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Princesa del fango 1951-05-11 — Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra : Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Nous avons décou­vert, à l’occasion de Porteña lin­da Rosi­ta, l’amour mal­heureux d’Hora­cio San­guinet­ti. Dans ce tan­go inter­prété par Julio Sosa, San­guinet­ti nous par­le d’elle et de son amour. Sortez vos mou­choirs.

Rosita

Rosi­ta, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coif­fés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de San­guineti. Mal­heureuse­ment, celle-ci est par­tie avec un autre, mais on peut trou­ver son por­trait en fil­igrane dans dif­férentes com­po­si­tions de San­guinet­ti et notam­ment dans Prince­sa del fan­go.
En effet, Rosi­ta était une tra­vailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ter­nit les âmes.

Rosi­ta, alias : Prince­sa del fan­go. Rosi­ta, que j’imagine un peu à la Evi­ta était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « mod­erne ».

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de Prince­sa del fan­go avec en cou­ver­ture, Franci­ni et Pon­tier.
Prince­sa del fan­go 1951-05-11 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au ser­vice de la nos­tal­gie triste de San­guinet­ti. Cette ver­sion qui est la seule enreg­istrée ne sera pas des­tinée à la danse, mais c’est une belle chan­son, émo­tion­nante.

Paroles

(recita­do)
Se alargan las graves caden­cias de un tan­go,
un mís­ti­co sop­lo recorre el salón…
Y rezan las tristes prince­sas del fan­go
ple­garias que se alzan des­de un ban­doneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, ami­ga,
el bel­lo topa­cio del mági­co alco­hol.
La sed que yo ten­go me que­ma la vida,
bebi­en­do des­cansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabel­lo, tu piel de azu­ce­na,
tu largo vesti­do de seda y de tul,
me ale­gran los ojos, me bor­ran las penas,
me envuel­ven el alma en un sueño azul.

Prince­sa del fan­go,
baile­mos un tan­go…
¿No ves que estoy triste,
que llo­ra mi voz?
Prince­sa del fan­go,
her­mosa y coque­ta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me sien­to esta noche más triste que nun­ca
me ron­da un oscuro fan­tas­ma de amor
por eso es que quiero matar su recuer­do
ahogan­do mi angus­tia, con tan­gos y alco­hol.
Yo sé que si miente tu boca pin­ta­da,
esconde un amar­go can­san­cio fatal.
Tu alma y mi alma están amar­radas
llo­ramos el mis­mo dolor de arra­bal.

Enrique Mario Franci­ni Letra: Hora­cio San­guinet­ti (Hora­cio Baster­ra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Réc­i­tatif)
Les cadences graves d’un tan­go s’allongent, un souf­fle mys­tique par­court la pièce…
Et les tristes princess­es de la boue réci­tent des prières qui s’élèvent d’un ban­donéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool mag­ique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouis­sent mes yeux, effacent mes peines, envelop­pent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dan­sons un tan­go…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un som­bre fan­tôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son sou­venir en noy­ant mon angoisse avec des tan­gos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleu­rons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fan­go a inspiré plusieurs com­pos­i­teurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

Cuna de tango (Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fan­go 1952-08-11 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas y Coro.

Un titre con­tem­po­rain de notre tan­go du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chan­son à car­ac­tère de milon­ga.
Au début, Alber­to Are­nas, dans son réc­i­tatif ini­tial, dit :

A este tan­go, flor de tan­go
Quieren cam­biar­lo de ran­go,
Pobre tan­go, flor de tan­go
Meci­do en cuna de fan­go.

De ce tan­go, fleur du tan­go
Ils veu­lent chang­er le rang,
Pau­vre tan­go, fleur du tan­go
Bercé dans le berceau de la fange.

