Archives par étiquette : Enrique Francini

Tigre viejo

Tigre viejo 1934-08-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Salvador Grupillo

Avec ses grandes cas­cades musi­cales qui se ter­mi­nent dans des écrase­ments impres­sion­nants, Tigre viejo (le vieux tigre) attire l’attention. C’est devenu un incon­tourn­able des milon­gas tant à Buenos Aires qu’en Europe dans la ver­sion d’Osvaldo Frese­do enreg­istrée en 1934.

Frese­do, « El Pibe de la Pater­nal » (le gamin de la Pater­nal, un quarti­er du nord-ouest de la ville de Buenos Aires) est claire­ment un chef d’orchestre de la vieille garde. Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1922 et une très grande par­tie de sa musique instru­men­tale, jusqu’à 1934, est mar­quée par les accents du canyengue avec un rythme mar­qué que Frese­do allège cepen­dant, notam­ment avec de jolis traits de vio­lon, voire de ban­donéon, son instru­ment. Tigre viejo est un titre charnière qui mar­que une tran­si­tion entre cette époque anci­enne et une plus mélodique, celle qu’il déploiera pro­gres­sive­ment avec les chanteurs Rober­to Ray et plus encore Ricar­do Ruiz. On con­sid­ère Frese­do comme un chef d’orchestre raf­finé con­venant bien aux audi­teurs de la bonne société.

Extrait musical

Partitura de Tigre viejo composé par Salvador Grupillo…
Par­ti­tu­ra de Tigre viejo com­posé par Sal­vador Grupil­lo…
Tigre viejo 1934-08-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do

On remar­que dès le début de Tigre viejo la puis­sance du rythme, bien appuyé, mais à par­tir de 19 sec­on­des sur­git un élé­ment per­tur­ba­teur, une spi­rale vibrante des vio­lons qui sem­ble tomber pour s’aplatir dans un lourd accord de piano. Frese­do sera friand de cet effet qu’il emploiera jusqu’à la fin de sa car­rière, comme dans Pimien­ta de 1962.
Les vio­lons et les ban­donéons sont chan­tants et le piano leur donne la réponse. Les vio­lons alter­nent les pizzi­cati et le jeu lega­to, par­fois, en se sub­di­visant pour faire cohab­iter les deux styles.
Les grandes vagues des vio­lons et des ban­donéons don­nent un car­ac­tère nos­tal­gique et on se prend à penser à un vieux tigre, triste de sen­tir les forces s’en aller, mais avec suff­isam­ment de vigueur pour vivre les traits énergiques pro­posés par Frese­do.

Une édition par les éditions Melos. C’est pour un cuarteto, mais cela peut être facilement étendue en doublant les parties de violons et bandonéons. On remarque les vagues évoquées, elles se retrouvent graphiquement dans l’édition musicale… https://melos.com.ar/
Une édi­tion par les édi­tions Melos. C’est pour un cuar­te­to, mais cela peut être facile­ment éten­due en dou­blant les par­ties de vio­lons et ban­donéons. On remar­que les vagues évo­quées, elles se retrou­vent graphique­ment dans l’édition musi­cale… https://melos.com.ar/

Autres versions

Même si elle est de très loin la plus célèbre, la ver­sion enreg­istrée de Frese­do n’est pas la plus anci­enne. L’année précé­dente, Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, avait enreg­istré une ver­sion plutôt sur­prenante.

Tigre viejo 1933 — Sex­te­to de Elvi­no Var­daro.

Elvi­no Var­daro et Hugo Bar­alis (vio­lonistes), Jorge Argenti­no Fer­nán­dez et Aníbal Troi­lo (ban­donéon­istes, Pedro Carac­ci­o­lo (Con­tre­bassiste) et José Pas­cual (Pianiste). Cette ver­sion dans l’esprit de De Caro, presque étrange, aura bien du mal à sat­is­faire les danseurs, notam­ment car elle est rem­plie de sur­pris­es ren­dant l’improvisation impos­si­ble. Au côté des deux excel­lents vio­lonistes, on notera la qual­ité des musi­ciens au ser­vice de cette ver­sion et notam­ment la présence d’Anibal Troi­lo, âgé de 19 ans lors de cet enreg­istrement.

Tigre viejo 1934-08-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

Une ver­sion par­faite­ment dans­able et sans doute bien­v­enue après l’expérience pro­posée par Var­daro.

Tigre viejo 1947-07-08 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

La ver­sion de Enrique Franci­ni et Arman­do Pon­tier a sans doute plus de points com­muns avec l’interprétation de Var­daro.

Tigre viejo 1948 — Orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Comme l’indique le nom de l’orchestre, Pizarro a fait une par­tie très impor­tante de sa car­rière en France, où il est arrivé en 1920 et y où il est mort en 1982. Bien sûr, il a fait de nom­breux voy­ages et sa présence en France n’a pas été con­tin­ue.

Tigre viejo 1969-09-18 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Dans sa péri­ode tar­dive, D’Arienzo pro­pose une ver­sion peu facile à danser, ce qui est plutôt rare chez lui. On con­sid­ér­era sans doute cette ver­sion comme une curiosité, plus que comme une per­le à pro­pos­er en milon­ga.

Tigre viejo 2011 — Hype­r­i­on Ensem­ble.

Hype­r­i­on est dans l’ensemble un orchestre de danse. Il pro­pose cette ver­sion qui évoque celle de Frese­do. Cepen­dant, si cela est sans doute un peu dans­able, il n’y a prob­a­ble­ment aucune rai­son de pro­pos­er cette ver­sion en milon­ga.

