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Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) — Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico)

Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío

En Europe, il y a une éton­nante cou­tume qui con­siste à danser la milon­ga sur n’importe quel rythme ; Chamame, pol­ka et même fox-trot. Il est prob­a­ble que cette cou­tume vient d’une mécon­nais­sance par cer­tains DJ de la var­iété des orchestres de tan­go qui pour beau­coup ont enreg­istrée, out­re des tan­gos (valses et milon­gas), des titres de Jazz (par exem­ple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont pro­posé ces airs, pen­sant qu’il s’agissait de milon­gas. Comme les danseurs n’étaient pas très fam­i­liers avec le rythme de la milon­ga, ils ont rebon­di sur la propo­si­tion et, désor­mais, c’est devenu une habi­tude bien ancrée que de danser ces dans­es dans un sim­u­lacre de milon­ga.
Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dom­mage de s’en pass­er. Alors, même si vous la dansez en « milon­ga », le prin­ci­pal est de se faire plaisir.
Le plus con­nu des fox-trots util­isés comme milon­ga est sans doute La cole­giala de Rodriguez, notam­ment la ver­sion du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins con­nu, mais assez sym­pa­thique, comme vous allez pou­voir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milon­ga for­mi­da­ble, mais assuré­ment un excel­lent fox-trot…

Extrait musical

Me vuelves loco (You’re dri­ving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) — Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Alber­to Gómez (Nico).
Par­ti­tion de Me vuelves loco des édi­tions Julio Korn à gauche et de You’re dri­ving me crazy (What did I do?) à droite des édi­tions Fran­cis Day & Hunter.

Paroles

Pour une fois, je ne vais pas explor­er les paroles, car chaque ver­sion est dif­férente et je vais donc présen­ter seule­ment quelques extraits.
Pour com­mencer, le titre d’origine.

Paroles en anglais

You’re Dri­ving Me Crazy (What Did I Do?)

You left me sad and lone­ly
Why did you leave me lone­ly
For here’s a heart that’s only
For nobody but you
I’m burn­ing like a flame, dear
Oh, I’ll nev­er be the same, dear
I’ll always place the blame, dear
On nobody but you
Yes, you, you’re dri­ving me crazy
What did I do? What did I do?
My tears for you make every­thing hazy
Cloud­ing the skies of blue
How true were the friends who were near me
To cheer me, believe me, they knew
But you were the kind who would hurt me
Desert me when I need­ed you
Yes, you, you’re dri­ving me crazy
What did I do to you
Wal­ter Don­ald­son

Traduction libre de la version originale en anglais

Tu m’as lais­sé triste et seul
Pourquoi m’as-tu lais­sé seul
Car voici un cœur qui n’est
Pour per­son­ne d’autre que vous
Je brûle comme une flamme, ma chère
Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère
Je met­trai tou­jours le blâme, ma chère
Sur per­son­ne d’autre que vous
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Mes larmes pour toi ren­dent tout brumeux
Met­tant des nuages dans le ciel bleu
Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères
Pour m’en­cour­ager, crois-moi, ils savaient
Mais tu étais du genre à me faire du mal
Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Quelques extraits des différentes versions en espagnol

Les paroles de Fran­cis­co Anto­nio Lío ont été, comme tou­jours, util­isées en par­tie par les orchestres. N’ayant pas trou­vé de ver­sion imprimée, je vous pro­pose des bribes extraites des dif­férentes ver­sions.

Me vuelves loco nena, con tus capri­chos vanos.
Tienes que ser más bue­na para mi corazón. […]
Bien sabes que te quiero y en cam­bio tú, queri­da _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devo­ción. […]
Loco de tan­to ado­rarte nena, ya estoy por ti. […]
Por ti estoy trastor­na­do y no hay razón para sufrir
Por tu des­dén tan­tas desven­turas hay dime que si mi amor el car­iño que yo te pro­fe­so es dicha y pasión
Mi afán es amarte con loco embe­le­so y devo­ción
Loco de tan­to ado­rarte nena ya estoy por ti.