Ran­go, Fan­go et Tan­go sont des rimes rich­es. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déc­la­ra­tion lim­i­naire, il affirme une posi­tion sem­blable à celle de Borges qui con­sid­ère que le tan­go est affaire de bor­del et qu’il aurait dû se can­ton­ner à cet univers « vir­il »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: Pascual Contursi)

Peut-être le Flor de tan­go évo­qué par Cuna de tan­go…

Flor de fan­go 1918 — Car­los Gardel con acomp. de José Ricar­do (gui­tare).

On est à l’opposé de la milon­ga précé­dente. Car­los Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tan­go qui s’affirment. Gardel et Borges, enne­mis à vie. Rien de tan­go bru­tal et rugueux dans cette chan­son du charmeur Gardel.

Flor de fan­go 1926-10-25 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dir. Cara­bel­li.

Une ver­sion vieille garde. Suff­isam­ment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Cara­bel­li n’est pas si loin dans cette ver­sion) et à Borges.

Flor de fan­go 1940-04-25 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Rober­to Fir­po dans son style sautil­lant. Sûr que ça va éclabouss­er. Je ne sais pas com­ment a réag­it Borges à cette ver­sion sym­pa­thique mais man­quant tout de même un peu de char­p­ente.

Flor de fan­go 1960-02-12 — Miguel Vil­las­boas y su Quin­te­to Bra­vo del 900.

Et on con­tin­ue à éclabouss­er avec Vil­las­boas qui reprend le style sautil­lant de Fir­po.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; C. Franzino Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fan­go, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fan­go 1931-07-08 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente.

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nos­tal­gie. On est loin de la fleur sautil­lante de Fir­po et Vil­las­boas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour ter­min­er avec notre orchestre du jour. Franci­ni-Pon­tier. Voici un titre qui a une let­tre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tan­go. La musique est du même Enrique Franci­ni, mais cette fois les paroles sont de Car­los Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tan­go, Julio Sosa, mais le moins con­nu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Ital­ie et établi à Mon­te­v­ideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre rai­son pour que j’associe cet enreg­istrement à notre tan­go du jour.

Pablo Moreno, le bary­ton ita­lo-uruguayen
Triste flor de tan­go 1953-09-22 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Pablo Moreno.

Lorsque Franci­ni et Pon­tier quit­tèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils for­mèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs tal­ents de vio­loniste (Franci­ni) et ban­donéon­iste (Pon­tier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est net­te­ment moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de bary­ton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des mer­veilles s’il avait eu une car­rière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa ver­sion de Manos ado­radas sur­passe les ver­sions de Rober­to Rufi­no et celles de Caló et si la ver­sion de Pugliese avec Alber­to Morán est peut-être supérieure, elle le doit aus­si au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Franci­ni, Mon­tier et Moreno pour la valse Manos ado­radas, his­toire d’utiliser la force cen­trifuge pour éjecter toute la boue accu­mulée…

Manos ado­radas 1952-12-10 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Pablo Moreno
Prince­sa del fan­go.

Plegaria 1940-04-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo Bianco

Cer­tains tan­gos sont « inter­dits » dans les milon­gas. On ne passe pas Gardel et surtout pas Volver, mais il y a une liste plus longue, le tan­go du jour en ferait par­tie même s’il n’a jamais fait par­tie des tan­gos inter­dits par la loi argen­tine. Atten­tion, cet arti­cle aura du mal à suiv­re ma devise selon laque­lle le tan­go est une pen­sée heureuse qui se danse.

Extrait musical

Avant de ren­tr­er sur les caus­es de l’interdiction, je vous le pro­pose à écouter. Il est inter­dit dans les milon­gas, pas à l’écoute. Si vous jugez en lisant l’article que l’interdiction est jus­ti­fiée, ou pas, vous pour­rez vot­er à la fin de l’article.

Ple­garia 1940-04-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz

On ne peut pas dire que ce soit vilain, non ?

Interdiction officielle du tango

Plusieurs caus­es ont provo­qué des inter­dic­tions du ou des tan­gos.

