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Mentías (vals) 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo

Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine

J’ai reçu ce matin un mes­sage d’un organ­isa­teur de milon­ga me deman­dant quelle valse pro­pos­er pour un anniver­saire, avec la con­trainte que ce soit une valse du mois de jan­vi­er vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai pro­posé cette valse, Men­tías, pour deux raisons. La pre­mière est que c’est une valse qui cor­re­spond bien à l’occasion et la sec­onde est que sa date d’enregistrement coïn­cide avec la date de nais­sance de la danseuse à fêter. Je te dédi­cace donc, Mar­tine de Saint-Pierre (La Réu­nion), cette valse, en te souhai­tant un excel­lent anniver­saire.

Extrait musical

Disque RCA Vic­tor (38 138 face B) de Men­tías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138‑A) il y a El apronte, enreg­istré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548–1.
Men­tías 1937-04-01 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Cette valse com­mence sur un rythme rapi­de, avec une intro­duc­tion au piano par Rodol­fo Bia­gi, qui pro­posera de nom­breuses ponc­tu­a­tions et tran­si­tions légères (comme la pre­mière à 13s).
Durant toute la pre­mière par­tie (jusqu’à 28s), tous les instru­ments sont au ser­vice du rythme.
Ensuite, les ban­donéons s’individualisent pour la par­tie B et ensuite cèdent le pas aux mag­nifiques vio­lons.
À 1:50, la vari­a­tion apporte une impres­sion de vitesse, sans toute­fois chang­er le tem­po, sim­ple­ment, comme le fait presque sys­té­ma­tique­ment D’Arienzo, en sub­di­visant les temps en employ­ant des dou­ble-croches au lieu de croches.
Le rythme rapi­de, mais sans exagéra­tion et la fin somme toute tran­quille, laisse la place à des titres plus énergiques pour ter­min­er la tan­da dans une explo­sion.
Ce titre est un bon pre­mier titre, ce qui ren­force ma con­vic­tion qu’il peut faire l’affaire pour un anniver­saire.

Paroles

Mis ojos te grabaron en mi mente
Bajaste de la mente al corazón,
La flor del corazón se abrió en lati­dos
¡Lati­dos que acu­naron nue­stro amor!
Amor que flo­recía con tus besos
Tus besos encubrían la traición,
Traición que me val­ió la cruz del llan­to
¡Y el llan­to por mis ojos te arro­jó!

¡Men­tías…!
Con cari­cias… estu­di­adas…
¡Cin­is­mo…!
Del car­iño desleal…
Jurabas
Por tu dios y por tu madre…
¡Mira si no es crim­i­nal!
Los seres
Que han mata­do y se red­i­men,
Mere­cen el olvi­do y el perdón…
Cien vidas
No podrán bor­rar tu crimen
¡Asesinar la ilusión!

Y aho­ra que mi vida está vacía
Ancla­da en un silen­cio sin dolor,
Gol­pea el ald­abón de tu recuer­do
Las puer­tas de mi pobre corazón…
Ya es tarde para unir idil­ios rotos
Mire­mos cara a cara la ver­dad,
No vuel­vas a ron­dar por mi car­iño
¡Que el sueño que se fue no tor­na más!
Juan Car­los Casaret­to Letra: Alfre­do Navar­rine

Traduction libre des paroles

Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descen­due de l’e­sprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en pal­pi­tant.
Des bat­te­ments de cœur qui ont bercé notre amour !
L’amour qui s’est épanoui avec tes bais­ers. Tes bais­ers ont cou­vert la trahi­son, la trahi­son qui m’a valu la croix des pleurs.
Et les larmes à tra­vers mes yeux t’ont rejetée !

Men­songes…!
Avec des caress­es… Étudiées…
Cynisme…!
D’af­fec­tion déloyale…
Tu as juré par ton dieu et par ta mère…
Vois si ce n’est pas crim­inel !
Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méri­tent l’ou­bli et le par­don…
Cent vies ne pour­ront pas effac­er ton crime
Tuer l’il­lu­sion !

