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Condena (S.O.S.) 1937-12-26 — Orquesta Francisco Lomuto

Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des cir­con­stances dans la vie qui peu­vent être tristes, voire dés­espérantes. Aimer de façon silen­cieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la sit­u­a­tion décrite dans ce tan­go qui, au-delà des mal­heurs du nar­ra­teur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sen­tent pas du tout con­damnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs parte­naires.

Histoire de S.O.S.

Enrique San­tos Dis­cépo­lo a écrit ce tan­go en 1929 pour une pièce de théâtre. Il por­tait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pour­rait inter­préter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dol­lar est sous Cepo en Argen­tine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici com­ment Dis­ce­po­lo décrit son inten­tion lorsqu’il a écrit ce titre.

Dis­ce­po­lo par­le de son inten­tion en écrivant ce tan­go.

« Com­ment j’ai écrit “Con­de­na”

J’ai voulu dépein­dre la sit­u­a­tion d’un homme pau­vre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambi­tion­nant tout. J’ai voulu plac­er cet homme face au monde, regar­dant pass­er la vie qui passe, les plaisirs qui le trou­blent, et il se tord dans l’im­puis­sance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en cos­tume élimé, avec un vis­age défor­mé, avec une démarche crain­tive qui voit pass­er une femme envelop­pée de soies bruis­santes et qui se mord en pen­sant qu’elle appar­tien­dra à n’im­porte qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’in­so­lence et qui ne pour­ra jamais être pour lui.
Et j’ai ressen­ti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Lut­tant con­tre l’im­puis­sance, l’en­vie et l’échec. Et cette douleur énorme et con­cen­trée de l’homme enchaîné dans son triste des­tin, face au bon­heur qui passe sans le touch­er, c’est ce que j’ai voulu trans­met­tre bien et pro­fondé­ment ; tor­turé, mais sans pleur­er. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Dis­ce­po­lo ressort ce tan­go, sans nom par­ti­c­uli­er. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent don­né par Canaro pour l’occasion sau­va le pro­jet de voy­age de Dis­ce­po­lo et de sa com­pagne Tania et, lorsque Canaro deman­da le titre du tan­go à Dis­ce­po­lo, celui-ci lui répon­dit qu’il pou­vait met­tre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été util­isé, comme dans le disque de Lomu­to, car, l’achat de Canaro a sauvé Dis­ce­po­lo.
En revanche, en 1937, Canaro a util­isé le nom “Con­de­na” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Mai­da. On asso­cie désor­mais les deux titres.
En 1937, tou­jours, Dis­ce­po­lo par­ticipe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Aman­da Les­des­ma chante deux fois le titre, comme vous pour­rez le voir et l’entendre dans cet arti­cle.

Extrait musical

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.
Disque Vic­tor de Con­de­na par Fran­cis­co Lomu­to On remar­que que le disque porte la men­tion S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Con­de­na.

Les pas lourds de la con­damna­tion démar­rent le titre, suivi de pas­sages lega­to en con­traste.
À 32s com­mence la par­tie B avec les superbes ban­donéons de Martín Dar­ré, Améri­co Fígo­la, Luis Zinkes et Miguel Jura­do qui venait de rem­plac­er Víc­tor Lomu­to le frère de Fran­cis­co qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce pas­sage, le rythme est mar­qué de façon très orig­i­nale avec le pre­mier temps un peu sourd et grave (con­tre­basse de Ham­let Gre­co et per­cus­sions de Desio Cilot­ta) et les trois suiv­ants plus forts, exprimés notam­ment par les ban­donéons en stac­ca­to.
Comme pour la pre­mière par­tie, le con­traste des legatos ter­mine cette par­tie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la par­tie A qui présente un pas­sage piano, ce qui rompt la monot­o­nie et qui sem­ble annon­cer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui appa­raît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de vio­lon enchanteur et par­ti­c­ulière­ment grave (util­i­sa­tion d’un alto ?) mag­ni­fie l’interprétation. Il est réal­isé par Leopol­do Schiffrin (Leo), qui avait inté­gré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le pre­mier vio­lon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui par­tait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le com­pos­i­teur Lalo Schiffrin (Boris Clau­dio Schifrin) qui a notam­ment fait la musique du film de Car­los Saura « Tan­go ».
Le rythme à qua­tre temps avec le pre­mier temps faible et grave est repris et donne une expres­sion orig­i­nale sup­plé­men­taire à ce pas­sage.
La vari­a­tion finale, per­met de met­tre en valeur les instru­ments à vent de l’orchestre.
Cette vari­a­tion est annon­cée par un long pont à la tonal­ité changeante de 2:02 à 2:10 où appa­rais­sent le sax­o­phone et la clar­inette de Carme­lo Aguila et Pri­mo Staderi. Il est impos­si­ble de savoir qui jouait tel ou tel instru­ment lors de cet enreg­istrement, car les deux jouaient du saxo et de la clar­inette.
À 2:28, on remar­quera, après un trait de piano (Oscar Napoli­tano), une courte envolée de la clar­inette qui précède les deux accords ter­minaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué des­ti­no bru­tal
me con­de­na al hor­ror
de este infier­no en que estoy…
Cas­ti­gao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fra­ca­so de un ansia de amor.
Con­de­nao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nun­ca serás,
nun­ca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siem­pre y morir.

