Archives par étiquette : Orquesta Típica Los Provincianos (Ciriaco Ortiz) (OTV - Victor)

Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz

Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti

C’est sym­pa de faire des rêves, mais par­fois le retour à la réal­ité est ter­ri­ble. C’est ce qui arrive au héros de cette mag­nifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milon­gas. Ciri­a­co Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provin­cianos, l’a enreg­istrée, il y a exacte­ment 93 ans…

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz.

Dès le début on remar­que que le titre est conçu sous forme de ques­tions-répons­es. L’orchestre lance une ques­tion et un soliste donne la réponse.
Si les vio­lons avec Elvi­no Var­daro sont majori­taire­ment les solistes, les ban­donéons, dont celui de Ciri­a­co Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troi­lo ont égale­ment leurs répar­ties. Pour les danseurs, ces dia­logues sont très intéres­sants, car cela leur per­met de vari­er l’improvisation. La répéti­tiv­ité de la struc­ture per­met de pré­par­er une « réponse » au cas où les pre­miers dia­logues auraient été loupés dans l’improvisation.
Pour les danseurs moins avancés, les pre­miers temps de chaque mesure sont mar­qués par la con­tre­basse de Man­fre­do Lib­er­a­tore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vrai­ment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles.
C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère tem­porel bien mar­qué.
À 1:58, Car­los Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu sur­pren­dre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop per­turber les danseurs. On remar­quera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sour­dine par un dis­cret Poum-Tchi-Tchi, ce qui per­met aux danseurs de garder le rythme.
On remar­quera la com­plex­ité modale de l’œuvre, avec de nom­breux change­ments de tonal­ité, ce qui peut par­fois don­ner une impres­sion de dis­so­nance si on reste sur l’élan de la tonal­ité précé­dente.

Il est dif­fi­cile d’authentifier les instru­men­tistes de l’orchestre, car les orchestres de la Vic­tor étaient à géométrie vari­able. Comme ces orchestres se lim­i­taient aux enreg­istrements, ils se con­stru­i­saient à chaque ses­sion avec des musi­ciens de pre­mier plan, disponibles.
On con­sid­ère générale­ment que les prin­ci­paux musi­ciens de Los Provin­cianos dirigés par Ciri­a­co Ortiz étaient :
Ciri­a­co Ortiz, Aníbal Troi­lo, Hora­cio Golli­no (ban­donéon­istes)
Orlan­do Cara­bel­li (pianiste)
Elvi­no Var­daro, Manuel Núñez, Anto­nio Rossi (vio­lonistes)
Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­bassiste)

Un des orchestres de la Vic­tor

Cette pho­to générale­ment légendée comme étant de Los Provin­cianos, sans doute à cause de la présence de Ciri­a­co Ortiz. Cepen­dant, Mer­cedes Simone n’est pas inter­v­enue dans cet orchestre. Il me sem­ble donc qu’il faut plutôt con­sid­ér­er que c’est une com­po­si­tion mixte, notam­ment avec l’orchestre Típi­ca Vic­tor de Cara­bel­li dont Ciri­a­co Ortiz était égale­ment mem­bre. On notera la présence du jeune Aníbal Troi­lo. Sur la droite, le vio­loniste Ben­jamín Hol­ga­do Bar­rio qui est à l’origine de la pre­mière scis­sion de l’orchestre de D’Agostino. Il récla­mait 17 pesos, pour lui et les autres mem­bres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enreg­istrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Var­gas com­pris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée.
Je pro­pose pour cette pho­to, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui per­met de réu­nir le plus de pro­tag­o­nistes. Mer­cedes Simone a enreg­istré ce jour Cir­co criol­lo avec la Tipi­ca Vic­tor (Cara­bel­li). Sur cette pho­to, il manque Cara­bel­li et, Lesende, qui n’a jamais enreg­istré avec la Vic­tor est plutôt un intrus. En effet, il enreg­is­trait à l’époque avec deux com­pag­nies con­cur­rentes de la Vic­tor, la Brunswick (avec la Orques­ta Típi­ca Brunswick) et avec la Colum­bia (avec l’orchestre de Anto­nio Bonave­na).
Hora­cio Golli­no est générale­ment indiqué comme ayant fait par­tie des pre­miers ban­donéon­istes de Los Provin­cianos. Il était né le 5 févri­er 1911, il aurait donc eu qua­si 20 ans, ce qui sem­ble cor­re­spon­dre à l’âge du troisième ban­donéon­iste de la pho­to.
José María Otero, qui est tou­jours très bien doc­u­men­té, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la pho­to suiv­ante, représen­tant l’orchestre de Troi­lo en 1941, il sem­blerait que l’on puisse valid­er l’hypothèse de Toto.

De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Ani­bal Troi­lo, Eduar­do Mari­no et Hugo Bar­alis. À l’arrière : Pedro Sapoc­hnik, Orlan­do Goñi, Fran­cis­co Fiorenti­no, Kicho Díaz et Astor Piaz­zol­la (qui fit le forc­ing auprès de Troi­lo pour rem­plac­er Toto qui était malade). Hugo Bar­alis a appuyé sa can­di­da­ture…

Cepen­dant, selon Toto Tan­go qui est égale­ment une source de haute qual­ité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma data­tion de la pho­to est bonne, ce qui sem­ble tout de même un peu jeune et ne cor­re­spond pas à l’image. Si on regarde l’âge prob­a­ble des dif­férents musi­ciens de la pre­mière pho­to, la date de 1931 est fort plau­si­ble ; Troi­lo fait vrai­ment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la sec­onde, il a 27 ans, il sem­ble dif­fi­cile de con­sid­ér­er qu’il y a beau­coup moins de 10 ans entre les pho­tos.
Je pro­pose donc d’identifier Hora­cio Golli­no sur cette pho­to, ce qui nous per­me­t­tra d’avoir enfin un vis­age à met­tre sur ce musi­cien de grande qual­ité, qui ter­mi­na sa vie en don­nant des cours de musique sans pou­voir pra­ti­quer le ban­donéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.

