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La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Pourquoi une femme noire ten­ant un bon­go sur plan de sur­feurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une expli­ca­tion. Alors par­tons à la décou­verte de la Rumbi­ta can­dombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui con­tin­ue de faire bouger les danseurs d’au­jour­d’hui.

Extrait musical

La rumbi­ta can­dombe 1942-12-29 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

Comme l’indique le titre, on recon­naît rapi­de­ment un rythme de . J’écris « un » rythme de rum­ba, car il y a en a des dizaines. His­torique­ment, la rum­ba est orig­i­naire de Cuba où elle a été mêlée avec divers­es dans­es, notam­ment d’o­rig­ine africaine. Cela se recon­naît par la com­plex­ité des rythmes qui sont loin des rythmes cod­i­fiés en Europe. Il n’est qu’à deman­der à un danseur européen moyen de faire son­ner le clave de la sal­sa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa cul­ture.
N’é­tant pas moi-même un spé­cial­iste de la rum­ba, j’ai essayé de déter­min­er le type de rum­ba util­isée dans cette com­po­si­tion. Par­mi la cen­taine de pos­si­bil­ités, je trou­ve que la rum­ba yam­bu (une des trois prin­ci­pales rum­bas cubaines) est un assez bon can­di­dat.

La rumbi­ta can­dombe de D’Arien­zo et Mau­ré que j’ai mixé avec un rythme de rum­ba yam­bu.

Bien sûr, la ver­sion de D’Arien­zo est un peu par­ti­c­ulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milon­ga en prenant plus de lib­ertés par rap­port au rythme orig­i­nal que les autres inter­pré­ta­tions. On notera, par exem­ple, une cadence bien plus rapi­de.

Le Général assis­tant à une man­i­fes­ta­tion de can­dombe vers 1838 assis­tant à une man­i­fes­ta­tion de can­dombe vers 1838.

De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sym­pa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le con­sid­éraient comme un libéra­teur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit prob­a­ble­ment témoign­er de sa prox­im­ité. On remar­quera les tam­bours du can­dombe. Le pein­tre, Martín Boneo s’est représen­té avec son épouse, debout à l’ar­rière de De Rosas. La fille du cou­ple (Manueli­ta) est en rouge au côté de l’homme noir assis.

Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Les dif­férentes ver­sions dis­posent de paroles légère­ment dif­férentes. Celles de l’en­reg­istrement de D’Arien­zo et Mau­ré sont les plus diver­gentes par rap­port aux paroles orig­i­nales. J’indi­querai, en fin d’ar­ti­cle, les paroles orig­i­nales et don­nerai quelques indi­ca­tions pour les autres ver­sions.

Presten todos aten­ción
Que ya empezó
Y a virutear esta milon­ga
Que el rey negro bau­ti­zo

No es su cuna el arra­bal
Negro y cumbe

Por eso es que
Todos le dicen
La

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

A bailar a can­tar
A seguir sin parar

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

Que se va y se fue
La milon­ga can­dombe.

Osval­do Novar­ro; Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) Letra: Mario Bat­tis­tel­la

Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Prêtez tous atten­tion.
Ça a déjà com­mencé et pour virutear (référence à et l’usure du planch­er) cette milon­ga que le roi noir a bap­tisée.
Ce n’est pas son berceau les faubourgs
Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres)
C’est pourquoi tous l’ap­pel­lent la milon­ga can­dombe
Ae ae ae ae
À danser, à chanter
À con­tin­uer sans s’ar­rêter,
Ae ae ae ae
Car elle s’en va et est par­tie
La milon­ga can­dombe.

Autres versions

Je com­mence par les auteurs de la musique, Osval­do Novar­ro et Tito Luar.

La rumbi­ta can­dombe 1942-06-02 — .

Les Hawai­ian Ser­e­naders est un groupe argentin, mal­gré ce que pour­rait laiss­er penser son nom. Il fut act­if durant une ving­taine d’an­nées après sa créa­tion en 1940 par le chanteur Osval­do Novar­ro (Héc­tor Vil­lanue­va) asso­cié à Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) (Directeur d’orchestre, trom­bon­iste et vio­loniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour.
Les deux hommes étaient d’o­rig­ine vénézuéli­enne, pas l’om­bre d’un Hawaïen dans l’his­toire.

À l’o­rig­ine du groupe Hawai­ian ser­e­naders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osval­do Novar­ro dans les années 30.

À ce sujet, il est amu­sant de not­er qu’il y a eu un autre groupe nom­mé The Hawai­ian Ser­e­naders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (prob­a­ble­ment un …). Je ne résiste pas à la ten­ta­tion de vous présen­ter une de mes 600 cumpar­si­tas par ces Grecs « hawaïens »…

La cumpar­si­ta 1941 — Felix-Mendelssohn & His Hawai­ian Ser­e­naders.

Les sonorités sont beau­coup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…

La rumbi­ta can­dombe 1942-12-29 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré. C’est notre titre du jour.
La rumbi­ta can­dombe 1943-06-28 — Orques­ta Osval­do Frese­do con .

Oscar Ser­pa et surtout l’in­ter­pré­ta­tion mag­nifique de Frese­do fait que cette ver­sion peut très bien être pro­posée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.

La negri­ta can­dombe (La rumbi­ta can­dombe) 1943-07-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

La ver­sion de Canaro est sans doute celle qui est la plus con­nue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la ver­sion de D’Arien­zo, le rythme de la rum­ba. Comme il en a l’habi­tude et grâce à ses per­cus­sion­nistes de son orchestre de jazz, Canaro peut pro­pos­er une intro­duc­tion au tam­bour et une orches­tra­tion un peu dif­férente.

Paroles de la version originale

Presten todos aten­ción
Que va a empezar,
Esta será la nue­va dan­za
Que ten­dremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
El cabaré
Por eso es que la lla­mamos
La rumbi­ta can­dombe.

()
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
A bailar, a can­tar
A seguir sin parar,
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
Ya se va, ya se fue
La rumbi­ta can­dombe.

El autor de su com­pás
Es un bongó,
Que se enam­ora­do de una milon­ga
Un domin­go se casó
Y es por eso que al vibrar,
Sen­ti­men­tal su rit­mo es
Mez­cla de rum­ba
Y can­dombe fed­er­al.
Osval­do Novar­ro; Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) Letra: Mario Bat­tis­tel­la

Traduction libre des paroles de la version originale

Prêtez tous atten­tion.
Ça va com­mencer,
Ce sera la nou­velle danse que nous devrons danser…
Son berceau était l’il­lu­sion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’ap­pelle, la rumbi­ta can­dombe.

(Refrain)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (chœur)
À danser, à chanter
À con­tin­uer sans s’ar­rêter,
Ae, ae, ae, ae (chœur)
Déjà elle s’en va, déjà elle est par­tie
La rumbi­ta can­dombe.

L’au­teur de son rythme est un bon­go, qui est tombé amoureux d’une milon­ga.
Un dimanche, il s’est mar­ié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sen­ti­men­tal, son rythme est un mélange de rum­ba et de can­dombe fédéral.

Paroles de la version de Canaro et Roldán

Presten todos aten­ción
Que va a empezar,
Esta será la nue­va dan­za
Que ten­dremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
Que le dio fe,
Por eso es que la lla­mamos
La negri­ta can­dombe.

Así, así, así, así
Así, así, así, así (coro)
A bailar, a can­tar
A seguir sin parar,
Así, así, así, así (coro)
Ya se va, ya se fue
La negri­ta can­dombe.

El autor de su com­pás
Es un bongó,
Que al arrib­ar a la Argenti­na
De una criol­la se prendó…
Y es por eso que al vibrar,
Sen­ti­men­tal su rit­mo es
Mez­cla de rum­ba
Y can­dombe fed­er­al.

Osval­do Novar­ro; Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) Letra: Mario Bat­tis­tel­la (y?)

Traduction libre de la version de Canaro et Roldán

C’est pourquoi nous l’ap­pelons
La negri­ta can­dombe.
(La rumbi­ta est passée de la musique, petite rum­ba à une negri­ta, petite femme noire).
Comme ceci, comme cela, comme cela
(con­traire­ment aux autres ver­sions, Roldán chante “así” et pas “ae”).
Comme ceci, comme ça, comme ça
Danser, chanter
Pour con­tin­uer sans s’ar­rêter,
Comme ceci, comme ça, comme ça
Déjà elle s’en va, déjà elle est par­tie
La negri­ta can­dombe.
L’au­teur de son rythme est un bon­go, qui à son arrivée en Argen­tine, d’une créole, est tombé amoureux…
(la local­i­sa­tion en Argen­tine et la men­tion d’une créole ancrent la chan­son. Canaro était Uruguayen de nais­sance et les esclaves étaient en grande par­tie orig­i­naires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant).
Et c’est pourquoi, quand il vibre, sen­ti­men­tal, son rythme est un mélange de rum­ba et de can­dombe fédéral.

Quelques éléments sur la milonga candombe

Même si le pro­pos de Osval­do Novar­ro et Tito Luar était de créer un nou­veau rythme à base de rum­ba en le mix­ant avec des rythmes de can­dombe, cette expéri­men­ta­tion qui n’a pas don­né d’autres musiques est con­tem­po­raine de l’ap­pari­tion de la milon­ga can­dombe.
En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milon­ga can­dombe.
Sa pre­mière milon­ga can­dombe est Pena mula­ta (écrite en 1940).

Pena mula­ta 1941-02-18 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no (Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi).

C’est le plus ancien enreg­istrement de milon­ga can­dombe. Amis DJ, si vous avez une milon­ga can­dombe d’a­vant 1940, c’est sûre­ment un can­dombe ou un autre rythme… Ce n’est pas inter­dit de le pass­er, mais prenez vos pré­cau­tions pour ne pas met­tre en dif­fi­culté les danseurs qui sont sou­vent moins à l’aise avec les milon­gas can­dombe et qui peu­vent être totale­ment per­dus avec des can­dombes.

Aleluya 1943-12-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán (Sebastián Piana Letra: ).

Et une ver­sion par Piana lui-même :

Aleluya 1944 — Sebastián Piana con Jorge Demare.

Une ver­sion brute, un peu rugueuse, mais qui fait bien sen­tir les orig­ines de l’in­spi­ra­tion de Piana.

Les titres apparentés au candombe, composés par Sebastián Piana

• Juan Manuel 1934 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Milon­ga fed­er­al)
• Pena mula­ta 1940 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Mar­cha can­dombe)
• Car­navalera 1941 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Milon­ga can­dombe)
• Papá Bal­tasar 1942 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Milon­ga can­dombe)
• Aleluya 1944 — Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo (Milon­ga negra)
• Ahí viene el negro Raúl 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (Tan­go can­dombe)
• Cal­abú 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (Can­ción de cuna can­dombe)
• El vende­dor de velas 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• Hue­vi­tos de olor 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• La aceitu­na del negro 1973 — Sebastián Piana — Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• La cri­a­da de misia Jovi­ta 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• La mule­cona 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Loren­zo Bar­cala 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Marycham­bá ‑1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Matan­do hormi­gas 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• Sol­dao, pelo col­orao 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Tomá pa’ shu­ca 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Carum­baié — Sebastián Piana Letra: (Milon­ga can­dombe)
• Jac­in­to ret­into — Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Car­nel­li (Milon­ga can­dombe)
• Pastel­era — Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo (Milon­ga negra)
• Se casa el negri­to — Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Car­nel­li (Milon­ga can­dombe)

Pour ter­min­er, un peu de théorie musi­cale du can­dombe avec les jeux des tam­bours.
Pour la par­tie can­dombe, c’est un peu plus facile, car nous sommes plus accou­tumés à ces rythmes.
Le can­dombe utilise trois types de tam­bours :
Tam­bor chico
https://youtu.be/p2CL5-Ok4SI
Tam­bor repique
https://www.youtube.com/watch?v=VwxzY1fgrUw&t=96s
Tam­bor piano
https://youtu.be/K77E_k0S_q8
Les trois tam­bours jouant ensem­ble :

Les trois types de tam­bours du can­dombe, de gauche à droite : Tam­bor repique, tam­bor chico, tam­bor piano et un autre tam­bor chico.

Et les surfeurs ?

Ah oui, j’al­lais oubli­er. Mais vous avez sans doute dev­iné.
La femme noire, c’est la negri­ta de Canaro, le tam­bor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le can­dombe et les sur­feurs et l’ex­o­cet, c’est une par­tie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.

Une affiche pub­lic­i­taire pour Hawaï de la Pan Amer­i­can Air­ways.

Le surf à Hawaï sem­ble être une très vieille activ­ité, comme en témoigne James Cook en 1779.