Wal­ter Don­ald­son Letra: Fran­cis­co Anto­nio Lío

Traduction libre des extraits en espagnol

Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices.
Tu devrais être plus gen­tille avec mon cœur.
Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine.
Tout mon empresse­ment est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévo­tion.
Fou de t’ador­er autant bébé, je le suis déjà pour toi.
Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de rai­son de souf­frir.
Par ton dédain il y a tant de mal­heurs dis-moi que si mon amour, l’af­fec­tion que je pro­fesse pour toi est joie et pas­sion.
Mon empresse­ment est de t’aimer avec un fou ravisse­ment et de la dévo­tion.
Fou de tant t’ador­er bébé, je le suis déjà pour toi.

°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas iden­ti­fiés.

Autres versions

En 1930 Wal­ter Don­ald­son com­pose et écrit les paroles de You’re dri­ving me crazy qui sera dan­sé et inter­prété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musi­cale « Smiles ».
Le titre est un suc­cès et est repris par dif­férents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nom­breuses ver­sions de ce fox-trot qui est con­nu sous dif­férents noms, tra­duc­tion plus ou moins approx­i­ma­tive de You’re dri­ving me crazy.

Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Pho­to de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musi­cale de Flo­renz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.
You’re dri­ving me crazy 1930 — The New York Twelve.
You’re dri­ving me crazy (What did I do) 1930 — Lee Morse.

What did I do qui est répété trois fois dans la ver­sion anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.

You’re dri­ving me crazy! 1930-12-23 — Louis Arm­strong and His Sebas­t­ian New Cot­ton Club Orches­tra avec Les Hite’s Orches­tra.

L’enregistrement a été réal­isé à Los Ange­les le 23 décem­bre 1930 en réu­nis­sant l’orchestre de Louis Arm­strong et celui de Les Hite. Jugez de la qual­ité des musi­ciens qui com­posent ce grand orchestre de jazz.
Ban­jo : Bill Perkins
Basse : Joe Bai­ley
Per­cus­sion : Lionel Hamp­ton
Gui­tare : Bill Perkins
Piano : Jim­mie Prince
Direc­tion de l’orchestre et sax­o­phone alto et bary­ton : Les Hite
Sax­o­phone alto : Mar­vin John­son
Sax­o­phone Tenor: Char­lie Jones
Trom­bone : Luther “Son­ny” Craven
Trompette : George Oren­dorf
Trompette : Harold Scott
Trompette et chant : Louis Arm­strong

You’re dri­ving me crazy de Luis Arm­strong enreg­istré à Los Ange­les, 23 Décem­bre 1930. Édi­tion anglaise chez Par­lophone.

En 1931, le titre qui est un suc­cès en Argen­tine, est enreg­istré par dif­férents orchestres, avec des paroles de Fran­cis­co Anto­nio Lío.

Me vuelves loco (You’re dri­ving me crazy) 1931-11-02 — Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Alber­to Gómez (Nico). C’est notre Fox­trot du jour.
Me estas enlo­que­cien­do 1931-11-17 — Osval­do Frese­do con Car­los Viván.
Me vuelves loco (You’re dri­ving me crazy) 1931-11-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.
Me vuelves loco 1931-11-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo (qui n’est pas men­tion­né sur le disque…)
Me estás enlo­que­cien­do 1932 — Sex­te­to Car­los Di Sar­li con Mer­cedes Carné.

Même Di Sar­li a enreg­istré des fox-trots…

Me vuelves loco — Fran­cis­co Canaro et Aldo Mai­et­ti.

Aldo Mai­et­ti est le représen­tant du tan­go ital­ien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enreg­istrement de 1932 les réu­nit pour une ver­sion instru­men­tale.

Aldo Mai­et­ti surnom­mé El rey del tan­go ital­iano a com­posé plusieurs cen­taines de tan­gos qui ont été inter­prétés, par exem­ple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trom­bet­ta. Par­mi ses com­po­si­tions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas con­fon­dre avec le tan­go de même nom com­posé par Vicente Gre­co avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milon­ga de Anto­nio Poli­to avec des paroles de Fran­cis­co Laino, Ami­co tan­go, Canaria, Lagri­mas per­di­das et Tris­teza en la pam­pa.

