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Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo “Lalo” Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscán­dote est un des thèmes les plus émou­vants du tan­go. Par la qual­ité de la musique et des paroles de Eduar­do “Lalo” Scalise El poeta del piano, mais aus­si par la sim­plic­ité et la ron­deur de l’interprétation par Frese­do et Ruiz, pour notre tan­go du jour. Nous allons en prof­iter pour regarder de plus prêt com­ment fonc­tionne une par­ti­tion.

Extrait musical

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz
Pre­mière page de la par­ti­tion retran­scrite par Lucas Cáceres.

Cette pre­mière page présente les qua­tre pre­mières mesures. On voit les dif­férents instru­ments. T (ténor, Ricar­do Ruiz, dans cet enreg­istrement), puis 4 vio­lons, 4 ban­donéons, un piano et une con­tre­basse.
À l’armure, il y a deux diès­es, nous sommes en Si mineur. Un mode nos­tal­gique, voire triste. Dans la pre­mière mesure, on remar­que qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deux­ième mesure com­mence avec la sec­onde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la con­tre­basse com­mence à mar­quer tous les temps (4 par mesure) en com­mençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mou­ve­ment de bas­cule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suiv­ante et ain­si de suite sur env­i­ron la moitié des mesures de la par­ti­tion. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des élé­ments de la mélodie.
On remar­quera que les ban­donéons et vio­lons qui débu­tent aus­si à la deux­ième mesure com­men­cent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez dis­cret, mais vous n’aurez pas de peine à repér­er ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des vio­lons y met fin, pour com­mencer à énon­cer la pre­mière par­tie (A).

La par­ti­tion du ténor avec la pho­to de Ricar­do Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La par­ti­tion a été pro­posée égale­ment par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la par­ti­tion du ténor (Ricar­do Ruiz dans notre cas) qui ne com­mence à chanter qu’à par­tir de la mesure 43 (en lev­ée de la 44).
On se sou­vient que le début de la par­ti­tion était en Ré mineur, après un pas­sage en Fa mineur, Ruiz com­mence à chanter en Fa majeur. La présence de diès­es sur 4 des Sols et un Do, font bas­culer cer­tains pas­sages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les let­tres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repér­er dans les tonal­ités. Le nom­bre de diès­es ou bémols à la clef donne la tonal­ité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Sou­vent, il y a beau­coup de change­ments de tonal­ités et des altéra­tions (Diès­es, ou Bémols) ponctuelles qui ren­dent dif­fi­cile de décider la tonal­ité exacte util­isée. Mais ce n’est pas si impor­tant, ce qui l’est, c’est unique­ment de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sen­si­bil­ité de la musique, donc l’écoute est suff­isante.
Main­tenant que vous êtes au point, je vous pro­pose de suiv­re la par­ti­tion durant l’écoute, grâce au tra­vail remar­quable de Lucas Cáceres.

Par­ti­tion ani­mée de Buscán­dote, une vidéo réal­isée par Lucas Cáceres.

Vous remar­querez qu’il y a toutes les par­ties, et qu’il y a donc beau­coup de change­ments de pages. Dans un orchestre, chaque instru­ment n’a que sa par­tie et si cela vous intéresse, vous pou­vez vous les obtenir en vous abon­nant à son Patre­on.
Assez par­lé de la musique, intéres­sons-nous aux paroles, main­tenant.

Paroles

Vagar con el can­san­cio de mi eter­no andar
tris­teza amar­ga de la soledad
ansias enormes de lle­gar.
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer.
Eduar­do “Lalo” Scalise (Eduar­do Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éter­nelle, l’amère tristesse de la soli­tude, l’énorme désir d’ar­riv­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai par­cou­rues pour vous.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Frese­do et Ruiz. Cepen­dant, la pas­sion européenne pour Frese­do fait que beau­coup d’orchestre du 21e siè­cle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des for­tunes divers­es.

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est notre tan­go du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscán­dote 2000-06-01 — Klaus Johns.

Une ver­sion instru­men­tale avec un par­ti pris de tem­po par­ti­c­ulière­ment lent. C’est prob­a­ble­ment à class­er au ray­on des étrangetés, mais cer­taine­ment pas à pro­pos­er au bal.

Buscán­dote 2012 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notam­ment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciri­a­co, pen­dant une quin­zaine d’années.

Buscán­dote 2012 — Solo Tan­go Orques­ta.

