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Fumando espero 1927-07-21 – Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

On sait maintenant que fumer n'est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu'il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t'abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.

Extrait musical

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l'époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J'aime beaucoup les passages legato des violons.

Maintenant que vous l'avez écouté, nous allons entrer dans le vif d'un sujet un peu fumeux, tout d'abord avec des couvertures de partitions.

Fumando espero. Diverses partitions.

On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents…
Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925.
Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c'est une autre Pilar (Arcos) qui l'enregistrera à diverses reprises.
Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n'est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo.

Après les éditions espagnoles, voici celles d'Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique.
Felix Carso au lieu de Carzo pour l'édition brésilienne de 1927. L'éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos.
Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l'édition chilienne.
Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20-30)

La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l'enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es un placer
genial, sensual.
Fumando espero
al hombre a quien yo quiero,
tras los cristales
de alegres ventanales.
Mientras fumo,
mi vida no consumo
porque flotando el humo
me suelo adormecer…
Tendida en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solícito y galante,
sentir sus labios
besar con besos sabios,
y el devaneo
sentir con más deseos
cuando sus ojos veo,
sedientos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuelvo loca.
Corre que quiero enloquecer
de placer,
sintiendo ese calor
del humo embriagador
que acaba por prender
la llama ardiente del amor.

Mi egipcio es especial,
qué olor, señor.
Tras la batalla
en que el amor estalla,
un cigarrillo
es siempre un descansillo
y aunque parece
que el cuerpo languidece,
tras el cigarro crece
su fuerza, su vigor.
La hora de inquietud
con él, no es cruel,
sus espirales son sueños celestiales,
y forman nubes
que así a la gloria suben
y envuelta en ella,
su chispa es una estrella
que luce, clara y bella
con rápido fulgor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sensuel.
En fumant, j'attends l'homme que j'aime, derrière les vitres de fenêtres gaies.
Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d'éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion.
C'est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu'ainsi je devienne folle.
Cours, que j'ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l'amour.
Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur.
Après la bataille dans laquelle l'amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu'il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent.
L'heure de l'agitation avec lui n'est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s'élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d'elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d'un éblouissement rapide.
C'est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l'air dans les milongas.
La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l'atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages.
Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d'une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l'égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée…
Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu'il cite des marques et l'acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien.
Par ailleurs, l'auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de .

Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.
La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira.

La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.

J'imagine donc qu'il a choisi le thème sans besoin d'avoir une motivation financière…
D'autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d'autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cigarrillo 1930-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n'a pas fait cela pour de l'argent, j'ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…

En revanche, d'autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :

América (qui est une marque de cigarettes)
, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).

Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par en 1913.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l'utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D'Angelo…
Quoi qu'il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée…
Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…

Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.

Sello azul (qui est une marque de cigarettes).

Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…

Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d'œuvre de marketing de bas étage :

Couverture de la partition de Aprovechá la bolada – Fumá Caranchos de Francisco Bohigas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez.
Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto.
Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución.
Refrán:
Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón.
, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación.
Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor.
Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá.
Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará.
Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.

Francisco Bohigas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n'est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance.
Là où il y a de la vie, il y a de l'espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent.
Et ne ruine pas le palais d'illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu'elle rêve d'une voiture, d'une maison et d'autres trucs ; Je vais te donner la solution.
Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon.
Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos.
Fume des Caranchos, parce qu'à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser.
Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d'une maison qui sera un nid d'amour.
Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche.
Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner.
Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon.
On notera qu'il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d'un tirage au sort d'un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l'immense des tangos fait l'apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tanto daño,
tanto daño provocaste
a toda la humanidad.
Tantas vidas,
tantas vidas de muchacho
te fumaste… yo no sé.
Apagando mi amargura
en la borra del café
hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…

Cigarrillo…
compañero de esas noches,
de mujeres y champagne.
Muerte lenta…
cada faso de tabaco
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El tabaco es traicionero
te destruye el cuerpo entero
y te agrega más edad…
El tabaco es traicionero,
te destruye el cuerpo entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lindo !…
Ay, que lindo que la gente
comprendiera de una vez
lo difícil,
lo difícil que se hace,
hoy en día, el respirar.
Es el humo del cilindro
maquiavélico y rufián
que destruye tu tejido pulmonar

Pipo Cipolatti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l'humanité.
Tant de vies, tant de vies d'enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd'hui je te chante, cigarette, ma vérité…
Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne.
Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s'en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres.
Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t'ajoute plus d'âge…
Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd'hui.
C'est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire

Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d'un homme avec d'autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu'il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d'être bref et de n'apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage.
Ce que l'on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin…
Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tango (en fait un cuplé, c'est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona.
La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l'on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l'aurait enregistré en 1924, mais je n'ai pas ce disque. D'autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.

Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.

Ce disque Columbia No.2461-X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d'origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C'est une version instrumentale, un peu répétitive. L'avantage d'avoir enregistré à New-York est d'avoir bénéficié d'une meilleure qualité sonore, grâce à l'enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.

Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.

On est donc en présence d'un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n'est que le début des surprises.

Fumando Espero 1926-10-18 – Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional – Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional – Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l'enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fumando espero 1927-07-11 – Rosita Quiroga con orquesta.

Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d'origine.

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

C'est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l'orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.

Fumando espero 1927 – Sexteto .

Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.

Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta .

Une version un peu frustre à mon goût.

Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.

Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l'époque. Même si c'est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d'or.

Fumando espero 1927-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con .

Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d'autant plus qu'il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l'avons vu et écouté ci-dessus).

Fumando espero 1927-11-08 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Fumando espero 1927-11-17 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fumando espero 1927 – Pilar Arcos Acc. The Castilians.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

C'est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.

La source semble s'être tarie et l'on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.

Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fumando espero 1955-06-01 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.

Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C'est superbe et bien que ce type d'interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.

Fumando espero 1955-12-01 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.

L'Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.

Fumando espero 1956 – Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.

Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C'est Graciano Gómez qui a été chargé de l'accompagner. C'est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.

Fumando espero 1956 – Jorge Vidal con guitarras.

Une version tranquille, à la guitare.

Fumando espero 1956-02-03 – Orquesta con Argentino Ledesma.

Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs.

Fumando espero 1956-04-03 – Orquesta Alfredo De Angelis con .

J'aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C'est toutefois joli, mais je trouve qu'il manque un petit quelque chose…

Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos – José Basso C Floreal Ruiz.

Il s'agit d'un popurrí, c'est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j'ai choisi de l'insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l'ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).

Fumando espero 1956-04-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.

On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L'introduction est différente et l'orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n'a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c'est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n'est pas indispensable d'inclure une de ces versions dans une milonga…

Fumando espero 1956 – Los Señores Del Tango C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta –  Dir.Victor-Buchino. L'accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.

Fumando espero 1957 – y Orquesta Luis Caruso.
Fumando espero 1957 – Imperio Argentina.

Si Imperio Argentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l'Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.

C'est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.

Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez reconnu l'illustration de couverture. J'ai modifié l'ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l'ami).

El bajel 1948-06-24 – Orquesta Osmar Maderna

Francisco De Caro; Julio De Caro

Le bateau à voiles, el bajel et ses compagnons plus tardifs à charbon, ont été les instruments de la découverte des Amériques par les Européens. Notre tango du jour lui rend hommage. C'est un tango plutôt rare, écrit par deux des frères De Caro. Si les deux sont nés à , leurs parents José De Caro et Mariana Ricciardi sont nés en Italie et donc venus en bateau. Mais peut-être ne savez-vous pas qu'on vous mène en bateau quand on vous vante les qualités de compositeur et de novateur de Julio De Caro. Nous allons lever le voile et hisser les voiles pour nous lancer à a découverte de notre tango du jour.

Ce week-end, j'ai animé une milonga organisée par un capitaine de bateau. Je lui dédie cette anecdote. Michel, c'est pour toi et pour Delphine, que vous puissiez voguer, comme les pionniers à la rencontre des merveilles que recèlent la mer et les terres lointaines au compas y al compás de un tango.

Sexteto de Julio De Caro vers 1927.

Au premier plan à gauche, Émilio de Caro au violon, Armando Blasco, bandonéon, Vincent Sciarretta, Contrebasse, Francisco De Caro, piano; Julio De Caro, violin à Cornet et Pedro Laurenz au bandonéon. Emilio est le plus jeune et Francisco le plus âgé des trois frères présents dans le sexteto. Julio avec son violon à cornet domine l'orchestre

Extrait musical

Partition de El bajel signée Francisco et Julio De Caro… Notez qu'il est désigné par le terme “Tango de Salon » et qu'il est dédicacé à Pedro Maffia et Luis Consenza.
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna.