He arras­trao llo­ran­do
la esper­an­za de olvi­dar,
enfan­gan­do mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podi­do
No, olvi­dar…
Hoy como ayer
ciego y bru­tal me abra­so
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bes­tial
de este dra­ma sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infer­nal…
Que me has dao tu amis­tad
y él me brin­da su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hir­ió de este amor
que no puedo apa­gar?
¿Quién me empu­ja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique San­tos Dis­cépo­lo; Fran­cis­co Pracáni­co Letra : Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort bru­tal me con­damne à l’hor­reur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souf­fre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Con­damné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos sig­ni­fie tu es. Il est util­isé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que par­ler, ce soit ne plus te voir, c’est te per­dre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleu­rant l’e­spoir d’ou­bli­er, en embrouil­lant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capa­ble d’oublier…
Aujour­d’hui, comme hier, aveu­gle et bru­tal, je brûle de te désir­er.
Et le pire, le bes­tial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infer­nal…
Que tu m’as don­né ton ami­tié et lui m’a don­né sa foi, et que per­son­ne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas étein­dre ?
Qui me pousse à tuer la rai­son comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les ver­sions de Canaro sont sans doute les plus dif­fusées, mais notre tan­go du jour prou­ve qu’il y a des alter­na­tives, cer­taines pour la danse, d’autre pour l’écoute et cer­taines, pour l’oubli…

Con­de­na (S.O.S.) 1934-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On trou­ve des simil­i­tudes, comme sou­vent, entre la ver­sion de Lomu­to et celle de Canaro. La clar­inette est encore plus présente et bril­lante. Canaro a fait appel pour cet enreg­istrement à des musi­ciens de son ensem­ble de jazz.
La très orig­i­nale vari­a­tion de Lomu­to n’existe pas dans cette ver­sion de Canaro et une cer­taine monot­o­nie peut donc se dégager de cette ver­sion. Cela ne dérangera pas for­cé­ment les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des élé­ments qui a con­duit Canaro à réen­reg­istr­er le titre en 1937, avec Rober­to Mai­da.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na

Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na dans le film “Melodías Porteñas” réal­isé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scé­nario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Les rôles prin­ci­paux sont tenus par Rosi­ta Con­tr­eras, Enrique San­tos Dis­cépo­lo et Aman­da Ledes­ma.
Un autre intérêt du film est que Enrique San­tos Dis­cépo­lo, auteur de la musique et des paroles est égale­ment acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Con­de­na 1937 — Aman­da Les­des­ma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Mon­tage des deux inter­pré­ta­tions dans le film.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-05 — Aman­da Les­des­ma y su Trío Típi­co.

Une jolie ver­sion qui prof­ite de son suc­cès dans le film “Melodías Porteñas”.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-08 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

L’intervention de Mai­da casse la monot­o­nie du titre. C’est à mon sens une meilleure ver­sion si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette ver­sion reste tout à fait tonique et inci­sive, un délice pour les danseurs qui mar­quent les pas ou qui aiment le canyengue.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. C’est notre tan­go du jour.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-29 — Tania acomp. de Orques­ta Enrique Dis­cépo­lo.

Un des intérêts de cet enreg­istrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa com­pagne.
L’introduction du vio­lon mar­que que l’on entre dans un univers dif­férent des ver­sions de Canaro et Lomu­to. C’est une ver­sion pour l’écoute et on aurait tort de se priv­er de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà ren­con­trée, cette chanteuse espag­nole, car c’est elle qui a importé en Argen­tine « Fuman­do espero » avec le Con­jun­to The Mex­i­cans.