Atten­tion, je par­le du point de vue du DJ, pas de celui du Directeur artis­tique. En effet, un orchestre peut se per­me­t­tre des musiques un peu moins con­sen­suelles, il y a l’effet orchestre qui mod­i­fie l’écoute des danseurs. C’est un peu comme quand on passe des dis­ques noirs, les danseurs réagis­sent dif­férem­ment, même si le son est rigoureuse­ment iden­tique (copie numérique de bonne qual­ité du disque 78 tours, par exem­ple).

Tigre viejo 2017 — Tan­go Bar­do.

Cet autre orchestre con­tem­po­rain s’inspire de Frese­do en appor­tant une note énergique qui peut tout à fait con­venir aux danseurs actuels. Dis­ons que, si l’on souhaite chang­er de la ver­sion de Frese­do, on peut con­sid­ér­er cet enreg­istrement. https://tangobardo.bandcamp.com/track/tigre-viejo

Tigre viejo 2018 — Esquina Sur.

Une ver­sion dans l’esprit de Frese­do et qui se révèle dans­able, même s’il lui manque sans doute un peu de l’âme qu’avait su don­ner Frese­do.

Tigre viejo 2021 (in the style of Enrique Franci­ni & Arman­do Pon­tier) — Cuar­te­to SolTan­go.

Comme ils l’annoncent, cette inter­pré­ta­tion s’inspire de celle de Enrique Franci­ni et Arman­do Pon­tier et elle rejoint la grande lignée des ver­sions des­tinées exclu­sive­ment à l’écoute.

Tigre viejo 2023 — Estación Buenos Aires Quar­tet.

C’est tou­jours sym­pa de voir les musi­ciens. Voici donc une vidéo de 2023. Atten­tion, il manque la fin. Vous devrez donc acquérir la piste si vous souhaitez l’entendre en entier. https://www.halidonmusic.com/it/tango-from-origins-to-piazzolla-album-8104.html

Même si on peut envis­ager de la pro­pos­er en milon­ga, je trou­ve qu’il ne jus­ti­fie pas de déclass­er Frese­do, qui reste, pour ma part, le seul à avoir sat­is­fait les danseurs.

D’autres vieux tigres

Le titre a été util­isé pour divers­es œuvres. Pour votre amuse­ment, en voici qua­tre exem­ples :

Tigre viejo 1926-12-06 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Adol­fo Cara­bel­li. (Nicolás Guas­tavi­no Ara­gay)
Tigre viejo 1934 — Impe­rio Argenti­na con Gui­tar­ras (Enrique Nieto de Moli­na — Toko — Jose Abel­da).
Tigre viejo 2022 — José Romero Bel­lo Con Joseito Romero y Nativi­dad Díaz. Une com­po­si­tion inter­prétée à la harpe.
Tigre viejo 1960 — Ángel C. Loy­ola y sus Guariqueños (José Ren­jiló y Ángel Cus­to­dio Loy­ola).

Grupillo et les tigres

Je n’ai pas d’explication sur l’origine de ce titre. Le tigre était, par exem­ple le ban­donéon­iste Eduar­do Aro­las. Ce dernier a con­nu une fin trag­ique, alcoolique et tuber­culeux à Paris, de quoi faire un thème pour un tan­go. D’ailleurs, le tan­go de Nicolás Guas­tavi­no Ara­gay por­tant le même titre et enreg­istré par Cara­bel­li avec l’orchestre de la Vic­tor est de 1926, deux ans après la mort d’Arolas, ce qui est un bon délai pour un enreg­istrement en hom­mage.

Un tigre, cela peut être aus­si, en lun­far­do, une per­son­ne souf­frant de var­i­ole avec le vis­age grêlé, une per­son­ne cru­elle et san­guinaire, ou au con­traire, quelqu’un d’habile, mais l’un n’empêche cepen­dant pas l’autre. C’est aus­si, dans l’argot des pris­ons, celui qui net­toie les excré­ments…

Grupil­lo, quant à lui, est né dans les Pouilles et est donc un de ces si nom­breux Ital­iens d’origine mod­este pour ne pas dire pau­vre qui ont peu­plé l’Argentine.

Ma chasse au tigre

En 2009, j’ai par­lé pour la pre­mière fois avec Dany Borel­li, un des plus grands DJ de Buenos Aires. C’était juste­ment à pro­pos de ce tan­go. C’était à El Arranque, cette belle milon­ga de l’après-midi, si chaleureuse, qui est aujourd’hui rem­placée par un club de sport…

Dany et Vivi, deux talentueux DJ de Buenos Aires. Vivi est la fille de l'organisateur de la Milonga El Arranque et a appris le métier de DJ avec Dany. Photo de Dany y Vivi https://jantango.wordpress.com/2014/10/19/milonga-review-el-arranque-revisited/
Dany et Vivi, deux tal­entueux DJ de Buenos Aires. Vivi est la fille de l’or­gan­isa­teur de la Milon­ga El Arranque et a appris le méti­er de DJ avec Dany. Pho­to de Dany y Vivi https://jantango.wordpress.com/2014/10/19/milonga-review-el-arranque-revisited/

Une vidéo sou­venir du Salon La Argenti­na où avait lieu la milon­ga El Arranque.