Paroles

Que sueño aquel tan hon­do y cru­el
Me vi en la glo­ria de tu pecho amante
Y a al instante todo se acabo
Fue mi Sueño imag­i­na­do
Nada más que un sop­lo de plac­er
Que se fumó y una ilusión hecha can­ción que se apagó
Cieto Minoc­chio Letra: Fran­cis­co Bran­cat­ti

Traduction libre

Quel rêve si pro­fond et cru­el.
Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instan­ta­né­ment, tout fut ter­miné.
C’é­tait mon rêve imag­iné,
rien de plus qu’un souf­fle de plaisir
qui par­tit en fumée et une illu­sion faite chan­son qui s’éteignait.

Autres versions…

Il n’y a pas d’autre ver­sion enreg­istrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nom­breux auteurs de tous types de musique. Je vous pro­pose donc de ter­min­er en réé­coutant cette valse.

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz. C’est notre valse du jour.

À bien­tôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réalis­eront.

Samaritana 1932-07-27 — Orquesta Típica Los Provincianos Dir. Ciriaco Ortiz con Alberto Gómez

Luis Rubistein (Musique et paroles)

À Buenos Aires, la majorité des milon­gas con­tin­u­ent de faire des tan­das de 4 titres pour les tan­gos, et pour quelques-unes, y com­pris pour les valses, mais unique­ment si tous les danseurs dansent, ce qui est générale­ment le cas. Notre tan­go du jour est donc, vous l’avez dev­iné, une valse, sans doute trop peu con­nue, Samar­i­tana. Elle a été enreg­istrée il y a 92 ans.

Ceux qui me con­nais­sent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propo­si­tions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la struc­ture par­ti­c­ulière à trois temps avec le pre­mier temps accen­tué (POUM – tchi — tchi). Il est donc plus facile de pren­dre des risques avec les valses que les tan­gos et encore plus que les milon­gas, qui ont le rythme le plus dif­fi­cile à pro­pos­er en milon­ga.

Los Provincianos

Ciri­a­co Ortiz Direc­tion et ban­donéon, Aníbal Troi­lo et Hora­cio Golli­no (ban­donéons), Orlan­do Cara­bel­li (piano), Elvi­no Var­daro et Manuel Núñez (vio­lons), Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­basse) et Alber­to Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enreg­istré cette valse.

Orques­ta Los Provin­cianos. Vous aurez recon­nu le jeune Aníbal Troi­lo et son ban­donéon qui l’accompagnera durant toute sa car­rière…

On trou­ve par­fois cet enreg­istrement sous le nom d’orchestre OTV – Orches­tra Típi­ca Víc­tor. Ce n’est pas vrai­ment faux, car il s’agit effec­tive­ment d’un orchestre créé par la mai­son de disque Víc­tor et qui était des­tiné à enreg­istr­er des dis­ques.
Le pre­mier orchestre, celui qui était dirigé par Cara­bel­li avec le nom de OTV, mais par la suite, la com­pag­nie Víc­tor déci­da de mul­ti­pli­er les orchestres et pour s’y retrou­ver, elle leur don­na des nos dif­férents…

  • La Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos, dirigée par Ciri­a­co Ortiz et qui a enreg­istré notre valse du jour et qui est en fait la con­tin­u­a­tion de l’orchestre de Cara­bel­li, d’où le fait qu’on le nomme par­fois tout sim­ple­ment Típi­ca Víc­tor, comme le pre­mier orchestre et comme on le fera pour les suiv­ants…
  • La Orques­ta Víc­tor Pop­u­lar,
  • La Orques­ta Radio Víc­tor Argenti­na, dirigée par Mario Mau­ra­no
  • La Orques­ta Argenti­na Víc­tor
  • La Orques­ta Víc­tor Inter­na­cional
  • El Cuar­te­to Víc­tor com­posé de Cayetano Puglisi et Anto­nio Rossi (vio­lons), Ciri­a­co Ortiz et Fran­cis­co Pracáni­co (ban­donéons)
  • El Trío Víc­tor com­posé de Elvi­no Var­daro (vio­lon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (gui­tares).

Même si cet orchestre n’était pas des­tiné à jouer en pub­lic, les habitués du Cabaret Casano­va qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troi­lo avec son orchestre, juste en tra­ver­sant la rue…) et qui existe, lui, tou­jours, ont pu enten­dre l’orchestre sur scène.

Extrait musical

Samar­i­tana 1932-07-27 – Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Alber­to Gómez.

Les vio­lons dessi­nent les pre­mières notes sur une base stac­ca­to du reste de l’orchestre et notam­ment des ban­donéons et de la con­tre­basse qui mar­que fer­me­ment les pre­miers temps. Puis s’exprime le sub­lime vio­lon soliste. Les ban­donéons repren­nent la voix avec à 35 sec­on­des un curieux (mais génial) glis­san­do. À 1:12, Alber­to Gómez lance le chant, tou­jours en mode mineur, mais ce n’est pas éton­nant vu les paroles. Sa voix décon­trac­tée enlève la tragédie des paroles, il ter­mine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oubli­er le triste des paroles, ce qu’il fait par­faite­ment, notam­ment avec la vari­a­tion finale exé­cutée prin­ci­pale­ment par les ban­donéons en dou­ble croche.