Duke Kahanamoku en 1910.

À l’époque, les îles s’ap­pelaient Îles Sand­wich, nom qu’avait don­né Cook en l’hon­neur de John Mon­tagu de Sand­wich, l’in­ven­teur du sand­wich. Atten­tion, il ne faut pas les con­fon­dre avec les Îles Sand­wich du Sud, revendiquées, comme les Îles Mal­ouines, par l’Ar­gen­tine…

Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémis­phère Nord et les Îles Sand­wich du Sud, revendiquées par l’Ar­gen­tine.

À bien­tôt les amis !

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 — Orquesta Francisco Lomuto

; Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des cir­con­stances dans la vie qui peu­vent être tristes, voire dés­espérantes. Aimer de façon silen­cieuse en étant enchaîné par les liens de l’ami­tié est la sit­u­a­tion décrite dans ce tan­go qui, au-delà des mal­heurs du nar­ra­teur, fait éclore un large sourire aux d’en­cuen­tros européens. Eux, ne sen­tent pas du tout con­damnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs parte­naires.

de S.O.S.

Enrique San­tos Dis­cépo­lo a écrit ce tan­go en 1929 pour une pièce de théâtre. Il por­tait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pour­rait inter­préter comme en , à l’isole­ment, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dol­lar est sous Cepo en Argen­tine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici com­ment Dis­ce­po­lo décrit son inten­tion lorsqu’il a écrit ce titre.

Dis­ce­po­lo par­le de son inten­tion en écrivant ce tan­go.

« Com­ment j’ai écrit “Con­de­na”

J’ai voulu dépein­dre la sit­u­a­tion d’un homme pau­vre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambi­tion­nant tout. J’ai voulu plac­er cet homme face au monde, regar­dant pass­er la vie qui passe, les plaisirs qui le trou­blent, et il se tord dans l’im­puis­sance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en cos­tume élimé, avec un vis­age défor­mé, avec une démarche crain­tive qui voit pass­er une femme envelop­pée de soies bruis­santes et qui se mord en pen­sant qu’elle appar­tien­dra à n’im­porte qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’in­so­lence et qui ne pour­ra jamais être pour lui.
Et j’ai ressen­ti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Lut­tant con­tre l’im­puis­sance, l’en­vie et l’échec. Et cette douleur énorme et con­cen­trée de l’homme enchaîné dans son triste des­tin, face au bon­heur qui passe sans le touch­er, c’est ce que j’ai voulu trans­met­tre bien et pro­fondé­ment ; tor­turé, mais sans pleur­er. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Dis­ce­po­lo ressort ce tan­go, sans nom par­ti­c­uli­er. Canaro le veut pour l’en­reg­istr­er, ce qu’il fera en 1934. L’ar­gent don­né par Canaro pour l’oc­ca­sion sau­va le pro­jet de voy­age de Dis­ce­po­lo et de sa com­pagne Tania et, lorsque Canaro deman­da le titre du tan­go à Dis­ce­po­lo, celui-ci lui répon­dit qu’il pou­vait met­tre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été util­isé, comme dans le disque de Lomu­to, car, l’achat de Canaro a sauvé Dis­ce­po­lo.
En revanche, en 1937, Canaro a util­isé le nom “Con­de­na” et pas S.O.S. pour l’en­reg­istrement avec Mai­da. On asso­cie désor­mais les deux titres.
En 1937, tou­jours, Dis­ce­po­lo par­ticipe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Aman­da Les­des­ma chante deux fois le titre, comme vous pour­rez le voir et l’en­ten­dre dans cet arti­cle.

Extrait musical

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.
Disque Vic­tor de Con­de­na par Fran­cis­co Lomu­to On remar­que que le disque porte la men­tion S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Con­de­na.

Les pas lourds de la con­damna­tion démar­rent le titre, suivi de pas­sages lega­to en con­traste.
À 32s com­mence la par­tie B avec les superbes ban­donéons de Martín Dar­ré, Améri­co Fígo­la, Luis Zinkes et Miguel Jura­do qui venait de rem­plac­er Víc­tor Lomu­to le frère de Fran­cis­co qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce pas­sage, le rythme est mar­qué de façon très orig­i­nale avec le pre­mier temps un peu sourd et grave (con­tre­basse de Ham­let Gre­co et per­cus­sions de Desio Cilot­ta) et les trois suiv­ants plus forts, exprimés notam­ment par les ban­donéons en stac­ca­to.
Comme pour la pre­mière par­tie, le con­traste des legatos ter­mine cette par­tie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la par­tie A qui présente un pas­sage piano, ce qui rompt la monot­o­nie et qui sem­ble annon­cer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’im­pres­sion de tohu-bohu qui appa­raît à 1:19 et qui s’a­paise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de vio­lon enchanteur et par­ti­c­ulière­ment grave (util­i­sa­tion d’un alto ?) mag­ni­fie l’in­ter­pré­ta­tion. Il est réal­isé par Leopol­do Schiffrin (Leo), qui avait inté­gré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le pre­mier vio­lon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui par­tait en tournée en . L’un de ses fils est le com­pos­i­teur Lalo Schiffrin (Boris Clau­dio Schifrin) qui a notam­ment fait la musique du film de Car­los Saura « Tan­go ».
Le rythme à qua­tre temps avec le pre­mier temps faible et grave est repris et donne une expres­sion orig­i­nale sup­plé­men­taire à ce pas­sage.
La vari­a­tion finale, per­met de met­tre en valeur les instru­ments à vent de l’orchestre.
Cette vari­a­tion est annon­cée par un long pont à la tonal­ité changeante de 2:02 à 2:10 où appa­rais­sent le sax­o­phone et la clar­inette de Carme­lo Aguila et Pri­mo Staderi. Il est impos­si­ble de savoir qui jouait tel ou tel instru­ment lors de cet enreg­istrement, car les deux jouaient du saxo et de la clar­inette.
À 2:28, on remar­quera, après un trait de piano (), une courte envolée de la clar­inette qui précède les deux accords ter­minaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué des­ti­no bru­tal
me con­de­na al hor­ror
de este infier­no en que estoy…
Cas­ti­gao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fra­ca­so de un ansia de amor.
Con­de­nao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nun­ca serás,
nun­ca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siem­pre y morir.

He arras­trao llo­ran­do
la esper­an­za de olvi­dar,
enfan­gan­do mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podi­do
No, olvi­dar…
Hoy como ayer
ciego y bru­tal me abra­so
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bes­tial
de este dra­ma sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infer­nal…
Que me has dao tu amis­tad
y él me brin­da su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hir­ió de este amor
que no puedo apa­gar?
¿Quién me empu­ja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique San­tos Dis­cépo­lo; Fran­cis­co Pracáni­co Letra : Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort bru­tal me con­damne à l’hor­reur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souf­fre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Con­damné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos sig­ni­fie tu es. Il est util­isé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que par­ler, ce soit ne plus te voir, c’est te per­dre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleu­rant l’e­spoir d’ou­bli­er, en embrouil­lant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capa­ble d’ou­bli­er…
Aujour­d’hui, comme hier, aveu­gle et bru­tal, je brûle de te désir­er.
Et le pire, le bes­tial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infer­nal…
Que tu m’as don­né ton ami­tié et lui m’a don­né sa foi, et que per­son­ne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas étein­dre ?
Qui me pousse à tuer la rai­son comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’im­misce mon amour ?

Autres versions

Les ver­sions de Canaro sont sans doute les plus dif­fusées, mais notre prou­ve qu’il y a des alter­na­tives, cer­taines pour la danse, d’autre pour l’é­coute et cer­taines, pour l’ou­bli…

Con­de­na (S.O.S.) 1934-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On trou­ve des simil­i­tudes, comme sou­vent, entre la ver­sion de Lomu­to et celle de Canaro. La clar­inette est encore plus présente et bril­lante. Canaro a fait appel pour cet enreg­istrement à des musi­ciens de son ensem­ble de jazz.
La très orig­i­nale vari­a­tion de Lomu­to n’ex­iste pas dans cette ver­sion de Canaro et une cer­taine monot­o­nie peut donc se dégager de cette ver­sion. Cela ne dérangera pas for­cé­ment les danseurs qui n’u­tilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des élé­ments qui a con­duit Canaro à réen­reg­istr­er le titre en 1937, avec Rober­to Mai­da.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na

Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na dans le film “Melodías Porteñas” réal­isé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scé­nario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Les rôles prin­ci­paux sont tenus par Rosi­ta Con­tr­eras, Enrique San­tos Dis­cépo­lo et Aman­da Ledes­ma.
Un autre intérêt du film est que Enrique San­tos Dis­cépo­lo, auteur de la musique et des paroles est égale­ment acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Con­de­na 1937 — Aman­da Les­des­ma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Mon­tage des deux inter­pré­ta­tions dans le film.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-05 — Aman­da Les­des­ma y su Trío Típi­co.

Une jolie ver­sion qui prof­ite de son dans le film “Melodías Porteñas”.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-08 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

L’in­ter­ven­tion de Mai­da casse la monot­o­nie du titre. C’est à mon sens une meilleure ver­sion si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette ver­sion reste tout à fait tonique et inci­sive, un délice pour les danseurs qui mar­quent les pas ou qui aiment le canyengue.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. C’est notre tan­go du jour.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-29 — Tania acomp. de Orques­ta Enrique Dis­cépo­lo.

Un des intérêts de cet enreg­istrement est qu’il est de l’au­teur de la musique et des paroles et que Tania était sa com­pagne.
L’in­tro­duc­tion du vio­lon mar­que que l’on entre dans un univers dif­férent des ver­sions de Canaro et Lomu­to. C’est une ver­sion pour l’é­coute et on aurait tort de se priv­er de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà ren­con­trée, cette chanteuse espag­nole, car c’est elle qui a importé en Argen­tine « Fuman­do espero » avec le Con­jun­to The Mex­i­cans.

Tania et Dis­ce­po­lo
Con­de­na (S.O.S.) 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héc­tor Mau­ré est un peu plus lourde dans cet enreg­istrement. C’est pour l’é­coute et chan­té avec sen­ti­ment.

Con­de­na (S.O.S.) 1969 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

J’ai évo­qué des ver­sions à oubli­er. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « sur­jouée »…

Con­de­na (S.O.S.) 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Hype­r­i­on et l’a­mi Rubén font de belles ver­sions pour la danse. On remar­quera la fin, assez orig­i­nale.

Con­de­na (S.O.S.) 2015 — con Guiller­mo Rozen­thuler.

Une des spé­cial­ités du Sex­te­to Cristal est de ressor­tir les gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Cette copie de la ver­sion de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut con­venir à cer­tains danseurs qui apprécieront la meilleure qual­ité de l’en­reg­istrement. En presque un siè­cle, de gros pro­grès ont été faits de ce côté…

Pour ter­min­er, tou­jours avec le Sex­te­to Cristal, un enreg­istrement vidéo de Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47.

Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sex­te­to Cristal pour­ront enten­dre le con­cert en entier…
À vous de danser et à bien­tôt les amis.

Prisionero 1943-08-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette bien sym­pa­thique, avec une intro­duc­tion un peu plus longue que la moyenne, je pen­sais faire un petit encart sur le dia­pa­son, jus­ti­fié par le change­ment effec­tué à cette époque par Bia­gi. À cause des réac­tions sur le sujet, je vais me con­cen­tr­er sur le dia­pa­son pour cette anec­dote. Nous voilà prêts à accorder nos vio­lons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux prin­ci­paux enreg­istrements de cette valse. Celui de Bia­gi qui précède de quelques mois, celui de D’Arien­zo.

Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta con Amor

D’un point de vue tech­nique, cet est sans doute le dernier enreg­istré avec le dia­pa­son à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Bia­gi s’ac­cordera à 440Hz.
Pour l’en­reg­istrement de D’Arien­zo, c’est 20 jours après le pre­mier enreg­istrement en 440Hz par Bia­gi. D’Arien­zo a‑t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est impor­tant pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écou­tons plutôt les dif­férences styl­is­tiques entre les deux ver­sions, c’est plus pas­sion­nant à mon goût.

Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

On remar­que tout de suite que D’Arien­zo a sauté la longue intro­duc­tion de Bia­gi. C’est clas­sique chez D’Arien­zo qui aime bien ren­tr­er directe­ment dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Mal­gré l’ab­sence des 21 sec­on­des d’in­tro­duc­tion de la ver­sion de Bia­gi, la ver­sion de D’Arien­zo fait 6 sec­on­des de plus. S’il avait joué au même rythme que Bia­gi, sa ver­sion aurait total­isé 21 sec­on­des de moins. Ce sont donc 27 sec­on­des de dif­férence, c’est beau­coup et beau­coup plus que le pas­sage de 435 à 440 Hz dans la dif­férence de sen­sa­tion 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafi­quer les deux enreg­istrements de la façon suiv­ante :

  • J’ai enlevé l’in­tro­duc­tion de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la ver­sion de D’Arien­zo pour la met­tre au même rythme que celle de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pou­vez donc com­par­er les deux ver­sions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sac­rilège, car D’Arien­zo a volon­taire­ment enreg­istré une ver­sion plus lente, mais cela me sem­ble intéres­sant pour bien sen­tir les dif­férences d’orches­tra­tions sur la même par­ti­tion.

  • Et comme je ne suis pas avare de fan­taisies, je vous pro­pose main­tenant une ver­sion mixte com­prenant la ver­sion de Bia­gi sans l’in­tro­duc­tion dans le canal de gauche et la ver­sion de D’Arien­zo accélérée dans le canal de droite. On remar­quera que le mélange n’est pas si déton­nant. Pour bien saisir, il est préférable d’é­couter sur un sys­tème , voire au casque.
Pri­sionero. Com­para­i­son des deux ver­sions à la même vitesse et syn­chro­nisées.

Pri­sionero. Ver­sion de Bia­gi sans intro­duc­tion, dans le canal de gauche. Ver­sion de D’Arien­zo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez appré­cié le petit jeu, vous pou­vez avoir un autre par­ti­c­uli­er dans le dernier chapitre de cette anec­dote, sur les dia­pa­sons. Un truc qui régale cer­tains spé­cial­istes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el vien­to
Que doma la dis­tan­cia,
Baja a los valles
Y sube a las mon­tañas.
Libre es el agua
Que se despeña y can­ta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmen­si­dad…

Libre es el potro
Que al vien­to la mele­na,
Huele a las flo­res
Que es mata en la pradera.
Libre es el cón­dor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvi­dar
Escla­vo de un dolor
No ten­go lib­er­tad…

Loco y cau­ti­vo
Car­ga­do de cade­nas,
Mi oscu­ra cár­cel
Me mata entre sus rejas.
Soy pri­sionero
De incur­able pena,
Pre­so al recuer­do
De mi per­di­do bien.

Nada me pri­va
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy pri­sionero,
De los recuer­dos
Que guar­da el corazón.
Julio Car­res­sons Letra: Car­los Bahr (Car­los Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la dis­tance, descend dans les val­lées et grav­it les mon­tagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immen­sité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hau­teur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pouss­er, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le con­dor, seigneur de son som­met, moi qui ne sais pas oubli­er, esclave d’une douleur, je n’ai pas de lib­erté…
Fou et cap­tif, chargé de chaînes, ma prison som­bre me tue der­rière les bar­reaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un dis­cret jeu de mots).
Je suis pris­on­nier d’un cha­grin incur­able, empris­on­né dans la mémoire de mon bien per­du.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’ar­rive pas à me libér­er de la douleur.
Et mal­gré tout, je suis pris­on­nier des sou­venirs que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le dia­pa­son est la fréquence de référence qui per­met que tous les musi­ciens d’un orchestre jouent de façon har­monieuse.
Vous avez en tête les séances d’ac­cordage qui précè­dent une presta­tion.
Le principe est sim­ple. On prend pour référence l’in­stru­ment le moins accord­able rapi­de­ment, par exem­ple le piano qui est accordé avant le con­cert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opéra­tion prend du temps.
En l’ab­sence de piano, les orchestres clas­siques se calent sur le haut­bois, celui du « pre­mier haut­bois ». Ensuite, ses voisins, les autres instru­ments à vent, s’ac­cor­dent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous pro­pose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remar­quera que c’est bien le haut­bois qui y donne le La3.

Instal­la­tion inter­ac­tive “Sous-ensem­ble” de Thier­ry Fournier — Enreg­istrement de l’ac­cord pour chaque instru­ment.

La note de référence doit pou­voir être jouée par tous les instru­ments. Dans les con­certs où il y a des instru­ments anciens, on est par­fois obligé d’ac­corder plus grave pour éviter d’avoir une ten­sion exagérée des cordes sur des instru­ments frag­iles.
En général, cela est défi­ni à l’a­vance et on accorde le piano en con­séquence avant le con­cert.
La note de référence est générale­ment un La, le La3 (situé entre la deux­ième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturelle­ment sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les vio­lons et altos, c’est la sec­onde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regar­dant le vio­lon de face. Les musi­ciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’in­stru­men­tiste lui-même par com­para­i­son avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précé­dente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tan­go, le piano est générale­ment la base, mais quand c’est pos­si­ble, on se cale sur le ban­donéon qui n’est pas accord­able pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe tou­jours le La3, n’a pas la même hau­teur selon les épo­ques et les régions.

Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous pro­pose trois élé­ments pour juger du débat qui ani­me tou­jours les musi­ciens d’au­jour­d’hui… C’est un exem­ple français, mais à voca­tion large­ment européenne par les élé­ments traités et l’ac­cueil fait aux deman­des de la com­mis­sion ayant établi le rap­port.

  • Un rap­port étab­lis­sant des con­seils pour l’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son musi­cal uni­forme.

Les mem­bres de la com­mis­sion étaient :
Jules Bernard Joseph Pel­leti­er, con­seiller d’É­tat, secré­taire général du min­istère d’É­tat, prési­dent de la com­mis­sion ;
Jacques Fro­men­tal Halévy, mem­bre de l’In­sti­tut, secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des beaux-arts, rap­por­teur de la com­mis­sion ;
Daniel-François-Esprit Auber, mem­bre de l’In­sti­tut, directeur du Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de ) ;
Louis Hec­tor Berlioz, mem­bre de l’In­sti­tut ;
Man­suete César Despretz, mem­bre de l’In­sti­tut, pro­fesseur de physique à la Fac­ulté des sci­ences.
Camille Doucet, chef de la divi­sion des théâtres au min­istère d’É­tat ;
Jules Antoine Lis­sajous, pro­fesseur de physique au lycée Saint-Louis, mem­bre du con­seil de la Société d’en­cour­age­ment pour l’in­dus­trie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’or­gan­i­sa­tion des musiques mil­i­taires ;
Désiré-Guil­laume-Édouard Mon­nais, com­mis­saire impér­i­al près les théâtres lyriques et le Con­ser­va­toire ;
Gia­co­mo Meyer­beer, com­pos­i­teur alle­mand, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1871 ;
Gioachi­no Rossi­ni, Com­pos­i­teur ital­ien, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1872 ;
Ambroise Thomas, com­pos­i­teur français et mem­bre de l’In­sti­tut.

  • Le décret met­tant en place ce dia­pa­son uni­forme.
  • Les cri­tiques con­tre le dia­pa­son uni­forme…

On voit donc que l’his­toire est un éter­nel recom­mence­ment et que les pinail­lages actuels n’en sont que la con­ti­nu­ité…

Vous pou­vez accéder à l’ensem­ble des , ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous per­me­t­tront de con­stater la var­iété des dia­pa­sons, leur évo­lu­tion et donc la néces­sité de met­tre de l’or­dre et notam­ment de frein­er le mou­ve­ment vers un dia­pa­son plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibra­tions ». Il faut donc divis­er par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ain­si, le dia­pa­son de Paris indiqué 896 cor­re­spond à 448 Hz.

Tableau des dia­pa­sons en Europe en 1858 et tableau de l’élé­va­tion du dia­pa­son au du temps (tableau de droite). Extrait du rap­port présen­té à S. Exc. Le min­istre d’É­tat par la com­mis­sion chargée d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme (Arrêté du 17 juil­let 1858) — Paris, le 1er févri­er 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas con­sulté le doc­u­ment de 12 pages, il est encore temps de vous y référ­er, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pou­vez le charg­er en PDF pour le lire plus facile­ment.

Si vous voulez enten­dre la dif­férence entre le dia­pa­son à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous pro­pose cette vidéo.

Dia­pa­son 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’his­toire du dia­pa­son, cet arti­cle sig­nalé par l’a­mi Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la ques­tion du dia­pa­son et de la vitesse en tan­go, je vous pro­pose ce court arti­cle que j’avais écrit.

Et un arti­cle bien plus com­plet, mais en anglais de sig­nalé par Angela.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

, paroles et musique

Car­los Viván, l’au­teur et le com­pos­i­teur de ce tan­go fut un bon vivant et ce tan­go touche de très près sa vie qui fut claire­ment par­mi les plus insta­bles pos­si­bles. Le seul point éton­nant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le sup­pos­er, à la fin de sa vie tour­men­tée… L’abon­dance des ver­sions à l’âge d’or et par la suite, prou­ve que ce sujet touchait la sen­si­bil­ité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno
Par­ti­tions de Cómo se pianta la vida de Car­los Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De mucha­cho rana
Me arras­traron cie­gos
En mi juven­tud
En milon­gas, tim­bas
Y en otras macanas
Donde fui pal­man­do
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia
Brin­dan­do amoríos
Bor­ra­cho la alze
Mi vida fue un bar­co
Car­ga­do de haz­a­ñas
Que jun­tó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezon­gan los años
Cuan­do fieros desen­gaños
Nos van abrien­do una heri­da
Es triste la pri­mav­era
Si se vive desteñi­da

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era

Los veinte abriles can­taron un día
la milon­ga triste de mi berretín
y en la con­tradan­za de esa algar­abía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagan­do aque­l­las ranadas
Final de los vivos
Que siem­pre se da
Me encuen­tro sin chance
En esta juga­da
La muerte sin grupo
Ya ha entra­do a tal­lar

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era
Car­los Viván — 1929 — Paroles et musique

libre

Les folles lubies d’un gars débrouil­lard m’ont entraîné à l’aveu­glette dans ma jeunesse, dans les milon­gas (Car­los Viván était un grand danseur de tan­go), les tim­bas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma san­té.
Mon verre bohème de cham­pagne blond, trin­quant aux amours, ivre, je l’ai levé (Car­los Viván était plutôt ama­teur de Whisky, sans doute à cause de ses orig­ines irlandais­es).
Ma vie a été un navire plein d’ex­ploits, qui rejoignit les plages marines et s’é­choua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lun­far­do, s’en­fuir), comme les années grog­nent quand de féro­ces décep­tions nous ouvrent une blessure.
Le print­emps est triste s’il se vit déteint.
Com­ment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si “Avril” en Argen­tine tombe en automne, c’est l’équiv­a­lent de l’ex­pres­sion “Print­emps” pour mar­quer les années. Dans le vers précé­dent, il par­lait d’ailleurs de print­emps) ont chan­té un jour la milon­ga triste de ma lubie et dans la con­tredanse de ce brouha­ha, Il me man­quait au plus pro­fond de mon âme une inno­cence (piolín, ver­lan de limpio, pro­pre, per­son­ne sans casi­er judi­ci­aire…).
Aujour­d’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive tou­jours.
Je me retrou­ve sans chance dans ce jeu dan­gereux.
La mort sans men­tir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélec­tion de ver­sions illus­trant le du thème pen­dant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azu­ce­na Maizani con con­jun­to
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alber­to Vila con gui­tar­ras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orques­ta Luis Petru­cel­li con Rober­to Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orques­ta Pedro Maf­fia con Car­los Viván.

Car­los Viván chante sa com­po­si­tion. Il a 27 ans au moment de l’en­reg­istrement.

Cómo se pianta la vida 1930 — Rober­to Mai­da acomp. de Orques­ta .

Rober­to Mai­da avant

Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Tania avec le même orchestre que Rober­to Mai­da.

Cómo se pianta la vida 1932 — Orques­ta Típi­ca Auguste-Jean Pesen­ti du Col­i­se­um de .

En France aus­si, la vie des tangueros est un peu dis­solue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno. C’est notre tan­go du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orques­ta con Alber­to Castil­lo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da.
Cómo se pianta la vida 1959c — Héc­tor Mau­ré con gui­tar­ras y ban­do­neon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orques­ta con Rober­to Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impres­sion­nant pro­posé par Troi­lo et Plaza qui offre un trem­plin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon par­ti­c­ulière­ment expres­sive. Une ver­sion que je trou­ve con­va­in­cante et touchante. Pas de danse pos­si­ble, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 — Orques­ta con Abel Cór­do­ba.