Et main­tenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indo­lore, le heur­toir de ton sou­venir frappe les portes de mon pau­vre cœur…
Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regar­dons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour.
Car le rêve qui est par­ti ne revient pas !

On notera que les paroles sont très moyen­nement adap­tées à une fête d’anniversaire. Cepen­dant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enreg­istrées et la musique les dément totale­ment.

Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine

Le com­pos­i­teur de cette valse, Juan Car­los Casaret­to n’est con­nu que pour un seul autre titre, un tan­go, Chi­clana y Boe­do (avec J. Tre­viño, encore plus incon­nu). Il en existe un enreg­istrement tardif par Enrique Rodriguez et Rober­to Flo­res, mais ce n’est pas pour la danse.
Alfre­do Navar­rine (Pig­meo), en revanche, est à la tête d’une riche pro­duc­tion. Avec son frère, Julio Plá­ci­do Navar­rine, il a fourni bon nom­bre de titres de tan­go.

Des frères Alfredo et Julio Navarrine :

  • Alar­i­dos 1942
  • Jua­na 1958
  • Mil nove­cien­tos trein­ta y siete 1937 (plus José Domin­go Péco­ra)
  • Lechuza 1928
  • Oiga ami­go 1933
  • Sos de Chi­clana 1947 (plus Rafael Rossa)
  • Tril­la e recuer­dos

De Julio Navarrine :

  • A la luz del can­dil 1927
  • Bar­cos amar­ra­dos
  • Catorce pri­mav­eras
  • El anil­li­to de pla­ta
  • El vina­cho Milon­ga
  • La piba de los jazmines
  • Oiga ami­go
  • Oro muer­to (Jirón porteño) 1926
  • Por qué no has venido 1926
  • Qué quieren yo soy así Milon­ga
  • Tra­go amar­go 1925

De Alfredo Navarrine :

  • Agüi­ta e luna
  • Ayer y hoy 1939
  • Ban­do­neones en la noche
  • Bar­rio reo 1927
  • Brindis de olvi­do 1945
  • Can­ción del reloj
  • Can­to estrellero 1943
  • Cieli­to del porteño 1950
  • Como una flor 1947
  • Con licen­cia 1955
  • Corazón en som­bras 1943
  • Curiosa
  • Desvíos
  • Escarmien­to 1940
  • Escúcheme, gringo ami­go 1944
  • Esmer­al­da
  • Estam­pa rea 1953
  • Este amor 1938
  • Falsedad 1955
  • Fea 1925
  • Gaji­to de cedrón 1973 Can­ción criol­la
  • Gal­le­gui­ta 1925
  • He per­di­do un beso 1940
  • Humil­dad 1938
  • La condi­ción 1946
  • La Fed­er­al
  • Lati­do porteño
  • Luna pam­pa 1951
  • Men­tías 1941 (Notre valse du jour)
  • Milon­ga de un argenti­no 1972
  • No nos ver­e­mos más 1939
  • Noche de pla­ta 1930 (Vals)
  • Noc­turno inútil 1941
  • Ojos en el corazón 1945
  • Ojos tristes 1939
  • Pajara­da 1945
  • Qué lin­da es la vida
  • Rancherian­do
  • Res­i­gnación
  • Ron­da de sueños 1944
  • Rosas negras 1942
  • San­gre porteña 1946
  • Sé hom­bre
  • Señor Juez 1941
  • Señue­lo 1977
  • Serenidad 1946
  • Tamal 1975
  • Tan­go lin­do
  • Tan­go para un mal amor 1948
  • Tata Dios 1931
  • Tor­caci­ta
  • Tucumana (Zam­ba)
  • Tucumano 1961
  • Vidali­ta
  • Yo era un corazón 1939
  • Yunque 1953

Autres versions

Il n’y a pas d’autre ver­sion de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres con­tem­po­rains pour enreg­istr­er des valses. Ils nous don­nent des dizaines de ver­sions de quelques tan­gos, mais très peu de valses ou de milon­gas.
Si cette valse n’a pas été enreg­istrée par la suite, nous avons un tan­go du même titre com­posé par Juan de Dios Fil­ib­er­to avec des paroles de Milon E. Muji­ca.
Je vous pro­pose deux enreg­istrements de celui-ci et on ter­min­era par la valse du jour.