Interdiction du tango pour des raisons de bienséance

Les débuts inter­lopes du tan­go ont provo­qué sont inter­dic­tion, surtout à cause des paroles, des lieux et des débor­de­ments qu’il pou­vait sus­citer.
La bonne société voy­ait d’un mau­vais œil cette danse de voy­ous qui nais­sait dans les faubourgs, mais ses fils s’y aco­quinèrent. Le pou­voir religieux pous­sait des cris d’orfraie, jusqu’à ce que le danseur Casimiro Ain fasse une démon­stra­tion au pape. 
Le pape ayant don­né sa béné­dic­tion et le tan­go s’étant acheté une con­duite en Europe, les inter­dic­tions sont lev­ées et la bonne société se lance à son tour sans réserve dans la pra­tique de cette danse.

Tangos interdits par les dictatures militaires

Cepen­dant, la dic­tature mil­i­taire a repris la ques­tion en main et pub­lié une liste de tan­gos inter­dits, non pas à cause de la musique, bien sûr, mais à cause des paroles. Les extrêmes droites, sont rarement favor­ables à la cul­ture et n’aiment pas trop les cri­tiques.
A mi país de Rober­to Diaz et Rey­nal­do Martín
Acquaforte de C. Maram­bio Catán et H. Alfre­do Per­roti
Al mun­do le fal­ta un tornil­lo de Enrique Cadicamo
Al pie de la San­ta Cruz de M. Bat­tis­tel­la et E. Delfi­no
Bron­ca de Mario Bat­tis­tel­la et Edmun­do Rivero
Cabal­lo Criol­lo de J. Dale­vuelta et F. Ramirez de Aguilar
Cam­bal­ache de Enrique San­tos Dis­cépo­lo
Ciru­ja de T.A. Mari­no et E.N. de la Cruz
Gor­riones de Cele­do­nio Flo­res et Eduar­do Pereyra
Jor­nalero de Atilio Car­bone
Matu­fias de Ángel G. Vil­lol­do
Men­ti­ras criol­las de Oscar Arona
Pajar­i­to de Dante A. Liny­era
Pan de Cele­do­nio Flo­res et Eduar­do Pereyra
Que­vachaché de Enrique San­tos Dis­cépo­lo
Sol a sol de Daniel L. Bar­reto
Solo de Fer­nan­do Solanas
Bien sûr, cette liste n’est plus d’actualité, du moins tant qu’un gou­verne­ment ne juge pas de nou­veau que ces paroles peu­vent nuire à son pres­tige. Ceux qui suiv­ent la sit­u­a­tion en Argen­tine voient cer­taine­ment ce qui avive mes craintes.

Tangos « interdits » sans « interdit ».

Les tan­gos de Gardel sont réputés comme ne devant pas se danser. L’interdit est le plus fort sur Volver et sur Adios ami­gos, à cause de la fin trag­ique du chanteur. Le DJ n’ira pas en prison, mais cer­tains danseurs seront sur­pris.
D’un autre côté, Gardel n’a pas per­for­mé pour la piste de danse, c’est donc un moin­dre mal. Cepen­dant, on trou­ve plusieurs tan­gos réal­isés par la suite avec la voix de Gardel sur des instru­men­ta­tions mod­ernes. Ces « prouess­es » ont été ren­du pos­si­bles par les pro­grès tech­niques qui per­me­t­taient de couper des ban­des de fréquences. Le sys­tème est assez sim­ple, ce sont des ensem­bles de résis­tances et con­den­sa­teurs qui fil­trent cer­taines fréquences. Des poten­tiomètres per­me­t­tent d’ajuster les paramètres. Ain­si on peut ren­forcer la voix et baiss­er les fréquences où jouent les instru­ments. L’orchestre joue ensuite le morceau en appuyant suff­isam­ment pour mas­quer les restes de gui­tare des enreg­istrements orig­in­aux…

Par exemple par Canaro, dans les années 50 (1955 à 1959),

Ban­doneón arra­balero, Cho­ra, Madame Ivonne, Madre hay una sola, Mi noche triste, Siga el cor­so, Yira Yira.