C’est la plus orig­i­nale et tra­vail­lée, un cran au-dessus de celle de Troi­lo, mais il faut être vrai­ment fan de Cór­do­ba pour être enchan­té par cette ver­sion. Je préfère les ver­sions de danse ou celle de Troi­lo avec Goyeneche, mais la beauté du tan­go est qu’on a le choix et cha­cun pour­ra trou­ver son bon­heur dans la très grande var­iété de ces enreg­istrements.

Nunca más 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra:

Nun­ca más, est comme un cri lancé. Nun­ca más exprime la rage, le dés­espoir, l’e­spoir. Nun­ca más, c’est un des plus beaux thèmes enreg­istrés par D’Arien­zo avec Mau­ré. Nun­ca más est une œuvre de deux des frères Lomu­to, Fran­cis­co qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tan­go qui exprime la rage, le dés­espoir, l’e­spoir. C’est notre tan­go du jour.

Extrait musical

Nun­ca más 1941-07-14 – Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.
Nun­ca más. Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to.

Paroles

En una noche de fal­sa ale­gría
tus ojos claros volví a recor­dar
y entre los tan­gos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuer­do matar.
Record­a­ba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida con­sagré,
pero ingra­ta te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi ale­gría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por bue­na
en tus dul­ces labios, nena,
me he que­ma­do el corazón.
Lin­da,
muñe­qui­ta mimosa,
siem­pre,
en mi corazón estás,
Nena,
acor­date de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuan­do dijo: ¡Nun­ca más!

Entre milon­gas y tim­bas, mi vida
pasan­do va estas horas inqui­etas,
de penas lleno, el alma oprim­i­da,
páli­do el ros­tro como una care­ta.
Arrepen­ti­da, nun­ca vuel­vas, jamás
a pedir des­o­la­da mi perdón.
¡No olvides que al decirme nun­ca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to

Traduction libre

Par une nuit de joie fac­tice, je me suis rap­pelé tes yeux clairs et entre les tan­gos, le vin et l’orgie, j’ai cher­ché fébrile­ment à tuer ton sou­venir.
Je me suis sou­venu de mon bon­heur sans pareil d’avoir con­sacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et soli­taire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illu­sion ») de ma vie, toute ma joie et ma pas­sion.
Mau­vaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es tou­jours, dans mon cœur, Petite, sou­viens-toi du cha­grin que ta bouche folle m’a don­né, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milon­gas et tim­bas (tripot, boîtes de jeu clan­des­tines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de cha­grins, l’âme oppressée, le vis­age pâle comme un masque.
Repen­tante, jamais tu ne reviens, jamais à deman­der, désolée, mon par­don.
N’ou­blie pas qu’en dis­ant plus jamais, tu m’as lais­sé, femme, sans cœur !… (la vir­gule change le sens de la phrase. Là, c’est prob­a­ble­ment lui qui est sans cœur, même s’il est sous-enten­du qu’elle a égale­ment été sans cœur de l’a­ban­don­ner. J’y vois une façon sub­tile de la met­tre en cause, mais sans l’at­ta­quer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nun­ca más 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Gardel est le pre­mier à avoir enreg­istré le titre, env­i­ron deux ans après son écri­t­ure.

Nun­ca más 1927-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Trois ans après Gardel, Lomu­to enreg­istre le titre conçu avec son frère. Une ver­sion bien canyengue. Pas vilain, mais à réserv­er aux ama­teurs du genre. Le ban­donéon de Minot­to Di Cic­co est bien vir­tu­ose pour l’époque.

Nun­ca más 1931-08-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Alber­to Acuña y Fer­nan­do Díaz.

Une ver­sion plus tonique, qui mon­tre mieux la colère de l’homme aban­don­né. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs com­men­cent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas con­va­in­cu par ce duo. Ce ne sera pas ma ver­sion préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un prob­lème… Le plus éton­nant est que c’est la plus dif­fusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraî­nante, c’é­tait juste un « mau­vais moment » à pass­er. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napoli­tano qui a rem­placé un autre frère de Lomu­to (Enrique) inter­vient de façon sym­pa­thique.

Nun­ca más 1931-11-10 — Alber­to Gómez con acomp. de gui­tar­ras.

Gómez pro­pose une ver­sion chan­tée, sans doute plus sym­pa­thique que celle de Gardel.

Nun­ca más 1932-01-12 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

On reste dans les ver­sions à écouter avec Ada Fal­cón. Elle met au ser­vice du titre sa dic­tion et son phrasé par­ti­c­uli­er. C’est un autre titre sym­pa­thique à écouter.

Nun­ca más 1941-07-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

C’est notre tan­go du jour. Il reprend le début tonique de la ver­sion de 1931 de Lomu­to, mais avec la rage de D’Arien­zo à pleine puis­sance. Une énergie fan­tas­tique se dégage de ce titre et don­nera un élan irré­press­ible aux danseurs. Ce qui est mer­veilleux est que Mau­ré s’in­scrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pen­dant son inter­ven­tion. C’est un des très grands titres de danse de D’Arien­zo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tan­go du jour…

Nun­ca más 1948-09-23 — Orques­ta con Rober­to Arri­eta.

On change d’u­nivers avec Miguel Caló. On est sur­pris par de nom­breux change­ments de . Même si la voix de Arri­eta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’en­t­hou­si­asme des danseurs avec cette ver­sion.

Nun­ca más 1950-04-25 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Miguel Mon­tero.

De fin à 1949 à fin 1950, Mon­tero a enreg­istré de quoi faire une tan­da calme et avec Lomu­to, mais je pense que ceux qui adorent Mon­tero sont plus des audi­teurs que des danseurs.

Nun­ca más 1956-08-31 — y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Sans son parte­naire ange, (D’Agosti­no), Var­gas pour­suit sa car­rière. L’orchestre de Toto pro­pose un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité. La voix de Var­gas est tou­jours mer­veilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nun­ca más 1974-12-11 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe.

Avec son sec­ond chanteur fétiche, D’Arien­zo renou­vèlera-t-il le suc­cès de la ver­sion de 1941 ? Pour moi, non. Cette ver­sion clin­quante comme beau­coup d’ de cette époque a lais­sé de côté la qual­ité de la danse au prof­it du spec­ta­cle, voire de l’es­brouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sen­si­b­lerie dans son inter­pré­ta­tion. Je vous con­seille de revenir au titre chan­té par Mau­ré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule ver­sion pour une de qual­ité, celle de 1941, même si cer­taines autres fer­ont plaisir à l’é­coute.

du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’, Le cor­beau (The raven).En voici la ver­sion en anglais et à la suite, la ver­sion traduite en français par Charles Baude­laire.

Nev­er­more (Nun­ca más).

Paroles

‘Once upon a mid­night drea­ry, while I pon­dered, weak and weary,
Over many a quaint and curi­ous vol­ume of for­got­ten lore—
While I nod­ded, near­ly nap­ping, sud­den­ly there came a tap­ping,
As of some one gen­tly rap­ping, rap­ping at my cham­ber door.
“‘Tis some vis­i­tor,” I mut­tered, “tap­ping at my cham­ber door—
Only this and noth­ing more.”

Ah, dis­tinct­ly I remem­ber it was in the bleak Decem­ber;
And each sep­a­rate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eager­ly I wished the mor­row; —vain­ly I had sought to bor­row
From my books surcease of sor­row – sor­row for the lost Lenore—
For the rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore—
Name­less here for ever­more.

And the silken, sad, uncer­tain rustling of each pur­ple cur­tain
Thrilled me – filled me with fan­tas­tic ter­rors nev­er felt before;
So that now, to still the beat­ing of my heart, I stood repeat­ing
“‘Tis some vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door—
Some late vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door; —
This it is and noth­ing more.”

Present­ly my soul grew stronger; hes­i­tat­ing then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, tru­ly your for­give­ness I implore;
But the fact is I was nap­ping, and so gen­tly you came rap­ping,
And so faint­ly you came tap­ping, tap­ping at my cham­ber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Dark­ness there and noth­ing more.

Deep into that dark­ness peer­ing, long I stood there won­der­ing, fear­ing,
Doubt­ing, dream­ing dreams no mor­tal ever dared to dream before;
But the silence was unbro­ken, and the still­ness gave no token,
And the only word there spo­ken was the whis­pered word, “Lenore?”
This I whis­pered, and an echo mur­mured back the word, “Lenore!”–
Mere­ly this and noth­ing more.

Back into the cham­ber turn­ing, all my soul with­in me burn­ing,
Soon again I heard a tap­ping some­what loud­er than before.
“Sure­ly,” said I, “sure­ly that is some­thing at my win­dow lat­tice;
Let me see, then, what there­at is, and this mys­tery explore—
Let my heart be still a moment and this mys­tery explore; —
‘Tis the wind and noth­ing more!”

Open here I flung the shut­ter, when, with many a flirt and flut­ter,
In there stepped a state­ly Raven of the saint­ly days of yore;
Not the least obei­sance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my cham­ber door—
Perched upon a bust of Pal­las just above my cham­ber door—
Perched, and sat, and noth­ing more.

Then this ebony bird beguil­ing my sad fan­cy into smil­ing,
By the grave and stern deco­rum of the coun­te­nance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghast­ly grim and ancient Raven wan­der­ing from the Night­ly shore—
Tell me what thy lord­ly name is on the Night’s Plu­ton­ian shore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

Much I mar­velled this ungain­ly fowl to hear dis­course so plain­ly,
Though its answer lit­tle mean­ing – lit­tle rel­e­van­cy bore;
For we can­not help agree­ing that no liv­ing human being
Ever yet was blessed with see­ing bird above his cham­ber door—
Bird or beast upon the sculp­tured bust above his cham­ber door,
With such name as “Nev­er­more.”

But the Raven, sit­ting lone­ly on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did out­pour.
Noth­ing far­ther then he uttered – not a feath­er then he flut­tered—
Till I scarce­ly more than mut­tered “Oth­er friends have flown before—
On the mor­row he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nev­er­more.”

Star­tled at the still­ness bro­ken by reply so apt­ly spo­ken,
“Doubt­less,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhap­py mas­ter whom unmer­ci­ful Dis­as­ter
Fol­lowed fast and fol­lowed faster till his songs one bur­den bore—
Till the dirges of his Hope that melan­choly bur­den bore
Of ‘Nev­er – nev­er­more’.”

But the Raven still beguil­ing all my fan­cy into smil­ing,
Straight I wheeled a cush­ioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the vel­vet sink­ing, I betook myself to link­ing
Fan­cy unto fan­cy, think­ing what this omi­nous bird of yore—
What this grim, ungain­ly, ghast­ly, gaunt, and omi­nous bird of yore
Meant in croak­ing “Nev­er­more.”

This I sat engaged in guess­ing, but no syl­la­ble express­ing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divin­ing, with my head at ease reclin­ing
On the cush­ion’s vel­vet lin­ing that the lamp-light gloat­ed o’er,
But whose vel­vet-vio­let lin­ing with the lamp-light gloat­ing o’er,
She shall press, ah, nev­er­more!

