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Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo « Lalo » Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscándote est un des thèmes les plus émouvants du tango. Par la qualité de la musique et des paroles de Eduardo « Lalo » Scalise El poeta del piano, mais aussi par la simplicité et la rondeur de l’interprétation par Fresedo et Ruiz, pour notre tango du jour. Nous allons en profiter pour regarder de plus prêt comment fonctionne une partition.

Extrait musical

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz
Première page de la partition retranscrite par Lucas Cáceres.

Cette première page présente les quatre premières mesures. On voit les différents instruments. T (ténor, Ricardo Ruiz, dans cet enregistrement), puis 4 violons, 4 bandonéons, un piano et une contrebasse.
À l’armure, il y a deux dièses, nous sommes en Si mineur. Un mode nostalgique, voire triste. Dans la première mesure, on remarque qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deuxième mesure commence avec la seconde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la contrebasse commence à marquer tous les temps (4 par mesure) en commençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mouvement de bascule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suivante et ainsi de suite sur environ la moitié des mesures de la partition. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des éléments de la mélodie.
On remarquera que les bandonéons et violons qui débutent aussi à la deuxième mesure commencent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez discret, mais vous n’aurez pas de peine à repérer ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des violons y met fin, pour commencer à énoncer la première partie (A).

La partition du ténor avec la photo de Ricardo Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La partition a été proposée également par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la partition du ténor (Ricardo Ruiz dans notre cas) qui ne commence à chanter qu’à partir de la mesure 43 (en levée de la 44).
On se souvient que le début de la partition était en Ré mineur, après un passage en Fa mineur, Ruiz commence à chanter en Fa majeur. La présence de dièses sur 4 des Sols et un Do, font basculer certains passages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les lettres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repérer dans les tonalités. Le nombre de dièses ou bémols à la clef donne la dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Souvent, il y a beaucoup de changements de tonalités et des altérations (Dièses, ou Bémols) ponctuelles qui rendent difficile de décider la tonalité exacte utilisée. Mais ce n’est pas si important, ce qui l’est, c’est uniquement de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sensibilité de la musique, donc l’écoute est suffisante.
Maintenant que vous êtes au point, je vous propose de suivre la partition durant l’écoute, grâce au travail remarquable de Lucas Cáceres.

Partition animée de Buscándote, une vidéo réalisée par Lucas Cáceres.

Vous remarquerez qu’il y a toutes les parties, et qu’il y a donc beaucoup de changements de pages. Dans un orchestre, chaque instrument n’a que sa partie et si cela vous intéresse, vous pouvez vous les obtenir en vous abonnant à son Patreon.
Assez parlé de la musique, intéressons-nous aux paroles, maintenant.

Paroles

Vagar con el cansancio de mi eterno andar
tristeza amarga de la soledad
ansias enormes de llegar.
sabrás que por la vida fui buscándote
que mis ensueños sin querer vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esperanza de encontrarte a ti
largos caminos hilvané
leguas y leguas recorrí por ti
después que entre tus brazos pueda descansar
si lo prefieres volveré a marchar
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscándote
que mis ensueños sin querer rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esperanza de encontrarte a ti
largos caminos hilvané
leguas y leguas recorrí por ti
después que entre tus brazos pueda descansar
si lo prefieres volveré a marchar
por mi camino de ayer.
Eduardo « Lalo » Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éternelle, l’amère tristesse de la solitude, l’énorme désir d’arriver.
Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver.
Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.
Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai parcourues pour vous.
Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Fresedo et Ruiz. Cependant, la passion européenne pour Fresedo fait que beaucoup d’orchestre du 21e siècle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des fortunes diverses.

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscándote 2000-06-01 – Klaus Johns.

Une version instrumentale avec un parti pris de tempo particulièrement lent. C’est probablement à classer au rayon des étrangetés, mais certainement pas à proposer au bal.

Buscándote 2012 – Sexteto Milonguero con .

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notamment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciriaco, pendant une quinzaine d’années.

Buscándote 2012 – Solo Tango Orquesta.

Cet orchestre russe a également son public. Ils proposent, ici, une version instrumentale.

Buscándote 2013 – y Orquesta Típica.

