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Misa criolla y Navidad nuestra — Ariel Ramírez, Los Fronterizos y la Cantoría de la Basílica del Socorro

Ariel Ramírez Letra: Felix Luna

N’ayant pas de tan­go enreg­istré un 25 décem­bre, je vous pro­pose de nous intéress­er à une des com­po­si­tions les plus célèbres d’Argentine, la Misa criol­la.
On par­le de Misa criol­la, mais en le faisant on risque d’occulter la face B du disque qui com­porte une autre com­po­si­tion d’Ariel Ramírez et Felix Luna, Navi­dad nues­tra. C’est cette œuvre qui est de cir­con­stance en ce 25 décem­bre 2024, 60 ans après sa créa­tion.
Ce fut mon pre­mier disque, offert par ma mar­raine, j’ai donc une affec­tion par­ti­c­ulière pour ces deux œuvres.

Misa criolla et Navidad nuestra – Extraits musicaux

Ariel Ramírez s’est inspiré de rythmes tra­di­tion­nels de son pays (mais pas que) pour com­pos­er les cinq œuvres qui com­posent la Misa criol­la (Face A) et les six qui con­stituent Navi­dad nues­tra (Face B).
J’ai ajouté quelques élé­ments sonores en illus­tra­tion. Ils ne sont pas précédés de la let­tre A ou B qui sont réservées aux faces A et B du disque d’origine.

À gauche, le disque sor­ti en Argen­tine en 1965. cette cou­ver­ture restera la même pour les édi­tions argen­tines ultérieures. Au cen­tre, une édi­tion française. Elle utilise l’il­lus­tra­tion de la pre­mière édi­tion (1964) et qui a été éditée en Nou­velle-Zélande. Mon disque por­tait cette illus­tra­tion et pas celle de l’édition argen­tine, postérieure d’un an.

Misa criolla

A1: Misa Criol­la — Kyrie — Vidala-Baguala La vidala et la baguala sont deux expres­sions chan­tées du Nord-Ouest de l’Argentine accom­pa­g­nées d’une caja.
Une caja qui accom­pa­gne le chant de la Videla et de la baguala.
Baguala Con mi caja can­tar quiro.

On recon­naît la caja qui est frap­pée sur un rythme ter­naire, mais seule­ment sur deux des trois temps, créant ain­si un temps de silence dans la per­cus­sion.
Cela donne une dimen­sion majestueuse à la musique. Ariel Ramírez utilise ce rythme de façon par­tielle. On l’entend par exem­ple dans le pre­mier chœur, dans les silences du chant.

A2: Misa Criol­la — Glo­ria — Car­naval­i­to-Yar­avi.

Pour créer un thème en con­traste, Ariel Ramírez utilise deux rythmes dif­férents, égale­ment du Nord-Ouest. Le car­naval­i­to allè­gre et enjoué et le yar­avi, plus calme, très calme, fait de longues phras­es. Le yar­avi est triste, car util­isé dans les rites funéraires. Il s’oppose donc au car­naval­i­to, qui est une danse de groupe fes­tive. Vous recon­naîtrez facile­ment les deux rythmes à l’écoute.

A3: Misa Criol­la — Cre­do — Chacar­era Trun­ca.

Vous recon­naîtrez facile­ment le rythme de la chacar­era. Ici, une chacar­era sim­ple à 8 com­pas­es. Même si elle est trun­ca, vous pour­riez la danser, la trun­ca est juste une dif­féren­ci­a­tion d’accentuation des temps. Ariel Ramírez, cepen­dant, ne respecte pas la pause inter­mé­di­aire, il préfère don­ner une con­ti­nu­ité à l’œuvre.

A4: Misa Criol­la — Sanc­tus — Car­naval Cochabam­bi­no.

Encore un rythme cor­re­spon­dant à une danse fes­tive, même si Ariel Ramírez y inter­cale des pas­sages d’inspiration plus religieuse. On notera que cette forme de car­naval n’est pas argen­tine, mais bolivi­enne.

A5: Misa Criol­la — Agnus Dei — Esti­lo Pam­peano.

