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Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuer­do serait le pre­mier tan­go écrit par Osval­do Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est éton­nant, c’est le titre, Recuer­do (sou­venir), sem­ble plus le titre d’une per­son­ne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une pre­mière œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos sou­venirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osval­do est né en 1905, le 2 décem­bre. Bien que d’une famille mod­este, son père lui offre un vio­lon à l’âge de neuf ans, mais Osval­do préféra le piano.
Je vais vous présen­ter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présen­tant les musi­ciens.

Adolfo Pugliese (1876–06-24 — 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme com­pos­i­teur, on lui attribue :

Ausen­cia (Tan­go mío) (Tan­go de 1931), mais nous ver­rons, à la fin de cet arti­cle, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un mod­este ouvri­er du cuir, comme son père qui était cor­don­nier, mais il était aus­si édi­teur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osval­do a souhaité faire du piano, cela ne sem­ble pas avoir posé de prob­lème alors qu’il venait de lui fournir un vio­lon (qui pou­vait être partagé avec son frère aîné, cepen­dant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus dému­nies…
Même si Adol­fo a écrit, sem­ble-t-il, écrit peu (ou pas) de tan­go, il en a en revanche édité, notam­ment ceux de ses enfants…
Voici deux exem­ples de par­ti­tion qu’il édi­tait. À droite, celle de Recuer­co, notre tan­go du jour. On remar­quera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la sec­onde de « Por una car­ta », une com­po­si­tion de son fils Alber­to, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la cou­ver­ture de Recuer­do, le nom des musi­ciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, recon­naiss­able à son vio­lon avec cor­net qui est égale­ment le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Fran­cis­co de Caro au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon (que l’on retrou­ve sur la par­ti­tion de Por una car­ta), Enrike Krauss à la con­tre­basse, Pedro Lau­renz au ban­donéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la par­ti­tion de Por una car­ta, les sig­na­tures des mem­bres de l’orchestre de Pedro Maf­fia : Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, Osval­do Pugliese au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon et directeur de l’orchestre, Fran­cis­co De Loren­zo à la con­tre­basse, Alfre­do De Fran­co au ban­donéon et Emilio Puglisi au vio­lon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osval­do Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osval­do d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engage­ment au par­ti com­mu­niste argentin et sa con­cep­tion de la répar­ti­tion des gains avec son orchestre. Il divi­sait les émol­u­ments en por­tions égales à cha­cun des mem­bres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878–11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tan­go d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enreg­istré en 1930 par Anto­nio Bonave­na. Je n’ai pas de pho­to du ton­ton, alors je vous pro­pose d’écouter son tan­go dans cette ver­sion instru­men­tale.

Que mal hiciste 1930 Orques­ta Anto­nio Bonave­na (ver­sion instru­men­tale)

Alberto Pugliese (1901–01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieuse­ment, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tan­go. Alber­to a pour­tant réal­isé des com­po­si­tions sym­pa­thiques, par­mi lesquelles on pour­rait citer :

  • Ado­ración (Tan­go) enreg­istré Orques­ta Juan Maglio « Pacho » avec Car­los Viván (1930–03-28).
  • Cabecitas blan­cas (Tan­go) enreg­istré par Osval­do et Chanel (1947–10-14)
  • Car­iño gau­cho (Milon­ga)
  • El char­quero (Tan­go de 1964)
  • El remate (Tan­go) dont son petit frère a fait une mag­nifique ver­sion (1944–06-01). Mais de nom­breux autres orchestres l’ont égale­ment enreg­istré.
  • Espinas (Tan­go) Enreg­istré par Fir­po (1927–02-27)
  • Milon­ga de mi tier­ra (Milon­ga) enreg­istrée par Osval­do et Jorge Rubi­no (1943–10-21)
  • Por una car­ta (Tan­go) enreg­istré par la Típi­ca Vic­tor (1928–06-26)
  • Soñan­do el Charleston (Charleston) enreg­istré par Adol­fo Cara­bel­li Jazz Band (1926–12-02).

Il en a cer­taine­ment écrit d’autres, mais elles sont encore à iden­ti­fi­er et à faire jouer par un orchestre qui les enreg­istr­era…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tan­go. Les gènes ont aus­si été trans­mis à la descen­dance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adol­fo Vicente (surnom­mé Fito pour mieux le dis­tinguer de son père Adol­fo, Adolfito devient Fito) ne sem­ble pas avoir écrit ou enreg­istré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un bril­lant vio­loniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui fai­sait tourn­er la bou­tique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cepen­dant, la mésen­tente avec le père a fini par le faire par­tir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Pla­ta où il a délais­sé la musique et le vio­lon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Con­cep­ción Flo­rio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et édi­teur.
Par­mi ses com­po­si­tions, Catire et Chichar­ri­ta qu’elle a joué avec son quin­te­to…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tra­di­tion famil­iale con­tin­ue de nos jours, même si Car­la s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune tal­ent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espag­nol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musi­ciens. Le père était zap­a­tero (cor­don­nier). Ce sont eux qui ont fait le voy­age en Argen­tine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux par­mi les mil­liers d’Européens qui ont émi­gré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Car­los Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octo­bre 1853 — Tri­cari­co, Mat­era, Basil­i­ca­ta, Ital­ie
Zap­a­tero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a cer­taine­ment adop­té en sou­venir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosen­za, Cal­abria, Ital­ie
Ils se sont mar­iés le 28 novem­bre 1896, dans l’église Nues­tra Seño­ra de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adol­fo Juan PUGLIESE Vul­cano 1876–1943 (Père d’Osvaldo, com­pos­i­teur, édi­teur et flûtiste)
  • Anto­nio PUGLIESE Vul­cano 1878 (Musi­cien et com­pos­i­teur)
  • Luisa María Mar­gari­ta PUGLIESE Vul­cano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vul­cano 1883
  • Con­cep­ción María Ana PUGLIESE Vul­cano 1885

Extrait musical

Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Dans cette ver­sion il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les ver­sions enreg­istrées aupar­a­vant avaient déjà pour cer­taines des into­na­tions proches. On peut donc penser que la puis­sance de l’écriture de Pugliese a influ­encé les orchestres qui ont inter­prété son œuvre. À l’écoute on se pose la ques­tion de la pater­nité de la com­po­si­tion. Alfre­do, Osval­do ou un autre ? Nous y revien­drons.

Les paroles

Ayer can­taron las poet­as
y llo­raron las orques­tas
en las suaves noches del ambi­ente del plac­er.
Donde la bohemia y la frágil juven­tud
apri­sion­adas a un encan­to de mujer
se mar­chi­taron en el bar del bar­rio sud,
murien­do de ilusión
murien­do su can­ción.

Mujer
de mi poe­ma mejor.
¡Mujer!
Yo nun­ca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi glo­ria ide­al
Perdón,
serás mi ver­so ini­cial.

Y la voz en el bar
para siem­pre se apagó
su moti­vo sin par
nun­ca más se oyó.

Embria­ga­da Mimí,
que llegó de París,
sigu­ien­do tus pasos
la glo­ria se fue
de aque­l­los mucha­chos
del viejo café.

Quedó su nom­bre graba­do
por la mano del pasa­do
en la vie­ja mesa del café del bar­rio sur,
donde anoche mis­mo una som­bra de ayer,
por el recuer­do de su frágil juven­tud
y por la cul­pa de un olvi­do de mujer
dur­mióse sin quer­er
en el Café Con­cert.

Adol­fo et/ou Osval­do Pugliese Letra : Eduar­do Moreno

Dans la ver­sion de la Típi­ca Vic­tor de 1930, Rober­to Díaz ne chante que la par­tie en gras. Rosi­ta Mon­temar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chan­té et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse frag­ile pris­on­nière du charme d’une femme se flétris­saient dans le bar du quarti­er sud, mourant d’illusion et mourant de leur chan­son.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Par­don !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon cou­plet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais enten­du.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suiv­ant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quarti­er sud, où hier soir une ombre d’hier, par le sou­venir de sa jeunesse frag­ile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involon­taire­ment dans le Café-Con­cert.

Dans ce tan­go, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuer­do, 1926-12-09 — Orques­ta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion éditée avec le nom d’Adolfo. Remar­quez que dès cette ver­sion, la vari­a­tion finale si célèbre est déjà présente.
Recuer­do 1927 — Rosi­ta Mon­temar con orques­ta. Une ver­sion chan­son. Juste pour l’intérêt his­torique et pour avoir les paroles chan­tées…
Recuer­do, 1928-01-28 — Orques­ta Bian­co-Bachicha. On trou­ve dans cette ver­sion enreg­istrée à Paris, quelques accents qui seront mieux dévelop­pés dans les enreg­istrements de Pugliese. Ce n’est pas inin­téres­sant. Cela reste cepen­dant dif­fi­cile de pass­er à la place de « La référence ».
Recuer­do, 1930-04-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Rober­to Díaz. Une des rares ver­sions chan­tées et seule­ment sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un bas­son apporte une sonorité éton­nante à cette ver­sion. On l’entend par­ti­c­ulière­ment après le pas­sage chan­té.
Recuer­do, 1941-08-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. Une ver­sion très intéres­sante. Que je pour­rais éventuelle­ment pass­er en bal.
Recuer­do 1941 Orques­ta Aníbal Troi­lo. La prise de son qui a été réal­isée à Mon­te­v­ideo est sur acé­tate, donc le son est mau­vais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuer­do, 1942-11-04 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi. Une ver­sion sur­prenante pour du Tan­turi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureuse­ment qu’il y a la fin typ­ique de Tan­turi, une dom­i­nante suiv­ie bien plus tard par la tonique pour nous cer­ti­fi­er que c’est bien Tan­turi 😉
Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est le tan­go du jour. Il est intéres­sant de voir com­ment cette ver­sion avait été annon­cée par quelques inter­pré­ta­tions antérieures. On se pose tou­jours la ques­tion ; Alfre­do ou Osval­do ? Sus­pens…
Recuer­do, 1952-09-17 — Orques­ta Julio De Caro. De Caro enreg­istre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sex­te­to, donne de l’ampleur à la musique.
Recuer­do 1966-09 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel. On retrou­ve Pugliese, 22 ans après son pre­mier enreg­istrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beau­coup de mod­i­fi­ca­tions. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un mal­heur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est telle­ment joli que l’on pour­rait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois ver­sions de Rucuer­do par Pugliese. Celle de « Grandes Val­ores », une émis­sion de télévi­sion, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuer­do par Osval­do Pugliese dans l’émission Grandes Val­ores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous pro­pose aus­si la ver­sion au théâtre Colon, cette salle de spec­ta­cle fameuse de Buenos Aires.

Recuer­do par Osval­do Pugliese au Théa­tre Colon, le 12 décem­bre 1985.

Pour ter­min­er, tou­jours de 1985, l’enregistrement en stu­dio du 25 avril.

Recuer­do, 1985-04-25 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese a con­tin­ué à jouer à de nom­breuses repris­es sa pre­mière œuvre. Vous pou­vez écouter les dif­férentes ver­sions, mais elles sont glob­ale­ment sem­blables et je vous pro­pose d’arrêter là notre par­cours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le com­pos­i­teur de Recuer­do ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la par­ti­tion éditée en 1926 par Adol­fo Pugliese men­tionne son nom comme auteur. Cepen­dant, la tra­di­tion veut que ce soit la pre­mière com­po­si­tion d’Osvaldo.
Écou­tons le seul tan­go qui soit éti­queté Adol­fo :
Ausen­cia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orques­ta Típi­ca. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puis­sance de Recuer­do.
On notera toute­fois que la réédi­tion de cette par­ti­tion est signée Adol­fo et Osval­do. La seule com­po­si­tion d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très prob­a­ble. Le père et sa vie peu équili­brée et n’ayant pas don­né d’autres com­po­si­tions, con­traire­ment à ses garçons, pour­rait ne pas être com­pos­i­teur, en fait.

Pour cer­tains, c’est, car Osval­do était mineur, que son père a édité la par­ti­tion à son nom. Le prob­lème est que plusieurs tan­gos d’Osvaldo avaient été antérieure­ment édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour ren­dre la chose plus com­plexe, il faut pren­dre en compte l’histoire de son frère aîné
Adol­fo (Fito). Ce dernier était un bril­lant vio­loniste et com­pos­i­teur.
Pedro Lau­renz, alors Ban­donéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduar­do Moreno quand un vio­loniste Emilio Marchi­ano serait venu lui deman­der d’aller chercher ce tan­go chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchi­ano tra­vail­lait alors au café ABC, comme l’indique Osval­do qui était ami avec le ban­donéon­iste Enrique Pol­let (France­si­to) et qui aurait recom­mandé les deux titres mar­qués Adol­fo (Ausen­cia et Recuer­do).
On est sur le fil avec ces deux his­toires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfi­to qui don­nerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pol­let qui aurait fait la pro­mo­tion des com­po­si­tions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expli­quer que le nom de son père soit sur les par­ti­tions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osval­do qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tan­gos, et notam­ment de Recuer­do qu’il aurait don­né à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trou­ver du tra­vail et qu’il avait décidé de se recon­ver­tir comme édi­teur de par­ti­tion. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère util­isée dans les nou­veaux orchestres. Cette anec­dote est par Oscar del Pri­ore et Irene Amuchástegui dans Cien tan­gos fun­da­men­tales.
Tou­jours selon Pedro Lau­renz, la vari­a­tion finale, qui donne cette touche magis­trale à la pièce, serait d’Enrique Pol­let, alias El Francés, (1901–1973) le ban­donéon­iste qui tra­vail­lait avec Eduar­do Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cepen­dant, la ver­sion de 1927 chan­tée par Rosi­ta Mon­temar ne con­tient pas la vari­a­tion finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la ver­sion de 1957, chan­tée par Maciel ne com­porte pas non plus cette vari­a­tion. On pour­rait donc presque dire que pour adapter au chant Recuer­do, on a sup­primé la vari­a­tion finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fauss­es. Pour ma part, je pense que l’on a min­imisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir don­né le goût de la musique à ses enfants. Il sem­ble avoir été un père moins par­fait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finale­ment, ce qui compte, c’est que cette œuvre mer­veilleuse nous soit par­v­enue dans tant de ver­sions pas­sion­nantes et qu’elle ver­ra sans doute régulière­ment de nou­velles ver­sions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuer­do restera un sou­venir vivant.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Alberto Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais lais­sé emporter dans le tour­bil­lon de cette valse chan­tée par Fran­cis­co Fiorenti­no et le ban­donéon d’Anibal Troi­lo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait atten­tion au ten­dre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en trem­blant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troi­lo et Fiorenti­no ont enreg­istré 73 titres, dont 4 en duo avec Alber­to Mari­no.
Ce sont qua­si­ment tous des suc­cès au point que cer­tains DJ ne passent pour les Troi­lo chan­tés, que des ver­sions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anec­dotes de tan­go de ces derniers jours, vous avez pu lire les arti­cles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Ani­bal Troi­lo C Edmun­do Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enreg­istré par Troi­lo et Fiorenti­no, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alber­to Hilar­i­on Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamo­ra, ou plus pré­cisé­ment à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du vil­lage à l’époque de la nais­sance d’Alberto. Main­tenant, c’est englobé au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutôt rur­al à l’époque et cela a sans doute influ­encé ses choix musi­caux, sou­vent ori­en­tés vers ce que l’on appelle main­tenant le folk­lore, la valse du jour est en effet un vals criol­lo (vals est mas­culin en espag­nol). Il a écrit en plus des tan­gos, des gatos, des chacar­eras, comme La choy­ana que Gardel a chan­té avec Raz­zano, mais aus­si des can­dom­bés comme Ser­afín enreg­istré par exem­ple en 1998 et 2003 par Juan Car­los Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le com­para­it à celui de Gardel et Raz­zano. Ain­si la revue El Can­ta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indi­quait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insur­pass­able Gardel-Raz­zano, le meilleur qui reste pour inter­préter notre muse sen­ti­men­tale et pop­u­laire est indis­cutable­ment l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Char­rúa (Gual­ber­to Gre­go­rio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Char­rúa, vient du peu­ple Char­rúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontal­ière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses pen­chants pour la rural­ité peu­vent sans doute trou­ver leur orig­ine dans son ter­ri­toire de nais­sance, mais aus­si dans son activ­ité dans le « civ­il », il était admin­is­tra­teur d’établissements agri­coles du côté de Gen­er­al Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses orig­ines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendi­quer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cepen­dant, ma mère étant orig­i­naire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authen­tique, ce qui est tra­di­tion­nel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleine­ment à être le meilleur Argentin. »
Son engage­ment pour ce qui est tra­di­tion­nel s’est mon­tré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Esti­lo (chan­sons folk­loriques typ­iques de la pam­pa, ce qui explique le pon­cho dont il sera ques­tion dans la valse du jour) et bien sûr les paroles cham­pêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Tem­b­lan­do 1944-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est la valse du jour.

Le ban­donéon lance le début de l’introduction comme un démar­rage dif­fi­cile. Puis à 0 : 15 com­mence le thème par les vio­lons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ain­si de suite, s’alternent les instru­ments jusqu’à ce que le vio­lon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorenti­no reprend le thème. Il accentue de nom­breux pre­miers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée nor­male). Cela donne l’impression de ralen­tisse­ment que con­tred­it ½ temps plus tard la reprise du rythme nor­mal de la valse. Un peu comme un homme qui tourn­erait la maniv­elle d’une voiture anci­enne pour démar­rer le moteur. C’est le même principe que le démar­rage ini­tial du ban­donéon en intro­duc­tion. Cet élé­ment styl­is­tique s’apparente dans une cer­taine mesure à la valse vien­noise, mais aus­si au vals crio­lo où le ralen­tisse­ment est encore plus mar­qué et le rythme sort com­plète­ment de la régu­lar­ité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exem­ple chez Corsi­ni (voir ci-dessous dans les autres ver­sions).

Les paroles

Lin­da esta­ba la tarde en que la vide,
el patio de su ran­cho aco­modan­do
y aunque (muy) guapo pa’to­do me sen­tía, (y aunque guapo muy guapo me sen­tía)
no pude hablar­la y me quedé tem­b­lan­do.

Esta­ba como nun­ca la había vis­to,
vesti­do livian­i­to de zaraza,
con el pelo vol­ca­do sobre los hom­bros
era una vir­gen que encon­tré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus oja­zos me sigu­ió que­man­do,
dejó la esco­ba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó tem­b­lan­do.

Era el recuer­do del amor primero,
amor naci­do en una edad tem­prana,
como esas flo­res rús­ti­cas del cam­po
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está ocul­to en los adobes
de su ran­cho pater­no tan sen­cil­lo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la pun­ta del cuchil­lo.

Me di vuelta pisan­do despaci­to,
como quien descon­fía de una tram­pa,
envolvien­do recuer­dos y emo­ciones
entre las lis­tas de mi pon­cho pam­pa.

No sé qué me pasó, mon­té a cabal­lo
y me fui (sali) galo­pe­an­do a rien­da suelta,
con todos los recuer­dos y emo­ciones
que en las lis­tas del pon­cho saqué envueltas.

Lin­da esta­ba la tarde en que la vide,
el patio de su ran­cho aco­modan­do.
Y aunque (muy) guapo pa’to­do me sen­tía, (y aunque guapo muy guapo me sen­tía)
no pude hablar­la y me quedé tem­b­lan­do.

Alber­to Hilar­i­on Acuña Letra: Char­rúa (Gual­ber­to Márquez)

Fiorenti­no et Bermúdez chantent ce qui est en gras et ter­mi­nent en reprenant le cou­plet qui est en rouge. En bleu, la vari­ante de Car­men Idal qui chante, comme Corsi­ni, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordon­née et même si je me sen­tais beau en tous points, je ne parvins pas à lui par­ler et je restais trem­blant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue aupar­a­vant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais ren­con­trée dans la mai­son. (Zaraza est une sorte de Per­cal. Un tan­go de Ben­jamin et Alfon­so Tagle Lara porte ce nom. Et Bia­gi avec Ortiz en a don­né une des meilleures ver­sions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a égale­ment chan­té en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons par­lé, avec ses yeux immenses qui me suiv­aient en me brûlant, elle a délais­sé le bal­ai qu’elle tenait à la main, elle voulait me par­ler et elle est restée trem­blante.
C’était le sou­venir du pre­mier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rus­tiques des champs qui nais­sent du jour au lende­main (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout sim­ple et grâce à la cour­toisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belom­bra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retour­nai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, envelop­pant sou­venirs et émo­tions entre les plis de mon pon­cho de la pam­pa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chan­frein des chevaux. Il enveloppe donc ses émo­tions dans les ban­des blanch­es donc, les rayures de son pon­cho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis mon­té à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les sou­venirs et les émo­tions que j’avais envelop­pés dans les listes de pon­chos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordon­née et même si je me sen­tais beau en tous points, je ne parvins pas à lui par­ler et je restais trem­blant.
Un doc­u­men­taire intéres­sant pour con­naître le pon­cho.

Autres versions

Tem­b­lan­do 1933-09-28 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criol­lo). Une belle inter­pré­ta­tion pour ce type de valses folk­loriques.
Tem­b­lan­do 1944 Orques­ta Gabriel Chu­la Clausi con Car­men Idal.

Une jolie ver­sion, chan­tée et presque dans­able. Il est à not­er qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites vari­a­tions, comme cela arrive sou­vent, les chanteurs pren­nent de petites lib­ertés pour mieux coller à leur dic­tion, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actu­alis­er un texte.

Tem­b­lan­do 1944-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est la valse du jour.
Tem­b­lan­do 1944-04-26 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Car­los Bermúdez.

Comme la ver­sion de Troi­lo, celle de Loren­zo com­mence par un ban­donéon qui « démarre ». Les arrange­ments sont assez proches de ceux de Troi­lo. À 1 : 19 com­mence Bermúdez, sa voix est mag­nifique, plus chaude que celle de Fiorenti­no, c’est une superbe ver­sion, injuste­ment estom­pée, à mon avis par celle de Troi­lo qui ne lui est pas sen­si­ble­ment supérieure. À 2 : 25, vous noterez le change­ment de tonal­ité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à pro­pos de Lágri­mas y son­risas).

Par la suite, le thème a été repris à dif­férentes repris­es, par des chanteurs plutôt ver­sés du côté folk­lore, ou par d’autres du côté chan­son, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des ver­sions équiv­a­lentes à celles de Troi­lo ou de Lau­renz. J’en cite cepen­dant quelques-unes, intéres­santes par dif­férents aspects.

Tem­b­lan­do 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rap­pel de vals criol­lo, au milieu d’une inter­pré­ta­tion sous forme de chan­son. Comme beau­coup de chan­sons en valse, cette ver­sion reste dans­able, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Tem­b­lan­do 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exer­ci­ce du chant a capela. Là, pas du tout ques­tion de danser…

Tem­b­lan­do 1995 — Can­ta Luis Cardei.

Pour ter­min­er en douceur, une ver­sion d’inspiration criol­la. Mal­gré sa très courte car­rière (6 ans, Luis Cardei a pro­duit trois dis­ques et chan­té dans le film La Nube (1998) de Fer­nan­do Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos glo­bos rojos d’Eduar­do Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les pié­tons, sauf un, recu­lent, la suite est peut-être moins intéres­sante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

De floreo 1950-03-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio Carrasco

De flo­reo de Julio Car­ras­co est l’élément cen­tral d’une trilo­gie de trois tan­gos. Flor de tan­go (1945), De flo­reo (1950) et Mi lamen­to (1954). De flo­reo peut avoir dif­férentes sig­ni­fi­ca­tions allant d’un bavardage inutile ou léger, par exem­ple, un piropo (com­pli­ment à une femme que l’on cherche à con­quérir) à une danse par­faite­ment maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre accep­tion, celle du musi­cien épanoui qui domine son instru­ment. Il n’est qu’à écouter le solo de vio­lon de Enrique Cam­er­a­no pour se con­forter dans cette idée.

Extrait musical

De flo­reo. Par­ti­tion, Disque Odeon 30610B (matrice 17601), pochette et disque vinyle 4334 de EMI. De flo­reo est le six­ième et dernier titre de la face A, mais aus­si le nom de l’album, ce qui témoigne de son suc­cès.
De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Les ban­donéons lan­cent un rythme très mar­qué, lié par quelques glis­san­dos des vio­lons. Puis à 0:35 les vio­lons pren­nent le dessus dans le stac­ca­to avec de légers motifs de piano de Pugliese.
Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est con­stru­ite par des touch­es suc­ces­sives en lega­to et stac­ca­to. Cette organ­i­sa­tion sem­ble indi­quer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient atten­tifs aux change­ments d’expression, car une écoute trop légère ferait man­quer les tran­si­tions et danser à con­tre­courant. C’est ce qui peut ren­dre cer­tains titres de Pugliese si pas­sion­nants, mais par­fois dif­fi­ciles à danser. Con­traire­ment à ce qui est générale­ment exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserv­er aux excel­lents danseurs.
Cer­tains y voient une musique roman­tique et tran­quille, à danser avec une per­son­ne de cœur. D’autres se déchaî­nent dans des envolées incom­préhen­si­bles, pen­sant révo­lu­tion­ner l’art de la danse et laiss­er un pub­lic ébloui à la lim­ite de l’évanouissement devant tant de génie.
Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évo­lu­tions de la musique, tout en respec­tant les autres danseurs.
Il n’y a donc pas besoin d’être un excel­lent danseur, seule­ment un excel­lent audi­teur.
Bien sûr, ceux qui peu­vent être les deux exis­tent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibra­tion par­ti­c­ulière sur la piste durant les tan­das de Pugliese.
À 1:40 com­mence le pas­sage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sub­lime solo de vio­lon de Enrique Cam­er­a­no qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des ban­donéons, puis des autres instru­ments.
Le thème du solo de vio­lon ressur­git ensuite jusqu’au final et l’interprétation se ter­mine par les deux accords tra­di­tion­nels chez beau­coup d’orchestres, dont celui de Pugliese.

Détail du revers de la pochette du disque 33 tours De flo­reo édité par EMI sous le numéro 4334.

Autres versions

De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.
De flo­reo 2004 — Col­or Tan­go de Rober­to Álvarez.

On retrou­vera bien sûr des accents de Pugliese dans cette ver­sion de Col­or Tan­go. Son créa­teur, Rober­to Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plu­part des musi­ciens étaient aus­si arrangeurs). J’en prof­ite pour rap­pel­er qu’il y a eu deux et même trois orchestres Col­or Tan­go, tous héri­tiers de Pugliese. L’orchestre orig­inel “Col­or Tan­go” créé par Rober­to Álvarez (ban­donéon­iste de Pugliese), Amíl­car Tolosa (vio­loniste de Pugliese) et Fer­nan­do Rodríguez (con­tre­bassiste de Pugliese).
À la suite d’un désac­cord, l’orchestre se scin­da en deux par­ties égales et Rober­to Álvarez et Amíl­car Tolosa dirigèrent cha­cun un orchestre “Col­or Tan­go”. Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu com­pliqué, mais un accord a été trou­vé et les deux orchestres ont coex­isté avec le nom de leur directeur accolé. Col­or Tan­go de Rober­to Álvarez et Col­or Tan­go de Amíl­car Tolosa.
À ce sujet, une petite remar­que. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musi­ciens sont rem­placés. Aujourd’hui, la sit­u­a­tion est encore plus mar­quée. Les orchestres voy­ageant à tra­vers le monde, ils ont sou­vent recours à des musi­ciens dif­férents suiv­ant les lieux de la tournée ou suiv­ant les engage­ments déjà pris avec un autre orchestre par un instru­men­tiste. La sépa­ra­tion de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si sur­prenante, mais c’est bien que le nom les dif­féren­cie, même si la plu­part des édi­tions restent vagues sur le sujet. Un Col­or Tan­go peut en cacher un autre.

Voici une ver­sion en vidéo par Mar­tin Klett & Ensem­ble.

De flo­reo 2019c — Mar­tin Klett & Ensem­ble

La trilogie de Julio Carrasco

Comme indiqué ci-dessus, De flo­reo fait par­tie d’une trilo­gie com­posée par Julio Car­ras­co.
Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéres­sant de not­er l’évolution et les simil­i­tudes sur la décen­nie de cette trilo­gie.

Flor de tan­go 1945-08-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese

La musique est sans doute un peu trop déstruc­turée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et stac­catos, par exem­ple, peut sur­pren­dre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus dif­fi­cile à danser pour les danseurs con­tem­po­rains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enreg­istrements con­nus par cœur.
À l’âge d’or, les danseurs décou­vraient « en direct » les nou­veautés et ils devaient donc être plus atten­tifs à la musique.
En résumé, je ne passerai ce titre en milon­ga qu’avec des danseurs bien famil­iarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adop­té peut don­ner une pincée de tristesse qui pour­rait s’ajouter aux hési­ta­tions provo­quées par les sur­pris­es (richess­es) de la musique et faire que le moment ne soit pas aus­si agréable que pos­si­ble.
On notera toute­fois la beauté de la musique avec le beau solo de vio­lon à 1:30 et la vari­a­tion vir­tu­ose des ban­donéons en final.

Vous trou­verez dans l’ar­ti­cle sur Flor de tan­go, quelques élé­ments sur l’au­teur de la trilo­gie, Julio Car­ras­co.

De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Pour rester dans la dans­abil­ité. On remar­quera que la présence d’un rythme bien mar­qué au début inspire la con­fi­ance des danseurs. Les phras­es musi­cales sont plus claires et les tran­si­tions de danse plus faciles à prévoir. Cer­tains motifs peu­vent sus­citer de belles impro­vi­sa­tions ou a min­i­ma des fior­i­t­ures élé­gantes, per­me­t­tant ain­si de danser de flo­reo…
Et le solo de vio­lon devrait faire fon­dre les danseurs à coup sûr et donc par­ticiper au suc­cès de la danse.

Mi lamen­to 1954-03-17 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Mi lamen­to démarre avec une ryth­mique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrou­ve des élé­ments d’insécurité, comme avec Flor de tan­go dont il partage la tonal­ité de Fa # mineur. Cer­tains pas­sages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peu­vent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le pass­er, mais il con­vient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le pass­er à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suiv­ent pas cette propo­si­tion.

Comme dans les deux œuvres précé­dentes, on retrou­ve le solo de vio­lon à 1:50. Après tout Julio Car­ras­co est vio­loniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instru­ment. Là encore, c’est Enrique Cam­er­a­no qui inter­prète en sa qual­ité de pre­mier vio­lon le solo qui sera évo­qué jusqu’à la fin, comme pour De flo­reo et con­traire­ment à Flor de tan­go, où il est effacé par les ban­donéons à la fin.
La répu­ta­tion de Julio Car­ras­co aurait pu lui ouvrir la car­rière de pre­mier vio­lon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Cam­er­a­no.
Cette évo­lu­tion va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de vio­lons sont tous les trois intéres­sants, mais celui de De flo­reo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dans­able des trois, je passerai De flo­reo en pri­or­ité.

Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo

Je pro­pose cet exer­ci­ce qui con­siste à faire une tan­da de Pugliese un peu moins con­sen­suelle. Dans une milon­ga courte, je ne m’y ris­querai sans doute pas et je resterai avec la ving­taine de titres validés par les danseurs. Mais admet­tons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se met­tre en « dan­ger ».
Dans cette tan­da, je ne passerai prob­a­ble­ment pas deux des titres de la trilo­gie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seule­ment pour des tan­das de qua­tre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (dif­fi­cile de pass­er un de ces titres en pre­mier et en dernier, il en faut donc a min­i­ma un avant et un après).
Pour don­ner un peu de var­iété à la tan­da en gar­dant un esprit un peu decaréen, je pour­rais pro­pos­er.

1) Boe­do 1948-07-14 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une com­po­si­tion de De Caro, assez con­nue et qui peut donc ras­sur­er en pre­mier thème.

2) De flo­reo en deux­ième, car pas suff­isam­ment con­nu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servi­ra d’aiguillage. Si je vois qu’il est par­faite­ment adop­té, je pour­rai envis­ager de pass­er Mi lamen­to en 3e titre. Si je sens que c’est pass­able, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exem­ple :

3) Bien milon­ga 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pas trop dif­fi­cile à danser et avec un beau solo de vio­lon pour rester dans l’esprit de De flo­reo.

4) La cachi­la 1952-11-24 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Avec des pas­sages très “yum­ba”. Ce titre très con­nu, plus facile à danser, pour­rait ter­min­er la tan­da.

Si je vois qu’il faut rac­crocher les wag­ons, je pour­rais pass­er à Canaro à Paris en troisième titre de la tan­da, qui est plus ras­sur­ant pour les danseurs et qui com­porte de mag­nifiques solos de ban­donéon et de vio­lon­celle.

3) alter­na­tive selon la récep­tion de De flo­reo. Canaro en París 1949-11-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese

Le 4e titre pour­ra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tan­da. Sinon, La Cachi­la pour­ra faire l’affaire.

Si je vois que Boe­do ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je bas­culerai vers les grands stan­dards, en ne pas­sant donc pas De flo­reo et autres.
Pass­er une tan­da de Pugliese avec des titres peu con­nus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette rai­son, il est indis­pens­able, lorsque l’on ne con­naît pas le pub­lic, d’être prêt à tout chang­er à la volée et c’est un bon exem­ple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ rési­dent et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en for­mant leur goût. C’est d’ailleurs une respon­s­abil­ité du DJ rési­dent, car à rou­tin­er les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloign­er de la com­mu­nauté tanguera. Par exem­ple, dans cer­taines milon­gas, le DJ rési­dent met beau­coup de tan­go alter­natif ou des titres peu typ­iques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milon­gas « nor­males ». Ouvrir les oreilles et les hori­zons, c’est bien, mais il ne faut pas oubli­er le cœur du tan­go.
À bien­tôt les amis !

De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese – L’écoute des tour­bil­lons de musique qui entrent dans les oreilles.

El pollo Ricardo 1946-03-29 – Orquesta Carlos Di Sarli

Luis Alberto Fernández Letra : Gerardo Adroher

Je dédi­cace cet arti­cle à mon ami Ricar­do Salusky, DJ de Buenos Aires, ce tan­go étant une his­toire d’amitié, c’était logique. Pol­lo, le poulet, est un surnom assez courant, les Argentins et Uruguayens sont friands de cet exer­ci­ce qui con­siste à ne jamais dire le véri­ta­ble prénom de per­son­nes…

Reste à savoir qui était le poulet de Luis Alber­to Fer­nán­dez, l’auteur et le paroli­er de ce tan­go qu’il a dédi­cacé à un de ses amis.
Ricar­do est un prénom courant. Il nous faut donc inves­tiguer.
Luis Alber­to Fer­nán­dez (c’est son véri­ta­ble nom) est né à Mon­te­v­ideo le 29 mars 1887. Il était pianiste, com­pos­i­teur et paroli­er d’au moins deux tan­gos, celui dont nous par­lons aujourd’hui et Inter­va­lo. El Pol­lo Ricar­do est indiqué dans les reg­istres de la AGADU (Aso­ciación Gen­er­al de Autores del Uruguay) comme étant de 1911, ce que con­fir­ment d’autres sources, comme les plus anci­ennes exé­cu­tions con­nues par Car­los War­ren, puis Juan Maglio Pacho (mal­heureuse­ment sans enreg­istrement) et un peu plus tar­di­ve­ment (1917), celle de Celesti­no Fer­rer que vous pour­rez écouter à la fin de cet arti­cle.
De Fer­nán­dez, on ne con­naît que deux com­po­si­tions, El pol­lo Ricar­do et Inter­va­lo.
En cher­chant dans les amis de Fer­nán­dez on trou­ve un autre Uruguayen ayant juste­ment écrit un tan­go sur les cartes,

Une par­ti­tion de Ricar­do Scan­droglio du tan­go « En Puer­ta » (l’ouverture) sur le thème des jeux de cartes. On notera que l’auteur se fait appel­er (El Pol­lo Ricar­do).

On retrou­ve ce Ricar­do Scan­droglio sur une pho­to où il est au côté de Luis Alber­to Fer­nán­dez.

Pho­to prise dans les bois de Paler­mo en 1912 (Par­que Tres de Febrero à Buenos Aires).

Assis, de gauche à droite : El pol­lo Ricar­do qui a bien une tête de poulet, non ? Au cen­tre, Luis Alber­to Fer­nán­dez et Curbe­lo. Debouts, Arturo Presti­nari et Fer­nán­dez Castil­la. Cette pho­to a été repro­duite dans la revue La Mañana du 29 sep­tem­bre 1971.
Et pour clore le tout, on a une entre­vue entre Alfre­do Tas­sano et Ricar­do Scan­droglio où ce dernier donne de nom­breuses pré­ci­sions sur leur ami­tié.
Vous pou­vez écouter cette entre­tien (à la fin de la ver­sion de Canaro de El pol­lo Ricar­do) ici:
https://bhl.org.uy/index.php/Audio:_Entrevista_a_Ricardo_Scandroglio_a_sus_81_a%C3%B1os,_1971
Mais je vous con­seille de lire tout le dossier qui est pas­sion­nant :
https://bhl.org.uy/index.php/Scandroglio,_Ricardo_-_El_Pollo_Ricardo

Extrait musical

Il s’agit du deux­ième des trois enreg­istrements de El pol­lo Ricar­do par Car­los Di Sar­li. Nous écouterons les autres dans le chapitre « autres ver­sions ».

