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Milonga sentimental 1933-02-09 (Canyengue — Milonga) — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Otros se que­jan llo­ran­do, yo can­to por no llo­rar. Tu amor se secó de golpe, nun­ca dijiste por qué. Yo me con­sue­lo pen­san­do que fue traición de mujer.

À not­er que mal­gré son titre de “milon­ga” et que beau­coup de DJ pro­pose ce titre comme une milon­ga, il s’ag­it plutôt d’un rythme de canyengue ou pour le moins d’un rythme bâtard entre le tan­go et la milon­ga que des orchestres comme celui de Miguel Vil­las­boas adoreront utilis­er plus tard.
Canaro le décrivait comme un milon­gon, une de ses inven­tions ryth­miques qui n’ont pas eu de suc­cès.

Extrait musical

Milon­ga sen­ti­men­tal 1933-02-09 — Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

L’archive sonore présen­tée ici, l’est à titre d’ex­em­ple didac­tique. La qual­ité sonore est réduite à cause de la plate­forme de dif­fu­sion qui n’ac­cepte pas les fichiers que j’u­tilise en milon­ga et qui sont env­i­ron 50 fois plus gros et de bien meilleure qual­ité. Je pense toute­fois que cet extrait vous per­me­t­tra de décou­vrir le titre en atten­dant que vous le trou­viez dans une qual­ité audio­phile.

Paroles

Milon­ga pa’ recor­darte,
milon­ga sen­ti­men­tal.
Otros se que­jan llo­ran­do,
yo can­to por no llo­rar.
Tu amor se secó de golpe,
nun­ca dijiste por qué.
Yo me con­sue­lo pen­san­do
que fue traición de mujer.

Varón, pa’ quer­erte mucho,
varón, pa’ desearte el bien,
varón, pa’ olvi­dar agravios
porque ya te per­doné.
Tal vez no lo sepas nun­ca,
tal vez no lo puedas creer,
¡tal vez te provoque risa
verme tirao a tus pies!

Es fácil pegar un tajo
pa’ cobrar una traición,
o jugar en una daga
la suerte de una pasión.
Pero no es fácil cor­tarse
los tien­tos de un mete­jón,
cuan­do están bien amar­ra­dos
al palo del corazón.

Milon­ga que hizo tu ausen­cia.
Milon­ga de evo­cación.
Milon­ga para que nun­ca
la can­ten en tu bal­cón.
Pa’ que vuel­vas con la noche
y te vayas con el sol.
Pa’ decirte que sí a veces
o pa’ gri­tarte que no.

Sebastián Piana Letra : Home­ro Manzi (Home­ro Nicolás Manzione Prestera)

Traduction

Milon­ga pour me sou­venir de toi, milon­ga sen­ti­men­tale.
D’au­cuns se plaig­nent en pleu­rant, moi, je chante pour ne pas pleur­er.
Ton amour s’est soudaine­ment tari, tu n’as jamais dit pourquoi.
Je me con­sole en pen­sant que ce fut trahi­son de femme.

Varón (mec, homme, mâle), pour t’aimer beau­coup, Varón, pour te souhaiter le bien, Varón, pour oubli­er les griefs, parce que je t’ai déjà par­don­née.
Peut-être que tu ne le sauras jamais, peut-être que tu ne le pour­ras pas croire, peut-être que cela te fera rire de me voir jeté à tes pieds !

Il est facile de faire une entaille pour faire pay­er une trahi­son, ou de jouer avec un poignard la chance d’une pas­sion.
Mais il n’est pas facile de couper les liens d’un amour pas­sion­né, lorsqu’ils sont bien attachés au bâton du cœur
(tien­to, palo peu­vent se référ­er au mem­bre vir­il et tajo à son pen­dant féminin).

Milon­ga qui a fait ton absence.
Milon­ga d’évo­ca­tion.
Milon­ga pour que nul ne la chante jamais à ton bal­con.
Pour que tu revi­ennes avec la nuit et que tu partes avec le soleil.
Pour te dire oui par­fois ou pour te crier non.