Par­mi ses com­po­si­tions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas con­fon­dre avec le tan­go de même nom com­posé par Vicente Gre­co avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milon­ga de Anto­nio Poli­to avec des paroles de Fran­cis­co Laino, Ami­co tan­go, Canaria, Lagri­mas per­di­das et Tris­teza en la pam­pa.

Le jazz

En Argen­tine, le jazz a ren­con­tré égale­ment du suc­cès, même si l’explosion du tan­go l’a estom­pé.
Dans les bals, il y avait sou­vent deux orchestres. Un pour le tan­go et un pour le jazz. Cer­tains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Cara­bel­li, Canaro, Frese­do, Rodriguez et bien d’autres.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. On voit que, pour presque tous les événe­ments, en plus de l’orchestre de tan­go (entouré), il y a le nom d’un sec­ond orchestre, un orchestre de jazz.

Les années folles ont don­né nais­sance au jazz et au tan­go, gen­res qui trou­veront leur plein développe­ment dans les années 30–40.
Le fox-trot est une danse de cou­ple. Con­traire­ment au tan­go, il y a peu d’improvisation et les déplace­ments sont cod­i­fiés. Cela pour­rait ren­dre la danse un peu monot­o­ne, mais la musique est si entraî­nante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant.
Voici un exem­ple, un peu atyp­ique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage sué­dois Tan­go-Fox­trot de 1930. On y voit deux danseurs, Bri­ta Appel­gren et Mis­ter Alber­to le danser avec la musique de Helge Lind­berg et son orchestre (Helge Lindberg’s Poly­fonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraand­stad.
C’est un des nom­breux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.

Extrait du court-métrage sué­dois Tan­go-Fox­trot de 1930. On y voit deux danseurs, Bri­ta Appel­gren et Mis­ter Alber­to, le danser avec la musique de Helge Lind­berg et son orchestre (Helge Lindberg’s Poly­fonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraand­stad.

La prochaine fois que vous enten­drez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot…
À bien­tôt, les amis.

Les styles du tango

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944.

Il sem­ble que tout a été dit sur les styles de tan­go. Je vous pro­pose cepen­dant un petit point, vu essen­tielle­ment sur l’aspect du tan­go de danse.

Ce qu’il con­vient de pren­dre en compte, c’est que les péri­odes générale­ment admis­es sont en fait toutes rel­a­tives.

Les orchestres ont, selon les cas, con­tin­ué un style qui leur réus­sis­sait au-delà d’autres orchestres et a con­trario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remet­tant en avant des élé­ments dis­parus depuis plusieurs décen­nies.

On peut donc avoir deux enreg­istrements con­tem­po­rains appar­tenant à des courants forts dif­férents. C’est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble à par­tir des années 50, où la baisse de la pra­tique de danse a incité les orchestres à dévelop­per de nou­veaux hori­zons, sou­vent en réchauf­fant des plats plus anciens.

Les origines (avant le tango)

Il ne s’agit pas ici de tranch­er dans un des nom­breux débats entre spé­cial­istes des orig­ines. Du strict point de vue de la danse, les pre­miers tan­gos sont proche du style habanero et par con­séquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il con­vient de trou­ver la forme de danse.

La habanera

Vous con­nais­sez ce rythme. DaaaTa­daTaDaaa

Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les bar­res rouges (croches pointées) cor­re­spon­dent à 3 unités tem­porelles rel­a­tives (dou­ble croche), les bar­res bleues à une unité tem­porelle (dou­ble croche) et les bar­res vertes à deux unités tem­porelles (croche). Les bar­res sont donc pro­por­tion­nelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela sig­ni­fie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux bar­res ver­ti­cales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les dou­bles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous con­nais­sez la lec­ture du rythme en musique (ou pas…).
Rythme de la habanera au piano. retrou­vez le DaaaTa­daTaDaaa…

La habanera porte ce nom, car c’est une resti­tu­tion d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a com­posé El arregli­to (le petit arrange­ment) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rap­pel­er quelque chose.