Cet orchestre russe a égale­ment son pub­lic. Ils pro­posent, ici, une ver­sion instru­men­tale.

Buscán­dote 2013 — Ariel Ardit y Orques­ta Típi­ca.

L’incroyable solo de vio­lon qui ouvre cette ver­sion peut sur­pren­dre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien mar­qué par les ban­donéons et tou­jours dom­iné par les cordes et ce superbe vio­lon, fait que c’est cer­taine­ment une ver­sion « chair de poule » pour beau­coup. La belle voix, puis­sante et chaude d’Ariel Ardit ter­mine de faire de cette ver­sion remar­quable. Pour la danse, les arras­tres d’Ariel peu­vent gên­er cer­tains danseurs et le rythme rapi­de peut faire que l’on préfère d’autres ver­sions. Je pense qu’en Europe cette inter­pré­ta­tion aurait des ama­teurs.

Buscán­dote 2013 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette ver­sion tran­quille peut paraître un peu faible, mais il faut la com­par­er à notre étalon, la ver­sion de Frese­do et Ruiz, pour voir que c’est une belle réal­i­sa­tion, intime et bien accordée au thème de la chan­son.

Buscán­dote 2014 (En vivo) — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Une ver­sion avec pub­lic qui per­met de se sou­venir de l’ambiance que met­tait cet orchestre. C’était à Rosario (Argen­tine) lors de l’Encuentro Tanguero del Inte­ri­or (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nom­breuses fois, c’est vrai­ment dom­mage qu’il n’existe plus.

Buscán­dote 2015 — Cuar­te­to SolTan­go.

Ce cuar­te­to, avec beau­coup moins d’instruments s’approche de la ver­sion de Frese­do. Une belle per­for­mance. Le solo de vio­lon qui rem­place la voix de Ricar­do Ruiz, bien que bien chan­tant, est sans doute ce qui peut faire baiss­er la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la prin­ci­pale rai­son, est que cer­tains DJ met­tent des chan­sons tan­go au lieu de véri­ta­bles tan­gos chan­tés de danse.

Buscán­dote 2015 — Orques­ta La 2X4 Rosa­ri­na con Martín Piñol.

Retour à une ver­sion chan­tée. La voix de Martín Piñol pour­rait béné­fici­er d’un orchestre plus accom­pli. La prise de son mérit­erait d’être meilleure égale­ment. Le résul­tat ne risque pas de détrôn­er, la ver­sion de Frese­do qui en est claire­ment le mod­èle.

Buscán­dote 2015-07-09 — Esquina Sur con Diego Di Mar­ti­no.

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Frese­do. Cet enreg­istrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Mar­ti­no, s’élance légère et flu­ide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Frese­do et Ruiz restent en tête.

Buscán­dote 2016-03-01 — El Cachivache Quin­te­to.

El Cachivache signe une ver­sion plus per­son­nelle, qui n’est pas qu’une sim­ple imi­ta­tion de Frese­do et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instru­ments comme la gui­tare élec­trique peut don­ner des bou­tons à des milongueros sclérosés. C’est une ver­sion instru­men­tale, mais la diver­sité des vari­a­tions fait que ce n’est pas monot­o­ne. L’entrée avec une gamme de do majeur descen­dent suiv­ie d’une gamme ascen­dante est très orig­i­nale. Le final est égale­ment intéres­sant, c’est une ver­sion qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aus­si à Angela C. car il y a une bonne pro­por­tion de mode majeur dans cette ver­sion, con­traire­ment à la ver­sion de Frese­do qui est majori­taire­ment en mode mineur 😉

Buscán­dote 2016-12 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Rober­to Minon­di.

Avec la Román­ti­ca Milonguera on revient à un reg­istre plus clas­sique, même si cet orchestre a su créer son pro­pre son. Ici, c’est Rober­to Minon­di qui nous rav­it.

Buscán­dote 2019 — Cuar­te­to Mulen­ga. Cette ver­sion présente l’intérêt de voir les instru­men­tistes opér­er. Mais ce titre est aus­si sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réal­isée au Bode­gon (restau­rant) El Des­ti­no, à Quilmes (Province de Buenos Aires).

Buscán­dote 2021-03 Orques­ta Típi­ca Andar­ie­ga.