L’incroyable solo de violon qui ouvre cette version peut surprendre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien marqué par les bandonéons et toujours dominé par les cordes et ce superbe violon, fait que c’est certainement une version « chair de poule » pour beaucoup. La belle voix, puissante et chaude d’Ariel Ardit termine de faire de cette version remarquable. Pour la danse, les arrastres d’Ariel peuvent gêner certains danseurs et le rythme rapide peut faire que l’on préfère d’autres versions. Je pense qu’en Europe cette interprétation aurait des amateurs.

Buscándote 2013 – Ensemble con .

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette version tranquille peut paraître un peu faible, mais il faut la comparer à notre étalon, la version de Fresedo et Ruiz, pour voir que c’est une belle réalisation, intime et bien accordée au thème de la chanson.

Buscándote 2014 (En vivo) – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

Une version avec public qui permet de se souvenir de l’ambiance que mettait cet orchestre. C’était à Rosario (Argentine) lors de l’Encuentro Tanguero del Interior (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nombreuses fois, c’est vraiment dommage qu’il n’existe plus.

Buscándote 2015 – Cuarteto SolTango.

Ce cuarteto, avec beaucoup moins d’instruments s’approche de la version de Fresedo. Une belle performance. Le solo de violon qui remplace la voix de Ricardo Ruiz, bien que bien chantant, est sans doute ce qui peut faire baisser la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la principale raison, est que certains DJ mettent des chansons tango au lieu de véritables tangos chantés de danse.

Buscándote 2015 – Orquesta La 2X4 Rosarina con Martín Piñol.

Retour à une version chantée. La voix de Martín Piñol pourrait bénéficier d’un orchestre plus accompli. La prise de son mériterait d’être meilleure également. Le résultat ne risque pas de détrôner, la version de Fresedo qui en est clairement le modèle.

Buscándote 2015-07-09 – con Diego Di .

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Fresedo. Cet enregistrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Martino, s’élance légère et fluide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Fresedo et Ruiz restent en tête.

Buscándote 2016-03-01 – El Cachivache Quinteto.

El Cachivache signe une version plus personnelle, qui n’est pas qu’une simple imitation de Fresedo et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instruments comme la guitare électrique peut donner des boutons à des milongueros sclérosés. C’est une version instrumentale, mais la diversité des variations fait que ce n’est pas monotone. L’entrée avec une gamme de do majeur descendent suivie d’une gamme ascendante est très originale. Le final est également intéressant, c’est une version qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aussi à Angela C. car il y a une bonne proportion de mode majeur dans cette version, contrairement à la version de Fresedo qui est majoritairement en mode mineur 😉

Buscándote 2016-12 – Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.

Avec la Romántica Milonguera on revient à un registre plus classique, même si cet orchestre a su créer son propre son. Ici, c’est Roberto Minondi qui nous ravit.

Buscándote 2019 – Cuarteto Mulenga. Cette version présente l’intérêt de voir les instrumentistes opérer. Mais ce titre est aussi sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réalisée au Bodegon (restaurant) El Destino, à Quilmes (Province de Buenos Aires).

Buscándote 2021-03 Orquesta Típica .

Un début original, qui peut faire douter durant les 30 premières secondes qu’on écoute Buscándote. On notera la descente de piano, très originale durant ce début. Le reste de l’orchestration renouvelle également l’œuvre, qui est comme décomposée, déstructurée au profit de solos qui se superposent. C’est presque un ensemble de citations de l’œuvre originale, plus qu’une interprétation au sens habituel. La fin ne dissipera pas cette impression.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir comment les danseurs vont pouvoir interpréter la musique que je propose.
J’ai trouvé cette petite pépite, réalisée par Juana García y Julio Robles. Elle montre les temps et contretemps.

Cliquez sur le lien pour consulter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Poser les pieds en rythme est la toute première étape du danseur de tango et, même si certains ne s’y résolvent pas, il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin, étant une danse d’improvisation. On tirera cependant de cette vidéo un élément très intéressant, la séparation entre les différentes parties. Savoir les repérer permet d’adapter la danse en changeant le style pour chaque partie.
Il faut aussi savoir distinguer la phrase musicale, afin que le couple se retrouve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine transition ou enchaînement de phrases. Certains comptent de 1 à 8, mais c’est beaucoup plus agréable de se laisser porter par la structure de la musique.
Je déconseille donc le comptage, sauf pour des chorégraphies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tango social qui nous intéresse ici, car je trouve dommage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à entendre la musique.
Il me semble qu’il est amplement préférable de travailler son « instinct », car, rapidement, le corps saura quand la musique va changer et, inconsciemment, il va se préparer, ce qui vous permettra de danser l’esprit totalement libre, en vous laissant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour identifier les musiques plus dansables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suivent. Il a donc la responsabilité d’ouvrir la voie et de leur proposer des chemins dont les difficultés sont adaptées.

