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Anda que te cure Lola

Andá que te cure Lola 1947-12-01 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Roberto Chanel

Luis Rafael Caruso

Cette milon­ga appar­tient à la caté­gorie que j’appelle les milon­gas bavardes. En effet, le chanteur, ici l’excellent Rober­to Chanel, chante durant toute la durée de l’œuvre. Si cela per­met de con­ter une his­toire assez longue, la voix, même bien mar­quée comme le fait Chanel porte moins la danse de milon­ga, la voix n’étant pas aus­si inci­sive que peut l’être la musique.

Je pense que vous serez aus­si intéressé de décou­vrir qui est cette Lola qui soigne. Est-ce la ten­an­cière d’une mai­son comme la Lau­ra ? Pas sûr…

Extrait musical

Partition et disque de Andá que te cure Lola 1947-12-01 - Orquesta Osvaldo Pugliese con Roberto Chanel, parole et musique de Luis Caruso
Par­ti­tion et disque de Andá que te cure Lola 1947-12-01 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Rober­to Chanel, parole et musique de Luis Caru­so
Andá que te cure Lola 1947-12-01 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Rober­to Chanel, Luis Caru­so.

Cer­tains ont sans doute classé un peu vite Pugliese dans les musi­ciens sérieux. Ici, on l’est un peu moins et les paroles de Caru­so empreintes de lun­far­do peu­vent éton­ner les fans de Pugliese.

Paroles

Che rea vesti­da a pla­zos,
con des­plante de seño­ra,
que no me “das ni la hora”
des­de que “cha­paste al gan­so”;
acor­date que este “man­so”
con pacien­cia de “mami­ta”
cuan­do se acabó la gui­ta
para parar el buyón,
empeñó has­ta el ban­doneón
para ten­erte gordi­ta…

No me mirés de reo­jo
por arri­ba de esas pieles,
yo “manyo bien tus paste­les”
pa’ que esto te cause eno­jo…
Cuan­do “con tier­ra en el coco”
te salvé de la “per­rera”,
aunque esta­ba en la “palmera”
como pude te paré,
has­ta que vino ese inglés
que te bajó la ban­dera…

Per­don­ame este arreba­to
que no es el “guiye de un bon­cha”
pero “revien­to de bron­ca”
porque hoy me dejaron “pato”…
Seguí con ese “checa­to”
y a mí no me “des más bola”;
y si la ingle­sa vit­ro­la
deja un día de sonar
no me ven­gas a “escor­char”
“Y… andá que te cure Lola”.
Luis Caru­so

Traduction libre

Oh, putain habil­lée au rabais (avec délai), avec des allures de Dame, qui « ne me donne même plus l’heure » depuis que tu « as embrassé l’oie » (je ne suis pas sûr de la tra­duc­tion, d’autres options sont moins respecta­bles) ;
Sou­viens-toi que ce « doux » avec la patience d’une « petite mère » quand l’argent pour acheter le frichti s’é­tait épuisé, il est allé jusqu’à met­tre en gage le ban­donéon pour t’entretenir, petite grosse (terme affectueux).

Ne me regarde pas par-dessus l’épaule au-dessus de ces peaux (vête­ments de peau), je « gère assez bien tes tromperies » pour que ça te mette en colère… Quand « avec de la terre dans la tête (coco) », je t’ai sauvée du « panier à salade (four­gon péni­ten­ti­aire) », bien que je fusse dans la « dèche (sans argent) ». Tant que j’ai pu, je t’ai arrêtée, jusqu’à ce que cet Anglais vienne et abaisse le dra­peau pour toi (la ban­dera est le petit dra­peau des tax­imètres que baisse le con­duc­teur pour déter­min­er le prix d’un voy­age en taxi)

Par­donne-moi ce coup de gueule qui n’est pas la « ruse d’un idiot », mais une « explo­sion de colère » parce qu’au­jour­d’hui ils m’ont lais­sé « pan­tois (canard) »… Con­tin­ue avec ce « myope » et «dés­in­téresse-toi de moi» (laisse-moi tran­quille) ;
Et, si, un jour, la vit­ro­la anglaise (gramo­phone) arrête de jouer, ne viens pas m’importuner, « et… va te faire soign­er par Lola ».