Men­tías 1923 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Un enreg­istrement acous­tique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.

Men­tías 1927-10-20 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une jolie ver­sion. C’est assez léger et pas trop mar­qué en canyengue intense… Cela reste cepen­dant un peu monot­o­ne, mais le joli vio­lon de Cayetano Puglisi, déli­cieuse­ment lar­moy­ant, fait par­don­ner cela.

Men­tías 1937-04-01 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Men­tías 1937-04-01 (vals) — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre valse du jour. On ter­mine avec énergie.

La tradition de la valse d’anniversaire

Il est des tra­di­tions dont on ne con­naît pas vrai­ment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milon­gas en fait sans doute par­tie. Il se peut aus­si que ce soit une igno­rance de ma part.
Voici ce qui me sem­ble à peu près véri­fi­able.

La valse des mariés

Un peu partout dans le monde, les nou­veaux mar­iés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à cer­tains pro­fesseurs de danse une petite rente. Ils met­tent en scène une petite choré­gra­phie, les mar­iés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émer­veil­lent les invités et la famille, soigneuse­ment anesthésiés au préal­able par la richesse du repas et des alcools servis.

La valse des 15 ans

Plus spé­ci­fique­ment en Amérique latine, il y a la tra­di­tion des 15 ans des jeunes filles/femmes.
Cette céré­monie, peut-être issue des cul­tures pré­colom­bi­ennes, per­dure de nos jours avec des formes, sou­vent très élaborées. Il existe des bou­tiques de robes spé­ciales pour les 15 ans, des maîtres de céré­monie et des vidéastes spé­cial­isés.
Ce sont des fêtes fort coû­teuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage.
Cette tra­di­tion évolue, mais en général, la jeune femme est présen­tée par le père (ou par­rain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels pré­ten­dants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipé­dia pour des élé­ments plus con­crets.
En Europe, chez les puis­sants, on peut trou­ver une céré­monie par­al­lèle, le bal des débu­tantes.

La valse d’anniversaire des tangueros

Vous avez recon­nu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pra­tique dans les milon­gas.
À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beau­coup d’organisateurs ne souhait­ent pas qu’on « perde » du temps à cette man­i­fes­ta­tion. D’autres, comme celui qui m’a com­mandé la valse ce matin, mar­quent plus d’attention pour cette tra­di­tion.
En Argen­tine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milon­ga. Ils réser­vent une table et c’est une des occa­sions où il est autorisé d’apporter de la nour­ri­t­ure de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syn­cope un nutri­tion­niste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « cham­pagne » local, qui lui est celui ven­du dans la milon­ga, par­ticipe à la fête, ain­si que sou­vent, des déguise­ments et autres fan­taisies.
En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps per­du pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aus­si oubli­er la dimen­sion sociale du tan­go. Nous sommes une com­mu­nauté et c’est impor­tant de la ren­forcer par des mar­ques d’amitié. Le tan­go n’est pas un club de gym où on fait son entraîne­ment avec des écou­teurs sur les oreilles. On par­le, on chante et on partage.
Comme DJ, il est impor­tant d’aider à trou­ver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniver­saire, je me con­tente d’une dédi­cace avant la tan­da de valse. Libre aux danseurs qui le souhait­ent d’organiser un moment con­vivial.
Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs pos­si­bil­ités. Par­fois, tous les danseurs/danseuses veu­lent danser avec la per­son­ne qui fête son anniver­saire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réus­si à partager quelques sec­on­des de valse. Par­fois, cela dure toute la tan­da.
Cela peut être effec­tive­ment frus­trant pour ceux qui ne danseront pas avec la per­son­ne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniver­saire, ou les hommes dans le cas con­traire). Cela risque de faire baiss­er l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très ami­cale, je pense que cette organ­i­sa­tion est à éviter.
Plus intéres­sante est la mise en place d’un dou­ble par­cours. On invite le héros de soirée à se plac­er au cen­tre de la piste et les parte­naires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peu­vent les entour­er en dansant autour. Je trou­ve cela assez sym­pa­thique et cela ne frus­tre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhait­ent partager quelques sec­on­des de danse avec la per­son­ne qui fête son anniver­saire.
Il me sem­ble qu’il est intéres­sant de pro­pos­er cette organ­i­sa­tion, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son pro­pre chef. Pour bien met­tre en valeur l’anniversaire, on peut réserv­er une par­tie du pre­mier thème au seul anniver­saire et rem­plir pro­gres­sive­ment la piste. S’il y a beau­coup de pré­ten­dants, cela peut impli­quer de réserv­er tout le pre­mier titre de la tan­da à la per­son­ne qui fête son anniver­saire.
Comme DJ qui aime pro­pos­er des valses, je pro­pose, en plus de la valse d’anniversaire, une tan­da com­plète. Cela per­met aux danseurs qui ont par­ticipé au manège de danser avec un autre parte­naire. La tan­da fera donc au moins qua­tre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tan­das de 4 et que le pre­mier titre a été entière­ment util­isé pour souhaiter l’anniversaire.
Les danseurs qui vont inviter la per­son­ne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spec­ta­cle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au con­traire, être aux petits soins pour le parte­naire), mais dans la manière de pren­dre son tour (ou de le don­ner). Cela apporte une dis­trac­tion à ceux qui ne par­ticipent pas.
Dans mon ancien pro­fil Face­book, mal­heureuse­ment fer­mé pour d’obscures raisons, j’avais réal­isé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indi­enne se sont mis à se bal­ancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se bal­ançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques sec­on­des de bal.

