour le carnaval (oui, encore le carnaval) jusqu’à devenir une composition monstrueuse d’une vingtaine de musiciens. Ceci explique que le sexteto est généralement appelé orquesta típica, même si ce terme est généralement réservé aux compositions ayant plus d’instrumentistes (bandonéonistes et violonistes).
Au départ, cet orchestre monté par Francisco n’ayant pas de nom, il s’annonçait juste « sous la direction de Julio De Caro. Mais un jour, dans une publicité du club Vogue ou se produisait l’orchestre, l’orchestre était annoncé comme l’orchestre « Julio De Caro. Cela n’a pas plut à Maffia et Petrucelli qui décidèrent alors d’abandonner l’orchestre ne supportant plus le caractère, fort, de Julio et sa volonté de dominer.
Ceux qui connaissent les Daltons penseront sans doute à la personnalité de Joe Dalton pour la comparer à celle de Julio De Caro.

Joe, c’est assurément Julio. Francisco était-il Averell ?

Plus tard, Gabriel Clausi et Pedro Laurenz quitteront l’orchestre à cause du caractère de Julio. Ces derniers ont gardé des attaches avec Francisco et lorsque Osvaldo Pugliese s’est chargé de faire passer à la postérité l’héritage des frères De Caro, c’est à Francisco qu’il se référait.
Donc, ce qui était clair à l’époque, est un peu tombé dans l’oubli, notamment à cause des disques qui portent uniquement le nom de Julio De Caro, puisque tous les orchestres étaient à son nom, ce dernier ayant toujours refusé le partage, Maffia-De Caro ou De Caro-Laurenz, même pas en rêve pour lui.

Orchestre De Caro sur un bateau ?

Cette photo est en général étiquetée comme étant l’orchestre de Julio De Caro en route pour l’Europe en mars 1931. Cependant on reconnaît Thompson, mort en août 1925.
La photo est donc à dater entre 1924 et cette date si c’est l’orchestre De Caro.
Je propose de placer cette photo sur un bateau se rendant en Uruguay ou qui en revient. Julio de Caro avait, à diverses reprises, travaillé en Uruguay, avec Eduardo Arolas, Enrique Delfino et Minotto Di Cicco (dans l’orchestre duquel Francisco était pianiste).
Comme Thomson était avec Juan Carlos Cobián en 1923 et auparavant avec Osvaldo Fresedo, cela confirme que cette photo est au plus tôt de décembre 1923.
Lorsque Francisco du monter son orchestre (qui prit le prénom de son frère), il fit appel outre à ses frères, Emilio et Julio, à Thompson, Luis Petrucelli (bandonéon) puis Pedro Láurenz en septembre 1924 Pedro Maffia (bandonéon) remplacé en 1926 par Armando Blasco et Alfredo Citro (violon). Il y a peu de photos des artistes en 1924 et les portraits que j’ai trouvés ne permettent pas de garantir les noms des autres personnes présentes.
Quoi qu’il en soit, je termine cette anecdote avec une photo prise sur un bateau, même si ce n’est probablement pas un bajel…

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro

José Martínez

On connaît tous Francisco Canaro, le plus prolifique des enregistreurs de tango avec près de 4000 enregistrements sur disque, mais aussi de la musique de film et des enregistrements à la radio. Même si son caractère était un peu fort, il a trouvé des admirateurs qui lui ont dédié des tangos. On connaît parfaitement «Canaro en Paris» de Alejandro Scarpino et Juan Caldarella, mais peut-être un peu moins Canaro, juste Canaro de José Martínez. C’est notre tango du jour, nous allons pallier cette éventuelle lacune.

José Martínez était un pianiste et compositeur qui travailla avec Canaro à ses débuts. C’était au café Los loros (le loro est une sorte de perroquet très commun à Buenos Aires. Il vit en liberté, mais aussi en cage où il sert s’avertisseur en cas d’intrusion dans la maison). Canaro remplaça temporairement le violoniste Julio Doutry d’un trio qu’il formait avec Augusto Berto (bandonéon). Jusqu’au retour de Doutry, Canaro était donc avec Berto et Martínez.
Martínez resta avec cette formation, une fois Canaro parti.
Ils se retrouvent peu après dans un quatuor, « MartínezCanaro, au côté de Fresedo (bandonéon). En 1915, Canaro forme son orchestre et Martínez en assure la partie de piano.
C’est probablement durant cette période que Martínez écrivit le tango Canaro, car ce dernier l’enregistra en 1915 avec son tout nouvel orchestre.
En 1917, Firpo et Canaro collaboreront pour le carnaval de 1917. On voit sur l’affiche la présence de Martínez comme pianiste.