Ce n'est assurément pas un tango de danse. Il est d'ailleurs annoncé comme tango de salon. Contrairement aux tangos de danse où la structure est claire, par exemple du type A+B, ou A+A+B ou autre, ici, on est devant un déploiement musical comme on en trouve en musique classique. Pour des , il manque le repère de la première annonce du thème, puis celle de la reprise. Ici, le développement est continu et donc il est impossible de deviner ce qui va suivre, sauf à connaître déjà l'œuvre.
C'est une des caractéristiques qui permet de montrer que la part de Francisco et bien plus grande que celle de son petit frère dans l'affaire, ce dernier étant plus traditionnel, comme nous le verrons ci-dessous, par exemple dans le tango 1937 qui est de conception « normale ». Entrée musicale, chanteur qui reprend le thème avec le refrain…

Autres versions

El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C'est notre tango du jour.
El bajel au piano. C'est un enregistrement de la radio, la qualité est médiocre et de plus, le public était enrhumé.
El bajel — Horacio Salgán (piano) et Ubaldo De Lío (guitare). Une version de bonne qualité sonore avec en plus la guitare de Ubaldo De Lío.
El bajel 2013 — Orquesta Típica Sans Souci.

L'orchestre Sans Souci sort de sa zone de confort qui est de jouer dans le style de Miguel Caló. Le résultat fait que c'est le seul tango de notre sélection qui soit à peu près dansable. On notera en fin de musique, le petit chapelet de notes qui est la signature de Miguel Caló, mais que l'on avait également dans l'enregistrement de Maderna…

El bajel 2007 — Trio Peter Breiner, Boris Lenko y Stano Palúch.

Une version tirant fortement du côté de la musique classique. Mais c'est une tendance de beaucoup de musiciens que de tirer vers le classique qu'ils trouvent parfois plus intéressant à jouer que les arrangements plus sommaires du tango de bal.

Julio ou Francisco ?

Si le prénom de Julio a été retenu dans les histoires de tango, c'est qu'il était, comme Canaro, un entrepreneur, un homme d'affaires qui savait faire marcher sa boutique et se mettre en avant. Son frère Francisco, aîné d'un an, n'avait pas ce talent et est resté toute sa vie au second plan, malgré ses qualités exceptionnelles de pianiste et compositeur. Il a failli créer un sexteto avec Clausi, mais le projet n'a pas abouti, justement, par manque de capacité entrepreneuriale. Nous évoquerons en fin d'article un autre sexteto dont il est à l'origine, sans lui avoir donné son prénom.
En tango comme ailleurs, ce n'est pas tout que de bien faire, encore faut-il le faire savoir. C'est dommage, mais ceux qui tirent les marrons du feu ne sont pas toujours ceux qui les mangent.
Julio, était donc un homme avec un caractère plutôt fort et il savait mener sa barque, ou son bajel dans le cas présent. Il a su utiliser les talents de son grand frère pour faire marcher sa boutique.
Francisco est mort pauvre et Pedro Laurenz qui, comme Francisco a beaucoup donné à Julio, a aussi connu une fin économiquement difficile.
Julio a signé ou cosigné des titres avec Maffia, Francisco (son frère) et Laurenz, sans toujours faire la part des participations respectives, qui pouvaient être nulles dans certains cas, malgré son nom en vedette.
Par exemple ; El arranque, Boedo ou Tierra querida sont signés par Julio Caro alors qu'ils sont de Pedro Laurenz qui n'est même pas mentionné.

Sexteto De Caro – Julio de Caro (violoniste et directeur d'orchestre, (violoniste), Pedro Maffia (bandonéoniste), Leopoldo Thompson (contrebassiste), Francisco De Caro (pianiste), Pedro Laurenz (bandonéoniste).

