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Pasional 1951-07-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Jorge Caldara Letra : Mario Soto

Tous les danseurs n’apprécient pas ce type de musique de Pugliese et d’autres adorent. Ce qui est sûr est que Jorge Cal­dara a une fois de plus mon­tré ses tal­ents de com­pos­i­teur et que les paroles de Mario Soto sont d’une puis­sance extrême. Il fal­lait bien ça pour le titre ambitieux de ce tan­go, Pasion­al (pas­sion­né). Je vous présen­terai en fin d’anecdote qui a inspiré ce mer­veilleux texte d’amour.

Autour du piano de Pugliese que l’on recon­naît, au cen­tre, l’équipe de Pugliese.

De gauche à droite, Emilio Bal­car­cé (vio­loniste), Alber­to Morán (le chanteur de notre tan­go du jour), Mario Soto (locu­teur et l’auteur des paroles du tan­go du jour), Osval­do Pugliese (pianiste et « chef »), Osval­do Rug­giero (ban­donéon­iste), Oscar Her­rero (vio­loniste) et enfin Jorge Cal­dara (ban­donéon­iste et com­pos­i­teur du tan­go du jour).

Extrait musical

Pasion­al, Jorge Cal­dara Letra : Mario Soto.

À gauche, le disque de notre tan­go du jour. Au cen­tre la par­ti­tion éditée par Julio Korn, avec la dédi­cace au Doc­teur O. Nus­deo qui était chirurgien à l’hôpital Raw­son de Buenos Aires. À droite, la cou­ver­ture de la par­ti­tion avec Osval­do Pugliese, puis celle avec Ranko Fuji­sawa, la chanteuse japon­aise qui avait incité Jorge Cal­dara à aller au Japon.

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.

Paroles

No sabrás… nun­ca sabrás
lo que es morir mil veces de ansiedad.
No podrás… nun­ca enten­der
lo que es amar y enlo­que­cer.
Tus labios que que­man… tus besos que embria­gan
y que tor­tu­ran mi razón.
Sed… que me hace arder
y que me enciende el pecho de pasión.

Estás clava­da en mí… te sien­to en el latir
abrasador de mis sienes.
Te adoro cuan­do estás… y te amo mucho más
cuan­do estás lejos de mí.

Así te quiero dulce vida de mi vida.
Así te sien­to… solo mía… siem­pre mía.

Ten­go miedo de perderte…
de pen­sar que no he de verte.
¿Por qué esa duda bru­tal?
¿Por qué me habré de san­grar
sí en cada beso te sien­to des­ma­yar?
Sin embar­go me ator­men­to
porque en la san­gre te lle­vo.
Y en cada instante… febril y amante
quiero tus labios besar.

¿Qué ten­drás en tu mirar
que cuan­do a mí tus ojos lev­an­tás
sien­to arder en mi inte­ri­or
una voraz lla­ma de amor?
Tus manos desa­tan… cari­cias que me atan
a tus encan­tos de mujer.
Sé que nun­ca más
podré arran­car del pecho este quer­er.

Te quiero siem­pre así… estás clava­da en mí
como una daga en la carne.
Y ardi­ente y pasion­al… tem­b­lan­do de ansiedad
quiero en tus bra­zos morir.

Jorge Cal­dara Letra: Mario Soto

Traduction libre

Tu ne sauras pas… Tu ne sauras jamais ce que c’est que de mourir mille fois d’anx­iété.
Tu ne pour­ras pas… jamais, com­pren­dre ce que c’est que d’aimer et de devenir fou.
Tes lèvres qui brû­lent… tes bais­ers qui enivrent et qui tor­turent ma rai­son.
Soif… qui me brûle et qui enflamme ma poitrine de pas­sion.
Tu es cloué en moi… Je te sens dans le bat­te­ment brûlant de mes tem­pes.
Je t’adore quand tu es là… Et je t’aime telle­ment plus quand tu es loin de moi.
Alors je t’aime, douce vie de ma vie.
Ain­si je te sens… seule­ment mienne… tou­jours mienne.
J’ai peur de te per­dre…
de penser que je ne te ver­rai pas.
Pourquoi ce doute bru­tal ?
Pourquoi devrais-je saign­er si dans chaque bais­er je te sens défail­lir ?
Cepen­dant, je me tour­mente parce que je te porte dans mon sang.
Et à chaque instant… fiévreux et aimant, je veux embrass­er tes lèvres.
Qu’as-tu dans ton regard pour que, lorsque tu lèves les yeux sur moi, je sente brûler en moi une flamme vorace d’amour ?
Tes mains délient… caress­es qui me lient à tes charmes de femme.
Je sais que jamais plus je pour­rai arracher cet amour de ma poitrine.
Je t’aime tou­jours ain­si… Tu es fichée en moi comme un poignard dans la chair.
Et ardent et pas­sion­né… trem­blant d’an­goisse, je veux dans tes bras, mourir.