Yira… Yira… 1955-11-13 1930-10-16 — Car­los Gardel con acomp. de la orques­ta de Fran­cis­co Canaro.

Par exemple De Angelis en 1973 et 1974

Alma en pena, Alma­gro, Ausen­cia, Cualquier cosa, Due­lo criol­lo, Esta noche me embor­ra­cho, Giusepe el zap­a­tero, Ínti­mas, La cumpar­si­ta (Si supieras), Mal­e­va­je, Me enam­oré una vez (ranchera), Melodía de arra­bal, adiós mucha­chos, Muñe­ca bra­va, Nel­ly (valse), Paler­mo, Rosas de abril (valse), Si soy así, Tomo y obli­go, Viejo jardín (valse), Viejo smok­ing, Yira Yira.

Yira… Yira… 1973-10-25 1930-10-16 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Gardel. La ver­sion de Ange­lis à par­tir de Yira Yira…

Par exemple Otros Aires en 2004

Aquel mucha­cho bueno (extraits de Aquel Mucha­cho Triste par Car­los Gardel en 1929), En direc­ción a mi casa (extraits de El Car­retero par Car­los Gardel en 1922), La Pam­pa Seca (extraits de El Car­retero par Car­los Gardel en 1922), Milon­ga Sen­ti­men­tal (extraits de Milon­ga Sen­ti­men­tal par Car­los Gardel en 1929), Per­can­ta (extraits de Mi Noche Triste par Car­los Gardel).
Les résul­tats sont plutôt moyens et si on peut con­sid­ér­er que cer­tains sont dans­ables, ce n’est pas une urgence de les pass­er.
Pour ma part je n’ai passé des titres de cette liste qu’à une seule reprise en plus de 20 ans de car­rière et c’était pour une milon­ga « spé­ciale Gardel » dans le cadre du fes­ti­val Tan­go postal (Toulouse, France). Heureuse­ment, le thème autori­sait de pass­er des titres com­posés par Gardel, mais joués par d’autres orchestres…

Interdits par devoir de mémoire

Le tan­go du jour fait par­tie de cette caté­gorie. Il a été com­posé par Eduar­do Bian­co qui a égale­ment écrit les paroles.
Ce tan­go, dans sa ver­sion de 1927 que vous pour­rez enten­dre ci-dessous est triste et ne donne pas du tout envie de danser. On imag­ine facile­ment sa dif­fu­sion lors d’un enter­re­ment.
En 1939, l’auteur qui était asso­cié à Bachicha pour la ver­sion de 1927, récidive. Cette ver­sion d’une grande émo­tion et tristesse ne se prête pas non plus à la danse.
Il en est autrement de la ver­sion de Frese­do qui pour­rait s’intégrer dans une tan­da.
Donc, les ver­sions avec Bian­co ne sont pas pass­ables car elles ne se prê­tent pas à la milon­ga, mais celle de Frese­do le pour­rait. Alors pourquoi l’interdire ?
Eduar­do Bian­co a dédi­cacé ce tan­go au Roi Alfon­so XIII d’Espagne (et aupar­a­vant dédié Evo­cación à Ben­i­to Mus­soli­ni), mais le plus grave est à venir…
Ce musi­cien etait con­sid­éré comme ayant des idées anti­sémites et comme étant sen­si­ble aux thès­es fas­cistes. Il fréquen­tait les milieux pron­azis.
Pour les nazis alle­mand, le tan­go con­sti­tu­ait une réponse aux Jazz des Noirs améri­cains qui avait le vent en poupe. Ils ont donc encour­agé le tan­go en Alle­magne, comme en témoignent les nom­breux tan­gos alle­mands de l’époque.
Lors d’un con­cert à l’ambassade d’Argentine à Berlin, Adolf Hitler aurait enten­du la musique jouée par Bian­co et aurait demandé que cette musique soit jouée par les déportés juifs aux portes des cham­bres à gaz (Jens-Ingo a attiré mon atten­tion sur le fait que ce point serait de la pro­pa­gande russe, je mets donc en ques­tion ce point, d’autant plus que l’ambassadeur d’Argentine qui est cité dans ces sources, Eduar­do Labougle Car­ran­za, a quit­té ses fonc­tions à Berlin an 1939 et donc avant la liste en place de la « solu­tion finale ».