El pol­lo Ricar­do 1946-03-29 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Cou­ver­ture de la deux­ième édi­tion et par­ti­tion pour piano de El pol­lo Ricar­do

Les paroles

Per­son­ne ne con­naît les paroles que Ger­ar­do Adro­her, encore un Uruguayen, a com­posées, mais qu’aucun orchestre n’a enreg­istrées.
Ce tan­go a été récupéré par les danseurs qui ont moins besoin des paroles. Toute­fois, il me sem­ble intéres­sant de les men­tion­ner, car il mon­tre l’atmosphère d’amitié entre Ricar­do Scan­droglio et Luis Alber­to Fer­nán­dez.

Tu pin­ta de bacán
tu estam­pa de varón
tu clase pura para el baile
cuan­do te flo­reás
te han dis­tin­gui­do
entre los buenos gua­pos con razón
porque entran­do a tal­lar
te hiciste respetar.
Pol­lo Ricar­do
vos fuiste ami­go fiel
y yo he queri­do con un tan­go
bra­vo y com­padrón
dar lo mejor de mi amis­tad
a quien me abrió su corazón.
La bar­ra fuerte del café
mucha­chos bravos de ver­dad
forma­ban rue­da cuan­do vos
mar­avil­l­abas al tanguear.
Y siem­pre fue tu juven­tud
el sol que a todos alum­bró
bor­ran­do som­bras con la luz
que tu bon­dad nos dio.
Y cuan­do pasen los años
oirás en el com­pás de este tan­go
un des­fi­lar de recuer­dos
largo… largo.
Puede que entonces
me fui yo a via­jar
con rum­bo por una estrel­la.
Mira hacia el cielo
es ella, la que bril­la más.

Ger­ar­do Adro­her

Traduction libre et indications

Ton élé­gance de noceur, ton allure de mec, ta pure classe pour la danse quand tu brilles t’ont dis­tin­gué par­mi les beaux élé­gants, à juste titre, parce que quand tu entres en taille (fig­ure de tan­go, comme dans le ocho cor­ta­do. Ne pas oubli­er que la forme anci­enne du tan­go de danse avait des atti­tudes pou­vant rap­pel­er le com­bat au couteau) ; tu t’es fait respecter.
Poulet Ricar­do tu étais un ami fidèle et moi j’ai aimé avec un tan­go, courageux, et com­père, don­ner le meilleur de mon ami­tié à qui m’a ouvert son cœur.
La bande du café, des garçons vrai­ment bons (vail­lants, bons danseurs dans le cas présent).
For­mant le cer­cle quand tu émer­veil­lais en dansant le tan­go.
Et ça a tou­jours été ta jeunesse, le soleil qui a illu­miné tout le monde, effaçant les ombres avec la lumière que ta bon­té nous a don­née.
Et quand les années passeront, tu enten­dras au rythme de ce tan­go un défilé de sou­venirs
long… long.
Il se peut qu’ensuite, je sois par­ti en voy­age,
En route vers une étoile. Lève les yeux vers le ciel, c’est celle qui brille le plus.
Fer­nan­dez est décédé en 1947, et il avait trois ans de plus que Ricar­do, ces paroles peu­vent paraître pré­moni­toires, mais avec beau­coup d’a­vance…

Autres versions

Les premières versions

Le pre­mier orchestre à avoir joué El pol­lo Ricar­do en 1912 serait l’orchestre uruguayen de Car­los War­ren, mais il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement. Même chose pour la ver­sion par Juan Maglio Pacho. La par­ti­tion aurait été éditée en 1917, mais si on prend en compte que Fer­nán­dez jouait d’oreille et n’écrivait pas la musique, on peut penser que les pre­mières inter­pré­ta­tions soient passées par un canal dif­férent.

El pol­lo Ricar­do 1917-01-17 — Orques­ta Típi­ca de Celesti­no Fer­rer.

C’est, a pri­ori, la plus anci­enne ver­sion exis­tante en enreg­istrement. Fer­rer était réputé pour sa par­tic­i­pa­tion aux nuits parisi­ennes autour des orchestres comme celui de Pizarro. On lui doit un tan­go comme com­pos­i­teur, El Gar­rón, qui célèbre le salon parisien qui fut un des pre­miers lieux de tan­go à Paris. Il faut atten­dre un peu pour trou­ver des ver­sions dansantes du tan­go.

El pol­lo Ricar­do 1938-05-09 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion bien ronde et qui avance avec une cadence régulière qui pour­ra plaire aux danseurs milongueros. J’aime bien les petits « galops » qu’on entend par­ti­c­ulière­ment bien vers 43 sec­on­des et à divers­es repris­es. Cepen­dant, on ne pense pas for­cé­ment à un poulet ou à un danseur de tan­go.

Les trois enregistrements de Di Sarli

J’ai choisi de regrouper les trois enreg­istrements de Di Sar­li pour qu’il soit plus facile à com­par­er. La ver­sion inter­mé­di­aire de D’Arienzo de 1947 sera placée après celle de 1951 de Di Sar­li, ce qui vous per­me­t­tra de com­par­er égale­ment les deux enreg­istrements de D’Arienzo (1947 et 1952).

El pol­lo Ricar­do 1940-09-23 Orques­ta Car­los Di Sar­li.

C’est la pre­mière ver­sion de ce thème par Di Sar­li. À divers­es repris­es le son du ban­donéon peut faire penser au caquète­ment d’un poulet (0 : 26 ou 1 : 26 par exem­ple).

El pol­lo Ricar­do 1946-03-29 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.

Le tem­po est plus mod­éré que dans la ver­sion de 1940 et le caquète­ment de poulet est plus accen­tué, en con­traste avec les vio­lons en lega­to. Comme le tem­po est un peu plus lent, les caquète­ments sont décalés à 0 : 30 et 1 : 30. En six ans on remar­que bien l’évolution de l’orchestre, même si le style reste encore très ryth­mé et les vio­lons s’expriment moins que dans des ver­sions plus tar­dives comme celle de 1951.

El pol­lo Ricar­do 1951-07-16 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

La sonorité de cette ver­sion est plus famil­ière aux afi­ciona­dos de Di Sar­li des années 50. Les vio­lons sont beau­coup plus présents, y com­pris dans les caquète­ments qui toute­fois sont plus dis­crets que dans les deux autres ver­sions. Le piano s’exprime égale­ment plus et rajoute les fior­i­t­ures qui sont une des car­ac­téris­tiques du Di Sar­li des années 50.

Les deux enregistrements de D’Arienzo

Les deux enreg­istrements de D’Arienzo sont à com­par­er aux deux enreg­istrements qua­si con­tem­po­rains de Di Sar­li (46–47 et 51–52).
Comme nous l’avons vu, l’évolution de Di Sar­li est allée en direc­tion des vio­lons. Celles de D’Arienzo serait plutôt de favoris­er les ban­donéons et de les engager dans le mar­quage du tem­po, comme d’ailleurs tous les instru­ments de l’orchestre. Il n’est pas El Rey del Com­pas pour rien… Le piano a tou­jours une grande place chez D’Arienzo qui n’oublie pas que c’est aus­si un instru­ment à per­cus­sion…

El pol­lo Ricar­do 1947-05-20 — Orques­ta Juan D’Arienzo
El pol­lo Ricar­do 1952-11-12 — Orques­ta Juan D’Arienzo

Retour en Uruguay

Le héros, le com­pos­i­teur et le paroli­er de ce tan­go étant uruguayens, il me sem­ble logique de don­ner la parole en dernier à trois orchestres de ce pays.

El pol­lo Ricar­do 1972 — Orques­ta Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti.

Une ver­sion énergique et au tem­po soutenu. Quelques illu­mi­na­tions du piano de Rac­ciat­ti répon­dent aux vio­lons (jouant lega­to mais aus­si en pizzi­cati) . Le style haché et joueur peut être intéres­sant à pro­pos­er aux danseurs.

El pol­lo Ricar­do 1985 – Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Un peu moins tonique que la ver­sion de Rac­ciat­ti et avec la sonorité par­ti­c­ulière de cet orchestre, on trou­ve tout de même un air de famille, le son uruguayen 😉 Les vio­lons un peu plus lyriques, le piano plus sourd ren­dent sans doute cette ver­sion moins intéres­sante, mais elle devrait tout de même plaire aux danseurs notam­ment dans la dernière par­tie qui est plutôt très réus­si et entraî­nante.

El pol­lo Ricar­do 2005-10 – Orques­ta Matos Rodríguez.

Bien que l’orchestre se réfère à Matos Rodríguez (le com­pos­i­teur uruguayen de la Cumpar­si­ta), on est plus dans une impres­sion à la Di Sar­li. Cepen­dant, le résul­tat est un peu mièvre et ne se prête pas à une danse de qual­ité, même s’il reprend des idées des orchestres uru­gayens et des trucs à la Sas­sone.

La dédicace à El Pollo Ricardo

Comme Fer­nan­dez a réal­isé un hom­mage à son ami Ricar­do, je fais de même avec Ricar­do, l’excellent DJ de Buenos Aires. J’ai emprun­té la pho­to au tal­entueux pho­tographe (celui qui avait réal­isé la grande fresque du salon

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

Le 28 mars est un bon jour pour les enreg­istrements de tan­go et le choix a été dif­fi­cile. Je vous pro­pose Tor­men­ta inter­prété par Canaro et Famá, car son texte est d’une grande actu­al­ité avec ce qui se passe actuelle­ment en Argen­tine, les rich­es tou­jours plus rich­es et les pau­vres mourant de faim. En prime, une ver­sion de Tor­men­ta que vous n’avez jamais enten­due telle­ment elle est inat­ten­due…

Francisco Canaro et Ernesto Famá

Fran­cis­co Canaro a enreg­istré plus de 235 titres avec Ernesto Famá entre 1930 et 1941:
125 tan­gos, 37 valses, 13 milon­gas, et 60 rythmes jazz ou folk­loriques (Cor­ri­do porteño, Fox-Trot, March­es, Pasodobles, Pol­cas, Rancheras et même des airs mil­i­taires).
Ce mar­di 28 mars 1939, Canaro et Famá ont enreg­istré beau­coup de titres :

  • Qué impor­ta ! de Ricar­do Tan­turi (Ricar­do Luis Tan­turi) Letra : Juan Car­los Thor­ry (José Anto­nio Tor­rontegui)
  • Tor­men­ta de Enrique San­tos Dis­cépo­lo (musique et paroles)
  • Vanidad de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra: Wash­ing­ton Mon­tre­al
  • Noche de estrel­las (Vals) de José Luis Padu­la Letre : Enrique Cadí­camo
  • Tra-la-la (Vals) de Luis Teis­seire ; Ger­mán Roge­lio Teis­seire Letra : Jesús Fer­nán­dez Blan­co

C’est une époque chargée pour ces deux artistes. Famá est claire­ment le chanteur vedette de Canaro à cette époque, loin devant Fran­cis­co Amor, puis Roldán et Adrián.

Extrait musical

Tor­men­ta 1939-03-28 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Dis­cépo­lo a fait la musique et écrit les paroles, l’œuvre est donc d’une grande cohérence.
Dis­cépo­lo l’a écrit pour le film Cua­tro cora­zones (Qua­tre cœurs), film dont il assure le scé­nario, la musique et le rôle prin­ci­pal…
Canaro enreg­istre quelques jours après la sor­tie du film, dans une ver­sion pour la danse, donc réar­rangée.

Les paroles

¡Aul­lan­do entre relám­pa­gos,
per­di­do en la tor­men­ta
de mi noche inter­minable,
¡Dios ! bus­co tu nom­bre…
No quiero que tu rayo
me enceguez­ca entre el hor­ror,
porque pre­ciso luz
para seguir…
¿Lo que aprendí de tu mano
no sirve para vivir ?
Yo sien­to que mi fe se tam­balea,
que la gente mala, vive
¡Dios! mejor que yo…

Si la vida es el infier­no
y el hon­ra­do vive entre lágri­mas,
¿cuál es el bien…
del que lucha en nom­bre tuyo,
limpio, puro?… ¿para qué?…
Si hoy la infamia da el sendero
y el amor mata en tu nom­bre,
¡Dios!, lo que has besa­do…
El seguirte es dar ven­ta­ja
y el amarte sucumbir al mal.

No quiero aban­donarte, yo,
demues­tra una vez sola
que el traidor no vive impune,
¡Dios! para besarte…
Enséñame una flor
que haya naci­do
del esfuer­zo de seguirte,
¡Dios! Para no odi­ar:
al mun­do que me des­pre­cia,
porque no apren­do a robar…
Y entonces de rodil­las,
hecho san­gre en los gui­jar­ros
moriré con vos, ¡feliz, Señor!

Enrique San­tos Dis­cépo­lo (musique et paroles)

Tania chante l’intégralité des paroles dans le disque, seule­ment une par­tie dans le film. En gras, la par­tie chan­tée par Ernesto Famá.

Traduction libre et indications

Hurlant au milieu des éclairs, per­du dans la tem­pête de ma nuit inter­minable,
Dieu ! Je cherche ton nom…
Je ne veux pas que tes éclairs m’aveuglent dans l’horreur, car j’ai besoin de lumière (Ici, « luz » est au mas­culin et il y a donc un jeu de mots, « luz » en lun­far­do, c’est l’argent. Il faudrait donc plutôt traduire, j’ai besoin d’argent) pour con­tin­uer…
Ce que j’ai appris de ta main ne sert-il pas pour vivre ?
Je sens que ma foi chan­celle, car les gens mau­vais vivent,
Dieu ! Bien mieux que moi…

Si la vie est un enfer et que l’honneur est de vivre dans les larmes, quel est le béné­fice…
de celui qui com­bat en ton nom, être pro­pre, pur ?… À quoi bon ?…
Si aujourd’hui l’infamie ouvre le chemin et que l’amour tue en ton nom,
Dieu, qu’as-tu embrassé…
Te suiv­re, c’est laiss­er l’avantage (aux autres) et t’aimer c’est suc­comber au mal­heur.

Je ne veux pas t’abandonner, prou­vez une seule fois que le traître ne vit pas impuni,
Dieu ! Pour t’embrasser…
Mon­trez-moi une fleur qui soit née de l’effort de te suiv­re,
Dieu ! Pour ne pas haïr :
Le monde qui me méprise, parce que je n’apprends pas à vol­er…
Et ensuite à genoux, saig­nant dans les cail­loux, je mour­rai avec toi ; heureux ; Seigneur !

Autres versions

Pour com­mencer, une petite sur­prise à voir jusqu’au bout pour décou­vrir une ver­sion incroy­able de Tor­men­ta, à la toute fin de cet extrait…

Tor­men­ta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orques­ta. Dans le film « Cua­tro cora­zones » réal­isé par Car­los Schlieper et Enrique San­tos Dis­cépo­lo selon le scé­nario de ce dernier et écrit en col­lab­o­ra­tion avec Miguel Gómez Bao.
Le film est sor­ti le 1er mars 1939.
Acteurs : Enrique San­tos Dis­cépo­lo, Glo­ria Guzmán, Irma Cór­do­ba, Alber­to Vila, Eduar­do San­dri­ni et Her­minia Fran­co.
Tor­men­ta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orques­ta.

C’est la ver­sion disque de la chan­son du film. Con­traire­ment au film, la chan­son est chan­tée en entier et il n’y a pas la fin déli­rante présen­tée dans le film.

Tor­men­ta 1939-03-28 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá. C’est le tan­go du jour.

Canaro enreg­istre quelques jours après la sor­tie du film.

Tor­men­ta 1939-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar.

Deux jours après Canaro, Lomu­to suit le mou­ve­ment dans le sil­lage du film. Il est intéres­sant de com­par­er ses arrange­ments par rap­port à ceux de Canaro.

Tor­men­ta 1954-09-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Mario Pomar.

Le seigneur del tan­go donne 15 ans plus tard sa ver­sion. Du grand Di Sar­li avec le mag­nifique Mario Pomar.

Tor­men­ta 1962 — Orques­ta José Bas­so con Flo­re­al Ruiz.

On ter­mine avec cette ver­sion des­tinée à l’écoute, comme la pre­mière de la liste, celle de Tania.

Silencio 1933 ‑03–27 — Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le tan­go du jour est Silen­cio, enreg­istré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expi­a­toire » dévoile une des failles de Car­los Gardel, Enfant de France. Je vous invite à décou­vrir ou redé­cou­vrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas cou­tume, je vais vous faire voir et écouter une ver­sion dif­férente du tan­go du jour, avant la ver­sion du jour.
Nous sommes en 1932, Car­los Gardel est en France (comme beau­coup de musi­ciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne qua­tre films et dans le dernier de la série, il chante une chan­son dont on ne peut com­pren­dre la total­ité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Stu­dios de Joinville-le-Pont en octo­bre et novem­bre 1932. Le scé­nario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, égale­ment).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représen­té dans le film et qui joue la bande-son est la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tan­go de l’âge d’or. On n’en con­naît guère aujourd’hui qu’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment d’enregistrements pour être sig­ni­fi­cat­ifs et sans doute pas beau­coup plus d’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment de titres pour faire une tan­da, et cela à la con­di­tion de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour cer­tains titres que j’appelle « orphe­lins », je mélange les orchestres pour con­stituer une tan­da com­plète et cohérente. Par exem­ple, la Típi­ca Vic­tor dirigée par Cara­bel­li et l’orchestre de Cara­bel­li. Cela, c’est plus fréquem­ment pour les milon­gas qui sont plutôt défici­taires en nom­bre (moins de 600 milon­gas ont été enreg­istrées entre 1935 et 1955), con­tre presque le dou­ble de valses et qua­tre fois plus de tan­gos. En effet, l’âge d’or du tan­go, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un pat­ri­moine ridicule­ment petit par rap­port à ce qui a été joué et pas enreg­istré.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au pre­mier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au pre­mier plan… Car­los Gardel. Les autres sont des per­son­nes de la Para­mount qui a pro­duit le film. La pho­to du cen­tre mon­tre Mateo et Gardel en répéti­tion. À droite, auto­por­trait de Mateo devenu pein­tre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa car­rière prin­ci­pale­ment en France et qu’il s’est recy­clé comme pein­tre futur­iste à la fin des années 30.
On lui doit notam­ment l’accompagnement orches­tral de trois films inter­prétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arra­bal dont est tiré cet extrait. C’est égale­ment le pianiste qui a le plus accom­pa­g­né Car­los Gardel. Donc, si vous enten­dez chanter Gardel avec un accom­pa­g­ne­ment de piano, c’est cer­taine­ment lui…

Extrait musical

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

Cette ver­sion est par­ti­c­ulière­ment émou­vante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y revien­drons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme.
La ambi­ción des­cansa.

Mecien­do una cuna,
una madre can­ta
un can­to queri­do
que lle­ga has­ta el alma,
porque en esa cuna,
está su esper­an­za.

Eran cin­co her­manos.
Ella era una san­ta.
Eran cin­co besos
que cada mañana
roz­a­ban muy tier­nos
las hebras de pla­ta
de esa viejecita
de canas muy blan­cas.
Eran cin­co hijos
que al taller march­a­ban.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción tra­ba­ja.

Un clarín se oye.
Peligra la Patria.

Y al gri­to de guer­ra
los hom­bres se matan
cubrien­do de san­gre
los cam­pos de Fran­cia.

Hoy todo ha pasa­do.
Rena­cen las plan­tas.
Un him­no a la vida
los ara­dos can­tan.
Y la viejecita
de canas muy blan­cas
se quedó muy sola,
con cin­co medal­las
que por cin­co héroes
la pre­mió la Patria.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción des­cansa…

Un coro lejano
de madres que can­tan
mecen en sus cunas,
nuevas esper­an­zas.
Silen­cio en la noche.
Silen­cio en las almas…

Car­los Gardel; Hora­cio G. Pet­torossi Letra: Alfre­do Le Pera ; Hora­cio G. Pet­torossi.

Car­los Gardel et Impe­rio Argenti­na chantent la total­ité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre com­mence par un son de cla­iron. Le cla­iron jouant sur trois notes, cet air fait immé­di­ate­ment penser à une musique mil­i­taire (le cla­iron ne per­met de jouer facile­ment que 4 notes et trois autres notes ne sont acces­si­bles qu’aux vir­tu­os­es de cet instru­ment, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lente­ment, comme dans les son­ner­ies aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la son­ner­ie sur le même Mi. Cela per­met de faire la liai­son entre le cla­iron et sa voix, ce qui n’était pas si évi­dent à con­cevoir. Dans la ver­sion de 1932 c’est une trompette et pas un cla­iron qui lance Sol Sol Do et Gardel com­mence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tes­si­ture. La ver­sion de Canaro est donc à mon sens mieux con­stru­ite de ce point de vue et l’usage du cla­iron est plus per­ti­nent.

Silen­cio mil­i­tar – Día de los muer­tos por la patria. Inter­prété par le rég­i­ment de Grenadiers à cheval « Gen­er­al San Martín », escorte prési­den­tielle de la République argen­tine.

On remar­quera que la son­ner­ie « offi­cielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La son­ner­ie aux morts française est assez proche, mais pas iden­tique non plus à celle pro­posée par Canaro. Dis­ons que c’est une son­ner­ie fac­tice des­tinée à don­ner le La. Par­don, le cla­iron ne peut pas jouer de La. Dis­ons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment. L’ambition se repose.
Bal­ançant un berceau, une mère chante une chan­son bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trou­ve son espoir. (Le chœur de femmes inter­vient sur ce cou­plet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq bais­ers qui, chaque matin, effleu­raient très ten­drement les mèch­es argen­tées de cette déjà vieille aux cheveux blan­chis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment, l’ambition tra­vaille. (L’ambition passe du repos au tra­vail. Elle pré­pare le com­bat).
Un cla­iron résonne. La patrie est en dan­ger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, cou­vrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le cla­iron qui résonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renais­sent. Les char­rues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant.
Les mus­cles dor­ment, l’ambition se repose…
Un chœur loin­tain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nou­veaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo.

Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la son­ner­ie de trompette au début est dif­férente de la son­ner­ie de cla­iron de la ver­sion de Canaro de 1933.

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

C’est le tan­go du jour. Dans la ver­sion du film, il y a deux petites répons­es de Impe­rio Argenti­na, sa parte­naire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín (trompette).

La parte­naire de Car­los Gardel dans le film Melodía de arra­bal, reprend à son compte le titre. C’est égale­ment une superbe ver­sion à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tan­go du film melodía de Arra­bal. En fait, elle n’y chante que deux phras­es en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enreg­istré en même temps que la bande son du film (octo­bre-novem­bre 1932) et qu’il soit sor­ti en 1933, à l’occasion de la sor­tie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les ver­sions de Canaro, qui était tou­jours à l’affut d’un bon coup financier.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédi­tion du même enreg­istrement à droite, preuve du suc­cès.

Une autre « erreur du disque est la men­tion d’un cla­iron. Con­traire­ment à la ver­sion Canaro Gardel, c’est de nou­veau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré RéRé Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inac­ces­si­bles à un cla­iron. Cela ne peut donc pas être un cla­iron, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano appa­rait pour sa part tar­di­ve­ment, à une minute par une petite fior­i­t­ure sur la res­pi­ra­tion de la chanteuse (de esa viejecita DING — DONG de canas muy blan­cas). Après 1 :11, la gui­tare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit enten­dre une man­do­line. Le piano ter­mine élégam­ment en faisant descen­dre la ten­sion par un motif léger ascen­dant puis descen­dant.
J’aime beau­coup le résul­tat, Impe­rio a pris sa revanche sur Gardel en nous four­nissant une ver­sion com­plé­men­taire et tout aus­si belle.

Silen­cio 1933-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours après la ver­sion à écouter chan­tée par Gardel, Canaro enreg­istre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite par­tie des paroles. Cela en fait un tan­go de danse. La tragédie des paroles est com­pen­sée par des fior­i­t­ures, notam­ment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous pro­pose pas d’autres ver­sions, même s’il y en a env­i­ron deux douzaines, car avec cet échan­til­lon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une ver­sion de danse. La totale, quoi ?
Par­mi les ver­sions que je laisse de côté, des inter­pré­ta­tions de Gardel avec des gui­tares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rou­vrir le dossier et me fâch­er avec mes amis uruguayens, mais je sig­nale tout de même cette page où je présente les argu­ments en faveur d’une orig­ine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en ques­tion, c’est que Gardel est venu en France à divers­es repris­es, qu’il a vis­ité sa famille française, notam­ment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobil­i­sa­tion pour la « Grande Guerre », celle de 1914–1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échap­per à l’accusation de déser­tion. Cepen­dant, lors d’un séjour en France, il a vis­ité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le cha­touil­lait. Le tan­go Silen­cio est un peu son expi­a­tion pour avoir échap­pé à la tuerie de 1914–1918. Tuerie et silence, cela m’a évo­qué le grand sculp­teur roman­tique, Auguste Préault, juste­ment auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de par­tir d’une œuvre du sculp­teur français Auguste Préault qui a réal­isé en 1842 cette œuvre pour le mon­u­ment funéraire d’un cer­tain Jacob Rob­lès qui est désor­mais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évo­quer la guerre de 1914–1918, même cette œuvre ne relate pas pré­cisé­ment des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provo­ca­trice. D’ailleurs cette œuvre n’a été accep­tée au salon offi­ciel de 1839 que pour mon­tr­er ce qu’il ne fal­lait pas faire pour être un grand sculp­teur. Préault réalis­era la com­mande de Rob­lès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de pur­ga­toire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été don­né plus tar­di­ve­ment, vers 1867.

Silen­cio. Mon­tage et inter­pré­ta­tion d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admi­ra­tion. Ces œuvres por­tent le même mes­sage que Silen­cio.

Voici les deux œuvres et en prime un por­trait de Préault par le pho­tographe Nadar.

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Mon­u­ment funéraire de Jacob Rob­lès au Père-Lachaise (Paris). Sur le mon­u­ment funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tan­go créé par un « déser­teur ».

Une autre explication par Todo Tango

L’excellent site Todo Tan­go donne une autre orig­ine dans un arti­cle « El tan­go “Silen­cio” y un con­tex­to trági­co ».

Gardel grabó el tan­go “Silen­cio” en tres opor­tu­nidades, paran el sel­lo Odeon. Dos con las gui­tar­ras de Domin­go Julio Vivas, Ángel Domin­go Riverol, Guiller­mo Bar­bi­eri y Hora­cio Pet­torossi (cin­co matri­ces, cua­tro del 14 de febrero y la otra, del 13 de mayo de 1933), y una con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro. Todas tuvieron el agre­ga­do de un coro femeni­no.

El coro en las graba­ciones con gui­tar­ras, lo inte­graron las hijas de Guiller­mo Bar­bi­eri: María Esther y Adela, (tías de la actriz Car­men Bar­bi­eri). Para la grabación con Canaro, el coro lo for­maron: Blan­ca del Pra­do, Felisa San Martín, Éli­da Medol­la, Cori­na Paler­mo, Emil­ia Pezzi y Sara Delar.

Fue uno de los temas del film Melodía de Arra­bal, real­iza­do en los estu­dios Para­mount de Joinville, Fran­cia, con la direc­ción de Louis Gas­nier (estre­na­do en Buenos Aires, el 5 de abril de 1933, en el Cine Porteño de la calle Cor­ri­entes). Car­los Gardel lo can­ta en la pelícu­la, acom­paña­do por la orques­ta de Juan Cruz Mateo de la que Hora­cio Pet­torossi era miem­bro.

Pres­i­dente Paul DoumerUn ruso blan­co —Pablo Gorguloff–, recién sali­do del man­i­comio y deseoso de lla­mar la aten­ción sobre su mis­er­able des­ti­no, asesinó a tiros a Paul Doumer, pres­i­dente recién elec­to de Fran­cia y la situación de los emi­gra­dos rusos comen­zó a hac­erse insostenible. El crimen fue el 6 de mayo de 1932.

Años atrás, cua­tro de los ocho hijos de la víc­ti­ma, fueron mil­itares y muer­tos durante la Primera Guer­ra Mundi­al (1914–1918): el capitán Marce­lo Doumer, muer­to en com­bate aéreo el 28 de junio de 1918, el capitán René Doumer, muer­to en com­bate aéreo el 26 de abril de 1917, el teniente André Doumer, muer­to delante de su madre Nan­cy el 24 de sep­tiem­bre de 1914, el may­or ayu­dante de médi­co Armand Doumer muer­to el 5 de agos­to de 1922.

La láp­i­da con­mem­o­ra­ti­va de Paul Doumer y sus cua­tro hijos se encuen­tra en La Ferme de Navarin, mon­u­men­to osario donde des­cansan los restos de 10.000 com­bat­ientes, situ­a­do a 45 kilómet­ros al este de Reims, a una trein­te­na de kilómet­ros en el norte de Châlons-en-Cham­pagne en Somepy-Tahure (Marne).

Este due­lo dramáti­co emo­cionó y, muy prob­a­ble­mente, inspiró en 1932, una de las can­ciones más tristes plas­madas por Gardel. Tan­to Alfre­do Le Pera como Pet­torossi imag­i­naron el dolor de la seño­ra Doumer.

La letra de “Silen­cio” sería un hom­e­na­je a la soledad de las madres, mien­tras los sol­da­dos mueren en el cam­po de hon­or.

Paul Doumer fue el 14º pres­i­dente de la Repúbli­ca de Fran­cia, des­de el 13 de junio de 1931 has­ta el 7 de mayo de 1932. En 1896 fue gob­er­nador gen­er­al de Indochi­na, donde con­cibió su estruc­tura colo­nial. Primero fue pres­i­dente del Sena­do y luego de la Repúbli­ca. Le gusta­ba el con­tac­to con el públi­co, lo que fue fatal. En el Hotel Salomon de Roth­schild, en una exposi­ción de escritores, surgió de entre la mul­ti­tud Gorguloff, quien der­ribó al pres­i­dente de tres dis­paros. Fue traslada­do al Hos­pi­tal Beau­jon, donde no fue bien aten­di­do y estu­vo en coma. Murió a la noche sigu­iente, sin cumplir un año de manda­to. Después del funer­al cel­e­bra­do en la cat­e­dral de Notre Dame de París, su mujer se negó a que fuese sepul­ta­do en el Pan­teón y se real­izó en la tum­ba famil­iar. El asesino fue eje­cu­ta­do el 14 de sep­tiem­bre de 1932 en la guil­loti­na.

Famil­ia DoumerBlanche Richel de Doumer, «la viejecita de canas muy blan­cas», que como se obser­va en la foto, tenía pelo rene­gri­do, nació el 8 de junio de 1859 en Sois­sons (Aisne) y fal­l­e­ció el 4 de abril de 1933. Después del crimen de su mari­do, recibió car­tas de pésame de jefes de Esta­dos y de las per­son­al­i­dades más impor­tantes. Luego, desa­pare­ció de la vida públi­ca. La antigua Primera dama, deses­per­a­da, sobre­vive sólo un año a la muerte de su esposo. Fue embesti­da por un coche en abril de 1933.

Con­clusión
Pet­torossi y Le Pera se encon­tra­ban en un país que aún no había cica­triza­do las heri­das de «la gran guer­ra». Muchos france­ses, inclu­i­do un gran ami­go de Gardel, Mar­cel Lattes, solían hablar sobre estas des­gra­cias. Entre ellas, la del asesina­to de Doumer y las de sus hijos muer­tos en com­bate.

Pero el tan­go “Silen­cio” no es una tran­scrip­ción exac­ta de esta trág­i­ca his­to­ria. En real­i­dad, com­pro­bamos que existe una úni­ca tum­ba famil­iar, en con­tra­posi­ción con el rela­to «de las cin­co tum­bas». Los mil­itares muer­tos fueron cua­tro y no cin­co como dice la letra. Asimis­mo, Blanche Richel, tuvo muy poco tiem­po para llo­rar a sus hijos ya que fal­l­e­ció en 1933. Además, la viejecita de canas muy blan­cas tenía pelo rene­gri­do.

Val­orable el vue­lo de los poet­as, que a par­tir de estas viven­cias, escri­bieron uno de los tan­gos más sen­si­bles de la his­to­ria, magis­tral­mente can­ta­do por El Zorzal.

Car­los E. Benítez

Traduction libre de l’article de Todo Tango

Gardel a enreg­istré le tan­go « Silen­cio » à trois repris­es, pour le label Odeon. Deux avec les gui­tares de Domin­go Julio Vivas, Ángel Domin­go Riverol, Guiller­mo Bar­bi­eri et Hora­cio Pet­torossi (cinq matri­ces, qua­tre du 14 févri­er et l’autre, du 13 mai 1933), et une avec l’orchestre de Fran­cis­co Canaro. Toutes avaient l’a­jout d’un chœur féminin.

Le chœur des enreg­istrements avec gui­tares était com­posé des filles de Guiller­mo Bar­bi­eri : María Esther et Adela, (tantes de l’ac­trice Car­men Bar­bi­eri). Pour l’en­reg­istrement avec Canaro, le chœur a été for­mé par : Blan­ca del Pra­do, Felisa San Martín, Éli­da Medol­la, Cori­na Paler­mo, Emil­ia Pezzi et Sara Delar.

Comme nous l’avons vu en intro­duc­tion de cet arti­cle, c’est l’un des thèmes du film Melodía de Arra­bal, réal­isé par Louis Gas­nier aux stu­dios Para­mount de Joinville (présen­té en pre­mière à Buenos Aires, le 5 avril 1933, au Ciné Porteño de la rue Cor­ri­entes). C’est Car­los Gardel qui la chante dans le film, accom­pa­g­né de l’orchestre Juan Cruz Mateo dont Hora­cio Pet­torossi était mem­bre.

Un Russe blanc, Paul Gorguloff, fraîche­ment sor­ti de l’asile et désireux d’at­tir­er l’at­ten­tion sur son sort mis­érable, a abat­tu Paul Doumer, le prési­dent nou­velle­ment élu de la France, et la sit­u­a­tion des émi­grés russ­es a com­mencé à devenir inten­able. Le crime a eu lieu le 6 mai 1932.

Des années aupar­a­vant, qua­tre des huit enfants de la vic­time ont été des sol­dats tués pen­dant la Pre­mière Guerre mon­di­ale (1914–1918) : le cap­i­taine Marce­lo Doumer, tué en com­bat aérien le 28 juin 1918, le cap­i­taine René Doumer, tué en com­bat aérien le 26 avril 1917, le lieu­tenant André Doumer, tué devant sa mère Nan­cy le 24 sep­tem­bre 1914, Le major adjoint Armand Doumer tué le 5 août 1922.

La plaque com­mé­mora­tive de Paul Doumer et de ses qua­tre fils se trou­ve dans La Ferme de Navarin, mon­u­ment ossuaire où reposent les restes de 10 000 com­bat­tants, situé à 45 kilo­mètres à l’est de Reims, à une trentaine de kilo­mètres au nord de Châlons-en-Cham­pagne à Somepy-Tahure (Marne).

Ce deuil dra­ma­tique émut et, très prob­a­ble­ment, inspi­ra en 1932, l’une des chan­sons les plus tristes enreg­istrées par Gardel. Alfre­do Le Pera et Pet­torossi ont tous deux imag­iné la douleur de Mme Doumer.

Les paroles de « Silen­cio » seraient un hom­mage à la soli­tude des mères, tan­dis que les sol­dats meurent sur le champ d’hon­neur.

Paul Doumer fut le 14e prési­dent de la République française, du 13 juin 1931 au 7 mai 1932. En 1896, il était gou­verneur général de l’In­do­chine, où il conçu sa struc­ture colo­niale. Il fut d’abord prési­dent du Sénat puis de la République. Il aimait le con­tact avec le pub­lic, ce qui lui fut fatal. À l’hô­tel Salomon de Roth­schild, lors d’une expo­si­tion d’écrivains, Gorguloff est sor­ti de la foule, et a abat­tu le prési­dent de trois balles. Il a été emmené à l’hôpi­tal Beau­jon, où il n’a pas été bien soigné et tom­ba dans le coma. Il mou­ru la nuit suiv­ante, avant d’avoir accom­pli un an de man­dat. Après les funérailles qui ont eu lieu dans la cathé­drale Notre-Dame de Paris, sa femme a refusé qu’il soit enter­ré au Pan­théon et il fut inhumé dans le tombeau famil­ial. Le meur­tri­er a été guil­lot­iné le 14 sep­tem­bre 1932.

