Archives par étiquette : Hugo Rivas

Jamás retornarás 1942-10-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Miguel Caló ; Osmar Héctor Maderna (paroles et musique)

On a déjà vu des tan­gos dont le thème était l’abandon. Ici, c’est la femme qui est par­tie, prob­a­ble­ment pour acheter des cig­a­rettes et qui n’est jamais rev­enue. Miguel Caló avec son chanteur fétiche, Raúl Berón est sans doute l’orchestre qu’il fal­lait pour met­tre en ondes sonores cette com­po­si­tion de Miguel Caló et Osmar Mader­na.

Extrait musical

Jamás retornarás 1942-10-09 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón
Par­ti­tion de Jamás retornarás de Miguel Caló et Osmar Héc­tor Mader­na (paroles et musique). La par­ti­tion est dédi­cacée par Mader­na et Calo à leur ami Quin­teiro Assi (je n’ai pas trou­vé qui c’était…).

Le vio­lon com­mence en dessi­nant une longue phrase rejoint par le piano en con­traste avec des accords plaqués. Le titre est con­stru­it de cette façon par une alter­nance de pas­sages lega­to et d’autres stac­ca­to et piqués. La voix de Raúl Berón est accom­pa­g­née par le piano qui martèle un rythme très mar­qué. C’est une des par­tic­u­lar­ités de l’orchestre de Miguel Caló, une base ryth­mique puis­sante et une mélodie autonome qui la sur­v­ole. On com­par­era à ce que font D’Arienzo ou Bia­gi à la même époque, chez eux, la mélodie est sac­ri­fiée au rythme et ne s’en dis­tingue pas.

Paroles

Cuan­do dijo adiós, quise llo­rar…
Luego sin su amor, quise gri­tar…
Todos los ensueños que albergó mi corazón
(toda mi ilusión),
cayeron a peda­zos.
Pron­to volveré, dijo al par­tir.
Loco la esperé… ¡Pobre de mí!
Y hoy, que tan­to tiem­po ha tran­scur­ri­do sin volver,
sien­to que he per­di­do su quer­er.

Jamás retornarás…
lo dice el alma mía,
y en esta soledad
te nom­bro noche y día.
¿Por qué, por qué te fuiste de mi lado
y tan cru­el has destroza­do
mi corazón?
Jamás retornarás…
lo dice el alma mía
y, aunque murien­do está,
te espera sin cesar.

Cuán­to le imploré: vuelve, mi amor…
Cuán­to la besé, ¡con qué fer­vor!
Algo me decía que jamás iba a volver,
que el anochecer
en mi alma se anid­a­ba.
Pron­to volveré, dijo al par­tir.
Mucho la esperé… ¡Pobre de mí!
Y hoy, que al fin com­pren­do
la penosa y cru­el ver­dad,
sien­to que la vida se me va.
Miguel Caló ; Osmar Héc­tor Mader­na

Traduction libre

Quand elle m’a dit au revoir, j’avais envie de pleur­er…
Puis, sans son amour, j’ai eu envie de crier…
Tous les rêves que mon cœur nour­ris­sait (toutes mes illu­sions) tombèrent en miettes.
Je serai bien­tôt de retour, a‑t-elle dit en par­tant.
Fou, je l’ai atten­due… Pau­vre de moi !
Et aujour­d’hui, alors que tant de temps s’est écoulé sans retour, je sens que j’ai per­du son amour.
Tu ne revien­dras jamais…
Mon âme le dit, et dans cette soli­tude je te nomme nuit et jour.
Pourquoi, pourquoi es-tu par­tie d’à mon côté et si cru­elle­ment, tu as brisé mon cœur ?
Tu ne revien­dras jamais…
Mon âme le dit, et bien qu’elle soit mourante, elle t’attend sans cesse.
Com­bi­en je l’ai imploré : reviens, mon amour…
Com­bi­en je l’ai embrassée, avec quelle fer­veur !
Quelque chose me dis­ait qu’elle ne reviendrait jamais, que le cré­pus­cule se nichait dans mon âme.
Je serai bien­tôt de retour, a‑t-elle dit en par­tant.
Je l’ai beau­coup atten­due… Pau­vre de moi !
Et aujour­d’hui, quand je com­prends enfin la douloureuse et cru­elle vérité, je sens que la vie m’échappe.