Sur cette image tirée de la couverture d'une partition de La revancha de Pedro Laurenz on trouve l'équipe de compositeurs associée à Julio De Caro :

  • Emilio De Caro, le petit frère qui a composé une dizaine de titres joués par l'orchestre de Julio.
  • Francisco De Caro, le grand frère qui est probablement le compositeur principal de l'orchestre de Julio, que ce soit sous son nom, en collaboration de Julio ou comme compositeur « caché ».
  • Pedro Maffia, qui « donna » quelques titres à Julio quand il travaillait pour le sexteto
  • Pedro Laurenz, qui fut également un fournisseur de titres pour l'orchestre.
  • Je pourrais rajouter Ruperto Leopoldo Thompson (le contrebassiste) qui a donné Catita enregistré par l'orchestre de Julio de Caro en 1932. Contrairement aux compositions des frères de Julio, de Maffia et de Laurenz, c'est un tango traditionnel, pas du tout novateur.

Quelques indices proposés à l'écoute

Avancer que Julio De Caro n'est pas forcément la tête pensante de l'évolution decarienne, mérite tout de même quelques preuves. Je vous propose de le faire en musique. Voici quelques titres interprétés, quand ils existent, par l'orchestre de Julio de Caro pour ne pas fausser la comparaison… Vous en reconnaîtrez certains qui ont eu des versions prestigieuses, notamment par Pugliese.

Tangos écrits par Julio de Caro seul :

Viña del mar 1936-12-13 – Orquesta Julio De Caro con .

Après l'annonce, le thème qui sera repris ensuite par le chanteur, Pedro Lauga. Une composition classique de tango.

1937 (Mil novecientos treinta y siete) 1938-01-10 – Orquesta Julio de Caro con .

Le tango est encore composé de façon très traditionnelle, sans les innovations que son frère apporte, comme dans que vous pourrez entendre ci-dessous.

Ja, ja, ja 1951-06-01 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri. Des rires que l'on retrouvera dans Mala junta.

Je vous laisse méditer sur l'intérêt de ces enregistrements.

Attention, pour ces titres, comme pour les suivants, il ne s'agit pas de musique de danse. Ce n'est donc pas l'aune de la dansabilité qu'il faut les apprécier, mais plutôt sur leur apport à l'évolution du genre musical, ce qui permet de voir que l'apport de Julio dans ce sens n'est peut-être pas aussi important que ce qu'il est convenu de considérer.

Tangos cosignés avec Francisco De Caro (en réalité écrits par Francisco)

Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 — Orquesta Julio De Caro.

Si on considère que c'est un enregistrement de 1928, on mesure bien la modernité de cette composition. Pugliese l'enregistrera en 1944.

La mazorca 1931-01-07 — Orquesta Julio De Caro
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C'est notre tango du jour,

Tangos écrits seulement par Francisco De Caro

Sueño azul 1926-11-29 — Orquesta Julio De Caro.

On pensera à la magnifique version de Osvaldo Fresedo (celle de 1961, bien sûr, pas celle de 1937 écrite par Tibor Barczy (T. Baresi) avec des paroles de Tibor Barczy et Roberto Zerrillo et qu'a si merveilleusement interprété Roberto Ray.
La version de 1961 n'est pas pour la danse, c'est plutôt une œuvre « symphonique » et qui s'inscrit dans la lignée de Francisco De Caro, objet de mon article. Merci à Fred, TDJ, qui m'incite à donner cette précision que j'aurais dû faire, d'autant plus que l'univers de De Caro est souvent moins connu, voire méprisé par les danseurs.

Flores negras 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.

S'il fallait une seule preuve du talent de Francisco, je convoquerai à la barre ce titre. On peut entendre comment commence le titre, avec ces élans des cordes que l'on retrouvera chez Pugliese bien plus tard, tout comme les sols de pianos de Francisco seront ressuscités par Pugliese en son temps. La contrebasse de Thompson marque le compas, mais avec des éclipses, tout comme le fera Pugliese dans ces alternances de passages rythmées et d'autres glissés. Si vous faites attention, vous pourrez distinguer la différence entre le violon d'Emilio et celui de son grand frère Julio qui utilise encore le cornet de l'époque acoustique.
Cette différence de sonorité permet d'attribuer avec certitude les traits plus virtuoses à Emilio. Même si on n'est pas vraiment dans la danse, ce titre pourra curieusement plaire aux amateurs des tangos de Pugliese des années 50, ce qui démontre l'avancée de Francisco par rapport à ses contemporains.
Par rapport à notre tango du jour, il reste un peu de la structure traditionnelle, mais avec de telles variations que cela rendrait la tâche des danseurs très compliquée s'ils leur prenaient l'envie de le danser en improvisation.
Cette magnifique mélodie fait partie de la bande-son du film La puta y la ballena (2004). De Angelis, et Fresedo en ont des versions intéressantes et fort différentes. Celle de De Angelis est même tout à fait dansante.