Blanche Richel de Doumer, « la petite vieille aux cheveux gris très blancs », qui, comme on peut le voir sur la pho­to, avait les cheveux noirs, est née le 8 juin 1859 à Sois­sons (Aisne) et est décédée le 4 avril 1933. Après l’as­sas­si­nat de son mari, elle a reçu des let­tres de con­doléances de chefs d’É­tat et des per­son­nal­ités les plus impor­tantes. Puis, il a dis­paru de la vie publique. L’an­ci­enne pre­mière dame, dés­espérée, ne survit qu’un an à la mort de son mari. Elle fut ren­ver­sée par une voiture en avril 1933.

Con­clu­sion
Pet­torossi et Le Pera se trou­vaient dans un pays qui n’avait pas encore cica­trisé les plaies de la « grande guerre ». De nom­breux Français, dont un grand ami de Gardel, Mar­cel Lattes, par­laient de ces mal­heurs. Par­mi eux, celui de l’as­sas­si­nat de Doumer et ceux de ses fils tués au com­bat.

Mais le tan­go « Silen­cio » n’est pas une tran­scrip­tion exacte de cette his­toire trag­ique. En fait, nous voyons qu’il n’y a qu’une seule tombe famil­iale, par oppo­si­tion à l’his­toire des « cinq tombes ». Les sol­dats tués étaient qua­tre et non cinq comme le dis­ent les paroles. De même, Blanche Richel a eu très peu de temps pour faire le deuil de ses enfants depuis sa mort en 1933. De plus, la petite vieille dame aux cheveux gris très blancs avait les cheveux noirs.

L’en­vol des poètes, qui, à par­tir de ces expéri­ences, ont écrit l’un des tan­gos les plus sen­si­bles de l’his­toire, chan­té magis­trale­ment par El Zorzal, est pré­cieuse.

On voit que les petites dif­férences entre la chan­son et l’histoire n’invalident pas les deux hypothès­es. Gardel peut avoir été touché par la douleur de Madame Doumer, tout autant que s’être sen­ti coupable d’avoir déserté.

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entors­es au for­mat des anec­dotes du jour en ter­mi­nant par une vidéo au lieu d’une illus­tra­tion que j’aurais réal­isée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une ini­tia­tive de l’ami Memo Vilte qui voulait ren­dre un hom­mage à la France en chan­tant ce tan­go qui n’est pas dans son réper­toire habituel de folk­lore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réal­isée à l’arrache (c’était totale­ment impromp­tu). Mer­ci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extra­or­di­naire, c’est Stel­la Maris, mais vous l’aurez recon­nue. Muchísi­mas Gra­cias Stel­la.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous com­prenez main­tenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eif­fel s’est mise à scin­tiller pour saluer notre per­for­mance. C’était imprévu, mais on a appré­cié cet hom­mage de la Vieille Dame au tan­go qu’elle a vu naître.

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 (Valse) — Orquesta Rodolfo Biagi

Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

Hier, avec Valsecito ami­go, nous étions en présence d’une mer­veilleuse valse. Aujourd’hui, une autre valse, Lágri­mas y son­risas qui va nous per­me­t­tre de par­ler (un tout petit peu) de théorie musi­cale. Je vous emporte dans le tour­bil­lon de cette mer­veilleuse valse rénovée par Rodol­fo Bia­gi.

Extrait musical

Pour suiv­re la suite, il est impor­tant de vous met­tre la musique dans l’oreille dès à présent.
Voici donc la valse du jour. Elle a été com­posée en 1913 (il y a donc 111 ans), mais cette ver­sion a été enreg­istrée le 23 mars 1941, il y a exacte­ment 83 ans par Bia­gi.

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi. C’est la valse du jour.

Vous avez peut-être perçu un change­ment d’ambiance à l’écoute en fonc­tion des pas­sages. Mais pour bien com­pren­dre ce qui s’y passe, il faut faire un peu de théorie.

Lire une partition. La théorie musicale pour les débutants

Par­don à mes lecteurs musi­ciens, mais pour mieux faire com­pren­dre aux non-spé­cial­istes, je dois faire un topo lim­i­naire très basique. Vous pou­vez le sauter. Ceux qui ne sont pas tout à fait débu­tants pour se rac­crocher aux étapes suiv­antes avant d’aller au cœur du sujet (au chapitre inti­t­ulé, Vous êtes ren­voyés…) La vul­gar­i­sa­tion, ce n’est pas de met­tre des bar­reaux en haut de l’échelle, c’est de met­tre des bar­reaux cor­recte­ment espacés du bas au haut de l’échelle. Dix­it un de mes pro­fesseurs à l’École du Lou­vre, il y a bien longtemps.

La hauteur d’une note

La portée est un ensem­ble de cinq lignes hor­i­zon­tales qui per­met d’indiquer la hau­teur d’un son.
Plus un son est aigu et plus il représen­té haut sur la portée. Si le son est plus aigu ou grave que les lignes de la portée, on rajoute un petit bout de ligne avec la note (voir ci-dessous, pour le pre­mier DO, à gauche).

Par la suite, j’utiliserai la nota­tion avec le nom des notes (Do à Si) et pas les let­tres A à G.

Les altérations

Pour mar­quer les sub­til­ités de la musique, on a besoin de « crans » inter­mé­di­aires à ces 8 étages. Pour cela on utilise les diès­es et les bémols.
Le dièse aug­mente d’un demi-ton la note qu’il précède. Le bémol baisse la note qu’il précède d’un demi-ton. Prenons l’exemple de la note Sol :

On peut donc mon­ter ou descen­dre une note, au choix. Si on aug­mente la note la plus grave et qu’on baisse la plus aiguë, on obtient le même son.

Une vidéo qui vous mon­tre un peu le principe du clavier du piano. https://youtu.be/WKuR6dwX6QE

Voici ce que donne la représen­ta­tion sur une portée de l’air bien con­nu de Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob).

Représen­ta­tion de la chan­son Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) sur une portée.

On peut donc raison­ner en demi-tons, puisque chaque touche du piano (blanche et noire) est séparée de sa voi­sine d’un demi-ton.
Revenons à Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) qui peut être écrit ain­si :
Do Ré Mi Do Do Ré Mi Do Mi Fa Sol
Entre le Mi et le Fa, il n’y a qu’un demi-ton. On peut donc obtenir la même mélodie, un peu plus grave ou aigue, en décalant le jeu. Par exem­ple Sol La Si Sol Sol La Si Sol Si Do Ré. Main­tenant, le demi-ton est entre le Si et le Do.
On peut égale­ment jouer en inclu­ant les touch­es noires, par exem­ple en com­mençant par Fa# Sol# La# et ain­si de suite.
Cela peut aider pour jouer avec des instru­ments qui ont une tes­si­ture étroite (qui ne peu­vent jouer que des notes sur une éten­due restreinte d’une ou deux octaves, comme une flûte à bec). On change la note de référence pour l’adapter aux pos­si­bil­ités de l’instrument avec lequel on joue. Cela s’appelle la trans­po­si­tion. On fait aus­si cela pour les chanteurs. Par exem­ple, si c’est une femme sopra­no qui chante ou un homme bary­ton, il fau­dra que l’orchestre s’adapte à la tes­si­ture du chanteur.
Avec les instru­ments à cordes, on peut chang­er la ten­sion pour mod­i­fi­er l’accord de l’instrument. Pour d’autres comme le ban­donéon, c’est impos­si­ble. Il faut donc accorder tous les instru­ments pour qu’ils soient com­pat­i­bles avec cet instru­ment. L’amusant est que selon les régions et les épo­ques le « dia­pa­son » a changé et que cer­tains se crêpent le chignon pour ce type de détail… Mais, cela devient un dis­cours de « spé­cial­iste » et n’a aucun intérêt pour la danse. Abor­dons donc d’abord le niveau trois, l’esprit tran­quille.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau trois, les modes

Il ne faudrait pas penser que toutes ces sub­til­ités ont été créées pour pal­li­er des prob­lèmes tech­niques.
Les altéra­tions (diès­es et bémols) ont été inven­tées pour chang­er la tonal­ité (la couleur, les teintes, pour faire une com­para­i­son avec la pein­ture).
Selon la dis­po­si­tion de ces altéra­tions, l’ambiance du morceau va chang­er.
Le plus sim­ple est d’écouter un morceau bien con­nu et de voir com­ment son ambiance change si on mod­i­fie la posi­tion des demi-tons.
Je reprends Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) pour que ce soit bien clair.

Frère Jacques au piano en Do majeur. C’est la ver­sion habituelle.
Frère Jacques au piano en Do mineur.

La tonal­ité de la musique est bien dif­férente. Le mi de la ver­sion habituelle est devenu un mi bémol. Il est un demi-ton plus bas. Cela suf­fit à chang­er la façon dont on perçoit la musique. Elle sem­ble plus triste. Ce mode par­ti­c­uli­er est appelé mode mineur par oppo­si­tion au mode majeur plus gai que l’on est habitué à enten­dre pour ce titre.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau quatre, l’armature et les changements de mode

On par­le tou­jours du mode et pas de la mode ves­ti­men­taire, hein ?
On a vu que le change­ment de mode don­nait une couleur par­ti­c­ulière à la musique. Pour éviter d’avoir à écrire chaque dièse ou bémol à la clef, on a décidé de met­tre en début de par­ti­tion, tous les diès­es ou bémols à utilis­er. Pour être pré­cis, c’est soit des diès­es, soit des bémols et l’ordre en est pré­cis, on n’écrit pas n’importe quoi à l’armature (cette par­tie de la par­ti­tion).
Cette arma­ture indique la tonal­ité d’un morceau. Par exem­ple, il peut être en Do majeur, c’est une des tonal­ités les plus sim­ples. Au piano il se joue unique­ment avec les touch­es blanch­es. La plu­part des chan­sons enfan­tines sont dans cette tonal­ité, car elles sont sou­vent jouées sur des instru­ments rudi­men­taires qui ne per­me­t­tent pas les demi-tons.
Dans Lágri­mas y son­risas, le mode change en cours de route.

On remar­quera à l’armature au tout début, trois bémols (Si b, Mi b, La b). Cela indique que tous les Si, tous les Mi et tous les La seront altérés (joués un demi-ton plus bas), sauf indi­ca­tion con­traire.
Con­traire­ment au dièse ou au bémol isolé, ces altéra­tions placées en début de par­ti­tion influ­ent sur toute la musique. Dans le cas de cette valse, on peut dire qu’elle com­mence en Do mineur donc un mode nos­tal­gique, triste. Je n’entre pas dans les détails, ce serait trop long à expos­er ici.
On remar­quera sur la sec­onde page de la par­ti­tion, à l’endroit du change­ment de couleur, trois signes placés sur les lignes des Si, Mi et La (les lignes des notes qui sont altérées. Ces signes qui ressem­blent un peu aux diès­es sont des bécar­res. Leur fonc­tion est d’annuler les altéra­tions sur les notes con­sid­érées. Ici, comme c’est au début d’une par­tie, c’est val­able pour tout ce qui suit. Tous les Si, tous les Mi et tous les La seront désor­mais ordi­naires [ni plus graves ni plus aigus].

Le bécarre peut aus­si être placé devant une seule note, comme un dièse ou un bémol. Dans ce cas, il ne mod­i­fie que la note qui va être jouée et pas les suiv­antes qui garderont l’altération [dièse ou bémol] appliquée à la clef dans l’armure.
Cela sem­ble un peu com­pliqué, mais une fois qu’on a com­pris, c’est pra­tique.

Vous êtes renvoyés…

Je reviens à la par­ti­tion de Lágri­mas y son­risas. On a observé qu’au début elle était en Do mineur [3 bémols], puis que dans la par­tie de couleur ambre, elle était en mode majeur [ici Do majeur].
Cela veut dire que le début est plutôt triste et la par­tie de couleur ambre, plus gaie.
Cela s’entend assez claire­ment à l’écoute si on arrive à pass­er par-dessus deux dif­fi­cultés.
La pre­mière est que les par­ti­tions sont écrites à l’économie. Lorsque l’on rejoue le même pas­sage, on en l’écrit pas, on utilise des sys­tèmes de ren­voi. Par exem­ple, à la fin, on voit D. C. qui sig­ni­fie Da Capo [en tête] et qui indique au musi­cien qu’il doit main­tenant recom­mencer du début. D’autres ren­vois plus dis­crets sont les dou­bles bar­res ver­ti­cales.

La sec­onde dif­fi­culté est qu’il y a des altéra­tions ou des bécar­res sur des notes isolées. On voit dans l’illustration précé­dente, des bécar­res sur les trois « Si » de la pre­mière mesure entière de cet extrait.
C’est-à-dire que la tonal­ité a en fait changé avant l’arrivée des bécar­res. C’est tout sim­ple­ment que le com­pos­i­teur, Pas­cual de Gul­lo dans le cas présent, pré­pare l’oreille de l’auditeur pour le nou­veau mode à venir. C’est ici très dis­cret, c’est plus mar­qué à d’autres endroits. On remar­quera la même chose dans d’autres mesures avec la présence de bécar­res ou diès­es isolés. Je sig­nale ces change­ments dans la sec­onde écoute, ci-dessous.
Ce sont ces sub­til­ités qui font l’harmonie de la musique. Imag­inez que vous passiez directe­ment de Frère Jacques en mode majeur à sa ver­sion en mode mineur, sans pré­pa­ra­tion…
La plu­part des morceaux con­ti­en­nent des change­ments de tonal­ité, moins sou­vent des change­ments de mode comme ici.

Nouvelle écoute de la valse du jour

Main­tenant que vous êtes au courant, je vous pro­pose d’écouter de nou­veau et d’essayer de détecter ces change­ments de mode qui font pass­er du triste des larmes [Lágri­mas] au gai des sourires [Son­risas].

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

0 : 00 Mineur
0 : 18 Un peu de majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
0 : 26 Mineur
0 : 51 Majeur
1 : 17 Mineur
1 : 31 Un peu de Majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
1 : 44 Mineur jusqu’à la fin, mais les fior­i­t­ures au piano de Bia­gi, tem­pèrent l’idée de tristesse, même s’il y a un léger ralen­tisse­ment final.

Les paroles

Mal­heureuse­ment, on n’a pas de ver­sion enreg­istrée avec les paroles de Fran­cis­co Gul­lo. On ne pour­ra donc pas enten­dre com­ment s’articulent les pas­sages tristes ou gais, avec les paroles cor­re­spon­dantes. J’indique donc les paroles pour votre référence, même si vous avez peu de chance de les enten­dre inter­prétées, un jour.

Inmen­so es el pesar que tu ausen­cia me ha cau­sa­do,
Mi corazón des­gar­ra­do san­gra de tan­to llo­rar,
Ya no puedo vivir sin tus dul­ces son­risas
Lágri­mas cru­en­tas der­ramo sabi­en­do que te perdí…

Tus son­risas, mág­i­cas de encan­to son
Embe­le­so de mis lágri­mas de amor,
Me acari­cian con su divi­no rubor
Soñán­dolas, vana ilusión, con­sue­lo mi corazón…

Porque te ama­ba de veras
For­ja­ba quimeras con loca ansiedad,
Y en tus her­mosas son­risas
Quedó pri­sion­era mi feli­ci­dad…

Hoy que el recuer­do se ahon­da en la mente
Quisiera verte una vez más,
Para con­fi­arte en secre­to, alma mía
Que mi amor, no te olvi­do jamás…

Bésame con pasión tu boca me mur­mura­ba,
No te ator­mentes, que nada de ti me sep­a­rará,
Siem­pre te nom­brarán mis lágri­mas sen­ti­das
Por tus son­risas fin­gi­das, estoy enfer­mo de amor…

Pas­cual De Gul­lo Letra : Fran­cis­co Gul­lo (Pas­cual De Gul­lo)

Traduction libre et indications

Immense est le cha­grin que m’a causé ton absence. Mon cœur déchiré saigne de tant pleur­er.
Je ne peux plus vivre sans tes doux sourires. Des larmes sanglantes que j’ai ver­sées en sachant que je t’ai per­due…
Tes sourires sont mag­iques de charme, embel­lis­sant mes larmes d’amour. Ils me caressent de leur divine rougeur. En rêver, vaine illu­sion, con­sole mon cœur…
Parce que je t’aimais vrai­ment ; j’ai forgé des chimères avec une folle anx­iété et dans tes beaux sourires, mon bon­heur était empris­on­né…
Aujourd’hui, que le sou­venir s’engloutit dans l’esprit, j’aimerais te voir une fois de plus [voir le sub­lime tan­go « Quiero verte una vez más » de Mario Canaro avec des paroles de José María Con­tur­si, sur le même thème].
Pour te con­fi­er secrète­ment, mon âme, que mon amour ne t’oubliera jamais
Embrasse-moi pas­sion­né­ment, me mur­mu­ra ta bouche, ne te tour­mente pas, car rien ne me sépar­era de toi. Tou­jours mes larmes sincères te nom­meront. À cause de tes sourires feints, je suis malade d’amour…
Les paroles sont plutôt jolies et sen­si­bles. La chute finale avec les sourires feints ouvre dif­férents hori­zons que je vous laisse explor­er ; —)

Les versions

Lágri­mas y son­risas 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Un enreg­istrement acous­tique, donc un peu sévère pour nos oreilles mod­ernes, mais qui laisse tout de même remar­quer la qual­ité de l’interprétation. Cepen­dant, le manque de vari­a­tions peut laiss­er paraître le titre un peu monot­o­ne.

Lágri­mas y son­risas 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro Espósi­to.

L’année suiv­ante, Tano Genaro l’interprète avec son Quin­te­to Criol­lo. À mon avis, on peut se pass­er facile­ment de cette ver­sion, plutôt ennuyeuse.

Lágri­mas y son­risas 1932-12-05 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Bien que de 1932, cette ver­sion à deux gui­tares et un ban­donéon, peut se danser, mais elle ne devrait pas sus­citer des ent­hou­si­asmes débor­dants. Les gui­tares de Ramón Andrés Menén­dez y Vicente Spina (le com­pos­i­teur de Loco tur­bión) font leur tra­vail, mais le ban­donéon de Ciri­a­co Ortiz est un peu paresseux.

Lágri­mas y son­risas 1934-10-20 — Orques­ta Adol­fo Pocho­lo Pérez.

On monte un peu en énergie et la dif­férence entre les par­ties tristes (mineure) et gaies (majeures) est bien sen­si­ble.

Lágri­mas y son­risas 1936-09-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion clas­sique. Bia­gi se remar­que au piano par quelques élé­ments légers. Dans la par­tie gaie, il accom­pa­gne de façon légère les pizzi­cati des vio­lons. Le final à la D’Arienzo sug­gère une accéléra­tion et la valse nous entraîne puis­sam­ment jusqu’aux dernières notes.
Il est un peu dom­mage de ne pas en avoir un enreg­istrement de 1938, car c’est cette valse qui a poussé D’Arienzo à vir­er Bia­gi, car il deve­nait de plus en plus la vedette de l’orchestre. En effet, à la suite d’une inter­pré­ta­tion bril­lante de cette valse, Bia­gi se leva pour saluer le pub­lic qui applaud­is­sait à tout rompre. D’Arienzo s’est alors dirigé vers lui pour lui sig­ni­fi­er à voix basse qu’il était viré ; “¡Soy la úni­ca estrel­la de esta orquesta…estás des­pe­di­do!». Je suis la seule vedette (étoile) de cet orchestre, tu es viré !

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

C’est la valse du jour. Là, Bia­gi a son pro­pre orchestre. Il peut se lâch­er com­plète­ment au piano pour nous pro­pos­er cette ver­sion bril­lante. Les expi­ra­tions hale­tantes des ban­donéons, les glis­san­dos des vio­lons et les accents énergiques du piano don­nent une grande var­iété à cette inter­pré­ta­tion. La fin n’a pas l’impression d’accélération que pos­sède la ver­sion de D’Arienzo, mais les motifs des 30 dernières sec­on­des démon­trent la vir­tu­osité de Bia­gi au piano.

Lágri­mas y son­risas 1974-04-26 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis

Je ter­min­erai avec un autre pianiste, De Ange­lis qui pro­pose une ver­sion bien dif­férente et tar­dive de cette très belle valse où on retrou­ve le même jeu que dans les 30 dernières sec­on­des de la ver­sion de Bia­gi, mais plus tôt. On peut con­sid­ér­er que c’est un hom­mage, une cita­tion. Cela per­met à De Ange­lis de retrou­ver l’accélération finale qui avait été gom­mée dans la ver­sion de Bia­gi.

Valsecito amigo 1943-03-25 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Aníbal Carmelo Troilo Letra José María Contursi

Si comme moi vous adorez les valses, vous devez avoir le titre du jour, Valsecito ami­go bien au chaud dans votre cœur. Ce titre est né sous tous les bons aus­pices avec la musique de Troi­lo, les paroles de Con­tur­si et la voix de Fiorenti­no. Vous en aviez rêvé, Pichu­co l’a fait pour vous.

Aníbal Carmelo Troilo y Marcos

Pichu­co, el Gor­do, el ban­doneón may­or de Buenos Aires et autres appel­la­tions témoignent de l’affection que por­tent les Portègnes à Troi­lo.

Il util­i­sait son nom véri­ta­ble, tout comme son grand frère Mar­cos, égale­ment ban­donéiste et qui tra­vail­la d’ailleurs dans l’orchestre de son frère de 1941 à 1947.

Le chouchou de Buenos Aires

À Buenos Aires, Troi­lo est lit­térale­ment adoré. C’était net­te­ment moins le cas en Europe et je me sou­viens qu’en 2014, en France, pour le cen­te­naire de sa nais­sance, cer­tains danseurs fai­saient la moue quand j’annonçais une tan­da de Troi­lo. J’ai cepen­dant insisté et je pense que désor­mais, Troi­lo est unanime­ment appré­cié, même s’il y a quelques semaines, je recueil­lais les con­fi­dences d’un danseur qui m’indiquait qu’il avait du mal à danser sur Troi­lo.
Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le débat ici, mais Troi­lo a fait du tan­go pour la danse et du tan­go à écouter. Par ailleurs, il ado­rait les chanteurs et leur a don­né un peu plus de présence. Cela a donc influé sur la dans­abil­ité de ses titres. Il con­vient donc de choisir les Troi­lo que l’on pro­pose en milon­ga et l’on peut don­ner énor­mé­ment de bon­heur aux danseurs, même en sor­tant de la liste d’une quin­zaine de titres à laque­lle se lim­i­tent la plu­part des DJ.
Avec cette valse, pas de risque de décep­tion, sauf bien sûr pour les rares danseurs qui n’aiment pas les valses (bisous, Hen­ri et Cather­ine).

Les débuts de Pichuco contés par son frère, Marcos

Je vous pro­pose cette archive datant de 1969, dans laque­lle son grand frère, Mar­cos, par­le des débuts de son fameux frère. L’en­tre­vue est menée par Pipo Mancera (José Nicolás Mancera)

Mar­cos Troi­lo habla de Ani­bal 1969-07-12 — Sába­dos cir­cu­lares de Pipo Mancera

Transcription partielle, mais pas partiale.

Pipo hablan­do a Aníbal: Pichu­co, No, no te voy a pedir nada, se lo voy a pre­gun­tar a Troi­lo, pero no a vos, se lo voy a pre­gun­tar a tu her­mano.
Pipo a Mar­cos: Si ust­ed fuera tan amable, ade­lante señor Troi­lo.
Pipo al públi­co: Mar­cos Troi­lo, her­mano may­or de Aníbal Troi­lo.
Pipo a Mar­cos: Como era su her­mano cuan­do era chico?
Mar­cos: Bueno mi her­mano cuan­do chico ya deja­ba entr­ev­er que iba a ser un poquito gordi­to […] que esta­ban en una época de los 10 a los 12 años 13 años bueno.
Pipo a Mar­cos: Señor Troi­lo cuan­do se despierte en Pichu­co su amor por la músi­ca?
Mar­cos: Bueno, Pichu­co, hace muchísi­mos años, tenía la edad de 10, 11 años y nosotros fre­cuen­tábamos un club que se llamó la Fan­far­ria (La Fan­far­ria esta­ba en los ter­renos del antiguo Hipó­dro­mo Nacional, aho­ra, lugar de la can­cha de Riv­er Plate, el club de Aníbal…) en las cuales los socios aporta­ban sem­anal­mente uno o dos pesos y todas las sem­anas los mis­mos socios hacían una pequeña juga­da en la cual si se lle­ga­ba a ganar se aporta­ba para hac­er un pic­nic o una fies­ta o un baile.
Pipo: Qué lin­do
Mar­cos: Entonces es ahí donde empezó la vocación de Pichu pues esa cosa que se le des­pertó a él. Y yo recuer­do muy bien en los pic­nics cuan­do se encon­tra­ba con los ban­do­neones que actu­a­ban en esa fies­ta que fes­te­ja­ban eso que nosotros estábamos ahí que se senta­ba siem­pre al lado de uno de los ban­do­neones y lo mira­ba muy aten­ta­mente.
Entonces llegó un día de que esos pic­nics se hacían con mucha fre­cuen­cia y un día le dijo a mi madre que le com­prara un ban­doneón. Esta vez así que en una opor­tu­nidad yo regresa­ba a casa y me dijo mi madre dice mira dice lo que hay arri­ba de esa cama. Y era un ban­doneón que le había com­pra­do en una casa de la calle Cór­do­ba, a un señor que lo recuer­do como si fuera aho­ra, se llam­a­ba “Estein­guar” (o Esten­guar, apel­li­do a ver­i­ficar)
Pipo: Si como es este mis­mo (El ban­doneón que está usan­do Aníbal)
Aníbal: Cuarenta y tres años.
Pipo: El fueye que le com­pro su madre.
Mar­cos: y creo que le costó 140 pesos […]
Pipo: 140 pesos
Aníbal: A pagar 10 pesos por mes.
Hay una anéc­do­ta curiosísi­ma. A los cua­tro meses, no vinieron a cobrar. El tipo se había muer­to. Así que me costó 40 pesos.
Pipo a Mar­cos: Pero me has dado un dato que para mí es muy impor­tante […] (Pipo pido el fuye a Ani­bal, tratan­do de hac­er tocar a Mar­cos…) ust­ed aprendió a tocar el fueye porque sabía que su her­mano iba a ser famoso.
Mar­cos: No sim­ple­mente porque me con­tag­ió el entu­si­as­mo que él tenía y un día decidí prac­ticar y empecé a tocar una cosi­ta de acá otra cosi­ta de acá agre­gan­do y empecé a tocar un valsecito con éxi­to.
Pipo: Cuán­tos años hace que no toca el ban­doneón?
Mar­cos: Bueno en hon­or de la ver­dad creo que hace del año 48 a fines del 48 (Mar­cos tocó en la orques­ta de su her­mano has­ta 1947).
Pipo: Qué es lo que mejor recuer­da que toca­ba en ban­doneón… Un valsecito, un tan­gui­to?
Mar­cos: Creo que era un tan­go de Char­lo. Este tan­go pre­cioso. No recuer­do bien el nom­bre aho­ra, pero, que Pichu­co me lo puede hac­er recor­dar. […]

Mar­cos Troi­lo habla de Ani­bal 1969-07-12 — Sába­dos cir­cu­lares de Pipo Mancera. En azul mis comen­tar­ios.

Traduction libre de l’entrevue avec Marcos Troilo

Pipo s’adressant à Aníbal : Pichu­co, non, je ne vais rien te deman­der, je vais deman­der à Troi­lo, mais pas à toi, je vais deman­der à ton frère.
Pipo à Mar­cos : Si vous voulez bien le faire, venez, M. Troi­lo.
Pipo au pub­lic : Mar­cos Troi­lo, le frère aîné d’Aníbal Troi­lo.
Pipo à Mar­cos : Com­ment était ton frère quand il était enfant ?
Mar­cos : Eh bien, quand il était enfant, mon frère avait déjà lais­sé enten­dre qu’il allait être un peu potelé […] C’était au moment où il avait 10 à 12 ans, 13 ans.
Pipo à Mar­cos : M. Troi­lo, quand l’amour pour la musique s’éveille-t-il chez Pichu­co ?
Mar­cos : Eh bien, Pichu­co, il y a de nom­breuses années, il avait 10 ou 11 ans et nous fréquen­tions un club appelé la Fan­far­ria (la Fan­fare, qui était sur le ter­rain de l’ancien hip­po­drome nation­al, aujourd’hui l’endroit où se trou­ve le ter­rain de Riv­er Plate, le club d’Aníbal…) dans lequel les mem­bres con­tribuaient à hau­teur d’un ou deux pesos par semaine et chaque semaine, les mem­bres eux-mêmes fai­saient une petite pièce dans laque­lle s’ils gag­naient, c’était un apport pour faire un pique-nique, une fête ou une danse.
Pipo : C’est mignon.
Mar­cos : C’est donc là que la voca­tion de Pichu a com­mencé, cette chose qui s’est éveil­lée en lui. Et je me sou­viens très bien que lors des pique-niques, lorsqu’il ren­con­trait les ban­donéon­istes qui jouaient à cette fête. Il s’asseyait tou­jours à côté de l’un des ban­donéon­istes et le regar­dait très atten­tive­ment.
Puis il y a eu un jour où ces pique-niques étaient très fréquents et un jour il a dit à ma mère de lui acheter un ban­donéon. Une fois que je ren­trais à la mai­son, ma mère m’a dit, regarde ce qu’il y a sur ce lit. Et c’était un ban­donéon qu’elle avait acheté dans une mai­son de la rue Cor­do­ba, à un homme dont je me sou­viens comme si c’était main­tenant, son nom était « Estein­guar » (ou Esten­guar, nom de famille à véri­fi­er)
Pipo : Oui, c’est celui-ci. (Le ban­donéon qu’utilise Troi­lo est celui acheté par sa mère)
Han­ni­bal : Quar­ante-trois ans.
Pipo : Le fueye que votre mère lui a acheté.
Mar­cos : Et je pense que ça lui a coûté 140 pesos […]
Pipo : 140 pesos
Aníbal : À pay­er 10 pesos par mois.
Il y a une anec­dote très curieuse. Au bout de qua­tre mois, ils ne sont pas venus réclamer leur dû. Le gars était mort. Cela m’a donc coûté 40 pesos.
Pipo à Mar­cos : Mais tu m’as com­mu­niqué une infor­ma­tion qui est très impor­tante pour moi […] (Pipo emprunte le ban­donéon à Ani­bal et essaye d’en faire jouer son frère, Mar­cos) tu as appris à jouer du ban­donéon parce que tu savais que ton frère allait devenir célèbre ?
Mar­cos : Non, sim­ple­ment parce que j’ai été con­t­a­m­iné par l’enthousiasme qu’il avait et qu’un jour j’ai décidé de m’entraîner et j’ai com­mencé à jouer une petite chose d’ici, une autre petite chose par-là, et j’ai com­mencé à jouer une valse avec suc­cès.
Pipo : Com­bi­en d’années se sont-elles écoulées depuis que vous n’avez pas joué du ban­donéon ?
Mar­cos : Eh bien, pour être hon­nête, je pense que c’était en 1948 à la fin de 1948 (Mar­cos a effec­tive­ment joué dans l’orchestre de son frère jusqu’en 1947).
Pipo : De quoi te sou­viens-tu le mieux quand tu jouais du ban­donéon ? Une valse, un tan­go ?
Mar­cos : Je crois que c’était un tan­go de Char­lo. Un beau tan­go. Je ne me sou­viens plus très bien du nom, mais Pichu­co peut me le rap­pel­er. […]

Extrait musical

Écou­tons main­tenant le tan­go du jour, qui est cette mer­veilleuse valse, Val­cesi­to ami­go.

Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Les paroles

Vals sen­ti­men­tal de nues­tras vie­jas horas,
¡nun­ca te escuché tan triste como aho­ra!
Lle­gas has­ta mi para aumen­tar mi que­ja,
tiene tu rondín sabor a cosa vie­ja…
Vals sen­ti­men­tal, ingen­uo y ondu­lante,
vuel­vo a recor­dar aque­l­los tiem­pos de antes.
Una voz lejana me acusa en tu can­ción,
¡val­cesi­to!… ¡y envuelve mi emo­ción!

Vuel­ca tu nos­tal­gia febril,
tu musiq­ui­ta sen­su­al,
se que no es posi­ble seguir
oyén­dote sin llo­rar.
Val­cesi­to ami­go, no ves
esta incer­tidum­bre tenaz
que no hace más
que remover y con­mover
mi soledad…
Unos ojos verdes de mar
más grandes que su ilusión,
unas ansias grandes de amar…
después… llo­ran­do una voz…
Val­cesi­to ami­go, no ves
que tu musiq­ui­ta sen­su­al
no sabe más
que ator­men­tar y ator­men­tar
mi corazón…

Cuan­do llegue el fin de mi oración postr­era,
quiero imag­i­narla así, como ella era…
Jun­taré mi voz a aque­l­los labios suyos,
mien­tras tu can­ción nos servirá de arrul­lo.
Vals sen­ti­men­tal de nues­tras horas,
ya no me verán tan triste como aho­ra.
Lenta­mente tus notas ami­gas can­taré,
valsecito… ¡y entonces moriré!

Ani­bal Troi­lo Letra: José María Con­tur­si

Traduction libre

Petite valse ami­cale

Valse sen­ti­men­tale de nos heures anci­ennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine.
Tu ne viens à moi que pour me tour­menter. Tes notes ont la saveur des choses passées…
Valse sen­ti­men­tale, ingénue et ondu­lante, de ces temps d’autrefois tu fais revenir le sou­venir.
Une voix loin­taine m’accuse dans ta chan­son, petite valse, et enserre mon émo­tion.

Tu vers­es ta nos­tal­gie fébrile, ta petite musique sen­suelle, tu sais que je ne peux pas con­tin­uer de t’entendre sans pleur­er. Petite valse amie, ne vois-tu pas cette incer­ti­tude tenace, qui ne fait rien que remuer et aviv­er ma soli­tude ?
Des yeux verts de mer, plus grands que ton illu­sion, une fringale immense d’aimer…
Puis… Une voix qui pleure…
Valse ami­cale, ne vois-tu pas que ta petite musique sen­suelle ne sait rien faire d’autre que tour­menter et tour­menter mon cœur…

Quand arrivera la fin de ma dernière prière, je veux l’imaginer ain­si, comme elle était…
Je joindrai ma voix aux siennes lèvres, pen­dant que ta chan­son nous servi­ra de roucoule­ment.
Valse sen­ti­men­tale de nos heures ; jamais me virent si triste comme main­tenant. Lente­ment, je chanterai tes notes ami­cales, petite valse… et ensuite, je mour­rai !

Pour une autre tra­duc­tion en français, vous pou­vez con­sul­ter celle de Fab­rice Hatem, sur son site.

Les versions

Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

C’est le tan­go du jour. Troi­lo est sur son ter­rain, car il en est le com­pos­i­teur.
La pre­mière minute fait mon­ter la ten­sion afin de pré­par­er l’intervention de Fiorenti­no. Le mode mineur adop­té donne un peu de nos­tal­gie à la musique, mais le rythme soutenu entraîne les danseurs dans une valse énergique. Les instru­ments, vio­lons et ban­donéon, mais aus­si la voix relance l’énergie à chaque mesure. Le pre­mier temps est mar­qué de façon sen­si­ble mais sans bru­tal­ité, toute en sub­til­ité. Troi­lo a trou­vé une façon de mar­quer les trois temps de la valse avec un style par­ti­c­ulière­ment flu­ide, que préserve Fiorenti­no. Impos­si­ble de résis­ter à l’élan sans cesse renou­velé. Même Fiorentin ne sem­ble pas devoir repren­dre son souf­fle, pour ne pas couper la dynamique mal­gré une dic­tion par­faite et rapi­de.

Valsecito ami­go 1943-08-17 Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Eduar­do Adrián.

Enreg­istrée cinq mois plus tard, la ver­sion de Canaro mar­que bien la dif­férence de style. Troi­lo a une moder­nité nais­sante bien dif­férente de la ver­sion plus tra­di­tion­nelle de Canaro. Cepen­dant, il ne faudrait pas jeter la mag­nifique presta­tion de Canaro et l’émotion que sus­cite Eduar­do Adrián.
Canaro qui est égale­ment à la tête d’un orchestre de jazz utilise des instru­ments plus rares dans les típi­cas de tan­go, comme la trompette bouchée ou la clar­inette.
Les instru­ments se répon­dent, des motifs répon­dent à l’in­stru­ment prin­ci­pal qui peut être la voix. Ces petits accents sont comme des fior­i­t­ures que peu­vent observ­er les danseurs pour sor­tir du rythme réguli­er et puis­sant bien que d’un tem­po plus mod­éré. Canaro donne la parole suc­ces­sive­ment à chaque instru­ment ce qui évite la monot­o­nie, chaque reprise a une couleur dif­férente.
Canaro a sa sonorité pro­pre, facile­ment recon­naiss­able et le résul­tat est aus­si fan­tas­tique que la ver­sion de Troi­lo et Fiorenti­no. Sur l’île déserte, il faut absol­u­ment emporter les deux.