Autres enregistrements

Je ne dresserai pas la liste des enreg­istrements de Milon­ga sen­ti­men­tale, il y a en a des dizaines. Cer­tains, comme la ver­sion de Canaro, sont proches du canyengue et d’autres sont de véri­ta­bles milon­gas.
Voici juste quelques per­les :

Milon­ga sen­ti­men­tal 1932-10-04 — Mer­cedes Simone con orques­ta.

Une belle ver­sion assez rapi­de par Mer­cedes Simone. Mal­gré la sim­plic­ité de l’accompagnement avec flute ban­donéon et gui­tare, cette ver­sion pour­rait être pro­posée en milon­ga pour « laver les oreilles » des danseurs qui ne se con­tenteraient pas de la ver­sion du jour.

Milon­ga sen­ti­men­tal 1932-12-12 (Milon­ga Tanguea­da) — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Après la ver­sion de Mer­cedes Simone, Ada Fal­cón, nous pro­pose une jolie ver­sion, plus canyengue, mais un peu molle pour la danse à mon goût, ce qui n’est pas éton­nant, car c’est une chan­son et pas un enreg­istrement de danse.

Milon­ga sen­ti­men­tal 1932-12-30 — Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Car­los Lafuente.

Une ver­sion bien canyengue, mais qui peut chang­er de notre ver­sion du jour, même si la voix plus acide de Lafuente peut ne pas plaire à tous.

Milon­ga sen­ti­men­tal 1933-01-23 — Car­los Gardel accom­pa­g­né à la gui­tare par Guiller­mo Bar­bi­eri, Domin­go Riverol, Domin­go Julio Vivas et Hora­cio Pet­torossi.

Pas pour la danse, mais des pas­sages avec la voix de Gardel se retrou­vent dans cer­taines ver­sions de Otros Aires au vingt unième siè­cle…

Milon­ga sen­ti­men­tal 1933-01-25 — Alber­to Gómez y Augus­to “Tito” Vila con acomp. de gui­tar­ras.

C’est la pre­mière ver­sion enreg­istrée en duo. Même si on est dans le domaine de la chan­son, c’est presque dans­able et finale­ment assez agréable à écouter.

Milon­ga sen­ti­men­tal 1933-02-09 — Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos. C’est notre titre du jour.
Milon­ga sen­ti­men­tal 1958-09-18 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca con Arman­do Guer­ri­co y Mario Luna.

On doit recon­naître à Sala­man­ca d’avoir été un des pre­miers à pro­pos­er une ver­sion rapi­de. En plus le duo qui reprend le principe de notre enreg­istrement du jour par Canaro est plutôt sym­pa­thique. Cette ver­sion qui peut être atti­rante à la pre­mière écoute, n’est cepen­dant pas totale­ment sat­is­faisante pour la danse.

Milon­ga sen­ti­men­tal 1987C — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Le style sautil­lant et allè­gre de Vil­las­boas est très typ­ique de cer­tains orchestres uruguayens. Ce n’est sans doute pas la meilleure ver­sion, mais ce n’est pas désagréable à écouter, voire à danser.

Les orchestres con­tem­po­rains jouent sys­té­ma­tique­ment ce titre et nous avons donc une pléthore d’enregistrements qui hési­tent entre les ver­sions en chan­son, les ver­sions en canyengue et celles en milon­ga. Je vous pro­pose juste pour le vingt-unième siè­cle une ver­sion très dif­férente…

Milon­ga sen­ti­men­tal 2005 — Otros Aires Con Car­los Gardel.

J’indique Car­los Gardel, mais bien sûr, c’est juste sa voix qui est citée dans cet enreg­istrement de Otros Aires, un orchestre qui a eu son heure de gloire en appor­tant un style éton­nant, mais qui n’a pas sût se renou­vel­er.

Voilà, À bien­tôt, les amis !

Yo can­to por no llo­rar / Je chante pour ne pas pleur­er.