Le Esti­lo n’est pas exacte­ment un rythme par­ti­c­uli­er, car il mélange plusieurs gen­res. C’est une expres­sion de la pam­pa argen­tine. Après le motif du départ en intro­duc­tion, on remar­que une inspi­ra­tion du Yar­avi. Le clavecin d’Ariel Ramírez apporte une légèreté dans les tran­si­tions.

Navidad nuestra

Com­mence ici la face B et une autre œuvre, con­sacrée à la nais­sance de Jésus, de l’annonciation à la fuite en Égypte.

B1: Navi­dad Nues­tra — La Anun­ciación – Chamame.

Le chamame, cette danse joyeuse et fes­tive, jouée à l’accordéon, est typ­ique de la province de Cor­ri­entes. Cer­tains danseurs européens s’évertuent à danser en milon­ga…

Par­ti­tion de La Anun­ciación, pre­mier thème de la Navi­dad nues­tra.
Milon­ga para as mis­sões — Rena­to Borghet­ti. Oui, c’est un chamamé, pas une milon­ga…
B2: Navi­dad Nues­tra — La Pere­gri­nación — Huel­la Pam­peana.

La huel­la est une danse asso­ciant des tours, des voltes et des zap­ateos, ce qui rap­pellera un peu la chacar­era ou le gato.
La Pere­gri­nación racon­te la quête par Jose et Maria (Joseph et Marie) d’un endroit pour la nais­sance de Jésus. Ils sont dans la pam­pa gelée, au milieu des chardons et orties. Je vous donne en prime la mer­veilleuse ver­sion de la Negra (Mer­cedes Sosa).

La Pere­gri­nación — Mer­cedes Sosa.
B3: Navi­dad Nues­tra — El Nacimien­to — Vidala Cata­mar­que­na.

On retrou­ve le rythme calme de la vidala pour annon­cer la nais­sance.
Je vous pro­pose les paroles ci-dessous.

B4: Navi­dad Nues­tra — Los Pas­tores — Chaya Rio­jana.

Là, il ne s’agit pas d’une musique tra­di­tion­nelle, mais d’une fête qui a lieu à la Rio­ja. La Chaya est une belle Indi­enne qui tombe amoureuse d’un jeune homme coureur de jupons. Celui-ci ignore la belle qui ira s’exiler dans les mon­tagnes. Pris de remords, il décide de la retrou­ver et, finale­ment, il ren­tre à la Rio­ja, se saoule et brûle vif dans un poêle. Tous les ans, la fête célèbre l’extinction du jeune homme en feu avec les larmes de Chaya.
Aujourd’hui, cette anci­enne fête est plutôt un fes­ti­val de folk­lore où se suc­cè­dent dif­férents orchestres.

B5: Navi­dad Nues­tra — Los Reyes Magos – Taki­rari.

Le Taki­rari est une danse bolivi­enne qui a des par­en­tés avec le car­naval­i­to. Les danseurs saut­ent, se don­nent le coude et tour­nent en ronde. C’est donc une musique joyeuse et vive.

B6: Navi­dad Nues­tra — La Hui­da — Vidala Tucumana.

Encore une vidala qui imprime son rythme triste. On sent les pas lourds de l’âne qui mène Marie et Jésus en Égypte. La musique se ter­mine par un decrescen­do qui pour­rait simuler l’éloignement de la fuite.

Voilà, ici se ter­mine notre tour de la Misa criol­la et de la Navi­da nues­tra. On voit que, con­traire­ment à ce qui est générale­ment affir­mé, seuls quelques rythmes du folk­lore argentin sont présen­tés et que deux thèmes sont d’inspiration bolivi­enne.