Les orchestres Víc­tor sont des­tinés aux dis­ques, mais aux dis­ques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres com­por­tent une telle pro­por­tion de mer­veilles.

Paroles

N’ayant pas trou­vé la par­ti­tion, ni les paroles, il s’agit ici unique­ment de ce que chante Alber­to Gómez.

El dolor, cruzó mi corazón
Gol­pe­an­do fuerte,
Dejan­do en su ruti­na
Frío de muerte,
Que me asesina
Sin com­pasión.

Mi can­tar se ahoga con mi voz
Que es una pena,
Y nada me con­suela
De haber per­di­do,
Lo que he queri­do
Con tan­to amor.

Luis Rubis­tein (Musique et paroles)

Traduction libre des paroles

La douleur a transper­cé mon cœur, frap­pant fort, lais­sant dans sa rou­tine, le froid de la mort qui me tue sans com­pas­sion.
Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un cha­grin, et rien ne me con­sole d’avoir per­du ce que j’ai aimé avec tant d’amour.

Qui est la samaritana ?

Je pose la ques­tion, mais je n’ai pas de réponse.
Le sens le plus com­mun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits.
Par exten­sion, le terme désigne une per­son­ne qui se dévoue pour les autres.
Mais ce n’est pas tout, la samar­i­taine est une pécher­esse, car elle a eu cinq « maris » sans être mar­iée. Cette direc­tion nous rap­pelle que les pros­ti­tuées héri­tent par­fois de cette appel­la­tion, comme le rap­pelle la très belle chan­son du chanteur espag­nol José Luis Perales, Samar­i­tanas del amor.

Samar­i­tanas del amor — José Luis Perales avec sous-titre et tra­duc­tion pos­si­ble…

Comme cette valse est orphe­line et les paroles incom­plètes, on ne peut rester qu’à des sup­po­si­tions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ?
On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nos­tradamus argentin » a qual­i­fié l’Argen­tine de Samar­i­tana del Mun­do, l’Argen­tine accueil­lant les peu­ples meur­tris.

Solari Par­ravici­ni — Dibu­jos pro­feti­cos

Je ne me pronon­cerai pas sur la valid­ité des prophéties de Solari Par­ravici­ni, mais le fait que Luis Rubis­tein était sen­si­ble au pro­jet sion­iste peut l’avoir influ­encé. Je me garderai de faire tout rap­proche­ment avec l’actualité argen­tine, en lais­sant les coïn­ci­dences non analysées.

Tristesse et joie du tango

Pour moi, le tan­go est une pen­sée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire atten­tion aux paroles, vous ne décou­vrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous lais­serez envelop­per par le rythme implaca­ble de la valse en ne pen­sant à rien d’autre.
Dis­cépo­lo qui a écrit le con­traire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une pro­fonde dépres­sion. Un homme mal­heureux au point de se laiss­er mourir de faim est-il un bon témoin pour par­ler du plaisir du tan­go qui a ani­mé, pen­dant plusieurs décen­nies, des mil­liers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cam­bal­ache avait un regard plutôt noir et dés­abusé sur le monde. Nicolás Oli­vari assura que Dis­cépo­lo était la cheville ouvrière de l’hu­mour de Buenos Aires, grais­sée par l’an­goisse. (Oli­vari écrivait El per­no, c’est le boulon, mais aus­si la par­tie qui main­tient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus impor­tante des char­rettes avec roues avant ori­enta­bles. Notons qu’en lun­far­do, el per­no est aus­si le mem­bre vir­il).
Les paroles de Luis Rubis­tein pour­raient paraître de la même veine, mais elles par­lent d’une douleur intime, presque théâ­tral­isée, celle que ressent l’amoureux qui a per­du son objet d’amour, elles ne man­i­fes­tent pas néces­saire­ment un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubis­tein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aus­si, il pou­vait par­faite­ment établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique.
En Europe, on s’interdit cer­tains tan­gos, car les paroles par­lent de sujets tristes (Juan Porteño, La nove­na), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en com­pren­dre les paroles, per­son­ne n’y fait atten­tion et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être éton­nant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils con­nais­sent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vul­gaires comme Si soy así (inter­prété par Rodríguez avec Her­rera).
Ceci pour dire que le tan­go de danse se fait à par­tir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tan­go pour la milon­ga, sauf à de très rares excep­tions. On aura remar­qué que même lorsque les paroles fai­saient référence à une his­toire triste, les tan­gos de danse n’en repren­nent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux cou­plets en plus, mais que générale­ment, les par­ties les plus sin­istres ne sont pas chan­tées.
Le tan­go triste est le tan­go à écouter, car il dif­fuse la total­ité de l’histoire et que cette his­toire peut effec­tive­ment être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dis­pose pas de l’amortissement de la musique et est con­fron­té à la dureté du texte.
On peut se deman­der pourquoi le tan­go exprime sou­vent des pen­sées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habi­tant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me sem­ble facile d’y voir un début d’explication.
La nos­tal­gie de l’émigré, immi­gré, sou­vent issu de pop­u­la­tions défa­vorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut don­ner une cer­taine propen­sion à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su domin­er leurs dif­fi­cultés. Ils pen­saient arriv­er dans un espace vierge à con­quérir pour se lancer dans une nou­velle vie, mais con­traire­ment à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entière­ment pri­vatisée, aux mains de quelques grandes familles et les con­quérants espérant s’établir en vivant de leurs ter­res ont été réduits à devoir tra­vailler pour les pro­prié­taires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main‑d’œuvre à l’industrie.
Ils ont quit­té une mis­ère pour en trou­ver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des ten­dances mélan­col­iques. Alors, la danse ne pou­vait pas être autre chose qu’un exu­toire, un sas de décom­pres­sion, ce qui explique les excès des pre­miers temps et la cir­con­scrip­tion à des lieux inter­lopes et pop­u­laires du tan­go. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façon­né une autre cul­ture.