Axiv­il Criol­lo — El Arregli­to — Com­pos­i­teur Sebastián de Iradier vers 1840.

Avez-vous trou­vé ?

Oui, vous avez trou­vé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.

Tere­sa Bergan­za chante la Habanera de Car­men de Bizet (le copieur 😉

Ce rythme, très présent dans les pre­miers tan­gos, est devenu plus dis­cret, sauf pour les milon­gas qui l’ont large­ment exploité.

Dans la milon­ga criol­la (ici par l’orchestre de Fran­cis­co Canaro 1936-10-06), on recon­nait par­faite­ment le rythme de la habanera qui a été accélérée et est dev­enue une des pier­res de con­struc­tion des milon­gas.

Lorsque le tan­go de danse a per­du de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes tra­di­tion­nelles, au point que les com­pos­i­teurs l’on réin­tro­duit très large­ment.

Autres apports

En par­al­lèle, des formes chan­tées, notam­ment par les payadors et des dans­es, tra­di­tion­nelles, voire trib­ales, ont influ­encé ces prémices, don­nant une grande richesse à ce qui devien­dra le tan­go, notam­ment à tra­vers ses trois formes dan­sées, le tan­go, la milon­ga et la valse.

Les payadors

On lit par­fois que Gardel était un payador. Cepen­dant, même s’il était ami de José Bet­tinot­ti, il n’a pas été directe­ment l’un de ces chanteurs qui s’ac­com­pa­g­naient à la gui­tare en impro­visant. Cepen­dant, l’influence des payadors est indé­ni­able pour le tan­go, comme vous pou­vez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’ha­banera pour­rait s’ap­procher d’une milon­ga lente ou d’un canyengue.

José Bet­tinot­ti, El cabrero cir­ca 1913

Exemple d’influence africaine

Par­mi les sources, on met en avant des orig­ines africaines. Même si l’Ar­gen­tine n’a pas été une terre d’esclavage très mar­quée, con­traire­ment à beau­coup d’autres payés du con­ti­nent améri­cain, il y a eu une com­mu­nauté d’o­rig­ine africaine rel­a­tive­ment impor­tante au XIXe siè­cle. Celle-ci s’est atténuée par l’émi­gra­tion, les mariages avec des pop­u­la­tions d’autre orig­ines et quelques faits guer­ri­ers où ils ont servi de chair à canon.

Même si l’Ar­gen­tine a absorbé des élé­ments, c’est plutôt la province de l’Est, l’U­ruguay qui a le plus été influ­encé par ces musiques, notam­ment les per­cus­sions.

Can­dombe solo para Uruguayos — Hugo Fat­toru­so — “Cam­i­nan­do” , Toma de Sonido Dario Ribeiro

Le can­dombe et la milon­ga can­dombe se retrou­vent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Car­los Cacéres relance la mode.

Siga el baile 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dirigé par Ángel Con­der­curi.

La dénom­i­na­tion “tan­go” est sou­vent asso­ciée à la défor­ma­tion de “tam­bo” et désig­nait des lieux ou la com­mu­nauté noire dan­sait. Il faut voir un juge­ment négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu syn­onyme de bam­boche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’é­tait pas issue des Africains a hérité de ce voca­ble péjo­ratif, lorsque le tan­go s’est dévelop­pé dans les bor­dels et autres lieux choquants pour la bonne société.

Les origines européennes

L’im­mi­gra­tion européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criol­lo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adop­té des valses vien­nois­es.

Pour la milon­ga, c”est un peu moins évi­dent de retrou­ver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde lati­noaméri­cain ont favorisé sa dif­fu­sion. La habanera sym­bol­i­sait le marin pour l’Eu­rope. La milon­ga, on devrait même écrire les milon­gas sont une sal­sa, un mélange d’in­flu­ences.

Les débuts du tan­go dans les faubourgs et les milieux inter­lopes ont con­duit celui-ci à des formes assez pop­u­laires, voire out­rées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en total­ité.