Then, methought, the air grew denser, per­fumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tin­kled on the tuft­ed floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy mem­o­ries of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and for­get this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il! —
Whether Tempter sent, or whether tem­pest tossed thee here ashore,
Des­o­late yet all undaunt­ed, on this desert land enchant­ed—
On this home by Hor­ror haunt­ed – tell me tru­ly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il!
By that Heav­en that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sor­row laden if, with­in the dis­tant Aidenn,
It shall clasp a saint­ed maid­en whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Be that word our sign of part­ing, bird or fiend!” I shrieked, upstart­ing–
“Get thee back into the tem­pest and the Night’s Plu­ton­ian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spo­ken!
Leave my lone­li­ness unbro­ken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

And the Raven, nev­er flit­ting, still is sit­ting, still is sit­ting
On the pal­lid bust of Pal­las just above my cham­ber door;
And his eyes have all the seem­ing of a demon’s that is dream­ing,
And the lamp-light o’er him stream­ing throws his shad­ow on the floor;
And my soul from out that shad­ow that lies float­ing on the floor
Shall be lift­ed – nev­er­more!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minu­it lugubre, pen­dant que je médi­tais, faible et fatigué, sur maint pré­cieux et curieux vol­ume d’une doc­trine oubliée, pen­dant que je don­nais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapote­ment, comme de quelqu’un frap­pant douce­ment, frap­pant à la porte de ma cham­bre. « C’est quelque vis­i­teur, — mur­mu­rai-je, — qui frappe à la porte de ma cham­bre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! dis­tincte­ment je me sou­viens que c’é­tait dans le glacial décem­bre, et chaque tison bro­dait à son tour le planch­er du reflet de son ago­nie. Ardem­ment je désir­ais le matin ; en vain m’é­tais-je effor­cé de tir­er de mes livres un sur­sis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore per­due, pour la pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore, — et qu’i­ci on ne nom­mera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruisse­ment des rideaux pour­prés me péné­trait, me rem­plis­sait de ter­reurs fan­tas­tiques, incon­nues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’en­fin, pour apais­er le bat­te­ment de mon cœur, je me dres­sai, répé­tant : « C’est quelque vis­i­teur qui sol­licite l’en­trée à la porte de ma cham­bre, quelque vis­i­teur attardé sol­lic­i­tant l’en­trée à la porte de ma cham­bre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sen­tit plus forte. N’hési­tant donc pas plus longtemps : « Mon­sieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’im­plore votre par­don ; mais le fait est que je som­meil­lais, et vous êtes venu frap­per si douce­ment, si faible­ment vous êtes venu taper à la porte de ma cham­bre, qu’à peine étais-je cer­tain de vous avoir enten­du. » Et alors j’ou­vris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scru­tant pro­fondé­ment ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’é­ton­nement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’au­cun mor­tel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas trou­blé, et l’im­mo­bil­ité ne don­na aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chu­choté : « Lénore ! » — C’é­tait moi qui le chu­chotais, et un écho à son tour mur­mu­ra ce mot : « Lénore ! » — Pure­ment cela, et rien de plus.
Ren­trant dans ma cham­bre, et sen­tant en moi toute mon âme incendiée, j’en­tendis bien­tôt un coup un peu plus fort que le pre­mier. « Sûre­ment, — dis-je, — sûre­ment, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mys­tère. Lais­sons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mys­tère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je pous­sai alors le volet, et, avec un tumultueux bat­te­ment d’ailes, entra un majestueux cor­beau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moin­dre révérence, il ne s’ar­rê­ta pas, il n’hési­ta pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se per­cha au-dessus de la porte de ma cham­bre ; il se per­cha sur un buste de Pal­las juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; — il se per­cha, s’in­stal­la, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la grav­ité de son main­tien et la sévérité de sa phy­s­ionomie, induisant ma triste imag­i­na­tion à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimi­er, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien cor­beau, voyageur par­ti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneur­ial aux rivages de la Nuit plu­toni­enne ! » Le cor­beau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émer­veil­lé que ce dis­gra­cieux volatile entendît si facile­ment la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand sec­ours ; car nous devons con­venir que jamais il ne fut don­né à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa cham­bre, un oiseau ou une bête sur un buste sculp­té au-dessus de la porte de sa cham­bre, se nom­mant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le cor­beau, per­ché soli­taire­ment sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à mur­mur­er faible­ment : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aus­si, il me quit­tera comme mes anci­ennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tres­sail­lant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-pro­pos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infor­tuné que le Mal­heur impi­toy­able a pour­suivi ardem­ment, sans répit, jusqu’à ce que ses chan­sons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De pro­fundis de son Espérance eût pris ce mélan­col­ique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le cor­beau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’en­fonçant dans le velours, je m’ap­pli­quai à enchaîn­er les idées aux idées, cher­chant ce que cet augur­al oiseau des anciens jours, ce que ce triste, dis­gra­cieux, sin­istre, mai­gre et augur­al oiseau des anciens jours voulait faire enten­dre en croas­sant son Jamais plus !
Je me tenais ain­si, rêvant, con­jec­turant, mais n’adres­sant plus une syl­labe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient main­tenant jusqu’au fond du cœur ; je cher­chais à devin­er cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que cares­sait la lumière de la lampe, ce velours vio­let caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sem­bla que l’air s’é­pais­sis­sait, par­fumé par un encen­soir invis­i­ble que bal­ançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la cham­bre. “Infor­tuné ! — m’écri­ai-je, — ton Dieu t’a don­né par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressou­venirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore per­due !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon, mais tou­jours prophète ! que tu sois un envoyé du Ten­ta­teur, ou que la tem­pête t’ait sim­ple­ment échoué, naufragé, mais encore intrépi­de, sur cette terre déserte, ensor­celée, dans ce logis par l’Hor­reur han­té, — dis-moi sincère­ment, je t’en sup­plie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en sup­plie !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon ! tou­jours prophète ! par ce Ciel ten­du sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Par­adis loin­tain, elle pour­ra embrass­er une fille sainte que les anges nom­ment Lénore, embrass­er une pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore.” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le sig­nal de notre sépa­ra­tion, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redres­sant. — Ren­tre dans la tem­pête, retourne au rivage de la Nuit plu­toni­enne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme sou­venir du men­songe que ton âme a proféré ; laisse ma soli­tude invi­o­lée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et pré­cip­ite ton spec­tre loin de ma porte !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
Et le cor­beau, immuable, est tou­jours instal­lé, tou­jours instal­lé sur le buste pâle de Pal­las, juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; et ses yeux ont toute la sem­blance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruis­se­lant sur lui, pro­jette son ombre sur le planch­er ; et mon âme, hors du cer­cle de cette ombre qui gît flot­tante sur le planch­er, ne pour­ra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour ter­min­er, une ver­sion ciné­matographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simp­son (The Simp­sons) de The Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pou­vez affich­er les sous-titres dans la langue souhaitée…

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tan­go du jour s’ap­pelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addi­tion de “uns”. Atten­tion, les huns, par­don, les uns débar­quent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tan­gos du réper­toire, écrit par Mar­i­ano Mores avec des paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo. Pré­parez-vous à l’é­coute, mais aus­si à voir, j’ai une sur­prise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán

Paroles

Uno bus­ca lleno de esper­an­zas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cru­el y es mucha
Pero lucha y se desan­gra por la fe que lo empeci­na
Uno va arras­trán­dose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza has­ta enten­der
Que uno se quedó sin corazón
Pre­cio de cas­ti­go que uno entre­ga
Por un beso que no lle­ga
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llo­rar
Tan­ta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Quer­er sin pre­sen­tir
Es posi­ble que a tus ojos que me gri­tan su car­iño
Los cer­rara con mil besos
Sin pen­sar que eran como esos
Otros ojos, los per­ver­sos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mis­mo que perdí
Si olvi­dara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llo­rar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mis­mo que perdí
Si olvi­dara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llo­rar tu amor

Mar­i­ano Mores Letra: Enrique San­tos Dis­cépo­lo

libre

Cha­cun cherche, plein d’e­spoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cru­elle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’ob­sède.
Cha­cun rampe par­mi les épines et dans son empresse­ment à don­ner son amour, il souf­fre et se détru­it jusqu’à ce qu’il com­prenne que cha­cun se retrou­ve sans cœur, le prix de la puni­tion que cha­cun donne pour un bais­er qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleur­er tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai don­né.
Si je pou­vais, comme hier, aimer sans crainte, il est pos­si­ble que tes yeux qui me cri­ent leur affec­tion, je les refer­merais de mille bais­ers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les per­vers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai per­du.
Si j’ou­bli­ais celle qui l’a détru­it hier et que je pou­vais t’aimer, j’embrasserais ton illu­sion pour pleur­er ton amour.

Autres versions

Comme annon­cé, ce titre a été enreg­istré de très nom­breuses fois. Impos­si­ble de tout vous pro­pos­er, alors, voici une sélec­tion pour vous faire décou­vrir la var­iété et les points com­muns de ces ver­sions en com­mençant par notre tan­go du jour, qui est le pre­mier à avoir été enreg­istré.

Uno 1943-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre tan­go du jour.
Uno 1943-05-28 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Deux jours après Canaro, Lib­er­tad Lamar­que enreg­istre le disque.
C’est là qu’on remar­que, une fois de plus, que Canaro est tou­jours au fait de l’ac­tu­al­ité. En effet, ce titre est des­tiné à un film, El fin de la noche, réal­isé par de Zavalía. Le tour­nage ne com­mencera qu’en août 1943 et le film ne sor­ti­ra en Argen­tine que le pre­mier novem­bre 1944, car le gou­verne­ment argentin a tardé à don­ner l’au­tori­sa­tion de dif­fu­sion, notam­ment à cause du sujet qui met­tait en cause le gou­verne­ment alle­mand…

Affiche du film El fin de la noche, réal­isé par Alber­to de Zavalía avec Lib­er­tad Lamar­que.

En effet, l’in­trigue est totale­ment liée à l’ac­tu­al­ité de l’époque, ce qui prou­ve que l’in­for­ma­tion cir­cu­lait. Lola Morel (Lib­er­tad Lamar­que), une chanteuse Sud-Améri­caine qui vit à Paris a été blo­quée à Paris par la guerre (La plu­part des Argentins avaient quit­té la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notam­ment Rafael qui fut le dernier à quit­ter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passe­ports, elle se voit pro­posé d’es­pi­onner la résis­tance.
Ce film con­firme que les Argentins ne se dés­in­téres­saient pas de la sit­u­a­tion en Europe durant la sec­onde guerre mon­di­ale.
Mais la mer­veille, c’est de voir Lib­er­tad Lamar­que chan­tant. C’est une des plus émou­vantes pris­es disponibles, jugez-en.

Lib­er­tad Lamar­que can­ta el tan­go UNO, en la pelícu­la “El fin de la noche”, dirigi­da por Alber­to de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’ap­pari­tion : Flo­rence Marly… Pilar, Jorge Vil­lol­do… Caissier du bar et Lib­er­tad Lamar­que… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Dif­fi­cile de revenir sur terre après cette ver­sion, alors autant rester dans les nuages avec Troi­lo et Mari­no.

Uno 1943-06-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no arr. de Astor Piaz­zol­la.

C’est peut-être la ver­sion la plus con­nue. Il faut dire qu’elle est par­faite, à chaque écoute, elle provoque la même émo­tion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orques­ta.

Quelques mois après Lib­er­tad, Tania donne sa ver­sion. À qui va votre préférence ? Tania enreg­istr­era une autre ver­sion avec Dona­to Rac­ciat­ti en 1959.

Avant de pass­er à D’Arien­zo, un petit point « tech­nique ». Les dis­ques de l’époque étaient prévus pour être util­isé à 78 tours par minute. C’est une pré­cise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces dis­ques joués à 78 tours par minute don­nent la bonne resti­tu­tion, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’édi­teur.
Le résul­tat peut être dif­férent de ce qui a été jouée. Par exem­ple, pour paraître plus vir­tu­ose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ain­si, lorsque le disque qui sera pressé à par­tir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapi­de et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on dis­serte longue­ment de la valeur du dia­pa­son, notam­ment du ban­donéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une hor­reur, on ne remar­quera pas d’une milon­ga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’im­por­tant est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arien­zo ou son édi­teur a mod­i­fié la vitesse, c’est la déci­sion de l’époque.
En revanche, je suis moins indul­gent sur les réédi­tions des 78 tours en 33 tours. Ces tran­scrip­tions ont don­né lieu à dif­férents abus (pas for­cé­ment tous sur tous les dis­ques) :

  • L’a­jout de réver­béra­tion pour don­ner un « effet  », mais qui per­turbe grande­ment la lis­i­bil­ité de la musique, ce qui est dom­mage­able pour la danse égale­ment.
  • La coupure de l’in­tro­duc­tion ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beau­coup d’édi­teurs ont sup­primé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont pro­duit des 33 tours à par­tir de 78 tours usagés. Bia­gi est une des prin­ci­pales vic­times de ce phénomène et Tan­turi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de ter­min­er les morceaux…
  • Le fil­trage de fréquences pour dimin­uer le bruit du disque orig­i­nal. Les moyens de l’époque font que cette sup­pres­sion fil­tre le bruit du disque, mais aus­si la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le change­ment de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’im­pres­sion que les musi­ciens jouent plus vite. Si aujour­d’hui on peut vari­er la vitesse sans touch­er à la tonal­ité, à l’époque, c’é­tait impos­si­ble. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résul­tat est con­va­in­cant et seuls les pos­sesseurs de la fameuse oreille absolue s’en ren­dront compte si cela est fait dans des pro­por­tions raisonnables.

Après ce long pro­pos lim­i­naire, voici enfin la ver­sion de D’Arien­zo et Mau­re. En pre­mier, un enreg­istrement à par­tir du 78 tours orig­i­nal. La vitesse est donc celle pro­posée par D’Arien­zo et la société Víc­tor.

Uno 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré. Ver­sion tirée du 78 tours de la Víc­tor.

Et main­tenant la ver­sion accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par dif­férents édi­teurs, y com­pris con­tem­po­rains, ce qui prou­ve qu’ils sont par­tis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice orig­i­nale…

Uno 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

Édi­tion accélérée, sans écouter la pre­mière ver­sion, vous seriez-vous ren­du compte de la dif­férence ? Prob­a­ble­ment, car cela fait pré­cip­ité, notam­ment en com­para­i­son des ver­sions déjà écoutées qui durent par­fois près de 3:30 min­utes, ce qui est excep­tion­nel en tan­go.