S’il existe bien sûr d’autres enreg­istrements, il n’y a rien de bien pas­sion­nant qui puisse faire pass­er au sec­ond plan les ver­sions de Troi­lo et Canaro.
On dirait que les mer­veilles réal­isées par ces deux mon­stres sacrés ont fait peur aux suiveurs.
Cepen­dant, un enreg­istrement mod­erne me sem­ble intéres­sant, peut-être, car il me rap­pelle le Cuar­te­to Cedrón qui fut un des orchestres qui berça mon enfance avec la voix si par­ti­c­ulière de Juan.

Valsecito ami­go 2010-10-22 La Típi­ca Orques­ta de Tan­go con Juan Tata Cedrón (voz y direc­ción).

À voir

Pour mieux con­naître Pichu­co, vous pou­vez con­sul­ter ce film doc­u­men­taire sur ceux qui font vivre l’héritage de Pichu­co. Il a été réal­isé en 2014 à l’occasion du cen­te­naire de sa nais­sance.

Un recor­ri­do musi­cal por la obra de Aníbal ¨Pichu­co¨ Troi­lo, uno de los per­son­ajes fun­da­men­tales de la his­to­ria del Tan­go y la músi­ca Argenti­na. Direc­tor: Martín Turnes. 2014. https://play.cine.ar/INCAA/produccion/1451

Il faut un compte pour voir le film, mais c’est gra­tu­it et cela vous ouvri­ra la porte des mer­veilleuses ressources de l’INCAA.

Adiós, los Troilos

Mar­cos est décédé le 7 avril 1975 et un peu plus d’un mois plus tard, Ani­bal l’a rejoint.
Le poète Adrián Desider­a­to écriv­it à cette triste occa­sion :
« Fue un 18 de mayo, ese día al ban­doneón, se le cayó Pichu­co de las manos ».
Ce fut un 18 mai, ce jour du ban­donéon, qu’il tom­ba des mains de Pichu­co.
Depuis l’âge de dix ans, l’instrument n’a pas quit­té Ani­bal. On a donc décidé de faire du 18 mai le jour du ban­donéon. Le seul hic, c’est qu’il y a un doute réel sur la date de décès d’Anibal, 18 ou 19 mai  ?
Je vous laisse méditer, comme le héros de cette valse, inter­prété par Fiorenti­no, Adrián et Cedrón.

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Je pense que vous ne devinerez pas pourquoi il y a un tigre pour présen­ter le tan­go du jour, Loren­zo enreg­istré par Frese­do. Loren­zo était-il un tigre du zoo de Buenos Aires ? Par­le-t-on d’un Loren­zo orig­i­naire de Tigre ? Rien de tout cela, vous ne pour­rez jamais devin­er sans lire ce qui suit…

Le tan­go « Loren­zo » a été com­posé par Agustín Bar­di et les paroles écrites par Mario Alber­to Par­do en l’honneur du ban­donéon­iste Juan Loren­zo Labissier.
Il a été joué pour la pre­mière fois dans le café Dominguez (celui qui est célébré par D’Agostino avec la célèbre phrase intro­duc­tive dite par Julián Centeya :

« Café Domínguez de la vie­ja calle Cor­ri­entes que ya no que­da. Café del cuar­te­to bra­vo de Gra­ciano de Leone. »

Café de la vieille rue Cor­ri­entes [rue de Buenos Aires, célèbre pour ses théâtres et son his­toire intime avec le tan­go] qui n’existe plus. Café du cuar­te­to Bra­vo de Gra­ciano de Leone.
Nous n’avons aucun enreg­istrement de cette époque [avant 1919] de ce cuar­te­to con­sti­tué de lui-même à la direc­tion et au ban­donéon, de Roc­catagli­a­ta au vio­lon de Car­los Her­nani Mac­chi à la flûte et d’Agustín Bar­di, l’auteur de ce tan­go, au piano.
On peut se deman­der pourquoi Bar­di a dédi­cacé ce tan­go à Labissier alors qu’il tra­vail­lait pour un autre ban­donéon­iste. Je n’ai pas la réponse ;-)
Sou­vent, les hom­mages sont faits en mémoire d’un ami récem­ment défunt comme la mag­nifique Valse « A Mag­a­l­di », mais dans le cas présent, le dédi­cataire a survécu près de 40 ans à cette dédi­cace. Bar­di le con­nais­sait pour avoir tra­vail­lé avec lui au café Café Roy­al, café plus con­nu sous son surnom de Café del Griego (du Grec). Ce café était situé à prox­im­ité de l’angle des rues Necochea et Suar­rez (La Boca). À l’époque Bar­di était vio­loniste et se trans­for­ma en pianiste… Sig­nalons en pas­sant que Canaro qui a enreg­istré le titre le 23 mai 1927, la veille de Frese­do qui signe le tan­go du jour avait fait ses débuts offi­ciels dans les mêmes par­ages.
N’oublions pas que sur quelques dizaines de mètres se col­li­sion­nent de nom­breux sou­venirs de tan­go, Lo de Tan­cre­di, le lieu de nais­sance de Juan de Dios Fil­ib­er­to, La de Zani, et la ren­con­tre entre Canaro et Eduar­do Aro­las qui était surnom­mé le Tigre du ban­donéon. Cela pour­rait être une des raisons pour laque­lle j’ai mis le tigre dans l’image de cou­ver­ture, mais il y en a une autre. Soyez patients.

Là où on revient à Lorenzo

Pour revenir au dédi­cataire du tan­go, Loren­zo n’était pas comme Aro­las un Tigre, mais il a joué durant une ving­taine d’années de son instru­ment dans dif­férents orchestres et notam­ment avec Vicente Gre­co (trio, quin­te­to et típi­ca). La com­mu­nauté des musi­ciens de tan­go sem­ble avoir été très soudée à cette époque et Loren­zo était donc un proche des Gre­co (Vicente, mais aus­si ses frères, Ángel et Domin­go).
On peut voir cela aux dédi­caces des par­ti­tions.

Il a com­posé quelques titres par­mi lesquels : Aquí se vac­u­na, dédi­cacé aux doc­teurs Gre­go­rio Hunt et Fer­nan­do Álvarez, La biyuya (l’argent en lun­far­do), El charabón (nan­dou) dédi­cacé à son ami José Martínez, Blan­ca Nieve (Blanche Neige) dédi­cacé à sa sœur Blan­ca Nieve Labissier, Pochi­ta, Ensueño, Óscu­los de fuego, Romuli­to, Recuer­do inolvid­able

Orchestre de Vicente Gre­co. Loren­zo est le ban­donéon de droite. Dans la plu­part des illus­tra­tions, la pho­to est inver­sée. Là, vous l’avez en couleur et à l’endroit…

Extrait musical

Loren­zo 1927-05-24 — Orques­ta Osval­do Frese­do (C’est le tan­go du jour).

Les paroles

Tous les enreg­istrements sont instru­men­taux, mais il y a des paroles, écrites par Mario Alber­to Par­do. Les voici…

Noches de loco plac­er,
de orgias, de mujeres, de cham­pán
que ya no volveré a beber
porque mi corazón,
san­gran­do en sus recuer­dos,
llo­ra una emo­ción.

Cuan­do el primer mete­jón
en mi pecho cla­vo su pon­zoña fatal
y la traición de mujer
en mi pecho el veneno empezó a des­ti­lar,
vicio tras vicio adquirien­do,
fui necio bebi­en­do
mi pro­pio pesar;
loco, hice de mi vida
milon­ga cor­ri­da
bus­can­do olvi­dar.

Así da gus­to la vida
quien lo pudiera gozar
sin un dolor, sin un pesar
con un amor a dis­fru­tar,
bus­can­do siem­pre la ale­gría
que reinara
en la músi­ca del fueye,
de las copas y el cham­pan.

Agustín Bar­di Letra : Mario Alber­to Par­do

Traduction libre et indications

Nuits de plaisir fou, d’orgies, de femmes, de cham­pagne que je ne reviendrai plus boire, parce que mon cœur, saig­nant dans ses sou­venirs, pleure son émo­tion.
Quand, la pre­mière pas­sion amoureuse cloua dans mon cœur son poi­son fatal et la trahi­son de la femme s’est mise à dis­tiller son venin, ajoutant vice sur vice, j’ai été stu­pide de boire mon pro­pre cha­grin ;
Fou, j’ai fait de ma vie une milon­ga débridée pour chercher à oubli­er.
Ain­si, la vie rend heureux celui qui pour­rait en prof­iter sans douleur, sans regret, avec un amour à prof­iter, cher­chant tou­jours la joie qui régn­era dans la musique du ban­donéon, des coupes et le cham­pagne.

Heureuse­ment qu’il par­le de ban­donéon à la fin, pour rester dans le thème de l’hommage à l’ami du com­pos­i­teur. Je n’ai pas d’information sur la vie amoureuse de Loren­zo. Il dédi­cace un tan­go à sa sœur, Blanche Neige, pas à ma con­nais­sance à une femme. Peut-être a‑t-il été empoi­son­né comme le sug­gère ce tan­go et Bar­di, en bon ami, a essayé de le con­sol­er avec ce titre.

Les versions

Loren­zo 1926-12-28 — Orques­ta Julio De Caro.

Par­mi les élé­ments amu­sants de cette ver­sion, le cou­plet sif­flé à 0:15 et à 1:15) et le cri à 2:21. Le ban­donéon est assez dis­cret, les vio­lons dans les pizzi­cati et les legati, voire le piano, ont plus de présence. Cela n’enlève rien au charme du résul­tat et les quelques notes finales de ban­donéon per­me­t­tent de rap­pel­er que ce thème est en l’honneur d’un ban­donéon­iste. Un des rares thèmes de De Caro qui peut se prêter à la danse, en tous as pour ceux qui sont attirés par la vieille garde.

Loren­zo 1927-05-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On reste dans la vieille garde. Cette ver­sion est plus sim­ple, directe­ment canyengue, le vio­lon reste présent, mais le ban­donéon a un peu plus de temps d’expression que dans la ver­sion de De Caro.

Loren­zo 1927-05-24 — Orques­ta Osval­do Frese­do (C’est le tan­go du jour).

Enreg­istré le lende­main de la ver­sion de Canaro, la ver­sion de Frese­do est plus dynamique et expres­sive, tout en con­ser­vant les appuyés rap­pelant le canyengue. Là encore un joli vio­lon. Bar­di a décidé­ment été fidèle à son pre­mier instru­ment. À par­tir de 1:20, joli solo de ban­donéon. Là encore le ban­donéon a le dernier mot en lâchant les dernières notes.

Loren­zo 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Un tem­po soutenu, les ban­donéons sont plus présents, par exem­ple à 1:00 et ils accom­pa­g­nent les vio­lons qui gar­dent leurs superbes chants en lega­to. Un bon d’Arienzo, des débuts de Bia­gi dans l’orchestre, même si son piano ne se remar­que que par quelques gammes vir­tu­os­es et par le final qui est donc au piano au lieu du ban­donéon.

Loren­zo 1938-03-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On redescend en rythme par rap­port à Frese­do et D’Arienzo. Le ban­donéon a pris à sa charge des élé­ments qui étaient plus à la charge des vio­lons dans d’autres ver­sions. Le piano a aus­si plus de voix. C’est une ver­sion com­plétée par quelques notes de flûte et c’est cette fois-ci le vio­lon qui a le mot de la fin.

Loren­zo 1950-05-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Un tem­po rapi­de, dans un style encore un peu canyengue par moment et à d’autres don­nant dans le spec­tac­u­laire, notam­ment avec les explo­sions de piano. Comme dans la ver­sion de 1938, la flûte et le ban­donéon ont de la présence. C’est au finale une ver­sion bien ludique qui donne encore une fois le dernier mot au vio­lon. Sans doute une ten­dresse per­son­nelle pour son instru­ment.

Loren­zo 1965 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Je ne sais pas ce qu’aurait pen­sé Loren­zo s’il avait vécu quinze ans de plus pour pou­voir enten­dre cette ver­sion. En tous cas, pas ques­tion de l’exploiter pour danser en milon­ga.

Loren­zo 1987 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Pour ter­min­er par une ver­sion qui peut aller au bal, un petit tour en Uruguay. Comme tou­jours l’orchestration de Vil­las­boas est claire et sem­ble sim­ple. Le piano, son piano est très présent et mar­que le rythme et le ban­donéon alterne avec le vio­lon. Cette ver­sion enjouée devrait ravir les danseurs qui sont prêts à sor­tir de l’âge d’or. Une sec­onde écoute pour­ra être utile pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas cette ver­sion afin d’en tir­er toutes les sub­til­ités sug­gérées pour l’improvisation.

Roulons des mécaniques…

Un peu hors con­cours, une curiosité, une ver­sion au pianola :

Le pianola est un piano mécanique qui peut être joué comme un piano nor­mal, à con­di­tion de ne pas avoir de trop grandes jambes, car le mécan­isme sous le clavier prend de l’espace. Sa par­tic­u­lar­ité, vous la ver­rez dans la vidéo, est qu’il joue tout seul, comme un organ­i­to à par­tir d’un pro­gramme sur car­ton per­foré.

La fortune du thème

En juil­let 1947, Hen­ri Bet­ti qui est de pas­sage à Nice s’arrête devant la vit­rine d’une bou­tique de lin­gerie fémi­nine Scan­dale et il pré­tend que c’est là que les neuf pre­mières notes musi­cales de la chan­son lui vien­nent en tête : fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, ré. Il pré­tend ensuite avoir écrit le reste en moins de dix min­utes.
Lorsqu’il retourne à Paris, il s’entend avec le paroli­er André Hornez qui lui fait dif­férentes propo­si­tions et finale­ment, c’est si bon, qui est le titre élu pour cette chan­son qui com­mence donc par le fa, mi, mi bémol sur cha­cune de ces syl­labes.
Vos com­mencez à me con­naître et je trou­ve que cette his­toire est très sus­pecte. En effet, pourquoi citer un mag­a­sin de lin­gerie fémi­nine ? Je com­prends que cela peut don­ner des idées, mais la musique n’évoque pas par­ti­c­ulière­ment ce type de vête­ments.
En fait, la réponse est assez sim­ple à trou­ver. Regardez quel est l’orchestre qui joue dans cette vidéo :

Et main­tenant, écoutez la pre­mière ver­sion enreg­istrée de c’est si bon.

C’est si bon 1948 — Jacques Hélian & son Orchestre — Jean Mar­co

Eh, oui ! C’est l’orchestre de Jacques Hélian, le même qui avait fait la pub­lic­ité Scan­dale. De deux choses l’une, Hélian et/ou Bet­ti ont trou­vé une façon de mon­nay­er l’histoire auprès de Scan­dale, afin de mon­tr­er que la mar­que inspi­rait égale­ment les hommes.
Hen­ri Bet­ti tir­era beau­coup de sat­is­fac­tion de ce titre. On le voit ici le jouer en 1959 dans l’émission « Les Joies de la Vie » du 6 avril 1959 réal­isée par Claude Bar­ma.

Hen­ri Bet­ti jouant Loren­zo. Par­don, jouant C’est si bon !

Bet­ti a écrit de nom­breuses chan­sons, mais aucun n’a atteint ce suc­cès. Peut-être aurait-il été inspiré de pom­per un peu plus sur les auteurs argentins.
N’allons pas en faire un scan­dale, mais con­tin­uons à voguer avec « C’est si bon », qui rapi­de­ment tra­versera l’Atlantique

C’est si bon 1950 — John­ny Desmond Orchestre dirigé par Tony Mot­to­la et les voix en chœur par The Quin­tones

Le titre sera égale­ment repris par Louis Amstrong, Yves Mon­tand et…

Pourquoi un tigre ?

Quand j’étais net­te­ment plus jeune, il y avait une pub­lic­ité pour une mar­que d’essence qui promet­tait de met­tre un tigre dans son moteur (ou dans son réser­voir selon les pays).
L’air de la pub­lic­ité était celui de « C’est si bon », mais je l’ai tou­jours asso­cié à Loren­zo, ne con­nais­sant pas le titre en français.
Je n’ai pas réus­si à retrou­ver cette chan­son pub­lic­i­taire de la fin des années 60, mais je suis sûr que vous me croyez sur parole. La chan­son dis­ait « c’est si bon, d’avoir les meilleurs pneus, pou­voir compter sur eux »… et se ter­mi­nait par « Esso c’est ma sta­tion ! ».
« Voilà juste­ment ce qui fait que votre fille est muette », par­don, voilà que je me prends pour Sganarelle. Voilà juste­ment ce qui explique la présence du tigre. Les gamins dont j’étais tan­naient leurs par­ents pour obtenir la queue de tigre à laiss­er pen­dre au rétro­viseur. Donc, à défaut du Tigre du Ban­donéon (Aro­las), c’est le tigre d’Esso qui vous salue et moi qui vous remer­cie d’avoir lu cela, jusqu’au bout, ce petit texte en l’honneur de Loren­zo Juan Labissier.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

On con­naît tous la milon­ga du jour, El Porteñi­to, mais est-ce vrai­ment une milon­ga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñi­to et ce qu’il nous cache.

Ángel Vil­lol­do a com­posé et créé les paroles de ce tan­go qui est un des plus anciens dont on dis­pose des enreg­istrements. Je prof­ite donc de ce pat­ri­moine pour vous faire touch­er du doigt le tan­go des orig­ines avec le risque de relancer le débat des anciens et des mod­ernes.

Extrait musical

El Porteñi­to 1943-03-23 – Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.

La ver­sion du jour est inter­mé­di­aire sur tous les plans.

Elle a été enreg­istrée en 1943, soit env­i­ron 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est con­venu d’appeler l’âge d’or du tan­go.

Les deux anges se sont donc asso­ciés à un troisième, Vil­lol­do pour nous offrir cette belle milon­ga… ou beau tan­go… Dis­ons que c’est un tan­go milon­ga, un canyengue rapi­de. Ce titre évoluera depuis sa créa­tion entre les rythmes, nous en ver­rons quelques exem­ples en fin d’article.

Les paroles

Les paroles, il y a vrai­ment plusieurs paroles à ce tan­go. El porteñi­to est El criol­li­to dans la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée. Je vais donc vous pro­pos­er trois ver­sions.
Celle de D’Agostino et Var­gas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite par­tie des paroles.
L’introduction musi­cale, nous présente un type qui se balade dans les rues, salu­ant les pas­sants 1:22 plus tard, Var­gas entame le chant et ter­mine à la fin du titre. Cette ver­sion est générale­ment con­sid­érée comme une milon­ga, mais si vous la dansez en canyengue, per­son­ne ne vous dira rien.

D’Agostino Var­gas 1943
 
Soy naci­do en Buenos Aires,
me lla­man “El Porteñi­to”,
el criol­lo más com­padri­to
que en esta tier­ra nació.

 
Y al bailar un tan­go criol­lo
no hay ninguno que me iguale
porque largo todo el rol­lo
cuan­do me pon­go a bailar. 

 
Anda que está lin­do el baile!
brindase comadre,
y el com­padre…

 
Soy un tau­ra del noven­ta,
tiem­po bra­vo del tam­bito,
bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñi­to”
y al bailar un tan­go bra­vo,
lo hago con corte y que­bra­da
para dejar bien sen­ta­da mi fama de bailarín.
Vil­lol­do 1908
 
Soy hijo de Buenos Aires,
por apo­do “El Porteñi­to”,
el criol­lo más com­padri­to
que en esta tier­ra nació.
Cuan­do un tan­go en la vigüela
ras­guea algún com­pañero
no hay nadie en el mun­do entero
que baile mejor que yo.

No hay ninguno que me iguale
para enam­orar mujeres,
puro hablar de pare­ceres,
puro filo y nada más.
Y al hac­er­le la encar­a­da
la fileo de cuer­po entero
ase­gu­ran­do el puchero
con el ven­to que dará.


…Recita­ti­vo…

Soy el ter­ror del mal­e­va­je
cuan­do en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reunión.
Y si alguno se reto­ba
y viene hacién­dose el guapo
lo man­do de un cas­taña­zo
a bus­car quien lo engrupió.

Cuan­do el ven­to ya escasea
le for­mo un cuen­to a mi mina (chi­na)
que es la paica más lad­i­na
que pisó el bar­rio del sur.
Y como caí­do del cielo
entra el níquel al bol­sil­lo
y al com­pás de un organil­lo
bai­lo el tan­go a su “salú”.

 
…Recita­ti­vo…
Los Gob­bi 1906
 
Él:
Soy hijo de Buenos Aires
E me lla­man el criol­li­to,
El más pier­na e com­padri­to
Per can­tar e per bailar.
De las chi­nas un queri­do
Todas me brin­dan amores,
Soy el que entre los mejores
Siem­pre se hace respetar.
 
Ella:
Este tipo extrav­a­gante
Que viene a largar el rol­lo,
Echán­dosela de criol­lo
Y no sabe com­padrear.
Es un gringo chacarero
De afuera recién lle­ga­do
Un criol­lo fal­si­fi­ca­do
Que la viene aquí a con­tar.
 
Él:
Soy tremen­do para el baile
Se me voy donde hay…
E agar­ran­do la gui­tar­ra
La “melun­ga” sé can­tar.
 
Ella:
No arrugués que no hay quién planche
Afei­tate, volvé luego,
Que te ha cono­ci­do el juego
Gringo, podés espi­antar.
 
Él:
No te hagás la com­padrona
La pacien­cia se me aca­ba,
Te va´ a comé una trompa­da
Se me llego yo a eno­jar.
 
Ella:
Arri­mate che ital­iano
Y haceme una atro­pel­la­da.
 
Él:
Te la doy.
 
Ella:
Pura para­da
Si ni el agua vos cortás.
 
Él:
Fijate qué fir­ulete, qué para­da
No hay ninguno que me pue­da guadañar.
 
Jun­tos:
Porque somos para el tan­go
Los más pier­nas,
Y sabe­mos hac­er­nos respetar.
Ángel Vil­lol­do (Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Arroyo)

Les versions

El criol­lo fal­si­fi­ca­do (Los criol­los) 1906 – Dúo Los Gob­bi.

Le titre est un peu dif­férent, ain­si que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñi­to est el criol­li­to et il le texte com­porte de nom­breuses vari­a­tions par rap­port à la ver­sion « canon­ique ». Deux points sont à sig­naler. C’est un duo (que je trou­ver rel­a­tive­ment pénible entre les époux Gob­bi, Flo­ra et Alfre­do) avec des pas­sages par­lés comme c’était assez courant à l’époque.

El porteñi­to 1908 — Ángel Vil­lol­do.

Cet enreg­istrement par l’auteur pour­rait servir de référence. Ce sont les paroles de la ver­sion cen­trale (il y a quelques petites dif­férences, comme mina au lien de chi­na, mais qui ne change pas le sens).

El porteñi­to (La Criol­li­ta) 1909 — Andrée Vivianne con orques­ta.

Une ver­sion chan­tée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flo­ra Gob­bi, mais de peu. On notera qu’elle a adap­té les paroles en chan­tant au féminin et en se faisant appel­er la criol­li­ta et non pas la porteñi­ta.

El Porteñi­to 1928-09-26 – Orques­ta Típi­ca Vic­tor (Adol­fo Cara­bel­li).

On arrive ici à la pre­mière ver­sion dans­able. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Cara­bel­li. C’est une ver­sion instru­men­tale, avec de beaux dia­logues instru­men­taux, et des vio­lons qui plairont à beau­coup. Une fan­taisie qui pour­rait pass­er dans une milon­ga, mais pas comme une milon­ga, c’est claire­ment un tan­go et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la que­bra­da dont par­lent d’ailleurs les paroles.

El Porteñi­to 1937-08-31 – Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion au rythme syn­copé avec un plan de vio­lon ou ban­donéon qui sur­v­ole le tout. Une impres­sion d’accélération à la fin et quelques ponc­tu­a­tions de Bia­gi au piano témoignent du style qui est en train de se met­tre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une ver­sion rarement dif­fusée en milon­ga. Elle pour­rait l’être, mais il y a d’autres titres plus por­teurs qui pren­nent la place dans le temps lim­ité don­né au DJ pour faire des propo­si­tions.

El Porteñi­to 1941-06-06 – Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Canaro enreg­istr­era deux fois avec le quin­te­to Pir­in­cho ce titre. Voici la pre­mière ver­sion, assez bril­lante, notam­ment grâce à la par­tie de piano inter­prétée par Luis Ric­car­di.

El Porteñi­to 1943-03-23 – Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour. Net­te­ment plus milon­ga que les ver­sions écoutées précédem­ment. Un best-sell­er des milon­gas.

C’est notre tan­go du jour. Net­te­ment plus milon­ga que les ver­sions écoutées précédem­ment. Un best-sell­er des milon­gas.

El Porteñi­to 1959-04-09 – Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Je fais un petit saut dans le temps en pas­sant divers­es ver­sions pour retrou­ver le Quin­te­to Pir­in­cho et la flute géniale de Juven­cio Físi­ca qui donne une couleur à cette ver­sion qui bal­ance tou­jours entre le tan­go et la milon­ga, mais on peut en général le pass­er comme milon­ga, car son allure très enjouée le rend sym­pa­thique à danser et il est suff­isam­ment con­nu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fior­i­t­ures de l’orchestre puis­sent être mis­es en valeur par les danseurs.

El Porteñi­to 2013 – Otros Aires y Joe Pow­ers.

Je vais vous deman­der de me par­don­ner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gag­nées. Il y a aus­si des tragédies, comme cette ver­sion mix­ant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renou­vel­er et trans­former ses pre­miers essais) et l’harmoniciste, Joe Pow­ers (qui est loin d’être mon préféré). Le résul­tat est à la hau­teur de mes espérances, inaudi­ble, je com­prends votre colère.

L’élégance au tango dans les années 1900

On a un peu de mal à imag­in­er que le tan­go ait pu paraître sul­fureux au point d’être inter­dit à Buenos Aires. Cepen­dant, il y avait tout de même de bonnes raisons.
Il était dan­sé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrême­ment élé­gant, mais de pren­dre du plaisir avec une femme com­préhen­sive (même si cela la rendait mal­heureuse, comme a pu le voir hier avec Zor­ro gris qui par­lait d’une grisette dans un étab­lisse­ment de luxe). On imag­ine que dans d’autres lieux comme Lo de Tran­queli, la réal­ité était bien pire.

El Cachafaz et Car­menci­ta Calderon dans Tan­go de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozán dans le film de Manuel Romero Car­naval de Antaño.

Je par­lerai plus abon­dam­ment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bian­quet, dit el Cachafaz, au sujet de la ver­sion du tan­go El Cachafaz, dans la ver­sion de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait dif­fi­cile­ment pour élé­gante de nos jours, mais elle fai­sait l’admiration de nos aïeux et on peut regret­ter aujourd’hui une cer­taine stéril­i­sa­tion de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrou­ver les out­rances de l’époque, mais plutôt de pren­dre des petites idées, de relancer la machine à impro­vis­er.
Je ter­min­erai par cette image qui est un mon­tage que j’ai réal­isé à par­tir de pho­tos du début du vingtième siè­cle où on voit des atti­tudes un peu sur­prenantes, mais qui étaient con­sid­érées comme très chic à l’époque. Cela devait toute­fois être fait avec une cer­taine élé­gance et ne doit en aucun jus­ti­fi­er les vio­lences qu’infligent cer­tains danseurs con­tem­po­rains à leur parte­naire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de tra­vail 😉

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez

Rafael Tuegols Letra Francisco García Jiménez

Cette ver­sion de Zor­ro gris a été enreg­istrée le 22 mars 1946 par Enrique Rodriguez, il y a exacte­ment 78 ans. Sa musique attrayante cache une his­toire qui com­porte deux tragédies. Menons l’enquête.

Zorro en espagnol, c’est le renard.

Zor­ro gris, c’est donc le renard gris. Le tan­go enreg­istré par Rodriguez est une ver­sion instru­men­tale. La musique est plutôt allè­gre, il est donc facile d’imaginer un petit renard qui gam­bade. La musique explore des direc­tions opposées. Les instru­ments qui se répon­dent per­me­t­tent d’imaginer un renard fure­tant, d’un côté à l’autre.

En lunfardo, un renard…

En lun­far­do, le renard peut désign­er les manières de cer­tains, mais ce sont aus­si les agents de la cir­cu­la­tion, dénom­més ain­si à cause de la couleur grise de leur tenue.

Extrait musical

Voyons si l’écoute du tan­go du jour nous aide à en savoir plus.

Zor­ro gris 1946-03-22 — Orques­ta Enrique Rodríguez. C’est notre tan­go du jour.

Rodriguez fait une ver­sion équili­brée débar­rassée de la pesan­teur du canyengue, même si la ver­sion est rel­a­tive­ment lente, les dif­férents instru­ments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des ver­sions les plus intéres­santes, bien qu’elle soit rarement pro­posée en milon­ga par les col­lègues.

Les paroles

Avec les paroles, tout s’éclaire et prob­a­ble­ment que vos hypothès­es vont être con­tred­ites.
Cepen­dant, la musique a été écrite avant 1920 et les paroles en 1921, il se peut donc qu’une fois de plus, elles aient été plaquées sans véri­ta­ble cohérence. Fran­cis­co Gar­cía Jiménez n’a écrit les paroles que de trois des com­po­si­tions de Rafael Tue­gols, Zor­ro gris (1920–21), Lo que fuiste (1923) et Príncipe (1924). Ce n’est donc pas une asso­ci­a­tion régulière, Rafael Tue­gols ayant com­posé au moins 55 tan­gos dont on dis­pose d’un enreg­istrement (sans doute beau­coup plus).

Cuan­tas noches fatídi­cas de vicio
tus ilu­siones dul­ces de mujer,
como las rosas de una loca orgía
les desho­jaste en el cabaret.
Y tras la farsa del amor men­ti­do
al ale­jarte del Armenonville,
era el inten­so frío de tu alma
lo que abri­ga­bas con tu zor­ro gris.

Al fin­gir car­ca­jadas de gozo
ante el oro fugaz del cham­pán,
reprimías aden­tro del pecho
un deseo tenaz de llo­rar.
Y al pen­sar, entre un beso y un tan­go,
en tu humilde pasa­do feliz,
ocultabas las lágri­mas san­tas
en los pliegues de tu zor­ro gris.

Por eso toda tu angus­tiosa his­to­ria
en esa pren­da grav­i­tan­do está.
Ella guardó tus lágri­mas sagradas,
ella abrigó tu frío espir­i­tu­al.
Y cuan­do llegue en un cer­cano día
a tus dolores el ansi­a­do fin,
todo el secre­to de tu vida triste
se quedará den­tro del zor­ro gris.

Rafael Tue­gols Letra : Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Gardel change deux fois, au début et à la fin, le cou­plet en gras.

Traduction libre et explications

Com­bi­en de nuits fatidiques de vices, tes douces illu­sions de femme, comme les ros­es d’une folle orgie, les as-tu effeuil­lées au cabaret.

Et après la farce de l’amour menteur en t’éloignant de l’Armenonville, c’était le froid intense de ton âme que tu abri­tais avec ton renard gris.

En feignant des éclats de rire de joie devant l’or fugi­tif du cham­pagne, tu as réprimé dans ta poitrine un désir tenace de pleur­er. Et quand tu pen­sais, entre un bais­er et un tan­go, à ton hum­ble passé heureux, tu cachais les saintes larmes dans les replis de ton renard gris.

C’est pourquoi toute ton his­toire angois­sante gravite autour de ce vête­ment. Il a gardé tes larmes sacrées, il a abrité ton froid spir­ituel. Et quand vien­dra, un jour prochain, la fin désirée de tes douleurs, tout le secret de ta triste vie restera au cœur du renard gris.

Le Renard gris d’Argentine (Lycalopex griseus) est un petit canidé d’Amérique du Sud. Le voici en man­teau et quand ce n’est pas un man­teau.

Je vous avais annon­cé deux tragédies dans ce tan­go, la pre­mière est pour les renards gris qui ter­mi­nent en man­teaux, mais il en reste une sec­onde, que je vais pré­cis­er au sujet de l’Armenonville qui est cité dans les paroles.

L’Armenonville

Si on regarde Wikipé­dia et la plu­part des sites de tan­go, l’Armenonville est décrit comme un restau­rant chic. La réal­ité était un peu dif­férente, d’autant plus que beau­coup d’auteurs con­fondent les deux Armenonville qui se sont suc­cédés. J’en par­lerai sans doute plus en détail le 6 décem­bre, à l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement du tan­go Armenonville par son auteur, Juan Félix Maglio « Pacho » avec des paroles de José Fer­nán­dez.

L’Armenonville 1, celui qui fut détru­it en 1925 et qui était donc celui évo­qué dans Zor­ro gris et dans le tan­go du même nom dont la cou­ver­ture de la par­ti­tion représente l’entrée de l’établissement qui avait un parc

À l’époque sévis­saient la traite des blanch­es, de façon un peu arti­sanale comme le racon­tent cer­tains tan­gos comme Madame Ivonne, mais aus­si de façon plus organ­isée, notam­ment avec deux grandes fil­ières, la Varso­via (qui fut nom­mée par la suite Zwi Migdal) et le réseau mar­seil­lais. La pop­u­la­tion de Buenos Aires et de ses envi­rons était alors rel­a­tive­ment équili­brée pour les autochtones, mais déséquili­brée pour les étrangers fraîche­ment immi­grés. Jusqu’à la fin des années 1930 où l’équilibre s’est à peu près fait, il y a eu jusqu’à qua­tre fois plus d’hommes que de femmes. Je reviendrai sans doute plus en détail sur cette ques­tion, car ce déséquili­bre est une des sources du tan­go.
Pour revenir à l’Armenonville, son nom et sa struc­ture sont inspirés du bâti­ment du même nom situé dans le Bois de Boulogne à Paris, bien qu’on le décrive par­fois comme un chalet de style anglais. Il sera détru­it en 1925 et un autre étab­lisse­ment du même nom (qui chang­era de nom pour Les Ambas­sadeurs, autre référence à la France) s’ouvrira avec des pro­por­tions bien plus grandes, nous en repar­lerons au sujet du tan­go qui l’a pris pour titre.
Pour ceux qui pour­raient s’étonner qu’un étab­lisse­ment de Buenos Aires prenne un nom français, je rap­pellerai que la France à la fin du XIXe siè­cle était le troisième pays en nom­bre d’immigrés, un peu der­rière l’Espagne et l’Italie. Ce n’est que vers 1914 que l’immigration française a cessé d’être impor­tante, même si son influ­ence est restée notable jusqu’en 1939 et bien au-delà dans le domaine du tan­go.

Le zorro gris, la seconde tragédie promise

L’Armenonville était un étab­lisse­ment de luxe, mais il avait des activ­ités sec­ondaires pour cette clien­tèle hup­pée. La pos­sesseuse du man­teau en Renard gris masquait sa tristesse dans les plis de son vête­ment. Sa détresse s’exprimait lorsqu’elle quit­tait l’établissement. Si elle avait été une cliente for­tunée allant danser et boire du cham­pagne, on n’en aurait sans doute pas fait un tan­go. Elle était donc hon­teuse de ce qu’elle devait faire, c’est la sec­onde tragédie que partage avec elle son man­teau de renard.

Autres versions

Zor­ro gris a don­né lieu à d’innombrables ver­sions. Je vous en pro­pose ici quelques-unes.

Zor­ro gris 1920 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Un enreg­istrement acous­tique et de faible qual­ité sonore, mais le témoignage le plus ancien de ce tan­go.

Zor­ro gris 1921 — Car­los Gardel accom­pa­g­né à la gui­tare par Guiller­mo Bar­bi­eri et José Ricar­do.

Là encore la presta­tion souf­fre de la piètre qual­ité de l’enregistrement acous­tique, mais c’est le plus ancien enreg­istrement avec les paroles de Jiménez. Gardel chante deux fois le pre­mier cou­plet (en gras dans les paroles ci-dessus).

Zor­ro gris 1927-07-16 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Un enreg­istrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orches­tra­tion plus douce et des fior­i­t­ures. Il y a égale­ment des nuances et les répons­es entre instru­ments sont con­trastées.

Zor­ro gris 1938-04-21 — Quin­te­to Don Pan­cho dirigé par Fran­cis­co Canaro.

Ver­sion tonique, sans doute un peu répéti­tive, mais rien d’excessif pour un titre de la Vie­ja Guardia. Son esprit est très dif­férent de la ver­sion de 1927. À mon avis, ce n’est pas la ver­sion la plus agréable à danser, trop anec­do­tique, même si elle reste pass­able elle ne sera pas mon pre­mier choix si je dois pass­er ce titre.