Toute­fois, le poète roumain Paul Celan détenu en camp de con­cen­tra­tion a évo­qué cette hor­reur dans son poème Todesfuge. Selon Enzo Tra­ver­so, ce ne serait pas un témoignage direct, cette pra­tique n’étant pas for­cé­ment général­isée dans tous les camps et Celan n’aurait pas été dans le camp de Lublin — Maj­danek, où selon l’Armée rouge ce « rit­uel » aurait été pra­tiqué.
Si dans les camps la ver­sion n’était pas chan­tée, Alek­sander Kulisiewicz a ajouté des paroles et a même enreg­istré un disque (Songs from the Depths of Hell). Je ne vous le pro­pose pas ici, mais vous pou­vez l’écouter sur le site de la Smith­son­ian et même l’acheter.
S’il existe des « tan­gos de la muerte » (tan­go de la mort) qui por­tent réelle­ment ce titre, on a égale­ment bap­tisé ain­si, pour son usage macabre, ple­garia. Les SS l’avaient surnom­mé, « Muerte en fuga » « Todesfuge » (mort en fugue)…
Pour cette rai­son, même s’il y a des doutes sur cer­tains élé­ments de cette his­toire, on ne passe générale­ment pas ple­garia en milon­ga, même la belle ver­sion de Frese­do. Cepen­dant, si un DJ la passe, soyez indul­gents, pas comme cet indi­vidu qui attrapé une pau­vre DJ débu­tante en la trai­tant de nazi tout en la sec­ouant, car elle avait passé ce titre.

Adden­dum : Jens-Ingo a attiré mon atten­tion sur un livre qui remet­trait en ques­tion ces élé­ments.
https://www.tangodanza.de/Books_Dirk-E-Dietz-Der-Todestango–1726.html?language=en “It still cir­cles over the dancers, the ghost of the ‘death tan­go’ that the nefar­i­ous Eduar­do Bian­co once brought into the world to give the Nazis a fit­ting sound­track for their atroc­i­ties.
One of the dancers, his­to­ri­an and jour­nal­ist Dirk E. Dietz, has now stud­ied the phe­nom­e­non exten­sive­ly. In his inves­ti­ga­tion, he con­cludes that the fairy tale of the ‘death tan­go’ is based on an act of delib­er­ate com­mu­nist pro­pa­gan­da toward the end of World War II.

As inter­est in the tan­go grew, so did the spread of this leg­end. It is there­fore far from being true, as Dietz proves in detail in his book.
A strong book — and an impor­tant book for the tan­go.”.

Pour nous, DJ, même si cette his­toire est fausse, il nous faut savoir que l’on peut heurter la sen­si­bil­ité de cer­taines per­son­nes et donc pren­dre les mesures néces­saires avant de pass­er un titre de ce type. (Fin de l’addendum).

Extrait musical (bis)

Ple­garia 1940-04-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz

. Le rythme est tonique et la voix de Ricar­do Ruiz est comme tou­jours mag­nifique. Si on ne prête pas atten­tion aux paroles, on peut pass­er à côté de la tristesse du thème. Ce titre sans l’histoire fumeuse de Bian­co pour­rait pass­er en milon­ga, dans un moment d’émotion, par exem­ple en sou­venir d’un dis­paru, lors d’un hom­mage.

