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Milonga de los fortines 1937-09-28 — Típica Victor con Mariano Balcarce Direction Federico Scorticati

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Les danseurs recon­nais­sent immé­di­ate­ment cette milon­ga qui s’annonce par un coup de cla­iron. Cepen­dant, ils ne savent peut-être pas tous pourquoi cet instru­ment inso­lite s’est invité dans l’orchestre pour cette courte presta­tion. Je vous pro­pose d’en décou­vrir la rai­son en nous plongeant dans l’histoire de la jeune nation argen­tine.

Extrait musical

Milon­ga de los fortines 1937-09-28 — Típi­ca Vic­tor con Mar­i­ano Bal­carce Direc­tion Fed­eri­co Scor­ti­cati
Milon­ga de los fortines — Disque Vic­tor 38285 — Face A.

Paroles

Milon­ga de cien rey­er­tas
tem­pla­da como el val­or.
Gri­to de pam­pa desier­ta
dicien­do su aler­ta
con voz de can­tor.
Milon­ga de qui­ta penas.
Nos­tal­gia de población.
Can­to qu’en noche ser­e­na
su rezo despe­na
detrás del fogón.

Diana de vie­jas vic­to­rias
en la pun­ta del tro­pel,
con tu van­guardia de glo­ria
serás en la his­to­ria
can­ción y lau­rel.
Son de queren­cia queri­da
en las noches del cuar­tel.
Pena de chi­na queri­da
que al fin afligi­da
dejó de ser fiel.

Resue­nan con tus acen­tos,
milon­ga del batal­lón,
gri­tos de viejos sar­gen­tos
car­gan­do en el vien­to
con el escuadrón.
Y vuel­ven en los sonidos
agu­dos del cor­netín,
ecos de mil alar­i­dos
que esta­ban per­di­dos
detrás del con­fín.

Gime el desier­to rodan­do
sus rumores de huracán…
Vienen las lan­zas car­gan­do
y están aguai­tan­do
la Cruz y el Puñal.
Glo­ria de aquel coman­dante
que jamás volvió al can­tón.
Besan su bar­ba cervu­na
la luz de la luna
y el fuego del sol.
Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre et indications

Milon­ga de cent batailles, tem­pérée comme le courage.
Cri de la pam­pa déserte dis­ant son alerte d’une voix de chanteur.
Milon­ga qui ôte les cha­grins.
Nos­tal­gie de la pop­u­la­tion (de l’humanité com­mune ?).
Je chante pour que dans la nuit sere­ine, sa prière s’achève (despe­nar en lun­far­do, c’est achev­er un ani­mal mourant, ou couper les cheveux courts…) der­rière le feu.
Diane des anci­ennes vic­toires à la tête de la troupe, avec ton avant-garde de gloire tu seras dans l’his­toire chan­son et lau­ri­ers.
Vous serez très aimés les nuits de la caserne (quarti­er).
Cha­grin d’une com­pagne chérie qui, à la fin, affligée, a cessé d’être fidèle.
Ils réson­nent avec tes accents, milon­ga du batail­lon, les cris des vieux ser­gents chargeant au vent avec l’escadron.
Et ils revi­en­nent aux sons aigus du cor­net, échos de mille hurlements qui se sont per­dus der­rière les con­fins.
Le désert gémit en roulant ses rumeurs d’oura­gan…
Les lances vien­nent en chargeant et elles arrosent la Croix et le Poignard.
Gloire à ce com­man­dant qui n’est jamais revenu au can­ton­nement.
Ils embrassent sa barbe rousse (couleur de cerf), la lumière de la lune et le feu du soleil.

Autres versions

Milon­ga de los fortines 1937-09-28 — Típi­ca Vic­tor con Mar­i­ano Bal­carce Direc­tion Fed­eri­co Scor­ti­cati.
Milon­ga de los fortines 1981-06-23 — Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de José Canet.

Les forts (los fortines)

Cette milon­ga est ancrée pro­fondé­ment dans l’histoire de l’Argentine.

Ren­con­tre du gou­verneur Gerón­i­mo Mator­ras avec le Cacique Paykin — Tomás Cabr­era 1774 (Musée d’histoire de Buenos Aires). Com­po­si­tion com­plète à gauche, présen­tant en haut la jus­ti­fi­ca­tion religieuse des faits mil­i­taires.

En 1774, un accord a été trou­vé entre les Mocovies et les Espag­nols, ce que représente l’œuvre de Tomás Cabr­era. Cepen­dant, l’expansion des Européens ne va pas laiss­er les choses ain­si et il fut décrété une con­quête du désert (Con­quista del Desier­to).
Le terme de désert a été choisi pour nier l’existence de peu­ples pre­miers sur les ter­ri­toires. On con­naît mieux l’histoire Nord-améri­caine, notam­ment par les cen­taines de « west­erns » et Lucky Luke, mais il est facile d’imaginer que les exac­tions furent les mêmes en Argen­tine.
Pour con­solid­er leurs avancés et se pro­téger des pop­u­la­tions indi­ennes qui souhaitaient con­serv­er la jouis­sance de leurs espaces, les mil­i­taires ont mon­té des forts, con­struc­tions som­maires qui se sont par la suite ren­for­cées et qui sont aujourd’hui des villes.