Tania et Dis­ce­po­lo
Con­de­na (S.O.S.) 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héc­tor Mau­ré est un peu plus lourde dans cet enreg­istrement. C’est pour l’écoute et chan­té avec sen­ti­ment.

Con­de­na (S.O.S.) 1969 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

J’ai évo­qué des ver­sions à oubli­er. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « sur­jouée »…

Con­de­na (S.O.S.) 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Hype­r­i­on et l’ami Rubén font de belles ver­sions pour la danse. On remar­quera la fin, assez orig­i­nale.

Con­de­na (S.O.S.) 2015 — Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Une des spé­cial­ités du Sex­te­to Cristal est de ressor­tir les gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Cette copie de la ver­sion de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut con­venir à cer­tains danseurs qui apprécieront la meilleure qual­ité de l’enregistrement. En presque un siè­cle, de gros pro­grès ont été faits de ce côté…

Pour ter­min­er, tou­jours avec le Sex­te­to Cristal, un enreg­istrement vidéo de Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47.

Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sex­te­to Cristal pour­ront enten­dre le con­cert en entier…
À vous de danser et à bien­tôt les amis.

Nunca más 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Nun­ca más, est comme un cri lancé. Nun­ca más exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. Nun­ca más, c’est un des plus beaux thèmes enreg­istrés par D’Arienzo avec Mau­ré. Nun­ca más est une œuvre de deux des frères Lomu­to, Fran­cis­co qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tan­go qui exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. C’est notre tan­go du jour.

Extrait musical

Nun­ca más 1941-07-14 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.
Nun­ca más. Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to.

Paroles

En una noche de fal­sa ale­gría
tus ojos claros volví a recor­dar
y entre los tan­gos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuer­do matar.
Record­a­ba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida con­sagré,
pero ingra­ta te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi ale­gría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por bue­na
en tus dul­ces labios, nena,
me he que­ma­do el corazón.
Lin­da,
muñe­qui­ta mimosa,
siem­pre,
en mi corazón estás,
Nena,
acor­date de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuan­do dijo: ¡Nun­ca más!

Entre milon­gas y tim­bas, mi vida
pasan­do va estas horas inqui­etas,
de penas lleno, el alma oprim­i­da,
páli­do el ros­tro como una care­ta.
Arrepen­ti­da, nun­ca vuel­vas, jamás
a pedir des­o­la­da mi perdón.
¡No olvides que al decirme nun­ca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to

Traduction libre

Par une nuit de joie fac­tice, je me suis rap­pelé tes yeux clairs et entre les tan­gos, le vin et l’orgie, j’ai cher­ché fébrile­ment à tuer ton sou­venir.
Je me suis sou­venu de mon bon­heur sans pareil d’avoir con­sacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et soli­taire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illu­sion ») de ma vie, toute ma joie et ma pas­sion.
Mau­vaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es tou­jours, dans mon cœur, Petite, sou­viens-toi du cha­grin que ta bouche folle m’a don­né, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milon­gas et tim­bas (tripot, boîtes de jeu clan­des­tines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de cha­grins, l’âme oppressée, le vis­age pâle comme un masque.
Repen­tante, jamais tu ne reviens, jamais à deman­der, désolée, mon par­don.
N’oublie pas qu’en dis­ant plus jamais, tu m’as lais­sé, femme, sans cœur !… (la vir­gule change le sens de la phrase. Là, c’est prob­a­ble­ment lui qui est sans cœur, même s’il est sous-enten­du qu’elle a égale­ment été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon sub­tile de la met­tre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nun­ca más 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Gardel est le pre­mier à avoir enreg­istré le titre, env­i­ron deux ans après son écri­t­ure.

Nun­ca más 1927-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Trois ans après Gardel, Lomu­to enreg­istre le titre conçu avec son frère. Une ver­sion bien canyengue. Pas vilain, mais à réserv­er aux ama­teurs du genre. Le ban­donéon de Minot­to Di Cic­co est bien vir­tu­ose pour l’époque.

Nun­ca más 1931-08-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Alber­to Acuña y Fer­nan­do Díaz.

Une ver­sion plus tonique, qui mon­tre mieux la colère de l’homme aban­don­né. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs com­men­cent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas con­va­in­cu par ce duo. Ce ne sera pas ma ver­sion préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un prob­lème… Le plus éton­nant est que c’est la plus dif­fusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraî­nante, c’était juste un « mau­vais moment » à pass­er. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napoli­tano qui a rem­placé un autre frère de Lomu­to (Enrique) inter­vient de façon sym­pa­thique.