Zor­ro gris 1941-07-28 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une ver­sion enjouée avec un tem­po très rapi­de, sans doute un peu trop rapi­de, car cela brouille le dia­logue entre les instru­ments qui est un des élé­ments intéres­sants de la struc­ture de ce tan­go, mieux mis en valeur dans la ver­sion de 1927. Cer­tains pas­sages sont même franche­ment pré­cip­ités.

Zor­ro gris 1946-03-22 — Orques­ta Enrique Rodríguez.

C’est notre tan­go du jour. Rodriguez fait une ver­sion équili­brée débar­rassée de la pesan­teur du canyengue, même si la ver­sion est rel­a­tive­ment lente, les dif­férents instru­ments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des ver­sions les plus intéres­santes, bien qu’elle soit rarement pro­posée en milon­ga par les col­lègues.

Zor­ro gris 1952-07-01 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Oscar Lar­ro­ca..

J’adore la voix de Lar­ro­ca, mais le rythme un peu rapi­de me sem­ble moins agréable que d’autres inter­pré­ta­tions de ce chanteur.

Zor­ro gris 1954-04-28 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Car­los Roldán.

Ce titre a eu aus­si son suc­cès en Uruguay (Canaro est orig­ine d’Uruguay), mais avec Rac­ciat­ti, on est encore plus au cœur de l’Uruguay. Roldán pro­pose ici une des rares ver­sions chan­tées et elle est rel­a­tive­ment intéres­sante et rarement jouée.

Zor­ro gris 1957-01-31 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion bien dans l’esprit de ce quin­tette avec Luis Ric­car­di (à moins que ce soit Mar­i­ano Mores), le pianiste en forme et un solo de flûte de Juven­cio Físi­ca très sym­pa­thique.

Zor­ro gris 1973-12-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Un des derniers enreg­istrements de D’Arienzo, comme la plu­part de ceux de cette époque, très flat­teur pour le con­cert, mais sans doute un peu trop grandil­o­quent et anar­chique pour la danse de qual­ité. Cepen­dant, cet enreg­istrement pour­ra avoir son suc­cès dans cer­taines milon­gas.

Zor­ro gris 1985 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Encore un enreg­istrement uruguayen dans le style bien recon­naiss­able de Vil­las­boas, mais sans l’accentuation du style canyengue qui est sou­vent sa mar­que. Cet enreg­istrement nous pro­pose un tan­go assez joueur, même si on peut le trou­ver un peu répéti­tif.

Zor­ro gris 2009 — La Tuba Tan­go.

On revient canyengue du début, mais de façon légère et en retrou­vant les fan­taisies qui avaient fait le charme de la ver­sion de 1927 par Lomu­to. Cette ver­sion fait com­plète­ment les tragédies de ce tan­go et peut donc être la source de pen­sées joyeuses qui se dansent.

Zor­ro gris.

Olvidao 1932-03-21 — Orquesta Francisco Canaro

Guillermo Barbieri Letra Enrique Cadícamo

Olvi­dao, le titre du tan­go du jour peut paraître éton­nant à pre­mière vue, voire à sec­onde vue. Je vais alors vous dévoil­er ses secrets. Olvi­dao a été enreg­istré par Canaro il y a exacte­ment 92 ans.

Le parlé lunfardo

Olvi­dao est la forme « con­trac­tée » d’olvidado. Dans la pronon­ci­a­tion faubouri­enne des pre­miers temps du tan­go, les chanteurs out­re l’emploi du lun­far­do chan­taient avec ce type de pronon­ci­a­tion défor­mée.

 Un des plus forts exem­ples de ce type est celui que j’ai évo­qué dans l’article sur Lo de Lau­ra en citant la retran­scrip­tion de l’ethnologue Eduar­do Bar­beris repro­duisant le texte d’un tan­go « La Pishu­ca — El baile en lo de Tran­queli).

Les tan­gos ayant sou­vent été chan­tés d’une façon plus élé­gante par la suite, en général, je tran­scris les paroles en bon espag­nol, donc sans les flex­ions défectueuses.
Là, le titre étant figé en olvi­dao, je le laisse ain­si, mais il faut bien sûr com­pren­dre « olvi­da­do » (oublié).

Extrait musical

Olvi­dao 1932-03-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Tan­go instru­men­tal. Le drame de l’histoire n’est pas sen­si­ble. C’est un bon tan­go de danse pour une tan­da de la vieille garde.

Les paroles

Il s’agit d’une ver­sión instru­men­tale qui ne laisse pas devin­er la tragédie sous-jacente. Cepen­dant, les paroles expliquent le titre du tan­go. Voici la ver­sion orig­i­nale, celle écrite par Cadicamó.

PARTE I
Lo mataron al pobre Con­tr­eras,
Recién los casa­ban!… Si es para no creer!
Un luz mala, saltó la tran­quera
Y vino a bus­car­le su propia mujer…
Fue en el patio e’ la estancia «La Haz­a­ña»
La fies­ta e’ los novios era un explen­dor, (esplen­dor)…
Mas de pron­to dos dagas hicieron
De aque­l­la ale­gría un cuadro e’ dolor…
RECITADO
Mató al despecha­do
y heri­do de muerte,
el recién casa­do,
En san­gre baña­do,
Habló de esta suerte
PARTE II
No es nada mi gaucha…
No te asustés, vida…
A los dos, pelian­do,
Se nos fué el facón…
Me viene gol­pe­an­do
Un vien­ti­to hela­do
Aqui… de este lado
En el corazón…
Lle­vame unas flo­res,
Anda a vis­i­tarme,
La tier­ra es muy fría
Pa estar olvi­dao…
Adio­sioto gaucha
Te estaré esperan­do!…
Me voy apa­gan­do
De puro finao!…

PARTE I (BIS)
Al prin­ci­pio fué pura prome­sa
La viu­da llora­ba sin dun­da demás…
Mas después se le jué (fue) la tris­teza.
Y a su pobre gau­cho no lo jué (fue) a ver más,.
Con razón que en la noches e’ tor­men­ta
Se siente patente la voz del finao (fina­do)
Que la lla­ma dicien­do: “Lucin­da !”
‘Estoy muy soli­to’… ‘Llé­gate a mi lao (lado)’…

Guiller­mo Bar­bi­eri Letra Enrique Cadí­camo

En rouge, ce qui est chan­té par Char­lo dans la pre­mière ver­sion enreg­istrée.

Traduction libre et explications

PREMIÈRE PARTIE
Ils ont tué le pau­vre Con­tr­eras,
Ils venaient de le mari­er, et c’est incroy­able, un gars (luz en lun­far­do peut être un homme rapi­de) malé­fique sauta le por­tillon, et vint le dérober à sa pro­pre femme.
C’était dans la cour du ranch « La Haz­a­ña ».
La fête où étaient les mar­iés était une splen­deur,
Mais tout à coup deux poignards firent de cette joie une image d’horreur.
REFRAIN
Il tua le vau­rien
Et mortelle­ment blessé, le jeune mar­ié baig­nant dans le sang par­la de cette chance.
SECONDE PARTIE
Ce n’est rien ma gaucha, ne t’inquiète pas ma vie,
En nous bat­tant con­tre les deux, nous avons per­du le poignard
Il me vient en frap­pant, un petit vent glacial, ici, de ce côté, dans le cœur.
Apporte-moi des fleurs, viens me ren­dre vis­ite, la terre est trop froide pour être oublié.
Adieux ma gaucha, je t’attendrai, je m’éteins, pur défunt.
PREMIÈRE PARTIE (BIS)
Au début, c’était une promesse pure
La veuve pleu­ra sans doute de trop…
Mais ensuite, la tristesse se fut
Et elle n’alla plus voir son pau­vre gau­cho.
C’est pour cela que dans les nuits d’orage,
on entend claire­ment la voix du défunt, qui l’appelle en dis­ant : « Lucin­da, je suis très seul, viens à mon côté »…
Je pense main­tenant que vous savez pourquoi ce tan­go s’appelle Olvi­dao (Olvi­da­do), c’est à dire oublié).

La partition

Autres versions

Olvi­dao 1932-03-18 — Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Char­lo.

Trois jours avant l’enregistrement par Canaro. Beau­coup de dif­férences dans le style. La musique est plus légère, je trou­ve plus élé­gante. Char­lo chante un cou­plet (en rouge dans les paroles, ci-dessus). Même si ce pas­sage par­le de la mort, le tan­go reste tout à fait dans l’élégance de la danse et son final enjoué (la veuve joyeuse, sans doute), fait que l’on ter­mine la danse dans de bonnes con­di­tions.

Olvi­dao 1932-03-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Tan­go instru­men­tal.

Le drame de l’histoire n’est pas sen­si­ble. C’est un bon tan­go de danse pour une tan­da de la vieille garde.
Char­lo dans le film Puer­to nue­vo de Mario Sof­fi­ci y Luis Cesar Amador en 1935 ou 1936.

Olvi­dao 1941-07-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Rey­nal.

Rey­nal chante presque toutes les paroles avec quelques vari­antes de détail qui ne changent pas le sens de l’histoire. L’énergie de D’Arienzo fait oubli­er le trag­ique de l’histoire. N’oublions pas qu’un grand nom­bre de danseurs his­panophones ne tien­nent pas compte des paroles quand ils dansent. La lec­ture des textes de tan­go peut génér­er des pen­sées tristes, mais pas pour la danse quand c’est D’Arienzo qui mène la danse.

Olvi­dao 1952 — Edmun­do Rivero con gui­tar­ras.

Avec Rivero, une ver­sion chan­son qui béné­fi­cie de l’expressivité de Rivero qui rend le trag­ique de l’histoire.

Olvi­dao 1953-02-03 — Julio Sosa con la Orques­ta Franci­ni-Pon­tier. Une autre ver­sion chan­son par el Varon del tan­go.
Olvi­dao 1953-08-05 — Juan Car­los Cobos Con la Orques­ta Osval­do Pugliese. Pour ter­min­er, cette autre ver­sion en chan­son que cer­tains pour­raient réclamer de danser. Pffff, écoutez-là, mais ne dansez pas SVP.

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argen­tine pour l’Europe. La coïn­ci­dence de date fait, que je me devais le choisir comme tan­go du jour. Il y a un siè­cle, les musi­ciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notam­ment à Paris, les portes du suc­cès. Un détail amu­sant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Com­par­si­ta et Fer­nan­do Sil­va Valdès…

Cor­re­spon­dance de date. Cette anec­dote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voy­age entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me per­me­t­tra d’animer quelques milon­gas et je ren­tr­erai à Buenos Aires, fin avril.

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nom­breux sujets. Pas ques­tion de les traiter tous. Je liq­uide rapi­de­ment celui de l’histoire con­tée dans ce tan­go, d’autant plus que cette ver­sion est instru­men­tale. C’est un gars de la cam­pagne qui s’est fait vol­er sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quit­tant l’Argentine « Adios Argenti­na ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on con­naît la nos­tal­gie des orig­i­naires de la Province de l’Est (voir par exem­ple, Feli­cia écrit par Car­los Mauri­cio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imag­in­er qu’il va en Europe. Il dit dans la chan­son qu’il cherche d’autres ter­res, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est com­mun, quoique d’aspect dif­férent sur les deux dra­peaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siè­cle jusqu’en 1939 a vu de nom­breux musi­ciens et chanteurs argentins venir ten­ter leur chance en Europe.
Par­mi eux, en vrac :
Alfre­do Euse­bio Gob­bi et sa femme Flo­ra Rodriguez, Ángel Vil­lol­do, Eduar­do Aro­las, Enrique Sabori­do, Eduar­do Bian­co, Juan Bautista Deam­brog­gio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Car­los Gardel, Vicente Lod­u­ca, Manuel Pizarro, José Ricar­do, José Raz­zano, Mario Melfi, Víc­tor Lomu­to, Genaro Espósi­to, Celesti­no Fer­rer, Eduar­do Mon­e­los, Hora­cio Pet­torossi…
La liste est inter­minable, je vous en fais grâce, mais nous en par­lerons tout au long des anec­dotes de tan­go. Sachez seule­ment que, selon l’excellent site « La Bible tan­go », 345 orchestres ont été réper­toriés, chaque orchestre comp­tant plusieurs musi­ciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de nais­sance, ils ont don­né dans la mode « Tan­go ». Pour en savoir plus, vous pou­vez con­sul­ter l’excellent site de Dominique Lescar­ret (dit el Inge­niero « Une his­toire du tan­go »)

Vous remar­querez que l’orchestre de Bian­co et Bachi­ta est vêtu en cos­tume de Gau­cho et qu’ils por­tent la fameuse bom­bacha, bom­bacha offerte par la France à l’Ar­gen­tine… En effet, le syn­di­cat des musi­ciens français oblig­eait les artistes étrangers porter un cos­tume tra­di­tion­nel de leur pays pour se dis­tinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On con­naît tous la tenue tra­di­tion­nelle des gau­chos, avec la culotte ample, nom­mée bom­bacha. Ce vête­ment est par­ti­c­ulière­ment pra­tique pour tra­vailler, car il laisse de la lib­erté de mou­ve­ment, même s’il est réal­isé avec une étoffe qui n’est pas élas­tique.
Cepen­dant, ce qui est peut-être moins con­nu c’est que l’origine de ce vête­ment est prob­a­ble­ment française, du moins indi­recte­ment.
En France mét­ro­pol­i­taine, se por­taient, dans cer­taines régions, comme la Bre­tagne, des braies très larges (bragou-braz en bre­ton).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditer­ranée, ce pan­talon était aus­si très util­isé. Par exem­ple, par les janis­saires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désas­treuse guerre de Crimée en provo­quant la mort de 800 000 sol­dats a égale­ment libéré des stocks impor­tants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont qua­tre rég­i­ments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrou­vé à la tête d’un stock de près de 100 000 uni­formes com­por­tant des « babuchas », ce pan­talon ample. Il déci­da de les offrir à Urquiza, alors prési­dent de la fédéra­tion argen­tine. Les Argentins ont alors adop­té les babuchas qu’ils réformeront en bom­bachas.
En guise de con­clu­sion et pour être com­plet, sig­nalons que cer­taines per­son­nes dis­ent que le pan­talon albicéleste d’Obélix, ce fameux per­son­nage René Goscin­ny et Albert Uder­zo est en fait une bom­bacha et que c’est donc une influ­ence argen­tine. Goscin­ny a effec­tive­ment vécu dans son enfance et son ado­les­cence en Argen­tine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc cer­taine­ment croisé des bom­bachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus cer­tain, c’est qu’il a con­nu les ban­des alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur dra­peau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscin­ny ait influ­encé Uder­zo sur le choix des couleurs du pan­talon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volon­té de lui faire porter un cos­tume tra­di­tion­nel, qu’il soit argentin ou bre­ton… Et si vrai­ment on devait retenir le fait que son pan­talon est une bom­bacha, alors, il serait plus logique de con­sid­ér­er que c’est un bragou-braz, par Tou­tatis, d’autant plus que les Gaulois por­taient des pan­talons amples (braies) ser­rés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argenti­na 1930-03-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Les paroles

Tier­ra gen­erosa,
en mi des­pe­di­da
te dejo la vida
tem­b­lan­do en mi adiós.
Me voy para siem­pre
como un emi­grante
bus­can­do otras tier­ras,
bus­can­do otro sol.
Es hon­do y es triste
y es cosa que mata
dejar en la plan­ta
mar­chi­ta la flor.
Pam­per­os sucios
ajaron mi chi­na,
adiós, Argenti­na,
te dejo mi amor.

Mi alma
pren­di­da esta­ba a la de ella
por lazos
que mi car­iño puro tren­zó,
y el gau­cho,
que es varón y es altane­ro,
de un tirón los reven­tó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hom­bre
su per­fume ya dejó?

Lle­vo la gui­tar­ra
hem­bra como ella;
como ella tiene
cin­tas de col­or,
y al pasar mis manos
rozan­do sus cur­vas
cer­raré los ojos
pen­san­do en mi amor.
Adiós, viejo ran­cho,
que nos cobi­jaste
cuan­do por las tardes
a ver­la iba yo.
Ya nada que­da
de tan­ta ale­gría.
Adiós Argenti­na,
ven­ci­do me voy.

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra: Fer­nan­do Sil­va Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie trem­blante dans mes adieux. Je pars pour tou­jours comme un émi­gré à la recherche d’autres ter­res, à la recherche d’un autre soleil. C’est pro­fond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laiss­er la fleur sur la plante fanée. Les sales pam­per­os ont sali ma chérie, au revoir, Argen­tine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affec­tion tres­sait, et le gau­cho, qui est homme et hau­tain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà lais­sé son par­fum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma gui­tare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans col­orés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fer­merai les yeux en pen­sant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abri­tais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argen­tine, vain­cu, je pars.

J’ai lais­sé le terme « Pam­per­os » dans sa forme orig­i­nale, car il peut y avoir dif­férents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pam­pa, vu ce qu’ils ont fait à sa chi­na (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pam­pero est aus­si un vent vio­lent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pour­rait faire du mal à une fleur. Dans un autre tan­go, Pam­pero de 1935 com­posé par Osval­do Frese­do avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pam­pero (le vent) donne des gifles aux gau­chos.

¡Pam­pero!
¡Vien­to macho y altane­ro
que le enseñaste al gau­cho
golpeán­dole en la cara
a lev­an­tarse el ala del som­brero!

Pam­pero 1935-02-15 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray (Osval­do Frese­do Letra: Edmun­do Bianchi)

Pam­pero, vent macho et hau­tain qui a appris au gau­cho en le giflant à la face à lever les ailes de son cha­peau (à saluer).

Le terme de Pam­pero était donc dans l’air du temps et je trou­ve que l’hypothèse d’un quel­conque mal­otru de la Pam­pa fait un bon can­di­dat, en tout cas meilleur que le com­pagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quin­ter­no, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son com­pagnon qu’en 1936, 8 ans après la créa­tion de la BD et donc trop tard pour ce tan­go. Mais de toute façon, je n’y croy­ais pas.

Autres versions

D’autre ver­sions, notam­ment chan­tées, pour vous per­me­t­tre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enreg­istré ce titre dans les années 1930 étaient tous fam­i­liers de la France. C’est dans ce pays que le tan­go s’est acheté une « con­duite » et qu’il s’est ain­si ouvert les portes de la meilleure société argen­tine, puis d’une impor­tante par­tie de sa com­mu­nauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siè­cle.

Adiós Argenti­na 1930-03-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.
Adiós Argenti­na 1930 — Ali­na De Sil­va accom­pa­g­née par l’Orchestre argentin El Mori­to. Voir ci-dessous un texte très élo­gieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argenti­na 1930-07-18 — Alber­to Vila con con­jun­to
Adiós Argenti­na 1930-12-03 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro
Adiós Argenti­na 1930-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Fal­cón, Fran­cis­co Canaro enreg­istre une ver­sion instru­men­tale.
Adiós Argenti­na 1930-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Il s’agit du même disque que le précé­dent, mais lu sur un gramo­phone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les util­isa­teurs de l’époque… La com­para­i­son est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont env­i­ron réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la dif­férence.
Adiós Argenti­na 2001-06 — Orques­ta Matos Rodríguez (Orques­ta La Cumpar­si­ta). Une sym­pa­thique ver­sión par cet orchestre à la gloire du com­pos­i­teur uruguyane, autour de la musique du tan­go du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons con­nue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immé­di­ate­ment et juste­ment remar­qué, réu­nit les éloges unanimes de la cri­tique.
Elle s’est imposée main­tenant dans la pléi­ade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incom­pa­ra­ble, elle est habitée d’une pas­sion frémis­sante, qu’elle sait courber à sa fan­taisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre con­frère Louis-Léon Mar­tin a écrit, ce nous sem­ble, des phras­es défini­tives :
“Ali­na de Sil­va chante et avec quel art. Elle demeure immo­bile et l’émotion naît des seules index­ions de son vis­age et des mod­u­la­tions de sa voix. Elle pos­sède cette ver­tu extra­or­di­naire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volon­taire, soumise et impérieuse, capi­teuse, pas­sion­née, mais jamais je ne I’avais enten­due s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoi­sons. Ali­na de Sil­va joue de sa voix comme les danseuses, ses com­pa­tri­otes, de leurs reins émou­vants et flex­i­bles. Elle sub­jugue…”
Deux ans ont suf­fi à Mlle Ali­na de Sil­va pour con­quérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle péné­tra dans la cap­i­tale.
La petite chanteuse argen­tine est dev­enue main­tenant une » étoile » digne de fig­ur­er à côté des plus écla­tantes.
Il est des émo­tions qui ne trompent pas. Celles que con­tin­ue à nous don­ner Ali­na de Sil­va accrois­sent notre cer­ti­tude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

Et ce n’est qu’un des nom­breux arti­cles dithyra­m­biques qui salu­ent la folie du tan­go en France à la belle époque des années folles.

A. B. ? La Rampe du pre­mier décem­bre 1929

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bien­tôt atter­rir à Madrid, c’est mer­veilleux de faire en si peu d’heures le long tra­jet qu’ont effec­tué en bateau tant de musi­ciens argentins pour venir semer le tan­go en Europe. Je vais essay­er, lors de cette tournée européenne, de faire sen­tir l’âme de notre tan­go à tous les danseurs qui auront la gen­til­lesse de danser sur mes propo­si­tions musi­cales.
À très bien­tôt les amis !

Rosa de Fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto Aguirre

Manuel Jovés Letra : Antonio Viergol

Rosa de Fuego, la Rose de Feu, comme ils l’appellent. Quelle his­toire se cache der­rière ce titre énig­ma­tique ? Pour le décou­vrir, écou­tons la musique de Manuel Jovés et les paroles spec­tac­u­laires d’Antonio Vier­gol. La pre­mière ver­sion enreg­istrée de ce tan­go a un siè­cle, mais la ver­sion du jour a été ressus­citée il y a seule­ment 67 ans, jour pour jour.

Il est sou­vent con­seil­lé de déclar­er sa flamme avec des fleurs, mais par­fois, la rose la plus flam­boy­ante peut ne pas suf­fire. Nous allons plonger dans une ambiance mys­térieuse et avec une musique qui va sans doute en éton­ner plus d’un quand ils vont se ren­dre compte qu’il s’agit de Dona­to. Les plus éton­nés seront sans doute ceux qui oublient que les grands orchestres ont été act­ifs pen­dant plusieurs décen­nies et que donc, ils ont suivi les modes de l’époque.
Nous ver­rons égale­ment trois autres ver­sions. La plus anci­enne, enreg­istrée il y a donc un siè­cle par Juan Puli­do. Les deux ver­sions le plus récentes sont chan­tées par le même chanteur, Héc­tor de Rosas, au nom prédes­tiné pour ce titre. Ses enreg­istrements sont dis­tants de sept ans seule­ment, mais la plus grosse dif­férence vient des orchestres de Rober­to Caló et José Bas­so qui abor­dent le thème de façon très dif­férente.
Mais pour l’instant, intéres­sons-nous à notre tan­go du jour enreg­istré par Edgar­do Dona­to et Alber­to Aguirre, le 19 mars 1957.

Extrait musical

Rosa de fuego 1957-03-19 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Alber­to Aguirre

Les paroles

Rosa de Fuego, los hom­bres la llam­a­ban
Porque sus labios quema­ban al besar,
Y eran sus ojos dos ascuas que abrasa­ban
Y era un peli­gro su amor ambi­cionar.
Cuan­tos lograron, por ella ser mira­dos
Y de sus labios bebieron el plac­er,
Todos quedaron como car­boniza­dos
Entre los bra­zos de tan bel­la mujer…

Rosa de Fuego, feliz vivía
Rosa de Fuego, se divertía,
Has­ta tenía vanidad
De su dia­bóli­ca mal­dad…
Rosa de Fuego, los arru­in­a­ba
Rosa de Fuego, los cal­cin­a­ba,
Y al ver sus víc­ti­mas caer…
Se reía la mujer…

Mas cier­to día, cruzóse en su camino
Un hom­bre frío, de hielo el corazón,
Rosa de Fuego luchó con­tra su sino
E inútil­mente jugó con su pasión.
El hom­bre aquel, de san­gre de ser­pi­ente
De su mira­da, el fuego resis­tió,
Y de sus labios aquel beso can­dente
Se dom­ina­ba y escla­va se encon­tró…

Rosa de Fuego, ya no reía
Rosa de Fuego, se con­sumía,
Se le abrasa­ba el corazón
En el vol­cán de su pasión.
Y el hom­bre frío, la des­pre­cia­ba
Y el hom­bre frío, la mal­trata­ba,
Rosa de Fuego aún al morir…
Lo sen­tía reír…

Manuel Jovés Letra : Anto­nio Vier­gol

Traduction libre

Rosa de Fuego (Rose de Feu) ain­si les hommes l’appelaient
Car ses lèvres brûlaient quand elle embras­sait,
Et ses yeux étaient deux brais­es qui cal­ci­naient
Et c’était un péril de con­voiter son amour.
Com­bi­en réus­sirent à être regardés par elle
Et qui de ses lèvres burent le plaisir,
Tous restèrent car­bon­isés
Dans les bras d’une si belle femme…

Rosa de Fuego vivait heureuse
Rosa de Fuego s’amusait,
Elle tirait même de la van­ité
De sa méchanceté dia­bolique…
Rosa de Fuego les a détru­its
Rosa de Fuego, elle les a brûlés,
Et à voir ses vic­times tomber…
La femme riait…

Mais un jour, croisa son chemin
Un homme froid, au cœur de glace.
Rosa de Fuego s’est battue con­tre son des­tin
Et joua en vain de sa pas­sion.
Cet homme, au sang du ser­pent
Résis­tait à son regard et à son feu,
Et de ses lèvres au bais­er incan­des­cent
Fut dom­iné et elle s’est retrou­vée esclave…

Rosa de Fuego désor­mais ne riait plus
Rosa de Fuego, se con­sumait,
Son cœur brûlait
Au vol­can de sa pas­sion.
Et l’homme froid la mépri­sait
Et l’homme froid la mal­traitait,
Rosa de Fuego au moment de mourir…
Le sen­tit rire…

Autres versions

Rosa de fuego 1924 — Orques­ta Juan Puli­do. Colum­bia No.2186‑X, Matrice 93859. Un enreg­istrement acous­tique, mais de bonne qual­ité
Rosa de fuego 1957-03-19 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Alber­to Aguirre
Rosa de fuego 1957-06-19 — Orques­ta Rober­to Caló con Héc­tor De Rosas

Héc­tor de Rosas enreg­istre de nou­veau le titre, sept ans plus tard avec un autre orchestre pour une ver­sion bien dif­férente.

Rosa de fuego 1964 — Orques­ta José Bas­so con Héc­tor de Rosas. Héc­tor de Rosas
J’ai peut-être un peu for­cé le trait, l’homme de glace jette vrai­ment un froid.

Madame Ivonne (Madame Yvonne) 1942-03-18 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivonne, est l’histoire d’une vie résumée en trois min­utes. Comme Made­moi­selle Yvonne, des mil­liers de jeunes femmes ont vécu l’illusion de l’amour et ont rêvé de la Croix du Sud, Croix sur laque­lle, nom­bre d’entre elles ont été clouées par la tristesse. Je vous invite à décou­vrir la ver­sion de Tan­turi et Castil­lo, mais aus­si d’autres ver­sions pleines d’émotion. Pré­parez votre mou­choir.

Le phénomène de la traite des blanch­es est aujourd’hui bien doc­u­men­té. Des Argentins peu scrupuleux sédui­saient de belles Français­es et leur fai­saient miroi­ter les charmes de l’Argentine, qui à l’époque n’était un par­adis que pour les plus rich­es.
Sur les ailes de l’amour, ou plus prosaïque­ment sur des bateaux, comme le vapeur Don Pedro qui con­duisit Charles Gardes et sa mère à Buenos Aires, les belles énamourées effec­tu­aient la tra­ver­sée et on con­naît la suite de l’histoire, très peu vécurent le rêve, la majorité se retrou­ve dans les maisons comme Lo de Lau­ra ou sont lavandières ou femmes de peine. Les paroles nous en appren­dront plus sur la des­tinée de Made­moi­selle Yvonne, dev­enue Madame Ivonne.

Extrait musical

Madame Ivonne 1942-03-18 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo

Made­moi­selle Ivonne era una pebe­ta
que en el bar­rio pos­ta del viejo Mont­martre
con su pin­ta bra­va de ale­gre grise­ta,
ani­mo las fies­tas de Les Qua­tre Arts.

Era la papusa del Bar­rio Lati­no,
que supo a los pun­tos del ver­so inspi­rar,
pero fue que un día llego un argenti­no
y a la france­si­ta la hizo sus­pi­rar.

Madame Ivonne…
la Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne…
fue como el sino de tu suerte.

Alon­dra gris,
tu dolor me con­mueve ;
tu pena es de nieve,
Madame Ivonne…

Eduar­do Pereyra Letra : Enrique Domin­go Cadí­camo

Madame Ivone, version de Julio Sosa

La ver­sion chan­tée par Julio Sosa est légère­ment dif­férente, mais surtout plus com­plète, il me sem­ble donc intéres­sant d’avoir les com­plé­ments de l’histoire.
Julio Sosa com­mence par un réc­i­tatif qui place l’histoire, puis chante la total­ité des cou­plets.
Ce qui est en gras est chan­té, le début est seule­ment par­lé sur la musique. C’est une ver­sion qui donne la chair de poule. Je ne la pro­poserais pas à la danse, mais quelle émo­tion !

Madame Ivonne 1962-11-08 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Julio Sosa

Ivonne
Yo te conocí allá en el viejo Mont­martre
Cuan­do el cas­ca­bel de pla­ta de tu risa
Era un refu­gio para nues­tra bohemia
Y tu can­san­cio y tu ane­mia
No se dibu­ja­ban aún detrás de tus ojeras vio­le­tas

Yo te conocí cuan­do el amor te ilu­mina­ba por den­tro
Y te adore de lejos sin que lo supieras
Y sin pen­sar que con­fesán­dote este amor podía haberte sal­va­do
Te conocí cuan­do era yo un estu­di­ante de bol­sil­los fla­cos
Y el Paris noc­turno de entonces
Lan­z­a­ba al espa­cio en una cas­ca­da de luces
El efímero reina­do de tu nom­bre
Made­moi­selle Ivonne

Made­moi­selle Ivonne era una pebe­ta
Que en el bar­rio pos­ta del viejo Mont­martre
Con su pin­ta bra­va de ale­gre grise­ta
Ale­gró la fies­tas de aquel Boule­vard
Era la papusa del bar­rio lati­no
Que supo a los pun­tos del ver­so inspi­rar
Has­ta que un buen día cayó un argenti­no
Y a la france­si­ta la hizo sus­pi­rar

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alon­dra gris
Tu dolor me con­mueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Han pasa­do diez años que zarpó de Fran­cia
Made­moi­selle Ivonne hoy es solo Madame
La que al ver que todo quedó en la dis­tan­cia
Con ojos muy tristes bebe su cham­pán
Ya no es la papusa del bar­rio lati­no
Ya no es la mis­ton­ga florci­ta de lis
Ya nada le que­da, ni aquel argenti­no
Que entre tan­go y mate la alzó de París

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alon­dra gris
Tu dolor me con­mueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Ya no es la papusa del bar­rio lati­no
Ya no es la mis­ton­ga florci­ta de lis
Ya nada le que­da, ni aquel argenti­no
Que entre tan­go y mate la alzó de París

Eduar­do Pereyra Letra : Enrique Domin­go Cadí­camo

Main­tenant que vous con­nais­sez par­faite­ment le thème, je vous pro­pose de voir Julio Sosa chanter le thème. Les glos­es ini­tiales sont réduites et dif­férentes. Comme elles n’apportent rien de plus à ce que nous avons déjà enten­du, je vous pro­pose de démar­rer la vidéo au début de la chan­son, mais si vous êtes curieux, vous pou­vez voir la vidéo depuis le début.

Julio Sosa chante Madame Ivonne à la télévi­sion.

Traduction libre et explication de texte…

Comme d’habitude, je fais une tra­duc­tion des­tinée prin­ci­pale­ment à décel­er les clefs secrètes, sans soucis de livr­er une œuvre poé­tique de la qual­ité de l’original.
Pour faciliter la lec­ture, j’indique en bleu les com­men­taires au milieu du texte.
Le début est réc­ité sur la musique, mais pas chan­té.

Yvonne (Yvonne en français, Ivonne en argentin. Le titre est con­nu sous les deux formes du prénom, mais il s’agit bien sûr du même). Je réserve Yvonne à la par­tie française, quand elle est jeune et Ivonne à la par­tie argen­tine.
Je t’ai ren­con­trée dans le vieux Mont­martre, quand la cloche d’argent de ton rire était un refuge pour notre bohème. Ta fatigue et ton anémie n’étaient pas encore apparues der­rière tes cernes vio­lets. (Pre­miers signes que tout ne va pas pour le mieux pour Ivonne).
Je t’ai con­nue quand l’amour t’illuminait de l’intérieur, et je t’adorais de loin, sans que tu le sach­es et sans penser qu’en te con­fes­sant cet amour, j’aurais pu te sauver. C’est la même his­toire que celle de Susu con­tée dans Bajo el cono azul.
Je t’ai ren­con­trée quand j’étais étu­di­ant aux poches plates (fauché, sans le sou) et le Paris de la nuit de l’époque envoy­ait dans l’espace en une cas­cade de lumières le règne éphémère de ton prénom, Made­moi­selle Ivonne

Com­mence ici la par­tie chan­tée.

Made­moi­selle Yvonne était une poupée (pépète, jeune femme) qui, dans le quarti­er dit du vieux Mont­martre (quarti­er pop­u­laire de Paris, accueil­lant de nom­breux artistes), de son air courageux de grisette (cou­turière, lavandière, femme mod­este, habil­lée de gris. Elle se dif­féren­cie de la Lorette qui elle fait plutôt pro­fes­sion de ses charmes) joyeuse égayait les fes­tiv­ités de ce boule­vard (le boule­vard Mont­martre).
Elle était la Papusa du Quarti­er latin (Papusa, une jolie fille. Quarti­er étu­di­ant de Paris, elle devait faire tourn­er les cœurs des jeunes gens) qui savait sus­citer des poèmes, jusqu’à ce qu’un beau jour un Argentin tombât et fit soupir­er la petite Française.
Madame Ivonne
La Croix du Sud fut comme un signe.
Madame Ivonne. C’était comme le signe de ta chance.
Alou­ette grise (La alon­dra est un oiseau mati­nal. On don­nait ce surnom à ceux qui se lev­aient tôt et se couchaient tôt, Yvonne était donc une tra­vailleuse hon­nête).
Ta douleur m’émeut, ton cha­grin est de neige (il peut s’agir d’une vision poé­tique, mais plus sûre­ment de la cocaïne qui se désigne par « nieve » en lun­far­do. Ces deux indi­ca­tions la référence à l’alouette du passé et à la cocaïne d’aujourd’hui, con­tent en deux phras­es toute l’histoire).
Madame Ivonne
Cela fait dix ans que Made­moi­selle a quit­té la France. Aujourd’hui c’est seule­ment Madame. Comme beau­coup de Français­es dans son cas, elle a dû devenir gérante d’un bor­del et acquérir le « titre » de Madame. celle à qui tout paraît loin­tain (elle se dés­in­téresse de ce qui se passe autour d’elle), avec ses yeux très tristes, elle boit son cham­pagne (cela con­firme qu’elle doit être la chef de la mai­son close. Il ne s’agit pas de véri­ta­ble Cham­pagne, encore aujourd’hui, les Argentins nom­ment ain­si les vins mousseux, ce qui énerve les vitic­ul­teurs français. Ils font de même avec le Roque­fort…).
Elle n’est plus la Papusa du Quarti­er latin, elle n’est plus la fleur de lys fauchée (Mis­ton­ga en lun­far­do est pau­vre. Je trou­ve que fauch­er la fleur de lys, c’est une belle image. Le lys est un sym­bole roy­al, mais aus­si de pureté, de vir­ginité, ce qui con­firme dis­crète­ment que l’activité actuelle de Madame Ivonne n’est pas des plus pures). Il ne reste plus rien d’elle, pas même cet Argentin qui, entre tan­go et maté, l’a enlevée de Paris. Déjà les rav­ages du tan­go qui était une folie à Paris dans les années 20. Le maté est bien sûr el mate, la bois­son indis­pens­able aux Argentins.
Madame Ivonne
La Croix du Sud était comme un signe. La Croix du Sud est la con­stel­la­tion qui mar­que dans le ciel noc­turne de l’hémisphère aus­tral, le Sud.