Évo­lu­tion des forts. En haut, sim­ples palis­sades et baraque­ments en bois. Au cen­tre, le fort Codi­hue. En bas, des con­struc­tions en dur appa­rais­sent. En bas à droite, c’est la mai­son des com­man­dants du fort « Général Roca ».
Cam­paña del Desier­to 1879 — Par Anto­nio Poz­zo. Un siè­cle plus tard, les prob­lèmes avec les Indi­ens sont tou­jours au cœur des préoc­cu­pa­tion de cer­tains comme le Général Roca qui prô­nait l’extermination de tous les peu­ples pre­miers.
La vuelta del malón 1892 — Angel Del­la Valle. Les peu­ples pre­miers sont présen­tés comme des sauvages qui raptent les femmes et les objets saints. Ce type de pein­ture que l’on trou­ve au musée des Beaux-Arts de Buenos Aires sert de jus­ti­fi­ca­tion aux exac­tions visant à exter­min­er les peu­ples pre­miers.

Nous arrivons au bout de ce petit par­cours his­torique, pas for­cé­ment en faveur de la fierté de l’Argentine, mais quel peu­ple colonisa­teur n’a pas com­mis son lot d’horreurs ?

La prochaine fois que vous enten­dez le cla­iron, vous aurez peut-être une pen­sée pour ces indi­ens décimés et vous danserez une milon­ga endi­a­blée en hom­mage à leurs souf­frances.

Lucky Luke de Mor­ris, ici sur le cou­ver­cle d’une boîte con­tenant le fort Canyon en bois (1985, Coman­si, Dar­gaud).

Dif­fi­cile de ne pas faire le lien entre l’Amérique du Nord et celle du Sud. James Huth s’est sans doute fait la même réflex­ion, car c’est en Argen­tine (Men­doza, Salta et Jujuy), qu’il a tourné le film Lucky Luke.

N’oublions pas égale­ment que René Goscin­ny, le scé­nar­iste de Lucky Luke (et Astérix) a égale­ment vécu en Argen­tine de 1928 à 1945.

À bien­tôt, les amis, je m’en vais sur mon blanc cheval, musi­calis­er une milon­ga où je passerai peut-être la Milon­ga de los fortines.

I’m a poor lone­some cow­boy (Lucky Luke Theme) 1971 — Claude Bolling. Générique du dessin ani­mé sor­ti en 1971.

Comme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

« Comme il faut » , le titre de ce tan­go est en français et il sig­ni­fie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réal­isées. Nous allons toute­fois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».

Je parle français comme il faut

Je pense que vous ne serez pas sur­pris de décou­vrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couram­ment util­isés par les Argentins et fort fréquents dans le tan­go.

Deux raisons expliquent cette abon­dance.

La pre­mière, c’est le pres­tige de la France de l’époque.

La haute société argen­tine par­lait couram­ment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quin­zaine d’années, une amie me fai­sait vis­iter son club nau­tique. C’est le genre d’endroit dont on devient mem­bre par coop­ta­tion ou héritage famil­ial. J’ai été sur­pris d’y enten­dre par­ler français, sans accent, par une bonne par­tie et peut-être même la majorité des per­son­nes que l’on croi­sait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a infor­mé que les per­son­nes de cette société avaient cou­tume de par­ler entre eux en français, cette langue étant tou­jours celle de l’élite.

La sec­onde, vous la con­nais­sez.

Les orchestres de tan­go se sont don­né ren­dez-vous en France au début du vingtième siè­cle. Il était donc naturel que s’expriment des nos­tal­gies, des références pour mon­tr­er que l’on avait fait le voy­age ou tout sim­ple­ment que s’affichent les expres­sions à la mode.

Je peux vous con­seiller un petit ouvrage sur la ques­tion, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopi­lación de tér­mi­nos del idioma francés y de la cul­tura france­sa uti­liza­dos en las letras de tan­go. Il a été écrit par Víc­tor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrou­vent dans le tan­go et 41 noms pro­pres désig­nant des Français ou des lieux de France. On peut con­sid­ér­er qu’environ 200 tan­gos font directe­ment référence à la France, aux Français (sou­vent aux Français­es) ou à la langue française. Víc­tor A. Benítez Boned en cite 177.

Lien vers le livre au for­mat Kin­dle.

Extrait musical

Comme il faut 1951-09-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Comme il faut de Eduar­do Aro­las avec la dédi­cace “A mis esti­ma­dos y dis­tin­gui­dos ami­gos Fran­cis­co Wright Vic­tor­i­ca, Vladis­lao A. Frías, Juan Car­los Parpaglione y Manuel Miran­da Naón”.

Les dédi­cataires sont des étu­di­ants en droit qui ont prob­a­ble­ment cassé leur tire-lire pour être dédi­cataires :
Fran­cis­co Wright Vic­tor­i­ca, étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires en 1917
Vladis­lao A. Frías ; étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civ­il et mem­bre de la cour d’appel au tri­bunal de com­merce de Buenos Aires.
Juan Car­los Parpaglione, étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires en 1917.
Manuel Miran­da Naón, étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a par­ticipé au mou­ve­ment de réforme de cette uni­ver­sité.

Paroles

Luna, farol y can­ción,
dulce emo­ción del ayer
fue en París,
donde viví tu amor.
Tan­go, Cham­pagne, corazón,
noche de amor
que no está,
en mi sueño vivirá…

Es como debe ser, con ilusión viví
las ale­grías y las tris­tezas;
en esa noche fue que yo sen­tí por vos
una esper­an­za en mi corazón.
Es como debe ser en la pasión de ley,
tus ojos negros y tu belleza.
Siem­pre serás mi amor en bel­lo amanecer
para mi vida, dulce ilusión.

