Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée inter­na­tionale (des droits) des femmes. Il me sem­ble d’ac­tu­al­ité, d’abor­der la ques­tion des femmes dans le tan­go. Il faudrait plus qu’un arti­cle, qu’un livre et sans doute une véri­ta­ble ency­clopédie pour traiter ce sujet, aus­si, je vous pro­pose unique­ment quelques petites indi­ca­tions qui rap­pel­lent que le tan­go est aus­si une his­toire de femmes.

We can do it on peut le faire Affiche de pro­pa­gande de la société West­ing­house Elec­tric pour motiv­er les femmes dans lef­fort de guerre en 1943 Elle a été créée par J Howard Miller en 1943

Cette affiche rap­pelle, mal­gré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes tra­vailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’in­cendie de leur man­u­fac­ture le 8 mars 1908. Ce sont les pro­pres pro­prié­taires de cette usine, la Cot­ton Tex­tile Fac­to­ry, qui ont mis le feu pour régler le prob­lème avec leurs employées qui récla­maient de meilleurs salaires et con­di­tions de vie avec le slo­gan « du pain et des ros­es »…

Du pain et des ros­es un slo­gan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du tex­tile le 8 mars 1908 à New York

On se sou­vient en Argen­tine de faits sem­blables, lors de la semaine trag­ique de jan­vi­er 1919 où des cen­taines d’ou­vri­ers furent assas­s­inés, faits qui se renou­vèleront deux ans plus tard en Patag­o­nie où plus de 1000 ouvri­ers grévistes ont été tués.
Aujour­d’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’é­gal­ité de traite­ment entre les sex­es, ce qui est un autre type de lutte, mais qui ren­con­tre, notam­ment dans l’Ar­gen­tine d’au­jour­d’hui, une oppo­si­tion farouche du gou­verne­ment.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor () 1934-08-16 – Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray.

Il s’ag­it d’une ranchera écrite par Eduar­do Vet­ere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me sem­blait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affir­ma­tions dis­ant que le tan­go se dan­sait ini­tiale­ment entre hommes, car, si, on a quelques pho­tos mon­trant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pra­ti­quer l’art de la danse.
Le tan­go a divers­es orig­ines. Par­mi celles-ci, le monde du spec­ta­cle, de la scène, du moins pour ses par­tic­u­lar­ités musi­cales. Dans les spec­ta­cles qui étaient joués dans la sec­onde moitié du dix-neu­vième siè­cle, il y avait des femmes sur scène. Elles chan­taient, dan­saient. Elles étaient actri­ces. Les thèmes de ces spec­ta­cles étaient les mêmes qu’en Europe et sou­vent inspirés par les pro­duc­tions du Vieux Con­ti­nent. Elles étaient des­tinées à ceux qui pou­vaient pay­er, et donc à une cer­taine élite. Je ferai le par­al­lèle avec Car­men de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour mon­tr­er à quoi pou­vait ressem­bler une des pro­duc­tions de l’époque. Des his­toires, sou­vent sen­ti­men­tales, des fig­u­rants et dif­férents tableaux qui se suc­cé­daient. La plu­part du temps, ces spec­ta­cles relèvent du genre « vaude­ville ». Les femmes, comme Car­men, étaient sou­vent les héroïnes et a min­i­ma, elles étaient indis­pens­ables et présentes. Au vingtième siè­cle, lorsque le tan­go a mûri, on retrou­ve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aus­si dans le ciné­ma. Je pense que vous aurez remar­qué à la lec­ture de mes anec­dotes qu’une part impor­tante des tan­gos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre orig­ine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de com­pag­nie fémi­nine. Dans ce monde dur, où les couteaux sor­taient facile­ment, où on tra­vail­lait dans des usines, aux abat­toirs ou aux travaux agri­coles et notam­ment l’él­e­vage, les femmes étaient rares et con­voitées. Cela don­nait lieu à des bagar­res et on se sou­vient que le tan­go canyengue évo­quait par ses pass­es des fig­ures de com­bat au couteau. Les hommes qui avaient la pos­si­bil­ité de danser avec une femme d’ac­cès facile jouaient une sorte de comédie pour les com­pagnons qui regar­daient, cher­chant à se met­tre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tan­gos, dans des fig­ures auda­cieuses et com­bat­ives, comme les fentes. La pénurie de femmes, mal­gré les impor­ta­tions à grande échelle de grisettes français­es et de pau­vres hères d’autres par­ties de l’Eu­rope, fait que c’est dans les bor­dels qu’il était le plus facile de les abor­der. Dans ces maisons, clos­es, il y avait une par­tie de spec­ta­cle, de déco­rum et la danse pou­vait être un moyen de . Il suff­i­sait de pay­er une petite somme, comme on l’a vu, par exem­ple pour Lo de Lau­ra. Dans cet univers, le tan­go tour­nait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’é­tait plutôt le cabareti­er qui favori­sait les activ­ités pour que les clients de sa pulpe­ria passe du temps et con­somme.
Une dernière orig­ine du tan­go, notam­ment en Uruguay est l’im­mi­gra­tion (for­cée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affran­chis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont dévelop­pé un art musi­cal et choré­graphique pour exprimer leur peine et enjo­liv­er leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dan­saient et chan­taient. Elles étaient cepen­dant absentes comme instru­men­tiste, les tam­bours du can­dombe étaient plutôt frap­pés par des hommes, mais ce n’est pas une par­tic­u­lar­ité de la branche noire du tan­go.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priv­er des tan­gos par­lant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beau­coup. Que ces dernières soient une étoile inac­ces­si­ble, une traitresse infidèle, une com­pagne aimante, une femme de pas­sage entre­vue et per­due ou une mère. En effet, le thème de la mère est forte­ment présent dans le tan­go. Même les mau­vais gar­ne­ments, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

Madre hay una sola 1930-12-10 — con acomp. de Fran­cis­co Canaro (Agustín Bar­di Letra : José de la Vega).