Uno 1943-12-01 — Orques­ta con Oscar Ser­pa.

Une ver­sion sans doute moins con­nue, mais que je trou­ve très jolie égale­ment. Dom­mage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milon­ga. Cepen­dant, les événe­ments de plusieurs jours, ou les très longues milon­gas (10 h ou plus), per­me­t­tent ces fan­taisies…

Uno 1944 Alber­to Gómez con Adol­fo Guzmán y su con­jun­to.

Alber­to Gómez com­mence tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Pro­gres­sive­ment, ce sou­tien est pro­posé par d’autres instru­ments, mais ce n’est qu’à 58 sec­on­des que l’orchestre prend pro­gres­sive­ment une place plus impor­tante, sans toute­fois per­dre de vue qu’il n’est que l’ac­com­pa­g­ne­ment du chanteur. Cette ver­sion à écouter sus­cite de la men­tion, mal­gré la voix un peu for­cée de Gómez que l’on sans doute mieux appré­ciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans cer­tains pas­sages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Car­los Acuña.

On change com­plète­ment de style avec Bia­gi. Une ver­sion ryth­mée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pres­sion qui empêche d’en­tr­er com­plète­ment dans le thème. Ce n’est pas une cri­tique de la qual­ité musi­cale, mais je trou­ve que cette fois Bia­gi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui inter­prè­tent la musique. Pour les autres, ils retrou­veront le tem­po bien mar­qué qui leur con­vient pour pos­er leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Agustín Irus­ta.

Les sub­til­ités de la chronolo­gie nous offrent ici, une inter­pré­ta­tion à l’op­posée de la précé­dente, par Bia­gi. Elle est à class­er dans la lignée Lamar­que, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette ver­sion à celle de l’autre homme de la sélec­tion de tan­go à écouter. Ici, il s’ag­it presque d’un duo avec le piano de . Ce dernier est un mer­veilleux pianiste pour la musique intime. Vous pour­rez vous en con­va­in­cre en écoutant ses for­mi­da­bles enreg­istrements de tan­go au piano, sur trois épo­ques (1930, 1952–1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exer­ci­ce.

Uno 1951-12-18 — Char­lo y su orques­ta.

Encore une ver­sion à rajouter à la lignée des chan­sons. La qual­ité d’en­reg­istrement des années 50 rend mieux jus­tice à la voix de Char­lo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chan­tait avec Canaro ou Lomu­to. Essayez d’é­couter ses enreg­istrements avec orchestre ou gui­tare des années 50 pour vous en ren­dre compte. Cette méta­mor­phose, en grande par­tie causée par la tech­nique, nous faire pren­dre con­science de ce que nous avons per­du en n’é­tant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con .

Avec Troi­lo et Casal, on revient vers le tan­go de danse. Bien sûr, vous com­par­erez cette ver­sion avec celle de 1943 avec Mari­no. Les deux sont for­mi­da­bles. L’orchestre est éventuelle­ment moins facile à suiv­re pour les danseurs, les DJ réserveront cer­taine­ment cette ver­sion aux meilleurs pra­ti­quants.

Uno 1957-09-25 — Orques­ta Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Arman­do Pon­tier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’im­por­tance de faire du tan­go de danse est per­due. Cela n’en­lève pas de la beauté à cette ver­sion, mais ça nous fait regret­ter que le rock et autres rythmes aient sup­plan­té le tan­go à cette époque en Argen­tine…

Uno 1961-05-18 — Orques­ta José Bas­so.

José Bas­so nous donne une des rares ver­sions qui se prive des paroles de Dis­cépo­lo. Pour ma part, je trou­ve que la voix manque, même si à tour de rôle et les vio­lons chantent plutôt bien et que le piano de José Bas­so ne démérite pas. On reste dans l’at­tente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illu­sions.

Uno 1963 — Argenti­no Ledes­ma y su orques­ta.

De la part de Ledes­ma, on attend une belle ver­sion et on n’est pas déçu.

Uno 1965 — Orques­ta con .

On retrou­ve Cal­dara, cet ancien ban­donéon­iste de Pugliese avec Lesi­ca. Une belle asso­ci­a­tion. L’in­tro­duc­tion avec le superbe vio­lon­celle de José Fed­erighi prou­ve s’il en était besoin les qual­ités de ce musi­cien et arrangeur d’une grande mod­estie.
Je vous pro­pose de ter­min­er cette longue liste avec l’au­teur Mar­i­ano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’ou­bliez pas de cli­quer sur ce dernier lien pour con­sul­ter l’al­bum de Mar­i­ano Mores en écoutant une toute dernière ver­sion d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y décou­vrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’ac­tiv­ité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mar­i­ano, et à demain, les amis !

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Lorsque Varela lance les qua­tre notes ini­tiales, tous les danseurs réagis­sent. Elles raison­nent comme le pom pom pom pom de la 5e sym­phonie de Beethoven. Le des­tin des danseurs est fixé, ils doivent danser ce titre. Cette fas­ci­na­tion date des pre­miers temps de ce titre qui a été enreg­istré, il n’y a pas trois ans, mais 68 ans et il nous par­le tou­jours.

Le pom pom pom pom de Varela dans la ver­sion avec Ledes­ma.

Même si la par­ti­tion ne com­porte que les notes en rouge pour les trois pre­mières notes, Varela fait jouer une dou­ble croche à la place de la croche du début de la sec­onde mesure à ses vio­lons. C’est rel­a­tive­ment dis­cret. Je l’ai indiqué en plaçant deux points rouges avec un petit point bleu au cen­tre. Varela fait jouer les deux petits points à la place de la croche qu’ils enca­drent. Cela cor­re­spond aux paroles (me/ha), Ledes­ma chan­tant deux syl­labes sur une seule note ; Varela demande à ses vio­lons de faire pareil, par un très léger accent. On se retrou­ve donc avec env­i­ron trois dou­ble croches (No-me-ha), puis la croche pointée (las). On notera que les vio­lons, comme Ledes­ma, chantent le (las) sur la note supérieure de l’ac­cord (dernière note en rouge).
Cela atténue la syn­cope ini­tiale que devrait provo­quer l’anacrouse avec la dou­ble croche ini­tiale suiv­ie d’une croche. L’in­ter­pré­ta­tion est plus proche de trois dou­bles croches, ce qui est sem­blable aux coups du des­tin dans la cinquième sym­phonie de Beethoven. Trois coups brefs suivi d’un plus long. Varela utilise une mon­tée à la quinte, alors que Beethoven utilise une descente à la tierce. Ce démar­rage est dif­férent suiv­ant les orchestres et si Varela l’u­tilise pour la ver­sion de 1973, il ne le fait pas pour la ver­sion chan­tée par Mau­ré enreg­istrée la même année (1956).
À la fin de la croche pointée rouge, on trou­ve (te-so-ro-mi) sur trois dou­ble croches et une croche qui fait dur­er le dou­ble de temps le (mi), puis le (o) qui dis­pose de toute une noire et qui dure donc qua­tre fois plus longtemps que les trois pre­mières notes bleues.

Juan Pablo Marín

Juan Pablo Marín était gui­tariste et a écrit trois titres un peu con­nus. , notre tan­go du jour en 1956, et l’an­née suiv­ante, Reflex­ionemos qui a été enreg­istré trois fois en 1957, par Mau­ré, Gob­bi et et Ser­e­na­ta mía enreg­istré par Car­los Di Sar­li avec le duo de et Jorge Durán. Ces deux titres de 1957 ne sont pas com­pa­ra­bles avec Fueron tres años ce qui explique un peu leur oubli. Je les laisse donc tran­quille­ment dormir pour vous offrir notre tan­go du jour.

Extrait musical

Fueron tres años 1956-05-18 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma.
Par­ti­tion de Fueron tres años

Paroles

No me hablas, tesoro mío,
no me hablas ni me has mira­do.
Fueron tres años, mi vida,
tres años muy lejos de tu corazón.
¡Háblame, rompe el silen­cio!
¿No ves que me estoy murien­do?
Y quí­tame este tor­men­to,
porque tu silen­cio ya me dice adiós.

¡Qué cosas que tiene la vida!
¡Qué cosas ten­er que llo­rar!
¡Qué cosas que tiene el des­ti­no!
Será mi camino sufrir y penar.
Pero deja que bese tus labios,
un solo momen­to, y después me voy;
y quí­tame este tor­men­to,
porque tu silen­cio ya me dice adiós.

Aún ten­go fuego en los labios,
del beso de des­pe­di­da.
¿Cómo pen­sar que men­tías,
sí tus negros ojos llora­ban por mí?
¡Háblame, rompe el silen­cio!
¿No ves que me estoy murien­do?
Y quí­tame este tor­men­to,
porque tu silen­cio ya me dice adiós.

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Traduction libre

Tu ne me par­les pas, mon tré­sor,
Tu ne me par­les pas ni ne m’as regardé.
Ce furent trois ans, ma vie,
trois ans très loin de ton cœur.
Par­le-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tour­ment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Que de choses tient la vie !
Que de choses à tenir pour pleur­er !
Que de choses tient le des­tin !
Ce sera mon chemin, souf­frir et être peiné.
Mais laisse-moi bais­er tes lèvres,
un seul instant, et ensuite je m’en vais ;
Et enlève-moi ce tour­ment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

J’ai encore du feu sur les lèvres,
du bais­er d’adieu.
Com­ment penser que tu men­tais,
quand tes yeux noirs pleu­raient pour moi ?
Par­le-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tour­ment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Autres versions

Seules les deux ver­sions de Varela avec Ledes­ma et Fal­cón sont courantes, pour­tant d’autres méri­tent d’être écoutées, voire dan­sées.

Fueron tres años 1956 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Héc­tor Varela.

Cette ver­sion n’est pas pré­cisé­ment datée. Elle est peut-être postérieure à celle avec Ledes­ma, mais j’ai souhaité la met­tre en pre­mier pour la met­tre en valeur. Même si ce n’est pas une ver­sion de danse, elle est mag­nifique et je pense que vous aurez plaisir à l’é­couter. On notera que le début est dif­férent. On peut l’at­tribuer au fait que Ledes­ma chante durant tout le titre et que par con­séquent, faire un pre­mier pas­sage instru­men­tal aurait été trop long. Varela l’a donc rac­cour­ci et il n’y a pas le pom pom pom pom ini­tial.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma. C’est notre tan­go du jour.
Fueron tres años 1956-06-18 — Orques­ta con Nina Miran­da.

Le pom pom pom pom est rem­placée une mon­tée des cordes et ban­donéons. Cela donne un départ assez spec­tac­u­laire et très dif­férent. On con­nait Nina Miran­da, une des grandes chanteuses uruguayennes. C’est vif et enlevé, mais ça manque sans doute de l’é­mo­tion que l’on trou­ve dans les ver­sions de Varela.

Fueron tres años 1956-06-25 — Jorge Vidal con gui­tar­ras.

Un mois après la ver­sion enreg­istrée par Varela avec Ledes­ma, Jorge Vidal pro­pose une ver­sion en chan­son accom­pa­g­née par des gui­tares. On est dans un tout autre reg­istre. Je trou­ve que l’on perd, là aus­si un peu d’é­mo­tion.

Fueron tres años 1956-07-18 — Orques­ta Sím­bo­lo ‘’ dir. Aquiles Rog­gero con .

Rog­gero choisit la même option que Gómez, un debut lié, mais plus doux.

Fueron tres años 1956-07-27 — Orques­ta con Alber­to Podestá.

Des sans doute un peu exagérées démar­rent le thème, avec des vio­lons énervés. Podestá qui fait un peu de même ne me sem­ble pas totale­ment con­va­in­cant. C’est de toute façon une ver­sion d’é­coute et j’ai donc une excuse pour ne pas la pass­er en milon­ga…

Fueron tres años 1956-08-06 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi

On trou­ve pour la même année, 1956, une ver­sion de Rodriguez avec Moreno, mais j’ai un gros doute, car je n’y recon­nais ni l’un ni l’autre dans cette inter­pré­ta­tion qui de toute façon n’a rien de génial. Je préfère m’ab­stenir… Il y a donc au moins huit ver­sions et peut-être plus enreg­istrées sur la seule année 1956.
Il fau­dra atten­dre 1973, pour que Varela relance la machine à tubes (pour les non-fran­coph­o­nes, machine à suc­cès). Cette fois avec Jorge Fal­cón.