À propos des paroles

En Argen­tine, qui n’est pas un pays laïque, la reli­gion est impor­tante. Je devrais dire les reli­gions, car, si le catholi­cisme des Espag­nols est impor­tant, il me sem­ble que les évangélistes sont bien plus présents si on en juge par le nom­bre d’églises évangélistes. Les autres reli­gions monothéistes sont égale­ment bien représen­tées dans ce pays qui a accueil­li en masse les juifs chas­sés d’Europe et les nazis. Cette œuvre a d’ailleurs été écrite à la suite du témoignage de deux sœurs alle­man­des ren­con­trées à Würzburg et qui lui ont con­té les hor­reurs de la Sec­onde Guerre mon­di­ale.
On note aus­si en Argen­tine divers­es reli­gions, ou plutôt cultes, comme celui du Gau­chi­to Gil, de Difun­ta Cor­rea ou tout sim­ple­ment de foot­balleurs comme Maradona.
Les paroles de Felix Luna ont été écrites à par­tir de textes liturgiques révisés par Anto­nio Osval­do Cate­na, Ale­jan­dro May­ol et Jesús Gabriel Segade, trois prêtres, dont le dernier était aus­si le directeur de la Can­to­ria de la Basíli­ca del Socor­ro qui a enreg­istré la pre­mière ver­sion avec Ariel Ramírez.
À ce sujet, ce chœur, le deux­ième plus ancien d’Argentine, est en péril à la suite de la perte de son finance­ment. La cul­ture n’est plus à la mode en Argen­tine. Leur dernier con­cert a eu lieu il y a une dizaine de jours pour les 60 ans de la Misa criol­la. Ils recherchent un spon­sor. Si vous avez des pistes, vous pou­vez écrire à panella.giovanni85@gmail.com.

La troupe de la Mis­sa criol­la a fait une tournée en Europe en 1967. L’af­fiche du dernier con­cert de la Can­to­ria de la Basíli­ca del Socor­ro pour les 60 ans de l’œuvre.

Paroles (Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena)

Noche anun­ci­a­da, noche de amor
Dios ha naci­do, péta­lo y flor
Todo es silen­cio y serenidad
Paz a los hom­bres, es Navi­dad

En el pese­bre mi Reden­tor
Es men­sajero de paz y amor
Cuan­do son­ríe se hace la luz
Y en sus brac­i­tos crece una cruz

(Ánge­les can­ten sobre el por­tal)
Dios ha naci­do, es Navi­dad

Esta es la noche que prometió
Dios a los hom­bres y ya llegó
Es Nochebue­na, no hay que dormir
Dios ha naci­do, Dios está aquí
Ariel Ramírez Letra: Felix Luna

Traduction libre de Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena

Nuit annon­cée, nuit d’amour.
Dieu est né, pétale et fleur.
Tout n’est que silence et sérénité.
Paix aux hommes, c’est Noël
Dans la crèche, mon Rédemp­teur est un mes­sager de paix et d’amour.
Quand il sourit, il y a de la lumière et une croix pousse dans ses bras.
(Les anges chantent au-dessus de la porte), Dieu est né, c’est Noël
C’est la nuit que Dieu a promise aux hommes et elle est déjà arrivée.
C’est la veille de Noël, il ne faut pas dormir, Dieu est né, Dieu est là.

À propos de la première version de la Misa criolla et de Navidad nuestra

Il y a de très nom­breuses ver­sions de la Misa criol­la et de Navi­dad nues­tra. Je vous pro­pose unique­ment de mieux con­naître la ver­sion ini­tiale, celle qui a été enreg­istrée en 1964.

L’orchestre

Ariel Ramírez: Direc­tion générale, piano et clavecin.
Jaime Tor­res: cha­rango.
Luis Amaya, Juanci­to el Pere­gri­no et José Med­i­na: gui­tare criol­la.
Raúl Bar­boza: accordéon pour le chamame «La anun­ciación».
Alfre­do Remus: con­tre­basse
Domin­go Cura: per­cus­sions.
Chango Farías Gómez: bom­bo et acces­soires de per­cus­sion.

Les chanteurs

Les qua­tre chanteurs de Los Fron­ter­i­zos (Ger­ar­do López, Eduar­do Madeo, César Isel­la et Juan Car­los Moreno): chanteurs solistes.
Can­toría de la Basíli­ca del Socor­ro: chœur
Jesús Gabriel Segade: directeur de la Can­toría.

De gauche à droite. La Negra (Mer­cedes Sosa, qui a beau­coup tra­vail­lé avec Ariel Ramírez), Felix Luna (auteur des paroles) et Ariel Ramírez (com­pos­i­teur) au piano et en por­trait à droite.

À bien­tôt les amis. Je vous souhaite de joyeuses fêtes et un monde de paix où tous les humains pour­ront chanter et danser pour oubli­er leurs trist­esses et exprimer leurs joies.