Le salon "Nuevo Salon La Argentina) où avait lieu El Arranque. Pas de plancher, pas de clim, seulement d’immenses ventilateurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milongas de l'après-midi.
Le salon “Nue­vo Salon La Argenti­na) où avait lieu El Arranque. Pas de planch­er, pas de clim, seule­ment d’immenses ven­ti­la­teurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milon­gas de l’après-midi.
En 2018, le salon était à louer et aujourd'hui, c'est un lieu de fitness...
En 2018, le salon était à louer et aujour­d’hui, c’est un lieu de fit­ness…

Voilà, les amis. Je ter­mine ici,  après cette petite séquence « nos­tal­gie ». À bien­tôt !

Pedacito de cielo 1942-09-02 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enreg­istrée un 2 sep­tem­bre. Il s’agit de « Pedac­i­to de cielo ». Il existe beau­coup de ver­sions de ce petit coin de ciel, de par­adis per­du. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réal­isée par Miguel Caló con Alber­to Podestá, mais nous écouterons mon autre préférée, celle enreg­istrée 16 jours plus tard par Aníbal Troi­lo et Fran­cis­co Fiorenti­no.

Extrait musical

Pedac­i­to de cielo 1942-09-02 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá.
Deux ver­sions de la cou­ver­ture de la par­ti­tion enca­drent la par­ti­tion pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélec­tion­né des musi­ciens de tout pre­mier plan, comme Enrique Franci­ni vio­loniste et Héc­tor Stam­poni pianiste, les deux com­pos­i­teurs, même si à l’époque de l’enregistrement Stam­poni avait quit­té l’orchestre, rem­place par Osmar Mader­na.
On enten­dra un mer­veilleux solo de vio­lon par l’auteur (à 35s), Franci­ni, et plus dis­cret, sauf à la fin, son com­père ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. Mader­na, Pon­tier et Franci­ni se parta­gent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pin­ta­da con que­jas
y can­tos de amor.
La noche llen­a­ba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo bal­cón…
Recuer­do que entonces reías
si yo te leía
mi ver­so mejor
y aho­ra, capri­cho del tiem­po,
leyen­do esos ver­sos
¡llo­ramos los dos!

Los años de la infan­cia
pasaron, pasaron…
La reja está dormi­da de tan­to silen­cio
y en aquel pedac­i­to de cielo
se quedó tu ale­gría y mi amor.
Los años han pasa­do
ter­ri­bles, mal­va­dos,
dejan­do esa esper­an­za que no ha de lle­gar
y recuer­do tu gesto travieso
después de aquel beso
roba­do al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cál­i­da risa,
tu límp­i­da voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo bal­cón…
Tus ojos de azú­car que­ma­da
tenían dis­tan­cias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hal­lar como entonces
la reja de bronce
tem­b­lan­do de amor!…

Enrique Franci­ni; Héc­tor Stam­poni Letra: Home­ro Expósi­to

Traduction libre

La mai­son avait une clô­ture peinte de plaintes et de chan­sons d’amour.
La nuit rem­plis­sait de cernes, la clô­ture, le lierre et le vieux bal­con…
Je me sou­viens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et main­tenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleu­rons tous les deux !
Les années de l’en­fance sont passées, passées…
La clô­ture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé ter­ri­bles, méchantes, lais­sant cet espoir qui ne vien­dra jamais et je me sou­viens de ton geste espiè­gle après ce bais­er volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpi­de se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clô­ture, le lierre et le vieux bal­con ont échap­pé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des dis­tances dorées au soleil…
Et aujour­d’hui tu veux retrou­ver comme avant la grille de bronze trem­blante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux ver­sions par­faites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tan­go. Les voici.

Pedac­i­to de cielo 1942-09-02 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.
Pedac­i­to de cielo 1942-09-18 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Il y a beau­coup d’autres ver­sions, sans doute pas autant que le nom­bre de bou­gies qui m’attend, mais je com­pléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aus­si un tan­go du même titre qui a été com­posé par José Martínez et que l’on con­naît surtout par la belle ver­sion de1927 par Age­si­lao Fer­raz­zano que voici :

Pedac­i­to de cielo 1927-05-11 — Orques­ta Age­si­lao Fer­raz­zano. Un petit cadeau pour ceux qui n’ai­ment pas les valses (les pau­vres).

À bien­tôt, les amis.

En tus ojos de cielo 1944-07-10 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieuse­ment, Osmar Mader­na ne sem­ble pas avoir enreg­istré ce titre qu’il a com­posé. Pour­tant, dans la ver­sion de Caló, on recon­naît bien son orches­tra­tion. Si on creuse un peu la ques­tion, on se rend compte qu’il l’a enreg­istré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musi­ciens excep­tion­nels de cet orchestre. Il était dif­fi­cile de faire mieux pour met­tre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tan­go.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Mader­na. Son style déli­cat et sim­ple cadre par­faite­ment avec la mer­veilleuse déc­la­ra­tion d’amour que con­stitue ce tan­go. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Ban­donéons : Domin­go Fed­eri­co, Arman­do Pon­tier, José Cam­bareri (le mage du ban­donéon et sa vir­tu­osité épous­tou­flante) et Felipe Ric­cia­r­di.
Vio­lons : Enrique Franci­ni, Aquiles Aguilar, Ari­ol Ghe­saghi et Angel Bodas.
Con­tre­basse : Ariel Ped­ern­era, dont nous avons enten­du la ver­sion mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci — Par­ti­tion de En tus ojos de cielo — Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enreg­istrements de notre tan­go du jour, je vous pro­pose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfi­no. Ce titre a été enreg­istré trois jours plus tôt, le ven­dre­di 7 juil­let 1944.