El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes

Le tan­go a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse.
Tout bon DJ con­naît les dif­férents degrés de la musique qui s’adresse aux sen­ti­ments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les dif­férents car­ac­tères qu’il ani­me la milon­ga.
Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troi­lo, l’intellectuel de Pugliese et le sen­ti­men­tal de Di Sar­li for­ment les qua­tre piliers qui ser­vent à con­stru­ire une milon­ga qui don­nera à toutes les sen­si­bil­ités de danseurs, de quoi être heureux. Évidem­ment, cette répar­ti­tion que l’on donne comme indi­ca­tion aux DJ débu­tants est très som­maire et demande à être nuancée.
Il n’est pas ques­tion d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favoris­era plutôt l’un des piliers. On passera générale­ment plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille.
Par ailleurs, met­tre dans une de ces qua­tre cas­es ces qua­tre orchestres, c’est oubli­er qu’ils ont évolué et ont nav­igué d’une case à l’autre selon les péri­odes. Il faut donc nuancer la déf­i­ni­tion des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces qua­tre sen­si­bil­ités et qu’ils peu­vent très bien se sub­stituer aux orchestres canon­iques.
Maler­ba et Caló, peu­vent aller dans la case roman­tique, tout comme De Caro et cer­tains Troi­lo qui peu­vent se class­er dans la case intel­lectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ain­si de suite.
C’est la rai­son pour laque­lle on alterne les gen­res. On ne passera générale­ment pas deux tan­das romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des qua­tre piliers à l’autre dans le but de ne pas laiss­er sur sa chaise un danseur avec deux tan­das qui sont de types qui ne lui par­lent pas. Com­bi­en de fois avez-vous ressen­ti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notam­ment dans ces milon­gas où le DJ respecte un ordre chronologique, com­mençant par la vieille garde et ter­mi­nant par le tan­go « nue­vo » …
Je me sou­viens d’un danseur, dans une ville française qui fut autre­fois pio­nnière dans le tan­go (et qui n’est pas Paris), qui après une tan­da de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotan­go main­tenant ? Ne com­prenant pas le sens de sa ques­tion, je lui ai demandé des pré­ci­sions et il m’a dit qu’ici, les DJ com­mençaient par Canaro et ter­mi­naient par du néotan­go et comme il était rel­a­tive­ment tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir par­tir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai ras­suré et il est resté, jusqu’à la fin.

Sur ce, je vous dis à demain, les amis…

Princesa del fango 1951-05-11 — Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra : Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Nous avons décou­vert, à l’occasion de Porteña lin­da Rosi­ta, l’amour mal­heureux d’Hora­cio San­guinet­ti. Dans ce tan­go inter­prété par Julio Sosa, San­guinet­ti nous par­le d’elle et de son amour. Sortez vos mou­choirs.

Rosita

Rosi­ta, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coif­fés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de San­guineti. Mal­heureuse­ment, celle-ci est par­tie avec un autre, mais on peut trou­ver son por­trait en fil­igrane dans dif­férentes com­po­si­tions de San­guinet­ti et notam­ment dans Prince­sa del fan­go.
En effet, Rosi­ta était une tra­vailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ter­nit les âmes.

Rosi­ta, alias : Prince­sa del fan­go. Rosi­ta, que j’imagine un peu à la Evi­ta était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « mod­erne ».

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de Prince­sa del fan­go avec en cou­ver­ture, Franci­ni et Pon­tier.
Prince­sa del fan­go 1951-05-11 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au ser­vice de la nos­tal­gie triste de San­guinet­ti. Cette ver­sion qui est la seule enreg­istrée ne sera pas des­tinée à la danse, mais c’est une belle chan­son, émo­tion­nante.

Paroles

(recita­do)
Se alargan las graves caden­cias de un tan­go,
un mís­ti­co sop­lo recorre el salón…
Y rezan las tristes prince­sas del fan­go
ple­garias que se alzan des­de un ban­doneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, ami­ga,
el bel­lo topa­cio del mági­co alco­hol.
La sed que yo ten­go me que­ma la vida,
bebi­en­do des­cansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabel­lo, tu piel de azu­ce­na,
tu largo vesti­do de seda y de tul,
me ale­gran los ojos, me bor­ran las penas,
me envuel­ven el alma en un sueño azul.

Prince­sa del fan­go,
baile­mos un tan­go…
¿No ves que estoy triste,
que llo­ra mi voz?
Prince­sa del fan­go,
her­mosa y coque­ta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me sien­to esta noche más triste que nun­ca
me ron­da un oscuro fan­tas­ma de amor
por eso es que quiero matar su recuer­do
ahogan­do mi angus­tia, con tan­gos y alco­hol.
Yo sé que si miente tu boca pin­ta­da,
esconde un amar­go can­san­cio fatal.
Tu alma y mi alma están amar­radas
llo­ramos el mis­mo dolor de arra­bal.