Nun­ca más 1931-11-10 — Alber­to Gómez con acomp. de gui­tar­ras.

Gómez pro­pose une ver­sion chan­tée, sans doute plus sym­pa­thique que celle de Gardel.

Nun­ca más 1932-01-12 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

On reste dans les ver­sions à écouter avec Ada Fal­cón. Elle met au ser­vice du titre sa dic­tion et son phrasé par­ti­c­uli­er. C’est un autre titre sym­pa­thique à écouter.

Nun­ca más 1941-07-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.

C’est notre tan­go du jour. Il reprend le début tonique de la ver­sion de 1931 de Lomu­to, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puis­sance. Une énergie fan­tas­tique se dégage de ce titre et don­nera un élan irré­press­ible aux danseurs. Ce qui est mer­veilleux est que Mau­ré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pen­dant son inter­ven­tion. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tan­go du jour…

Nun­ca más 1948-09-23 — Orques­ta Miguel Caló con Rober­to Arri­eta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est sur­pris par de nom­breux change­ments de tonal­ité. Même si la voix de Arri­eta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette ver­sion.

Nun­ca más 1950-04-25 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Miguel Mon­tero.

De fin à 1949 à fin 1950, Mon­tero a enreg­istré de quoi faire une tan­da calme et nos­tal­gique avec Lomu­to, mais je pense que ceux qui adorent Mon­tero sont plus des audi­teurs que des danseurs.

Nun­ca más 1956-08-31 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Sans son parte­naire ange, (D’Agostino), Var­gas pour­suit sa car­rière. L’orchestre de Toto pro­pose un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité. La voix de Var­gas est tou­jours mer­veilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nun­ca más 1974-12-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Avec son sec­ond chanteur fétiche, D’Arienzo renou­vèlera-t-il le suc­cès de la ver­sion de 1941 ? Pour moi, non. Cette ver­sion clin­quante comme beau­coup d’enregistrement de cette époque a lais­sé de côté la qual­ité de la danse au prof­it du spec­ta­cle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sen­si­b­lerie dans son inter­pré­ta­tion. Je vous con­seille de revenir au titre chan­té par Mau­ré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule ver­sion pour une milon­ga de qual­ité, celle de 1941, même si cer­taines autres fer­ont plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le cor­beau (The raven).En voici la ver­sion en anglais et à la suite, la ver­sion traduite en français par Charles Baude­laire.

Nev­er­more (Nun­ca más).

Paroles

‘Once upon a mid­night drea­ry, while I pon­dered, weak and weary,
Over many a quaint and curi­ous vol­ume of for­got­ten lore—
While I nod­ded, near­ly nap­ping, sud­den­ly there came a tap­ping,
As of some one gen­tly rap­ping, rap­ping at my cham­ber door.
“’Tis some vis­i­tor,” I mut­tered, “tap­ping at my cham­ber door—
Only this and noth­ing more.”

Ah, dis­tinct­ly I remem­ber it was in the bleak Decem­ber;
And each sep­a­rate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eager­ly I wished the mor­row; —vain­ly I had sought to bor­row
From my books surcease of sor­row – sor­row for the lost Lenore—
For the rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore—
Name­less here for ever­more.

And the silken, sad, uncer­tain rustling of each pur­ple cur­tain
Thrilled me – filled me with fan­tas­tic ter­rors nev­er felt before;
So that now, to still the beat­ing of my heart, I stood repeat­ing
“’Tis some vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door—
Some late vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door; —
This it is and noth­ing more.”

Present­ly my soul grew stronger; hes­i­tat­ing then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, tru­ly your for­give­ness I implore;
But the fact is I was nap­ping, and so gen­tly you came rap­ping,
And so faint­ly you came tap­ping, tap­ping at my cham­ber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Dark­ness there and noth­ing more.

Deep into that dark­ness peer­ing, long I stood there won­der­ing, fear­ing,
Doubt­ing, dream­ing dreams no mor­tal ever dared to dream before;
But the silence was unbro­ken, and the still­ness gave no token,
And the only word there spo­ken was the whis­pered word, “Lenore?”
This I whis­pered, and an echo mur­mured back the word, “Lenore!”–
Mere­ly this and noth­ing more.

Back into the cham­ber turn­ing, all my soul with­in me burn­ing,
Soon again I heard a tap­ping some­what loud­er than before.
“Sure­ly,” said I, “sure­ly that is some­thing at my win­dow lat­tice;
Let me see, then, what there­at is, and this mys­tery explore—
Let my heart be still a moment and this mys­tery explore; —
’Tis the wind and noth­ing more!”