Sans souci 1944-07-07 — Orques­ta Miguel Caló (Enrique Delfi­no).

Pour ceux qui aiment faire des tan­das mixtes, il est envis­age­able de pass­er les deux faces du disque dans la même tan­da. En effet, dans une milon­ga courte (5 heures), on passe rarement deux tan­das de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instru­men­tal et chan­té, on peut com­mencer par deux titres chan­tés, puis ter­min­er par deux titres instru­men­taux. Les titres instru­men­taux sont sou­vent un peu plus toniques ce qui jus­ti­fie de les plac­er à la fin. Par ailleurs, ils sont aus­si un peu plus intéres­sants pour la danse avec cer­tains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’é­tant pas au ser­vice du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque asso­ci­a­tion doit se faire en fonc­tion du moment et des danseurs. On peut même envis­ager une tan­da instru­men­tale tonique qui ter­mine de façon plus roman­tique, par exem­ple en fin de milon­ga.

Paroles

Je trou­ve que c’est un mag­nifique poème d’amour. Luis Rubis­tein a fait ici une œuvre splen­dide.

Como una piedra tira­da en el camino,
era mi vida, sin ter­nuras y sin fe,
pero una noche Dios te tra­jo a mi des­ti­no
y entonces con tu embru­jo me des­perté…
Eras un sueño de estrel­las y luceros,
eras un ángel con per­fume celes­tial.
Aho­ra sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mun­do mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azu­la­da can­ción,
ten­go mi alma per­di­da,
pupi­las dormi­das
en mi corazón…

Vos dijiste que, al fin, la vida es bue­na
cuan­do un car­iño nos embru­ja el corazón,
con tu ter­nu­ra, luz de som­bra para mi pena,
mi som­bra ya no es som­bra porque es can­ción…
Sólo me res­ta decir ¡ben­di­ta seas!,
alma de mi alma, esper­an­za y real­i­dad.
Ya nun­ca ha de arran­car­me de tus bra­zos,
porque en ellos hay amor, luz y ver­dad…

Osmar Mader­na (Osmar Héc­tor Mader­na) Letra: Luis Rubis­tein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans ten­dresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a con­duite à mon des­tin et depuis avec ton sor­tilège je me suis réveil­lé…
Tu étais un rêve d’é­toiles et d’astres (lucero peut par­ler de Vénus et des astres plus bril­lants que la moyenne), tu étais un ange au par­fum céleste.
Main­tenant seule­ment, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insom­nies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chan­son bleue, j’ai mon âme per­due, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finale­ment, la vie est bonne quand l’af­fec­tion envoûte nos cœurs, avec ta ten­dresse, lumière d’om­bre pour mon cha­grin, mon ombre désor­mais n’est plus une ombre, car c’est une chan­son…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réal­ité.
Main­tenant, rien ne m’ar­rachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tan­gos. Ici, ils sont le par­adis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrou­ve le même thème chez Fran­cis­co Bohi­gas dans El cielo en tus ojos

El cielo en tus ojos
yo vi ama­da mía,
y des­de ese día
en tu amor con­fié,
el cielo en tus ojos
me habló de ale­grías,
me habló de ter­nuras
me dió valen­tías,
el cielo en tus ojos
rehi­zo mi ser.

Fran­cis­co Bohi­gas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à par­tir de ce jour-là j’ai fait con­fi­ance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a par­lé de joie, il m’a par­lé de ten­dresse, il m’a don­né du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Home­ro Expósi­to, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suff­isent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más lin­da
que ata­ba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuer­do.

Qué me van a hablar de amorHome­ro Expósi­to
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est dev­enue un sou­venir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évo­qué que très briève­ment, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notam­ment Ital­iens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majori­taires…

  • Tus ojos de tri­go (blé) dans Tu casa ya no está de Vir­gilio et son frère Home­ro Expósi­to, valse enreg­istrée par Osval­do Pugliese avec Rober­to Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tan­go par Juan Canaro) et vals par Hum­ber­to Canaro Letra: Alfre­do Defilpo (superbe dans son inter­pré­ta­tion par Fran­cis­co Canaro et Fran­cis­co Amor, ain­si qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Sal­vador Fed­eri­co Valverde; Rafael de León; Arias de Saave­dra.
  • Tus ojos de azú­car que­ma­da (sucre brûlé) de Pedac­i­to de Cielo de Home­ro Expósi­to, valse enreg­istrée par divers orchestres dont Troi­lo avec Fiorenti­no en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Gre­co et des paroles de José Aro­las (frère aîné de Eduar­do) et d’autres de Pedro Numa Cór­do­ba, mais aus­si par Rosi­ta Mon­temar (musique et paroles)
  • Ojos negros que fasci­nan de Manuel Sali­na Letra: Florián Rey.
  • Mucha­chi­ta de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de José Dames Letra: Hora­cio San­guinet­ti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osval­do Adri­ani (paroli­er incon­nu)
  • Yo ven­do unos ojos negros de Pablo Ara Luce­na très con­nu dans l’interprétation de Mer­cedes Simone con Juan Car­los Cam­bon y Su Orques­ta mais qui est tiré d’une tona­da chile­na (chan­son chili­enne) dont une belle ver­sion a été enreg­istrée par Moreyra — Canale y su Con­jun­to Criol­lo avec des arrange­ments de Félix Vil­la.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces his­toires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Car­men, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…).
Mais non, je ne me suis pas per­du loin du tan­go. Bizet a écrit Car­men pour flat­ter la femme de Napoléon III d’origine espag­nole (Euge­nia de Mon­ti­jo, Guz­man). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des rem­parts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tan­gos, les milon­gas et la musique de Piaz­zol­la, car ne l’oublions pas, le pre­mier tan­go est d’origine espag­nole.