PS : Gérard Cardonnet a fait le commentaire suivant et je trouve cela très intéressant :

« Excel­lent, Bernar­do. Mais s’agis­sant de messe, quand on par­le de com­pos­i­teurs argentins, com­ment ne pas citer la “Misa a Buenos Aires”, dite Mis­a­tan­go, de Mar­tin Palmeri. https://www.choeurdesabbesses.fr/…/la-misatango-de…/ »
Voilà, main­tenant, c’est écrit.

Et comme de bien entendu, j’en rajoute une petite couche avec la réponse :

« Gérard, comme tu l’as remar­qué, c’était plutôt Navi­dad nues­tra qui était d’actualité, Noël étant lié à la nais­sance. J’ai d’ailleurs mis en avant El nacimien­to en en men­tion­nant les paroles.
Pour ce qui est de la Mis­a­tan­go, elle fait claire­ment référence à Piaz­zol­la. Mon pro­pos était de chang­er l’éclairage sur l’Argentine pour par­ler des musiques tra­di­tion­nelles. C’est promis, un de ces jours je met­trais les pieds dans le Piaz­zol­la.
La Mis­a­tan­go est une œuvre superbe. Tu la cites avec beau­coup de rai­son.
J’aurais aus­si pu par­ler de tan­gos de sai­son avec quelques titres qui évo­quent les fêtes de fin d’année comme :
Pour Noël
Nochebue­na
Ben­di­ta nochebue­na
Feliz nochebue­na
El vals de nochebue­na
Navi­dad
Feliz Navi­dad
Navi­dad de los morenos
Can­dombe en Navi­dad
Pour le Jour de l’an
Año nue­vo
Pour les Rois mages (6 jan­vi­er)
Noche de reyes
Un rega­lo de reyes
6 de enero (6 jan­vi­er, jour des Rois mages).
Papa Bal­tasar »

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette valse si agréable à danser, notam­ment dans la ver­sion qu’en donne Castil­lo avec son orchestre a fail­li ne pas voir de suc­cès. Lançons-nous à la ren­con­tre de la pulpera de la pulpería.

La pulpera de Santa Lucía

Tout d’abord, un peu de vocab­u­laire. Une pulpera, est une employée, ou une pro­prié­taire de pulpería. Le « í » est donc impor­tant. La chan­son par­le d’une femme, pas de son étab­lisse­ment.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héc­tor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pour­rait être inven­tée à l’image de son pays d’origine (son grand-père pater­nel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothès­es, la plus prob­a­ble est que cette femme était la fille d’un mon­sieur Miran­da qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une his­toire poli­tique, on ver­ra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Mar­tin Gar­cia. Mal­heureuse­ment, ce sont deux avenues, donc par­al­lèles. Je pro­pose donc plutôt l’angle de Mar­tin Gar­cia et Montes de Oca, juste­ment le bâti­ment qui touche l’église de San­ta Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dion­isia Miran­da si ces hypothès­es ne sont pas trop fauss­es…

Évidem­ment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siè­cle et donc, ce bâti­ment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un envi­ron­nement rur­al et les gau­chos devaient pass­er une bonne par­tie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio.

Pour une ver­sion de chanteur, c’est tout à fait dans­able. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprou­verez beau­coup de plaisir à la danser, mal­gré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
refle­ja­ban la glo­ria del día
y canta­ba como una calan­dria
la pulpera de San­ta Lucía.

Era flor de la vie­ja par­ro­quia.
¿Quién fue el gau­cho que no la quería?
Los sol­da­dos de cua­tro cuar­te­les
sus­pira­ban en la pulpería.

Le can­tó el payador mazor­quero
con un dulce gemir de vihue­las
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diame­las.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día ten­drás que ser mía,
mien­tras llenan las noches del bar­rio
las gui­tar­ras de San­ta Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuan­do el año cuarenta moría;
ya no alum­bran sus ojos celestes
la par­ro­quia de San­ta Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a can­tar­le vidalas y cie­los.
En la reja de la pulpería
los jazmines llora­ban de celos.