Fueron tres años 1973 — Orques­ta Héc­tor Varela con Jorge Fal­cón.

C’est une autre sub­lime ver­sion, bra­vo, Mon­sieur Varela, trois ver­sions mer­veilleuses du même thème, cha­peau bas !

Fueron tres años 1974 — Orques­ta Jorge Drag­one Con Diego Solis.

Ce n’est pas inin­téres­sant. Nous n’au­ri­ons pas les ver­sions de Varela, on s’en con­tenterait peut-être. Ces artistes méri­tent cepen­dant une écoute et comme ils ont enreg­istré dans un réper­toire proche, on peut même faire une tan­da pour accom­pa­g­n­er ce titre.

Fueron tres años 2014 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

C’est dom­mage que cet orchestre ne soit plus. Il avait une sym­pa­thique dynamique impul­sée par son chanteur et directeur. On en a peut-être abusé, mais c’é­tait un des orchestres qui avait un style qui n’é­tait pas qu’une copie de ceux du passé. Je les avais fait venir au fes­ti­val Tan­go­postale de Toulouse lorsque j’é­tais en charge des orchestres de bals et ils furent épous­tou­flants et en plus, ils fai­saient du trop­i­cal génial qu’il est dom­mage de ne pas plus avoir dans leurs dis­ques, tournés sur le tan­go.

Fueron tres años 2016-12 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con .

Un autre orchestre qui a cher­ché un style pro­pre et qui l’a trou­vé. La très belle voix de Rober­to Minon­di et la sonorité par­ti­c­ulière de l’orchestre donne une autre teinte au titre.

Fueron tres años 2018 — Cuar­te­to Mulen­ga con Max­i­m­il­iano Agüero.

L’orchestre mar­que son orig­i­nal­ité en déplaçant la syn­cope ini­tiale du désor­mais fameux pom pom pom pom…

Fueron tres años 2023 — con Megan Yvonne.

La ver­sion la plus récente en ma pos­ses­sion de ce titre. Si vous aimez, vous pou­vez acquérir une ver­sion en haute qual­ité sur Band­Camp https://tangoberretin.bandcamp.com/album/tangos-del-berretin.

Même si j’ai un faible pour les ver­sions de Varela, je pense que vous avez écouté des choses qui vous plaisent dans ce tan­go tardif, puisque né après l’âge d’or du tan­go de danse. Si vous n’aimez rien de tous ces titres, je vous pro­pose quelque chose de très dif­férent qui prou­ve le suc­cès majeur de ce thème écrit il y a 68 ans…

Fueron tres años — Los Rangers De Venezuela.

Aïe, ne me tapez pas sur la tête ! Vous avez la preuve que ce n’est pas néces­saire… C’est la corti­na…
Je vous pro­pose de retrou­ver tout de suite votre titre préféré dans la liste qui précède.

À demain les amis !

Hablame, rompe silen­cio.

Ana María y Lilián 1944-05-17 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Fulvio Salamanca – Nolo López y  – Luis Rafael Caruso

Cer­tains ont dû faire des bonds en voy­ant le titre de l’anec­dote du jour. Quoi, un tan­go que je ne con­nais pas ? J’e­spère qu’ils ne se sont pas cognés au pla­fond. En effet, aujour­d’hui, je vais vous par­ler de deux titres enreg­istrés le même jour et par les mêmes artistes. J’ai donc créé cette ami­tié entre , la noire et la blonde qui dure depuis 80 ans.
Le 17 mai 1944, Juan D’Arien­zo enreg­istre qua­tre thèmes très dif­férents, dont trois avec Héc­tor Mau­ré. J’ai choisi deux d’en­tre eux, car ce sont des por­traits de femmes, des femmes très dif­férentes, mais aux des­tins par­al­lèles.
Vous aurez tout de même droit aux deux autres titres, dont l’un qui va vous faire dress­er les cheveux sur la tête.

Extraits musicaux

Lil­ián 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (Musique Héc­tor Varela, paroles de Luis Rafael Caru­so).

Lil­ián est un titre sou­vent passé. C’est un D’Arien­zo plutôt calme, mais très expres­sif. On notera l’u­til­i­sa­tion de Lil­ián en leit­mo­tiv, en évo­ca­tion et son rem­place­ment finale­ment par amor. Comme on le ver­ra avec les paroles, il s’ag­it ici, espoir de reprise d’une rela­tion d’une nuit.

Ana María 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (Musique de Ful­vio Sala­man­ca, paroles de Nolo López [Manuel Nor­ber­to López]).

Il s’ag­it, ici, d’une milon­ga can­dom­bé. Comme nous le ver­rons, les paroles vont égale­ment dans ce sens. C’est presque un pon­cif, lorsque l’on par­le de per­son­nes noires, c’est sou­vent à tra­vers une milon­ga can­dom­bé. C’est une des raisons pour lesquels cer­tains revendiquent une orig­ine noire pour le tan­go, par exem­ple Juan Car­los Cac­eres qui fait des milon­gas can­dombe, même s’il les nomme « tan­go », comme Tan­go negro, Tocá Tangó, Tan­go retan­go, ou Cum­tan­go

Paroles de Ana María

Ana María, la rosa mula­ta
Bajo su bata esconde un dolor,
Nació con luna de pla­ta
Por los Cuar­te­les del sol.

Novia queri­da de aquel tam­borero
Un entr­erri­ano de corazón,
Los dos col­maron sus sueños
Con un romance de amor.

Cuán­tos par­dos se sin­tieron
Pri­sioneros por su amor,
Dos mulatos la quisieron
Pero ella dijo: No.
A sus ojos, un poeta
Le can­tó su madri­gal,
Flo­recía la more­na
Entre rosas de un ros­al.

Ful­vio Sala­man­ca –  Nolo López (Manuel Nor­ber­to López)

Traduction libre de Ana María

Ana Maria, la rose noire (mula­ta désigne des femmes d’o­rig­ine noire, ou métisse de noirs, con­traire­ment à Negra, qui sig­ni­fie sim­ple­ment à la peau plus som­bre et qui peut témoign­er d’o­rig­ines des peu­ples pre­miers d’Ar­gen­tine), cache une douleur sous son peignoir.
Elle est née avec une lune d’ar­gent près de la caserne du Soleil.

Petite amie bien-aimée de ce tam­borero (joueur de tam­bour. On con­naît l’af­fec­tion des Uruguayens pour les per­cus­sions), un entr­erri­ano (de la province d’En­tre Rios) de cœur.
Les deux ont réal­isé leurs rêves avec une romance amoureuse.

Com­bi­en de noirs se sen­taient, pris­on­niers de son amour.
Deux mulâtres l’aimaient, mais elle a dit : « Non ».
Dans ses yeux, un poète lui chan­tait son madri­gal.
La noire fleuris­sait par­mi les ros­es d’un rosier.

Paroles de Lilián

Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
Pasión,
de un romance casu­al…
Esa noche yo esta­ba tan solo
y tú llenaste mi soledad.
Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
No estás.
Esta noche no estás.
Y me sien­to más solo que nun­ca
sin el azul de tus ojos, Lil­ián.

Que tris­teza hay en mi cuar­to.
Que amar­gu­ra en mi inte­ri­or.
He lle­ga­do a amarte tan­to,
que no vivo sin tu amor.
Con siem­pre joven,
mi quer­er te esper­ará
y a la luz de tus can­ciones,
mis ilu­siones revivirán.
Porque hay algo que me dice,
que no olvi­daste, mi amor, Lil­ián…

Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
Amor.
Que hizo triste un adiós,
cuan­do todo era un can­to a la vida,
la mis­ma vida nos sep­a­ró.

Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
Mi amor,
esperán­dote está,
y esperan­do me ven las auro­ras,
sin el azul de tus ojos, Lil­ián.

Héc­tor Varela — Luis Rafael Caru­so

Mau­ré ne chante pas ce qui est en orange.

Traduction libre de Lilián

Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Pas­sion, d’une romance occa­sion­nelle…
Cette nuit-là, j’é­tais si seul et tu as comblé ma soli­tude.
Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Tu n’es pas là.
Ce soir, tu n’es pas ici.
Et je me sens plus seul que jamais sans le bleu de tes yeux, Lil­ián.

Quelle tristesse il y a dans ma cham­bre !
Quelle amer­tume en moi !
J’en suis venu à t’aimer telle­ment que je ne peux pas vivre sans ton amour.
Avec le bais­er tou­jours jeune, mon amour t’at­ten­dra et à la lumière de tes chants, mes illu­sions seront ravivées.
Parce qu’il y a quelque chose qui me dit que tu n’as pas oublié mon amour, Lil­ián…

Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Amour.
Comme fut triste un adieu, alors que tout était un hymne à la vie, la même vie nous sépara.
Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Mon amour t’at­tend, et les aurores me voient atten­dre, sans le bleu de tes yeux, Lil­ián.

Les enregistrements de D’Arienzo du 17 mai 1944

El apache argenti­no 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arien­zo (Musique Manuel Gre­go­rio Aróztegui).

C’est un tan­go instru­men­tal. Les Apach­es, sont, en Argen­tine, aus­si, des déli­quants, mem­bres de ban­des sou­vent vio­lentes. Ils n’ont rien de com­mun avec les Indi­ens des USA. D’Arien­zo avait étren­né ce tan­go en 1930, lors du car­naval. On repar­lera un jour des car­navals, car ce sont des événe­ments très impor­tants pour les orchestres de tan­go…

Las doce 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (Musique Juan D’Arien­zo, paroles de Nolo López [Manuel Nor­ber­to López]).

Cette musique com­mence par une cita­tion du célèbre chant de Noël Jin­gle bells. On imag­ine quelques flo­cons de neige, un hiv­er qui débute. Bien sûr, Buenos Aires étant dans l’hémis­phère sud, les Noëls sont chauds. Je pense que c’est surtout pour apporter une note « enfan­tine » au thème qui com­mence donc très légère­ment. Nous allons avoir avec les paroles que cela se gâte rapi­de­ment :

Paroles de Las doce

Llueve y hace
Crudo es el
Cru­jen los por­tales
Sil­ba el ven­daval

Pasa preg­o­nan­do
El viejo diarero
Car­reras y fobal
La

Tiem­blan los cristales
De un café noc­turno
Sue­na la pianola
Un boni­to vals

Mien­tras en mí cuar­to
Mi lecho sin man­tas
Me acosa el invier­no
Aumen­ta mi mal

Las doce, medi­anoche
Don Mateo con su coche
Va camino al cor­ralón
Las doce
Y la llu­via
Arrimán­dose a su paso
El per­fume del malvón
Las doce se agi­gan­ta
Y va exten­di­en­do su man­to
En los vidrios de un farol

Juan D’Arien­zo Letra : Nolo López (Manuel Nor­ber­to López)

Traduction libre de Las doce (âmes sensibles s’abstenir)

Minu­it (12 heures)

Il pleut et il fait froid. L’hiv­er est rude. Les por­tails grin­cent. La bise sif­fle. (Rien d’é­ton­nant jusque-là, on s’imag­ine avec Jin­gle bells que l’on est en hiv­er de l’hémis­phère nord).

Passe en annonçant, le vieux vendeur de jour­naux, cours­es et foot­ball (fobal est la forme de Fút­bol en lun­far­do), la guerre mon­di­ale (Là, l’évo­ca­tion du con­flit mon­di­al jette un autre froid, la fable du tan­go de Noël com­mence à se fendiller. On pense par­fois que l’Ar­gen­tine était loin de la guerre, en fait, même si elle est restée neu­tre, le sort des familles qui n’avaient pas émi­gré fai­sait que les Argentins se sen­taient con­cernés).

Les fenêtres d’un café de nuit trem­blent, le pianola joue une belle (le pianola est un piano qui peut jouer seul des airs à l’aide d’un mécan­isme lisant des cartes per­forées. Nous l’avons déjà évo­qué à pro­pos de Loren­zo. Là, si l’ de la guerre nous a échap­pé, on se ras­sure, on s’imag­ine danser la valse dans le bistro­quet).

Dans ma cham­bre, ma litière sans cou­ver­tures, l’hiv­er m’as­saille, il aug­mente mon mal. (Là, nou­veau coup de froid, le tan­go n’a plus l’air d’un con­te de Noël, tout au plus on pour­rait penser à la petite marchande d’al­lumettes d’An­der­sen).

12 heures, minu­it. (12 heures, en fait, 24 h ou 0 h, minu­it, l’heure du crime selon le dic­ton).