Georges Bizet — Car­men : ” L’amour est un oiseau rebelle” sur un rythme de habanera. 2010 — Eli­na Garan­ca — Met­ro­pol­i­tan Opera de New York Direc­tion, Yan­nick Nézet-Séguin.

Le tan­go est en effet né dans les théâtres et pas dans les bor­dels et son inspi­ra­tion est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) com­por­tait dif­férents rythmes dont la séguedille (que l’on retrou­ve dans Car­men dans Près des rem­parts de Séville) et la habanera. Les musi­ciens, qu’ils soient français ou espag­nols, con­nais­saient donc ces musiques.
En 1857 pour le spec­ta­cle (une sorte de zarzuela) El gau­cho de Buenos Aires O todos rabi­an por casarse de Estanis­lao del Cam­po, San­ti­a­go Ramos, un musi­cien espag­nol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidem­ment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui repren­nent la musique avec des adap­ta­tions et un titre légère­ment dif­férent. Je vous les pro­pose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta de la argen­tinidad con Rodol­fo Flo­rio y Car­los del Monte.

Évidem­ment, presque un siè­cle après l’écriture, il est cer­tain que les arrange­ments de Canaro ont mod­i­fié la com­po­si­tion orig­i­nale, mais je suis con­tent de vous avoir présen­té le tan­go au berceau.

D’autres can­di­dats comme Bar­to­lo tenía una flu­ta, dont on n’a, sem­ble-t-il, pas de trace, mais qui est évo­qué dans un cer­tain nom­bre de titres comme Bar­to­lo toca la flau­ta (ranchera) Che Bar­to­lo (tan­go) ou La flau­ta de Bar­to­lo (milon­ga) l’ont suivi.
Je cit­erai égale­ment El que­co (bor­del en lun­far­do d’o­rig­ine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Sil­va et dont le titre orig­inel était Kico (diminu­tif de Fran­cis­co. Le clar­inet­tiste Lino Galeano l’a adap­té à l’air du temps en changeant Kico pour Que­co, avec des paroles vul­gaires. Le titre orig­inel invi­tait Kico à danser, le nou­veau texte est bien moins élé­gant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bor­del, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Que­co a obtenu du suc­cès et fut l’un des tout pre­miers tan­gos à être large­ment dif­fusé et qui con­firme les orig­ines andalous­es du tan­go.
Je n’oublie pas l’origine « can­dom­béenne », on repar­lera un jour de El Negro Schico­ba com­posé en 1866 par José María Palazue­los et inter­prété pour la pre­mière fois par Ger­mán Mack­ay avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suiv­re.

À demain, les amis !

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Fran­cis­co Canaro est un immense suc­cès, mais la ver­sion du jour va sans doute vous éton­ner. Si elle ne vous plait pas, je me rat­trap­erai avec les nom­breuses ver­sions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me par­don­nerez de vous infliger une ver­sion de Alfre­do De Ange­lis, bien étrange.

Extrait musical

Corazón de oro 1980-07-01 — Orques­ta De Ange­lis.

L’introduction est réduite en étant jouée plus rapi­de­ment (les descentes chro­ma­tiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapi­de­ment.
Ce qui vous sur­pren­dra rapi­de­ment, ce sont les sonorités, au piano de De Ange­lis, aux superbes vio­lons, aux ban­donéons vir­tu­os­es, s’ajoute un orgue élec­tron­ique, à par­tir de 45 sec­on­des.
Celui chante la mélodie, puis les autres se mélan­gent de nou­veau. Le résul­tat manque un peu de clarté et je ne suis pas con­va­in­cu qu’il soit totale­ment appré­cié par les danseurs qui risquent de regret­ter les ver­sions de Canaro que vous allez pou­voir appréci­er à la suite de cet arti­cle.

Corazón de oro — Fran­cis­co Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co.

La par­ti­tion demande trois pages, con­tre deux générale­ment à cause de la très longue intro­duc­tion, vrai­ment très longue dans cer­taines ver­sions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Ange­lis qui ne fait « que » 15 sec­on­des.

Paroles

Con su amor mi madre me enseñó
a reír y soñar,
y con besos me alen­tó
a sufrir sin llo­rar…
En mi pecho nun­ca ten­go hiel,
en el alma, can­ta la ilusión,
y es mi vida ale­gre cas­ca­bel.
¡Con oro se for­jó mi corazón!…
Siem­pre he sido noble en el amor,
el plac­er, la amis­tad;
mi car­iño no causó dolor,
mi quer­er fue ver­dad…
Cuan­do sien­to el filo de un puñal
que me cla­va a veces la traición,
no enmudece el pájaro ide­al,
¡porque yo ten­go de oro el corazón!…

Entre amor
flo­recí
y el dolor
huyó de mí.
Sé curar
mi aflic­ción
sin llo­rar,
¡ten­go de oro el corazón!…

¡Los ruiseñores de mi ale­gría
van por mi vida can­tan­do a coro
y en las cam­panas del alma mía
resue­na el oro del corazón!…