La vida es un tango 1939-02-08 (Film)

Réalisation Manuel Romero. Musique Alberto Soifer

Sabi­na Olmos et Hugo del Car­ril

La vida es un tan­go est un film argentin en noir et blanc de Manuel Romero. La musique est d’Alber­to Soifer (com­pos­i­teur de nom­breux titres de la vie­ja guardia comme la mer­veilleuse valse Estrel­li­ta mía enreg­istrée, entre autre par Dona­to).

Il est sor­ti le 8 févri­er 1939.

Les rôles sont tenus par Flo­ren­cio Par­ravici­ni, Tito Lusiar­do, Hugo del Car­ril et Sabi­na Olmos.

Le film d’un cou­ple (Hugo del Car­ril et Sabi­na Olmos) autour du tan­go au début du vingtième siè­cle.
Con­sul­tez le site de la mai­son de pro­duc­tion, Lumi­ton pour obtenir du matériel autour du film.
La vida es un tan­go (1939)

Intrigue du film

Ce film est sans doute un chef d’œu­vre pour tous ceux qui s’in­téresse à l’his­toire du tan­go. Il faut bien sûr révis­er quelques élé­ments qui ne sont pas par­faite­ment com­pat­i­bles avec la vérité, mais à l’aide des voix mer­veilleuses de Hugo Del Car­ril et de Sabi­na Olmos, ce film vous fera voy­ager, rêver et je suis sûr, vous enchantera.
L’in­trigue est assez sim­ple.
Un jeune homme (Raul Con­tr­eras, joué par Hugo Del Car­ril), fils d’un chef d’orchestre pianiste (Con­tr­eras père, joué par Flo­ren­cio Par­ravici­ni).
Un soir, Raul se rend dans le cabaret où son père joue du piano avec son orchestre. Il joue de façon automa­tique, un bock de bière pour chaque titre, ce qui donne lieu à un gag répéti­tif. À chaque morceau joué, il boit entière­ment son boc (j’espère que c’est un verre truqué) et à peine l’a‑t-il reposé que la serveuse l’échange con­tre un bock plein.
Raul con­te à son père qui tra­vail­lait de façon dis­simulée à son fils dans ce cabaret, qu’il souhaite devenir chanteur de tan­go, annonçant que cette musique sera un phénomène mon­di­al. Cela pour­rait être une pré­mo­ni­tion géniale puisque la scène est sen­sée se pass­er au tout début du vingtième siè­cle, mais il faut tem­pér­er, car le film date de 1939…
Lors de cette soirée, il fait con­nais­sance de Elisa Quin­tana, jouée par Sabi­na Olmos et de son père, joué par Tito Lusiar­do.
Il se retrou­ve à chanter avec Elisa sur scène pour sa pre­mière presta­tion publique. C’est un suc­cès.
Les par­ents déci­dent de lancer le cou­ple d’artiste et imag­i­nent d’aller à Paris, pen­sant qu’à la fin de la pre­mière guerre mon­di­ale, la France aurait envie de se diver­tir.
C’est bien sûr un immense suc­cès, mais Raul fait con­nais­sance d’une riche héri­tière. Le père Con­tr­eras voit d’un bon œil que son fils l’épouse. Cela blesse Elisa qui est amoureuse de Raul et finale­ment, Elisa et son père retour­nent à Buenos Aires où elle a un grand suc­cès.
Elle finit par se mari­er à un riche héri­ti­er et arrête sa car­rière musi­cale. Raul qui n’avait pas pu l’oublier décide de ren­tr­er en Argen­tine dans l’espoir de la recon­quérir, sans savoir qu’elle vient de se mari­er. Il assiste au dernier con­cert d’Elisa qui, jeune mar­iée d’une grande famille, ne peut plus se com­pro­met­tre sur les planch­es.
Pour noy­er sa tristesse, Raul part à New-York, accom­pa­g­né par son père et dégringole, sous les coups des whiskies qu’il ingur­gite trop facile­ment.
Au bout du rouleau, ayant per­du sa voix après une pneu­monie, il accepte de ren­tr­er à Buenos Aires.
Je vous laisse décou­vrir la suite dans le film.