Je rajoute un enregistrement de qualité très moyenne, mais qui est un excellent témoignage de l'admiration d'Osvaldo Pugliese pour Francisco De Caro.

Flores negras — Osvaldo Pugliese (solo de piano).

Encore une version enregistrée à la radio et avec un public enrhumé.

Loca bohemia 1928-09-14 — Orquesta Julio De Caro
Un 1930-01-08 Sexteto Julio De Caro.

Si on compare avec une composition de Julio, même plus tardive, comme Viña del mar (1936), on voit bien qui est le novateur des deux.

Tangos cosignés par Francisco De Caro et Pedro Laurenz

Esquelas 1932-04-07 — Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz

Tangos écrits par Pedro Laurenz et signés Julio De Caro

Tierra querida 1927-09-12 — Orquesta Julio De Caro
Boedo 1928-11-16 — Orquesta Julio De Caro
Boedo, une composition de Pedro Laurenz, signée Julio de Caro et interprété par son orchestre en novembre 1928.

Sur les disques, c'est le nom de l'orchestre qui prime. S'il c'étaiSur les disques, c'est le nom de l'orchestre qui prime. S'il c'était appelé Hermanos De Caro ou tout simplement De Caro, peut-être que la contribution majeure de Francisco De Caro serait plus connue aujourd'hui. Sur le disque, seul le nom de Julio De Caro apparaît pour la composition, alors que c'est une œuvre de Pedro Laurenz. On comprend qu'à un moment ce dernier ait également quitté l'orchestre.

El arranque 1934-01-04 — Orquesta Julio De Caro

Tango cosigné avec Pedro Laurenz (avec apports de Laurenz majoritaires, voire totaux)

Orgullo criollo 1928-09-17 — Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro

Tangos cosignés avec Pedro Maffia (en réalité écrits par Maffia)

Chiclana 1936-12-15 — Quinteto Los Virtuosos.

Quinteto Los Virtuosos (Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro et Elvino Vardaro (violon)

Tiny 1945-12-18 Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas de version enregistrée par Julio de Caro.

Tangos co-écrits avec Maffia et Laurenz mais signés par Julio de Caro

Buen amigo 1925-05-12 — Orquesta Julio De Caro.

On pensera aux versions de Troilo ou Pugliese pour se rendre compte de la modernité de la composition de Maffia et Laurenz. L'enregistrement acoustique rend toutefois difficile l'appréciation de la subtilité de la composition.

Photographiés en 1927, de gauche à droite : Francisco De Caro, Manlio Francia, Julio De Caro et Pedro Laurenz.

Le violoniste Manlio Francia composa deux tangos qui furent joués par l'orchestre de Julio De Carro, Fantasias (1929) et Pasionaria (1927).

Mais alors, pourquoi on parle de Julio et pas de Francisco ?

J'ai évoqué la personnalité forte de Julio. En fait, l'orchestre initial a été formé par Francisco qui a demandé à ses deux frères de se joindre à son sexteto, en décembre 1923. Le succès aidant, l'orchestre a obtenu différents contrats permettant à l'orchestre de grossir, notamment pour le carnaval (oui, encore le carnaval) jusqu'à devenir une composition monstrueuse d'une vingtaine de musiciens. Ceci explique que le sexteto est généralement appelé orquesta típica, même si ce terme est généralement réservé aux compositions ayant plus d'instrumentistes (bandonéonistes et violonistes).
Au départ, cet orchestre monté par Francisco n'ayant pas de nom, il s'annonçait juste « sous la direction de Julio De Caro. Mais un jour, dans une du club Vogue ou se produisait l'orchestre, l'orchestre était annoncé comme l'orchestre « Julio De Caro. Cela n'a pas plut à Maffia et Petrucelli qui décidèrent alors d'abandonner l'orchestre ne supportant plus le caractère, fort, de Julio et sa volonté de dominer.
Ceux qui connaissent les Daltons penseront sans doute à la personnalité de Joe Dalton pour la comparer à celle de Julio De Caro.

Joe, c'est assurément Julio. Francisco était-il Averell ?