La naissance européenne

Dis­ons-le, tout bon­nement, ce tan­go d’avant le tan­go n’est pas au sens strict du tan­go. À cela se rajoute que les rares enreg­istrements de l’époque ont été réal­isés par voie acous­tique et qu’ils ne sont donc pas du tout adap­tés à nos oreilles con­tem­po­raines.

Voir les pro­grès de l’en­reg­istrement pour plus d’in­for­ma­tions sur l’en­reg­istrement acous­tique.

Vu les lieux où le tan­go était joué et mal­gré la fréquen­ta­tion par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tan­go ne s’est pas fait une place impor­tante en Argen­tine avant d’ac­quérir ses let­tres de noblesse en Europe et notam­ment en France.
Il y a une théorie dif­férente qui se base sur un film réal­isé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le prob­lème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrou­vé. Un film est con­sid­éré par cer­tains comme le film de Py qui aurait été retrou­vé.

Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pra­ti­quer une forme de tan­go. Ce film est par­fois qual­i­fié de pre­mier film de tan­go qui cor­re­spondrait à un film enreg­istré en 1900 par Eugène Py. La qual­ité de l’im­age, le vête­ment de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les par­ti­sans de l’at­tri­bu­tion à Eugène Py indique que le film orig­i­nal a été réal­isé en extérieur, sur la ter­rasse de l’en­tre­prise Casa Lep­age À Buenos Aires. On peut voir qu’i­ci, il s’ag­it d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela sem­ble un peu exagéré pour ce type de film. En admet­tant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aus­si, pourquoi servi­raient-ils de fig­u­rants ? Il est plus sim­ple d’imag­in­er que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’a­gir de danseurs fig­u­rants. Si le film est de 1920, il peut s’a­gir de per­son­nes plus for­tunées qui présen­tent leurs per­for­mances de danse. Je pro­pose donc de rester sur les témoignages écrits et nom­breux et de ne pas suiv­re l’hy­pothèse qui ferait de ce film la preuve que le tan­go était dan­sé dans la haute société dès 1900.

Le style du tango, avant le tango… (Prototango)

Avant 1926, date des pre­miers enreg­istrements élec­triques, pas d’enregistrements util­is­ables en danse.

Argañaraz — Orques­ta Típi­ca Criol­la Alfre­do Gob­bi (1913)

Comme vous pou­vez vous en ren­dre compte, le style som­maire et monot­o­ne de la musique est ren­for­cé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavil­lon puisse graver le sup­port d’enregistrement. On retrou­ve cepen­dant cer­tains élé­ments « Canyengue » que l’on con­naît par les enreg­istrements élec­triques.

Je vous pro­pose à titre d’exemple, Zor­ro gris un enreg­istrement élec­trique de 1927 par Fran­cis­co Canaro.

Zor­ro gris 1927-08-22, Fran­cis­co Canaro (enreg­istrement élec­trique).

La vieille garde (Guardia vieja)

Gob­bi et Canaro, dans la pre­mière par­tie de leur car­rière, sont des représen­tants de ce que l’on a nom­mé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes dif­férents avaient vu le jour. Se détachant pro­gres­sive­ment du style clau­di­cant du canyengue, les orchestres aban­don­nent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue devi­en­nent des milon­gas, comme par exem­ple : Milon­ga de mis amores, ici dans la ver­sion de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-05-26, Fran­cis­co Canaro

con­traire­ment à la ver­sion de la même année par Pedro Lau­renz :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-07-14, Pedro Lau­renz can­ta Héc­tor Far­rel

Ou celle du même de 1944 :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1944-01-14, Pedro Lau­renz

Des orchestres anciens évolu­ent, comme Di Sar­li ou d’Arien­zo, notam­ment à l’ar­rivée de Bia­gi dans l’orchestre et on arrive à la grande péri­ode du tan­go, l’âge d’or.

L’âge d’or (Edad de oro)

C’est la péri­ode con­sid­érée comme la plus adap­tée au tan­go de danse. C’est logique, car à l’époque, le tan­go était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se pro­dui­saient.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. En rouge, les 4 piliers se pro­duisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de sec­ond plan, tout à fait dans­ables et en vert, des orchestres un peu moins per­ti­nents pour la danse.