En este tan­go
te cuen­to mi tris­teza,
dolor y llan­to
que dejo en esta pieza.
Quiero que oigas mi can­ción
hecha de luna y de farol
y que tu amor, mujer,
vuel­va hacia mí.

Eduar­do Aro­las Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre et indications

Lune, réver­bère et chan­son, douce émo­tion d’hi­er c’était à Paris, où j’ai vécu ton amour.
Tan­go, Cham­pagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra…
C’est comme il faut (comme il se doit), avec ent­hou­si­asme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai sen­ti de l’e­spoir pour toi dans mon cœur.
C’est comme doit être la véri­ta­ble pas­sion (les Argentins dis­ent de ley, de la loi, par exem­ple un porteño de ley pour dire un véri­ta­ble portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté.
Tu seras tou­jours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illu­sion (doux sen­ti­ment).
Dans ce tan­go, je te con­te ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau.
Je veux que tu enten­des ma chan­son faite de lune et de réver­bère et que ton amour, femme, revi­enne jusqu’à moi.

Elle est où la tricherie promise ?

Comme je vois que vous sem­blez intéressés, voici la tricherie. Le tan­go « Comme il faut » a un frère jumeau « Com­parsa criol­la » signé Rafael Iri­arte.

Cou­ver­ture et par­ti­tion de Com­parsa Criol­la de Rafael Iri­arte. La men­tion du con­cours de 1930 est en haut de la cou­ver­ture.

La gémel­lité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors com­ment nom­mer deux tan­gos iden­tiques attribués à des auteurs dif­férents ?
On dirait aujourd’hui un pla­giat.
Nous avons déjà ren­con­tré plusieurs tan­gos dont les attri­bu­tions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Fir­po n’a‑t-il pas cher­ché à met­tre sous son nom La cumpar­si­ta, alors pourquoi pas une com­parsa ?
Mais revenons à notre paire de tan­gos et intéres­sons-nous aux auteurs.
Eduar­do Aro­las (1892–1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seule­ment il jouait du ban­donéon de façon remar­quable, ce qui lui a valu son surnom de « Tigre du ban­donéon », mais en plus, il a com­posé de très nom­breux titres. C’est assez remar­quable si on tient compte de sa très courte car­rière. Il s’est dit cepen­dant qu’il s’inspirait de l’air du temps, util­isant ce que d’autres musi­ciens pou­vaient inter­préter à une époque où beau­coup n’écrivaient pas la musique.
Il me sem­ble que c’est plus com­plexe et qu’il est plutôt dif­fi­cile de dénouer les fils des inter­ac­tions entre les musi­ciens à cette époque où il y avait peu de par­ti­tions, peu d’enregistrements et donc surtout une con­nais­sance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire orig­in­aux.
Pour revenir à notre tan­go du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le sec­ond auteur, celui de Com­parsa criol­la, Rafael Iri­arte. (1890–1961).
Lui aus­si a fait le voy­age à Paris et Nés­tor Pin­són évoque une col­lab­o­ra­tion dans la com­po­si­tion qui aurait eu lieu en 1915.
Si on s’intéresse aux enreg­istrements, les plus anciens sem­blent dater de 1917 et sont de Aro­las lui-même et de la Orques­ta Típi­ca Pacho. Les deux dis­ques men­tion­nent seule­ment Aro­las comme seul com­pos­i­teur.

Eduar­do Aro­las et un disque par la Tipi­ca Pacho qui serait égale­ment de 1917 selon Enrique Bin­da, spé­cial­iste de la vieille garde).

Peut-être que le fait que Aro­las avait accès au disque à cette époque et pas Iri­arte a été un élé­ment. Peut-être aus­si que la part d’Aro­las était suff­isam­ment prépondérante pour jus­ti­fi­er qu’il soit le seul men­tion­né.
Je n’ai pas trou­vé de témoignage indi­quant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Nés­tor Pin­són. Faut-il voir dans le fait que Iri­arte signe de son seul nom la ver­sion qu’il dépose en 1930 et qui obtien­dra un prix, au sep­tième con­cours organ­isé par la mai­son de disque « Nacional ».
Ce qui est curieux est que Fran­cis­co Canaro, qui était ami de Aro­las ait enreg­istré sa ver­sion avec la men­tion de Iri­arte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une recon­nais­sance de Canaro pour la part de Iri­arte ?
Pour vous per­me­t­tre d’entendre les simil­i­tudes, je vous pro­pose d’écouter le début de deux ver­sions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tan­go du jour par Di Sar­li et celui de Com­parsa criol­la de Tan­turi de 1941. J’ai mod­i­fié la vitesse de la ver­sion de Tan­turi pour que les tem­pos soient com­pa­ra­bles.

Débuts de : Comme il faut de Eduar­do Aro­las par Car­los Di Sar­li (1951) et Com­parsa criol­la de Rafael Iri­arte par Ricar­do Tan­turi (1941).

Autres versions

Comme il s’agit du « même » tan­go, je vais plac­er par ordre chronologique plusieurs ver­sions de Comme il faut et de Com­parsa criol­la.