Yo pagué la negra ingrat­i­tud
con gen­til com­pasión,
y jamás dejó mi juven­tud
de entonar su can­ción…
Al sen­tir el alma enarde­cer
y apu­rar con ansia mi pasión,
no me da dolores el plac­er,
¡pues ten­go de oro puro el corazón!…
Entre risas pasa mi vivir,
siem­pre amé, no sé odi­ar,
y con­vier­to en tri­nos mi sufrir
porque sé per­donar…
Mi exis­ten­cia quiero embel­le­cer,
pues al ver que muere una ilusión,
otras bel­las sien­to renac­er,
¡mi madre me hizo de oro el corazón!…

Fran­cis­co Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co

Traduction libre

Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des bais­ers, elle m’a encour­agé à souf­frir sans pleur­er…
Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux car­il­lon (cas­ca­bel = grelot, j’ai un peu inter­prété et surtout, il ne faut pas pren­dre cas­ca­bel pour une de ses sig­ni­fi­ca­tions en lun­far­do).
Mon cœur s’est forgé avec de l’or…
J’ai tou­jours été noble en amour, en plaisir, en ami­tié ; mon affec­tion ne cau­sait pas de douleur, mon amour était vrai…
Quand je sens le tran­chant d’un poignard qui me transperce par­fois de trahi­son, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or…
entouré d’amour, je fleuris­sais et la douleur me fuyait.
Je sais guérir mon afflic­tion sans pleur­er, j’ai un cœur en or…
Les rossig­nols de ma joie tra­versent ma vie en chan­tant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur…
J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce com­pas­sion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chan­son…
Quand je sens mon âme enflam­mer et ani­mer avec ardeur ma pas­sion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur…
Entre les rires ma vie passe, j’ai tou­jours aimé, je ne sais pas haïr, et je trans­forme ma souf­france en trilles parce que je sais par­don­ner…
Je veux embel­lir mon exis­tence, car quand je vois qu’une illu­sion (un sen­ti­ment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…

Autres versions

Corazón de Oro par Canaro

La com­po­si­tion est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enreg­istrements. Je vous pro­pose de com­mencer par lui et de revenir ensuite avec des enreg­istrements inter­mé­di­aires d’autres orchestres.

Corazón de oro 1928-05-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une intro­duc­tion qui prend son temps, très lente. La valse ne com­mence qu’après 50 sec­on­des, ce qui est beau­coup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuelle­ment la plac­er en début de tan­da, ou couper l’introduction. Les vio­lons émet­tent des miaule­ments éton­nants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 min­utes), cette valse n’est pas monot­o­ne et pour­ra sat­is­faire les danseurs. Elle est très rarement passée en milon­ga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéres­santes. Jetons‑y un œil.

Corazón de oro 1928-08-07 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

L’introduction est rel­a­tive­ment longue, mais plus rapi­de que pour la ver­sion de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suiv­re. Elle est plus rapi­de et Char­lo, inter­vient pour chanter le refrain à près de deux min­utes. C’est une ver­sion qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milon­ga.

Corazón de oro 1929-12-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est déjà le troisième enreg­istrement de cette valse par Canaro. L’in­tro­duc­tion est du type long, mais moins lente que dans la pre­mière ver­sion de 1928. Le ralen­tisse­ment de la fin est sym­pa­thique.

Corazón de oro 1930-06-11 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

L’introduction avec ses 25 sec­on­des peut être lais­sée. Elle laisse immé­di­ate­ment la place à la voix mag­nifique de Ada Fal­cón. Ce n’est pas une ver­sion de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne par­tie des danseurs par­don­neront aux DJ qui la passera en milon­ga. Pour ma part, j’adore.

Corazón de oro 1938-03-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Décidé­ment Canaro enchaîne les enreg­istrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la ver­sion qui passe le plus sou­vent en milon­ga. Elle démarre sans longue intro­duc­tion et le rythme est bien mar­qué. L’équilibre entre les ban­donéons avec les vio­lons en con­tre­point est mag­nifique. C’est donc logique­ment que les danseurs l’apprécient d’autant que cer­tains pas­sages plus énergiques réveil­lent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rap­pel­lent que Canaro donne aus­si dans le jazz donne une sonorité orig­i­nale à cette ver­sion qui n’est pas monot­o­ne mal­gré sa durée respectable de 3:13 min­utes. Sa fin dynamique per­met de l’envisager en fin de tan­da.

Corazón de oro 1951-11-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Canaro a lais­sé quelques années de côté sa valse pour la ressor­tir dans une ver­sion remaniée. C’est la ver­sion qui servi­ra de mod­èle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tan­go de Car­los Saura. La présence de chœur chan­tant la mélodie sans paroles est aus­si une orig­i­nal­ité, égale­ment reprise par Lalo Schifrin. Cette ver­sion béné­fi­cie aus­si de la fin tonique qui en fait une bonne can­di­date de fin de tan­da.

Corazón de oro 1961-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con coro.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enreg­istrement a été effec­tué au Japon. Les Japon­ais sont pas­sion­nés de tan­go et le suc­cès des tournées des artistes argentins en témoigne.
Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la pre­mière ver­sion qui atteint 50 sec­on­des. Le résul­tat est encore une valse qui dépasse les 4 min­utes, ce qui peut pouss­er les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la ver­sion la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la ver­sion de la décen­nie précé­dente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remar­quable, après un pas­sage extrême­ment lent, une fin, explo­sive. En milon­ga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son pub­lic avant de pass­er cette ver­sion.

On con­tin­ue avec le Quin­te­to Pir­in­cho qui a pro­longé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enreg­istrements.

Corazón de oro 1978 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Oscar Bassil.