On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musi­ciens jouaient ensem­ble plusieurs fois par semaine et il y avait un cli­mat d’émulation pour ne pas dire de com­péti­tion entre les orchestres.

On remar­quera qu’en face de cha­cun des orchestres de tan­go, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des gen­res var­iés et les orchestres se spé­cial­i­saient.

Cer­tains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui per­me­t­tait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuiv­res dans son orchestre de tan­go, il jouait donc de la lim­ite entre les deux for­ma­tions. Vous avez pu écouter cela dans l’ex­trait de Milon­ga de mis amores, ci-dessus.

Chaque orchestre se dis­tin­guait par un style pro­pre. Cer­tains étaient plus intel­lectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus roman­tiques, comme Di Sar­li ou Frese­do et d’autres plus urbains, comme Troi­lo.

Aujourd’hui, dans les milon­gas, le DJ s’arrange pour pro­pos­er ces qua­tre ori­en­ta­tions pour éviter la monot­o­nie et con­tenter les dif­férentes sen­si­bil­ités des danseurs.

Même si la pro­duc­tion de l’époque est essen­tielle­ment tournée vers la danse, il y a égale­ment une pro­duc­tion pour l’écoute.

Sur les dis­ques de l’époque, il est facile de faire la dif­férence, notam­ment pour les tan­gos avec chanteur. En effet, un tan­go à danser est indiqué : Nom de l’orchestre can­ta ou estri­bil­lo can­ta­do por Nom du chanteur. Un tan­go à écouter est indiqué Nom du chanteur y su orques­ta dirigi­do por ou con (avec) Nom de l’orchestre.

Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui con­cerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il con­vient seule­ment de savoir recon­naître le tan­go de danse et de savoir appréci­er les dif­férences de style entre les orchestres.

Pour les DJ, il est impor­tant de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est sou­vent moins grave de mélanger deux orchestres enreg­istrés à la même époque que de mélanger deux enreg­istrements d’époques styl­is­tique­ment dif­férentes du même orchestre.

Tango Nuevo

C’est celui ini­tié par De Caro, repris ensuite par Troi­lo, Pugliese et Piaz­zol­la, par exem­ple. Il est encore très vivant, notam­ment chez les orchestres de con­cert.

À not­er que Pugliese et Troi­lo sont bien sûr des piliers du tan­go de bal et que leurs incur­sions nuevos, pas tou­jours pour la danse, ne doivent pas mas­quer leur impor­tance dans le bal tra­di­tion­nel.

N’oublions pas que Pugliese a aus­si bien enreg­istré du canyengue, que du tan­go clas­sique avant de faire du Nue­vo… Curieuse­ment, le tan­go dit nue­vo reprend sou­vent des motifs les plus anciens, notam­ment la habanera des tout pre­miers titres du XIXe siè­cle.

Tango Electronico

Style Gotan Project. Il se car­ac­térise prin­ci­pale­ment par une bat­terie et l’utilisation d’instruments élec­tron­iques. Curieuse­ment, il est par­fois assez proche, d’un point de vue ryth­mique, du tan­go musette qui est l’évolution européenne et notam­ment fran­co-ital­i­enne, du tan­go du début du XXe siè­cle.

Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répéti­tive et ne con­vient pas aux danseurs avancés. Cepen­dant, il faut recon­naître que cette musique a fait venir de nou­veaux adeptes au tan­go.

Tango alternatif (neotango)

Le tan­go alter­natif con­siste à danser avec des repères « tan­go » sur des musiques qui ne sont absol­u­ment pas conçues comme telles.

Par exem­ple, la Cole­giala de Ramirez est un tan­go alter­natif, puisqu’on le danse en “milon­ga” alors que c’est un fox-trot.

Cer­tains DJ européens pla­cent des zam­bas que les danseurs dansent en tan­go. Quel dom­mage quand on sait la beauté de la danse.

