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Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto

; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des circonstances dans la vie qui peuvent être tristes, voire désespérantes. Aimer de façon silencieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la situation décrite dans ce tango qui, au-delà des malheurs du narrateur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sentent pas du tout condamnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs partenaires.

de S.O.S.

Enrique Santos Discépolo a écrit ce tango en 1929 pour une pièce de théâtre. Il portait alors le titre de « En un cepo », que l’on pourrait interpréter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dollar est sous Cepo en Argentine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici comment Discepolo décrit son intention lorsqu’il a écrit ce titre.

Discepolo parle de son intention en écrivant ce tango.

« Comment j’ai écrit « Condena »

J’ai voulu dépeindre la situation d’un homme pauvre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambitionnant tout. J’ai voulu placer cet homme face au monde, regardant passer la vie qui passe, les plaisirs qui le troublent, et il se tord dans l’impuissance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en costume élimé, avec un visage déformé, avec une démarche craintive qui voit passer une femme enveloppée de soies bruissantes et qui se mord en pensant qu’elle appartiendra à n’importe qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’insolence et qui ne pourra jamais être pour lui.
Et j’ai ressenti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Luttant contre l’impuissance, l’envie et l’échec. Et cette douleur énorme et concentrée de l’homme enchaîné dans son triste destin, face au bonheur qui passe sans le toucher, c’est ce que j’ai voulu transmettre bien et profondément ; torturé, mais sans pleurer. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Discepolo ressort ce tango, sans nom particulier. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent donné par Canaro pour l’occasion sauva le projet de voyage de Discepolo et de sa compagne Tania et, lorsque Canaro demanda le titre du tango à Discepolo, celui-ci lui répondit qu’il pouvait mettre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été utilisé, comme dans le disque de Lomuto, car, l’achat de Canaro a sauvé Discepolo.
En revanche, en 1937, Canaro a utilisé le nom « Condena » et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Maida. On associe désormais les deux titres.
En 1937, toujours, Discepolo participe au film « Melodías Porteñas » où la chanteuse Amanda Lesdesma chante deux fois le titre, comme vous pourrez le voir et l’entendre dans cet article.

Extrait musical

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta .
Disque Victor de Condena par Francisco Lomuto On remarque que le disque porte la mention S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Condena.

Les pas lourds de la condamnation démarrent le titre, suivi de passages legato en contraste.
À 32s commence la partie B avec les superbes bandonéons de Martín Darré, Américo Fígola, Luis Zinkes et Miguel Jurado qui venait de remplacer Víctor Lomuto le frère de Francisco qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce passage, le rythme est marqué de façon très originale avec le premier temps un peu sourd et grave (contrebasse de Hamlet Greco et percussions de Desio Cilotta) et les trois suivants plus forts, exprimés notamment par les bandonéons en staccato.
Comme pour la première partie, le contraste des legatos termine cette partie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la partie A qui présente un passage piano, ce qui rompt la monotonie et qui semble annoncer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui apparaît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de violon enchanteur et particulièrement grave (utilisation d’un alto ?) magnifie l’interprétation. Il est réalisé par Leopoldo Schiffrin (Leo), qui avait intégré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le premier violon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui partait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le compositeur Lalo Schiffrin (Boris Claudio Schifrin) qui a notamment fait la musique du film de Carlos Saura « Tango ».
Le rythme à quatre temps avec le premier temps faible et grave est repris et donne une expression originale supplémentaire à ce passage.
La variation finale, permet de mettre en valeur les instruments à vent de l’orchestre.
Cette variation est annoncée par un long pont à la changeante de 2:02 à 2:10 où apparaissent le saxophone et la clarinette de Carmelo Aguila et Primo Staderi. Il est impossible de savoir qui jouait tel ou tel instrument lors de cet enregistrement, car les deux jouaient du saxo et de la clarinette.
À 2:28, on remarquera, après un trait de piano (Oscar Napolitano), une courte envolée de la clarinette qui précède les deux accords terminaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué destino brutal
me condena al horror
de este infierno en que estoy…
Castigao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fracaso de un ansia de amor.
Condenao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nunca serás,
nunca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siempre y morir.

He arrastrao llorando
la esperanza de olvidar,
enfangando mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podido
No, olvidar…
Hoy como ayer
ciego y brutal me abraso
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bestial
de este drama sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infernal…
Que me has dao tu amistad
y él me brinda su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hirió de este amor
que no puedo apagar?
¿Quién me empuja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra : Enrique Santos Discépolo

libre

Je voudrais savoir quel sort brutal me condamne à l’horreur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souffre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Condamné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos signifie tu es. Il est utilisé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que parler, ce soit ne plus te voir, c’est te perdre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleurant l’espoir d’oublier, en embrouillant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capable d’oublier…
Aujourd’hui, comme hier, aveugle et brutal, je brûle de te désirer.
Et le pire, le bestial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infernal…
Que tu m’as donné ton amitié et lui m’a donné sa foi, et que personne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas éteindre ?
Qui me pousse à tuer la raison comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les versions de Canaro sont sans doute les plus diffusées, mais notre prouve qu’il y a des alternatives, certaines pour la danse, d’autre pour l’écoute et certaines, pour l’oubli…

Condena (S.O.S.) 1934-11-16 – Orquesta .