Les paroles

Ple­garia que lle­ga a mi alma
al son de lentas cam­panadas,
ple­garia que es con­sue­lo y cal­ma
para las almas desam­para­das.
El órgano de la capil­la
embar­ga a todos de emo­ción
mien­tras que un alma de rodil­las
¡pide con­sue­lo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuán­ta amar­gu­ra y dolor!
Cuan­do el sol se va ocul­tan­do
una ple­garia
y se muere lenta­mente
bro­ta de mi alma
cruza un alma doliente
y ele­vo un rezo
en el atarde­cer.

Murió la bel­la pen­i­tente,
murió, y su alma arrepen­ti­da
voló muy lejos de esta vida, 
se fue sin que­jas, tími­da­mente,
y di en que noche calla­da
se oye un can­to de dolor
y su alma triste, perdó­nala,
toda de blan­co can­ta al amor!

Eduar­do Bian­co

Les paroles sont tristes et peu­vent plomber l’ambiance de la milon­ga, mais rien de répréhen­si­ble dans leur con­tenu.

Prière qui vient à mon âme au son de lentes son­ner­ies de cloches, prière qui est con­so­la­tion et calme pour les âmes désem­parées.
L’orgue de la chapelle embar­que tout le monde dans l’émotion tan­dis qu’une âme à genoux demande du récon­fort, demande par­don !

Pau­vre de moi ! … Oh Seigneur ! …
Com­bi­en d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil va s’occulter
Une prière
et se meurt lente­ment
Jail­lit de mon âme
croise une âme souf­frante
Et adresse une prière
dans le soir.

Elle est morte la belle péni­tente, elle est morte, et son âme repen­tante a volé très loin de cette vie. Elle est par­tie sans se plain­dre, timide­ment, et fit que dans cette nuit silen­cieuse s’entend un chant de douleur. Et son âme triste, par­don­nez-la, toute de blanc chante l’Amour !

Les par­ties en gras et italique sont chan­tées par le choeur.
Le cou­plet en bleu n’est pas chan­té par Ricar­do Ruiz.

Autres versions

Ple­garia 1927-04-22 — Orques­ta Bian­co-Bachicha con Juan Rag­gi y coro.

Pas ques­tion de pass­er cette ver­sion en milon­ga, à cause du per­son­nage, mais aus­si, car il est loin d’être agréable à écouter et à danser. Le ban­nir n’est pas du tout un prob­lème. Je vous épargne leurs autres ver­sions de 1928 et 1929.

Ple­garia 1939-03-15 — Orques­ta Eduar­do Bian­co con Mario Vis­con­ti.

Cette ver­sion com­mence par une cloche lugubre et un chœur chan­tant comme pour un requiem. Puis Mario Vis­con­ti, chante avec beau­coup d’émotion sa prière, en réponse avec le chœur et les instru­ments. Pour moi, c’est assez joli, mais suff­isam­ment triste pour ban­nir cette ver­sion de toute milon­ga.

Ple­garia 1940-04-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est le tan­go du jour.

Les prières (plegarias)

D’autres tan­gos por­tent ce titre. En voici quelques-uns. Il y en a d’autres, comme quoi l’initiative de Bian­co n’est pas éton­nante. C’est un thème qui se retrou­ve au moins jusqu’aux années 50.

La ple­garia 1926-09-07 — Orques­ta Julio De Caro. Ce tan­go (instru­men­tal) a été com­posé par Emilio De Caro.
Ple­garia 1931-08-21 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” (Eduar­do Anto­nio De Maio avec des paroles d’Alfredo Alle­gret­to).

Il y a même une prière en valse par Anto­nio Sure­da avec des paroles de son frère Gerón­i­mo Sure­da. Je vous en pro­pose deux ver­sions. Les paroles sont une prière à la Vierge de Luján,

Ple­garia 1933-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

L’introduction est vrai­ment sin­istre. On peut la pass­er si on n’est pas sous Prozac.

Ple­garia 1933-07-22 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Cette ver­sion assez proche (et enreg­istrée seule­ment trois jours plus tard) de celle de Canaro, sans l’introduction dép­ri­mante.