Autres versions

Ce titre a eu un immense suc­cès et dès sa créa­tion en 1951, de nom­breux orchestres l’ont mis à leur réper­toire. En voici quelques exem­ples.

Des dis­ques de Pasion­al, de Calo, Pugliese 1951, De Ange­lis, Pugliese 52, Cal­dara 1966 en faux 45 tours (petite taille, mais 33 tours) et une réédi­tion du même enreg­istrement chez Music Hall, en disque LP 33 tours, où Pasion­al est le pre­mier titre de la face A.
Pasion­al 1951-05-23 — Orques­ta Miguel Caló con Juan Car­los Fab­ri.

Le plus ancien enreg­istrement. Il nous fait décou­vrir un Caló moins courant, tout d’abord par le chanteur, Juan Car­los Fab­ri, mais aus­si par l’interprétation, une con­ces­sion mar­quée de Caló aux nou­velles ori­en­ta­tions du tan­go. Il fut sans doute sub­jugué par la com­po­si­tion de Cal­dara au point de sor­tir de sa zone de con­fort. Je me demande pourquoi il a enreg­istré avant Pugliese qui avait sous la main, l’auteur des paroles, le com­pos­i­teur et les musi­ciens. J’imagine qu’il devait encore être en prison. Le prob­lème de vivre entre deux con­ti­nents est que j’ai une par­tie de ma bib­lio­thèque des deux côtés et pas la par­tie qui con­cerne les déboires poli­tiques de Pugliese de ce côté…

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. C’est notre tan­go du jour.

Les deux auteurs, Jorge Cal­dara et Mario Soto sont de l’équipe de Pugliese. Cal­dara est ban­donéon­iste, com­pos­i­teur et arrangeur et Mario Soto est présen­ta­teur. En effet, les orchestres de l’époque se fai­saient présen­ter au pub­lic. On entend cela dans quelques enreg­istrements où cette présen­ta­tion a été con­servée. Je ne fais pas par­tie des DJ qui met­tent volon­tiers ce type de tan­go, mais si je sais qu’il y a des fans dans le salon de danse, je peux le pro­pos­er.

Pasion­al 1951-10-08 — Mario Demar­co y su Orques­ta Típi­ca con Raúl Quiroz.

Une ver­sion pour écouter au salon, de la mai­son, pas de bal. Mario Demar­co fut l’un des ban­donéon­istes de Pugliese au départ de Jorge Cal­dara. Il faut not­er qu’il a enreg­istré ce titre qua­tre ans avant d’intégrer l’orchestre de Pugliese. Il était proche de son col­lègue, Cal­dara.

Pasion­al 1951-11-03 – Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Oscar Lar­ro­ca.

Oscar Lar­ro­ca est sans doute un excel­lent choix pour des paroles aus­si roman­tiques. Si De Ange­lis évite la guimauve qui pour­rait pro­duire ce titre, on peut penser qu’il est tombé dans l’excès inverse en étant un peu trop tonique pour le thème. Cela facilit­era le tra­vail des danseurs, on ne va boud­er.

Pasion­al 1952-11-24 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.
Pasion­al 1952 – Orques­ta Típi­ca Tokio con Ranko Fuji­sawa.