Autres versions

Jamás retornarás 1942-10-09 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón. C’est notre tan­go du jour.
Jamás retornarás 1943-06-28 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

On entend tout de suite la dif­férence de style d’avec Miguel Caló. L’orchestre joue ensem­ble, sans l’opposition entre le rythme et la mélodie. Cela rend sans doute la musique moins agréable à danser pour les danseurs qui aiment avoir un rythme bien présent. Hon­nête­ment, il me sem­ble facile de com­pren­dre pourquoi c’est la ver­sion de Miguel Caló qui est passée à la postérité.

Jamás retornarás 2013 — Orques­ta Típi­ca Sans Souci con Wal­ter “Chi­no” Labor­de.

Jamás retornarás 2013 — Orques­ta Típi­ca Sans Souci con Wal­ter “Chi­no” Labor­de.

La Típi­ca Sans Souci s’est fait une spé­cial­ité de à la manière de. Ce titre est extrait d’un disque nom­mé Ac​ú​stico y Monoau­r­al. Même si on peut le trou­ver en numérique, il a été réal­isé en analogique et en mono (comme les dis­ques 78 tours de l’âge d’or). Sans Souci s’est claire­ment inspiré de la ver­sion de Caló, jusqu’au petit chapelet de notes final. Cette simil­i­tude de la musique rend étrange la voix d’el Chi­no Labor­de, un immense chanteur, mais qui me sem­ble bien moins per­ti­nent sur cette orches­tra­tion que Raúl Berón.

Le disque de Sans Souci est une volon­té de rap­pel­er les tech­niques d’en­reg­istrement de l’âge d’or.
Jamás retornarás 2013-12-05 — Orques­ta Típi­ca Andar­ie­ga con Fabián Vil­laló.

Vous allez cer­taine­ment être sur­pris. En effet, si le titre est le même, il s’agit d’une com­po­si­tion de Lui­gi Coviel­lo, directeur, arrangeur et con­tre­bassiste de l’orchestre. Vous me par­don­nerez cette facétie, j’espère.
Mal­gré cet ajout illégitime, la récolte est assez mai­gre.
Peut-être qu’un orchestre con­tem­po­rain se lancera dans l’aventure. Il y a quelques prémices, sans doute pas totale­ment con­va­in­cants.

Jamás Retornarás 2015-09-18 — Ser­gio Veloso Con Hugo Rivas y Rudi Flo­res (gui­tar­ras).

Une ver­sion en chan­son.

Jamás retornarás 2019-07-20 — Sex­te­to Andi­amo.

Une ver­sion instru­men­tale, pas vilaine, mais on s’est habitué à la ver­sion de Caló et Berón. C’est cepen­dant une assez bonne direc­tion et il me sem­ble que l’on pour­rait bien voir appa­raître une nou­velle ver­sion dans les années à venir.

C’est fini, comme je dis en fin des milon­gas en France. À bien­tôt les amis.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Shusheta ou sa vari­ante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élé­gant, avec une nuance qui peut aus­si qual­i­fi­er un mouchard. Les Dic­ta­teurs de la Décen­nie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce por­trait de ce shusheta, peint crû­ment par Cadí­camo sur la musique de Cobián n’est pas si flat­teur.

Extrait musical

Shusheta (El aristócra­ta) 1940-10-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li
Par­ti­tion de Shusheta « Gran tan­go de salón para piano ».

Paroles usuelles (1938)

Le tan­go a été écrit en 1920 et était donc instru­men­tal, jusqu’à ce que Cadí­camo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la ver­sion habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, galera y bastón…

Dicen que fue, allá por su juven­tud,
un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer.
Engalanó la puer­ta (las fies­tas) del Jock­ey Club
y en el ojal siem­pre llev­a­ba un clav­el.

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, cham­ber­go (galera) y bastón.

Apel­li­do dis­tin­gui­do,
gran señor en las reuniones,
por las damas sus­pira­ba
y con­quista­ba
sus cora­zones.
Y en las tardes de Paler­mo
en su coche se pasea­ba
y en procu­ra de un encuen­tro
iba el porteño
con­quis­ta­dor.

Ah, tiem­pos del Petit Salón…
Cuán­ta locu­ra juve­nil…
Ah, tiem­po de la
sec­ción Cham­pán Tan­go
del “Armenonville”.

Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emo­ción…
Hoy sólo quedan
recuer­dos de tu corazón…

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, galera y bastón.
Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo

Var­gas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette par­tie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tan­go de danse.
En gras les mots chan­tés par Var­gas à la place de ceux de Cadí­camo.

Traduction libre des paroles usuelles et indications

Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne… (Polainas, c’est aus­si con­trar­iété, revers, décep­tion, Galera, c’est aus­si la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lec­tures des paroles, ce que con­firme la ver­sion, orig­i­nale, plus noire. Pré­cisons toute­fois que la par­ti­tion déposée à la SADAIC indique cham­ber­go, cha­peau. Ce serait donc Var­gas qui aurait adap­té les paroles).
On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’an­tan.
Il déco­rait la porte (Var­gas chante les fêtes) du Jock­ey Club et por­tait tou­jours un œil­let à la bou­ton­nière.
Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne.
Un nom de famille dis­tin­gué, un grand seigneur dans les réu­nions, il soupi­rait pour les dames et con­quérait leurs cœurs.
Et les après-midi de Paler­mo, il se prom­e­nait dans sa voiture à la recherche d’un ren­dez-vous, ain­si allait le porteño con­quérant.
Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tan­gos s’appellent Petit Salón, dont un de Vil­lo­do [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demar­co né en 1912 et qui n’a sans doute pas con­nu le Petit Salón).

Com­bi­en de folie juvénile…
Ah, c’est l’heure du Tan­go Cham­pagne de l’Ar­menonville.
Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’é­mo­tion…
Aujour­d’hui, il ne reste que des sou­venirs de ton cœur…
Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne

Premières paroles (1934)

Ces paroles n’ont sem­ble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Rus­so, Cadí­camo les aurait écrites en 1934.
Cette ver­sion n’a été enreg­istrée que par Osval­do Ribó accom­pa­g­né à la gui­tare par Hugo Rivas.
On notera qu’elles men­tion­nent shusheta, ce que ne fait pas la ver­sion de 1938 :

Pobre shusheta, tu tri­un­fo de ayer
hoy es la causa de tu pade­cer…
Te has apa­gao como se apa­ga un can­dil
y de sha­cao sólo te que­da el per­fil,
hoy la vejez el armazón te ha aflo­jao
y parecés un ban­doneón desin­flao.
Pobre shusheta, tu tri­un­fo de ayer
hoy es la causa de tu pade­cer.

Yo me acuer­do cuan­do entonces,
al influ­jo de tus guiyes,
te mima­ban las minusas,
las más papusas
de Armenonville.
Con tu smok­ing relu­ciente
y tu pin­ta de alto ran­go,
eras rey bai­lan­do el tan­go
tenías patente de gigoló.

Madam Gior­get te supo dar
su gran amor de gigo­let,
la Ñata Inés te hizo soñar…
¡y te empeñó la vuaturé !
Y te acordás cuan­do a Renée
le regalaste un reló
y al otro día
la fulería
se paró.
Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre de la première version de 1934

Pau­vre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lun­far­do, voire un “petit maître”), ton tri­om­phe d’hi­er est aujour­d’hui la cause de tes souf­frances…
Tu t’es éteint comme s’éteint une chan­delle et de sha­cao (je n’ai pas trou­vé la référence) il ne te reste que le pro­fil, aujour­d’hui la vieil­lesse t’a relâché le squelette et tu ressem­bles à un ban­donéon dégon­flé.
Pau­vre shusheta, ton tri­om­phe d’hi­er est aujour­d’hui la cause de ta souf­france.
Je me sou­viens qu’alors, sous l’in­flu­ence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Ar­menonville.
Avec ton smok­ing bril­lant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tan­go, tu tenais un brevet de gigo­lo.
Madame Gior­get a su vous don­ner son grand amour de gigo­lette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un étab­lisse­ment de San­ti­a­go, au Chili, appré­cié par Pablo Neru­da) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabat­table à deux portes. Pronon­ci­a­tion à la française.) en gage !
Et tu te sou­viens quand tu as offert une mon­tre à Renée (sans doute une Française…) et que le lende­main les choses se sont arrêtées.