N’oublions pas la dynamique « néotan­go » qui con­siste à danser sur toute musique, chan­son, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des hori­zons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et per­met donc de marcher sur les temps.

Ce qui manque sou­vent à cette musique, c’est le sup­port à l’improvisation. On peut lui recon­naître une forme de créa­tiv­ité dans la mesure où elle per­met / oblige de sor­tir des repères et donc d’in­nover. Mais est-t-il vrai­ment pos­si­ble d’in­nover en tan­go ? C’est un autre débat.

Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse

Si on étudie un tan­go de l’âge d’or, on y décou­vri­ra plusieurs qual­ités favorisant la danse :

  • La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instru­ment (dont le chanteur), puis pass­er à un autre. On peut aus­si choisir de danser unique­ment la mar­ca­tion (tem­po). Les instru­ments se répon­dent. On peut ain­si se répar­tir les rôles avec les parte­naires en recon­sti­tu­ant le dia­logue en le dansant.
  • La musique se répète plusieurs fois, mais avec des vari­a­tions. Cela per­met de décou­vrir le tan­go au cas où il ne serait pas con­nu et la sec­onde fois, l’oreille est plus famil­ière et l’improvisation est plus con­fort­able. Cette reprise est en général dif­férente de la pre­mière expo­si­tion, mais reste tout à fait com­pa­ra­ble. Par exem­ple, la pre­mière fois le thème est joué au vio­lon ou au ban­donéon et la sec­onde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instru­ment. Si c’est le même instru­ment, il y aura de légères dif­férences dans l’orchestration qui ren­dra l’écoute moins monot­o­ne.
  • Les change­ments de rythme, phras­es, par­ties, sont annon­cés. Un danseur musi­cien ou exer­cé sait recon­naître les par­ties et peut « devin­er » ce qui va suiv­re, ce qui lui per­met d’improviser plus facile­ment sans dérouter sa parte­naire. Je devrais plutôt met­tre cela au pluriel, car les deux mem­bres du cou­ple par­ticipent à l’improvisation. Si la per­son­ne guidée a envie d’appuyer, de mar­quer un élé­ment qui va arriv­er, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alter­na­tives ou des musiques d’inspiration pus clas­siques, comme cer­taines com­po­si­tions de Piaz­zol­la » pro­posent sou­vent des sur­pris­es qui font qu’elles ne per­me­t­tent pas de devin­er la suite, ou au con­traire, sont telle­ment répéti­tives, que quand revient le même thème de façon iden­tique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nou­velles idées et finis­sent par tomber dans une rou­tine. Évidem­ment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se con­tentent de dérouler des choré­gra­phies ne ver­ront pas de dif­férences entre les dif­férents types de tan­go. Ceci explique le suc­cès des pra­tiques neotan­go auprès des débu­tants, même si ces bals ont aus­si du suc­cès auprès de danseurs plus affir­més. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la men­ace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tan­go…

Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?

Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde com­por­tent des titres sub­limes et très amu­sants ou intéres­sants à danser. Cer­tains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’af­filée sur ces rythmes. Cepen­dant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharp­er…

Quelques musiques mod­ernes don­nent des idées agréables à danser. Pour ma part, je pro­pose sou­vent une tan­da de valses « orig­i­nales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tan­gos tra­di­tion­nels et le besoin d’improvisation est moins impor­tant, car il s’agit surtout de… tourn­er.

Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechig­nent pas tou­jours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nom­breux danseurs. C’est donc un domaine à pro­pos­er aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont par­ti­c­ulière­ment nom­breux. C’est bien le signe que c’est tou­jours dans l’air du temps.

Pour ter­min­er, je pré­cise que je suis DJ et que par con­séquent, mon tra­vail est de ren­dre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sen­si­bil­ité.

Pour un DJ rési­dent, en revanche, il est impor­tant d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans cer­tains endroits, le DJ met tou­jours le même type de musique, pas for­cé­ment de la meilleure qual­ité pour la danse. Le prob­lème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.

L’innovation, c’est bien, mais il me sem­ble qu’il faut tou­jours garder un fond de cul­ture « authen­tique » pour que le tan­go reste du tan­go.