Cette ver­sion, sou­vent éti­quetée Canaro, car il s’agit du Quin­te­to Pir­in­cho a été enreg­istré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (ban­donéon­iste) qui dirigeait le Quin­te­to à cette époque.

Corazón de oro 1996 — Quin­te­to Pir­in­cho Dir. Anto­nio D’Alessandro.

Autre ver­sion du Pir­in­cho, dans la ver­sion lente. Cette fois dirigée par Anto­nio D’Alessandro.

Con­traire­ment à Bassil, D’Alessandro reprend la tra­di­tion de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 sec­on­des. Les pre­miers temps de la valse sont très accen­tués par moments ce qui peut paraître man­quer de sub­til­ité. Cette ver­sion me sem­ble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trou­ve hor­ri­ble, voire presque lugubre. Cer­taine­ment pas ma ver­sion préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objec­tif pre­mier…

Corazón de oro par d’autres orchestres

Pas­sons à d’autres orchestres main­tenant.

Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion de Cam­bareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour don­ner des inter­pré­ta­tions à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses ver­sions.

Corazón de oro 1954-11-05 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

Une ver­sion calme, bien dansante, sans doute enten­due trop rarement en milon­ga. Il faut dire qu’avec le choix que pro­pose Canaro, on peut hésiter à sor­tir des sen­tiers bat­tus. Les con­tre­points du piano sont par­ti­c­ulière­ment orig­in­aux. J’aime beau­coup et en général, les danseurs aus­si (c’est la moin­dre des choses pour un DJ que de pass­er des choses qui don­nent envie de danser…).

Corazón de oro 1955-06-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

Une ver­sion intéres­sante, destruc­turée et avec des artistes vir­tu­os­es, que ce soit le vio­lon de Franci­ni ou le piano de Angel Sci­chet­ti. J’avoue que je n’irai pas la pro­pos­er en milon­ga, mais cette ver­sion vaut tout de même une écoute atten­tive.

Corazón de oro 1959 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to de Ayer.

Non, Cam­bareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette ver­sion est qua­si­ment aus­si rapi­de que celle de 1950.

Corazón de oro 1959 — Los Vio­lines De Oro Del Tan­go.

Une ver­sion plutôt ori­en­tée musique clas­sique, mais pas inin­téres­sante.

Corazón de oro 1979 — Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de José Canet.

La voix chaleureuse de Nel­ly Omar donne une ver­sion orig­i­nale de cette valse. Il y a peu de ver­sions chan­tées, il est donc intéres­sant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon per­son­nelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orques­ta De Ange­lis. C’est notre valse du jour.

Je vous pro­pose de ter­min­er avec cette ver­sion, on pour­rait sinon con­tin­uer à se per­dre dans les ver­sions pen­dant des heures, tant ce titre a été enreg­istré.

Canaro et De Angelis

Un des derniers dis­ques de De Ange­lis s’appelle Bodas de Oro con el Tan­go. Le livre de mémoires de Canaro est égale­ment sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tan­go. J’ai trou­vé amu­sante cette coïn­ci­dence.

Las bodas de oro de Canaro y De Ange­lis. Le disque et la cas­sette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Ange­lis, la fille de De Ange­lis, chanteuse.

Alfre­do De Ange­lis a enreg­istré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque inti­t­ulé Al col­orado de Ban­field (1985), le col­orado (le rouquin), c’est De Ange­lis, qui était fan du club de foot­ball de Ban­field. Il a d’ailleurs écrit un tan­go « El Tal­adro », El Tal­adro étant le surnom du club de Ban­field.

L’album s’appelle Al Col­orado de Ban­field à cause du tan­go com­posé par Ernesto Baf­fa et Rober­to Pérez Prechi en l’honneur de De Ange­lis.
Il a été pub­lié en 1985, mais il com­porte des enreg­istrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.

Canaro et De Ange­lis ont leurs par­ti­sans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entr­er dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troi­lo, D’Arienzo et Di Sar­li, mais ils ont créé tous les deux suff­isam­ment de titres intéres­sants pour avoir une bonne place dans le pan­théon du tan­go et tant pis pour les ron­chon­chons qui n’aiment pas.

À demain les amis !

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

On asso­cie sou­vent Raúl Berón à Miguel Caló et on n’a pas tort. Berón com­mence vrai­ment sa car­rière avec Caló et la ter­mine avec lui. Cepen­dant, il y a eu quelques sépa­ra­tions, notam­ment en 1943, date de notre tan­go du jour. Dans cet inter­valle s’est glis­sé le tal­entueux Jorge Ortiz, un ténor alors que Caló priv­ilé­giait des voix plus graves de bary­tons. Je vous pro­pose d’écouter Mi can­tar par l’intérimaire de tal­ent, Jorge Ortiz.

Extrait musical

Mi can­tar 1943-05-21 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héc­tor Stam­poni (Luciano Héc­tor Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)].

Paroles

Mi can­tar
es un can­to de esper­an­za,
flor de yuyo, rabia mansa,
soledad.

Mi can­tar
lo robé de las estrel­las
en las horas de tris­teza
que tu adiós me dejó.
Calle­jón
de cari­cias y sonidos
que, lle­gan­do del olvi­do
dan moti­vo a mi can­ción.

Mi can­tar
es un can­to de esper­an­za,
es un gri­to de dolor.
Un ayer de per­fumes
y de flor,
y un adiós sin moti­vo,
y el ren­cor de esper­ar
y de esper­ar
escribió con olvi­do.

Mi can­tar
gra­cia ple­na del fra­ca­so,
con mi angus­tia, con tu aca­so,
con tu adiós.