Les chansons du film musical

Ce film est égale­ment un pré­texte pour pass­er des chan­sons inter­prétées de façon fab­uleuse par Hugo Del Car­ril et Sabi­na Olmos.
Par­mi les titres inter­prétés sous la direc­tion de Alber­to Soifer :
• Viens Poupoule de Félix May­ol (mon­trant que la musique de France était présente à Buenos Aires au tout début du vingtième siè­cle).
• La morocha
• El porteñi­to
• La payan­ca
• Gabi­no el may­oral
• Bel­gi­ca (en l’honneur de la Bel­gique qui venait d’être envahie par l’Allemagne)
• Mi noche triste
• El tai­ta del arra­bal
• Patoter­ro sen­ti­men­tal (une sub­lime ver­sion)

Sub­mergé d’é­mo­tion Raul (Hugo Del Car­ril) chante Patotero sen­ti­men­tal quand il com­prend qu’il va per­dre elisa.

• Milon­gui­ta
• La copa del olvi­do
• Nubes de humo
• Mano a mano (une inter­pré­ta­tion extra­or­di­naire)

Superbe inter­pré­ta­tion de Hugo Del Car­ril qui décide de chang­er pour chanter Mano a Mano quand il voit Elisa avec son mari. Ce dernier ne com­prend pas com­plète­ment que Raul (Hugo Del Car­ril) chante pour elle, ce qui explique l’ex­tra­or­di­naire émo­tion que provoque cette inter­pré­ta­tion.

• Yira-yira
• ban­doneón arra­balero
• Aquel tapa­do de armiñó.
Les chan­sons sont choisies en fonc­tion de l’intrigue et ser­vent aux deux pro­tag­o­nistes prin­ci­paux pour exprimer leurs sen­ti­ments.
En cela, le film est d’une grande justesse et je le con­sid­ère comme un véri­ta­ble chef‑d’œuvre. J’espère que vous partagerez mon ent­hou­si­asme.

Les styles du tango

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944.

Il sem­ble que tout a été dit sur les styles de tan­go. Je vous pro­pose cepen­dant un petit point, vu essen­tielle­ment sur l’aspect du tan­go de danse.

Ce qu’il con­vient de pren­dre en compte, c’est que les péri­odes générale­ment admis­es sont en fait toutes rel­a­tives.

Les orchestres ont, selon les cas, con­tin­ué un style qui leur réus­sis­sait au-delà d’autres orchestres et a con­trario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remet­tant en avant des élé­ments dis­parus depuis plusieurs décen­nies.

On peut donc avoir deux enreg­istrements con­tem­po­rains appar­tenant à des courants forts dif­férents. C’est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble à par­tir des années 50, où la baisse de la pra­tique de danse a incité les orchestres à dévelop­per de nou­veaux hori­zons, sou­vent en réchauf­fant des plats plus anciens.

Les origines (avant le tango)

Il ne s’agit pas ici de tranch­er dans un des nom­breux débats entre spé­cial­istes des orig­ines. Du strict point de vue de la danse, les pre­miers tan­gos sont proche du style habanero et par con­séquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il con­vient de trou­ver la forme de danse.

La habanera

Vous con­nais­sez ce rythme. DaaaTa­daTaDaaa

Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les bar­res rouges (croches pointées) cor­re­spon­dent à 3 unités tem­porelles rel­a­tives (dou­ble croche), les bar­res bleues à une unité tem­porelle (dou­ble croche) et les bar­res vertes à deux unités tem­porelles (croche). Les bar­res sont donc pro­por­tion­nelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela sig­ni­fie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux bar­res ver­ti­cales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les dou­bles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous con­nais­sez la lec­ture du rythme en musique (ou pas…).
Rythme de la habanera au piano. retrou­vez le DaaaTa­daTaDaaa…

La habanera porte ce nom, car c’est une resti­tu­tion d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a com­posé El arregli­to (le petit arrange­ment) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rap­pel­er quelque chose.

Axiv­il Criol­lo — El Arregli­to — Com­pos­i­teur Sebastián de Iradier vers 1840.