On retrou­ve Pugliese et Morán, je vous laisse mesur­er l’évolution entre les deux inter­pré­ta­tions. Jorge Cal­dara est tou­jours dans l’orchestre, mais Mario Soto était par­ti Il n’est pas éton­nant de trou­ver ce titre au réper­toire de Ranko Fuji­sawa et de l’orchestre dirigé par son mari. En effet, Ranko est celle qui a insisté très forte­ment et avec con­stance pour que Jorge Cal­dara aille au Japon. Elle appré­ci­ait beau­coup ce jeune ban­donéon­iste et com­pos­i­teur.

Pasion­al 1954-11 – Tucho Pavón con acomp. de Car­los Gar­cía.

Avec ce titre, il est dif­fi­cile de dire ce qui est de danse et pour l’écoute, là, c’est clair, ce n’est pas pour la danse. Enfin, je crois (humour ; -)

Pasion­al 1954 – Ranko Fuji­sawa con gui­tar­ras.

Ce sec­ond enreg­istrement par Ranko prou­ve qu’elle était vrai­ment intéressée par les qual­ités musi­cales de Cal­dara.

Pasion­al 1955-11-08 – Alber­to Morán con acomp. de Orques­ta dir. Arman­do Cupo.

Troisième enreg­istrement du thème par Morán.

Pasion­al 1956-06-13 – Aida Denis.

Aida Denis donne du sen­ti­ment. C’est intéres­sant à écouter.

Pasion­al 1964 – Orques­ta Jorge Cal­dara con Rodol­fo Lesi­ca.

Rodol­fo Lesi­ca nous pro­pose une ver­sion expres­sive, mais qui se com­bine bien avec l’orchestre du com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara. Pas pour la danse, mais il est intéres­sant de voir com­ment Cal­dara met en œuvre sa créa­tion.

Pasion­al 1980c – Jorge Fal­cón acomp. de Orques­ta.

Une propo­si­tion plus légère, après celle de Cal­dara, on vire presque à la var­iété.

Pasion­al 2010 – Fran­cis Andreu.

Cette ver­sion sim­ple, accom­pa­g­née à la gui­tare pro­posée par l’Uruguayenne Fran­cis Andreu, est une belle réal­i­sa­tion.

Pasion­al 2010c – Caio Rodriguez acomp. Ane­ta Pajek (ban­donéon) et Javier Tucat Moreno (piano).

Les musi­ciens du Ham­burg Tan­go Quin­tet se met­tent au ser­vice de la voix de Caio Rodriguez. Une pro­duc­tion atyp­ique, tirant vers la musique clas­sique, mais c’est égale­ment une évo­lu­tion du tan­go à pren­dre en compte.

Pasion­al 2014-10-27 — Marce­lo Boc­canera.

Une ver­sion assez poé­tique, pas prévue pour la danse, mais qui s’écoute avec plaisir.

Pasion­al 2024-01-14 — Sil­via Lujan.

Un enreg­istrement tout récent qui mon­tre que l’œuvre con­tin­ue de sus­citer de l’intérêt.

Naissance d’un chef‑d’œuvre

Jorge Cal­dara et Mario Soto tra­vail­laient pour l’orchestre de Pugliese. Jorge Cal­dara comme ban­donéon­iste, arrangeur et com­pos­i­teur (voir mon anec­dote sur Patéti­co où je dévoile un peu son rôle de moteur d’innovation dans l’orchestre de Pugliese) et Mario Soto comme présen­ta­teur et même un peu plus si on le croit quand il dit qu’il fai­sait égale­ment le pro­gramme de l’orchestre.
Dans l’édition du 9 jan­vi­er 1994 du jour­nal HOY (aujourd’hui) de La Pla­ta (Cap­i­tale de la Province de Buenos Aires, située au sud-est de la cap­i­tale fédérale) Mario Soto racon­te dans une inter­view au jour­nal­iste Acquaforte com­ment est né Pasion­al.
« J’ai été inspiré pour com­pos­er (c’est en fait une co-créa­tion avec Cal­dara) ce tan­go par deux sœurs petites et laides qui assis­taient à tous les bals de Pugliese dans la zone sud, dans les clubs de Quilmes, Sarandí et Domíni­co. Elles étaient timides, insignifi­antes et “repas­saient” (plan­char, c’est repass­er, mais pour les danseuses, c’est faire ban­quette, ne pas être invitées) toute la nuit.
J’ai ressen­ti quelque chose comme de la com­pas­sion et j’ai recréé silen­cieuse­ment la chan­son, basée sur ces deux petites souris trans­for­mées en une ter­ri­ble « wamp ».