À bientôt, les amis, merci de me suivre.

À bientôt, les amis, merci de me suivre.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

y Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous parler aujourd’hui de (trois coins de rue), car ce merveilleux tango immortalisé par les deux angelitos (D’Agostino et Vargas) parle à tous les danseurs. C’est une composition de Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía, Enrique Cadícamo lui a donné ses paroles et son nom. Partons en train jusqu’à Tres Esquinas à la découverte du berceau de ce tango.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agostino a composé ce titre dans une version sommaire pour une saynète nommée « Armenonville » montée par Luis Arata, et José Franco. Comme on peut s’en douter, cette pièce parlait de la vie des pauvres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agostino jouait cette composition au piano sous le titre, Pobre Piba (Pauvre gamine).

Arata-Simari-Franco

Une vingtaine d’années plus tard selon la légende () D’Agostino fredonnait le titre que reprit Vargas à la sortie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadícamo imagina le premier vers « Yo soy del barrio de Tres Esquinas ». Alfredo Attadía qui était le premier bandonéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrangements. Il doit cependant d’avoir son nom à la partition par son apport sur le phrasé des bandonéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Vargas qui devrait donc à ce double titre avoir aussi son nom sur la partition 😉

Extrait musical

Commençons par écouter cette merveille pour se mettre dans l’humeur propice à notre découverte.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con .
Tres Esquinas. Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo. À gauche, deux couvertures, puis partition et accords guitare et disque.

Je pense que vous avez remarqué ce fameux phrasé dès le début. On y tellement habitué maintenant que l’on pense que cela a toujours existé… Lorsque Vargas chante, le bandonéon se fait discret, se contentant au même titre que les autres instruments de marquer le rythme et de proposer quelques ornements pour les ponts. On notera le superbe solo de violon de après la voix de Vargas et la reprise du bandonéon (vers 2:20). Vargas a le dernier mot et termine le titre.

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Attadia, mais il y a fort à parier que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intemporelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del barrio de Tres Esquinas,
viejo baluarte de un arrabal
donde florecen como glicinas
las lindas pibas de delantal.
Donde en la noche tibia y serena
su antiguo aroma vuelca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duermen las chatas del corralón.

Soy de ese barrio de humilde rango,
yo soy el tango sentimental.
Soy de ese barrio que toma mate
bajo la sombra que da el parrral.
En sus ochavas compadrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una maleva
la ardiente ceba de mi pasión.

Nada hay más lindo ni más compadre
que mi suburbio murmurador,
con los chimentos de las comadres
y los piropos del Picaflor.
Vieja barriada que fue estandarte
de mis arrojos de juventud…
Yo soy del barrio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

libre des paroles

Je suis du quartier de Tres Esquinas (plus un village qu’un quartier au sens actuel), un ancien bastion d’une banlieue où les jolies filles en tablier fleurissent comme des glycines (Il s’agit des travailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sereine le géranium déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dorment les logis du corralón (le corralón est un habitat collectif, le pendant du conventillo, mais à la campagne. Au lieu de donner sur un couloir, les pièces qui accueillent les familles donnent sur un balcon. Au pluriel, cela peut aussi désigner le lieu où on parque le bétail et tout l’attirail de la traction animale. Je pense plutôt au logement dans ce cas à cause des géraniums qui me font plus penser à un habitat, même si les corralones étaient proches. Les géraniums éloignent les mouches qui devaient pulluler à cause de la proximité du bétail).
Je viens de ce quartier de rang modeste, je suis le tango sentimental.
Je suis de ce quartier qui boit du maté à l’ombre de la vigne.
Dans ses ochavas (la ochava est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présentent un petit pan de façade oblique) j’étais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mauvaise l’appât brûlant de ma passion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus compadre que mon faubourg murmurant, avec les commérages des commères et les compliments du Picaflor (les piropos sont des compliments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quartier qui fut l’étendard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quartier qui vit à part en ce siècle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme souvent, les versions immenses semblent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remarquable de l’époque, si on exclut à la guitare et notre surprise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 – Hugo Del Carril con guitarras.