Sondage

Pensez-vous que cette ver­sion par Frese­do (pas celles de Bian­co ou Bian­co et Bachicha) pour­rait être dif­fusée en milon­ga ?

Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta

Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)

J’ai tou­jours adoré Loco tur­bión et me suis demandé pourquoi seule­ment Caló l’avait enreg­istré. C’est sans doute que cette ver­sion est par­faite. Je vous invite donc à savour­er ce tan­go du jour, enreg­istré il y a 78 ans.

Loco tur­bión, dès le titre, on est en appétit. Loco, fou et tur­bión, averse vio­lente, mais aus­si choses emportées dans un « tour­bil­lon ».
Si on ne prête pas atten­tion aux paroles, on peut imag­in­er le pas­sage de l’averse. Au début, une marche, puis la mon­tée de la ten­sion, des mou­ve­ments con­tra­dic­toires, comme le vent qui agite les arbres à l’approche de la tour­mente. L’averse pour­rait être le puis­sant duo d’Iriarte et Arri­eta, puis le soleil réap­pa­raît à la toute fin, jusqu’à la chute des deux dernières gouttes d’eau.

Extrait musical

Loco tur­bión 1946-03-15 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte y Rober­to Arri­eta

L’exposition sem­ble faire référence à un temps passé, comme quelqu’un qui se sou­vient. Le pas­sage en mineur aux alen­tours de 0:30 et qui trou­ve son apogée dans le solo de vio­lon à par­tir de 0:40.
Rober­to Arri­eta com­mence à chanter à 1:00. À 1:30 Raúl Iri­arte rem­place Arri­eta, puis à 1:37 ils chantent en duo, avec une émo­tion intense, qui se détend, puis Arri­eta prend le relais, seul et ain­si de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tan­go.
La musique sem­ble effectuer des aller et retour, comme pour mar­quer les hési­ta­tions. Les instru­ments, puis les chanteurs sem­blent apporter leur pierre à la con­struc­tion musi­cale, jusqu’à ce qu’ils se com­bi­nent dans le final en étant sur la « même longueur d’onde ». Les paroles con­fir­ment cette impres­sion.

Les paroles

Les paroles ren­for­cent l’idée de tour­bil­lon, de dia­logue, d’hésitation. Les chanteurs se répon­dent avant de s’accorder (à la quinte) et de dévelop­per un des mag­nifiques duos dont nous rav­it le tan­go.

Ten­go miedo de encon­trar­la
Y de nue­vo recor­dar­la…
Y achicar el corazón.
Ten­go miedo que en sus ojos,
Al mirar estos despo­jos
Yo adi­vine com­pasión.
En mis días fue un dolor,
En mis sueños, fue un ren­cor,
Y en mi vida no hizo más que mal…
Me tor­tu­ra este recuer­do
Que me acosa y me per­sigue
En mis noches sin final.

En la fragua de espan­tos del sufrir,
Ella puso entre brasas mi ilusión.

Me ha enseña­do a morir,
Porque ya no es vivir,
Escuchan­do en las som­bras su reír.
Y esa voz que me nom­bra sin cesar,
Que me muerde en las noches con su mal,
¡Es un loco tur­bión!…
Una gar­ra bru­tal,
Que me estru­ja el corazón.

Yo me hun­do en la locu­ra
De un tur­bión, al recor­dar­la
Y quer­erla con pasión.
Y el pen­sar en olvi­dar­la,
Es camino que con­duce
¡A la deses­peración!
Es tor­men­to sin final
El fra­ca­so de olvi­dar,
¡Y es ple­garia que no escucha Dios!
Es tor­tu­ra inter­minable
El recuer­do de sus ojos
Y el arrul­lo de su voz.