Un début orig­i­nal, qui peut faire douter durant les 30 pre­mières sec­on­des qu’on écoute Buscán­dote. On notera la descente de piano, très orig­i­nale durant ce début. Le reste de l’orchestration renou­velle égale­ment l’œuvre, qui est comme décom­posée, déstruc­turée au prof­it de solos qui se super­posent. C’est presque un ensem­ble de cita­tions de l’œuvre orig­i­nale, plus qu’une inter­pré­ta­tion au sens habituel. La fin ne dis­sipera pas cette impres­sion.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir com­ment les danseurs vont pou­voir inter­préter la musique que je pro­pose.
J’ai trou­vé cette petite pépite, réal­isée par Jua­na Gar­cía y Julio Rob­les. Elle mon­tre les temps et con­tretemps.

Cliquez sur le lien pour con­sul­ter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Pos­er les pieds en rythme est la toute pre­mière étape du danseur de tan­go et, même si cer­tains ne s’y résol­vent pas, il me sem­ble qu’il faut aller beau­coup plus loin, le tan­go étant une danse d’improvisation. On tir­era cepen­dant de cette vidéo un élé­ment très intéres­sant, la sépa­ra­tion entre les dif­férentes par­ties. Savoir les repér­er per­met d’adapter la danse en changeant le style pour chaque par­tie.
Il faut aus­si savoir dis­tinguer la phrase musi­cale, afin que le cou­ple se retrou­ve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine tran­si­tion ou enchaîne­ment de phras­es. Cer­tains comptent de 1 à 8, mais c’est beau­coup plus agréable de se laiss­er porter par la struc­ture de la musique.
Je décon­seille donc le comp­tage, sauf pour des choré­gra­phies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tan­go social qui nous intéresse ici, car je trou­ve dom­mage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à enten­dre la musique.
Il me sem­ble qu’il est ample­ment préférable de tra­vailler son « instinct », car, rapi­de­ment, le corps saura quand la musique va chang­er et, incon­sciem­ment, il va se pré­par­er, ce qui vous per­me­t­tra de danser l’esprit totale­ment libre, en vous lais­sant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour iden­ti­fi­er les musiques plus dans­ables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suiv­ent. Il a donc la respon­s­abil­ité d’ouvrir la voie et de leur pro­pos­er des chemins dont les dif­fi­cultés sont adap­tées.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 — Orquesta Francisco Lomuto

Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des cir­con­stances dans la vie qui peu­vent être tristes, voire dés­espérantes. Aimer de façon silen­cieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la sit­u­a­tion décrite dans ce tan­go qui, au-delà des mal­heurs du nar­ra­teur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sen­tent pas du tout con­damnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs parte­naires.

Histoire de S.O.S.

Enrique San­tos Dis­cépo­lo a écrit ce tan­go en 1929 pour une pièce de théâtre. Il por­tait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pour­rait inter­préter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dol­lar est sous Cepo en Argen­tine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici com­ment Dis­ce­po­lo décrit son inten­tion lorsqu’il a écrit ce titre.

Dis­ce­po­lo par­le de son inten­tion en écrivant ce tan­go.

« Com­ment j’ai écrit “Con­de­na”

J’ai voulu dépein­dre la sit­u­a­tion d’un homme pau­vre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambi­tion­nant tout. J’ai voulu plac­er cet homme face au monde, regar­dant pass­er la vie qui passe, les plaisirs qui le trou­blent, et il se tord dans l’im­puis­sance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en cos­tume élimé, avec un vis­age défor­mé, avec une démarche crain­tive qui voit pass­er une femme envelop­pée de soies bruis­santes et qui se mord en pen­sant qu’elle appar­tien­dra à n’im­porte qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’in­so­lence et qui ne pour­ra jamais être pour lui.
Et j’ai ressen­ti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Lut­tant con­tre l’im­puis­sance, l’en­vie et l’échec. Et cette douleur énorme et con­cen­trée de l’homme enchaîné dans son triste des­tin, face au bon­heur qui passe sans le touch­er, c’est ce que j’ai voulu trans­met­tre bien et pro­fondé­ment ; tor­turé, mais sans pleur­er. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Dis­ce­po­lo ressort ce tan­go, sans nom par­ti­c­uli­er. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent don­né par Canaro pour l’occasion sau­va le pro­jet de voy­age de Dis­ce­po­lo et de sa com­pagne Tania et, lorsque Canaro deman­da le titre du tan­go à Dis­ce­po­lo, celui-ci lui répon­dit qu’il pou­vait met­tre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été util­isé, comme dans le disque de Lomu­to, car, l’achat de Canaro a sauvé Dis­ce­po­lo.
En revanche, en 1937, Canaro a util­isé le nom “Con­de­na” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Mai­da. On asso­cie désor­mais les deux titres.
En 1937, tou­jours, Dis­ce­po­lo par­ticipe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Aman­da Les­des­ma chante deux fois le titre, comme vous pour­rez le voir et l’entendre dans cet arti­cle.