Y volvió el payador mazor­quero
a can­tar en el patio vacío
la doliente y postr­er ser­e­na­ta
que llevábase el vien­to del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía?”
¡Cómo llo­ran por ti las gui­tar­ras,
las gui­tar­ras de San­ta Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héc­tor Pedro Blomberg

Traduction libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du dra­peau argentin) reflé­taient la gloire du jour et elle chan­tait comme une calan­dre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de San­ta Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gau­cho ne voudrait pas d’elle ? Les sol­dats de qua­tre casernes soupi­raient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazor­quero (chanteur par­ti­san de Rosas, mil­i­taire, gou­verneur et putschiste) lui chan­tait avec un doux gémisse­ment de vihue­las (instru­ment de musique appar­en­té à la gui­tare) sur la clô­ture qui sen­tait le jas­min, dans la cour qui sen­tait le diame­las (sorte de jas­min).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quarti­er sont rem­plies des gui­tares de San­ta Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aus­si le titre d’une ranchera de Brig­no­lo) l’a enlevée à la mort de l’année quar­ante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de San­ta Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revin­rent pas lui chanter des vidalas et des cie­los (dans­es). Sur la clô­ture de l’épicerie, les jas­mins pleu­raient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la séré­nade plain­tive et tar­dive qu’apportait le vent de la riv­ière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Com­ment, pour toi pleurent les gui­tares, les gui­tares de San­ta Lucía !

Cette valse nous par­le donc d’un temps ou le quarti­er était rur­al et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosis­tas.

Autres versions

La pulpera de San­ta Lucía 1929-06-19 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette ver­sion est impor­tante, car Corsi­ni est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces gui­taristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le suc­cès a été tel que les audi­teurs ont demandé un bis par télé­phone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mor­dre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habi­tude, l’a enreg­istrée…

La pulpera de San­ta Lucía 1929-07-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est une ver­sion lente avec l’originalité de la présence d’une gui­tare hawaïenne. Canaro utilis­era cet instru­ment dans d’autres œuvres, dont juste­ment une valse com­posée par William H. Heag­ney, tout aus­si lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enreg­istrée le 9 novem­bre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (William H. Heag­ney)

(Ce n’est bien sûr pas une ver­sion de la pulpera, c’est juste pour vous faire enten­dre une valse sim­i­laire avec de la gui­tare hawaïenne).

La pulpera de San­ta Lucía 1930 — Orques­ta Rafael Canaro con Car­los Dante.

Le frère de Fran­cis­co s’y colle ensuite avec Car­los Dante. Une ver­sion très rapi­de, plutôt chan­son avec une forte présence de la gui­tare qui fait penser à Corsi­ni.

La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio. La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio. C’est notre mer­veille de valse du jour.
La pulpera de San­ta Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une ver­sion très éton­nante avec ses dis­so­nances plaquées sur l’introduction. L’harmonica par­ti­c­ulière­ment expres­sif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la gui­tare qui donne le rythme et per­met de ren­dre dans­able cette ver­sion assez par­ti­c­ulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la con­naître pour l’harmonica qui lui imprime son car­ac­tère si puis­sant.

La pulpera de San­ta Lucía 1977 Nel­ly Omar con gui­tar­ras — Jose Canet.

Une ver­sion sym­pa­thique, chan­tée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de San­ta Lucía 1983 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Pour ter­min­er, une ver­sion de l’autre rive. Bien dansante et amu­sante comme c’est le faire Vil­las­boas avec son piano bien ryth­mé et ses vio­lons qui flot­tent avec une sonorité si par­ti­c­ulière. On notera égale­ment le mag­nifique solo du ban­donéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez fes­tif pour ter­min­er ce tour des ver­sions de la Pulpera de San­ta Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milon­ga d’hier, j’abordai les orig­ines noires du tan­go. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effec­tive­ment d’origine noire et plus pré­cisé­ment noire améri­caine. Il est descen­dant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père pater­nel, dont le nom de famille était Mar­shall qui a immi­gré en Argen­tine. Maciel fait plus Argentin que Mar­shall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Mar­shall, Maciel ?