Au rythme d’un tango

Le même jour, Tan­turi et Castil­lo ont enreg­istrée Al com­pás de un tan­go.
Les deux tan­gos pour­raient être asso­ciés. En effet, le thème est un copain qui essaye de récon­forter son ami qui est dés­espéré à cause d’une femme. Son con­seil, aller danser…

Al com­pás de un tan­go 1942-03-18 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo (Alber­to Suárez Vil­lanue­va Letra Oscar Rubens)
Made­moi­selle Yvonne et Madame Yvonne. « Dix années » sépar­ent ces images. Je n’ai pas for­cé sur les cernes d’Ivonne fatiguée par la drogue, le cham­pagne et le cha­grin

Quelle image choisir ?

L’illustrateur d’un texte est tou­jours con­fron­té à des choix. Doit-il faire une belle image ou rester fidèle au texte. C’est effec­tive­ment un dilemme.
Pour l’image de cou­ver­ture, j’ai réal­isé une image « entre deux ». Elle n’est plus la jeune femme insou­ciante de Paris, mais pas encore la ten­an­cière droguée du bor­del portègne. Cela me sem­blait plus con­ven­able pour présen­ter l’article.
Pour la dernière image, je souhaitais faire appa­raître la décen­nie et ses rav­ages. J’ai donc testé dif­férentes options pour choisir celle ci-dessus qui ne fait pas appa­raître que la dif­férence d’âge que j’ai ampli­fiée, dis­ons à 20 ans au lieu des 10 du tan­go.
Mais dans cette image, il est dif­fi­cile de voir les rav­ages causés par le cha­grin et la vie noc­turne et sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Il me fal­lait donc aller plus loin.
Si vous avez l’âme sen­si­ble, arrêtez de lire le texte ici et ne regardez pas les images qui suiv­ent.

Yvonne est la même. Par con­tre, j’ai beau­coup vieil­li Ivonne et je lui ai don­né sans doute un peu trop d’âge. Par­don, Ivonne.
Là, j’ai un peu plus fait tomber les traits d’Ivonne, tout en lui enl­e­vant un peu d’âge pour être plus proche des paroles. Je lui ai rajouté les cernes vio­lets et pen­dant que j’y étais, je lui ai rou­gi les yeux et agran­di les pupilles. Je crois que c’est une car­ac­téris­tique provo­quée par la drogue. La seule que je prends, c’est la musique de tan­go, celle qui a des effets eupho­risants, même à forte dose.

Vous aurez peut-être remar­qué le fond qui est le même pour toutes les images. Je l’ai conçu pour un arti­cle trai­tant du rôle de la France dans le tan­go.
Pour vous remerci­er d’avoir lu jusqu’au bout, voici le fond, tout seul…

Je vous jure que ma seule drogue, c’est la musique. C’est ain­si que je vois les mélanges cul­turels entre la France et l’Argentine, les deux pays rois du cam­bal­ache

Silueta porteña 1967-03-17 — Los Siete Del Tango (de Luis Stazo et Orlando Trípodi) con Gloria Velez y Lalo Martel

Nicolas Luis Cuccaro; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli
Direction et arrangements Luis Stazo et Orlando Trípodi

Silue­ta porteña est une superbe milon­ga qui fait le bon­heur des danseurs. Aujourd’hui, je vais vous la pro­pos­er dans une ver­sion dif­férente, moins dansante, mais le tan­go ne s’arrête pas à la porte de la milon­ga et le duo est superbe. Un sondage en fin d’article vous per­me­t­tra de don­ner votre avis sur la dans­abil­ité.

Luis Sta­zo (1930–2016) est un très grand mon­sieur du tan­go, tout d’abord comme ban­donéon­iste., mais aus­si comme chef d’orchestre, arrangeur et com­pos­i­teur.
Il est aus­si con­nu pour être le fon­da­teur du Sex­te­to May­or avec José Lib­ertel­la, égale­ment ban­donéon­iste. Cet orchestre a tourné dans le monde entier et con­tin­ue de le faire avec les suc­cesseurs des créa­teurs.

Évo­lu­tion de la com­po­si­tion du Sex­te­to May­or. Source https://es.wikipedia.org/wiki/Sexteto_Mayor

Los siete del tan­go est un autre orchestre créé égale­ment par Luis Sta­zo, mais avec Orlan­do Trípo­di. Ils sont les arrangeurs et les chefs de cet orchestre qui a eu une car­rière plutôt réduite, entre 1965 et 1969. Cepen­dant, on con­serve des enreg­istrements, à la fois de com­po­si­tions « clas­siques », comme Silue­ta porteña, notre tan­go du jour et des com­po­si­tions de Sta­zo et Trípo­di, comme Entre dos, qu’ils ont enreg­istré le même jour, le 17 mars 1967.
La com­po­si­tion de l’orchestre est la suiv­ante :

  • Luis Sta­zo au ban­donéon (plus arrange­ments et direc­tion)
  • Orlan­do Trípo­di au piano (plus arrange­ments et direc­tion)
  • Suarez Paz au vio­lon
  • Hec­tor Orte­ga à la gui­tare élec­trique
  • Mario Mon­teleone à la basse
  • Les chanteurs sont Glo­ria Velez et Lalo Mar­tel pour cet enreg­istrement, mais Rober­to Ech­ague et Olga de Grossi ont enreg­istré d’autres titres.
Silue­ta porteña n’a pas été inté­grée aux qua­tre dis­ques 33 tours réal­isés par l’orchestre (cinq si on compte une dou­ble édi­tion avec les mêmes titres) ni éditée en 45 tours (ce qui fut réservé à seule­ment deux titres, dont celui qui a été enreg­istrée le même jour que Silue­ta porteña, Entre dos. Elle a été pub­lié sur la com­pi­la­tion “Al rit­mo de la milon­gas inovid­ables” par Pam­pa — EMI — Odeon en 1968. C’est le sec­ond titre de la face B. On y trou­ve la date d’enregistrement, 17–3‑67).

Extrait musical

Silue­ta porteña 1967-03-17 — Los Siete Del Tan­go con Glo­ria Velez y Lalo Mar­tel

Les paroles

J’indique égale­ment les paroles de cette ver­sion qui sont un peu dif­férentes, car Glo­ria Velez chante sa par­tie en jouant le rôle de la Silue­ta porteña, con­traire­ment à la ver­sion habituelle ou tout le texte est dit du point de vue de l’homme.

Cuando tú pasas caminando por las tardes, (Cuando yo paso caminando por las calles)
repiqueteando tu taquito en la vereda, (repiqueteando mi taquito en la vereda)  
marcas compases de cadencias melodiosas
de una milonga juguetona y callejera.
Y en tus vaivenes pareciera la bailaras, (Y en los vaivenes pareciera lo bailara)
así te miren y te dicen lo que quieran, (así me miran y me dicen lo que quiera)
porque tú llevas en tu cuerpo la arrogancia  
y el majestuoso ondular de las porteñas.

Tardecita criolla, de límpido cielo
bordado de nubes, llevas en tu pelo.
Vinchita argentina que es todo tu orgullo...
¡Y cuánto sol tienen esos ojos tuyos!

Y los piropos que te dicen los muchachos,
como florcitas que a tu paso te ofrecieran
que las recoges y que enredas en tu pelo,
junto a la vincha con que adornas tu cabeza.
Dice tu cuerpo tu arrogancia y tu cadencia
y tus taquitos provocando en la vereda:
Soy el espíritu criollo hecho silueta
y te coronan la más guapa y más porteña.

Nico­las Luis Cuc­caro ; Juan Ven­tu­ra Cuc­caro Letra Orlan­do D’Aniello ; Ernesto Noli

En rouge ce qui est chan­tée par Glo­ria Velez (Quand c’est un homme qui chante, c’est la par­tie gauche des lignes qui est chan­tée).
En bleu, ce qui est chan­té par Lalo Mar­tel.
En gras, ce qui est chan­té par les deux en duo.
En gras et vert, la reprise finale du refrain par les deux chanteurs, Glo­ria et Lalo.
Le dernier cou­plet n’est pas chan­té dans cette ver­sion
.

Une autre sil­hou­ette portègne jusqu’au bout des ongles

Traduction libre

Quand tu pass­es dans l’après-midi, en faisant cla­quer tes talons sur le trot­toir, tu mar­ques la cadence mélodieuse d’une milon­ga joyeuse et de la rue (il n’y a pas d’équivalent en français).
Et dans tes allers et retours, tu sem­bles danser, ain­si ils te regar­dent, te par­lent ceux qui aiment, car tu portes dans ton corps, l’arrogance et la majestueuse ondu­la­tion des Portègnes.
L’après-midi criol­lo, au ciel limpi­de et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. Le ruban (ban­nière) argentin(e) qui est toute ta fierté… Et que de soleil con­ti­en­nent tes yeux ! (Elle porte les couleurs de l’Argentine sur la tête. Le céleste et le blanc, ain­si que le soleil dans ses yeux).
Et les flat­ter­ies (piro­pos) que te lan­cent les gars, comme des petites fleurs qu’ils offrent à ton pas­sage pour que tu les ramass­es et les laces dans tes cheveux, au côté du ban­deau dont tu ornes ta tête. Ton corps dit ton arro­gance et ta cadence et tes talons pro­fessent sur le trot­toir : je suis l’esprit criol­lo fait sil­hou­ette et ils te couron­nent comme la plus belle et la plus portègne.

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Autres versions

Lors de la pub­li­ca­tion le 17 mars 2024, il n’y avait que la ver­sion de Los Siete Del Tan­go. Un an jour pour jour, plus tard, je vous pro­pose d’autres ver­sions :

Silue­ta porteña 1936-01-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Wal­ter Cabral.

Plus ancien enreg­istrement en stock. La voix un peu acide de Cabral n’est pas for­cé­ment la plus agréable, mais c’est tout à fait dans­able.

Silue­ta porteña 1936-07-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

Cette ver­sion est sans doute celle qui passe le plus sou­vent et c’est jus­ti­fié.

Silue­ta porteña 1956-05-18 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma.

Vingt ans après la pre­mière vague, Varela donne sa ver­sion. J’aime beau­coup l’introduction qui bat comme un cœur (je ne suis pas médecin, mais j’espère que votre cœur ne bat pas ain­si). Même si l’orchestre de Varela n’est pas le plus appré­cié en milon­ga, je trou­ve cette ver­sion assez sym­pa­thique et il m’arrive de la pass­er.

Silue­ta porteña 1956-08-02 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Mon­tero.

Cette ver­sion en duo est jolie, mais sans doute un peu trop liée pour en faire une milon­ga intéres­sante à danser. On se con­tentera donc de l’écouter avec ravisse­ment.

Silue­ta porteña 1958 — Los Mucha­chos De Antes.

Une ver­sion tonique et courte à la flûte et gui­tare. C’est agréable à écouter, mais pas for­cé­ment à danser pour les véri­ta­bles danseurs de milon­ga. Mais cela peut faire plaisir aux timides de la milon­ga.

Silue­ta porteña 1967-03-17 — Los Siete Del Tan­go con Glo­ria Velez y Lalo Mar­tel. C’est notre milon­ga du jour.
Silue­ta porteña 1970 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti.

On retrou­ve la tonic­ité et la joie de Rac­ciat­ti dans cet enreg­istrement. Il est sans doute d’un tem­po un peu rapi­de pour la plu­part de danseurs et finale­ment un peu trop réguli­er pour amuser les bons danseurs de milon­ga.

Silue­ta porteña 1971-08-04 — Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to Típi­co.

On reste en Uruguay. Vil­las­boas adopte un tem­po un peu plus mod­éré que son com­pa­tri­ote.

Silue­ta porteña 2003 — Los Man­cifes­ta. Une autre ver­sion rapi­de, peut-être trop rapi­de, mais avec des danseurs bien échauf­fés et prêts à tout, c’est peut-être à ten­ter. Reste à trou­ver ces danseurs. On retrou­ve un duo.
Silue­ta Porteña 2011 — Luces de Buenos Aires.

On change d’univers et là, on arrive au sum­mum du plat. Ce n’est pas très intéres­sant, à mon avis.

La plu­part des orchestres con­tem­po­rains jouent cette milon­ga et vous pour­rez don­ner en com­men­taire des sou­venirs de vos pas avec un de ces orchestres.

L’après-midi criol­lo, au ciel limpi­de et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. La ban­nière argen­tine est toute ta fierté… Et que de soleil con­ti­en­nent tes yeux !

Violín 1944-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina

Ricardo Malerba; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti

Ricar­do Maler­ba était ban­donéon­iste et ses frères étaient vio­loniste (Car­los) et pianiste (Alfre­do). Car­los est mort au Por­tu­gal lors d’une tournée en 1931 et il se peut que Vio­lín, soit un hom­mage de Ricar­do à son frère trop tôt dis­paru. Quoi qu’il en soit, ce titre mérite d’être le tan­go du jour. Il a été enreg­istré il y a exacte­ment 80 ans.

On con­naît Maler­ba, comme chef d’orchestre et com­pos­i­teur. Il était un ban­donéon­iste, sem­ble-t-il, assez moyen si on en croit un témoignage rap­porté par Tan­go al Bar­do qui indique qu’il lais­sait le gros du tra­vail à Miguel Caló lors de la tournée en Espagne des années 30.

Les vio­lonistes de Maler­ba à cette époque sont Alfre­do Lat­tero, Ernesto Gian­ni, Fran­cis­co San­marti­no et José López. Il m’est impos­si­ble de dire lequel effectue les mag­nifiques solos de vio­lon que l’on peut enten­dre dans cette œuvre.
Son frère, Alfre­do avait entretemps épousé Lib­er­tad Lamar­que. Cette dernière lui a per­mis de tra­vailler à Radio Bel­gra­no, à con­di­tion qu’il pro­pose des tan­gos ryth­més à la D’Arienzo…
Pour cela il avait un autre atout, son pianiste, Dante Smur­ra qui était par­ti­c­ulière­ment réputé au point qu’en 1938, il avait été sol­lic­ité pour rem­plac­er Bia­gi dans l’orchestre de D’Arienzo.
Dante a refusé l’of­fre, pour rester fidèle à Maler­ba. Avec ce dernier, il a com­posé Cuan­do flo­rez­can las rosas, Embru­jamien­to (leur plus grand suc­cès, repris égale­ment par D’Arienzo), La piba de los jazmines, un des hits de Maler­ba et bien sûr Vio­lín, notre tan­go du jour.

Extrait musical

Vio­lín 1944-03-16 – Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Orlan­do Med­i­na

Les paroles

Hoy mi vio­lín está soñan­do
con un amor en el atril,
sus cuer­das vibran tir­i­tan­do
porque vive recor­dan­do
que hoy está lejos de mí.

Es mi vio­lín el alma mía
y su can­ción es mi sen­tir,
mi corazón que la quería,
que la quiere y no la olvi­da,
va llo­ran­do en mi vio­lín.

Vio­lín, vio­lín…
La quiero mucho más,
la quiero más que ayer
mi amor no tiene fin.
Vio­lín, vio­lín…
quisiera que mi voz,
en alas de tu voz,
lle­gara has­ta mi amor.
Vio­lín, vio­lín…
me quiso igual que yo
y ha de volver a mí,
la esper­aré
y tú tam­bién,
vio­lín.

Ricar­do Maler­ba ; Dante Smur­ra Letra Hora­cio San­guinet­ti

Les paroles ne lais­sent pas de doute sur le fait qu’elles ne s’adressent pas à Car­los, le frère vio­loniste mort en 1931, mais il se peut que Maler­ba ait écrit la musique en pen­sant à son frère. Les hom­mages de musi­cien à musi­cien sont très fréquents dans le tan­go, bien que générale­ment plus explicites.

Traduction libre

Aujourd’hui mon vio­lon rêve avec un amour sur le pupitre, ses cordes vibrent en fris­son­nant parce qu’il vit en se sou­venant qu’aujourd’hui elle est loin de moi.
Mon vio­lon est mon âme et son chant est mon sen­ti­ment, mon cœur qui l’a aimée, qui l’aime et ne l’oublie pas, il pleure dans mon vio­lon.
Vio­lon, vio­lon… Je l’aime telle­ment plus, je l’aime plus qu’hier mon amour n’a pas de fin.
Vio­lon, vio­lon… Je voudrais que ma voix, sur les ailes de ta voix, atteigne mon amour.
Vio­lon, vio­lon… Elle m’aimait comme moi, et elle revien­dra vers moi, je l’attendrai, et toi aus­si, vio­lon.

En lun­far­do, un vio­lon (un vio­lín) est une femme. Je suis donc par­ti de cette idée. Les papil­lons, ce sont ceux du creux du ven­tre quand on est amoureux.

Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta

Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)

J’ai tou­jours adoré Loco tur­bión et me suis demandé pourquoi seule­ment Caló l’avait enreg­istré. C’est sans doute que cette ver­sion est par­faite. Je vous invite donc à savour­er ce tan­go du jour, enreg­istré il y a 78 ans.

Loco tur­bión, dès le titre, on est en appétit. Loco, fou et tur­bión, averse vio­lente, mais aus­si choses emportées dans un « tour­bil­lon ».
Si on ne prête pas atten­tion aux paroles, on peut imag­in­er le pas­sage de l’averse. Au début, une marche, puis la mon­tée de la ten­sion, des mou­ve­ments con­tra­dic­toires, comme le vent qui agite les arbres à l’approche de la tour­mente. L’averse pour­rait être le puis­sant duo d’Iriarte et Arri­eta, puis le soleil réap­pa­raît à la toute fin, jusqu’à la chute des deux dernières gouttes d’eau.

Extrait musical

Loco tur­bión 1946-03-15 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte y Rober­to Arri­eta

L’exposition sem­ble faire référence à un temps passé, comme quelqu’un qui se sou­vient. Le pas­sage en mineur aux alen­tours de 0:30 et qui trou­ve son apogée dans le solo de vio­lon à par­tir de 0:40.
Rober­to Arri­eta com­mence à chanter à 1:00. À 1:30 Raúl Iri­arte rem­place Arri­eta, puis à 1:37 ils chantent en duo, avec une émo­tion intense, qui se détend, puis Arri­eta prend le relais, seul et ain­si de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tan­go.
La musique sem­ble effectuer des aller et retour, comme pour mar­quer les hési­ta­tions. Les instru­ments, puis les chanteurs sem­blent apporter leur pierre à la con­struc­tion musi­cale, jusqu’à ce qu’ils se com­bi­nent dans le final en étant sur la « même longueur d’onde ». Les paroles con­fir­ment cette impres­sion.

Les paroles

Les paroles ren­for­cent l’idée de tour­bil­lon, de dia­logue, d’hésitation. Les chanteurs se répon­dent avant de s’accorder (à la quinte) et de dévelop­per un des mag­nifiques duos dont nous rav­it le tan­go.

Ten­go miedo de encon­trar­la
Y de nue­vo recor­dar­la…
Y achicar el corazón.
Ten­go miedo que en sus ojos,
Al mirar estos despo­jos
Yo adi­vine com­pasión.
En mis días fue un dolor,
En mis sueños, fue un ren­cor,
Y en mi vida no hizo más que mal…
Me tor­tu­ra este recuer­do
Que me acosa y me per­sigue
En mis noches sin final.

En la fragua de espan­tos del sufrir,
Ella puso entre brasas mi ilusión.

Me ha enseña­do a morir,
Porque ya no es vivir,
Escuchan­do en las som­bras su reír.
Y esa voz que me nom­bra sin cesar,
Que me muerde en las noches con su mal,
¡Es un loco tur­bión!…
Una gar­ra bru­tal,
Que me estru­ja el corazón.

Yo me hun­do en la locu­ra
De un tur­bión, al recor­dar­la
Y quer­erla con pasión.
Y el pen­sar en olvi­dar­la,
Es camino que con­duce
¡A la deses­peración!
Es tor­men­to sin final
El fra­ca­so de olvi­dar,
¡Y es ple­garia que no escucha Dios!
Es tor­tu­ra inter­minable
El recuer­do de sus ojos
Y el arrul­lo de su voz.

Vicente Spina Letra : Rober­to Miró (Rober­to Daniel Miró)

Les par­ties chan­tées par Rober­to Arri­eta seul, sont en rouge.
Celles qui sont chan­tées par Raúl Iri­arte seul sont en bleu.
Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras.
Au final, ils repren­nent en duo le refrain à par­tir de Y esa voz que me nom­bra sin cesar, qui était chan­té par Iri­arte seul la pre­mière fois.
Le dernier cou­plet n’est pas chan­té. C’est la par­tie où il souhaite l’oublier.

La météo du tango

Plusieurs tan­gos par­lent d’averses soudaines et vio­lentes, que ce soit de façon objec­tive, comme el aguacero ou de façon fig­urée, comme Tor­men­ta.
El aguacero de Cátu­lo Castil­lo Letra : José González Castil­lo (Juan de León).
Chap­ar­rón 1946-08-26 (Milon­ga) Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe, nous en repar­lerons le 26 août à l’occasion de l’anniversaire de cet enreg­istrement.
Llu­via au moins une quar­an­taine de tan­gos par­lent de pluie (llu­via), tou­jours au sens pro­pre ou fig­uré.
Pour rester dans les aléas cli­ma­tiques, le vent a aus­si sa voix, par exem­ple dans les tan­gos suiv­ants.
Cuan­do bron­ca el tem­po­ral de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Mar­sili, que nous avons évo­qué à pro­pos de la ver­sion de Di Sar­li de 1929.
Tor­men­ta d’Enrique San­tos Dis­cépo­lo, mais il y a d’autres tan­gos inclu­ant tor­men­ta (Anto­nio Bonave­na, P. Mon­tanel­li, José De Cic­co, José Luis Padu­la) qui par­lent de tor­men­ta, au réel comme au fig­uré.
Huracán, une incroy­able com­po­si­tion de Dona­to d’une puis­sance titanesque.
Ven­taval, plusieurs tan­gos de ce nom, comme Ven­taval de Rodol­fo Sci­ammarel­la par Mer­cedes Simone dans le film de 1939, qui se passe à Paris (le titre a pour fond d’écran, le Pan­théon), mais qui est argentin, ou cru­en­to ven­daval de Miguel Mar­ti­no et Jac­in­to Alí (MyL).

Les illustrations

Pour les illus­tra­tions, je suis par­ti de deux pistes. L’idée de tour­bil­lon pour la pre­mière, tour­bil­lon que m’évoque le mot tur­bión, et la musique qui sem­ble cir­culer d’un côté à l’autre, rebondis­sant d’un instru­ment à l’autre, d’un chanteur à l’autre et l’idée de la femme per­due, inac­ces­si­ble, qui s’en va.
En résumé, n’arrivant pas à choisir, je vous pro­pose les qua­tre images. N’hésitez pas à indi­quer en com­men­taire celle qui vous plaît le plus, peut-être que je chang­erai la pho­to de cou­ver­ture en fonc­tion de vos avis.

L’image de couverture

Je souhaitais garder l’ambiguïté entre l’averse, le tour­bil­lon et la belle. J’ai hésité entre deux styles, un abstrait à la Arcim­bol­do, ou les fleurs et nuages col­orés rem­pla­cent les légumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finale­ment opté pour la femme fleur tour­bil­lon­nante, mais comme j’aime bien les autres aus­si, je vous présente le lot.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Ten­go miedo de encon­trar­la y de nue­vo recor­dar­la.…
J’ai peur de la ren­con­tr­er et d’à nou­veau me sou­venir d’elle.

L’image de fin

En général, je souhaite pro­pos­er une image d’un style dif­férent pour l’image de fin. C’est donc la ver­sion orageuse qui clô­ture l’article, mais j’aime bien aus­si celle de la belle qui s’évapore dans les nuées tour­bil­lon­nantes.

Es tor­tu­ra inter­minable el recuer­do de sus ojos y el arrul­lo de su voz. C’est une tor­ture inter­minable, le sou­venir de ses yeux et le roucoule­ment de sa voix.

Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des éclairs, sem­blant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volé avant de rejoin­dre l’Olympe. Elle est dev­enue inac­ces­si­ble, divine et cru­elle.

Pitch & speed — Vitesse et tonalité

Cer­tains puristes affir­ment que l’on doit pass­er les dis­ques à la vitesse exacte à laque­lle ils ont été enreg­istrés, qu’ils ont été enreg­istrés ain­si et que donc ce serait un sac­rilège de chang­er cela.
Je sai­sis cette affir­ma­tion pour apporter quelques élé­ments de réflex­ion.

Toutes les éditions ne sont pas à la même vitesse.

On peut trou­ver une édi­tion ou la musique est plus rapi­de et aiguë qu’une autre, ou au con­traire plus grave et lente. À moins d’avoir l’oreille absolue, peu de danseurs se ren­dent compte de la dif­férence.
Pour s’en con­va­in­cre, allez sur un site comme l’excellent https://tango-dj.at/database et com­parez la durée des morceaux. Par exem­ple, Milon­ga de mis amores a des durées com­pris­es entre 1:38 et 3:53.

Sur l’ex­cel­lent site www.tango-dj.at, vous trou­vez toutes les infor­ma­tions utiles pour gér­er une grande par­tie de votre col­lec­tion de musique. Pour ma part, c’est ma référence. Si j’ai une infor­ma­tion dif­férente, j’écris et Bern­hardt adapte la notice pour ajouter l’information. C’est très agréable d’avoir un site qui accepte les remar­ques et en tient compte. Cela change des sites qui te répon­dent que je me trompe et qui change ensuite l’information sans rien dire. C’est désor­mais le seul site avec lequel je col­la­bore régulière­ment. Sur cette pho­to, il manque des colonnes et de lignes que j’ai sup­primé pour me con­cen­tr­er sur ce qui m’intéressait.

Pour un orchestre don­né, par exem­ple, la ver­sion de Canaro enreg­istrée le 26 mai 1937 (matrice 9026) et bien que la source de ces dif­férents enreg­istrements soit des exem­plaires du même disque (Odeon 5028 face A), on trou­ve des vari­a­tions de 2:58 chez Tan­go­Tunes (9026 — 5028 A Tan­go­Tunes) à 3:05 chez Dan­za y Movimien­to (DZ020234).
À l’écoute, la ver­sion de Tan­go­Tunes est claire­ment plus aiguë et rapi­de. Cela cor­re­spond à une dif­férence de 4 %.

À l’écoute, la ver­sion de Tan­go­Tunes est claire­ment plus aiguë et rapi­de. Cela cor­re­spond à une dif­férence de 4 %.

Dans les années 40, les orchestres jouaient en vivo.

Ils pou­vaient donc jouer avec les danseurs, accélér­er ou ralen­tir. Aujourd’hui, le disque a figé la vitesse. Les danseurs vont tou­jours écouter le même morceau à la même vitesse, avec les mêmes « sur­pris­es ». Le DJ peut recréer des « effets », comme le font les orchestres live, en faisant une reprise, en aug­men­tant les breaks, en mod­i­fi­ant la vitesse, en pro­posant des ver­sions moins courantes du même orchestre ou en pro­posant un orchestre dans un reg­istre inhab­ituel (par exem­ple Troi­lo qui imite Calo).

On con­nait tous les presta­tions tar­dives de D’Arienzo. Plusieurs orchestres con­tem­po­rains, imi­tent ses mou­ve­ments pour met­tre de l’ambiance. Cer­tains DJ bat­tent la mesure, mais même sans ces extrêmes, le DJ a la pos­si­bil­ité d’influer très forte­ment sur l’ambiance.

Deux orchestres peuvent jouer le même thème avec des vitesses très différentes.

Des extrêmes comme Milon­ga de mis amores par exem­ple qui peut être un canyengue ou une milon­ga selon les inter­pré­ta­tions.

Milon­ga de mis amores 1937-05-26 — Fran­ciso Canaro — 86 BPM — C’est plutôt du canyengue, non ?
Milon­ga de mis amores — Hype­r­i­on Ensem­ble — 120 BPM — Ça dépote, non ?

Je considère que le travail du DJ est de mettre de l’ambiance, pas de dire la messe.

Je m’arroge donc le droit de vari­er le rythme des morceaux, par­fois la tonal­ité en fonc­tion de l’effet que je veux obtenir. Je fais cela depuis plus de vingt ans, dès que j’ai eu un mag­né­to­phone à cas­settes avec un vari­a­teur de vitesse. L’avantage de l’ordinateur est que je peux le faire en cours de morceau, sans change­ment de tonal­ité, ce qui rend l’opération dis­crète pour les danseurs.
J’ai réglé mes logi­ciels pour lim­iter la vari­a­tion à 10 % et je n’utilise de telles valeurs que pour accélér­er le final d’une valse ou d’une milon­ga, par exem­ple afin de faire rire les danseurs, lorsqu’en fin de tan­da ils ont réus­si à tenir le rythme d’une tan­da « infer­nale ».
Dans la pra­tique courante, je peux mod­i­fi­er la vitesse d’un morceau pour pou­voir le plac­er à un moment dif­férent dans une tan­da.
Cela ne m’empêche pas de tou­jours chercher de meilleures copies, même si main­tenant la majorité de ma musique a été numérisée à par­tir de dis­ques Schel­lac.
Je pense qu’il faut dis­tinguer l’aspect col­lec­tion­neur, musi­co­logue, de celui de DJ. On peut être les deux, je dirai même qu’on devrait être les deux, mais pas au même moment.

Le DJ est un élé­ment essen­tiel pour l’animation du bal. Faites-lui con­fi­ance, s’il le mérite 😉

Deja el mundo como está 1940-03-14 — Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás

Rodol­fo Bia­gi Letra Rodol­fo Sci­ammarel­la

Le tan­go du jour, Deja el mun­do como está, (Laisse le monde comme il est) a été enreg­istré par Bia­gi avec la voix d’Andrés Fal­gás en mars 1940. Il faut s’intéresser aux paroles, rel­a­tive­ment orig­i­nales, pour com­pren­dre pourquoi ne pas chang­er le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut épargnée par la sec­onde guerre mon­di­ale, tout n’y était pas rose en 1940.

La Década Infame (la décennie infâme)

La déca­da infame se situe entre deux coups d’État qui ont sec­oué l’Argentine (1930–1943). Entre les deux dif­férentes élec­tions truquées et les manip­u­la­tions poli­tiques dou­teuses.
Les caus­es de la déca­da infame sont en grande par­tie issues du crash du 1929, la chute du com­merce inter­na­tion­al ayant dure­ment touché les pos­si­bil­ités d’exportations de l’Argentine, engen­drant un chô­mage mas­sif. Le rôle de l’Angleterre, sa main­mise sur l’économie argen­tine, n’est pas sans rap­pel­er l’actualité de l’Argentine d’aujourd’hui, il suf­fit de rem­plac­er Roy­aume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idée du prob­lème. L’Argentine revit de façon cyclique le même phénomène en alter­nance à chaque décade.
En résumé, la sit­u­a­tion sociale était plutôt morose et la répres­sion des mou­ve­ments pop­u­laires féroce durant toute la péri­ode. Il fal­lait bien se chang­er les idées avec le tan­go pour voir la vie en rose.

La Década de Oro (L’Âge d’or)

À l’opposé de la sit­u­a­tion poli­tique, la sit­u­a­tion artis­tique était floris­sante.
L’Argentine était tournée vers l’Europe et en lit­téra­ture, le groupe de Flori­da avait pour mod­èle les écrivains européens. Ils étaient plutôt issus des hautes class­es de la société, celles où on par­lait couram­ment le français et où on était atten­tif à toutes les modes européennes. Ces écrivains soignaient la forme de leurs écrits, sans doute plus que le con­tenu. On trou­ve par­mi eux, Jorge Luis Borges.
Le bipar­tisme argentin fait que le prin­ci­pal groupe con­cur­rent, celui de Boe­do avait pour sa part des préoc­cu­pa­tions plus sociales et avait ten­dance à pass­er la forme au sec­ond plan. Une de ses fig­ures de proue était Rober­to Emilio Arlt.

On retrou­ve la même dichotomie en pein­ture, avec d’un côté le groupe de Paris, lié au sur­réal­isme, alors en vogue en France et de l’autre, des pein­tres plus préoc­cupés des ques­tions sociales dont le plus con­nu est sans doute Quin­quela Mar­tin, celui qui a don­né à la Boca l’image qui plaît tant aux touristes en met­tant de la couleur sur les tristes tôles des maisons de l’époque. Je l’avais évo­qué au sujet du tan­go « El Flete ».

 Je pense que vous m’avez vu venir, cette péri­ode est égale­ment une déca­da de oro pour la musique et notam­ment le tan­go. Le tan­go de cette époque fait le lien entre l’Europe et notam­ment la France, beau­coup de musi­ciens argentins s’étant instal­lés ou ayant fait le voy­age en Europe et notam­ment à Paris avant de ren­tr­er d’urgence en 1939 à cause de la Sec­onde Guerre mon­di­ale. Ceci fait qu’à Buenos Aires s’est retrou­vé tout ce qui comp­tait en matière de musique de tan­go. Là encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intel­lectuelle et des­tinée au con­cert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournés vers le bal.
Cette péri­ode est donc à la fois trag­ique pour la pop­u­la­tion et extrême­ment riche pour la créa­tion artis­tique.
Je vais m’intéresser, enfin, au tan­go du jour et voir pourquoi il ne faut pas chang­er le Monde.

Extrait musical

Deja el mun­do como está 1940-03-14 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Andrés Fal­gás y coro

Les change­ments chro­ma­tiques, du grave vers l’aigu à chaque début du cou­plet, font mon­ter l’intensité dra­ma­tique. Incon­sciem­ment on asso­cie ces mon­tées chro­ma­tiques à une accéléra­tion du rythme, comme si le disque tour­nait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tem­po reste con­tent sur toute la durée du morceau.

Les paroles

Hoy sos un hom­bre descon­tento y amar­ga­do
después que has der­rocha­do tu bien­es­tar.
Te has con­ver­tido en ene­mi­go de la vida
porque ella te con­vi­da a tra­ba­jar.
Por eso mis­mo es que todo te moles­ta
y se oye tu protes­ta por los demás.
Con el tono llorón de un agorero
decís que el mun­do entero lo deben trans­for­mar.

Deja el mun­do como está,
que está hecho a la medi­da… (aunque parez­ca men­ti­ra)
Deja el mun­do como está
vos debes cam­biar de vida… (No has muer­to viejo)
Le quieres pon­er rued­i­tas…
¿Dónde lo quieres lle­var?
Sólo vos lo ves cuadra­do
y redon­do los demás.
Deja el mun­do como está,
con sus malas y sus bue­nas,
con sus dichas y sus penas…
¡Deja el mun­do como está!


Qué cosa bue­na has de encon­trar a la deri­va
o es que esperas de arri­ba tu por­venir.
Sólo se logran con tra­ba­jo y sac­ri­fi­cios
los grandes ben­efi­cios para vivir.
Al fin, tu que­ja es el clam­or de un fra­casa­do,
ya me tienes cansa­do de oírte gri­tar…
Que anda el mun­do al revés y está deshe­cho
y vos… ¿Con qué dere­cho lo pre­tendes cam­biar?

Rodol­fo Bia­gi Letra Rodol­fo Sci­ammarel­la

Dans la ver­sion de Bia­gi, Fal­gás chante ce qui est en gras et le chœur insiste en chan­tant la par­tie en rouge.
Dans la ver­sion de Canaro, ce qui est chan­té par Famá est la par­tie en gras et Canaro fait un dia­logue en chan­tant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, con­traire­ment à Bia­gi.
Pour sa part, dans la ver­sion de Dona­to, Lagos chante les mêmes cou­plets que Fal­gás, mais sans la reprise de la fin du refrain.

Traduction libre :

Aujourd’hui, tu es un homme mécon­tent et amer après avoir dilapidé ton bien-être. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite à tra­vailler. C’est pourquoi tout te dérange et que ta protes­ta­tion est enten­due par-dessus tout. Avec le ton pleur­nichard du pes­simiste, tu dis que le monde entier doit être trans­for­mé.

Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure… (crois-le ou pas)
Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois chang­er de vie… (Tu n’es pas mort, mon vieux)
Tu veux y met­tre des roulettes… Où veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois car­ré et tous les autres le voient rond.
Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mau­vais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines… Laisse le monde tel qu’il est !

Le pas­sage suiv­ant n’est pas chan­té dans aucune des trois ver­sions, mais il est intéres­sant à saisir :
Ce qu’il y a de bon à se laiss­er aller à la dérive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un tra­vail acharné et de sac­ri­fices que l’on peut obtenir les grands avan­tages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un échec, là, tu me fatigues de t’entendre crier… Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est défait, et toi… de quel droit pré­tends-tu le chang­er ?

Autres versions

Ce tan­go a ren­con­tré l’air du temps et en quelques mois, il a été enreg­istré trois fois.
Par son auteur, Bia­gi, puis par Canaro et enfin Dona­to.
Il me sem­ble intéres­sant de com­par­er les trois ver­sions.
Les trois ont des car­ac­tères com­muns, mais les ver­sions de Canaro et de Dona­to sont plus tra­di­tion­nelles. Elles ont le même dynamisme et l’impression de marche hale­tante que dans la ver­sion de Bia­gi, mais ce dernier pro­pose des enrichisse­ments con­va­in­cants et un étage­ment des plans musi­caux plus rich­es, plus var­iés que ceux de ses col­lègues qui sont totale­ment dans la marche et moins dans la sub­til­ité.