Comme il faut 1917 — Eduar­do Aro­las
Les musi­ciens de l’orchestre de Aro­las en 1916. Aro­las est en bas, au cen­tre. Juan Mari­ni, pianiste, à gauche, puis Rafael Tue­gols et Atilio Lom­bar­do (vio­lonistes) et Alber­to Pare­des (vio­lon­celiste). Ce sont eux qui ont enreg­istré la ver­sion de 1917 de Aro­las.
Comme il faut 1917 — Orques­ta Típi­ca Pacho
Com­parsa criol­la 1930-11-18 — Fran­cis­co Canaro
Comme il faut 1936-10-27 — Juan D’Arien­zo
Comme il faut 1938-03-07 — Ani­bal Troi­lo
Com­parsa criol­la 1941-06-16 — Ricar­do Tan­turi
Comme il faut 1947-01-14 — Car­los Di Sar­li
Com­parsa criol­la 1950-12-12 — Orchestre Quintin Ver­du
Comme il faut 1951-09-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Comme il faut 1955-07-15 — Car­los Di Sar­li
Comme il faut 1966-09-30 — Hec­tor Varela
Comme il faut 1980 — Alfre­do De Ange­lis
Comme il faut 1982 — Leopol­do Fed­eri­co

Mon cher Cor­recteur, Thier­ry, m’a fait remar­quer que je n’avais pas pro­posé de ver­sions chan­tées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des col­lègues qui m’ont pro­posé deux ver­sions, Nel­ly Omar avec Bar­tolomé Paler­mo de 1997 et Scia­marel­la Tan­go con Denise Sci­ammarel­la de 2018 :

Comme il faut 1997 — Nel­ly Omar con Bar­tolomé Paler­mo y sus gui­tar­ras. Mer­ci à Howard Jones qui m’a sig­nalé cette ver­sion.
Comme il faut 2013 — Gente de tan­go
Comme il faut 2018 – Scia­marel­la Tan­go con Denise Sci­ammarel­la. Mer­ci à Yük­sel Şişe qui m’a indiqué cette ver­sion.
Comme il faut 2020-08 — El Cachivache

Je vous pro­pose d’arrêter là les exem­ples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bien­tôt les amis !

La cumparsita 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Gerardo Hernán Matos Rodríguez; (Roberto Firpo) Letra : Pascual Contursi ; Enrique Pedro Maroni ; Gerardo Hernán Matos Rodríguez

S’il est un air que vous avez for­cé­ment enten­du, c’est à coup sûr La cumpar­si­ta. En effet, ce thème com­mence toutes les milon­gas tra­di­tion­nelles et ter­mine la plu­part des milon­gas dans le monde. Il était donc impor­tant de faire une anec­dote sur La cumpar­si­ta, mais c’est là que les dif­fi­cultés com­men­cent. J’ai plus de 800 cumpar­si­tas et il me fal­lait choisir.

Une expres­sion de lun­far­do témoigne du suc­cès de ce thème « más remanya­do que la cumpar­si­ta » (plus con­nu que la cumpar­si­ta…).

Cet air a grand suc­cès a été enreg­istré des cen­taines de fois et tous les orchestres de tan­go l’ont à leur réper­toire. Il me fal­lait donc choisir une ver­sion pour l’anecdote du jour qui soit un peu emblé­ma­tique, car je pou­vais presque trou­ver un enreg­istrement du titre pour chaque jour de l’année.
Cepen­dant, dans cette énorme pro­duc­tion, il faut bien sûr faire du tri. Sup­primer tout ce qui n’est pas du tan­go tra­di­tion­nel et donc élim­in­er les ver­sions en cumbia, rock, tan­go musette, per­cus­sions, a capel­la, valse (même si j’ai plusieurs ver­sions que je passe par­fois) et autres rythmes.
J’ai fait le choix d’un tan­go de danse, ce qui élim­ine une bonne moitié des ver­sions restantes après la pre­mière sélec­tion. Dans les 161 ver­sions restantes, il con­ve­nait de choisir les meilleures. Comme je passe deux cumpar­si­tas dans chaque milon­ga, une au début et une à la fin et que je n’aime pas faire de dou­blons trop rap­prochés, j’ai un peu creusé dans ce stock. Il en restait encore trop pour une anec­dote où je me suis fixé la lim­ite de 30 titres.
La semaine dernière, Thier­ry, mon cor­recteur m’a demandé quelque chose sur la cumpar­si­ta et pour lui faire plaisir, j’ai choisi la pre­mière date ayant une belle ver­sion et c’est donc tombé sur la ver­sion de 1951 de D’Arienzo, une ver­sion enreg­istrée le 12 sep­tem­bre, il y a exacte­ment, 73 ans.
D’Arienzo a joué des mil­liers de fois ce titre et l’a enreg­istré au moins 8 fois. J’ai donc décidé de lim­iter cette anec­dote aux ver­sions de D’Arienzo. Ne pleurez pas et pour ceux qui me suiv­ent durant mon pas­sage en Europe, je promets de ne pas pass­er deux fois la même cumpar­si­ta. Il me reste 11 milon­gas à ani­mer avant de ren­tr­er à Buenos Aires, cela fait 22 cumpar­si­tas dif­férentes. Cer­taines sont sub­limes !