Dans El mis­te­rio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le jour­nal chilien Las Últi­mas Noti­cias du 15 juil­let 2006, s’interroge sur ce qu’était réelle­ment la Ñata Inés. Sans doute un étab­lisse­ment mixte pou­vant aller de la scène à la pros­ti­tu­tion, comme les étab­lisse­ments de ce type en Argen­tine.

D’Agostino et la censure

Vous l’aurez com­pris, le terme Shusheta qui peut qual­i­fi­er un « mouchard » a fait que le tan­go a été cen­suré et qu’il a dû chang­er de nom.
En effet, pour éviter la cen­sure, D’Agostino a demandé à Cadí­camo une ver­sion expurgée que je vous pro­pose ci-dessous.
On notera toute­fois que la ver­sion chan­tée en 1945 par Var­gas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débar­rassée du titre polémique au prof­it du plus neu­tre El aristócra­ta. C’est la rai­son pour laque­lle, les ver­sions d’avant 1944 (la cen­sure a com­mencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócra­ta. Aujourd’hui, on donne sou­vent les deux titres, ensem­ble ou indif­férem­ment. On trou­ve aus­si par­fois El ele­gante.

Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Hoy quien te ve…
en fal­sa escuadra y cha­cao,
toman­do sol con un nieti­to a tu lao.
Vos, que una vez romp­iste un cabaré,
hoy, reti­rao… ni amor, ni guer­ra querés.

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Te apod­a­ban el shusheta
por lo bien que te vestías.
Peleador y calav­era
a tu man­era te divertías…
Y hecho un dandy, medio en copas,
en los altos del Casi­no
la pato­ta te aclam­a­ba
sí milongue­abas un buen gotán.

Ah, tiem­po del Petit Salón,
cuán­ta locu­ra juve­nil…
Ah, tiem­po aquel de la Sec­ción
Cham­pán-Tan­go de Armenonvil.
Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emo­ción.
Hoy solo quedan
recuer­dos en tu corazón.

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Traduction libre de la version de 1944

Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.
Aujour­d’hui, qui te voit…
Avec une pochette fac­tice et cha­cao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés.
Toi, qui as autre­fois dévasté un cabaret, tu prends aujour­d’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre.
Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.
On te surnom­mait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais.
Bagar­reur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé…
Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hau­teurs (galeries) du Casi­no, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tan­go en ver­lan).
Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile…
Ah, cette époque de la sec­tion Cham­pagne-Tan­go de l’Ar­menonville.
Tout est passé comme un instant fugace et plein d’é­mo­tion.
Aujour­d’hui, il ne reste que des sou­venirs dans ton cœur.
Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.

Autres versions

Shusheta 1923-03-27 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

Le pre­mier enreg­istrement, par le com­pos­i­teur, Juan Car­los Cobián. C’est bien sûr une ver­sion instru­men­tale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.

Shusheta (El aristócra­ta) 1940-10-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
El aristócra­ta (El Shusheta) 1945-04-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

Cette ver­sion, sans doute la plus con­nue, utilise les paroles non cen­surées de 1938. Le titre a été mod­i­fié pour éviter la cen­sure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pou­vait irrit­er un censeur très sus­picieux, le texte n’était pas si sub­ver­sif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Var­gas a demandé les paroles cen­surées, puis y a renon­cé, peut-être en ayant acquis la cer­ti­tude que la cen­sure n’interdirait pas ce titre. Var­gas a apporté de très légères mod­i­fi­ca­tions au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de cen­sure, ces mod­i­fi­ca­tions étant anodines.

Shusheta 1951-05-30 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion éton­nante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pour­rait bien se venger d’un DJ qui la dif­fuserait en milon­ga. Je n’ai pas dit qu’il fal­lait jeter cet enreg­istrement, juste le réserv­er pour l’écoute.

El aristócra­ta (Shusheta) 1952 — Juan Poli­to y su Orques­ta Típi­ca.

L’ancien com­plice de D’Arienzo a ses débuts et de nou­veau, quand il a rem­placé Biag­gi qui venait de se faire vir­er, pro­pose une ver­sion nerveuse et ma foi sym­pa­thique de Shusheta. La ryth­mique pour­rait décon­cen­tr­er des danseurs très habitués à d’autres ver­sions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on con­naît un peu le titre avec les facéties de Poli­to au piano. On se sou­vient que quand il avait rem­placé Bia­gi, il avait con­tin­ué les fior­i­t­ures de son prédécesseur. Là, ces orne­men­ta­tions sont bien per­son­nelles et ne doivent rien à Bia­gi.