Open here I flung the shut­ter, when, with many a flirt and flut­ter,
In there stepped a state­ly Raven of the saint­ly days of yore;
Not the least obei­sance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my cham­ber door—
Perched upon a bust of Pal­las just above my cham­ber door—
Perched, and sat, and noth­ing more.

Then this ebony bird beguil­ing my sad fan­cy into smil­ing,
By the grave and stern deco­rum of the coun­te­nance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghast­ly grim and ancient Raven wan­der­ing from the Night­ly shore—
Tell me what thy lord­ly name is on the Night’s Plu­ton­ian shore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

Much I mar­velled this ungain­ly fowl to hear dis­course so plain­ly,
Though its answer lit­tle mean­ing – lit­tle rel­e­van­cy bore;
For we can­not help agree­ing that no liv­ing human being
Ever yet was blessed with see­ing bird above his cham­ber door—
Bird or beast upon the sculp­tured bust above his cham­ber door,
With such name as “Nev­er­more.”

But the Raven, sit­ting lone­ly on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did out­pour.
Noth­ing far­ther then he uttered – not a feath­er then he flut­tered—
Till I scarce­ly more than mut­tered “Oth­er friends have flown before—
On the mor­row he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nev­er­more.”

Star­tled at the still­ness bro­ken by reply so apt­ly spo­ken,
“Doubt­less,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhap­py mas­ter whom unmer­ci­ful Dis­as­ter
Fol­lowed fast and fol­lowed faster till his songs one bur­den bore—
Till the dirges of his Hope that melan­choly bur­den bore
Of ‘Nev­er – nev­er­more’.”

But the Raven still beguil­ing all my fan­cy into smil­ing,
Straight I wheeled a cush­ioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the vel­vet sink­ing, I betook myself to link­ing
Fan­cy unto fan­cy, think­ing what this omi­nous bird of yore—
What this grim, ungain­ly, ghast­ly, gaunt, and omi­nous bird of yore
Meant in croak­ing “Nev­er­more.”

This I sat engaged in guess­ing, but no syl­la­ble express­ing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divin­ing, with my head at ease reclin­ing
On the cushion’s vel­vet lin­ing that the lamp-light gloat­ed o’er,
But whose vel­vet-vio­let lin­ing with the lamp-light gloat­ing o’er,
She shall press, ah, nev­er­more!

Then, methought, the air grew denser, per­fumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tin­kled on the tuft­ed floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy mem­o­ries of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and for­get this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il! —
Whether Tempter sent, or whether tem­pest tossed thee here ashore,
Des­o­late yet all undaunt­ed, on this desert land enchant­ed—
On this home by Hor­ror haunt­ed – tell me tru­ly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il!
By that Heav­en that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sor­row laden if, with­in the dis­tant Aidenn,
It shall clasp a saint­ed maid­en whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Be that word our sign of part­ing, bird or fiend!” I shrieked, upstart­ing–
“Get thee back into the tem­pest and the Night’s Plu­ton­ian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spo­ken!
Leave my lone­li­ness unbro­ken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