Enrique Mario Franci­ni Letra: Hora­cio San­guinet­ti (Hora­cio Baster­ra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Réc­i­tatif)
Les cadences graves d’un tan­go s’allongent, un souf­fle mys­tique par­court la pièce…
Et les tristes princess­es de la boue réci­tent des prières qui s’élèvent d’un ban­donéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool mag­ique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouis­sent mes yeux, effacent mes peines, envelop­pent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dan­sons un tan­go…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un som­bre fan­tôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son sou­venir en noy­ant mon angoisse avec des tan­gos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleu­rons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fan­go a inspiré plusieurs com­pos­i­teurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

Cuna de tango (Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fan­go 1952-08-11 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas y Coro.

Un titre con­tem­po­rain de notre tan­go du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chan­son à car­ac­tère de milon­ga.
Au début, Alber­to Are­nas, dans son réc­i­tatif ini­tial, dit :

A este tan­go, flor de tan­go
Quieren cam­biar­lo de ran­go,
Pobre tan­go, flor de tan­go
Meci­do en cuna de fan­go.

De ce tan­go, fleur du tan­go
Ils veu­lent chang­er le rang,
Pau­vre tan­go, fleur du tan­go
Bercé dans le berceau de la fange.

Ran­go, Fan­go et Tan­go sont des rimes rich­es. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déc­la­ra­tion lim­i­naire, il affirme une posi­tion sem­blable à celle de Borges qui con­sid­ère que le tan­go est affaire de bor­del et qu’il aurait dû se can­ton­ner à cet univers « vir­il »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: Pascual Contursi)

Peut-être le Flor de tan­go évo­qué par Cuna de tan­go…

Flor de fan­go 1918 — Car­los Gardel con acomp. de José Ricar­do (gui­tare).

On est à l’opposé de la milon­ga précé­dente. Car­los Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tan­go qui s’affirment. Gardel et Borges, enne­mis à vie. Rien de tan­go bru­tal et rugueux dans cette chan­son du charmeur Gardel.

Flor de fan­go 1926-10-25 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dir. Cara­bel­li.

Une ver­sion vieille garde. Suff­isam­ment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Cara­bel­li n’est pas si loin dans cette ver­sion) et à Borges.

Flor de fan­go 1940-04-25 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Rober­to Fir­po dans son style sautil­lant. Sûr que ça va éclabouss­er. Je ne sais pas com­ment a réag­it Borges à cette ver­sion sym­pa­thique mais man­quant tout de même un peu de char­p­ente.

Flor de fan­go 1960-02-12 — Miguel Vil­las­boas y su Quin­te­to Bra­vo del 900.

Et on con­tin­ue à éclabouss­er avec Vil­las­boas qui reprend le style sautil­lant de Fir­po.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; C. Franzino Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fan­go, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fan­go 1931-07-08 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente.

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nos­tal­gie. On est loin de la fleur sautil­lante de Fir­po et Vil­las­boas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour ter­min­er avec notre orchestre du jour. Franci­ni-Pon­tier. Voici un titre qui a une let­tre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tan­go. La musique est du même Enrique Franci­ni, mais cette fois les paroles sont de Car­los Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tan­go, Julio Sosa, mais le moins con­nu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Ital­ie et établi à Mon­te­v­ideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre rai­son pour que j’associe cet enreg­istrement à notre tan­go du jour.

Pablo Moreno, le bary­ton ita­lo-uruguayen
Triste flor de tan­go 1953-09-22 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Pablo Moreno.

Lorsque Franci­ni et Pon­tier quit­tèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils for­mèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs tal­ents de vio­loniste (Franci­ni) et ban­donéon­iste (Pon­tier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est net­te­ment moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de bary­ton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des mer­veilles s’il avait eu une car­rière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa ver­sion de Manos ado­radas sur­passe les ver­sions de Rober­to Rufi­no et celles de Caló et si la ver­sion de Pugliese avec Alber­to Morán est peut-être supérieure, elle le doit aus­si au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Franci­ni, Mon­tier et Moreno pour la valse Manos ado­radas, his­toire d’utiliser la force cen­trifuge pour éjecter toute la boue accu­mulée…

Manos ado­radas 1952-12-10 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Pablo Moreno
Prince­sa del fan­go.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Aujourd’hui, une valse pour déclar­er son amour à une jolie femme. Pour cela, qua­tre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caru­so, Juan d’Arienzo et Wal­ter Cabral. Nous appellerons égale­ment à la rescousse, d’autres grands du tan­go pour vous don­ner les argu­ments néces­saires pour séduire une femme papil­lon.

Avec D’Arienzo à la baguette et Bia­gi, on a l’assurance d’avoir une valse dans­able.
En, ce qui con­cerne le chanteur, Wal­ter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui col­la­bor­era un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : Un Plac­er, Tu Olvi­do et Irene et une milon­ga orphe­line Silue­ta Porteña.

Extrait musical

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral.

Je vous laisse l’é­couter. On en repar­lera en com­para­i­son avec les autres ver­sions de ce titre.

Les paroles

Lin­da mari­posa
tú eres mi ale­gría
y tus col­ores de rosa
te hacen tan her­mosa
que en el alma mía
tu ima­gen quedó.

Por eso a tu reja
hoy ven­go a can­tarte,
para decirte, mi diosa,
que eres muy her­mosa
y no puedo olvi­darte
que antes de dejarte
pre­fiero la muerte
que sólo con verte
es para mí un plac­er.