Men­tías. L’illustration n’est pas exacte­ment fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en pro­pose, une valse d’anniversaire.

Heureux anniver­saire Mar­tine !

À bien­tôt les amis !

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico

Francisco Federico

Notre tan­go du Jour est très orig­i­nal, par son titre, par sonorité et par sa rareté. Un mara­já (mahara­já) est bien sûr un maharad­jah qui pour l’époque qui nous intéresse est un des princes feu­dataires de l’Inde. La sonorité de la musique le con­firme rapi­de­ment si on avait un doute.

Un Federico peut en cacher un autre

Qua­tre âges de Domin­go Fed­eri­co.

Domin­go Fed­eri­co (1916–2000) avait une petite sœur, Nél­i­da Cristi­na Fed­eri­co (1920–2007). Ban­donéon­iste, pianiste et pein­tre (1920–2007). Cette dernière indique que son père, Fed­eri­co était vio­loniste et même pro­fesseur de vio­lon selon son frère, Domin­go et c’est là que les prob­lèmes com­men­cent.
Un Fran­cis­co Fed­eri­co, on en a un en stock, mais il était con­tre­bassiste, notam­ment dans l’orchestre de Miguel Caló. Il était égale­ment com­pos­i­teur, par exem­ple de El mara­já dont on par­le aujourd’hui.
Selon Nél­i­da, c’est son père et Domin­go qui l’ont ini­tié à la musique. Il est donc fort prob­a­ble que le Fran­cis­co auteur de ce tan­go soit le père de Nél­i­da et Domin­go, sinon, pourquoi ne pas par­ler de son autre frère qui comme com­pos­i­teur et con­tre­bassiste aurait pu aus­si con­tribuer à la for­ma­tion musi­cale de la jeune femme ?
Une autre indi­ca­tion est le fait que le tan­go Salu­dos est cosigné Domin­go et Fran­cis­co Fed­eri­co et qu’à cette époque, Fran­cis­co Fed­eri­co était con­tre­bassiste dans l’orchestre de Miguel Caló.
Sur le fait de jouer plusieurs instru­ments, c’était une par­tic­u­lar­ité de la famille et de nom­breux autres musi­ciens de tan­go. Nél­i­da aurait com­mencé à étudi­er le vio­lon, puis serait passé au piano et au ban­donéon.
En effet, le pre­mier jan­vi­er 1931, avec son frère Domin­go, elle jouait au Café Tokyo de Junín en com­pag­nie de son frère âgé de 14 ans (elle devait donc avoir env­i­ron 11 ans). Lui au ban­donéon et elle au piano. Le clou du spec­ta­cle est qu’ils échangèrent les rôles, lui au piano et elle au ban­donéon, le père étant le con­seiller musi­cal du duo qui fut appelé, le Duo Fed­eri­co.
J’avais donc mon­té l’hypothèse que le Fran­cis­co de Salu­dos et de El mara­já était le père ou sinon le frère de Nél­i­da et Domin­go. Pour lever cette ambiguïté, j’ai con­tac­té des col­lègues et l’excellent Cami­lo Gat­i­ca m’a ori­en­té vers une source que j’avais con­sultée, mais dans une ver­sion inac­ces­si­ble pour moi.
Cette source com­plète con­firme toutes mes hypothès­es, je cite donc la con­clu­sion de Cami­lo (avec des ajouts entre par­en­thès­es) : « Ain­si, Fran­cis­co était pianiste, ban­donéon­iste, vio­loniste (et même pro­fesseur de vio­lon selon son fils), con­tre­bassiste (dans l’orchestre de Miguel Calo) et avait des con­nais­sances en musique. Il était le père de Domin­go et Nél­i­da ».