Il me semble difficile de s’attacher à cette version une fois que l’on a découvert celle des deux anges. On retrouve l’ambiance de Gardel, mais cet enregistrement ne sera normalement jamais proposé dans une milonga.

Tres Esquinas 2010 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

Tres Esquinas 2010 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco. J’ai eu le bonheur de découvrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il mettait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tangopostale (Toulouse France) où il a suscité un enthousiasme délirant. Il nous reste le disque pour nous souvenir de ces moments intenses magnifiés par la voix de Javier Di Ciriaco.

Le jeune Ariel Ardit relève toutefois le défi et propose plusieurs versions électrisantes de ce titre. Voici un enregistrement public en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit interprète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme traditionnelle), mais c’est une magnifique version avec une grande richesse des contrepoints. Ariel Ardit donne beaucoup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On comprend l’approbation du public.

SURPRISE : il reste une version en réserve à découvrir à la fin de cette anecdote, vous ne pouvez pas vous la perdre ! Avis pour Thierry, mon talentueux correcteur, ce n’est pas une coquille, mais une formulation calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imaginer un lieu relativement rural qui comportait des espaces de terrains vagues, des usines, des maisons pour les pauvres (corralones) et des cafés, dont un qui se nommait Tres Esquinas du nom de ce quartier qui disposait toutefois d’une station ferroviaire du même nom… Voici de quoi vous repérer. Attention, cette zone n’est pas trop à recommander aux touristes, mais on y organise des peñas magnifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars remplis de centaines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fabuleux en dansant, chacareras, gatos, zambas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus surprenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automatiquement le style de la nouvelle danse en moins de deux secondes. Si vous avez lu mes conseils pour la chacarera, vous savez déjà reconnaître celles à 6 et 8 compases et les dobles, c’est la partie fondue de l’iceberg du folklore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cerclé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachuelo) qui marque la limite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quartier est d’usines, de terrains vagues et est maintenant bordé par l’autoroute qui va à La Plata (la capitale de la Province de Buenos Aires). Le café proprement dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toutefois la ochava  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui marque l’entrée de ce qui était ce café historique.
La station de train portait aussi logiquement le nom du quartier.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aérienne de Google.

Le cercle rouge est le café Tres Esquinas. Le cercle jaune marque la zone où était située la gare de Tres Esquinas détruite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994-1996 a coupé en deux le quartier et probablement mis un peu de désordre dans les baraquements de latas (voir Del barrio de las latas, le berceau du tango pour en savoir plus sur ce type de construction)

Et pour terminer, un court-métrage reconstituant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réalisée par Enrique Cadícamo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament Tres Esquinas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuarteador de Barracas

Court-métrage sur un scénario et sous la direction de Enrique Cadícamo où l’on voit des scènes de café, pittoresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuarteador de Barracas par et Ángel Vargas.

À demain, les amis !

Un tango y nada más 1945-07-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán

Armando Lacava ; Letra: Carlos Waiss

Deux Bahienses sont à l’origine de notre . Un pour la composition et l’autre pour l’interprétation. Pour être précis, un seul des compositeurs, Armando Lacava est de Bahía Blanca. Juan Pomati est né pour sa part en Italie, à Milan. Quoi qu’il en soit, Di Sarli a enregistré ce tango, tout juste composé.

Les pianistes bahienses et les autres…

Carlos Di Sarli et Armando Lacava, les deux pianistes de Bahía Blanca.

La mise en avant des pianistes de Bahía Blanca ne devrait pas faire passer à l’arrière-plan la contribution de Juan Pomati, le bandonéoniste qui a co-composé avec Lacava. Il était en effet un copiste très recherché à une époque où il n’existait pas de photocopieuses et a de son côté composé un certain nombre de titres dont une bonne part co-signée avec Tití Rossi dont il était un des bandonéonistes de l’orchestre. Impossible d’avoir une photo de lui, ce récent arrivée d’Italie est resté trop discret.

En revanche, j’ai une photo de l’auteur des paroles, Carlos Waiss.