Orchestre Firpo-Canaro, Teatro Colón de Rosario, Carnaval 1917.

En commençant en haut à gauche et dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :

Osvaldo Fresedo (Bandonéon), Agesilao Ferrazzano (Violon), Pedro Polito (Bandonéon), Alejandro Michetti (Flûte), Julio Doutry (Violon), Leopoldo Thompson (Contrebasse, Juan Carlos Bazan (Clarinette, Juan D’Ambrogio « Bachicha » (Bandonéon), Tito David Rocatagliata (Violon), José Martínez (Piano). Au centre, Roberto Firpo, Francisco Canaro et Eduardo Arolas (Bandonéon).
C’était à Rosario au Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…

Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…

Extrait musical

Partition de Canaro par José Martínez avec la dédicace à son estimé ami et auteur national, Francisco Canaro.
Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro
Partition pour piano de Canaro par José Martínez.

Autres versions

Deux des enregistrements de Canaro par Canaro…À gauche une édition espagnole de 1918 de l’enregistrement de 1915 et à droite, l’édition portugaise de notre tango du jour, la version de Canaro de 1935…

Canaro et d’autres orchestres enregistreront le titre à d’autres moments. Nous allons voir cela.

Canaro 1915 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est la première version datant de l’époque de la composition. L’air assez vif et joyeux. La flûte est très présente. Bien sûr, l’enregistrement acoustique et la coutume de jouer chaque fois la musique sans réelles variations, peut rendre le résultat monotone. Cependant, le second thème est assez joli.

Canaro 1927-07-29 — Orquesta Francisco Canaro.

Canaro enregistre à nouveau son titre avec la nouvelle technologie de l’enregistrement électrique. Canaro un rythme, beaucoup plus lent et bien pesant. En 12 ans, il a pris de l’assurance et du poids.

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.

Le rythme est un peu plus rapide que dans la version de 1927, sans atteindre la vitesse de 1905. Cela suffit tout de même pour rendre le thème plus joyeux. Les instrumentistes sont excellents comme peut l’indiquer la liste des artistes qui ont participé sur la période :
Federico Scorticati, Angel Ramos, Ciriaco Ortiz, Horacio Golino, Juan Canaro et Ernesto Di Cicco (bandonéonistes) Luis Riccardi (pianiste) Cayetano Puglisi, Mauricio Mise, Bernardo Stalman, Samuel Reznik et Juan Ríos (violonistes) et Olindo Sinibaldi (contrebassiste).

Canaro 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un petit clin d’œil à son concurrent. Une version bien dans l’esprit de D’Arienzo, bien rythmée, avec des petites facéties joueuses. Une danse qui devrait plaire à beaucoup de danseurs.

Canaro 1952-10-08 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

On reste dans le registre joueur, nouveau pour Canaro. Pour les mêmes raisons que la version de D’Arienzo, celle-ci devrait plaire aux danseurs.

Juan et Mario avec leur Sexteto Juan y Mario Canaro ont également enregistré le titre en 1953. Ce sont aussi des Canaro après tout. Je ne peux pas vous faire écouter, n’ayant pas le disque avec moi au moment où j’écris et ne l’ayant pas numérisé, mais je m’en occupe en rentrant à Buenos Aires. Je vous en attendant un extrait tiré de l’excellent site de référence, tango-dj.at. Non seulement il est très complet, mais en plus, quand il y a une imprécision, il accepte très volontiers les remarques et en tient compte, ce qui n’est pas le cas d’autres sites plus grand public qui disent qu’on a tort et qui corrigent en catimini…

Canaro 1953 — Sexteto Juan y Mario Canaro (EXTRAIT).

Un extrait, donc de la base de données de Tango-dj.at.

Canaro 1953 — Sexteto Ciriaco Ortiz.

Après avoir participé à la version de 1935 dans l’orchestre de Canaro, Ciriaco Ortiz, donne une version très personnelle.

Canaro 1956-02-29 — Orquesta Florindo Sassone.

Comme souvent chez Sassone, la recherche de « joliesse » laisse peu de place à la danse. On notera l’utilisation de la harpe et du vibraphone.

Canaro 1958 — Los Muchachos de Antes.