Domin­go et Nél­i­da Fed­eri­co avant…
Domin­go et Nél­i­da après une vie d’artiste (Nél­i­da avait aban­don­né le ban­donéon pour la pein­ture, mais est rev­enue ensuite au ban­donéon).

Extrait musical

El mara­já 1951-08-03 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co.
El mara­já 1951-08-03 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co.

Un motif très léger de flûte eth­nique com­mence l’œuvre. La mélodie prin­ci­pale a des car­ac­téris­tiques qui la rap­prochent de la musique ori­en­tale. On ne peut donc à aucun moment écarter la volon­té de référence à un ori­ent.
On notera la grande richesse des con­tre­points, les instru­ments se lançant à tour de rôle de dans de belles phras­es qui s’enlacent et s’enchevêtre, tout en gar­dant une grande clarté.
Les motifs, plus typ­ique­ment ori­en­taux, revi­en­nent régulière­ment pour rap­pel­er le thème.
Étant igno­rant en musique indi­enne, je ne peux pas vous pro­pos­er d’œuvres de com­para­i­son qui per­me­t­traient de définir la source d’inspiration de Fran­cis­co Fed­eri­co. Cepen­dant, ceux qui con­nais­sent Ravi Shankar ou George Har­ri­son (le gui­tariste des Bea­t­les)ver­ront toute de suite des analo­gies, même si Fran­cis­co et Domin­go Fed­eri­co ne font pas appel au sitar. Que ce soit un ori­ent de fan­taisie ou savant, cela évoque l’Inde et l’un de ses princes, un mahara­já.

Mais qui est ce mahârâjah — maharajá — marajá ?

Le fait que le père de Domin­go soit l’auteur de ce tan­go est impor­tant, car en 1925, un mahârâ­jah est venu en Argen­tine et a été reçu en grande pompe, au point que le Prési­dent Alvear a dû sor­tir de sa poche une par­tie du finance­ment, car l’enveloppe de dépense avait explosé.
Le voyageur était le mahârâ­jah de Kapurtha­la, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce prince indi­en était forte­ment européanisé et par­lait français, ce qui était courant dans la haute société argen­tine de l’époque. Il effec­tua son voy­age en habits européens, sans son tur­ban.

Le mahara­jah (au cen­tre de face) en com­pag­nie du prési­dent argentin Alvear (au cen­tre, de pro­fil avec la canne) et du Prince de Galles (le deux­ième à par­tir de la gauche).