Sin tu amor ya no puedo vivir.
¡Oh! ven pron­to no me hagas penar.
De tus labios yo quiero sen­tir
el plac­er que se siente al besar.
Y por eso en mi can­to te ruego
que apagues el fuego
que hay den­tro de mí.

Oye ama­da mía
tuyo es mi quer­er,
que tuya es el alma mía
toda mi poesía
mis ale­gres días,
her­mosa mujer.

Sale a tu ven­tana
que quiero admi­rarte.
Sale mi rosa tem­prana,
her­mosa galana,
que yo quiero hablarte
y quiero robarte
tu quer­er que es san­to
porque te amo tan­to
que no puedo más.

Y si el des­ti­no
de ti me sep­a­ra
nun­ca podre ser feliz
y antes pre­fiero morir.
Porque tu car­iño
es mi vida entera.
Tú has de ser la postr­era,
la dulce com­pañera que ayer soñé.

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Joli papil­lon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te ren­dent si belle que dans mon âme ton image est restée.


C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quit­ter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.

Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sen­tir le plaisir que l’on ressent en embras­sant et c’est pourquoi dans ma chan­son je te sup­plie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.

Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; mer­veilleuse femme.

Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose pré­coce, belle galante, car je veux te par­ler et te vol­er ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.

Et si le des­tin me séparait de toi, je ne pour­rais jamais être heureux et préfér­erais mourir. Parce que ta ten­dresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce com­pagne dont j’ai rêvé hier.

Autres versions

Un plac­er 1931-04-23 — Orques­ta Juan Maglio Pacho.

Un tem­po très lent, qui peut désta­bilis­er cer­tains danseurs. C’est une ver­sion instru­men­tale, avec sans doute un peu de monot­o­nie mal­gré des vari­a­tions de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la pro­pos­er à mes danseurs.

Un plac­er 1933-04-11 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos (dir. Ciri­a­co Ortiz) con Car­los Lafuente.

Avec la voix un peu aigre de Car­los Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraî­nante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui rav­it en général les danseurs, surtout en fin de tan­da. On est claire­ment mon­té d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette ver­sion. L’orchestre est Los provin­cianos, mais il s’agit d’un orchestre Vic­tor dirigé par Ciri­a­co Ortiz. Ce qui fait que vous pou­vez trou­ver le même enreg­istrement sous les trois formes : Los Provin­cianos, Típi­ca Vic­tor ou Ciri­a­co Ortiz, voire un mix­age des trois, mais tout cela se réfère à cet enreg­istrement du 11 avril 1933.

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est le tan­go du jour.

La voix de Wal­ter Cabral rap­pelle celle de Car­los Lafuente, une voix de ténor un peu nasil­larde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite par­tie de la valse. L’impression d’accélération ressen­tie avec la ver­sion de Ciri­a­co Ortiz est présente, mais c’est une con­stante chez d’Arienzo. BIa­gi qui a inté­gré l’orchestre il y a cinq mois est rel­a­tive­ment dis­cret. Il se détache sur quelques ponc­tu­a­tions lâchées sur les temps de res­pi­ra­tion de l’orchestre. Il n’a pas encore com­plète­ment trou­vé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…

Un plac­er 1942-06-12 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Ici pas de voix aigre ou nasil­larde, les par­ties sont chan­tées par les vio­lons, ou par le chœur des instru­ments, avec bien sûr le dernier mot au ban­donéon de Troi­lo qui ter­mine divine­ment cette ver­sion élé­gante et dansante.

Un plac­er 1949-02 — Fran­cis­co Lau­ro con su Sex­te­to Los Men­do­ci­nos y Argenti­no Olivi­er.

Une ver­sion un peu faible à mon goût. Le sex­te­to manque de présence et Argenti­no Olivi­er, déroule les paroles, sans provo­quer une émo­tion irré­press­ible. Une ver­sion que je ne recom­man­derai pas, mais qui a son intérêt his­torique et qui après tout peut avoir ses fana­tiques.

Un plac­er 1949-08-04 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.

Une ver­sion très jolie, avec piano, vio­lons et ban­donéons expres­sifs. L’originalité est la presta­tion en Duo, de deux mag­nifiques chanteurs, Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. On peut ressen­tir un léger éton­nement en écoutant les paroles, les deux sem­blent se répon­dre. C’est une jolie ver­sion, mais peut-être pas la pre­mière à pro­pos­er en milon­ga.

Un plac­er 1954 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Une mag­nifique ver­sion dans le dia­logue entre le ban­donéon et la gui­tare. La musique est riche en nuances. Le ban­donéon démarre tris­te­ment, puis la gui­tare donne le rythme de la valse et le ban­donéon alter­nent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le ban­donéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réver­béra­tion du ban­donéon peut être causée par un éloigne­ment physique impor­tant du ban­donéon par rap­port au micro­phone, ou bien à un ajout ponctuel de réver­béra­tion sur ce pas­sage. Je ne suis pas sûr que cet arti­fice provo­qué par l’enregistrement apporte beau­coup au jeu de Troi­lo. Il faut toute­fois par­don­ner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nou­velle ère tech­nique et il a sans doute eu envie de jouer avec les bou­tons…

Un plac­er 1958-10-07 — Orques­ta José Bas­so con Alfre­do Belusi y Flo­re­al Ruiz.

José Bas­so refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfre­do Belusi et Ricar­do Ruiz. À mon avis, cela fonc­tionne moins bien que la ver­sion de 1949.

Un plac­er 1979 — Sex­te­to May­or.