And the Raven, nev­er flit­ting, still is sit­ting, still is sit­ting
On the pal­lid bust of Pal­las just above my cham­ber door;
And his eyes have all the seem­ing of a demon’s that is dream­ing,
And the lamp-light o’er him stream­ing throws his shad­ow on the floor;
And my soul from out that shad­ow that lies float­ing on the floor
Shall be lift­ed – nev­er­more!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minu­it lugubre, pen­dant que je médi­tais, faible et fatigué, sur maint pré­cieux et curieux vol­ume d’une doc­trine oubliée, pen­dant que je don­nais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapote­ment, comme de quelqu’un frap­pant douce­ment, frap­pant à la porte de ma cham­bre. « C’est quelque vis­i­teur, — mur­mu­rai-je, — qui frappe à la porte de ma cham­bre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! dis­tincte­ment je me sou­viens que c’était dans le glacial décem­bre, et chaque tison bro­dait à son tour le planch­er du reflet de son ago­nie. Ardem­ment je désir­ais le matin ; en vain m’étais-je effor­cé de tir­er de mes livres un sur­sis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore per­due, pour la pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore, — et qu’ici on ne nom­mera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruisse­ment des rideaux pour­prés me péné­trait, me rem­plis­sait de ter­reurs fan­tas­tiques, incon­nues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apais­er le bat­te­ment de mon cœur, je me dres­sai, répé­tant : « C’est quelque vis­i­teur qui sol­licite l’entrée à la porte de ma cham­bre, quelque vis­i­teur attardé sol­lic­i­tant l’entrée à la porte de ma cham­bre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sen­tit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Mon­sieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre par­don ; mais le fait est que je som­meil­lais, et vous êtes venu frap­per si douce­ment, si faible­ment vous êtes venu taper à la porte de ma cham­bre, qu’à peine étais-je cer­tain de vous avoir enten­du. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scru­tant pro­fondé­ment ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mor­tel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas trou­blé, et l’immobilité ne don­na aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chu­choté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chu­chotais, et un écho à son tour mur­mu­ra ce mot : « Lénore ! » — Pure­ment cela, et rien de plus.
Ren­trant dans ma cham­bre, et sen­tant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bien­tôt un coup un peu plus fort que le pre­mier. « Sûre­ment, — dis-je, — sûre­ment, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mys­tère. Lais­sons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mys­tère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je pous­sai alors le volet, et, avec un tumultueux bat­te­ment d’ailes, entra un majestueux cor­beau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moin­dre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se per­cha au-dessus de la porte de ma cham­bre ; il se per­cha sur un buste de Pal­las juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; — il se per­cha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la grav­ité de son main­tien et la sévérité de sa phy­s­ionomie, induisant ma triste imag­i­na­tion à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimi­er, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien cor­beau, voyageur par­ti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneur­ial aux rivages de la Nuit plu­toni­enne ! » Le cor­beau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émer­veil­lé que ce dis­gra­cieux volatile entendît si facile­ment la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand sec­ours ; car nous devons con­venir que jamais il ne fut don­né à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa cham­bre, un oiseau ou une bête sur un buste sculp­té au-dessus de la porte de sa cham­bre, se nom­mant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le cor­beau, per­ché soli­taire­ment sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à mur­mur­er faible­ment : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aus­si, il me quit­tera comme mes anci­ennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tres­sail­lant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à‑propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infor­tuné que le Mal­heur impi­toy­able a pour­suivi ardem­ment, sans répit, jusqu’à ce que ses chan­sons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De pro­fundis de son Espérance eût pris ce mélan­col­ique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le cor­beau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîn­er les idées aux idées, cher­chant ce que cet augur­al oiseau des anciens jours, ce que ce triste, dis­gra­cieux, sin­istre, mai­gre et augur­al oiseau des anciens jours voulait faire enten­dre en croas­sant son Jamais plus !
Je me tenais ain­si, rêvant, con­jec­turant, mais n’adressant plus une syl­labe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient main­tenant jusqu’au fond du cœur ; je cher­chais à devin­er cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que cares­sait la lumière de la lampe, ce velours vio­let caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sem­bla que l’air s’épaississait, par­fumé par un encen­soir invis­i­ble que bal­ançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la cham­bre. “Infor­tuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a don­né par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressou­venirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore per­due !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon, mais tou­jours prophète ! que tu sois un envoyé du Ten­ta­teur, ou que la tem­pête t’ait sim­ple­ment échoué, naufragé, mais encore intrépi­de, sur cette terre déserte, ensor­celée, dans ce logis par l’Horreur han­té, — dis-moi sincère­ment, je t’en sup­plie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en sup­plie !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon ! tou­jours prophète ! par ce Ciel ten­du sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Par­adis loin­tain, elle pour­ra embrass­er une fille sainte que les anges nom­ment Lénore, embrass­er une pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore.” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le sig­nal de notre sépa­ra­tion, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redres­sant. — Ren­tre dans la tem­pête, retourne au rivage de la Nuit plu­toni­enne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme sou­venir du men­songe que ton âme a proféré ; laisse ma soli­tude invi­o­lée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et pré­cip­ite ton spec­tre loin de ma porte !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
Et le cor­beau, immuable, est tou­jours instal­lé, tou­jours instal­lé sur le buste pâle de Pal­las, juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; et ses yeux ont toute la sem­blance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruis­se­lant sur lui, pro­jette son ombre sur le planch­er ; et mon âme, hors du cer­cle de cette ombre qui gît flot­tante sur le planch­er, ne pour­ra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour ter­min­er, une ver­sion ciné­matographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simp­son (The Simp­sons) de Matt Groen­ingThe Raven d’Edgar Allan Poe.
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