Avez-vous trou­vé ?

Oui, vous avez trou­vé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.

Tere­sa Bergan­za chante la Habanera de Car­men de Bizet (le copieur 😉

Ce rythme, très présent dans les pre­miers tan­gos, est devenu plus dis­cret, sauf pour les milon­gas qui l’ont large­ment exploité.

Dans la milon­ga criol­la (ici par l’orchestre de Fran­cis­co Canaro 1936-10-06), on recon­nait par­faite­ment le rythme de la habanera qui a été accélérée et est dev­enue une des pier­res de con­struc­tion des milon­gas.

Lorsque le tan­go de danse a per­du de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes tra­di­tion­nelles, au point que les com­pos­i­teurs l’on réin­tro­duit très large­ment.

Autres apports

En par­al­lèle, des formes chan­tées, notam­ment par les payadors et des dans­es, tra­di­tion­nelles, voire trib­ales, ont influ­encé ces prémices, don­nant une grande richesse à ce qui devien­dra le tan­go, notam­ment à tra­vers ses trois formes dan­sées, le tan­go, la milon­ga et la valse.

Les payadors

On lit par­fois que Gardel était un payador. Cepen­dant, même s’il était ami de José Bet­tinot­ti, il n’a pas été directe­ment l’un de ces chanteurs qui s’ac­com­pa­g­naient à la gui­tare en impro­visant. Cepen­dant, l’influence des payadors est indé­ni­able pour le tan­go, comme vous pou­vez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’ha­banera pour­rait s’ap­procher d’une milon­ga lente ou d’un canyengue.

José Bet­tinot­ti, El cabrero cir­ca 1913

Exemple d’influence africaine

Par­mi les sources, on met en avant des orig­ines africaines. Même si l’Ar­gen­tine n’a pas été une terre d’esclavage très mar­quée, con­traire­ment à beau­coup d’autres payés du con­ti­nent améri­cain, il y a eu une com­mu­nauté d’o­rig­ine africaine rel­a­tive­ment impor­tante au XIXe siè­cle. Celle-ci s’est atténuée par l’émi­gra­tion, les mariages avec des pop­u­la­tions d’autre orig­ines et quelques faits guer­ri­ers où ils ont servi de chair à canon.

Même si l’Ar­gen­tine a absorbé des élé­ments, c’est plutôt la province de l’Est, l’U­ruguay qui a le plus été influ­encé par ces musiques, notam­ment les per­cus­sions.

Can­dombe solo para Uruguayos — Hugo Fat­toru­so — “Cam­i­nan­do” , Toma de Sonido Dario Ribeiro

Le can­dombe et la milon­ga can­dombe se retrou­vent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Car­los Cacéres relance la mode.

Siga el baile 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dirigé par Ángel Con­der­curi.

La dénom­i­na­tion “tan­go” est sou­vent asso­ciée à la défor­ma­tion de “tam­bo” et désig­nait des lieux ou la com­mu­nauté noire dan­sait. Il faut voir un juge­ment négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu syn­onyme de bam­boche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’é­tait pas issue des Africains a hérité de ce voca­ble péjo­ratif, lorsque le tan­go s’est dévelop­pé dans les bor­dels et autres lieux choquants pour la bonne société.

Les origines européennes

L’im­mi­gra­tion européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criol­lo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adop­té des valses vien­nois­es.

Pour la milon­ga, c”est un peu moins évi­dent de retrou­ver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde lati­noaméri­cain ont favorisé sa dif­fu­sion. La habanera sym­bol­i­sait le marin pour l’Eu­rope. La milon­ga, on devrait même écrire les milon­gas sont une sal­sa, un mélange d’in­flu­ences.

Les débuts du tan­go dans les faubourgs et les milieux inter­lopes ont con­duit celui-ci à des formes assez pop­u­laires, voire out­rées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en total­ité.