Deja el mun­do como está 1940-03-14 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Andrés Fal­gás y coro

Le rythme est d’environ 139 BPM et est réguli­er tout au long de l’interprétation, même si on a une impres­sion d’accélération sug­gérée par les mon­tées chro­ma­tiques.          

Deja el mun­do como está 1940-09-30 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá y con­tra­can­to por Fran­cis­co Canaro

On note dans cette ver­sion, des vari­a­tions de rythme (145 à 135). Les par­ties chan­tées sont plus lentes. Canaro a égale­ment choisi de faire un dia­logue où il répond à Famá, jouant donc le rôle de celui qui l’encourage à tra­vailler. La clar­inette, le piano et les vio­lons sem­blent aus­si se lancer dans la dis­cus­sion pour finale­ment « par­ler » en même temps, comme le fait le chœur dans la ver­sion de Bia­gi.

Deja el mun­do como está 1941-01-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos

C’est le tem­po le plus lent des trois ver­sions, avec env­i­ron 135 BPM sur la par­tie instru­men­tale et 133 sur la par­tie chan­tée. Les mon­tées chro­ma­tiques sont présentes, mais moins mar­quées que chez Bia­gi.

La fin du Monde

Par­don­nez ce titre racoleur. Je veux juste vous par­ler de com­ment se ter­mi­nent ces titres et com­ment les agencer dans une tan­da.
La ter­mi­nai­son des trois ver­sions. On a vu que dans la ver­sion de Bia­gi, il y a une accéléra­tion simulée avec en apothéose la reprise finale du cou­plet par le chœur. L’intensité est donc max­i­male à la fin.
Dans la ver­sion de Canaro, le mélange des voix des instru­ments à la fin sug­gère égale­ment un apogée, un parox­ysme.
Pour Dona­to, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mélodique du vio­lon qui devient plus expres­sive et présente, mais d’impression d’explosion finale, con­traire­ment aux deux autres ver­sions.
Cette car­ac­téris­tique, avec le fait qu’elle est d’un tem­po plus lent, me pousserait à ne pas ter­min­er une tan­da avec ce titre, mais plutôt de le met­tre en début de tan­da. Les ver­sions de Canaro et Bia­gi, avec leur apothéose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tan­da.
Bien sûr, ce qui compte est égale­ment ce qu’on met avant dans le cas de Bia­gi et Canaro et après dans celui de Dona­to.
Par exem­ple, si on ter­mine une tan­da de Dona­to par ce titre, cela veut dire que les précé­dents sont sans doute moins dynamiques. La tan­da sera donc plutôt calme, voire peut-être un peu plate, mais cela peut con­venir, par exem­ple après des milon­gas, pour que les danseurs repren­nent leur res­pi­ra­tion. Comme tou­jours en la matière, il n’y a pas de règle qui résiste à l’observation de la milon­ga. C’est l’ambiance du moment qui décide.

Ce titre me fait penser à la chan­son de Ralph Zachary Richard reprise notam­ment par Julien Clerc et Alpha Blondy

Ventarrón 1933-03-13 Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez (y Elvino Vardaro)

Pedro Maffia Letra : José Horacio Staffolan

Le tan­go du jour a été enreg­istré il y a exacte­ment 91 ans par Adol­fo Cara­bel­li à la tête de l’Orquesta Típi­ca Vic­tor. Le chanteur d’estribillo est Alber­to Gómez, mais un autre soliste fait de ce titre une mer­veille, le vio­loniste Elvi­no Var­daro.

Nous avons large­ment par­lé de la Vic­tor et de ses orchestres. Cara­bel­li est son pre­mier chef d’orchestre. Alber­to Gómez a enreg­istré deux fois ce titre en mars 1933. Le 6, comme chanteur de la ver­sion « chan­son » et le 13, pour une ver­sion de danse. Il est intéres­sant de com­par­er les deux ver­sions pour encore plus se famil­iaris­er entre les deux types de tan­gos que cer­tains danseurs, voire DJ n’assimilent pas tou­jours.

Elvino Vardaro (Buenos Aires le 18 juin 1905 — Argüello 5 août 1971)

Elvi­no Var­daro. Enfant, dans les années 40 et dans les années 60. Sur la dernière image, on remar­que que son pouce droit a per­du une pha­lange, à la suite d’un acci­dent quand il avait cinq ans.

Le 10 de julio 1919, il donne son pre­mier con­cert. Au pro­gramme de la musique clas­sique. Pour sub­venir aux besoins de sa famille, il com­mence alors à jouer au ciné­ma pour accom­pa­g­n­er les films muets. Rodol­fo Bia­gi puis Luis Vis­ca l’y remar­quent et finale­ment, Juan Maglio (Pacho) en 1922 vient le chercher au ciné­ma pour l’intégrer dans on orchestre. Il a alors 17 ans.
Son pro­fesseur de vio­lon, Doro Gor­gat­ti lui aurait dit : « Quel dom­mage que vous jouiez des tan­gos, vous pour­riez jouer très bien du vio­lon ! ».
Une chance pour nous qu’il ait pour­suivi dans sa voie.
Il tra­vaille en effet avec dif­férents orchestres et intè­gr­era les pres­tigieux orchestres de la Vic­tor où il fera mer­veille, comme vous pour­rez l’entendre dans le tan­go du jour.
Il mon­tera à divers­es repris­es des orchestres de tailles dif­férentes quin­tette, sex­tette, sep­tuor et même típi­ca, mais sans réel suc­cès et peu d’enregistrements. En revanche, il a par­ticipé qua­si­ment à tous les orchestres, Canaro, Di Sali, do Reyes, Fir­po, Frese­do, Maf­fia, Piaz­zol­la, Pugliese et a ter­miné sa car­rière dans l’orchestre sym­phonique de l’orchestre de Cor­do­ba.
Sa vir­tu­osité a inspiré à Argenti­no Galván une com­po­si­tion musi­cale « Vio­li­no­manía », qu’il a heureuse­ment enreg­istrée avec le Brighton Jazz Orques­ta, un orchestre qu’il dirigeait dans les années 1940. Ce n’est pas du tan­go, mais je le plac­erai en fin de cet arti­cle pour que vous puissiez juger de sa vir­tu­osité.
Je ne vous donne pas d’autre indi­ca­tion pour l’écoute du tan­go du jour. Si vous ne détectez pas immé­di­ate­ment le vio­lon de Var­daro, arrêtez le tan­go, met­tez-vous au reg­gae­ton.

Extraits musicaux

En pre­mier, je vous pro­pose la ver­sion de danse. Elle a été enreg­istrée une semaine après la ver­sion en chan­son.

Ven­tar­rón 1933-03-13 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Alber­to Gómez

Dans cette ver­sion, le deux­ième soliste, c’est le vio­loniste Elvi­no Var­daro. Je vous laisse l’écouter et avoir la chair de poule en l’entendant. Fab­uleux.

Ven­tar­rón 1933-03-06 Alber­to Gómez accom­pa­g­né par un orchestre

Il n’est pas cer­tain que l’orchestre soit la Típi­ca Vic­tor. C’est une ver­sion chan­tée et donc, l’important, c’est le chanteur, l’orchestre est au sec­ond plan.
Cette ver­sion n’est pas pour le bal et est à mon avis musi­cale­ment moins intéres­sante. Je reste donc avec ma ver­sion chérie, celle du 13 mars que je pro­pose de temps à autre en milon­ga, notam­ment en Europe où la Típi­ca Vic­tor a plutôt la cote.

Les paroles

Por tu fama, por tu estam­pa,
sos el male­vo men­ta­do del ham­pa;
sos el más tau­ra entre todos los tauras,
sos el mis­mo Ven­tar­rón.

¿Quién te iguala por tu ran­go
en las canyengues que­bradas del tan­go,
en la con­quista de los cora­zones,
si se da la ocasión?

Entre el mal­e­va­je,
Ven­tar­rón a vos te lla­man…
Ven­tar­rón, por tu cora­je,
por tus haz­a­ñas todos te acla­man…

A pesar de todo,
Ven­tar­rón dejó Pom­peya
y se fue tras de la estrel­la
que su des­ti­no le señaló.

Muchos años han pasa­do
y sus guapezas y sus berretines
los fue dejan­do por los cafetines
como un cas­ti­go de Dios.

Solo y triste, casi enfer­mo,
con sus der­ro­tas mordién­dole el alma,
volvió el male­vo bus­can­do su fama
que otro ya con­quistó.

Ya no sos el mis­mo,
Ven­tar­rón, de aque­l­los tiem­pos.
Sos cartón para el ami­go
y para el maula un pobre cristo.

Y al sen­tir un tan­go
com­padrón y reto­ba­do,
recordás aquel pasa­do,
las glo­rias gua­pas de Ven­tar­rón.

Pedro Maf­fia Letra : José Hora­cio Staffolan

Dans la ver­sion de danse du 13 mars, Gomez ne chante que deux cou­plets (en gras dans le texte). En revanche le vio­lon chante tout le reste, c’est lui la vedette de ce tan­go.  
Dans la ver­sion chan­son, Gomez chante la total­ité des cou­plets, dans l’ordre indiqué, sans reprise. De brefs moments instru­men­taux don­nent une petite res­pi­ra­tion, mais la voix est qua­si­ment tou­jours présente et on peut avoir une impres­sion de monot­o­nie qui fait que ce tan­go ne pour­rait pas porter de façon sat­is­faisante à l’improvisation.
Il con­vient donc dans cette ver­sion de porter atten­tion aux paroles. Heureuse­ment, elles ne posent pas de prob­lème par­ti­c­uli­er.
En voici une tra­duc­tion libre :
Par ta renom­mée, par ton image, tu es le méchant attitré du gang ; tu es le plus caïd par­mi tous les caïds, tu es le Ven­tar­rón même (vent furieux).
Qui t’égale pour ton rang dans les brisées du tan­go canyengue (façon de danser du canyengue, inspirée de la pos­ture du com­bat à l’arme blanche), dans la con­quête des cœurs, si l’occasion s’en présente ?
Dans l’assemblée des voy­ous, ils t’appellent Ven­tar­rón… Ven­tar­rón, pour ton courage. Pour tes exploits tout le monde t’acclame…
Mal­gré tout, Ven­tar­rón a délais­sé Pom­peya (quarti­er de Buenos Aires) et a suivi l’étoile que son des­tin lui a indiquée.
De nom­breuses années ont passé et ses témérités et ses faus­setés, il les a aban­don­nées pour les cafés, comme un châ­ti­ment de Dieu.
Seul et triste, presque malade, avec ses défaites mor­dant son âme, le bagar­reur est revenu cher­chant sa renom­mée qu’un autre a déjà con­quise.
Tu n’es plus le même, Ven­tar­rón, de cette époque. Tu es un cave pour l’ami (le foot­balleur Mes­si dirait bobo plutôt que cave) et pour le lâche un pau­vre hère.
Et quand tu sens un tan­go ami­cal et passé de mode, tu te sou­viens de ce passé, des gloires téméraires de Ven­tar­rón.

Là où on revient à mon violoniste adoré

Je vous l’avais promis, on ter­mine avec d’Elvino Vararo, le meilleur vio­loniste de tan­go du 20e siè­cle.
Argenti­no Galván a écrit Vio­li­no­manía en l’honneur de la vir­tu­osité d’Elvino Vararo. Celui-ci l’a enreg­istré à la tête du Brighton Jazz Orques­ta en 1941 à Buenos Aires. Elvi­no dirigeait cet orchestre à la radio « El Mun­do » et pour des con­certs dans dif­férents lieux, cabarets,confiterias, bals…

Vio­li­no­manía 1941 — Brighton Jazz Orques­ta, direc­tion et vio­lon, Elvi­no Vararo (Argenti­no Galván)

Pour être com­plet, je devrais sans doute citer qu’il a enreg­istré le même jour Fre­n­e­si, un morceau de « Rum­ba fox-trot », tou­jours avec le Brighton Jazz et les chanteurs Nito et Roland. C’est moins vir­tu­ose, mais représen­tatif d’un orchestre de Jazz à l’âge d’or du tan­go.

Fre­n­e­si 1941, Brighton Jazz Orques­ta, direc­tion et vio­lon, Elvi­no Vararo, con Nito y Roland (Alber­to Domingez)

Pour clore le chapitre en revenant au tan­go, même si c’est du tan­go à écouter et pas à danser, voici Pico de oro qu’Elvino a enreg­istré avec son orchestre en 1953.

Pico de oro 1953 — Elvi­no Var­daro y su Orques­ta Típi­ca (Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo).
De nom­breuses années ont passé et ses témérités et ses faus­setés, il les a aban­don­nées pour les cafés, comme un châ­ti­ment de Dieu.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milon­ga, enreg­istrée il y a exacte­ment 81 ans par D’Agostino et Var­gas évoque l’un des lieux de tan­go semi-clan­des­tin les plus fameux des débuts du tan­go. Celui qui était tenu par Lau­renti­na Mon­ser­rat, Lau­ra. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siè­cle. Je vous pro­pose de suiv­re le tan­go dans ses berceaux inter­lopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale pun­ta, j’ai évo­qué les « maisons » de tan­go. Je pro­longe ici l’enquête, plus au cœur de ces pre­miers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas

Les paroles

Milon­ga de aquel entonces
que trae un pasa­do envuel­to…
De aquel 911
ya no te que­da ni un vuel­to…
Milon­ga que en lo de Lau­ra
bailé con la Par­da Flo­ra
Milon­ga provo­cado­ra
que me dio car­tel de tau­ra…
Ah… milon­ga ‘e lo de Lau­ra

Milon­ga de mil recuer­dos
milon­ga del tiem­po viejo.
Qué triste cuan­do me acuer­do
si todo ha queda­do lejos…
Milon­ga vie­ja y sen­ti­da
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya esta­mos dob­lan­do el codo.
Ah… milon­ga ‘e lo de Lau­ra

Ami­gos de antes, cuan­do chiquilín,
fui bailarín com­padri­to…
Saco negro, tren­sil­lao, y bien afrance­sao
el pan­talón a cuadri­tos…
¡Que baile solo el Moro­cho
! — me solía gri­tar
la bar­ra «
e los Bal­mace­da…
Viejos tan­gos que empezó a can­tar
la Pepi­ta Avel­lane­da
¡Eso ya no vuelve más!

Anto­nio Poli­to Letra Enrique Cadí­camo (Domin­go Enrique Cadí­camo).

Traduction

Milon­ga de cette époque qui apporte un passé révolu…
De ce 911, il ne te reste, pas même une pièce (mon­naie ren­due)…
Milon­ga que j’ai dan­sée que j’ai dan­sée chez Lau­ra (en lo de Lau­ra) avec la Par­da Flo­ra…
Milon­ga provo­ca­trice qui m’a don­né une répu­ta­tion de brave…
Ah… la milon­ga chez Lau­ra…

Milon­ga aux mille sou­venirs, milon­ga d’an­tan.
Quelle tristesse quand je me sou­viens que tout est si loin !
Milon­ga vieille et sincère, qui sait ce qu’il est devenu de tout ?
Sur la piste de la vie, nous avons atteint un âge vénérable (doblar el codo = pass­er un cap où il reste moins de temps à vivre que ce qu’on a vécu).
Ah… la milon­ga chez Lau­ra…

Amis d’an­tan, quand, enfant, j’é­tais un danseur com­padri­to…
Veste noire, galon, et le pan­talon bien français, à car­reaux…
Q’uil danse seul, le Moro­cho ! (homme à la peau som­bre) — avaient l’habitude de me crier la bande et les Bal­mace­da…
Wieux tan­gos qu’avait com­mencé à chanter la Pepi­ta Avel­lane­da… (peut-être la Par­da Flo­ra)
Cela ne revien­dra plus !

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beau­coup de bêtis­es sur les prémices du tan­go, le mieux est donc de faire court pour lim­iter la liste de ces âner­ies. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près cer­taine est qu’il n’est pas né dans les salons hup­pés de la bour­geoisie. Cepen­dant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient par­fois s’encanailler dans les moins trou­bles des lieux de « diver­tisse­ment » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pou­vaient pas décem­ment se ren­dre dans les mêmes lieux, la danse se fai­sait avec les femmes du lieu, des ban­lieusardes, des soubrettes, des grisettes et des pros­ti­tuées, plus ou moins raf­finées. On n’y dan­sait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon général­isée et souhaitée…
Lorsque le tan­go est revenu cou­vert de gloire d’Europe et notam­ment de Paris, le tan­go s’est dif­fusé dans les hautes sphères. Il n’était plus néces­saire de fréquenter ce type de lieu pour le pra­ti­quer, les femmes de la bonne société pou­vaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles out­ran­cières comme celles de Vil­lo­do ont été réécrites, la danse s’est raf­finée en adop­tant une atti­tude plus droite, plus élé­gante, le tan­go était prêt à entr­er dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aus­si plus ou moins l’époque où l’enregistrement élec­trique est apparu, ce qui nous per­met de con­serv­er des sou­venirs sonores de bien meilleure qual­ité de cette époque. Enreg­istrement.

Allons au bordel

La mai­son que cer­tains appel­lent pudique­ment « école de danse » ou tout sim­ple­ment Lo de Lau­ra (ou du nom d’une autre ten­an­cière) est tout sim­ple­ment une mai­son de plaisirs. Cepen­dant, il ne faut pas y voir néces­saire­ment un lieu sor­dide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la pros­ti­tu­tion au XIXe siè­cle avait dif­férents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Cour­tisane. À Paris, la Pai­va en était sans doute le meilleur exem­ple. C’était une pros­ti­tuée, plus ou moins occa­sion­nelle qui a réus­si à se faire remar­quer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs rich­es hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au con­traire, c’est le con­traire qui aurait été choquant. On aurait pen­sé qu’il était pin­gre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Paï­va, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Paï­va est le seul hôtel par­ti­c­uli­er restant de l’époque où on affir­mait que c’étaient les Champs-Élysées qui étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rival­i­saient sur les « Champs ». Même ce sur­vivant est mis à mal, car désor­mais masqué par la devan­ture d’un bistrot.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa pro­prié­taire.

Les cocottes

La cocotte (cocote en espag­nol) n’arrive pas au statut social des cour­tisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suff­isam­ment riche ou généreux pour lui per­me­t­tre de s’établir dans un somptueux hôtel par­ti­c­uli­er.
Notons que les économies qu’arrivent à faire cer­taines leur per­me­t­tent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pen­sions (loge­ments) ou des bor­dels. Elles con­tin­u­ent donc de tra­vailler, elles-mêmes ou font tra­vailler d’autres femmes, con­traire­ment aux Cour­tisanes, qui ne tra­vail­lent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son bud­get, se livre à l’exercice moyen­nant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre pro­fes­sion qui ne garan­tit pas un revenu suff­isam­ment réguli­er et impor­tant pour vivre. Cer­taines auront un peu de chance dans leurs ren­con­tres et iront rejoin­dre les cocotes, voire les cour­tisanes, mais d’autres fer­ont cela à temps plein et entreront alors dans les maisons clos­es.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a dif­férents étages. Je ne ren­tr­erai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre pro­pos. Ce qu’il suf­fit de savoir est que pour pra­ti­quer le tan­go dans les pre­miers temps, c’étaient des lieux où on pou­vait facile­ment trou­ver une parte­naire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela com­mençait avec un café, café qui reste tou­jours de mise dans la bouche des dragueurs des milon­gas portègnes…
Ces étab­lisse­ments étaient con­trôlés, notam­ment pour lim­iter la syphilis et gérés par une anci­enne pros­ti­tuée, un souteneur ou quelque entre­pre­neur entre­prenant. D’ailleurs, de très nom­breuses filles pau­vres, notam­ment des Français­es, sont venues à Buenos Aires avec les promess­es d’un bel Argentin et se sont retrou­vées dans ces étab­lisse­ments avec des for­tunes très divers­es. Par­mi elles, on pour­rait citer de nom­breuses « grisettes » comme Grise­ta, Male­na, Manón, Mar­got, María, Mimí, Mireya Ninón et Made­moi­selle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toute­fois était une admin­is­tra­trice de pen­sion, pas de bor­del, elle a employé dif­férem­ment ses économies.
Les dif­férentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activ­ité.

Les « Lo »

Par­mi les lieux les plus réputés pour la danse, on pour­rait citer Lo de Lau­ra, qui fait l’objet de ce tan­go et que nous avons déjà décrit à pro­pos de Sacale pun­ta, Lo de Maria la Vas­ca (la Basque). On cite sou­vent Lo de Hansen qui était un bar-restau­rant créé par un Alle­mand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois dou­teux que ce fût un lieu de danse et un bor­del. En revanche, Lo de Tan­cre­li revendique les deux fonc­tions.

Lo de Hansen

Cet étab­lisse­ment était situé dans le parc 3 de febrero (Paler­mo) qui a été inau­guré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 févri­er 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui mar­que le début de la péri­ode nom­mée « orga­ni­zación nacional » (organ­i­sa­tion nationale…) de l’histoire poli­tique mou­ve­men­tée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sol­licite auprès de la com­mis­sion du parc d’ouvrir un café-restau­rant dans une con­struc­tion du parc (prob­a­ble­ment antérieure à la créa­tion du parc en 1875, car elle était en mau­vais état. Il avait déjà un étab­lisse­ment depuis 1869, égale­ment à Paler­mo (en face de la gare). La com­mis­sion accepte et Juan Hansen effectuera dif­férents travaux comme l’ajout d’une ter­rasse sur le toit, le rem­place­ment du planch­er par un car­relage, l’agrandissement des fenêtres exis­tantes et la con­struc­tion d’un salon sup­plé­men­taire.

Le café de Hansen, ici nom­mé « Restau­rant del Par­que 3 de Febrero » et la men­tion J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux pho­tos les amé­nage­ments pro­posés à la com­mis­sion : Le car­relage et la ter­rasse panoramique.

Le café restau­rant ouvre donc, mais se livr­erait à d’autres activ­ités, comme l’avancent « José Sebas­t­ian Tal­lón dans El tan­go en su eta­pa de músi­ca pro­hibi­da. Buenos Aires, Insti­tu­to Ami­gos del Libro Argenti­no, 1959 et repris par Enrique Hora­cio Puc­cia dans “el Buenos Aires de Ángel Vil­lol­do”. »
« Hansen à Paler­mo, était un mélange de bor­del somptueux et de restau­rant. Un com­merce de précurseurs, pour­rait-on dire, avec en prime les bagar­res fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréa­tion de bacanci­tos (petits chefs) et com­padri­tos comme ils se définis­sent eux-mêmes. Et des bagar­reurs et des gens ayant divers prob­lèmes. »
Cepen­dant, plus qu’un bor­del, c’était une « Chup­ping house » comme dis­ent élégam­ment les Argentins qui ne veu­lent pas par­ler de la chose et la déguisent par une expres­sion anglaise qui pour­rait se traduire par mas­tur­ba­tion. Il sem­blerait que les bosquets avoisi­nants aient été prop­ices à ces activ­ités, notam­ment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux vis­ages. Il était ouvert en per­ma­nence. De jour, il accueil­lait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fau­teurs de trou­ble s’y retrou­vaient.
Par­mi eux, les ama­teurs de tan­go. Ceux-ci venaient écouter, car il était inter­dit de le danser, comme l’affirment notam­ment Amadeo Las­tra et Miguel Angel Scen­na.
Cepen­dant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dan­sait tout de même au son de la musique dans les alen­tours de l’établissement. Dans ce sens, je vous pro­pose le témoignage de Félix Lima :

« Se bail­a­ba? Esta­ba pro­hibido el bai­lon­go, pero a reta­guardia del caserón de Hansen, en la zona de las glo­ri­etas tanguea base liso, tan­gos dormilones, de con­tra­ban­do. Los mozos hacían la vista gor­da. El tan­go esta­ba en pañales. A un no había inva­di­do los salones de la “haute”. Sola­mente lo bail­a­ban las mujeres ale­gres »

« Est-ce qu’on y dan­sait ? Il était inter­dit de faire du bai­lon­go, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des glo­ri­ettes, il se dan­sait des tan­gos tran­quilles, des tan­gos las­cifs (endormis), de con­tre­bande. Les serveurs fai­saient sem­blant de ne pas voir (vista gor­da). Le tan­go avait encore des couch­es (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (ale­gres) le dan­saient.

El Esquina­zo, un suc­cès à tout rompre

C’est dans cet étab­lisse­ment qu’a eu lieu l’incroyable suc­cès de El Esquina­zo d’Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do. Voici com­ment le racon­te Pintin Castel­lanos dans Entre cartes y que­bradas, can­dombes, milon­gas y tan­gos en su his­to­ria y comen­tar­ios. Mon­te­v­ideo, 1948.
Pintin par­le du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Ansel­mo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le pro­prié­taire le 8 mai 1903, adop­té le nom « Restau­rante Recreo Paler­mo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Sig­nalons que Tarana avait cinq voitures, pour rac­com­pa­g­n­er les clients à domi­cile, ce qui témoigne bien du suc­cès.
La com­po­si­tion de Vil­lol­do a été un tri­om­phe […]. L’accueil du pub­lic fut tel que, soir après soir, il se ren­dit au et le rythme dia­bolique du tan­go sus­men­tion­né com­mença à ren­dre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de com­ment c’était joué à l’époque, un enreg­istrement de 1909 sor­ti le 5 mars 1910.

El esquina­zo 1910-03 05 — Estu­di­anti­na Cen­te­nario dirige par Vicente Abad (Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra Car­los Pesce ; A. Timarni [Anto­nio Poli­to])

Tout d’abord, et avec une cer­taine pru­dence, les clients ont accom­pa­g­né la musique de « El Esquina­zo » en tapant légère­ment avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours pas­saient et l’engouement pour le tan­go dia­bolique ne ces­sait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se con­tentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gar­dant le rythme, aug­men­tèrent peu à peu et furent rejoints par des tass­es, des ver­res, des chais­es, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arri­va une nuit, une nuit fatale, où se pro­duisit ce que le pro­prié­taire de l’établissement floris­sant ressen­tait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tan­go déjà con­sacré de Vil­lol­do, une cer­taine ner­vosité était per­cep­ti­ble dans le pub­lic nom­breux […] l’orchestre a com­mencé le rythme ryth­mique de « El Esquina­zo » et tous les assis­tants ont con­tin­ué à suiv­re leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chais­es, tables, ver­res, bouteilles, talons, etc. […]. Patiem­ment, le pro­prié­taire (Ansel­mo R Tarana) a atten­du la fin du tan­go du démon, mais le dernier accord a reçu une stand­ing ova­tion de la part du pub­lic. La répéti­tion ne se fit pas atten­dre ; et c’est ain­si qu’il a été exé­cuté un, deux, trois, cinq, sept… Finale­ment, de nom­breuses fois et à chaque inter­pré­ta­tion, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inou­bli­able a coûté au pro­prié­taire plusieurs cen­taines de pesos, irré­cou­vrables. Mais le prob­lème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait con­tin­uer à se pro­duire dans les nuits suiv­antes.
Après mûre réflex­ion, le mal­heureux « Pagani­ni » des « assi­ettes brisées » prit une réso­lu­tion héroïque. Le lende­main, les clients du café Tarana ont eu la désagréable sur­prise de lire une pan­car­te qui, près de l’orchestre, dis­ait : « Est stricte­ment inter­dite l’exécution du tan­go el esquina­zo ; La pru­dence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette mai­son était située en la calle Europa, aujourd’hui, Car­los Cal­vo au n° 2721. Elle apparte­nait à Car­los Kern (El Ingles) et sa femme, María Ran­gol­la, une basque française) et une anci­enne pros­ti­tuée, dev­enue Cour­tisane la gérait.
C’est là que Rosendo Men­dizábal a lancé « El Entr­erri­ano », voir cela dans l’article sur Sacale pun­ta.

El entr­erri­ano 1910-03-05 Estu­di­anti­na Cen­te­nario dir. Vicente Abad (enreg­istré en 1909, sor­tie du disque le 5 mars 1910). Une sym­pa­thique ver­sion avec une jolie man­do­line.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vas­ca.

Le mari de la Vas­ca, Car­los Kern dont l’autre surnom était Matasi­ete (tue sept en référence à son imposante stature) veil­lait à ce que les dames de la mai­son soient respec­tées.

Un mur­al réal­isé par Eduar­do Saba­do, Ernesto Mar­t­inchuk en décem­bre 2024, représente Lo de María la Vas­ca.

Un film un peu par­ti­c­uli­er sur cette mai­son : Orig­ines pro­hibidos y prostibu­lar­ios del tan­go — María Aldaz. Il y a beau­coup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défile­ment automa­tique, mais ce tra­vail est intéres­sant si vous avez le courage de vous y plonger.

Orig­ines pro­hibidos y prostibu­lar­ios del tan­go par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vas­ca pos­sé­dait un autre lieu, plus mod­este qui était situé à Chile au 1567 à la Soci­etad Patria e Lavoro. Cet immeu­ble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Par­da » Lore­to.
Avec le paiement d’un sup­plé­ment, il était pos­si­ble de prof­iter d’une cham­bre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vas­ca, n’était pas for­cé­ment bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y pas­sait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Lau­ra est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milon­ga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai par­lé à pro­pos de Sacale pun­ta.
Cette mai­son était beau­coup plus grande que celle de María la Vas­ca.

Lo de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Cette « mai­son » était située en Paraguay 2512. C’est main­tenant une mai­son de retraite…

Sa fréquen­ta­tion était plus éli­tiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tan­gos qui par­lent de ces maisons, comme Lo de Lau­ra.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Lau­ra

C’est le tan­go du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nou­veau nos deux anges. Var­gas et D’Agostino.

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Lau­ra et Lo de María la Vas­ca

 « Vos fuiste el rey del bai­lon­go en lo de Lau­ra y la Vas­ca… »

No aflo­jés 1940-11-13 – Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas (Pedro Maf­fia ; Sebastián Piana Letra: Mario Bat­tis­tel­la)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Lau­ra et lo de Hansen

En 1926, Car­los Gardel enreg­is­trait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bor­dels de luxe où on dan­sait le tan­go et cher­chait la com­pag­nie des femmes. La musique est de Fran­cis­co Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiem­pos viejos (Te acordás her­mano) 1926 — Car­los Gardel avec les gui­tares de Guiller­mo Bar­bi­eri et José Ricar­do (Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enreg­istré à de mul­ti­ples repris­es, mais seule­ment à par­tir de 1927, notam­ment avec sa com­pagne offi­cieuse, Ada Fal­cón.

Tiem­pos viejos (Te acordás her­mano) 1931-12-17 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro. C’est une autre ver­sion « chan­son ».

Je reviendrai à l’occasion du tan­go du jour sur une ver­sion de danse de ce titre, notam­ment le 28 sep­tem­bre avec la ver­sion enreg­istrée en 1937 par Fran­cis­co Canaro et Rober­to Mai­da.

¿Te acordás, her­mano ? ¡Qué tiem­pos aquél­los!
Eran otros hom­bres más hom­bres los nue­stros.
No se conocían cocó ni mor­fi­na,
los mucha­chos de antes no usa­ban gom­i­na.

¿Te acordás, her­mano? ¡Qué tiem­pos aquél­los!
¡Vein­ticin­co abriles que no volverán!
Vein­ticin­co abriles, volver a ten­er­los,
si cuan­do me acuer­do me pon­go a llo­rar.

¿Dónde están los mucha­chos de entonces?
Bar­ra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, her­mano,
yo y vos solos para recor­dar…
¿Dónde están las mujeres aquél­las,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Lau­ra pelea­ban
cada cual defen­di­en­do su amor?

¿Te acordás, her­mano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepe­da?

Casi me sui­ci­do una noche por ella
y hoy es una pobre mendi­ga hara­pi­en­ta.
¿Te acordás, her­mano, lo lin­da que era?
Se forma­ba rue­da pa’ ver­la bailar…
Cuan­do por la calle la veo tan vie­ja
doy vuelta la cara y me pon­go a llo­rar.

Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs élé­ments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne con­nais­sait pas la cocaïne ni la mor­phine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gom­i­na (le film argentin d’Enrique Car­reras ; Los mucha­chos de antes no usa­ban gom­i­na sor­ti le 13 mars 1969 pré­tend représen­ter cette époque et a choisi cette phrase de la chan­son comme titre.
Tu te sou­viens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepe­da ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepe­da, le poète Andrés Cepe­da [surnom­mé le Loco ou le mau­vais, il était de plus anar­chiste] et il a fail­li se sui­cider pour elle et aujourd’hui, elle est une men­di­ante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vas­ca

Cou­ver­ture de la par­ti­tion pour piano de la Vas­ca de Juan Car­los Bazan.

On a la par­ti­tion, mais pas d’enregistrement de ce tan­go.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Aro­las » [Le ban­donéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héc­tor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ron­da en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Aro­las étant mort à Paris]. La men­tion de Lo de Hansen est donc très som­maire, mais ça prou­ve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Lau­renz le met­tra en musique, mais il n’a prob­a­ble­ment pas été enreg­istré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduar­do Bar­beris le 25 avril 1905 (com­pos­i­teur anonyme).

Lo de Tran­queli, cet étab­lisse­ment de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaf­fec­té. À droite, la par­ti­tion avec la retran­scrip­tion des paroles qui sont assez dif­fi­ciles à com­pren­dre.

Eduar­do Bar­beris (qui a fait un tra­vail ethno­graphique en récoltant ce tan­go) a essayé de repro­duire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la par­ti­tion moins com­préhen­si­ble. Je vous pro­pose une ver­sion prob­a­ble et une tra­duc­tion approx­i­ma­tive à la suite…

Anoche en lo de Tran­queli
Bailé con la Bolado­ra
Y esta­ba la par­da Flo­ra
Que en cuan­to me vio estriló,
Que una vez en los Cor­rales
En un cafetín que esta­ba,
Le tuve que dar la bia­ba
Porque se me rever­só.

Pre­mier cou­plet du tan­go qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tran­queli, j’ai dan­sé avec la Bolado­ra. Il y avait la Par­da Flo­ra (Uruguayenne mulâtresse ayant tra­vail­lé à Lo de Lau­ra et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Cor­rales dans un café où elle était, j’avais dû lui don­ner une bran­lée, car j’étais à l’en­vers (retourné, pas dans mon assi­ette).
Je pro­pose de rap­procher la Par­da Flo­ra de Pepi­ta Avel­lane­da, qui si elle n’est pas la même a un par­cours très sim­i­laire : Uruguay, Lo de Lau­ra, Flo­res et la Boca.
Aux Cor­rales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier com­bat des guer­res civiles argen­tines. Les forces nationales y ont rem­porté la dernière manche con­tre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Cor­rales Viejos (situé à Par­que Patri­cios). On voit qu’on n’est pas dans l’am­biance feu­trée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Lau­ra…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tan­go est né aux Cor­rales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sen­ta­da, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tran­queli fait par­tie des piringundines, les bor­dels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les étab­lisse­ments de plus haute tenue comme Lo de Lau­ra.
Fer­nan­do Assun­cao, dans « El tan­go y sus cir­cun­stan­cias » men­tionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bor­del en Mon­te­v­ideo où il y avait régulière­ment (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga rela­jo pero con orden! », que ce soit déten­du, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est éton­nant et intéres­sant de voir com­ment le tan­go s’est frayé un chemin des faubourgs et de la pros­ti­tu­tion de bas étage, jusqu’aux plus hautes class­es de la société. Nous avons dévelop­pé aujourd’hui la pre­mière étape, celle où le tan­go est inter­dit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des étab­lisse­ments déguisés sous le nom d’école de danse ou de bor­dels.
J’ai passé sous silence la danse dans les con­ven­til­los (habi­tats pop­u­laires), mais on imag­ine que les fana­tiques du tan­go devaient saisir toutes les occa­sions pos­si­bles, dans les glo­ri­ettes où on pou­vait enten­dre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Pro­gres­sive­ment, il se trou­ve un chemin et va être dan­sé dans de nou­veaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Vic­to­ria.

El Teatro de la Vic­to­ria. On trou­ve en général la pho­to de droite asso­ciée à Lo de Lau­ra. Il s’agit en fait d’une pho­togra­phie réal­isée en 1905 au Teatro de la Vic­to­ria qui était situé au 954 de la calle Vic­to­ria (actuelle Hipoli­to Irigoyen).

L’étape suiv­ante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suiv­re…

Danseurs en Lo de Lau­ra — Recon­sti­tu­tion fan­tai­siste à tous points de vue.