Avec leur flûte et la guitare et la guitare, les Muchachos de Antes, essayent de faire revivre le tango du début du vingtième siècle. Ce n’est pas du tout vilain et même sympathique. Peut-être pour une despedida délirante avec des danseurs prêts à tout.

Canaro 1962 — Orquesta Rodolfo Biagi.

En 1962, Biagi n’est plus que l’ombre de lui-même. Je cite cette version pour mémoire, mais elle n’apportera pas grand-chose, plusieurs la surpassent largement.

Canaro 1968 — Mariano Mores.

Mariano Mores qui est un rigolo, nous propose une version très différente de toutes les autres. Je ne dis pas que c’est pour les danseurs, mais ça peut aider à déclencher des sourires, lors d’un moment d’écoute.

Voilà, les amis. Je ne vous parle pas aujourd’hui de Canaro à Paris, que Canaro a souvent gravé dans les mêmes périodes que Canaro. Mais promis, à la première occasion, je le mettrai sur la sellette, d’autant plus qu’il y a beaucoup à dire.

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Je pense que vous ne devinerez pas pourquoi il y a un tigre pour présenter le tango du jour, Lorenzo enregistré par Fresedo. Lorenzo était-il un tigre du zoo de Buenos Aires ? Parle-t-on d’un Lorenzo originaire de Tigre ? Rien de tout cela, vous ne pourrez jamais deviner sans lire ce qui suit…

Le tango « Lorenzo » a été composé par Agustín Bardi et les paroles écrites par Mario Alberto Pardo en l’honneur du bandonéoniste Juan Lorenzo Labissier.
Il a été joué pour la première fois dans le café Dominguez (celui qui est célébré par D’Agostino avec la célèbre phrase introductive dite par Julián Centeya :

« Café Domínguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda. Café del cuarteto bravo de Graciano de Leone. »

Café de la vieille rue Corrientes [rue de Buenos Aires, célèbre pour ses théâtres et son histoire intime avec le tango] qui n’existe plus. Café du cuarteto Bravo de Graciano de Leone.
Nous n’avons aucun enregistrement de cette époque [avant 1919] de ce cuarteto constitué de lui-même à la direction et au bandonéon, de Roccatagliata au violon de Carlos Hernani Macchi à la flûte et d’Agustín Bardi, l’auteur de ce tango, au piano.
On peut se demander pourquoi Bardi a dédicacé ce tango à Labissier alors qu’il travaillait pour un autre bandonéoniste. Je n’ai pas la réponse ;-)
Souvent, les hommages sont faits en mémoire d’un ami récemment défunt comme la magnifique Valse « A Magaldi », mais dans le cas présent, le dédicataire a survécu près de 40 ans à cette dédicace. Bardi le connaissait pour avoir travaillé avec lui au café Café Royal, café plus connu sous son surnom de Café del Griego (du Grec). Ce café était situé à proximité de l’angle des rues Necochea et Suarrez (La Boca). À l’époque Bardi était violoniste et se transforma en pianiste… Signalons en passant que Canaro qui a enregistré le titre le 23 mai 1927, la veille de Fresedo qui signe le tango du jour avait fait ses débuts officiels dans les mêmes parages.
N’oublions pas que sur quelques dizaines de mètres se collisionnent de nombreux souvenirs de tango, Lo de Tancredi, le lieu de naissance de Juan de Dios Filiberto, La de Zani, et la rencontre entre Canaro et Eduardo Arolas qui était surnommé le Tigre du bandonéon. Cela pourrait être une des raisons pour laquelle j’ai mis le tigre dans l’image de couverture, mais il y en a une autre. Soyez patients.

Là où on revient à Lorenzo

Pour revenir au dédicataire du tango, Lorenzo n’était pas comme Arolas un Tigre, mais il a joué durant une vingtaine d’années de son instrument dans différents orchestres et notamment avec Vicente Greco (trio, quinteto et típica). La communauté des musiciens de tango semble avoir été très soudée à cette époque et Lorenzo était donc un proche des Greco (Vicente, mais aussi ses frères, Ángel et Domingo).
On peut voir cela aux dédicaces des partitions.

Il a composé quelques titres parmi lesquels : Aquí se vacuna, dédicacé aux docteurs Gregorio Hunt et Fernando Álvarez, La biyuya (l’argent en lunfardo), El charabón (nandou) dédicacé à son ami José Martínez, Blanca Nieve (Blanche Neige) dédicacé à sa sœur Blanca Nieve Labissier, Pochita, Ensueño, Ósculos de fuego, Romulito, Recuerdo inolvidable

Orchestre de Vicente Greco. Lorenzo est le bandonéon de droite. Dans la plupart des illustrations, la photo est inversée. Là, vous l’avez en couleur et à l’endroit…

Extrait musical

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).