Pour ter­min­er, une ver­sion assez orig­i­nale, dès l’introduction. Je vous laisse la décou­vrir. Étant lim­ité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pou­vez pas enten­dre la stéréo vrai­ment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qual­ité et en mono pour tenir dans la lim­ite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milon­ga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milon­ga, c’est à lim­iter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instru­ment et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à pass­er (c’est fréquent dans les démos), je lim­ite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du cen­tre. Une salle de bal n’est pas un audi­to­ri­um…

Mini tanda en cadeau

Cabral n’a enreg­istré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous pro­pose d’écouter et surtout danser cette mini tan­da de seule­ment trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tan­da la voix un peu sur­prenante de Cabral.

Cerise sur la tan­da. Par­don, le gâteau, les trois titres for­ment une his­toire. Il décou­vre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se ter­mine mal…

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est le tan­go du jour.
Irene 1936-06-09 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral
Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral

Vida y obra de Walter Cabral

Vous pour­rez trou­ver sur ce site, une biogra­phie com­plète de ce chanteur.

Tus besos fueron míos 1927-02-17 (Tango) — Orquesta Típica Victor (Direction Adolfo Carabelli)

Anselmo Alfredo Aieta Letra : Francisco García Jiménez

Tus besos fueron míos

Le tan­go du jour a 97 ans. Son titre est explicite, Tus besos fueron míos (Tes bais­ers furent miens) et son sujet, tou­jours d’actualité.
Même s’il s’agit ici d’une ver­sion instru­men­tale, on imag­ine qu’il s’agit de la chan­son de la perte d’un amour. Les paroles que l’on con­naît dans la plu­part des autres ver­sions le con­fir­ment.
J’ai choisi ce tan­go pour pou­voir par­ler de son édi­teur, la firme RCA Vic­tor. En effet, l’orchestre Típi­ca Vic­tor ne jouait pas en pub­lic, seule­ment en stu­dio, c’est l’o­rig­i­nal­ité de cer­tains de ces orchestres de maisons d’édi­tion.

Victor ou Victors ?

La par­tic­u­lar­ité de ces orchestres de maisons d’édition de dis­ques était qu’ils n’étaient pas asso­ciés à un Directeur d’orchestre. Les musi­ciens pou­vaient rester les mêmes et le chef chang­er, con­traire­ment aux orchestres dirigés par des chefs ayant don­né leur nom à l’orchestre. Le pre­mier chef d’orchestre à avoir été con­trac­té par la Vic­tor a été un jeune pianiste, Adol­fo Cara­bel­li, qui a eu par la suite son pro­pre orchestre. Ce tan­go date de cette péri­ode.

Les musi­ciens de la orques­ta Típi­ca Vic­tor vers 1927 De gauche à droite : Con­tre­basse : Hum­ber­to Costan­zo — Vio­lons : Euge­nio Romano, Age­si­lao Fer­raz­zano et Man­lio Fran­cia — Ban­donéons : Luis Petru­cel­li, Ciri­a­co Ortiz et Nicolás Prim­i­ani — Piano : Vicente Gor­rese. Adol­fo Cara­bel­li (le chef d’orchestre et le vio­loniste Elvi­no Var­daro qui tra­vail­lait aus­si à l’époque pour la RCA Vic­tor, ne sont pas sur la pho­to.

Qui dit pas Victor a parfois tort

Sou­vent, des danseurs me deman­dent la Típi­ca Vic­tor. Soucieux de leur faire plaisir, je leur demande quel orchestre, quelle péri­ode, quel titre et je n’obtiens jamais de réponse.
Cer­tains DJ, sous le pré­texte qu’il y a écrit Vic­tor passent n’importe quels titres sans tenir compte des styles assez dif­férents selon les orchestres et les directeurs qui se sont suc­cédé.

Les différents orchestres Victor

  • Orques­ta Vic­tor Pop­u­lar
  • Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos (Ciri­a­co Ortiz)
  • Orques­ta Radio Vic­tor Argenti­na (Mario Mau­ra­no)
  • Orques­ta Argenti­na Vic­tor
  • Orques­ta Vic­tor Inter­na­cional
  • Cuar­te­to Vic­tor [Cayetano Puglisi et Anto­nio Rossi (vio­lons), Ciri­a­co Ortiz et Fran­cis­co Pracáni­co (ban­donéons)]
  • Trío Vic­tor [Elvi­no Var­daro (vio­lon), Oscar Alemán et Gastón Buen (gui­tares)]

En revanche, il est sou­vent pos­si­ble de mélanger un titre de la Vic­tor avec un titre enreg­istré par le même chef avec son pro­pre orchestre.
On remar­quera, en effet, qu’avec les mêmes musi­ciens, les chefs ont mis leur empreinte. C’est d’ailleurs un phénomène bien con­nu pour les orchestres de musique clas­sique.

Le nom ne fait pas la tanda

Beau­coup de DJ débu­tants l’apprennent à leur dépens (ou à celui de leurs danseurs), le nom d’un orchestre ne suf­fit pas pour fab­ri­quer une belle tan­da. Dans le cas des orchestres Vic­tor, c’est assez clair, mais si on prend l’exemple de Canaro, de ces dif­férents orchestres (tan­go et jazz), de ses dif­férentes for­ma­tions, quin­tettes, Típi­cas et de sa très longue péri­ode d’enregistrement, on se retrou­ve face au même prob­lème.
Recon­nais­sons toute­fois que c’est un peu moins gênant main­tenant, car ces DJ s’appuient désor­mais sur des playlists qui cir­cu­lent et que donc, le tra­vail de tri a déjà été fait. C’était par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble au début des années 2000. Voir à ce sujet, cet arti­cle.