Va te faire soigner par Lola !

L’expression « Va deman­der à Lola de te soign­er » est moins fréquente aujourd’hui.

Elle était util­isée pour se débar­rass­er de quelqu’un qui passe son temps à se plain­dre et qui n’écoute pas les solu­tions que l’on peut lui pro­pos­er.

Au bout d’un moment, on l’envoie aux pelotes, on l’envoie paître, se faire voir chez les Grecs, ou, comme cela se dis­ait en Espagne on l’envoie se faire soign­er par Lola.

Dans cette chan­son, le nar­ra­teur en a assez de son ex-com­pagne et l’envoie se faire voir ailleurs, et même soign­er chez Lola.

Mais qui est Lola ?

J’ai gardé le sus­pense jusqu’au bout, car vous allez sans doute être éton­né de savoir qui est Lola…

Dis­ons-le tout de suite, il ne s’agit pas d’une col­lègue de Lau­ra qu’évoque le tan­go « Lo de Lau­ra », même si cette dernière devait avoir quelques remèdes pour soulager les peines.

En effet, Lola est une stat­ue de la Vierge Marie en mater dolorosa, « María San­tísi­ma de los Dolores », réal­isée par Anto­nio Asen­sio de la Cer­da au dix-huitième siè­cle et que la dévo­tion pop­u­laire des paroissiens du quarti­er Perchel à Mala­ga a fait surnom­mer « Lola ».

La tra­di­tion veut que prier devant cette stat­ue, comme devant toutes celles se référant à la « Vir­gen de los Dolores » (Vierge des douleurs) peut aider à résoudre les douleurs et peines.

La Lola, « María Santísima de los Dolores », réalisée par Antonio Asensio de la Cerda au dix-huitième siècle.
La Lola, « María San­tísi­ma de los Dolores », réal­isée par Anto­nio Asen­sio de la Cer­da au dix-huitième siè­cle.

La Vierge Marie a en effet eu son lot de douleurs et on en dénom­bre générale­ment sept, à savoir :

  1. Prophétie de Simeón lors de la présen­ta­tion de Jésus au tem­ple : « une épée te transpercera aus­si l’âme ».
  2. La fuite en Égypte
  3. Jésus per­du au Tem­ple pen­dant trois jours
  4. Marie voit Jésus por­tant la croix
  5. Jésus sur la croix
  6. Jésus descen­du de la croix, mort, dans les bras de sa mère (une image de Mater Dolorosa très fréquente dans la sculp­ture et la pein­ture, notam­ment depuis le 15ème siè­cle.
  7. Jésus au tombeau.
Les sept épées transperçant l’âme de la Vierge représentent ses sept douleurs. Pour certains, c’est une allégorie de la vaccination, mais, je m’égare. Église de la Vera Cruz à Salamanque.
Les sept épées transperçant l’âme de la Vierge représen­tent ses sept douleurs. Pour cer­tains, c’est une allé­gorie de la vac­ci­na­tion, mais, je m’égare. Église de la Vera Cruz à Sala­manque.

La pau­vre Vierge Marie, Mère des douleurs, recueille donc, les doléances et les plaintes de ceux que plus per­son­ne ne peut sup­port­er.

En résumé, si vous n’aimez pas cette milon­ga, vous savez quoi faire.

À bien­tôt, les amis !

Entre copa y copa 1942-04-23 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino et Alfre­do Attadía Letra Héc­tor Mar­có

Les deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas nous offrent cette milon­ga qui chante la vie d’un milonguero. C’était le 23 avril 1942, il y a exacte­ment 82 années que le com­pos­i­teur de la musique nous fait danser cette milon­ga avec la voix mag­ique de son com­plice, Var­gas.

Extrait musical

Cou­ver­ture de la par­ti­tion de Entre copa y copa.