Oscar Blot­ta. Illus­tra­tion de l’his­toire de Pasion­al.

Dans cette illus­tra­tion, on recon­naît Mario Soto, appuyé au lam­padaire, le ban­donéon­iste lunaire, c’est bien sûr Jorge Cal­dara et les deux sœurs timides sont seules sur leur chaise. On notera l’emprunt que j’ai fait à Oscar Blot­ta pour l’illustration de cou­ver­ture de cette anec­dote.

Chers amis, je vous souhaite de ne pas planch­er (faire ban­quette), lors de votre prochaine milon­ga et je vous dis, à demain !

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Ruggiero.

La de los dos Osval­dos est un des surnoms de l’orchestre d’Osvaldo Pugliese. En effet, Osval­do Rug­giero, l’auteur du tan­go du jour «N… N…» entra avant ses 17 ans dans l’orchestre de Pugliese et y res­ta 20 ans. Cette sym­biose des deux Osval­do a don­né dif­férents tan­gos comme «A mis com­pañeros», «Catu­zo», «Rezon­go tanguero», «Yun­ta de oro» et donc N… N…, notre tan­go du jour. Con­nais­sez-vous la sig­ni­fi­ca­tion du titre de ce tan­go? Vous la décou­vrirez en fin d’article.

Osvaldo Lino Ruggiero (23 septembre 1922 — 31 mai 1994)

Fils d’émigrés ital­iens (de la région de Naples), el Tano Rug­giero est un ban­donéon­iste et com­pos­i­teur. Comme beau­coup de ceux qui ont fait l’histoire du tan­go, ce dernier a com­mencé jeune, car à 17 ans, il inté­grait déjà l’orchestre d’un autre Osval­do, Osval­do Pugliese.
Son père, Sabati­no Rug­giero, lui a don­né le goût de la musique et notam­ment celui du ban­donéon dont il jouait égale­ment. Ce fut d’ailleurs lui qui fut son seul pro­fesseur, un pro­fesseur motivé, car il apprit le solfège unique­ment pour pou­voir assur­er une bonne édu­ca­tion musi­cale à son fils.
Cette for­ma­tion à base auto­di­dac­tique lui a per­mis d’avoir un style un peu par­ti­c­uli­er qu’il a affiné aux côtés de Pugliese qui lui dis­ait, « S’il faut tra­vailler, alors, tra­vaille ».
Il restera donc fidèle à l’orchestre de Pugliese, jusqu’à la créa­tion du Sex­te­to Tan­go, qu’il a accom­pa­g­né et ani­mé lors d’une tournée au Japon, Osval­do Pugliese étant retenu en Argen­tine pour des ques­tions de san­té. Vous pour­rez enten­dre sa ver­sion de N… N… enreg­istrée lors de cette tournée dans la par­tie « les ver­sions ».
Ce musi­cien dis­cret est un peu mécon­nu, car il n’a jamais souhaité se met­tre en avant et avoir un orchestre à son nom, mais ses com­po­si­tions et les dis­ques de Pugliese et du Sex­te­to Tan­go par­lent pour lui.
Si vous voulez en savoir plus sur cet artiste attachant, je vous invite à con­sul­ter ses « con­fi­dences » sur l’excellent site Todo Tan­go.
Ou son inter­view réal­isée par Daniel Ped­erci­ni le 11 juil­let 1993.

Inter­view d’Os­val­do Rug­giero réal­isée par Daniel Ped­erci­ni le 11 juil­let 1993.

Extrait musical

N… N… 1947-04-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est le tan­go du jour.