Les paroles

Tous les enregistrements sont instrumentaux, mais il y a des paroles, écrites par Mario Alberto Pardo. Les voici…

Noches de loco placer,
de orgias, de mujeres, de champán
que ya no volveré a beber
porque mi corazón,
sangrando en sus recuerdos,
llora una emoción.

Cuando el primer metejón
en mi pecho clavo su ponzoña fatal
y la traición de mujer
en mi pecho el veneno empezó a destilar,
vicio tras vicio adquiriendo,
fui necio bebiendo
mi propio pesar;
loco, hice de mi vida
milonga corrida
buscando olvidar.

Así da gusto la vida
quien lo pudiera gozar
sin un dolor, sin un pesar
con un amor a disfrutar,
buscando siempre la alegría
que reinara
en la música del fueye,
de las copas y el champan.

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Traduction libre et indications

Nuits de plaisir fou, d’orgies, de femmes, de champagne que je ne reviendrai plus boire, parce que mon cœur, saignant dans ses souvenirs, pleure son émotion.
Quand, la première passion amoureuse cloua dans mon cœur son poison fatal et la trahison de la femme s’est mise à distiller son venin, ajoutant vice sur vice, j’ai été stupide de boire mon propre chagrin ;
Fou, j’ai fait de ma vie une milonga débridée pour chercher à oublier.
Ainsi, la vie rend heureux celui qui pourrait en profiter sans douleur, sans regret, avec un amour à profiter, cherchant toujours la joie qui régnera dans la musique du bandonéon, des coupes et le champagne.

Heureusement qu’il parle de bandonéon à la fin, pour rester dans le thème de l’hommage à l’ami du compositeur. Je n’ai pas d’information sur la vie amoureuse de Lorenzo. Il dédicace un tango à sa sœur, Blanche Neige, pas à ma connaissance à une femme. Peut-être a-t-il été empoisonné comme le suggère ce tango et Bardi, en bon ami, a essayé de le consoler avec ce titre.

Les versions

Lorenzo 1926-12-28 — Orquesta Julio De Caro.

Parmi les éléments amusants de cette version, le couplet sifflé à 0:15 et à 1:15) et le cri à 2:21. Le bandonéon est assez discret, les violons dans les pizzicati et les legati, voire le piano, ont plus de présence. Cela n’enlève rien au charme du résultat et les quelques notes finales de bandonéon permettent de rappeler que ce thème est en l’honneur d’un bandonéoniste. Un des rares thèmes de De Caro qui peut se prêter à la danse, en tous as pour ceux qui sont attirés par la vieille garde.

Lorenzo 1927-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.

On reste dans la vieille garde. Cette version est plus simple, directement canyengue, le violon reste présent, mais le bandonéon a un peu plus de temps d’expression que dans la version de De Caro.

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).

Enregistré le lendemain de la version de Canaro, la version de Fresedo est plus dynamique et expressive, tout en conservant les appuyés rappelant le canyengue. Là encore un joli violon. Bardi a décidément été fidèle à son premier instrument. À partir de 1:20, joli solo de bandonéon. Là encore le bandonéon a le dernier mot en lâchant les dernières notes.

Lorenzo 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un tempo soutenu, les bandonéons sont plus présents, par exemple à 1:00 et ils accompagnent les violons qui gardent leurs superbes chants en legato. Un bon d’Arienzo, des débuts de Biagi dans l’orchestre, même si son piano ne se remarque que par quelques gammes virtuoses et par le final qui est donc au piano au lieu du bandonéon.

Lorenzo 1938-03-24 — Orquesta Francisco Canaro.

On redescend en rythme par rapport à Fresedo et D’Arienzo. Le bandonéon a pris à sa charge des éléments qui étaient plus à la charge des violons dans d’autres versions. Le piano a aussi plus de voix. C’est une version complétée par quelques notes de flûte et c’est cette fois-ci le violon qui a le mot de la fin.

Lorenzo 1950-05-05 — Orquesta Francisco Canaro.

Un tempo rapide, dans un style encore un peu canyengue par moment et à d’autres donnant dans le spectaculaire, notamment avec les explosions de piano. Comme dans la version de 1938, la flûte et le bandonéon ont de la présence. C’est au finale une version bien ludique qui donne encore une fois le dernier mot au violon. Sans doute une tendresse personnelle pour son instrument.