La naissance européenne

Dis­ons-le, tout bon­nement, ce tan­go d’avant le tan­go n’est pas au sens strict du tan­go. À cela se rajoute que les rares enreg­istrements de l’époque ont été réal­isés par voie acous­tique et qu’ils ne sont donc pas du tout adap­tés à nos oreilles con­tem­po­raines.

Voir les pro­grès de l’en­reg­istrement pour plus d’in­for­ma­tions sur l’en­reg­istrement acous­tique.

Vu les lieux où le tan­go était joué et mal­gré la fréquen­ta­tion par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tan­go ne s’est pas fait une place impor­tante en Argen­tine avant d’ac­quérir ses let­tres de noblesse en Europe et notam­ment en France.
Il y a une théorie dif­férente qui se base sur un film réal­isé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le prob­lème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrou­vé. Un film est con­sid­éré par cer­tains comme le film de Py qui aurait été retrou­vé.

Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pra­ti­quer une forme de tan­go. Ce film est par­fois qual­i­fié de pre­mier film de tan­go qui cor­re­spondrait à un film enreg­istré en 1900 par Eugène Py. La qual­ité de l’im­age, le vête­ment de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les par­ti­sans de l’at­tri­bu­tion à Eugène Py indique que le film orig­i­nal a été réal­isé en extérieur, sur la ter­rasse de l’en­tre­prise Casa Lep­age À Buenos Aires. On peut voir qu’i­ci, il s’ag­it d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela sem­ble un peu exagéré pour ce type de film. En admet­tant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aus­si, pourquoi servi­raient-ils de fig­u­rants ? Il est plus sim­ple d’imag­in­er que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’a­gir de danseurs fig­u­rants. Si le film est de 1920, il peut s’a­gir de per­son­nes plus for­tunées qui présen­tent leurs per­for­mances de danse. Je pro­pose donc de rester sur les témoignages écrits et nom­breux et de ne pas suiv­re l’hy­pothèse qui ferait de ce film la preuve que le tan­go était dan­sé dans la haute société dès 1900.

Le style du tango, avant le tango… (Prototango)

Avant 1926, date des pre­miers enreg­istrements élec­triques, pas d’enregistrements util­is­ables en danse.

Argañaraz — Orques­ta Típi­ca Criol­la Alfre­do Gob­bi (1913)

Comme vous pou­vez vous en ren­dre compte, le style som­maire et monot­o­ne de la musique est ren­for­cé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavil­lon puisse graver le sup­port d’enregistrement. On retrou­ve cepen­dant cer­tains élé­ments « Canyengue » que l’on con­naît par les enreg­istrements élec­triques.

Je vous pro­pose à titre d’exemple, Zor­ro gris un enreg­istrement élec­trique de 1927 par Fran­cis­co Canaro.

Zor­ro gris 1927-08-22, Fran­cis­co Canaro (enreg­istrement élec­trique).

La vieille garde (Guardia vieja)

Gob­bi et Canaro, dans la pre­mière par­tie de leur car­rière, sont des représen­tants de ce que l’on a nom­mé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes dif­férents avaient vu le jour. Se détachant pro­gres­sive­ment du style clau­di­cant du canyengue, les orchestres aban­don­nent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue devi­en­nent des milon­gas, comme par exem­ple : Milon­ga de mis amores, ici dans la ver­sion de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-05-26, Fran­cis­co Canaro

con­traire­ment à la ver­sion de la même année par Pedro Lau­renz :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-07-14, Pedro Lau­renz can­ta Héc­tor Far­rel

Ou celle du même de 1944 :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1944-01-14, Pedro Lau­renz

Des orchestres anciens évolu­ent, comme Di Sar­li ou d’Arien­zo, notam­ment à l’ar­rivée de Bia­gi dans l’orchestre et on arrive à la grande péri­ode du tan­go, l’âge d’or.

L’âge d’or (Edad de oro)

C’est la péri­ode con­sid­érée comme la plus adap­tée au tan­go de danse. C’est logique, car à l’époque, le tan­go était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se pro­dui­saient.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. En rouge, les 4 piliers se pro­duisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de sec­ond plan, tout à fait dans­ables et en vert, des orchestres un peu moins per­ti­nents pour la danse.