Les versions

Osval­do Pugliese a enreg­istré deux fois ce titre. En 1947, le tan­go du jour et en 1952. Je vous laisse com­par­er les deux ver­sions, très proches. Je vous pro­pose d’é­couter ces deux ver­sions, car les titres partagés sur les plate­formes comme Spo­ti­fy ou Apple Music sont truf­fées d’er­reurs sur les ver­sions. YouTube n’est pas mieux et un DJ qui a pub­lié de très nom­breux tan­go a plus de 50% d’er­reurs dans ses attri­bu­tions de dates. La seule solu­tion, par­tir du disque orig­i­nal et véri­fi­er dans le cat­a­logue la date avec le numéro de matrice…
La ver­sion de l’auteur, Osval­do Rug­giero avec son Sex­te­to Tan­go est très dif­férente de celles de Pugliese. Bien sûr, elle a été réal­isée 16 ans plus tard que la dernière de Pugliese, mais elle est très intéres­sante.

N… N… 1947-04-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est le tan­go du jour.
N… N… 1952-11-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion très proche de la pre­mière, au point que plusieurs CD pro­posent celle de 1947 au lieu de celle de 1952. Plus graves, cer­tains DJ qui parta­gent des musiques sur YouTube font cette erreur.

N… N… 1968-10 — Sex­te­to Tan­go.

Une ver­sion pro­posée par l’orchestre du com­pos­i­teur. Rug­giero étant l’un des arrangeurs et le leader dis­cret de la for­ma­tion.

D’où vient le nom du tango N… N… ?

Je n’ai pas trou­vé la source du nom, alors je vous pro­pose plusieurs hypothès­es.
Tout d’abord, N. N. est une abrévi­a­tion courante pour « Ningún Nom­bre », pas de nom.
Cette for­mu­la­tion est util­isée depuis l’époque romaine. Il y a plus de 2000 ans, elle était des­tinée aux vagabonds, les sans nom, les innom­ma­bles… Cette dénom­i­na­tion est tou­jours util­isée par exem­ple dans le cas de vic­times non iden­ti­fiées.
On peut donc penser que Rug­giero n’avait pas d’idée pour don­ner un titre à son tan­go, mais ce serait sans doute un peu léger. Beau­coup de tan­gos por­tent des noms qui n’ont rien à voir avec la musique, que ce soit à cause des besoins d’une dédi­cace, de la fan­taisie d’un paroli­er, ou tout sim­ple­ment, car la musique de tan­go n’est pas tou­jours descrip­tive, notam­ment dans ses ver­sions mod­ernes. La néces­sité de met­tre un nom sur une musique n’est pas absolue. En musique clas­sique, la majorité des œuvres ne por­tent pas de nom descrip­tif. Elles por­tent l’indication de leur forme (sym­phonie, sonate…) et un numéro, le nom étant sec­ondaire et très sou­vent absent. Il aurait été donc pos­si­ble, surtout au sein d’un orchestre comme celui de Pugliese, tant col­lab­o­ratif, un nom à appos­er à ce tan­go.
Je vais donc avancer une autre hypothèse. Ce tan­go est daté de 1947. On trou­ve par­fois l’indication de 1942 sur cer­tains dis­ques de créa­tion récente, mais je pense qu’il s’agit d’erreurs, ces ver­sions étant absol­u­ment iden­tiques à celles référencées en 1947. À cette époque (1947), on con­nais­sait les hor­reurs com­mis­es par les nazis et les mil­lions de « no name » qu’ils avaient faits. Floris B. Bakels, dans « Nacht und Nebel » (nuit et brouil­lard) décrit le sort des déportés qui étaient signés des let­tres N N par les nazis. En effet, le décret N N « Nacht und Nebel » (per­me­t­tait de déporter des per­son­nes sous cou­vert d’anonymat. Ain­si, elles ne gon­flaient pas les sta­tis­tiques et les pris­on­niers qui por­taient ces let­tres sur leurs vête­ments n’étaient pas con­sid­érés comme des humains ayant droit à un nom.

Je pense que mon hypothèse est prob­a­ble, dans la mesure où quelques années plus tard, la dic­tature argen­tine a repris la même for­mu­la­tion pour pou­voir met­tre du flou sur les dis­pari­tions. On con­naît bien cette par­tie de l’histoire argen­tine et le traf­ic des enfants de ces N N., car le gou­verne­ment argentin a mis en place une struc­ture pour iden­ti­fi­er ces exac­tions et on con­naît égale­ment l’immense courage des mères de la Place de Mayo.