Carlos Waiss

Extrait musical

Un tango y nada más 1945-07-05 – Orquesta Carlos Di Sarli con .

Dès les premières notes, le piano de Di Sarli fait merveille. Il marque le tempo et donne un parfait contrepoint aux violons qui se balancent au-dessus. Tout s’enchaîne, s’harmonise. La voix de Durán lance les paroles avec un rubato qui donnera de l’élan au danseur, un balancement qui dynamisera la créativité de l’improvisation.
Le tango se termine avec un tutti incluant la voix de Durán et qui se perd dans .

Paroles

Un tango más, un gorrión de barrio viejo
llega moliendo su cruel desilusión.
Rodando van los recuerdos de mi vida,
mi vida gris que no tiene ya canción.
Dónde estarán los que fueron compañeros,
mi amor primero de un claro anochecer,
y ese silbido llamando de la esquina
hacia el calor de aquel viejo café.

Quién sabe dónde está
lo que perdí, loco de afán.
Del tiempo que pasó
sólo quedó un tango más.

Tan sólo un tango más que trae
fracaso de no ser,
cansancio de mi andar.
La vida que al rodar, sólo dejó,
un tango y nada más
.

Un tango más, un gorrión de barrio viejo
tiembla en la sombra doliente del ayer.
Un tango más, y el juguete de la luna
vuelve a mentir en el triste anochecer.
Mi juventud la quemé en la cruz viajera
en la quimera de andar, siempre de andar.
Buscan mis ansias calor de primavera
y sólo hay un tango y nada más.

Armando Lacava ; Juan Pomati Letra: Carlos Waiss

Durán chante ce qui est en gras et termine en chantant de nouveau ce qui est en bleu.

chante également ce qui est en gras, mais il reprend ce qui est en rouge, puis ce qui est en bleu pour terminer. Aucun des deux ne chante le dernier couplet.

Eduardo Borda chante en plus de Julio Martel, la fin du dernier couplet (ce qui est en vert).

Traduction libre et indications

Un tango de plus, un moineau du vieux quartier arrive, ruminant sa cruelle désillusion (un gorrión en plus d’être un moineau est un profiteur, un pique-assiette).
Les de ma vie, ma vie grise qui n’a plus de chanson.
Où seront ceux qui étaient des compagnons, mon premier amour d’une soirée claire, et ce sifflement invitant depuis l’angle de la rue à la chaleur de ce vieux café.
Qui sait où est ce que j’ai perdu, fou d’impatience.
Du temps qui s’est écoulé, il ne restait plus qu’un tango.
Juste un tango de plus qui apporte l’échec de ne pas être, la fatigue de ma marche.
La vie qui en roulant n’a laissé qu’un tango et rien de plus.
Un tango de plus, un moineau du vieux quartier tremble dans l’ombre souffrante d’hier.
Un tango de plus, et le jouet de la lune recommence à mentir dans le triste crépuscule.
J’ai brûlé ma jeunesse sur la croix de voyage dans la chimère de la marche, toujours de la marche.
Ils cherchent mon désir de chaleur printanière et il n’y a qu’un tango et rien de plus.

Autres versions

Pas beaucoup d’ pour ce thème, mais il faut dire que la merveille de Di Sarli et Durán ne laissait pas beaucoup d’autres options aux autres orchestres.

Un tango y nada más 1945-07-05 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. C’est notre tango du jour.
Un tango y nada más 1945-07-17 — con Julio Martel.

De Angelis enregistre le titre 12 jours après Di Sarli. Ce n’est pas vilain et relativement dansant, mais sans doute pas aussi satisfaisant que la version de Di Sarli avec Durán.

Un tango y nada más 1986 – Orquesta José Basso con Eduardo Borda.

Cette version tardive date d’une époque où le tango de danse n’avait pas encore complètement retrouvé sa place. La jolie voix chaude de Borda donne plaisir à écouter ce titre, mais les n’y trouveront pas leur compte.

Un tango y nada más 2013-11-01 — . Ariel Ardit donne sa vision de l’œuvre.

Comme pour Borda, je n’irai pas proposer cela à des danseurs.

On pourrait continuer avec des tangos avec « nada más » dans le titre, il y en a près d’une vingtaine avec au moins un enregistrement… Mais ce sera pour une autre fois.

À demain les amis !