Les ban­donéons et les vio­lons en pizzi­cati enta­ment l’ouverture en motifs descen­dants. La syn­cope de la milon­ga s’installe, en alter­nance avec de cour­tes paus­es. Cer­taines sont très mar­quées comme à 0 h 29 ou 0 h 43. C’est un devoir pour le danseur que de les prévoir pour immo­bilis­er la danse et ain­si être en har­monie avec le jeu pro­posé par l’orchestre. Notre chance est que l’enregistrement a figé ces pièges et que les danseurs con­nais­sant la musique peu­vent mieux se pré­par­er aux blagues des musi­ciens.
À 50 sec­on­des Var­gas com­mence à chanter. Il chante le pre­mier cou­plet et le refrain. À 1 h 29, l’orchestre reprend de façon plus lisse et ensuite avec l’alternance de pas­sages syn­copés et de cour­tes paus­es. À 1 : 58 il reprend le refrain. Il ne chante pas le dernier cou­plet. L’orchestre ter­mine les 10 dernières sec­on­des par un dou­ble accord per­cus­sif.
Amis danseurs, écoutez bien cette milon­ga. Elle n’est peut-être pas la plus facile à danser, mais elle vous fait plein de propo­si­tions pour jouer. C’est le moment de se lâch­er sans per­dre le fil de la musique.
Pour une fois, ce sera le seul enreg­istrement, car per­son­ne d’autre n’a enreg­istré cette milon­ga.

Paroles

Yo soy milonguero viejo
de los del tiem­po del jopo,
bailarín de taco regio
dulzón para los piro­pos…
Yo soy milonguero viejo
entrador como cuchil­lo,
de aque­l­los que sacan bril­lo
al pis­ar en un salón…

Enreda­do entre las notas
de una milon­ga queri­da
así me paso la vida
bai­lan­do entre copa y copa.
Y has­ta el fuego de tu boca
chi­na, ¡col­or de car­bón!…
Más me que­ma si te sien­to
corazón a corazón…


Yo soy milonguero viejo
de los del tiem­po del jopo,
entrador pa’ dar con­se­jos
pero que me den… muy pocos…
Nací pa’ gas­tar charoles
y entre cortes y fig­uras,
voy tejien­do mis amores,
al com­pás de un ban­doneón.

Ángel D’Agostino et Alfre­do Attadía Letra Héc­tor Mar­có

Traduction libre et indications

 Je suis un vieux milonguero de l’époque du jopo (sorte de port de cheveux à la mode au début du 20e siè­cle et remis au goût du jour à divers­es épo­ques, dont les années 50 avec le rock’n’roll…), un danseur avec un ver­biage doux et somptueux pour com­pli­menter (piro­pos, com­pli­ments appuyés pour séduire les femmes)…
Je suis un vieux milonguero tran­chant comme un couteau, un de ceux qui bril­lent en marchant dans un salon…

Je m’enroule dans les notes d’une milon­ga bien-aimée, c’est ain­si que je passe ma vie à danser entre deux ver­res.
Et même le feu de ta bouche, ma chérie, couleur du char­bon !… Ça me brûle encore plus si je te sens cœur à cœur…

Je suis un vieux milonguero de l’époque du jopo, sym­pa­thique pour prodiguer des con­seils, mais pour qu’on m’en donne… très peu…
Je suis né pour porter des souliers ver­nis et entre cortes et fig­ures (coupés, nom d’une fig­ure de tan­go), je vais, tis­sant mes amours, au rythme d’un ban­donéon.

À propos de l’illustration

J’ai exploré plusieurs pistes. Les coupes de cham­pagne avec des danseurs en fond, des danseurs sans cham­pagne et finale­ment, j’ai mélangé les deux en prenant comme inspi­ra­tion le dernier cou­plet. Celui qui n’est pas chan­té par Var­gas. Dans celui-ci, il indique « De verre en verre, je vais, tis­sant la toile de mes amours, au rythme d’un ban­donéon ».

J’ai pen­sé aus­si à représen­ter un danseur bil­lant avec les spec­ta­teurs impres­sion­nés. Le danseur est noir, ce qui n’est pas si sou­vent représen­té dans le domaine du tan­go, mal­gré ce que procla­ment cer­tains que le tan­go est d’origine noire. De mon­tr­erai un jour que c’est en très grande par­tie faux, mais aujourd’hui, je me con­tente de planter la graine et je vous laisse danser cette belle milon­ga en espérant que vous gag­nerez une coupe. Pas une coupe de cheveux avec jopo, mais une coupe de cham­pagne argentin, cou­tume que les milon­gas portègnes ont importées de Paris. Ils ont importé la cou­tume et le nom, mais pas le vrai cham­pagne…