Don Mateo (Il existe au moins deux tan­gos nom­més Don Mateo, dont un avec des paroles de José Ponzio, dénonçant un crim­inel ayant tué 6 per­son­nes de sa famille et 2 employés de ferme. Il s’ag­it en fait d’un notable, pro­prié­taire ter­rien, . C’é­tait un fils d’émi­grés irlandais, qui ayant per­du aux jeux, arnaque sa famille et les tue pour obtenir leur argent. La scène décrite dans ce tan­go doit donc se dérouler le 18 avril 1822, date des faits) avec sa voiture va au cor­ralón (ce terme est poly­sémique, ici, cela peut être un endroit où on entre­pose des matéri­aux de con­struc­tion, un des lieux de ses crimes).

Minu­it et la pluie. S’ac­croche à ses pas, le par­fum de l’homme mau­vais. (Non seule­ment il tue huit per­son­nes et devient donc le pre­mier ser­i­al killer argentin, mais il essaye de faire accuser un de ses péones, employés de ferme. Il est con­damné à per­pé­tu­ité, mais sort finale­ment de prison. L’ironie de cette his­toire est qu’il se tue en glis­sant sur une savon­nette en se cog­nant la tête sur sa baig­noire. Je vous avais prévenu, l’his­toire est ter­ri­ble).
Minu­it s’a­grandit et étend son man­teau sur les vit­res d’un lam­padaire. (On a fait mieux en matière de con­te de Noël).


Avec Ironie, D’Arien­zo qui a fait chanter l’in­té­gral­ité de l’his­toire à Mau­ré reprend avec le motif de Jin­gle bells, comme s’il ne s’é­tait rien passé qu’une petite chan­son de Noël.
Je crois que ce tan­go est assez rare, sans doute à cause de l’évo­ca­tion de Mateo Banks. Cepen­dant, si les danseurs n’é­coutent pas avec atten­tion les paroles, il doit être util­is­able. C’est un titre qui peut faire un milieu de tan­da sat­is­faisant.
Si vous voulez en savoir plus sur cette his­toire, je vous pro­pose deux sites :
La macabra his­to­ria del estanciero argenti­no que mató a san­gre fría a toda su famil­ia para quedarse con su for­tu­na — Infobae qui vous don­nera des détails sur les faits.
https://web.archive.org/web/20200813025004/https://ana-turon.blogspot.com/2016/05/el-tango-en-la-provincia-de-buenos-aires.html Je vous pro­pose la ver­sion archivée en 2020, car le site a depuis été cor­rompu. Vous y trou­verez notam­ment des textes de tan­go ou chan­sons par­lant du crime.

Et nos deux titres du jour

Pour revenir à des sujets plus sym­pa­thiques, je vous pro­pose de ter­min­er par nos deux titres du jour. D’abord Lil­ián, puis Ana María pour finir dans un rythme plus joueur et nous laver la tête de l’hor­reur des crimes de Don Mateo.

Lil­ián 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (Musique Héc­tor Varela, paroles de Luis Rafael Caru­so). Un de nos titres du jour.
Ana María 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (Musique de Ful­vio Sala­man­ca, paroles de Nolo López [Manuel Nor­ber­to López]). Un de nos titres du jour.

Ces qua­tre œuvres, fort dif­férentes mon­tr­er la diver­sité dont peu­vent être capa­bles les grands orchestres de l’âge d’or.

À demain les amis !

Ana María y Lil­ián. Deux des­tins de femmes.

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milon­gas portègnes ont sans doute été éton­nés de voir la quan­tité de bouteilles de cham­pagne qui peu­plent les tables. Ce breuvage a même des tan­gos à son nom. Toutes les bois­sons ne peu­vent pas en dire autant. La últi­ma copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous con­te ce tan­go.

Il y a champagne et champagne

L’Ar­gen­tine est un grand pays de viti­cul­ture et de vin. Elle pro­pose des vins somptueux, curieuse­ment presque tous nom­més du nom du raisin qui les com­posent. On va pren­dre un Mer­lot, un Caber­net, une Syrah, un Chardon­nay…
Le cham­pagne que l’on trou­ve sur les tables des milon­gas n’a de cham­pagne que le nom, tout comme le Roque­fort. Il est pro­duit sur place, notam­ment à Men­doza et en Patag­o­nie.
Pro­gres­sive­ment, sous la pres­sion des vitic­ul­teurs français, le nom change pour laiss­er appa­raître « méth­ode cham­p­enoise » ou autre indi­ca­tion lais­sant penser que c’est du Cham­pagne, sans le dire vrai­ment. J’imag­ine que les vitic­ul­teurs français de Cham­pagne ne tien­nent pas en grande estime ces vins, bien que cer­tains se vendent en Argen­tine bien plus cher que les « vrais » cham­pagnes de super­marché français. Cepen­dant, dans les milon­gas, c’est bien un mousseux stan­dard qui vous sera servi comme cham­pagne.
Revenons à notre últi­ma copa. Je vous pro­pose de l’é­couter… dans une ving­taine de ver­sions…

Extrait musical

La últi­ma copa 1943-04-29 — Orques­ta con Castil­lo.

C’est une ver­sion bien ryth­mée, avec une accen­tu­a­tion forte des temps. Tan­turi est con­sid­éré comme un orchestre facile à danser. Pour cette rai­son, on le ren­con­tre sou­vent dans les encuen­tros. Ici, c’est la voix de Castil­lo qui déclame les paroles, tout au moins les deux pre­miers cou­plets et deux fois le refrain. Le chant com­mence à 1 minute, après la présen­ta­tion par les ban­donéons et les vio­lons du thème, le vio­lon tra­vail­lant surtout en ponc­tu­a­tion. À 2 : 05 Castil­lo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour ter­min­er, juste avant les deux tra­di­tion­nels accords de Tan­turi (accord sur dom­i­nante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, ami­go, nomás, écheme y llene
Has­ta el bor­de la copa de cham­pagne
Que esta noche de far­ra y de ale­gría
El dolor que hay en mi alma quiero ahog­ar

Es la últi­ma far­ra de mi vida
De mi vida, mucha­chos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aque­l­la
Que no supo mi amor nun­ca apre­ciar

Yo la quise, mucha­chos y la quiero
Y jamás yo la podré olvi­dar
Yo me embor­ra­cho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más cham­pagne
Que todo mi dolor bebi­en­do lo he de ahog­ar
Y si la ven, ami­gos, dígan­le
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la últi­ma copa
Que, tal vez, tam­bién ella aho­ra estará
Ofre­cien­do en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche ami­go, nomás, écheme y llene
Has­ta el bor­de la copa de cham­pagne
Que mi vida se ha ido tras de aque­l­la
Que no supo mi amor nun­ca apre­ciar

Yo la quise, mucha­chos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvi­dar
Yo me embor­ra­cho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más cham­pagne
Que todo mi dolor bebi­en­do lo he de ahog­ar
Y si la ven, ami­gos, dígan­le
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Fran­cis­co Canaro Letra: Juan Andrés Caru­so

Castil­lo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et rem­plis à ras bord la coupe de cham­pagne, car en cette nuit de réjouis­sances et de joie, je veux noy­er la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est par­tie avec celle que mon amour n’a jamais su appréci­er.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pour­rai l’ou­bli­er, je vais m’enivr­er pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de cham­pagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trin­quons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aus­si, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et rem­plis à ras bord la coupe de cham­pagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su appréci­er.

Pour ceux qui dis­ent que le tan­go racon­te des his­toires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, par­le plutôt d’un repen­tir, repen­tir de ne pas avoir porté d’in­térêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En par­al­lèle de la détresse « théâ­trale » du con­teur, il y a eu aupar­a­vant la tristesse de la femme nég­ligée.
Le cham­pagne est le témoin de l’ami­tié, de la fête, mais aus­si de la tristesse. C’est un com­pagnon sup­plé­men­taire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siè­cle, depuis, pour le moins, que le tan­go s’est énivré du breuvage français dans les étab­lisse­ments parisiens au début du vingtième siè­cle.
Canaro est le com­pos­i­teur de la musique. Caru­so et Canaro furent amis, lorsque Caru­so fut de retour d’ex­il, vers 1910. Caru­so a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’é­mo­tion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beau­coup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le pre­mier à avoir enreg­istré le titre et il l’a fait à de nom­breuses repris­es. C’est lui qui com­mence la liste des ver­sions.

La últi­ma copa 1926 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

La plus anci­enne ver­sion enreg­istrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caru­so. Le son est médiocre, aus­si vous n’en­ten­drez pas ce titre en milon­ga. Mais ras­surez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres ver­sions de son cru… Je pense que l’en­reg­istrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La últi­ma copa 1927-03-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Irus­ta, l’an­née suiv­ante chante les paroles de Caru­so. C’est la pre­mière ver­sion chan­tée et l’en­reg­istrement élec­trique rend le titre plus agréable à écouter.

La últi­ma copa 1927-06-14 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Une ver­sion en chan­son. On la com­par­era avec celle d’Héc­tor Mau­ré de 1954.

La últi­ma copa 1931-04-22 — con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une ver­sion chan­son du thème.

La últi­ma copa 1931-05-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

Une ver­sion de danse, chan­tée par Char­lo, chanteur de .

La últi­ma copa 1943-04-29 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo. C’est le tan­go du jour.
La últi­ma copa 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

Une très belle ver­sion, mais pas for­cé­ment par­faite pour la danse. Les danseurs pour­raient toute­fois par­don­ner cela au DJ, car elle est superbe.

La últi­ma copa 1948 — Orques­ta Luis Rafael Caru­so con Julio Sosa. .

Une ver­sion orig­i­nale en valse. Sosa avait gag­né un prix en Uruguay qui con­sis­tait à enreg­istr­er des dis­ques. Le son n’est pas par­fait, mais cette ver­sion orig­i­nale mérite l’é­coute, voire la danse.

La últi­ma copa 1953-10-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.

Comme sou­vent, la ren­con­tre Pugliese et Morán, donne un tan­go un peu déli­cat à danser. Cer­tains appré­cient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La últi­ma copa 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de gui­tar­ras.

Mau­ré reprend la tra­di­tion gardéli­enne. Le résul­tat est à com­par­er avec celui de son mod­èle.

La últi­ma copa 1956-09-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Guiller­mo Rico (Coral).

Une ver­sion dans­able avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milon­gas.

La últi­ma copa 1957-05-20 — con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Avec ce sep­tième enreg­istrement, Canaro a fait le tour. Ici une ver­sion à écouter par Dal­va de Oliveira, à com­par­er avec celle d’A­da Fal­cón enreg­istrée 26 ans plus tôt.

La últi­ma copa 1958-04-17 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con .

Un De Ange­lis et Godoy clas­sique. Bien dans­able, enreg­istré par l’orchestre des cale­si­tas.

La últi­ma copa 1965 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héc­tor Gagliar­di.

Une ver­sion sans doute plus pour l’é­coute que pour la danse, mais intéres­sante

La últi­ma copa 1966-03-11 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Mario Bus­tos.

L’orchestre sert bien la voix de Bus­tos. Je ne pro­poserai pas pour la danse, mais c’est intéres­sant.

La últi­ma copa 1968-10-18 — con .

Le Sex­te­to Tan­go héri­ti­er de Pugliese donne sa ver­sion sans renier son mod­èle. Voir N… N…. Une ver­sion pour l’é­coute avec une belle intro, une car­ac­téris­tique de cet orchestre.

La últi­ma copa 1974 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien dif­férente de celle de Mario Bus­tos. Je pense cette ver­sion moins intéres­sante que la précé­dente de Sas­sone.

La últi­ma copa 1987 — Los Solis­tas de D’Arien­zo dir. par Car­los Laz­zari con Wal­ter Gutiér­rez.

Sou­vent présen­té comme étant un enreg­istrement de D’Arien­zo, c’est en fait un enreg­istrement réal­isé par ses solistes dirigés par Laz­zari, qui était un de ses ban­donéon­istes et arrangeur, 11 après la mort du chef his­torique. Une ver­sion tonique, mais plus dans le style chan­son que tan­go chan­té. Cepen­dant, elle est dans­able, même si ce titre ne porte vrai­ment l’im­pro­vi­sa­tion.

La últi­ma copa 2003 — Orques­ta Man­cifes­ta con Miguel Ángel Her­rera.

Cet orchestre a com­mencé sa car­rière à la fin de la vague Tan­go (1953). On lui doit cepen­dant des enreg­istrements intéres­sants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’en­reg­istrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milon­ga, mérit­erait d’être plus enten­du, même s’il n’est pas à la hau­teur des plus grands orchestres. N’ou­blions pas que cer­tains danseurs aiment être sur­pris par des ver­sions incon­nues.