Lorenzo 1965 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Je ne sais pas ce qu’aurait pensé Lorenzo s’il avait vécu quinze ans de plus pour pouvoir entendre cette version. En tous cas, pas question de l’exploiter pour danser en milonga.

Lorenzo 1987 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Pour terminer par une version qui peut aller au bal, un petit tour en Uruguay. Comme toujours l’orchestration de Villasboas est claire et semble simple. Le piano, son piano est très présent et marque le rythme et le bandonéon alterne avec le violon. Cette version enjouée devrait ravir les danseurs qui sont prêts à sortir de l’âge d’or. Une seconde écoute pourra être utile pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version afin d’en tirer toutes les subtilités suggérées pour l’improvisation.

Roulons des mécaniques…

Un peu hors concours, une curiosité, une version au pianola :

Le pianola est un piano mécanique qui peut être joué comme un piano normal, à condition de ne pas avoir de trop grandes jambes, car le mécanisme sous le clavier prend de l’espace. Sa particularité, vous la verrez dans la vidéo, est qu’il joue tout seul, comme un organito à partir d’un programme sur carton perforé.

La fortune du thème

En juillet 1947, Henri Betti qui est de passage à Nice s’arrête devant la vitrine d’une boutique de lingerie féminine Scandale et il prétend que c’est là que les neuf premières notes musicales de la chanson lui viennent en tête : fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, ré. Il prétend ensuite avoir écrit le reste en moins de dix minutes.
Lorsqu’il retourne à Paris, il s’entend avec le parolier André Hornez qui lui fait différentes propositions et finalement, c’est si bon, qui est le titre élu pour cette chanson qui commence donc par le fa, mi, mi bémol sur chacune de ces syllabes.
Vos commencez à me connaître et je trouve que cette histoire est très suspecte. En effet, pourquoi citer un magasin de lingerie féminine ? Je comprends que cela peut donner des idées, mais la musique n’évoque pas particulièrement ce type de vêtements.
En fait, la réponse est assez simple à trouver. Regardez quel est l’orchestre qui joue dans cette vidéo :

Et maintenant, écoutez la première version enregistrée de c’est si bon.

C’est si bon 1948 — Jacques Hélian & son Orchestre — Jean Marco

Eh, oui ! C’est l’orchestre de Jacques Hélian, le même qui avait fait la publicité Scandale. De deux choses l’une, Hélian et/ou Betti ont trouvé une façon de monnayer l’histoire auprès de Scandale, afin de montrer que la marque inspirait également les hommes.
Henri Betti tirera beaucoup de satisfaction de ce titre. On le voit ici le jouer en 1959 dans l’émission « Les Joies de la Vie » du 6 avril 1959 réalisée par Claude Barma.

Henri Betti jouant Lorenzo. Pardon, jouant C’est si bon !

Betti a écrit de nombreuses chansons, mais aucun n’a atteint ce succès. Peut-être aurait-il été inspiré de pomper un peu plus sur les auteurs argentins.
N’allons pas en faire un scandale, mais continuons à voguer avec « C’est si bon », qui rapidement traversera l’Atlantique

C’est si bon 1950 — Johnny Desmond Orchestre dirigé par Tony Mottola et les voix en chœur par The Quintones

Le titre sera également repris par Louis Amstrong, Yves Montand et…

Pourquoi un tigre ?

Quand j’étais nettement plus jeune, il y avait une publicité pour une marque d’essence qui promettait de mettre un tigre dans son moteur (ou dans son réservoir selon les pays).
L’air de la publicité était celui de « C’est si bon », mais je l’ai toujours associé à Lorenzo, ne connaissant pas le titre en français.
Je n’ai pas réussi à retrouver cette chanson publicitaire de la fin des années 60, mais je suis sûr que vous me croyez sur parole. La chanson disait « c’est si bon, d’avoir les meilleurs pneus, pouvoir compter sur eux »… et se terminait par « Esso c’est ma station ! ».
« Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette », pardon, voilà que je me prends pour Sganarelle. Voilà justement ce qui explique la présence du tigre. Les gamins dont j’étais tannaient leurs parents pour obtenir la queue de tigre à laisser pendre au rétroviseur. Donc, à défaut du Tigre du Bandonéon (Arolas), c’est le tigre d’Esso qui vous salue et moi qui vous remercie d’avoir lu cela, jusqu’au bout, ce petit texte en l’honneur de Lorenzo Juan Labissier.