Extrait musical

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.
Disque Vic­tor de Con­de­na par Fran­cis­co Lomu­to On remar­que que le disque porte la men­tion S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Con­de­na.

Les pas lourds de la con­damna­tion démar­rent le titre, suivi de pas­sages lega­to en con­traste.
À 32s com­mence la par­tie B avec les superbes ban­donéons de Martín Dar­ré, Améri­co Fígo­la, Luis Zinkes et Miguel Jura­do qui venait de rem­plac­er Víc­tor Lomu­to le frère de Fran­cis­co qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce pas­sage, le rythme est mar­qué de façon très orig­i­nale avec le pre­mier temps un peu sourd et grave (con­tre­basse de Ham­let Gre­co et per­cus­sions de Desio Cilot­ta) et les trois suiv­ants plus forts, exprimés notam­ment par les ban­donéons en stac­ca­to.
Comme pour la pre­mière par­tie, le con­traste des legatos ter­mine cette par­tie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la par­tie A qui présente un pas­sage piano, ce qui rompt la monot­o­nie et qui sem­ble annon­cer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui appa­raît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de vio­lon enchanteur et par­ti­c­ulière­ment grave (util­i­sa­tion d’un alto ?) mag­ni­fie l’interprétation. Il est réal­isé par Leopol­do Schiffrin (Leo), qui avait inté­gré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le pre­mier vio­lon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui par­tait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le com­pos­i­teur Lalo Schiffrin (Boris Clau­dio Schifrin) qui a notam­ment fait la musique du film de Car­los Saura « Tan­go ».
Le rythme à qua­tre temps avec le pre­mier temps faible et grave est repris et donne une expres­sion orig­i­nale sup­plé­men­taire à ce pas­sage.
La vari­a­tion finale, per­met de met­tre en valeur les instru­ments à vent de l’orchestre.
Cette vari­a­tion est annon­cée par un long pont à la tonal­ité changeante de 2:02 à 2:10 où appa­rais­sent le sax­o­phone et la clar­inette de Carme­lo Aguila et Pri­mo Staderi. Il est impos­si­ble de savoir qui jouait tel ou tel instru­ment lors de cet enreg­istrement, car les deux jouaient du saxo et de la clar­inette.
À 2:28, on remar­quera, après un trait de piano (Oscar Napoli­tano), une courte envolée de la clar­inette qui précède les deux accords ter­minaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué des­ti­no bru­tal
me con­de­na al hor­ror
de este infier­no en que estoy…
Cas­ti­gao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fra­ca­so de un ansia de amor.
Con­de­nao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nun­ca serás,
nun­ca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siem­pre y morir.

He arras­trao llo­ran­do
la esper­an­za de olvi­dar,
enfan­gan­do mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podi­do
No, olvi­dar…
Hoy como ayer
ciego y bru­tal me abra­so
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bes­tial
de este dra­ma sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infer­nal…
Que me has dao tu amis­tad
y él me brin­da su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hir­ió de este amor
que no puedo apa­gar?
¿Quién me empu­ja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique San­tos Dis­cépo­lo; Fran­cis­co Pracáni­co Letra : Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort bru­tal me con­damne à l’hor­reur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souf­fre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Con­damné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos sig­ni­fie tu es. Il est util­isé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que par­ler, ce soit ne plus te voir, c’est te per­dre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleu­rant l’e­spoir d’ou­bli­er, en embrouil­lant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capa­ble d’oublier…
Aujour­d’hui, comme hier, aveu­gle et bru­tal, je brûle de te désir­er.
Et le pire, le bes­tial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infer­nal…
Que tu m’as don­né ton ami­tié et lui m’a don­né sa foi, et que per­son­ne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas étein­dre ?
Qui me pousse à tuer la rai­son comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les ver­sions de Canaro sont sans doute les plus dif­fusées, mais notre tan­go du jour prou­ve qu’il y a des alter­na­tives, cer­taines pour la danse, d’autre pour l’écoute et cer­taines, pour l’oubli…