Extrait musical

La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La joyeuse troupe des amis de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez défile sur la cou­ver­ture de droite. Ils sont cités en haut de la par­ti­tion. À droite Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez devant sa par­ti­tion chez un édi­teur de par­ti­tions. On notera que les joyeux fêtards sont rem­placés par une femme masquée. Le masque peut évo­quer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aus­si évo­quer une voi­lette de deuil, celui que décrit Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez dans sa ver­sion des paroles.

Paroles

Cette ver­sion de D’Arienzo est instru­men­tale, mais il l’a enreg­istrée deux fois avec des chanteurs et dans l’immense réper­toire, il en existe plusieurs dizaines de ver­sions chan­tées. Il me sem­blait donc logique de vous don­ner les paroles. J’ai retenu les deux ver­sions prin­ci­pales, celle de Pas­cual Con­tur­si et Enrique Pedro Maroni d’une part et celle de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez qui est l’auteur de l’idée orig­i­nale et donc ici, en plus de paroles.

Paroles de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si supieras,
que aún den­tro de mi alma,
conser­vo aquel car­iño
que tuve para ti…
Quién sabe si supieras
que nun­ca te he olvi­da­do,
volvien­do a tu pasa­do
te acor­darás de mí…

Los ami­gos ya no vienen
ni siquiera a vis­i­tarme,
nadie quiere con­so­larme
en mi aflic­ción…
Des­de el día que te fuiste
sien­to angus­tias en mi pecho,
decí, per­can­ta, ¿qué has hecho
de mi pobre corazón?

Sin embar­go,
yo siem­pre te recuer­do
con el car­iño san­to
que tuve para ti.
Y estás en todas partes,
peda­zo de mi vida,
y aque­l­los ojos que fueron mi ale­gría
los bus­co por todas partes
y no los puedo hal­lar.

Al cotor­ro aban­don­a­do
ya ni el sol de la mañana
aso­ma por la ven­tana
como cuan­do estabas vos,
y aquel per­ri­to com­pañero,
que por tu ausen­cia no comía,
al verme solo el otro día
tam­bién me dejó…
Pas­cual Con­tur­si; Enrique Pedro Maroni

Traduction libre et indications de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si seule­ment tu savais que, même dans mon âme, je garde cette affec­tion que j’avais pour toi…
Qui sait si tu savais que je ne t’ai jamais oubliée, en revenant à ton passé tu te sou­vien­dras de moi…
Les amis ne vien­nent même plus me ren­dre vis­ite, per­son­ne ne veut me con­sol­er dans mon afflic­tion…
Depuis le jour où tu es par­tie, j’ai ressen­ti de l’an­goisse dans ma poitrine, j’ai dit, ma chérie, qu’as-tu fait de mon pau­vre cœur ?
Cepen­dant, je me sou­viens tou­jours de toi avec la sainte affec­tion que j’avais pour toi.
Et tu es partout, morceau de ma vie, et ces yeux qui étaient ma joie, je les cherche partout et je ne peux pas les trou­ver.
Au per­ro­quet aban­don­né, même le soleil du matin ne se penche pas à la fenêtre comme il le fai­sait lorsque tu étais là, et ce petit chien, com­pagnon, qui à cause de ton absence ne mangeait pas, à me voir seul l’autre jour, lui aus­si m’a quit­té…

Paroles de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa
de mis­e­rias sin fin
des­fi­la,
en torno de aquel ser
enfer­mo,
que pron­to ha de morir
de pena.
Por eso es que en su lecho
sol­loza acon­go­ja­do,
recor­dan­do el pasa­do
que lo hace pade­cer.

Aban­donó a su vieji­ta.
Que quedó desam­para­da.
Y loco de pasión,
ciego de amor,
cor­rió
tras de su ama­da,
que era lin­da, era hechicera,
de lujuria era una flor,
que burló su quer­er
has­ta que se can­só
y por otro lo dejó.

Largo tiem­po
después, cayó al hog­ar
mater­no.
Para poder curar
su enfer­mo
y heri­do corazón.
Y supo
que su vieji­ta san­ta,
la que él había deja­do,
el invier­no pasa­do
de frío se murió

Hoy ya solo aban­don­a­do,
a lo triste de su suerte,
ansioso espera la muerte,
que bien pron­to ha de lle­gar.
Y entre la triste fri­al­dad
que lenta invade el corazón
sin­tió la cru­da sen­sación
de su mal­dad.

Entre som­bras
se le oye res­pi­rar
sufri­ente,
al que antes de morir
son­ríe,
porque una dulce paz le lle­ga.
Sin­tió que des­de el cielo
la madrecita bue­na
mit­i­gan­do sus penas
sus cul­pas per­donó.
Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez

Traduction libre et indications de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa des mis­ères sans fin défile, autour de cet être malade, qui va bien­tôt mourir de cha­grin.
C’est pourquoi, dans son lit, il san­glote d’an­goisse, se rap­pelant le passé qui le fait souf­frir.
Il aban­don­na sa vieille mère.
Qu’il avait lais­sée désem­parée.
Et fou de pas­sion, aveu­gle d’amour, il courait après sa bien-aimée, qui était jolie, qui était sor­cière, avec con­voitise elle était une fleur, qui se moquait de son amour jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée et le quitte pour un autre.
Longtemps plus tard, il est tombé dans la mai­son de sa mère pour pou­voir guérir son cœur malade et blessé.
Et il sut que sa sainte vieille mère, celle qu’il avait quit­tée, était morte l’hiv­er dernier de froid
Aujour­d’hui seul, aban­don­né, à la tristesse de son sort, anx­ieux, il attend la mort, qui ne tardera pas à arriv­er.
Et au sein de la triste froideur qui envahit lente­ment le cœur, il ressen­tait la cru­elle sen­sa­tion brute de sa mau­vaiseté.
Dans l’om­bre, on l’en­tend respir­er avec souf­france, à qui avant de mourir, il sourit, parce qu’une douce paix lui vient.
Il sen­tait que depuis le ciel, la bonne petite mère, atténu­ait ses cha­grins et lui par­don­nait ses péchés.
Aucune de deux ver­sions des paroles est gaie, mais les paroles de la ver­sion de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez vont encore plus loin dans le pathos. Peut-être un peu trop loin…

Autres versions

Je vais me lim­iter aux seules ver­sions enreg­istrées par D’Arienzo pour les présen­ta­tions d’enregistrements. Cela me don­nera l’occasion d’en repar­ler à pro­pos d’autres enreg­istrements par d’autres orchestres…
Voici les 8 ver­sion par D’Arienzo :

La cumpar­si­ta 1928 — Raquel Notar con acomp. de Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta (Si supieras) 1928 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Car­los Dante.
La cumpar­si­ta 1937-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre ver­sion du jour.
La cumpar­si­ta 1963-12-10 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1971-12-07 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1972 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. Enreg­istrement à la télévi­sion.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez (“Becho”) fait sa publicité

Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez a refusé l’offre de Rober­to Fir­po qui voulait que les deux noms soient sur la par­ti­tion (Fir­po-Matos). Fir­po a fait pass­er la com­po­si­tion orig­i­nale d’une marche com­posée pour une com­parsa (défilé dans un car­naval) à un tan­go. Il a aus­si réal­isé la pre­mière représen­ta­tion, au café La Giral­a­da de Mon­te­v­ideo. C’est la rai­son pour laque­lle j’ai rajouté Fir­po en vert dans le sous-titre…

Le Café la Giral­da en 1918. C’est là qu’a été lancée la Cumpar­si­ta, inter­prétée par Rober­to Fir­po.

Cette presta­tion de Fir­po est sig­nalée sur le café La Giral­da par trois plaques com­mé­mora­tives. Elle est asso­ciée à la com­po­si­tion de Matos.

Les plaques com­mé­mora­tives sur le mur du café La Giral­da.
La cumpar­si­ta, un film de Anto­nio Mom­plet sor­ti le 28 août 1947. Ver­sion inté­grale !

La cumpar­si­ta est un film sor­ti le 28 août 1947. Il est à la gloire de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, sur une idée de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez et avec des musiques de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, par­mi lesquelles :

  • La cumpar­si­ta
  • Che, papusa, (avec Cadicamo)
  • El ros­al (Avec Romero)
  • San Tel­mo
  • Mocosi­ta.

D’autres auteurs, il y a égale­ment

  • El choclo (Vil­lol­do et Catan)
  • El tai­ta del arra­bal (Romero)
  • El entr­erri­ano (Men­diz­a­bal)
  • Vea, Vea (Rober­to Fir­po et Car­los Waiss)
  • Gar­u­fa (Col­la­zo, Fontaina et Soli­no)
  • Apache argenti­no (Gar­cia et Brameri)

Donc, qua­si­ment la moitié de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez.
Le film est dirigé par Anto­nio Mom­plet avec Nel­ly Darén, Aída Alber­ti, José Olar­ra et l’incontournable Hugo del Car­ril

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, étu­di­ant en archi­tec­ture et com­pos­i­teur…

Vous voulez en savoir plus ?

Il existe une mul­ti­tude de faits, his­toires, légen­des, fan­tasmes autour de La cumpar­si­ta. C’est un mon­u­ment auquel il faut beau­coup de tra­vail pour y met­tre un peu d’ordre. Cepen­dant, je vous con­seille l’article de Wikipé­dia qui lui est con­sacré, il est excel­lent :
Mer­ci à Thier­ry qui me l’a indiqué.

https://es.wikipedia.org/wiki/La_cumparsita

et bien sûr, l’article de Todo Tan­go qui sert de base à la plu­part des autres pub­li­ca­tions…

https://www.todotango.com/historias/cronica/90/La-cumparsita

La cumpar­si­ta. La joyeuse bande d’étudiants, défi­lant sur la musique de marche, se trans­forme en une marée de lourds spec­tres avec les paroles de La cumpar­si­ta et notam­ment celles de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez.

Vous avez peut-être été éton­nés de l’image de cou­ver­ture. Elle évoque une des par­ti­tions, dédi­cacée à ses amis. Mais les paroles, tristes, voire trag­iques m’ont incitées à trou­bler la fête en don­nant des allures de spec­tres aux fêtards.

El cuarteador 1941-09-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom com­plet Enrique Domin­go Cadí­camo a com­posé et écrit les paroles de notre tan­go du jour, El cuar­teador. C’est pour nous l’occasion de décou­vrir un méti­er oublié, ban­ni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la trac­tion ani­male). El cuar­teador est un cav­a­lier muni d’une forte mon­ture qui loue ses ser­vices aux voi­turi­ers embour­bés ou en mau­vaise passe.