Son parte­naire dans la com­po­si­tion de ce tan­go est Héc­tor Pedro Blomberg qui comme son nom le sug­gère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père pater­nel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embar­que sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voy­age il écriv­it des arti­cles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrou­ver toutes les revues, car ils ont été pub­liés en 1920 dans un ouvrage Las Puer­tas de Babel. Le pré­faci­er, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je repro­duis cet extrait ici, car il est très évo­ca­teur du Buenos Aires des orig­ines du tan­go : 

«Los puer­tos de Buenos Aires, y los bar­rios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puer­tas de Babel. Por ellos se entra en la ciu­dad mon­stru­osa e inqui­etante donde todos los idiomas del mun­do y todas las razas se con­fun­den y mez­clan. Arri­ba está la ciu­dad rica y poderosa. Aba­jo, es decir en las puer­tas de Babel, se aglom­era la car­a­vana de los parias, la tur­ba sucia y doliente que arras­tra por los puer­tos y los mares su des­o­lación et su mis­e­ria.

Mul­ti­tud de lam­en­ta­bles fig­uril­las humanas des­fi­lan. Marineros ingle­ses, bor­ra­chos y bru­tales, pasan jun­tos a suaves y con­tem­pla­tivos chi­nos. Holan­deses et ital­ianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancóli­cos que invo­can a Alá, y año­ran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cig­a­r­ras del ham­bre — can­tan y dan­zan en los cabarets sinie­stros: andaluzas de Cádiz y de Mála­ga, grie­gas de Salóni­ca, mulatas mar­tiniqueñas, ingle­sas de Liv­er­pool u de Swansea. Todos los bar­rios trági­cos de tier­ra son evo­ca­dos en las puer­tas de Babel: el Bund, de Changai; el Sol­brero Rojo, de Marsel­la; las calle­jue­las sucias de los bar­rios que cir­cun­dan los grandes puer­tos. Y todas las can­ciones de la tier­ra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sor­ren­to, que hacen soñar con el mar azul, fados por­tugue­ses, sen­suales y lán­gui­dos; can­rates des­o­la­dos de los archip­iéla­gos, oídos en las radas de Oceanía; bal­adas cán­di­das, y fra­gantes que evo­can las már­genes del Yang-Tse-Kiang; vie­jas gua­ji­ras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aque­l­las gentes van pasan­do bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amon­to­nan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la trage­dia estal­la a cada paso, allí en las puer­tas de Babel. Hom­bres tat­u­a­dos se apuñalean por algu­na de aque­l­las cig­a­r­ras del ham­bre, “gavio­tas de todos los puer­tos”, como tam­bién las lla­ma Blomberg. »

Pré­face de Las Puer­tas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville mon­strueuse et inquié­tante où toutes les langues du monde et toutes les races sont con­fon­dues et mélangées. Au-dessus se trou­ve la ville riche et puis­sante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassem­ble la car­a­vane des pro­scrits, la foule immonde et triste qui traîne sa déso­la­tion et sa mis­ère à tra­vers les ports et les mers.
Une mul­ti­tude de pitoy­ables fig­urines humaines défi­lent. Les marins anglais, ivres et bru­taux, passent avec des Chi­nois doux et con­tem­plat­ifs. Néer­landais et Ital­iens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélan­col­iques qui invo­quent Allah et se lan­guis­sent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sin­istres cabarets : Andalous­es de Cadix et de Mala­ga, Grec­ques de Thes­sa­lonique, mulâtres mar­tini­quais­es, Anglais­es de Liv­er­pool ou de Swansea. Tous les quartiers trag­iques de la terre sont évo­qués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le cha­peau rouge de Mar­seille (le nom vient du cha­peau que por­taient les cochers des mes­sageries Royales et qui a don­né le nom à nom­bre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se dilu­ent dans les lam­beaux de Babel : les cou­plets de Sor­rente, qui font rêver la mer bleue, le fado por­tu­gais, sen­suel et lan­goureux ; les can­rates désolés des archipels (prob­a­ble­ment Canaries), enten­dus dans les rades de l’Océanie ; des bal­lades can­dides et par­fumées qui évo­quent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles gua­ji­ras de Cuba ; Lugubres cou­plets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en par­lait à pro­pos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tour­nant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mou­ettes de tous les ports », comme les appelle aus­si Blomberg. »

Un petit documentaire pour terminer

Un doc­u­men­taire réal­isé par El Veci­nalRéseau social de Misiones. C’est en espag­nol, mais des infor­ma­tions com­plé­men­taires sont pro­posés, notam­ment sur De Rosas.

Un doc­u­men­taire réal­isé par El Veci­nalRéseau social de Misiones