On trouve des similitudes, comme souvent, entre la version de Lomuto et celle de Canaro. La clarinette est encore plus présente et brillante. Canaro a fait appel pour cet enregistrement à des musiciens de son ensemble de jazz.
La très originale variation de Lomuto n’existe pas dans cette version de Canaro et une certaine monotonie peut donc se dégager de cette version. Cela ne dérangera pas forcément les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des éléments qui a conduit Canaro à réenregistrer le titre en 1937, avec Roberto Maida.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Amanda Lesdesma chante deux fois Condena

Amanda Lesdesma chante deux fois Condena dans le film “Melodías Porteñas” réalisé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scénario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique Santos Discépolo.
Les rôles principaux sont tenus par Rosita Contreras, Enrique Santos Discépolo et Amanda Ledesma.
Un autre intérêt du film est que Enrique Santos Discépolo, auteur de la musique et des paroles est également acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Condena 1937 – Amanda Lesdesma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Montage des deux interprétations dans le film.
Condena (S.O.S.) 1937-11-05 – Amanda Lesdesma y su Trío Típico.

Une jolie version qui profite de son succès dans le film “Melodías Porteñas”.

Condena (S.O.S.) 1937-11-08 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

L’intervention de Maida casse la monotonie du titre. C’est à mon sens une meilleure version si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette version reste tout à fait tonique et incisive, un délice pour les danseurs qui marquent les pas ou qui aiment le canyengue.

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto. C’est notre tango du jour.
Condena (S.O.S.) 1937-12-29 – Tania acomp. de Orquesta Enrique Discépolo.

Un des intérêts de cet enregistrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa compagne.
L’introduction du violon marque que l’on entre dans un univers différent des versions de Canaro et Lomuto. C’est une version pour l’écoute et on aurait tort de se priver de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà rencontrée, cette chanteuse espagnole, car c’est elle qui a importé en Argentine « Fumando espero » avec le Conjunto The Mexicans.

Tania et Discepolo
Condena (S.O.S.) 1954 – Héctor Mauré con acomp. de Orquesta .

La voix de ténor de Héctor Mauré est un peu plus lourde dans cet enregistrement. C’est pour l’écoute et chanté avec sentiment.

Condena (S.O.S.) 1969 – Marino con orquesta.

J’ai évoqué des versions à oublier. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « surjouée »…

Condena (S.O.S.) 2013-11-30 – con Rubén Peloni.

Hyperion et l’ami Rubén font de belles versions pour la danse. On remarquera la fin, assez originale.

Condena (S.O.S.) 2015 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Une des spécialités du Sexteto Cristal est de ressortir les gros succès des encuentros milongueros. Cette copie de la version de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut convenir à certains danseurs qui apprécieront la meilleure qualité de l’enregistrement. En presque un siècle, de gros progrès ont été faits de ce côté…

Pour terminer, toujours avec le Sexteto Cristal, un enregistrement vidéo de Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47.

Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sexteto Cristal pourront entendre le concert en entier…
À vous de danser et à bientôt les amis.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre .

Extrait musical

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Nunca más. Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto.

Paroles

En una noche de falsa alegría
tus ojos claros volví a recordar
y entre los tangos, el vino y la orgía,
busqué tu recuerdo matar.
Recordaba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida consagré,
pero ingrata te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi alegría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por buena
en tus dulces labios, nena,
me he quemado el corazón.
Linda,
muñequita mimosa,
siempre,
en mi corazón estás,
Nena,
acordate de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuando dijo: ¡Nunca más!

Entre milongas y timbas, mi vida
pasando va estas horas inquietas,
de penas lleno, el alma oprimida,
pálido el rostro como una careta.
Arrepentida, nunca vuelvas, jamás
a pedir desolada mi perdón.
¡No olvides que al decirme nunca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

libre

Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir.
Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion.
Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque.
Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon.
N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nunca más 1924 – Carlos Gardel con acomp. de , José Ricardo (guitarras).

Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.

Nunca más 1927-07-19 – Orquesta Francisco Lomuto.

Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.

Nunca más 1931-08-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Acuña y Fernando Díaz.

Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.

Nunca más 1931-11-10 – Alberto Gómez con acomp. de guitarras.

Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.

Nunca más 1932-01-12 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…

Nunca más 1948-09-23 – Orquesta Miguel Caló con .

On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de . Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.

Nunca más 1950-04-25 – Orquesta Francisco Lomuto con Miguel Montero.

De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.

Nunca más 1956-08-31 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nunca más 1974-12-11 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le succès de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’enregistrement de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une milonga de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.

Nevermore (Nunca más).

Paroles

‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore—
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door—
Only this and nothing more.”

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December;
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore—
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore—
Nameless here for evermore.

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
“’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door—
Some late visitor entreating entrance at my chamber door; —
This it is and nothing more.”

Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Darkness there and nothing more.

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?”
This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”–
Merely this and nothing more.

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
“Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice;
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore—
Let my heart be still a moment and this mystery explore; —
‘Tis the wind and nothing more!”

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore;
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door—
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door—
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore—
Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning – little relevancy bore;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door—
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as “Nevermore.”

But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour.
Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered—
Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before—
On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nevermore.”

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
“Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore—
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of ‘Never – nevermore’.”

But the Raven still beguiling all my fancy into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore—
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking “Nevermore.”

This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,
But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er,
She shall press, ah, nevermore!

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted—
On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting–
“Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken!
Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,
And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted – nevermore!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus.
Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus !
Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simpson (The Simpsons) de The Raven d’Edgar Allan Poe.
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