Plus tard, Gabriel Clausi et Pedro Laurenz quitteront l'orchestre à cause du caractère de Julio. Ces derniers ont gardé des attaches avec Francisco et lorsque Osvaldo Pugliese s'est chargé de faire passer à la postérité l'héritage des frères De Caro, c'est à Francisco qu'il se référait.
Donc, ce qui était clair à l'époque, est un peu tombé dans l'oubli, notamment à cause des disques qui portent uniquement le nom de Julio De Caro, puisque tous les orchestres étaient à son nom, ce dernier ayant toujours refusé le partage, Maffia-De Caro ou De Caro-Laurenz, même pas en rêve pour lui.

Orchestre De Caro sur un bateau ?

Cette photo est en général étiquetée comme étant l'orchestre de Julio De Caro en route pour l'Europe en mars 1931. Cependant on reconnaît Thompson, mort en août 1925.
La photo est donc à dater entre 1924 et cette date si c'est l'orchestre De Caro.
Je propose de placer cette photo sur un bateau se rendant en Uruguay ou qui en revient. Julio de Caro avait, à diverses reprises, travaillé en Uruguay, avec Eduardo Arolas, Enrique Delfino et Minotto Di Cicco (dans l'orchestre duquel Francisco était pianiste).
Comme Thomson était avec Juan Carlos Cobián en 1923 et auparavant avec Osvaldo Fresedo, cela confirme que cette photo est au plus tôt de décembre 1923.
Lorsque Francisco du monter son orchestre (qui prit le prénom de son frère), il fit appel outre à ses frères, Emilio et Julio, à Thompson, (bandonéon) puis Pedro Láurenz en septembre 1924 Pedro Maffia (bandonéon) remplacé en 1926 par Armando Blasco et Alfredo Citro (violon). Il y a peu de photos des artistes en 1924 et les portraits que j'ai trouvés ne permettent pas de garantir les noms des autres personnes présentes.
Quoi qu'il en soit, je termine cette anecdote avec une photo prise sur un bateau, même si ce n'est probablement pas un bajel…

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros succès des encuentros milongueros. Mais les qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l'avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N'hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l'œuvre avec son bandonéon en fin d'article.

L'expression Araca la cana peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles.
Je vous propose d'écouter maintenant notre .

Extrait musical

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Paroles

¡Araca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engayolao.
Ojazos profundos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con brillos de acero que van a matar.
De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao.
¡Araca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he guapeao
yo que al bardo me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil vengo a ensartarme
en esta daga que va a matarme
si es pa' creer que es cosa'e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada

Traduction libre et indications

Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C'est un cri d'alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en prison)
Une paire d'yeux noirs m'a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d'acier qui vont tuer.
De peur, en les regardant, le cœur m'a manqué.
Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j'ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution.
Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m'embrocher sur ce poignard qui me tuera si c'est pour croire que c'est la chose de Dieu qu'au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous verrons les deux premières versions en fin d'article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C'est notre tango du jour.
Araca la cana 1933-06-12 – con acomp. de Guillermo Barbieri, , , Horacio Pettorossi (guitarras).

Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.

Araca la cana 1933-06-16 – Orquesta Francisco con .

Canaro n'est jamais en retard quand il s'agit d'enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l'influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.

Araca la cana 1951 – Edmundo Rivero con orquesta dir. por Victor M. Buchino.

Une version qui n'est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n'est pas une version de danse.

Bébé Troilo

Le film annoncé en début d'article, s'apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… . Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c'était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c'était mieux de mettre le cinéma au cœur de l'action.
C'est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l' de notre tango du jour par Fresedo et Ray.
Il a été dirigé par Enrique Telémaco Susini à partir d'un scénario de Arnaldo Malfatti et Nicolás de las Llanderas. L'extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, EL Conjunto Nacional Foccile Marafiotti. Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s'agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931).
Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l'équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre.
L'intrigue du film est autour des passions des enfants d'un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l'entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c'est le premier film parlant, mais c'est en fait le second, tango étant sorti la semaine d'avant.

Troilo, qui a donc l'honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d'une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l'âge d'or.
Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. , le pianiste s'entend, mais ne se voit pas.
Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l'auteur du tango du jour).
La naissance d'un tango, c'est aussi l'écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n'est pas joué par Mario Fernando Rada l'auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c'est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano.
Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c'est l'orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d'un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l'entreprise familiale.

Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.