On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musi­ciens jouaient ensem­ble plusieurs fois par semaine et il y avait un cli­mat d’émulation pour ne pas dire de com­péti­tion entre les orchestres.

On remar­quera qu’en face de cha­cun des orchestres de tan­go, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des gen­res var­iés et les orchestres se spé­cial­i­saient.

Cer­tains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui per­me­t­tait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuiv­res dans son orchestre de tan­go, il jouait donc de la lim­ite entre les deux for­ma­tions. Vous avez pu écouter cela dans l’ex­trait de Milon­ga de mis amores, ci-dessus.

Chaque orchestre se dis­tin­guait par un style pro­pre. Cer­tains étaient plus intel­lectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus roman­tiques, comme Di Sar­li ou Frese­do et d’autres plus urbains, comme Troi­lo.

Aujourd’hui, dans les milon­gas, le DJ s’arrange pour pro­pos­er ces qua­tre ori­en­ta­tions pour éviter la monot­o­nie et con­tenter les dif­férentes sen­si­bil­ités des danseurs.

Même si la pro­duc­tion de l’époque est essen­tielle­ment tournée vers la danse, il y a égale­ment une pro­duc­tion pour l’écoute.

Sur les dis­ques de l’époque, il est facile de faire la dif­férence, notam­ment pour les tan­gos avec chanteur. En effet, un tan­go à danser est indiqué : Nom de l’orchestre can­ta ou estri­bil­lo can­ta­do por Nom du chanteur. Un tan­go à écouter est indiqué Nom du chanteur y su orques­ta dirigi­do por ou con (avec) Nom de l’orchestre.

Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui con­cerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il con­vient seule­ment de savoir recon­naître le tan­go de danse et de savoir appréci­er les dif­férences de style entre les orchestres.

Pour les DJ, il est impor­tant de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est sou­vent moins grave de mélanger deux orchestres enreg­istrés à la même époque que de mélanger deux enreg­istrements d’époques styl­is­tique­ment dif­férentes du même orchestre.

Tango Nuevo

C’est celui ini­tié par De Caro, repris ensuite par Troi­lo, Pugliese et Piaz­zol­la, par exem­ple. Il est encore très vivant, notam­ment chez les orchestres de con­cert.

À not­er que Pugliese et Troi­lo sont bien sûr des piliers du tan­go de bal et que leurs incur­sions nuevos, pas tou­jours pour la danse, ne doivent pas mas­quer leur impor­tance dans le bal tra­di­tion­nel.

N’oublions pas que Pugliese a aus­si bien enreg­istré du canyengue, que du tan­go clas­sique avant de faire du Nue­vo… Curieuse­ment, le tan­go dit nue­vo reprend sou­vent des motifs les plus anciens, notam­ment la habanera des tout pre­miers titres du XIXe siè­cle.

Tango Electronico

Style Gotan Project. Il se car­ac­térise prin­ci­pale­ment par une bat­terie et l’utilisation d’instruments élec­tron­iques. Curieuse­ment, il est par­fois assez proche, d’un point de vue ryth­mique, du tan­go musette qui est l’évolution européenne et notam­ment fran­co-ital­i­enne, du tan­go du début du XXe siè­cle.

Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répéti­tive et ne con­vient pas aux danseurs avancés. Cepen­dant, il faut recon­naître que cette musique a fait venir de nou­veaux adeptes au tan­go.

Tango alternatif (neotango)

Le tan­go alter­natif con­siste à danser avec des repères « tan­go » sur des musiques qui ne sont absol­u­ment pas conçues comme telles.

Par exem­ple, la Cole­giala de Ramirez est un tan­go alter­natif, puisqu’on le danse en “milon­ga” alors que c’est un fox-trot.

Cer­tains DJ européens pla­cent des zam­bas que les danseurs dansent en tan­go. Quel dom­mage quand on sait la beauté de la danse.

N’oublions pas la dynamique « néotan­go » qui con­siste à danser sur toute musique, chan­son, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des hori­zons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et per­met donc de marcher sur les temps.