Shusheta (El aristócra­ta) 1957-08-30 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Var­gas fait cav­a­lier seul, sans D’Agostino. Je vous con­seille de vous sou­venir plutôt de la ver­sion de 1945.

Shusheta (El Ele­gante) 1970 — Osval­do Pugliese con cuer­das arreg­los de Mauri­cio Mar­cel­li.

Une ver­sion des­tinée à l’écoute, au con­cert.

Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sex­te­to Cristal.

Je vous pro­pose d’arrêter là, il existe bien d’autres ver­sions, mais rien qui puisse faire oubli­er les mer­veilleuses ver­sions de D’Agostino et Var­gas et celle de Di Sar­li.

No quiero verte llorar 1937-05-12 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Agustín Magaldi Letra : Rodolfo Sciammarella

Osval­do Frese­do, un vieux de la vieille, mais qui a eu une car­rière très longue (60 ans) avec une évo­lu­tion remar­quable de son style, a pro­duit dans les années 30, notam­ment avec Rober­to Ray des chefs d’œuvres dont notre tan­go du jour est un par­fait exem­ple. Avec Frese­do, on est dans un tan­go élé­gant, loin des faubourgs bagar­reurs et inter­lopes (idée reçue?).

Osvaldo Fresedo et Roberto Ray

Osval­do Frese­do a fait ses pre­miers enreg­istrements en 1920 et les derniers en 1980. 60 ans de disque, c’est un des records des orchestres de tan­go.
Pen­dant près de 10 ans, Frese­do et Ray ont col­laboré (1931–1939). Mais Ray n’est pas le pre­mier chanteur de Frese­do. Rien que par le disque, on peut prou­ver qu’il a enreg­istré avec Ernesto Famá, Luis Diaz, Teó­fi­lo Ibáñez, Juan Car­los Thor­ry, Anto­nio Buglione, Agustín Mag­a­l­di, Car­los Viván (pour le jazz) et même Ada Fal­cón.
Cepen­dant, l’arrivée de Ray en 1931 va mar­quer une tran­si­tion pour les tan­gos chan­tés de Frese­do, lui qui avait essen­tielle­ment enreg­istré de l’instrumenta aupar­a­vant.
Pour bien com­pren­dre la tran­si­tion entre la pre­mière vague de chanteurs et l’arrivée de Rober­to Ray, il suf­fit de s’intéresser au 23 févri­er 1932. Ce jour, Frese­do réalise un enreg­istrement avec son « ancien » chanteur Teó­fi­lo Ibáñez et un autre avec le nou­veau, Rober­to Ray.
Voici les deux enreg­istrements :

Desen­gaños 1932-02-23 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Teó­fi­lo Ibáñez (Ramón Gutiér­rez Del Bar­rio Letra: Gus­ta­vo Dur­val Gogiose)

La voix de Ibáñez sans être vul­gaire a une pointe d’accent pop­u­laire, est plus agres­sive et les effets de voix sont mar­qués.

El rebelde 1932-02-23 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray (Juan José Riverol Letra : Fran­cis­co Anto­nio Loiá­cono)

Il faut patien­ter, comme de cou­tume avec les tan­gos de danse, chan­tés pour enten­dre la voix de Ray. Elle n’arrive qu’à 1 : 40… Mais la dif­férence explose immé­di­ate­ment. Pour­tant, les paroles n’ont rien de la joliesse appar­ente que sem­ble exprimer Ray. Il en effet curieux d’avoir choisi un texte en lun­far­do pour lancer son nou­veau chanteur raf­finé.