Con­de­na (S.O.S.) 1934-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On trou­ve des simil­i­tudes, comme sou­vent, entre la ver­sion de Lomu­to et celle de Canaro. La clar­inette est encore plus présente et bril­lante. Canaro a fait appel pour cet enreg­istrement à des musi­ciens de son ensem­ble de jazz.
La très orig­i­nale vari­a­tion de Lomu­to n’existe pas dans cette ver­sion de Canaro et une cer­taine monot­o­nie peut donc se dégager de cette ver­sion. Cela ne dérangera pas for­cé­ment les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des élé­ments qui a con­duit Canaro à réen­reg­istr­er le titre en 1937, avec Rober­to Mai­da.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na

Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na dans le film “Melodías Porteñas” réal­isé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scé­nario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Les rôles prin­ci­paux sont tenus par Rosi­ta Con­tr­eras, Enrique San­tos Dis­cépo­lo et Aman­da Ledes­ma.
Un autre intérêt du film est que Enrique San­tos Dis­cépo­lo, auteur de la musique et des paroles est égale­ment acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Con­de­na 1937 — Aman­da Les­des­ma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Mon­tage des deux inter­pré­ta­tions dans le film.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-05 — Aman­da Les­des­ma y su Trío Típi­co.

Une jolie ver­sion qui prof­ite de son suc­cès dans le film “Melodías Porteñas”.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-08 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

L’intervention de Mai­da casse la monot­o­nie du titre. C’est à mon sens une meilleure ver­sion si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette ver­sion reste tout à fait tonique et inci­sive, un délice pour les danseurs qui mar­quent les pas ou qui aiment le canyengue.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. C’est notre tan­go du jour.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-29 — Tania acomp. de Orques­ta Enrique Dis­cépo­lo.

Un des intérêts de cet enreg­istrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa com­pagne.
L’introduction du vio­lon mar­que que l’on entre dans un univers dif­férent des ver­sions de Canaro et Lomu­to. C’est une ver­sion pour l’écoute et on aurait tort de se priv­er de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà ren­con­trée, cette chanteuse espag­nole, car c’est elle qui a importé en Argen­tine « Fuman­do espero » avec le Con­jun­to The Mex­i­cans.

Tania et Dis­ce­po­lo
Con­de­na (S.O.S.) 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héc­tor Mau­ré est un peu plus lourde dans cet enreg­istrement. C’est pour l’écoute et chan­té avec sen­ti­ment.

Con­de­na (S.O.S.) 1969 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

J’ai évo­qué des ver­sions à oubli­er. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « sur­jouée »…

Con­de­na (S.O.S.) 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Hype­r­i­on et l’ami Rubén font de belles ver­sions pour la danse. On remar­quera la fin, assez orig­i­nale.

Con­de­na (S.O.S.) 2015 — Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Une des spé­cial­ités du Sex­te­to Cristal est de ressor­tir les gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Cette copie de la ver­sion de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut con­venir à cer­tains danseurs qui apprécieront la meilleure qual­ité de l’enregistrement. En presque un siè­cle, de gros pro­grès ont été faits de ce côté…

Pour ter­min­er, tou­jours avec le Sex­te­to Cristal, un enreg­istrement vidéo de Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47.

Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sex­te­to Cristal pour­ront enten­dre le con­cert en entier…
À vous de danser et à bien­tôt les amis.

Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo

Invier­no est sans doute un des tan­gos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va par­ler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait atten­tion aux émou­vantes paroles de Cadí­camo ? Je vous offre en prime le texte com­plet de Cadí­camo. Prenez votre man­teau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.

Extrait musical

Invier­no 1937-08-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da
Disque et par­ti­tion de Invier­no

Il n’est pas sûr, qu’il soit néces­saire de décrire cet enreg­istrement tant il est con­nu. On notera l’in­ter­ven­tion des instru­ments à vent (cuiv­res) typ­iques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse.
La voix de Mai­da, sur­v­ole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laiss­er la place au chanteur. C’est du Canaro typ­ique et effi­cace. D’ailleurs, les orchestres con­tem­po­rains qui repren­dront le titre s’in­spireront assez forte­ment de cette ver­sion pour faire leurs pro­pres ver­sions. Nous en ver­rons quelques-unes en fin d’ar­ti­cle.