Vicente Spina Letra : Rober­to Miró (Rober­to Daniel Miró)

Les par­ties chan­tées par Rober­to Arri­eta seul, sont en rouge.
Celles qui sont chan­tées par Raúl Iri­arte seul sont en bleu.
Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras.
Au final, ils repren­nent en duo le refrain à par­tir de Y esa voz que me nom­bra sin cesar, qui était chan­té par Iri­arte seul la pre­mière fois.
Le dernier cou­plet n’est pas chan­té. C’est la par­tie où il souhaite l’oublier.

La météo du tango

Plusieurs tan­gos par­lent d’averses soudaines et vio­lentes, que ce soit de façon objec­tive, comme el aguacero ou de façon fig­urée, comme Tor­men­ta.
El aguacero de Cátu­lo Castil­lo Letra : José González Castil­lo (Juan de León).
Chap­ar­rón 1946-08-26 (Milon­ga) Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe, nous en repar­lerons le 26 août à l’occasion de l’anniversaire de cet enreg­istrement.
Llu­via au moins une quar­an­taine de tan­gos par­lent de pluie (llu­via), tou­jours au sens pro­pre ou fig­uré.
Pour rester dans les aléas cli­ma­tiques, le vent a aus­si sa voix, par exem­ple dans les tan­gos suiv­ants.
Cuan­do bron­ca el tem­po­ral de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Mar­sili, que nous avons évo­qué à pro­pos de la ver­sion de Di Sar­li de 1929.
Tor­men­ta d’Enrique San­tos Dis­cépo­lo, mais il y a d’autres tan­gos inclu­ant tor­men­ta (Anto­nio Bonave­na, P. Mon­tanel­li, José De Cic­co, José Luis Padu­la) qui par­lent de tor­men­ta, au réel comme au fig­uré.
Huracán, une incroy­able com­po­si­tion de Dona­to d’une puis­sance titanesque.
Ven­taval, plusieurs tan­gos de ce nom, comme Ven­taval de Rodol­fo Sci­ammarel­la par Mer­cedes Simone dans le film de 1939, qui se passe à Paris (le titre a pour fond d’écran, le Pan­théon), mais qui est argentin, ou cru­en­to ven­daval de Miguel Mar­ti­no et Jac­in­to Alí (MyL).

Les illustrations

Pour les illus­tra­tions, je suis par­ti de deux pistes. L’idée de tour­bil­lon pour la pre­mière, tour­bil­lon que m’évoque le mot tur­bión, et la musique qui sem­ble cir­culer d’un côté à l’autre, rebondis­sant d’un instru­ment à l’autre, d’un chanteur à l’autre et l’idée de la femme per­due, inac­ces­si­ble, qui s’en va.
En résumé, n’arrivant pas à choisir, je vous pro­pose les qua­tre images. N’hésitez pas à indi­quer en com­men­taire celle qui vous plaît le plus, peut-être que je chang­erai la pho­to de cou­ver­ture en fonc­tion de vos avis.

L’image de couverture

Je souhaitais garder l’ambiguïté entre l’averse, le tour­bil­lon et la belle. J’ai hésité entre deux styles, un abstrait à la Arcim­bol­do, ou les fleurs et nuages col­orés rem­pla­cent les légumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finale­ment opté pour la femme fleur tour­bil­lon­nante, mais comme j’aime bien les autres aus­si, je vous présente le lot.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Ten­go miedo de encon­trar­la y de nue­vo recor­dar­la.…
J’ai peur de la ren­con­tr­er et d’à nou­veau me sou­venir d’elle.

L’image de fin

En général, je souhaite pro­pos­er une image d’un style dif­férent pour l’image de fin. C’est donc la ver­sion orageuse qui clô­ture l’article, mais j’aime bien aus­si celle de la belle qui s’évapore dans les nuées tour­bil­lon­nantes.

Es tor­tu­ra inter­minable el recuer­do de sus ojos y el arrul­lo de su voz. C’est une tor­ture inter­minable, le sou­venir de ses yeux et le roucoule­ment de sa voix.

Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des éclairs, sem­blant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volé avant de rejoin­dre l’Olympe. Elle est dev­enue inac­ces­si­ble, divine et cru­elle.