Se murió el vago Amar­gu­ra,
está en cana Lan­galay
y a tu rante arqui­tec­tura
la están tiran­do a matar.
Te dio la bia­ba el pro­gre­so
un rasc­cielo bacán
dejó como cin­co ‘e que­so
a una casita ter­rán

En gras les mots argo­tiques, mais l’organisation du texte en entier est pour le moins pop­u­laire. Rien n’est raf­finé dans ce texte qui regrette le temps passé, ou le paresseux est désor­mais rem­placé par le tireur de char­rette de Lan­galay (entre­prise de trans­port) et où les masures des clochards ont été détru­ites.
Ray dit, chante le texte, comme si c’était un poème de la pléi­ade.
Ce qui es sûr est que ceux qui pense que Frese­do est tout lisse, un orchestre pour mar­quis­es dans leur salon vont être un peu décoif­fés s’ils com­pren­nent les paroles.
Remar­quez aus­si le mag­nifique vio­lon (prob­a­ble­ment Adol­fo Muzzi), qui comme la voix de Ray est raf­finé.
Puisque l’on est entre amis, une petite digres­sion, le même titre chan­té par une femme qui bal­ance toutes les paroles de lun­far­do. C’est Mer­cedes Carné accom­pa­g­née par Di Sar­li…

Rebelde 1931- Mer­cedes Carné acomp. de Sex­te­to Car­los Di Sar­li.

Rober­to Ray se lance ensuite comme soliste et il ne revien­dra que très briève­ment en 1948–1950 avec Frese­do, mais à cette époque, le style de Frese­do a com­plète­ment changé et la magie n’est plus là.
D’ailleurs, les puristes ne voient de Frese­do que la péri­ode « Rober­to Ray ». Son sec­ond chanteur le plus emblé­ma­tique, Ricar­do Ruiz avec qui il col­lab­o­rait à la même époque pour le jazz et qui a pris la relève en 1939 avec des résul­tats divers, a don­né de très belles choses comme Viejo faroli­to, Mi gitana, Si no me engaña el corazón, Inqui­etud, Cuar­ti­to azul, Vida queri­da, Alas ou Buscán­dote.

Extrait musical

Ne pleurez plus, voici enfin le tan­go du jour.

No quiero verte llo­rar 1937-05-12 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray

Ray com­mence à chanter à 1 :39 et nous sommes là en présence du plus beau “NO” de l’histoire du tan­go. La façon dont Ray lance son “NO” et com­ment il pour­suit piano est osée et géniale. On retrou­ve un peu cela dans d’autres ver­sions, mais à mon avis avec une inten­sité bien moin­dre. Je dois avouer que je suis fan et que pour moi c’est très dif­fi­cile de ne pas chanter en même temps que Ray.

No quiero verte llo­rar. Par­ti­tion pour piano.

En pho­to, sur la cou­ver­ture, Agustin Mag­a­l­di. Remar­quez les pubs en 4e de cou­ver­ture pour les grands suc­cès de la radio. Nous y revien­drons…

Paroles

Antes era yo el que tor­tura­ba tu exis­ten­cia
con mis celos y no te deja­ba en paz.
Yo escuch­a­ba tus protes­tas
sin poder­lo reme­di­ar.
Antes era yo el que te seguía y no tenia
la ale­gría de un min­u­to en mi vivir.
Hoy que logré feli­ci­dad al ten­erte fe,
dudas de mí.

No,
no quiero verte sufrir.
No,
no quiero verte llo­rar.
No quiero que haya dudas,
no quiero que haya som­bras
que empañen los encan­tos
de nue­stro dulce hog­ar.
No,
no quiero verte llo­rar.
No,
no quiero verte sufrir.
Amor mío,
debes ten­er con­fi­an­za,
vos sos toda mi esper­an­za,
mi ale­gría de vivir.

Quiero repe­tirte las pal­abras que vos antes
me decías cuan­do me encon­tra­ba así.
Por nue­stro amor te lo pido.
No debes dudar de mí.
Yo que sé las noches de tor­tu­ra que es vivir
obse­sion­a­do por los celos del amor,
quiero evi­tarte de una vez tan­to pesar,
tan­to dolor.

Agustín Mag­a­l­di Letra: Rodol­fo Sci­ammarel­la

En gras, le refrain chan­té par Rober­to Ray

Traduction libre

Avant, j’étais celui qui tor­tu­rait ton exis­tence avec ma jalousie et ne te lais­sais pas tran­quille.
J’ai écouté tes protes­ta­tions sans pou­voir m’en empêch­er.
Avant, j’étais celui qui te suiv­ait et je n’avais pas une minute de joie dans ma vie.
Main­tenant que j’ai atteint le bon­heur en ayant foi en toi, tu doutes de moi.