Enrique Cadí­camo a com­posé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroed­er, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la ques­tion de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est prob­a­ble­ment pas un instru­ment dans le genre de celui de Schroed­er, mais tout sim­ple­ment un piano droit, sans doute un peu moins large avec seule­ment cinq ou six octaves. Son instru­ment était de la mai­son John Car­litt, une mai­son alle­mande de la ville de Dres­de et ce fac­teur fai­sait dans le piano tra­di­tion­nel, pas dans le jou­et. Cadí­camo sem­ble avoir été assez dis­cret sur l’usage de cet instru­ment, il n’a sans doute pas été un véri­ta­ble pianiste, son tal­ent n’en a absol­u­ment pas souf­fert comme on peut l’entendre dans cette com­po­si­tion.
Curieuse­ment, Ángel Vil­lo­do n’a pas com­posé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a tra­vail­lé comme cuar­teador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Var­gas qui l’enregistreront à la suite de Troi­lo-Fiorenti­no et Canaro-Amor.
Atten­tion, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Bar­ra­cas.

Extrait musical

El cuar­teador 1941-09-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. Le titre com­mence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tan­go nació. Esta­ba lin­da la fies­ta. Y com­padre­an­do la orques­ta de esta man­era empezó.
Yo soy Pru­den­cio Navar­ro,
el cuar­teador de Bar­ra­cas.
Ten­go un pin­go que en el bar­ro
cualquier car­ro
tira y saca.
Overo de anca par­ti­da,
que en un tra­ba­jo de cuar­ta
de la zan­ja siem­pre aparta
¡Chiche!
la rue­da que se ha quedao.

Yo que tan­ta cuar­ta di,
yo que a todos los prendí
a la cin­cha de mi percherón,
hoy, que el car­ro de mi amor se me enca­jó,
no hay uno que pa’ mi
ten­ga un tirón.

En la calle del quer­er
el amor de una mujer
en un bache hundió mi corazón…
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este pro­fun­do zan­jón!

Yo soy Pru­den­cio Navar­ro,
el cuar­teador de Bar­ra­cas.
Cuan­do ve mi overo un car­ro
com­padre­an­do
se le atra­ca.

No hay car­ga que me lo achique,
porque mi chu­zo es valiente;
yo lo llamo suave­mente
¡Chiche!
Y el pin­go pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domin­go Cadí­camo) (Musique et paroles)

Traduction libre et indications

C’é­tait dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tan­go est né. La fête était sym­pa. Et l’orchestre ami­cale­ment com­mença de cette façon.

Je suis Pru­den­cio Navar­ro, le cuar­teador de Bar­ra­cas.
J’ai un pin­go (cheval en lun­far­do) qui tire et sort de la boue n’im­porte quel char­i­ot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car mus­clée), qui dans un tra­vail de cuar­ta (tra­vail du cuar­teador qui con­siste à tir­er des char­i­ots embour­bés. Le nom vient du fait que l’on pli­ait la san­gle de tirage pour la ren­dre quadru­ple et ain­si plus résis­tante), du fos­sé sort tou­jours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expres­sion pour le mobilis­er) la roue qui était coincée.
Moi qui ai don­né tant de cuar­tas, moi qui les ai tous accrochés à la san­gle de mon percheron, aujour­d’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une trac­tion.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait som­br­er mon cœur…
Aujour­d’hui, même mon overo ne peut pas me sor­tir de ce fos­sé pro­fond !
Je suis Pru­den­cio Navar­ro, le cuar­teador de Bar­ra­cas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le con­tact d’une femme, jeu de mots, car c’est aus­si attach­er le char­i­ot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétré­cir, parce que mon chu­zo (aigu­il­lon) est courageux ; je l’ap­pelle douce­ment Chiche ! Et le pin­go (cheval, mais peut aus­si avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuar­teador 1941-09-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est notre tan­go du jour.
El cuar­teador 1941-10-06 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.
El cuar­teador 1942 Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

Mais Enrique Cadí­camo a aus­si réal­isé un court métrage où on peut enten­dre les deux anges inter­préter ce thème. Nous en avons déjà par­lé à pro­pos de Tres esquinas.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Var­gas enta­ment El cuar­teador de Bar­ra­cas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et avant El cuar­teador de Bar­ra­cas, il y a Tres Esquinas

El cuar­teador de Bar­ra­cas à 6:54 du film de Enrique Cadí­camo.
Tim­bre uruguayen met­tant en avant un cuar­teador. Remar­quez le har­nache­ment du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Vil­lol­do avait exer­cé ce méti­er, mais il avait aus­si été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nom­breux petits métiers pour sur­vivre.
Pour les mêmes raisons, les gau­chos dont les ter­ri­toires ont été rat­trapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adap­tés et sont passés du gar­di­en­nage des vach­es au sauve­tage des char­i­ots et tran­vias (tramways) en péril dans la boue ou dans des décliv­ités trop fortes.
Pour les voy­ages en char­i­ot, il était pru­dent de s’attacher les ser­vices d’un ou plusieurs cuar­teadores pour pou­voir se tir­er d’embarras dans les chemins défon­cés qui ser­vaient de routes à l’époque.

À gauche, Pru­den­cio Navar­ro par Rodol­fo Ramos et à droite, des voyageurs atten­dant les cuar­teadores…

Voici com­ment les voyageurs J. et G. Robert­son, nar­rèrent leur tra­ver­sée de la pam­pa entre Buenos Aires et San­ta Fe.