Mi can­tar
cofre azul de lo imposi­ble,
noche siem­pre, noche hor­ri­ble,
noche así, como yo.
Corazón,
tú qué sabes de la angus­tia
de mi voz cansa­da y mus­tia,
no pre­tendas des­per­tar.

Mi can­tar
es la gra­cia del fra­ca­so,
es el no saber llo­rar.

Héc­tor Stam­poni (Luciano Héc­tor Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)

Traduction libre

Ma chan­son est une chan­son d’espoir, une fleur sauvage (fleur de mau­vaise herbe, voir Yuyo verde), une douce rage, une soli­tude.
J’ai volé mon chant aux étoiles dans les heures de tristesse que ton adieu m’a lais­sées.
Une ruelle de caress­es et de sons qui, venus de l’oubli,
don­nent rai­son à ma chan­son.
Ma chan­son est une chan­son d’espoir, c’est un cri de douleur.
Un hier de par­fums et de fleurs, et un adieu sans rai­son, et la rancœur de l’attente et de l’attente écrites dans l’oubli.
Mon chant de toute la grâce de l’échec, avec mon angoisse, avec tes hési­ta­tions, avec tes adieux.
Ma chan­son, cof­fre bleu de l’impossible, nuit de tou­jours, nuit hor­ri­ble, nuit ain­si, comme moi.
Mon cœur, toi qui con­nais l’angoisse de ma voix fatiguée et fanée (se dit aus­si d’une fleur), n’essaye pas de te réveiller.
Mon chant est la grâce de l’échec, celui de ne savoir pas pleur­er.

L’orchestre de Miguel Caló en 1943

Ce n’est pas pour rien que l’orchestre de Miguel Caló était appelé les Étoiles (Las Estrel­las). Il avait mon­té un orchestre excep­tion­nel. Presque chaque exé­cu­tant pour­rait faire l’objet d’une notice.
Ban­donéons : Domin­go Fed­eri­co, Arman­do Pon­tier, José Cam­bareri, Felipe Ric­cia­r­di
Piano : Osmar Mader­na
Vio­lons : Enrique Franci­ni, Aquiles Aguilar, Ari­ol Ghe­saghi, Angel Bodas
Con­tre­basse : Ariel Ped­ern­era
Chanteurs : Jorge Ortiz (ténor, celui de ce titre), Raúl Iri­arte et Alber­to Podestá (bary­tons). Sig­nalons aus­si pour mémoire Raúl Berón, un autre bary­ton qui est indis­so­cia­ble de l’orchestre de Miguel Caló. C’est qu’en 1943, Raúl Berón était avec l’orchestre de Lucio Demare. Il est retourné avec Caló seule­ment en 1944. Il y a donc un trou dans l’association avec Berón qui a duré de 1942 à 1963 (avec quelques trous, dont un grand en ce qui con­cerne les enreg­istrements entre 1950 et 1963…

Jorge Ortiz avec Miguel Caló

Curieuse­ment, ce titre est encore un orphe­lin. Per­son­ne n’a, sem­ble-t-il, eu l’idée de l’enregistrer à la suite de Caló et Ortiz.
Pour ter­min­er en musique, je vous pro­pose donc quelques exem­ples de tan­gos chan­tés par Jorge Ortiz avec l’orchestre de Calo :
La pre­mière ses­sion d’enregistrement, sur deux jours a don­né trois titres par­faits :

Bar­rio de tan­go 1943-01-19 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Aníbal Troi­lo Letra: Home­ro Manzi).
Pa’ qué seguir 1943-01-19 – Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Fran­cis­co Fiorenti­no Letra: Pedro Lloret).
A las siete en el café 1943-01-20 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Arman­do Baliot­ti Letra: San­ti­a­go Luis D. Adami­ni).

C’est une ver­sion bien plus intéres­sante que celle de Ángel D’agostino et Raúl Aldao, de la même année.
Cela com­mençait bien, non ?
Un mois plus tard, ils enreg­istrent :

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Luis Rubis­tein, Musique et paroles).

Une des plus impres­sion­nantes intro­duc­tions liées au monde fer­rovi­aire. Je vous laisse décou­vrir si vous ne con­nais­sez pas.

De bar­ro 1943-05-21 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi).

Pour moi, c’est un ovni, une soucoupe volante que l’on aura bien du mal à cas­er dans une tan­da de Caló.

Mi can­tar 1943-05-21 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héc­tor Stam­poni (Luciano Héc­tor Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)].

C’est notre tan­go du jour. Il me ras­sure sur l’association de Caló et Ortiz.
Le dernier titre enreg­istré par ces deux-là, c’est une milon­ga can­dombe :

Pobre negra 1943-06-10 — Enrique Mario Franci­ni; Héc­tor Stam­poni [Héc­tor Luciano Stam­poni) Letra: Home­ro Expósi­to (Home­ro Aldo Expósi­to)]

Le DJ qui veut faire une tan­da Calo Ortiz a 6 titres au choix (la milon­ga est orphe­line). Si on con­sid­ère que De bar­ro est à terre, il reste 5 titres… Pour une tan­da de qua­tre, il faut en élim­in­er un et pour une tan­da de trois, deux. C’est une des raisons où je trou­ve que les tan­das de qua­tre sont plus intéres­santes, car elles per­me­t­tent de faire des par­cours plus sub­tils que des tan­das de trois. Mais c’est un autre débat. Voir mon arti­cle Tan­da 5–4‑3–2‑1.

Mi can­tar