Non, je ne veux pas te voir souf­frir.
Non, je ne veux pas te voir pleur­er.
Je ne veux pas qu’il y ait de doutes, je ne veux pas qu’il y ait des ombres qui ternissent les charmes de notre doux foy­er.
Non, je ne veux pas te voir pleur­er.
Non, je ne veux pas te voir souf­frir.
Mon amour, tu dois avoir con­fi­ance, tu es toute mon espérance, ma joie de vivre
.

Je peux te répéter les mots que tu me dis­ais quand j’étais comme ain­si.
Pour notre amour, je te le demande.
Tu ne dois pas douter de moi.
Je sais les nuits de tor­ture que c’est de vivre obsédé par la jalousie de l’amour, je veux t’épargner d’un coup, tant de cha­grin, tant de douleur.

Autres versions

No quiero verte llo­rar 1937-05-12 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray

C’est notre tan­go du jour. J’en pense le plus grand bien…

No quiero verte llo­rar 1937-06-03 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

C’est la ver­sion par l’auteur de la musique, enreg­istrée moins d’un mois après celle de Frese­do et Ray. On ne peut pas dire que ce soit vilain. La man­do­line donne un air orig­i­nal à ce tan­go, la voix de Mag­a­l­di, n’est pas désagréable, mais elle ne sort pas vic­to­rieuse de la con­fronta­tion avec celle de Rober­to Ray. Comme le résul­tat n’est pas fameux pour la danse non plus, il y a de fortes chances que cette ver­sion retourne dans l’ombre d’où je l’ai extir­pée. Remer­cions tout de même Mag­a­l­di d’avoir écrit ce titre…

No quiero verte llo­rar 1937-06-11 Orques­ta Rober­to Fir­po con Car­los Varela.

Sans le « mod­èle » de Frese­do et Ray, cette ver­sion pour­rait bien faire le bon­heur des danseurs. Car­los Varela a fait l’essentiel de sa car­rière de chanteur avec Fir­po et il ne sem­ble pas avoir enreg­istré avec les autres orchestres, comme celui de José Gar­cía avec qui il tra­vail­lait à la fin des années 40.

No quiero verte llo­rar 1937-06-17 — Mer­cedes Simone con acomp. de su Trío Típi­co.

Mer­cedes Simone effectue une mag­nifique presta­tion. Dif­fi­cile de ne pas être très ému par son inter­pré­ta­tion. Bien sûr, c’est une chan­son, pas un tan­go de danse, mais votre dis­cothèque sera hon­orée d’accueillir cette mag­nifique chan­son.

Il faut savoir arrêter

Vous l’aurez com­pris, ma ver­sion préférée est notre tan­go du jour enreg­istré par Frese­do et Ray en 1937, comme tous les autres titres.

Je vous ai prévenu, n’écoutez pas les titres qui suiv­ent…

Passé l’année 1937, on n’entend plus par­ler du titre, du moins pour l’enregistrement. C’est sou­vent le cas quand un orchestre fait une ver­sion de référence. Les autres n’osent pas s’y coller. Dans notre cas, Mag­a­l­di et Simone ont don­né les ver­sions chan­son avec un résul­tat tout à fait sat­is­faisant dans ce but. Pour la danse, Fir­po n’a pas démérité, mais Frese­do lui dame le pion.
Il faut atten­dre plus de 40 ans pour trou­ver une nou­velle ver­sion enreg­istrée. C’est celle d’Osvaldo Ribó accom­pa­g­né par les gui­tares d’Hugo Rivas et Rober­to Grela.

No quiero verte llo­rar 1978 — Osval­do Ribó con Hugo Rivas y Rober­to Grela (gui­tares).

Cette ver­sion est intéres­sante, même si elle n’apporte pas grand-chose de plus autres ver­sions en chan­son, par Mag­a­l­di et Simone.

No quiero verte llo­rar 1997 — Orques­ta Alber­to Di Paulo con Osval­do Rivas.

Là, j’ai vrai­ment un doute. Est-ce que l’on va dans le sens du pro­grès ? Le moins que l’on puisse dire est que je n’aime pas cette ver­sion. Je suis peut-être un peu trop déli­cat et d’autres se toqueront pour elle.
Quoi qu’il en soit, je vous pro­pose de vous laver les oreilles et réé­coutant la ver­sion du jour…

No quiero verte llo­rar 1937-05-12 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray

À demain, les amis!

No quiero verte llo­rar