« Après avoir attaché l’at­te­lage à la malle-poste (dili­gence), sous la direc­tion du cocher, on adjoignit qua­tre cuar­teadores, mal vêtus, cha­cun sur son cheval, sans autre har­nais que la san­gle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au tim­on de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous ren­con­trâmes un de ces ter­ri­bles marécages.
Ce sont des mass­es de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de pro­fondeur et trente à cinquante de largeur (la pro­fondeur sem­ble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuar­teadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deux­ième équipe les suiv­it, et lorsque les deux équipes quit­tèrent le marais et, par con­séquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’en­tre dans le bour­bier, elles avaient gag­né un endroit où se tenir pour dévelop­per leur force.
À coups de fou­et et d’éper­on, encour­agés par les cris des pos­til­lons, les chevaux nous traînèrent tri­om­phale­ment hors du marais.
De cette façon, nous avons tra­ver­sé avec suc­cès tous les bour­biers, marécages et ruis­seaux qui sépar­ent Buenos Aires et San­ta Fe. »

La gravure du 19e siè­cle qui m’a servie pour réalis­er l’il­lus­tra­tion de l’anec­dote.

On remar­quera la san­gle (ici qui n’est pas quadru­ple), entre la selle et le tim­on. Il s’agit d’aider dans une mon­tée. J’ai rajouté de la boue dans ma ver­sion pour ren­dre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trou­vé le lieu. On remar­quera au pre­mier plan à droite, un autre cuar­teador se relax­ant avec le pied sur la san­gle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des char­i­ots fassent appel à ses ser­vices.
Voilà, cette anec­dote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon dif­férente les belles ver­sions de cette com­po­si­tion de Rosendo Luna.

Pedacito de cielo 1942-09-02 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enreg­istrée un 2 sep­tem­bre. Il s’agit de « Pedac­i­to de cielo ». Il existe beau­coup de ver­sions de ce petit coin de ciel, de par­adis per­du. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réal­isée par Miguel Caló con Alber­to Podestá, mais nous écouterons mon autre préférée, celle enreg­istrée 16 jours plus tard par Aníbal Troi­lo et Fran­cis­co Fiorenti­no.

Extrait musical

Pedac­i­to de cielo 1942-09-02 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá.
Deux ver­sions de la cou­ver­ture de la par­ti­tion enca­drent la par­ti­tion pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélec­tion­né des musi­ciens de tout pre­mier plan, comme Enrique Franci­ni vio­loniste et Héc­tor Stam­poni pianiste, les deux com­pos­i­teurs, même si à l’époque de l’enregistrement Stam­poni avait quit­té l’orchestre, rem­place par Osmar Mader­na.
On enten­dra un mer­veilleux solo de vio­lon par l’auteur (à 35s), Franci­ni, et plus dis­cret, sauf à la fin, son com­père ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. Mader­na, Pon­tier et Franci­ni se parta­gent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pin­ta­da con que­jas
y can­tos de amor.
La noche llen­a­ba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo bal­cón…
Recuer­do que entonces reías
si yo te leía
mi ver­so mejor
y aho­ra, capri­cho del tiem­po,
leyen­do esos ver­sos
¡llo­ramos los dos!

Los años de la infan­cia
pasaron, pasaron…
La reja está dormi­da de tan­to silen­cio
y en aquel pedac­i­to de cielo
se quedó tu ale­gría y mi amor.
Los años han pasa­do
ter­ri­bles, mal­va­dos,
dejan­do esa esper­an­za que no ha de lle­gar
y recuer­do tu gesto travieso
después de aquel beso
roba­do al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cál­i­da risa,
tu límp­i­da voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo bal­cón…
Tus ojos de azú­car que­ma­da
tenían dis­tan­cias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hal­lar como entonces
la reja de bronce
tem­b­lan­do de amor!…

Enrique Franci­ni; Héc­tor Stam­poni Letra: Home­ro Expósi­to

Traduction libre

La mai­son avait une clô­ture peinte de plaintes et de chan­sons d’amour.
La nuit rem­plis­sait de cernes, la clô­ture, le lierre et le vieux bal­con…
Je me sou­viens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et main­tenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleu­rons tous les deux !
Les années de l’en­fance sont passées, passées…
La clô­ture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé ter­ri­bles, méchantes, lais­sant cet espoir qui ne vien­dra jamais et je me sou­viens de ton geste espiè­gle après ce bais­er volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpi­de se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clô­ture, le lierre et le vieux bal­con ont échap­pé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des dis­tances dorées au soleil…
Et aujour­d’hui tu veux retrou­ver comme avant la grille de bronze trem­blante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux ver­sions par­faites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tan­go. Les voici.

Pedac­i­to de cielo 1942-09-02 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.
Pedac­i­to de cielo 1942-09-18 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Il y a beau­coup d’autres ver­sions, sans doute pas autant que le nom­bre de bou­gies qui m’attend, mais je com­pléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aus­si un tan­go du même titre qui a été com­posé par José Martínez et que l’on con­naît surtout par la belle ver­sion de1927 par Age­si­lao Fer­raz­zano que voici :

Pedac­i­to de cielo 1927-05-11 — Orques­ta Age­si­lao Fer­raz­zano. Un petit cadeau pour ceux qui n’ai­ment pas les valses (les pau­vres).

À bien­tôt, les amis.