Ce qui manque sou­vent à cette musique, c’est le sup­port à l’improvisation. On peut lui recon­naître une forme de créa­tiv­ité dans la mesure où elle per­met / oblige de sor­tir des repères et donc d’in­nover. Mais est-t-il vrai­ment pos­si­ble d’in­nover en tan­go ? C’est un autre débat.

Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse

Si on étudie un tan­go de l’âge d’or, on y décou­vri­ra plusieurs qual­ités favorisant la danse :

  • La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instru­ment (dont le chanteur), puis pass­er à un autre. On peut aus­si choisir de danser unique­ment la mar­ca­tion (tem­po). Les instru­ments se répon­dent. On peut ain­si se répar­tir les rôles avec les parte­naires en recon­sti­tu­ant le dia­logue en le dansant.
  • La musique se répète plusieurs fois, mais avec des vari­a­tions. Cela per­met de décou­vrir le tan­go au cas où il ne serait pas con­nu et la sec­onde fois, l’oreille est plus famil­ière et l’improvisation est plus con­fort­able. Cette reprise est en général dif­férente de la pre­mière expo­si­tion, mais reste tout à fait com­pa­ra­ble. Par exem­ple, la pre­mière fois le thème est joué au vio­lon ou au ban­donéon et la sec­onde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instru­ment. Si c’est le même instru­ment, il y aura de légères dif­férences dans l’orchestration qui ren­dra l’écoute moins monot­o­ne.
  • Les change­ments de rythme, phras­es, par­ties, sont annon­cés. Un danseur musi­cien ou exer­cé sait recon­naître les par­ties et peut « devin­er » ce qui va suiv­re, ce qui lui per­met d’improviser plus facile­ment sans dérouter sa parte­naire. Je devrais plutôt met­tre cela au pluriel, car les deux mem­bres du cou­ple par­ticipent à l’improvisation. Si la per­son­ne guidée a envie d’appuyer, de mar­quer un élé­ment qui va arriv­er, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alter­na­tives ou des musiques d’inspiration pus clas­siques, comme cer­taines com­po­si­tions de Piaz­zol­la » pro­posent sou­vent des sur­pris­es qui font qu’elles ne per­me­t­tent pas de devin­er la suite, ou au con­traire, sont telle­ment répéti­tives, que quand revient le même thème de façon iden­tique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nou­velles idées et finis­sent par tomber dans une rou­tine. Évidem­ment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se con­tentent de dérouler des choré­gra­phies ne ver­ront pas de dif­férences entre les dif­férents types de tan­go. Ceci explique le suc­cès des pra­tiques neotan­go auprès des débu­tants, même si ces bals ont aus­si du suc­cès auprès de danseurs plus affir­més. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la men­ace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tan­go…

Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?

Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde com­por­tent des titres sub­limes et très amu­sants ou intéres­sants à danser. Cer­tains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’af­filée sur ces rythmes. Cepen­dant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharp­er…

Quelques musiques mod­ernes don­nent des idées agréables à danser. Pour ma part, je pro­pose sou­vent une tan­da de valses « orig­i­nales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tan­gos tra­di­tion­nels et le besoin d’improvisation est moins impor­tant, car il s’agit surtout de… tourn­er.

Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechig­nent pas tou­jours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nom­breux danseurs. C’est donc un domaine à pro­pos­er aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont par­ti­c­ulière­ment nom­breux. C’est bien le signe que c’est tou­jours dans l’air du temps.

Pour ter­min­er, je pré­cise que je suis DJ et que par con­séquent, mon tra­vail est de ren­dre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sen­si­bil­ité.

Pour un DJ rési­dent, en revanche, il est impor­tant d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans cer­tains endroits, le DJ met tou­jours le même type de musique, pas for­cé­ment de la meilleure qual­ité pour la danse. Le prob­lème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.

L’innovation, c’est bien, mais il me sem­ble qu’il faut tou­jours garder un fond de cul­ture « authen­tique » pour que le tan­go reste du tan­go.