Écoute

Tus besos fueron míos 1927-02–17Orques­ta Típi­ca Vic­tor (Direc­tion Adol­fo Cara­bel­li)

L’archive sonore présen­tée ici, l’est à titre d’ex­em­ple didac­tique. La qual­ité sonore est réduite à cause de la plate­forme de dif­fu­sion qui n’ac­cepte pas les fichiers que j’u­tilise en milon­ga et qui sont env­i­ron 50 fois plus gros et de bien meilleure qual­ité. Je pense toute­fois que cet extrait vous per­me­t­tra de décou­vrir le titre en atten­dant que vous le trou­viez dans une qual­ité audio­phile.

Les paroles

Tus besos fueron míos.
Dique Vic­tor 79334‑A

Hoy pasas a mi lado con fría indifer­en­cia
Tus ojos ni siquiera detienes sobre mí
Y sin embar­go, vives uni­da a mi exis­ten­cia
Y tuyas son las horas mejores que viví
Fui dueño de tu encan­to, tus besos fueron míos
Soñé y can­té mis penas jun­to a tu corazón
Tus manos en mis locos y ardi­entes desvaríos
Pasaron por mi frente como una ben­di­ción

Y yo he per­di­do por tor­pe incon­stan­cia
La dulce dicha que tú me tra­jiste
Y no respiro la suave fra­gan­cia
De tus pal­abras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mun­do mi due­lo con­suela
Estoy a solas con mi ingrat­i­tud
Se fue con­ti­go, de mi nov­ela
La últi­ma risa de la juven­tud

Después te irás bor­ran­do, per­di­da en los refle­jos
Con­fu­sos que el olvi­do pon­drá a mi alrede­dor
Tu ima­gen se hará pál­i­da, tu amor estará lejos
Y yo erraré por todas las playas del dolor
Pero hoy que tu recuer­do con encen­di­dos bríos
Ocu­pa entera­mente mi pobre corazón
Mur­muro amarga­mente: “tus besos fueron míos
Tus besos de con­sue­lo, tus besos de pasión”

Y yo he per­di­do por tor­pe incon­stan­cia
La dulce dicha que tú me tra­jiste
Y no respiro la suave fra­gan­cia
De tus pal­abras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mun­do mi due­lo con­suela
Estoy a solas con mi ingrat­i­tud
Se fue con­ti­go, de mi nov­ela
La últi­ma risa de la juven­tud

Ansel­mo Alfre­do Aieta Letra : Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Autres enregistrements

Ce titre a été enreg­istré à plusieurs repris­es, dans un bal­ance­ment entre ver­sions instru­men­tales, ver­sions chan­tées et ver­sions chan­sons (seule­ment pour l’écoute et pas pour la danse).

  • 1926, Car­los Gardel accom­pa­g­né par les gui­tares de Guiller­mo Bar­bi­eri et José Ricar­do enreg­is­trait ce titre avec les paroles.
  • 1926, Enreg­istrement par Canaro
  • 1927-02-17, la ver­sion que je vous pro­pose aujourd’hui et qui a donc 97 ans, est celle enreg­istrée le 17 févri­er 1927 par l’orchestre Típi­ca Vic­tor. Il a été édité sur disque 78 tours sous la référence Vic­tor 79334 A. Sa matrice por­tait le numéro 1102–2. C’était le deux­ième enreg­istrement de la journée et il est devenu la face A du disque.
    Le même jour, la Típi­ca Vic­tor enreg­is­tra Tra­go amar­go de Rafael Iri­arte Letra : Julio Plá­ci­do Navar­rine (matrice 1101–1).
    À cette époque, les maisons d’édition regravent les titres avec les nou­veaux procédés d’enregistrement élec­trique. Cela provoque une activ­ité intense, comme en témoignent d’autres enreg­istrements du du même jour, comme l’enregistrement de la com­par­si­ta par Canaro, chez Odéon.
  • 1927-02-21, Rosi­ta Quiroga pro­pose une ver­sion chan­tée, accom­pa­g­née par des gui­taristes.
  • 1927-05-30, Canaro l’enregistre de nou­veau, tou­jours en ver­sion instru­men­tale.
  • 1930-12-13, encore Canaro, mais en accom­pa­g­nant de sa chère Ada Fal­con. Voir cet arti­cle pour des infos sur leur « cou­ple ».
  • 1946-11-29, Ricar­do Tan­turi sort le titre de l’oubli avec le chanteur Rober­to Videla. Mal­gré le mode mineur (tristesse), la par­tie instru­men­tale est assez allè­gre. En revanche, Videla met beau­coup (trop ?) d’émotion. On peut aimer et ça reste comme Tan­turi en général, dans­able.
  • 1952-08-14, Alfre­do Attadía et le chanteur Enzo Valenti­no en donne une ver­sion chan­tée. C’est claire­ment une chan­son qui n’était pas des­tinée à la danse. Atta­dia, n’a pas con­trôlé le chanteur comme l’avait fait Tan­turi.
  • 1952-11-14, Alfre­do de Ange­lis et Car­los Dante en don­nent une ver­sion chan­tée bien équili­brée et qui per­met une danse de qual­ité. Elle rejoint donc la ver­sion de Tan­turi dans la dis­cothèque du DJ de tan­go.
Pero hoy que tu recuer­do con encen­di­dos bríos
Ocu­pa entera­mente mi pobre corazón
Mur­muro amarga­mente: “tus besos fueron míos
Tus besos de con­sue­lo, tus besos de pasión”