Le mahara­jah relate son périple dans son jour­nal :
My Tour in South, Cen­tral, and North Amer­i­ca (1926). On y apprend qu’il fai­sait froid à son arrivée à Buenos Aires en prove­nance d’Uruguay et que Buenos Aires est le lieu qui lui a le plus plu de son voy­age. On peut le croire quand on con­state qu’un quart de son livre est con­sacré à son pas­sage dans la province. Par­mi ses vis­ites, en plus du théâtre Colon et les récep­tions habituelles, il est allé à Tigre et dans un site inso­lite que j’ai choisi de met­tre en fond de la pho­to de cou­ver­ture.
Il s’agit du château estancia Hue­tel situé à 200 km de Buenos Aires, dans la Pam­pa. Il pas­sa deux jours dans ce château imi­tant le style français Louis XIII appar­tenant à doña Con­cep­ción Unzué de Casares.

Quelques vues du château estancia Hue­tel con­stru­it par l’ar­chi­tecte fran­co-suisse Jacques Dunant. Né à Genève, Jacques Dunant fit ses études d’architecte aux Beaux-Arts de Paris. Pour l’exposition uni­verselle de 1889 (celle où a été con­stru­ite la Tour Eif­fel), il tra­vail­la au pavil­lon de l’Argentine. En 1995, il fut appelé à Buenos Aires pour juger du con­cours pour l’attribution de la con­struc­tion du Con­gres­so. Il se fixa en Argen­tine et y réal­isa de nom­breux édi­fices (ain­si qu’en Uruguay). La con­struc­tion de l’estancia Hue­tel a com­mencé en 1906.

Au pro­gramme, un con­cert de Car­los Gardel. Un chanteur d’origine française, dans un château de style français par un archi­tecte français, il n’en fal­lait pas plus pour ravir le mahârâ­jah fran­cophile.
Pour être pré­cis, Gardel n’était pas seul. Il était accom­pa­g­né de Raz­zano et de leurs gui­taristes Ricar­do et Bar­bi­eri et d’un instru­men­tiste impromp­tu…
Gardel et Raz­zano com­mencèrent à inter­préter Lin­da provin­ciani­ta, Gal­le­gui­ta, Clave­les men­do­ci­nos, La pas­to­ra et La can­ción del ukelele. Alors, Le Prince de Galles qui était égale­ment invité est par­ti dans sa suite chercher un ukulélé et il se mit à en jouer y com­pris sur les chan­sons de Gardel et Raz­zano.
Jagatjit Singh Sahib Bahadur (le mahara­jah) racon­te dans son jour­nal que l’accueil de la pop­u­la­tion argen­tine a été ent­hou­si­aste dans tous les points de son voy­age dans le pays et qu’on l’accueillait aux cris de “Viva el Mahara­já”, y com­pris aux haltes du train qui le mena par la suite vers le Chili.

My Tour in South, Cen­tral, and North Amer­i­ca (1926). Sur la pho­to du mahara­jah de Kapurtha­la, Jagatjit Singh Sahib Bahadur, en cos­tume tra­di­tion­nel, on peut voir un fau­teuil qui lui avait été offert à La Pla­ta par le gou­verneur Can­til­lo en août 1925.

La vis­ite d’un prince venu de si loin sem­ble avoir impres­sion­né la pop­u­la­tion et j’imagine que c’est bien cette vis­ite qui a don­né l’idée à Fran­cis­co Fed­eri­co d’écrire ce titre.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre ver­sion de ce tan­go, je vous pro­pose de le réé­couter.

El mara­já 1951-08-03 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co.

Domin­go Fed­eri­co est sans doute un musi­cien un peu oublié. Sa retraite à Rosario l’éloignant de Buenos Aires a peut-être lim­ité sa vis­i­bil­ité. Je suis donc con­tent, une fois de plus, de lui redonner un peu de présence.

À propos de l’image de couverture

J’ai assem­blé deux images. Une vue de l’estancia Hue­tel et au pre­mier plan, un por­trait du mahara­jah de Kapurtha­la, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce por­trait n’est pas d’époque, mais je tenais à présen­ter un mahara­jah avec son tur­ban.

El mara­já (mahârâ­jah) de Kapurtha­la, Jagatjit Singh Sahib Bahadur.