Je vous pro­pose une ver­sion chan­tée par une femme, la maîtresse mal­heureuse de Fran­cis­co Canaro, Ada Fal­cón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspi­ra­tri­ces, car vous le retrou­verez dans la plu­part de mes anec­dotes de tan­go.

Les femmes danseuses

Je n’abor­derai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me sem­ble impor­tant de les men­tion­ner, car, comme je l’indi­quais au début de cet arti­cle, c’est aus­si pour approcher les femmes que les hommes se con­ver­tis­sent en

Car­menci­ta Calderón et Ben­i­to Bian­quet () dansent El Entr­erri­ano de Ansel­mo Rosendo Men­dizábal, dans le film « Tan­go » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la com­po­si­tion ou à la direc­tion d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus dis­crets, comme vio­lonistes dans un orchestre, ou, plus sûre­ment, elles jouaient du piano famil­ial. Le manque de femmes dans la com­po­si­tion et la direc­tion d’orchestre n’est donc pas un phénomène pro­pre au tan­go. C’est plutôt un tra­vers de la société patri­ar­cale ou la femme reste à la mai­son et développe une cul­ture artis­tique des­tinée à l’a­gré­ment de sa famille et des invités du « maître » de mai­son.
Cepen­dant, quelques femmes ont su domin­er le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujour­d’hui, on trou­ve des orchestres de femmes, mais il faut recon­naître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tan­go.
Fran­cis­ca Bernar­do, plus con­nue sous son pseu­do­nyme de Paqui­ta Bernar­do, est la pio­nnière des ban­donéon­istes femmes.

Paqui­ta Bernar­do 19001925 pre­mière femme con­nue pour jouer du ban­donéon un instru­ment réservé aux hommes aupar­a­vant

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laiss­er une mar­que pro­fonde dans l’, car elle n’a pas enreg­istré de disque. Cepen­dant on con­naît ses tal­ents de com­positrice à tra­vers quelques œuvres qui nous sont par­v­enues comme Flo­re­al, un titre enreg­istré en 1923 par Juan Car­los Cobián.

Flo­re­al 1923-08-14 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

L’ acous­tique ne rend pas vrai­ment jus­tice à la com­positrice. C’est un autre incon­vénient que d’être décédé avant l’ap­pari­tion de l’en­reg­istrement élec­trique…

Je vous pro­pose égale­ment deux autres de ses com­po­si­tions enreg­istrées par , mal­heureuse­ment encore, tou­jours à l’ère de l’en­reg­istrement acous­tique.

La enmas­cara­da 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez.
Soñan­do 1925 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Euge­nio Cár­de­nas.

Mais d’autres femmes furent com­positri­ces.

Les femmes compositrices

L’ex­em­ple de musique com­posée par une femme le plus célèbre est sans doute la mer­veilleuse valse, « Des­de el alma » com­posée par Rosa Clotilde Mele Luciano, con­nue comme . Cette pianiste uruguayenne a une page offi­cielle où vous pour­rez trou­ver de nom­breux élé­ments.

Rosi­ta Melo com­positrice de Des­de el Alma
Des­de el alma (Valse) 1947-10-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Nel­ly Omar.

Je vous pro­pose une des plus belles ver­sions, chan­tée par l’in­croy­able Nel­ly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte cita­tion et une femme un peu par­ti­c­ulière va me per­me­t­tre de faire la tran­si­tion avec les auteures de paroles de tan­go. Il s’ag­it de María Luisa Gar­nel­li.

Les femmes auteures

María Luisa Gar­nel­li est à la fois com­positrice et auteure. J’ai par­lé d’elle au sujet d’une de ses com­po­si­tions, La naran­ja nacio verde.

María Luisa Gar­nel­li alias Luis Mario et Mario Cas­tro

Retenons qu’elle a pris divers pseu­do­nymes mas­culins, comme Luis Mario ou Mario Cas­tro, ce qui lui per­mit d’écrire des paroles de tan­go en lun­far­do, sans que sa famille bour­geoise le sache… Elle fut égale­ment jour­nal­iste et cor­re­spon­dante de guerre…
Je vous pro­pose d’é­couter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El male­vo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une ver­sion chan­tée par une femme, Rosi­ta Quiroga.

El male­vo 1928 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras.

Si vous souhaitez en con­naître plus sur sa tra­jec­toire par­ti­c­ulière, vous pou­vez con­sul­ter une biogra­phie écrite par Nél­i­da Beat­riz Cirigliano dans Buenos Aires His­to­ria.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tan­go, mais je vous pro­pose une petite galerie de pho­tos. Elle est très loin d’être exhaus­tive, mais je vous encour­age à décou­vrir celles que vous pour­riez ne pas con­naître.
Je vous pro­pose d’é­couter une ver­sion de la cumpar­si­ta par Mer­cedes Simone pour nous quit­ter en musique en regar­dant quelques por­traits de chanteuses de tan­go.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1966 — Mer­cedes Simone accom­pa­g­née par l’orchestre d’Emilio Brameri.

Je dédi­cace cette anec­dote à Vic­to­ria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aus­si à Thier­ry qui m’a pro­posé de faire une anec­dote sur ce sujet. Il est aus­si le cor­recteur de mes anec­dotes.
À bien­tôt, les amis !

avatar d’auteur/autrice
DJ BYC Bernar­do DJ — VJ

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.