Paroles

Des­de aquel bal­cón
Baja una can­ción,
Que es como un jirón
De una esper­an­za…
Su inten­ción es la deses­per­an­za cru­el
Que me arrin­cona más
En esta soledad.
Des­de aquel bal­cón
Rue­da una can­ción,
Que en la noche negra
Dice así:

Volvió…
El invier­no con su blan­co ajuar,
Ya la escar­cha comen­zó a bril­lar
En mi vida sin amor.
Pro­fun­do pade­cer
Que me hace com­pren­der,
Que hal­larse solo, es un hor­ror.

Y al ver…
Cómo soplan en mi corazón,
Vien­tos fríos de des­o­lación
Quiero llo­rar.
Porque mi alma lle­va
Bru­mas de un invier­no,
Que hoy no puedo disi­par…

En aquel bal­cón
Cesa la can­ción,
Pero igual la escuchan mis oídos
Y es que por el eco persegui­do estoy.
Y todo su dolor
Embar­ga el corazón.
Para qué quer­ré
Esta vida yo,
Cuan­do no me que­da juven­tud…
Hora­cio Gemignani Pet­torossi Letra: Enrique Domin­go Cadí­camo

Rober­to Mai­da chante unique­ment ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annon­cé comme étant la chan­son écoutée par le nar­ra­teur.

Traduction libre

Depuis ce bal­con, une chan­son descend, qui est comme un lam­beau d’e­spoir…
Son sujet est le dés­espoir cru­el qui m’en­fonce davan­tage dans cette soli­tude.
Depuis ce bal­con roule une chan­son qui, dans la nuit noire, dit ceci :
Il est revenu…
L’hiv­er avec ses atours blancs,
Déjà le givre a com­mencé à briller dans ma vie sans amour.
Une souf­france pro­fonde qui me fait com­pren­dre qu’être seul, c’est une hor­reur.
Et quand je vois…
Comme ils souf­flent dans mon cœur, les vents froids de la déso­la­tion, j’ai envie de pleur­er.
Parce que mon âme porte les brumes d’un hiv­er, qu’au­jour­d’hui je ne peux pas dis­siper…

Sur ce bal­con, la chan­son s’ar­rête, mais mes oreilles l’en­ten­dent encore, car l’é­cho me pour­suit.
Et toute sa douleur paral­yse le cœur.
Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…

Autres versions

Je serai ten­té de dire qu’il n’y a pas d’autre ver­sion, mais ce ne serait pas sym­pa­thique pour les orchestres con­tem­po­rains qui ont remis le titre à la mode.
Je sig­nale tout de même qu’il existe au moins deux autres tan­gos qui s’appellent Invier­no, com­posés par Arturo Bet­toni avec des paroles de Ramón Abel­lá (Rafael Jorge Abel­lá) pour le pre­mier et Eduar­do Bian­co avec Arau­jo (paroles et musique) pour le sec­ond.
Je vous pro­pose seule­ment ici, les ver­sions issues de Hora­cio Gemignani Pet­torossi et Enrique Domin­go Cadí­camo.

Invier­no 1937-08-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est notre tan­go du jour.
Invier­no 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni
Invier­no 2015 — Cuar­te­to Mulen­ga con Max­i­m­il­iano Agüero
Invier­no 2015 — Orques­ta Típi­ca Mis­te­riosa con Car­los Rossi
Invier­no 2015c — Solo Tan­go Orques­ta
Invier­no 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di.

 Une orches­tra­tion orig­i­nale et un duo, homme femme, com­ment résis­ter à cette ver­sion ?

Invier­no 2018 — Orques­ta Típi­ca Mis­te­riosa con Eliana Sosa

De nou­veau la Mis­te­riosa dans une autre ver­sion, cette fois chan­tée par une femme, Eliana Sosa. Mer­ci à Thier­ry, mon, tal­entueux cor­recteur qui détecte les coquille et a remar­qué que j’avais mis deux fois la même ver­sion de Invier­no par la Típi­ca Mis­te­riosa. Main­tenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a égale­ment enreg­istré avec Juan Pablo Gal­lar­do et a réal­isé deux dis­ques, Sin­er­gia tanguera et De donde ven­go (dans lequel elle chante égale­ment ses pro­pres com­po­si­tions).

Et pour ter­min­er en vidéo, un enreg­istrement de 2017 du Cuar­te­to Mulen­ga à la milon­ga Parakul­tur­al.