Felicia 1966-03-11 – Orquesta Florindo Sassone

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

Feli­cia est un tan­go abon­dam­ment enreg­istré. La ver­sion d’aujourd’hui est un peu plus rare en milon­ga, car la sonorité par­ti­c­ulière de Sas­sone n’est pas recher­chée par tous les danseurs. Il a réal­isé cet enreg­istrement le 11 mars 1966, il y a 58 ans.

Florindo Sas­sone (12 jan­vi­er 1912 — 31 jan­vi­er 1982) était vio­loniste. Il a com­mencé à mon­ter son orchestre dans les années 1930.
Le suc­cès a été par­ti­c­ulière­ment long à venir, mais il a pro­gres­sive­ment créé son pro­pre style en s’inspirant de Frese­do et Di Sar­li. D’ailleurs, comme nous l’avons vu avant-hier avec Pimien­ta de Frese­do, les cor­re­spon­dances musi­cales sont nettes au point que l’on peut con­fon­dre dans cer­tains pas­sages Frese­do et Sas­sone dans les années 60. À Di Sar­li, il a emprun­té des élé­ments de sa la ligne mélodique et du dia­logue entre le piano et le chant des vio­lons.
Il gère son orchestre par bloc, sans met­tre en valeur un instru­ment par­ti­c­uli­er avec des solos.
Pour­tant, il a des musi­ciens de grand tal­ent dans son orchestre :

  • Piano : Osval­do Reque­na (puis Nor­ber­to Ramos)
  • Ban­donéons : Pas­tor Cores, Car­los Pazo, Jesús Mén­dez et Daniel Lomu­to (puis Orlan­do Calaut­ti et Oscar Car­bone avec le pre­mier ban­donéon Pas­to Cores)
  • Vio­lons : Rober­to Guisa­do, Clau­dio González, Car­los Arnaiz, Domin­go Man­cu­so, Juan Scafi­no et José Ama­tri­ali (Eduar­do Mataruc­co, Enrique Mario Franci­ni, José Ama­tri­ain, José Vot­ti, Mario Abramovich et Romano Di Pao­la autour de Car­los Arnaiz, Clau­dio González et Domin­go Man­cu­so).
  • Con­tre­basse : Enrique Mar­che­to (puis Mario Mon­teleone et Vic­tor Osval­do Mon­teleone)

Autre élé­ment de son orig­i­nal­ité, ses ponc­tu­a­tions qui ter­mi­nent une bonne part de ses phras­es musi­cales et des instru­ments plus rares en tan­go comme :

  • La harpe : Etelv­ina Cinic­ci
  • Le vibra­phone et les per­cus­sions : Sal­vador Molé

Écoutez le style très par­ti­c­uli­er de Sas­sone avec ce très court extrait de La can­ción de los pescadores de per­las (ver­sion de 1974).

Les dix pre­mières sec­on­des de la can­ción de los pescadores de per­las 1974. Remar­quez la harpe et le vibra­phone.

Extrait musical

Feli­cia 1966-03-11 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Les paroles

Il s’agit ici d’un tan­go instru­men­tal. Feli­cia peut être un prénom qui fait penser à la joie (feliz en espag­nol, félic­ité en français). Cepen­dant, Car­los Mauri­cio Pacheco a créé des paroles pour ce tan­go et elles sont loin de respir­er l’allégresse. Il exprime la nos­tal­gie pour sa terre natale (l’Uruguay) en regar­dant la mer. Il peut s’agir du Rio de la Pla­ta qui est telle­ment large qu’il est dif­fi­cile de ne pas le pren­dre pour une mer quand on le voit depuis Buenos Aires.

Allá en la cas­ta aparta­da
donde can­tan las espumas
el mis­te­rio de las bru­mas
y los secre­tos del mar,
yo mira­ba los capri­chos
ondu­lantes de las olas
llo­ran­do mi pena a solas:
mi con­sue­lo era el mirar.

Des­de entonces en mi frente
como un insond­able enig­ma
lle­vo patente el estig­ma
de este infini­to pesar.
Des­de entonces en mis ojos
está la som­bra graba­da
de mi tarde des­o­la­da:
en mis ojos está el mar.

Ya no ten­dré nun­ca aque­l­los
tintes suaves de mi auro­ra
aunque quizás se ate­so­ra
toda su luz en mis ojos.
Ya nun­ca veré mis playas
ni aspi­raré de las lomas
los volup­tu­osos aro­mas
de mis flo­res uruguayas.

Enrique Sabori­do Letra Car­los Mauri­cio Pacheco

J’ai 65 ver­sions dif­férentes de ce titre et pas une n’est chan­tée. On se demande donc pourquoi il y a des paroles. C’est sans doute qu’elles ont été jugées un peu trop tristes et nos­tal­giques et pas en adéqua­tion avec la musique qui est plutôt entraî­nante dans la plu­part des ver­sions.

Le vibraphone et la harpe dans le tango

Sas­sone a util­isé assez sys­té­ma­tique­ment la harpe et le vibra­phone dans ses enreg­istrements des années postérieures à 1960. C’est un peu sa sig­na­ture, mais il n’est pas le seul. Je vous invite à iden­ti­fi­er ces instru­ments dans les titres suiv­ants. Amis danseurs, imag­inez com­ment met­tre en valeur ces « dings » et « blo­ings ».

Vida mía 1934-07-11 — Tito Schipa con Orques­ta Osval­do Frese­do (Osval­do Frese­do Letra: Emilio Augus­to Oscar Frese­do).

Il peut s’agir d’un autre orchestre, mais on entend claire­ment le vibra­phone dans ce titre et pas dans la ver­sion de danse chan­tée par Rober­to Ray enreg­istrée moins d’un an avant, le 13 sep­tem­bre 1939. Je présente cette ver­sion pour illus­tr­er mon pro­pos, mais la voix criée de Schipa n’est pas des plus agréables, con­traire­ment à la ver­sion for­mi­da­ble de Ray.

Orques­ta Osval­do Frese­do. À gauche, on voit bien le vibra­phone. À droite, on voit bien la harpe. Le vibra­phone est caché à l’ar­rière.
El vals soñador 1942-04-29 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón (Arman­do Pon­tier Letra Oscar Rubens). On entend par exem­ple le vibra­phone à 6 et 22 sec­on­des.

Nina 1955 — Florindo Sas­sone (com­pos­i­teur Abra­ham).

Le vibra­phone puis la harpe débu­tent ce thème (Nina 1955 Florindo Sas­sone. Extrait de « 100 años de vibrá­fono y su desar­rol­lo en el Tan­go » de Ger­ar­do Ver­dun (vibra­phon­iste que je vous recom­mande si vous vous intéressez à cet instru­ment).

Nina 1971 — Florindo Sas­sone (com­pos­i­teur Abra­ham), le même thème enreg­istré en 1971.

Pour en savoir plus sur les instru­ments de musique du tan­go, vous pou­vez con­sul­ter l’excellent site : Milon­gaophe­lia. Il manque quelques instru­ments comme la scie musi­cale, l’orgue Ham­mond, les ondes Martenot et éventuelle­ment l’accordéon, mais leur panora­ma est déjà assez com­plet.
Comme danseur, vous pou­vez vous entraîn­er à les recon­naître et les choisir pour dynamiser votre impro­vi­sa­tion en pas­sant d’un instru­ment à l’autre au fur et à mesure de leurs jeux de réponse.
Voici Florindo Sas­sone en représen­ta­tion au Teatro Colón à Buenos Aires, le 21 juil­let 1972. Vous pour­rez enten­dre (dif­fi­cile­ment, car le son n’est pas génial) :

  • (00:00) Organ­i­to de la Tarde (Castil­lo Cátu­lo (Ovidio Cátu­lo Castil­lo González) Letra : José González Castil­lo (Juan de León). On retrou­ve l’inspiration de Di Sar­li dans cette inter­pré­ta­tion.
  • (02:26) Cham­pagne tan­go (Manuel Aróztegui Letra: Pas­cual Con­tur­si)
  • (05:45) La cumpar­si­ta (Ger­ar­do Matos Rodríguez Letra: Pas­cual Con­tur­si)
  • (08:53) Re Fa si (Enrique Delfi­no). On y entend bien la harpe et le vibra­phone.

Sur la vidéo on peut remar­quer la harpe, le vibra­phone, mais aus­si les tim­bales, pas si courantes dans un orchestre de tan­go.

Et pour en ter­min­er avec le tan­go du jour, un tan­go assez orig­i­nal, car il s’agit en fait d’un morceau de musique clas­sique française, de Georges Bizet (Les pêcheurs de per­les) qui a don­né lieu à dif­férentes ver­sions par Sas­sone, donc celle que je vous offre ici, enreg­istrée en 1974. Vous y enten­drez la harpe et le vibra­phone, nos héros du jour.

La can­ción de los pescadores de per­las 1974 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Nous sommes à présent au bord de la mer, partageant les pen­sées de Car­los Mauri­cio Pacheco, songeant à son pays natal.

Car­los Mauri­cio Pacheco, pen­sant à son Uruguay natal en regar­dant les vagues.

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Pimienta 1939-03-10 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (compositeur)

Frese­do est un vieux de la vieille, mais dont le style a beau­coup évolué au cours de sa longue car­rière de chef d’orchestre. Pimien­ta, est un des fleu­rons de la par­tie la plus intéres­sante de ses 70 ans de tan­go. Il en est le com­pos­i­teur et ici l’interprète.

Frese­do a com­mencé à jouer en pub­lic à 16 ans, en 1913. À par­tir de 1920, il a com­mencé à enreg­istr­er, jusque dans les années 1980, env­i­ron 1200 titres.

À plus de 90 %, ce sont des tan­gos. Moins de deux pour cent sont des valses ou des milon­gas. Le reste sont dif­férents rythmes, pasodobles, scot­tishs, con­gas, fox-trots, chan­sons, rancheras, rum­bas, shim­mys et autres. En effet, comme beau­coup d’orchestres de tan­go, il jouait d’autres styles, car dans les bals de l’époque se dan­saient de nom­breux styles et pas seule­ment ceux issus du tan­go. Dans les pro­grammes des événe­ments un peu plus con­séquents, il y avait en général deux orchestres annon­cés. Un de tan­go et un de « Jazz » (le reste). N’oublions pas qu’il a joué avec Dizzy Gillep­sie.

S’il a enreg­istré avec dif­férents chanteurs, dont Car­los Gardel et réal­isé de mer­veilleux enreg­istrements avec Rober­to Ray et Ricar­do Ruiz, la majorité de sa pro­duc­tion de tan­go sont instru­men­taux.

C’est le cas de notre tan­go du jour, Pimien­ta, enreg­istrée le 10 mars 1939 auprès de la RCA Vic­tor. Le numéro de matrice est 12706–1 et le disque est la référence 38682B.

Le même jour, il a enreg­istré avec Ricar­do Ruiz, un tan­go mag­nifique, mais que peu de DJ passent en milon­ga, bien qu’il soit par­faite­ment dans­able. Je vous le pro­pose aus­si à l’écoute

Extrait musical

Pimien­ta 1939-03-10 Osval­do Frese­do. L’impressionnant glis­san­do qui est une car­ac­téris­tique de plusieurs titres de Frese­do donne l’impression que quelque chose chute. Comme danseur, il est dif­fi­cile de résis­ter à l’envie de faire quelque chose pour mar­quer « l’atterrissage ».
Mi gitana 1939-03-10 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz — Juan José Guichan­dut Letra : Enrique Cadí­camo.

Autre versions de Pimienta par Osvaldo Fresedo

De 1939 à 1962, Frese­do a enreg­istré qua­tre fois Pimien­ta. Cela nous donne une idée de la pro­gres­sion de son style sur cette péri­ode.
Voici les qua­tre enreg­istrements par ordre chronologique :

Pimien­ta 1939-03-10 Osval­do Frese­do. C’est l’enregistrement du jour. Un des grands titres pour les danseurs.
Pimien­ta 1945 Osval­do Frese­do.

C’est un enreg­istrement pub­lic, à la radio, dans le cadre de la Ron­da Musi­cal de las Améri­c­as. Osval­do Frese­do dirige son Gran Orques­ta Argenti­na avec le mer­veilleux Elvi­no Var­daro comme pre­mier vio­lon et Emilio Bar­ba­to au piano. J’ai coupé le blabla au début pour ne garder que la musique. La musique est rel­a­tive­ment courte, seule­ment 1,45 minute, sans doute à cause du for­mat imposé par la radio et du bavardage ini­tial (50 sec­on­des). La qual­ité sonore est médiocre comme la plu­part des « graba­ciones radi­ales » (enreg­istrement à la radio), mais on peut remar­quer un cer­tain nom­bre de dif­férences dans l’orchestration par rap­port à la ver­sion orig­i­nale de 1939.

Pimien­ta 1959-01-23 — Osval­do Frese­do.

Vingt ans après la pre­mière ver­sion, celle-ci est d’un style très dif­férent. Plus « sym­phonique », plus enrichi, avec une orches­tra­tion com­plète­ment renou­velée. On retrou­ve tout de même les chutes, mais il me sem­ble que la danse n’y trou­ve pas son compte. C’est joli, mais je ne le pro­pose pas en milon­ga, mal­gré quelques trou­vailles intéres­santes d’une meilleure super­po­si­tion des plans et des chutes assez impres­sion­nantes.

Pimien­ta 1962-10-04 — Osval­do Frese­do.

Encore dif­férent de la ver­sion de 1959, on trou­ve ici le « Frese­do-Sas­sone ». En effet, on trou­ve dans cette ver­sion les « glings » chers à Sas­sone qui fait que l’on ne retrou­ve pas du tout l’esprit de Frese­do tel que le conçoivent les danseurs habitués à ces titres des années 30–40. Mal­gré des impacts intéres­sants, cette ver­sion est sans doute un peu monot­o­ne pour la danse.
En résumé, hormis pour l’illustration, je reste avec la mer­veilleuse ver­sion de 1939.

Qui est pimienta ?

La pimien­ta est le poivre. Je ne pense pas que Frese­do pen­sa à faire l’apologie de cette épice quand il a écrit le titre. N’ayant pas trou­vé d’information sur le sujet, j’ai cher­ché d’autres tan­gos par­lant de pimien­ta. Il n’y en a pas dans ma dis­cothèque, pour­tant assez vaste. Il y a bien une milon­ga Azú­car, pimien­ta y sal d’Héctor Varela (Salus­tiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) et avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mar­i­ano Aznar).

Azú­car, pimien­ta y sal 1973 — Orques­ta Héc­tor Varela con Fer­nan­do Sol­er y Jorge Fal­cón

Le sujet est une femme, au car­ac­tère vari­able. Voici ce qu’en dit un des cou­plets, le dernier :

La quiero difí­cil como es,
con su mun­do difer­ente.
Qué impor­ta su mun­do al revés,
sin que cam­bie fácil­mente.
Tam­poco lo que hablen de mi,
porque yo la quiero así.
Así, como es
rebelde y angel­i­cal.
¡Así, como es,
azú­car, pimien­ta y sal!

Héc­tor Varela (Salus­tiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mar­i­ano Aznar)

Tra­duc­tion :

Je l’aime dif­fi­cile comme elle est, avec son monde dif­férent.
Qu’importe son monde à l’envers, sans qu’il change facile­ment.
Ni ce qu’ils dis­ent de moi, parce que je l’aime ain­si. Rebelle et angélique. Ain­si, comme elle est le sucre, le poivre et le sel
!

J’ai donc imag­iné que Pimien­ta par­lait d’une femme au car­ac­tère bien mar­qué. C’est ain­si que j’ai pro­posé l’image de cou­ver­ture, avec une femme, dis­ons, presque en colère…

Pour ter­min­er, je pro­pose cette beauté « angélique », mais avec une pointe de rébel­lion dans les yeux.

¿Pimien­ta?

Sacale punta 1938-03-09 (Milonga tangueada) — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Cette milon­ga du jour a été enreg­istrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enreg­istrée par Dona­to et est tou­jours un suc­cès dans les milon­gas. Cepen­dant, son titre prête à inter­pré­ta­tions et je choi­sis ce pré­texte pour vous faire entr­er dans le monde du tan­go du début du 20e siè­cle.

Edgar­do Dona­to inter­prète ici une milon­ga écrite par son frère, pianiste, Osval­do. Deux chanteurs inter­vi­en­nent, Hora­cio Lagos et Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani). Ils ne chantent que deux cou­plets, comme il est d’usage pour le tan­go de danse.

Le disque

Sacale pun­ta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Vic­tor 38397.

Sur l’étiquette on trou­ve plusieurs men­tions. Le nom de l’orchestre, Edgar­do Dona­to y sus Mucha­chos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Hora­cio Lagos. Ran­dona n’est pas men­tion­né.
On trou­ve le nom des auteurs et com­pos­i­teurs. L’auteur des paroles est en pre­mier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pour­rez écouter cette valse en fin d’article.
Sur le disque, on peut remar­quer sur l’étiquette l’encadré suiv­ant…

Exé­cu­tion publique et radio-trans­mis­sion réservées à RCA Vic­tor Argenti­na INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milon­ga 😉

Extrait musical

Sacale pun­ta 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani)

Les paroles

Sacale pun­ta a esta milon­ga
Que ya empezó.
Sen­tí que esos fueyes que rezon­gan
De corazón.
Y las pebe­tas se han venido
De « true Vuit­ton ». (De tru­co y flor)
El tan­go requiebra la vida (El tan­go es rey que da la vida)
Y en su nota despar­ra­ma,
Su amor.

Tan­go lin­do de arra­bal
Que yo,
No lo he vis­to des­ma­yar
¡ Tri­un­fó!.
Tan­go lin­do que al can­tar
Vol­có,
Su fe, su amor
Varón tenés que ser.

Nada hay que hac­er cuan­do rezon­gan
El ban­doneón
Ore­ja a ore­ja las pare­jas
Bailan al son,
De un tan­go lleno de recuer­dos
Que no cayó.
Si des­de los tiem­pos de Lau­ra
Se ha sen­ti­do primera agua
y bril­ló.

Osval­do Dona­to Letra San­dalio Gómez. Seuls les deux pre­miers cou­plets sont chan­tés dans cette ver­sion.

Pourquoi un crayon à la milonga ?

Les paroles de cette chan­son par­lent donc de la milon­ga, du point de vue de l’homme qui se pré­pare à danser joue con­tre joue (oreille con­tre oreille) avec des jeunes femmes.
« Saca pun­ta » se dit pour tailler les crayons, faire sor­tir, la pointe, la mine. Cela se dit couram­ment dans les écoles.

Sacale pun­ta. J’ai représen­té le cray­on bien tail­lé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite par­tie de l’énigme.

Ici, San­dalio a écrit « Sacale pun­ta a esta milon­ga », sors-lui la pointe à cette milon­ga…
Pour ceux qui pour­raient s’interroger, sur l’intérêt d’apporter un cray­on à la milon­ga. Une petite inves­ti­ga­tion qui je l’espère ne sera pas trop déce­vante :

Les autres textes de Sandalio Gómez

Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par San­dalio Gómez on trou­ve :
Deux tan­gos : « Cum­br­era » et « El mun­do está loco ». Le pre­mier est un hom­mage à Car­los Gardel et le sec­ond s’inscrit dans la tra­di­tion de « Cam­bal­ache » ou de « Al mun­do le fal­ta un tornil­lo », ces tan­gos qui par­lent de la dégénéres­cence du Monde.
Deux milon­gas : « De pun­ta a pun­ta » et « Mis pier­nas » qui est une milon­ga qui incite à se repos­er, car les paroles com­men­cent ain­si : « Sen­tate, cuer­po sen­tate, que las pier­nas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peu­vent plus.
Un paso doble : « Embru­jo » par­le d’un « envoute­ment » amoureux.
Du grand clas­sique et si ce n’était ce « Sacale pun­ta », les paroles ne prêteraient pas à inter­pré­ta­tion. On n’est pas en présence de textes de Vil­lol­do qu’il a sou­vent fal­lu remanier pour respecter les bonnes mœurs.

D’autres musiques utilisant « Sacale punta »

Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale pun­ta ». Par exem­ple, la milon­ga écrite par José Bas­so : « Sacale pun­ta al lápiz » 1955-09-16 écrite par José Bas­so, mais qui n’a pas de paroles.

Sacale pun­ta al lápiz 1955-09-16 — José Bas­so (Musique José Bas­so)

Si on reste en Argen­tine, on trou­ve plus récem­ment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont sou­vent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milon­ga de Bas­so et qui est inter­prétée par Neni y su ban­da. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous don­nerai pas les paroles, mais sachez que le pos­sesseur du lápiz (cray­on) se vante de pou­voir en faire quelque chose au lit.
Le groupe cubain Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera chante égale­ment « Sacale pun­ta al lápiz ». Ce son est avec des paroles rel­a­tive­ment explicites, la muñe­qua (poupée) faisant référence au même cray­on que la cumbia sus­men­tion­née.

Sácale la pun­ta al lápiz — Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera

Le chanteur por­tor­i­cain de Sal­sa, Adal­ber­to San­ti­a­go, chante dans une sal­sa du même titre, « Sacale pun­ta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa com­pagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit pré­par­er la mine de son cray­on pour pou­voir tout not­er. On est donc ici, dans la lignée sco­laire, du cray­on dont on doit affuter la mine.

Sácale pun­ta 1982-12-31 — Adal­ber­to San­ti­a­go

Dans l’esprit du cray­on pour écrire, on pour­rait penser au car­net de bal pour inscrire les parte­naires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le car­net et le cray­on seront pour not­er les coor­don­nées de la belle…

Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?

Comme vous l’imaginez, les pistes précé­dentes ne me sat­is­font pas. Je vais vous don­ner ma ver­sion, ou plutôt mes ver­sions, mais qui se rejoignent. Pour cela, inter­ro­geons le lun­far­do, l’argot portègne.
En lun­far­do se dit : « de pun­ta en blan­co » qui sig­ni­fie élé­gant. Il est donc logique de penser que le nar­ra­teur souhaite sor­tir ses meilleurs vête­ments pour aller à la milon­ga.
Tou­jours en lun­far­do, « hac­er pun­ta » est aller de l’avant. On peut donc imag­in­er qu’il faut aller de l’avant pour aller à la milon­ga.
Con­tin­uons avec le lun­far­do : La pun­ta est aus­si un couteau, une arme blanche. Quand on con­naît la répu­ta­tion des com­padri­tos, on se dit qu’ils peu­vent être prêts à sor­tir le couteau à la moin­dre occa­sion à la milon­ga.
Pour résumer, il se pré­pare avec ses beaux habits, éventuelle­ment avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milon­ga qui a déjà com­mencé, pour danser joue con­tre joue et dis­cuter ce qui se doit avec ceux qui se met­tent en tra­vers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un dou­ble sens à la Vil­lol­do, surtout si on se réfère au fait que cette milon­ga se réfère au début du XXe siè­cle, époque où les paroles étaient beau­coup plus « libres ».

Lo de Laura

En effet, le dernier cou­plet, qui n’est pas chan­té ici, par­le du temps de Lau­ra. Il s’agit de la casa de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milon­ga était de bonne fréquen­ta­tion au début du vingtième siè­cle.

Lo de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Cette « mai­son » était située en Paraguay 2512. C’est main­tenant une mai­son de retraite…

Les danseurs pou­vaient danser avec les « femmes » de la mai­son moyen­nant le paiement de quelques pesos. Je ne con­nais pas le prix pour cette mai­son, mais dans une mai­son com­pa­ra­ble, Lo de Maria (La Vas­ca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la pro­prié­taire, « El Ingles » (Car­los Kern) veil­lait à ce que les pro­tégées soient respec­tées. On est tou­jours à l’époque du tan­go de prostibu­lo, mais avec classe.
Il indique que dès l’époque de Lau­ra, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milon­ga « En lo de Lau­ra » (musique d’Antonio Poli­to et paroles d’Enrique Cadí­camo). En effet, dans cette milon­ga, Cadí­camo a écrit : « Milon­ga provo­cado­ra que me dio car­tel de tau­ra… », Milon­ga provo­cante qui me don­na le titre de cham­pi­on (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, com­padri­to, courageux, qui se mon­tre…).

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas — Anto­nio Poli­to Letra Enrique Cadí­camo (Domin­go Enrique Cadí­camo)

Pour vous don­ner une idée de l’ambiance de Lo de Lau­ra, vous pou­vez regarder cet extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky et qui est sor­ti le 11 juil­let 1952. C’est bien sûr une recon­sti­tu­tion, avec les lim­ites que ce genre impose.

Recon­sti­tu­tion de l’am­biance en Lo de Lau­ra. Extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky sor­ti le 11 juil­let 1952

Dans cette par­tie du film se joue “El Entr­erri­ano” d’Ansel­mo Rosendo Men­dizábal. En effet, une tra­di­tion veut que Men­dizábal ait écrit ce tan­go en Lo de Lau­ra. Il était en effet pianiste dans cet étab­lisse­ment et c’est donc fort pos­si­ble. Il inter­ve­nait aus­si à Lo de Maria la Vas­ca et cer­tains affir­ment que cet dans ce dernier étab­lisse­ment qu’il a inau­guré le tan­go.
Notons que les deux affir­ma­tions ne sont pas con­tra­dic­toires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose.
Il décrit cela dans une let­tre envoyée en 1934 à Héc­tor et Luis Bates et qui la pub­lièrent en 1936 dans « Las his­to­rias del tan­go: sus autores » :

“Existía una casa de baile que era cono­ci­da por “María la Vas­ca”. Allí se bail­a­ba todas y toda la noche, a tres pesos hora por per­sona. Encon­tra­ba en esos bailes a estu­di­antes, cuidadores y jock­eys y en gen­er­al, gente bien. El pianista ofi­cial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó “El entr­erri­ano”. […] así se bailó has­ta las 6 a.m. Al reti­rarnos lo saludé a Rosendo, de quien era ami­go, y lo felic­ité por su tan­go inédi­to y sin nom­bre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a ust­ed, pón­gale nom­bre”. Le agradecí pero no acep­té, y debo decir la ver­dad, no lo acep­té porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al ten­er que ret­ribuir la aten­ción. Pero le sug­erí la idea que se lo ded­i­case a Segovia, un mucha­cho que pasea­ba con nosotros, ami­go tam­bién de Rosendo y admi­rador; así fue; Segovia acep­tó el ofrec­imien­to de Rosendo. Y se le puso “El entr­erri­ano” porque Segovia era ori­un­do de Entre Ríos.”.

José Guidobono

Tra­duc­tion :

Il y avait une mai­son de danse con­nue sous le nom de « María la Vas­ca ». On y dan­sait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par per­son­ne. À ces bals, j’ai croisé des étu­di­ants, des médecins et des jock­eys [c’était une soirée spé­ciale du Z Club, club auquel Rosendo Men­dizábal a d’ailleurs dédié un tan­go (Z Club)] et en général, de bonnes per­son­nes.
Le pianiste offi­ciel était Rosendo et c’est là que « El entr­erri­ano » a été joué pour la pre­mière fois. […] c’est ain­si qu’on a dan­sé jusqu’à 6 heures du matin.
En par­tant, j’ai salué Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai félic­ité pour son tan­go inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédi­cac­er, donne-lui un nom ». Je l’ai remer­cié, mais je n’ai pas accep­té, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accep­té parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remerci­er de l’attention. Mais j’ai sug­géré l’idée qu’il le dédi­cace à Segovia, un garçon qui mar­chait avec nous, égale­ment ami et admi­ra­teur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accep­té l’offre de Rosendo. Et il l’a inti­t­ulé « El Entr­erri­ano » parce que Segovia était orig­i­naire d’Entre Ríos. […] Rosendo a ain­si gag­né cent man­gos (pesos en lun­far­do). »

La face A du disque Victor 38397

Sur la face A du même disque Vic­tor a gravé une valse. Elle a été enreg­istrée le même jour par Dona­to et Lagos, comme c’est sou­vent le cas.
Cette valse est sub­lime, je vous la pro­pose donc ici :

Qué será ? 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Pepe Guízar (MyL)

Ne pas con­fon­dre cette valse avec une au titre qui ne dif­fère que par deux let­tres…

Quién será ? 1941-10-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Luis Rubis­tein (MyL)

Un clin d’œil pour les DJ

Felix Pich­er­na, un célèbre DJ de l’époque des cas­settes Philips, util­i­sait un cray­on pour rem­bobin­er ses cas­settes. Il devait donc sacar la pun­ta antes de la milon­ga.
J’en par­le dans mon arti­cle sur les tan­das.
Main­tenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Lau­ra ou dans votre milon­ga favorite.

Felix Pinch­er­na util­isant un cray­on pour rem­bobin­er sa cas­sette de corti­na. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04–9/

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Juan Anto­nio Col­la­zo Letra : Rober­to Fontaina ; Víc­tor Soliño

Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élé­gant et un peu pré­cieux. Cepen­dant, le tan­go du jour par­le d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invi­tent à décou­vrir le per­son­nage avec une car­i­ca­ture légère et entraî­nante. C’est aus­si pour moi, l’occasion de vous faire sou­venir d’un orchestre un peu oublié.

Même dans le monde du tan­go, il y a des per­son­nes qui aiment paraître, qui ont la « nar­iz para­da » (le nez relevé par la fierté), qui souhait­ent péter plus haut que leur cul. Ce tan­go, dont les paroles qui sont de Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño, par­lent d’un de ces per­son­nages de ban­lieue qui joue à être de la haute (société).
Ce tan­go a été enreg­istré à divers­es repris­es, en deux vagues.
La plus anci­enne ver­sion est une ver­sion chan­tée par Alber­to Vila, accom­pa­g­né à la gui­tare en 1927. L’année suiv­ante, la Típi­ca Vic­tor enreg­istre une ver­sion instru­men­tale et en 1930 Irus­ta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (vio­lon).
Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons cer­tains de ces enreg­istrements.

À propos de Niño bien

 Niño bien a don­né son nom à une milon­ga du jeu­di à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a mal­heureuse­ment dis­paru, comme tant d’autres.

La Leone­sa, le salon où se déroulait la milon­ga Niño bien. Je pense que vous recon­nais­sez le DJ 😉

Cette milon­ga était suff­isam­ment fameuse pour que Bri­an Win­ter donne son nom à un de ses livres (Bien après minu­it à la Niño bien). Une autre milon­ga fameuse qui elle aus­si a dis­paru, Thun­der­land est l’autre héroïne par­mi les milon­gas citées dans ce livre.

La cap­ti­vante quête d’une Améri­caine dans les milon­gas portègnes pour retrou­ver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milon­ga aux USA. Pour le retrou­ver, elle devra décou­vrir tous les aspects du tan­go. Ce livre per­met de se remé­mor­er des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milon­ga Niño Bien évo­quée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâch­er le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.

Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Enrique (Faus­ta) Mora (8 févri­er 1915 – 14 juil­let 2003) est sans doute injuste­ment oublié, Il était un bril­lant pianiste, chef d’orchestre et com­pos­i­teur de tan­gos comme Este es tu tan­go, con­nu par les enreg­istrements de Ricar­do Tan­turi avec Rober­to Videla ou Enrique Rodriguez avec Arman­do Moreno.
J’imagine que son oubli vient en par­ti­c­uli­er du fait qu’il n’a enreg­istré que dans les années 50, un moment où le tan­go de danse était en régres­sion. Il n’a donc pas été réédité aus­si rapi­de­ment que les mon­stres sacrés. Je suis donc con­tent de lui redonner jus­tice, comme j’avais ressor­ti de l’oubli Dona­to Rac­ciat­ti il y a une ving­taine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrou­vera une simil­i­tude entre Mora, Rac­ciat­ti et Fir­po, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évo­quer Nina Miran­da ou Olga Del­grossi, voire Tita Merel­lo qui a aus­si chan­té ce titre.
Elsa Moreno a enreg­istré une douzaine de titres avec le cuar­te­to d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le pre­mier de la série.

Extrait musical

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Cou­ver­ture du numéro 40 de la revue heb­do­madaire El tan­go de Moda (1929). Cette revue a été pub­liée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.

Les paroles

Niño bien, pre­ten­cioso y engrupi­do,
que tenés berretín de fig­u­rar;
niño bien que llevás dos apel­li­dos
y que usás de escrito­rio el Petit Bar;
pelandrún que la vas de dis­tin­gui­do
y siem­pre hablás de la estancia de papá,
mien­tras tu viejo, pa’ ganarse el puchero,
todos los días sale a vender fainá.

Vos te creés que porque hablás de ti,
fumás taba­co inglés
paseás por Sarandí,
y te cortás las patil­las a lo Rodol­fo
sos un fifí.
Porque usás la cor­ba­ta car­mín
y allá en el Chante­cler
la vas de bailarín,
y te mandás la bia­ba de gom­i­na,
te creés que sos un rana
y sos un pobre gil.

Niño bien, que naciste en el sub­ur­bio
de un bulín alum­brao a querosén,
que tenés pedi­grée bas­tante tur­bio
y decís que sos de famil­ia bien,
no manyás que estás mostran­do la hilacha
y al cam­i­nar con aire tri­un­fador
se ve bien claro que tenés mucha clase
para lucirte detrás de un mostrador.

Juan Anto­nio Col­la­zo Letra: Rober­to Fontaina; Víc­tor Soliño

Traduction

Niño bien (enfant de « bonne famille »), pré­ten­tieux et van­i­teux, qui a pour but (loisir), le paraître ;
Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ;
Pelandrún (per­son­ne oisive et paresseuse) qui se meut de façon dis­tin­guée et qui par­le tou­jours de l’estancia (ferme de gros pro­prié­taire ter­rien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gag­n­er sa vie, sort tous les jours pour ven­dre des fainás (pains plats à base de farine de pois chich­es, ali­ment pour les pau­vres, mais que vendent aus­si les pizze­rias argen­tines).
Tu crois que, parce-ce que tu par­les de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodol­fo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode).
Parce que tu portes la cra­vate carmin et que tu vas comme danseur au Chante­cler et que tu t’en­voies bia­ba de gom­i­na (coif­fure avec une quan­tité exagérée de gom­i­na), tu te prends pour une rana (grenouille, per­son­ne avisée) et tu es un pau­vre gil (imbé­cile, médiocre, cave).
Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bor­del éclairé au pét­role (kérosène), qui a un pedi­gree plutôt trou­ble et tu dis que tu descends d’une bonne famille,
Tu ne soupçonnes pas que tu mon­tres le fil et, lorsque tu march­es d’un air tri­om­phant, il est très clair que tu as beau­coup de classe pour briller der­rière un comp­toir.

La photo de couverture

Pour cette image, je ne suis pas par­ti de pho­tos. Je vais vous expli­quer la démarche, à la lueur des paroles du tan­go.

Siem­pre hablás de la estancia de papá, mien­tras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu par­les tou­jours du domaine de ton papa, cepen­dant ton vieux, pour gag­n­er la pitance, sort tous les jours pour ven­dre des fainás (Galettes à base de farine de pois chich­es)].

Au cou­plet suiv­ant : « te cortás las patil­las a lo Rodol­fo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valenti­no), tu es un efféminé.

Pour l’image, je suis par­ti de l’idée d’avoir le Niño Bien au pre­mier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de par­tir de son mod­èle, à savoir Rudolph Valenti­no, cet acteur de l’époque du ciné­ma muet qui était con­sid­éré comme par­ti­c­ulière­ment beau. Pour le père, j’ai décidé de met­tre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véri­ta­ble vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chich­es, cuites au four à piz­za, à la poêle, ou sur des instal­la­tions plus som­maires, comme on peut le voir sur la pho­to.
Voici les images orig­i­nales :

À gauche, Rudolph Valenti­no. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas iden­ti­fié le stu­dio (pho­to ou ciné­ma). À droite, le « père » est en fait Ricar­do Ravadero, un vendeur ambu­lant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette pho­to).

Autres versions

Niño bien 1927-12-03 — Alber­to Vila con gui­tar­ras.

Une jolie et sim­ple ver­sion par Alber­to Vila accom­pa­g­née par la gui­tare. Les tré­mo­los de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.

Niño bien 1928-04-09 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Cette ver­sion instru­men­tale. Sous ses airs de marche mil­i­taire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas tri­om­phant dans la rue Sarandí…

Après la pre­mière vague des années 20–30, la relance du titre vient de la sor­tie du film d’Homero Manzi e Ralph Pap­pi­er « Pobre mi madre queri­da », sor­ti le 28 avril 1948. Hugo del Car­ril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se ter­min­er en bagarre…

Nino bien 1948-04-28 (sor­tie du film) — Hugo del Car­ril. Extrait du film « Pobre mi madre queri­da » de Home­ro Manzi y Ralph Pap­pi­er
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Elsa Moreno. C’est le tan­go du jour.
Niño bien 1955-03-22 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Luis Men­doza. Avec de la réver­béra­tion. On peut préfér­er la ver­sion de 1953…
Niño bien 1955-03-22 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Luis Men­doza. Avec de la réver­béra­tion. On peut préfér­er la ver­sion de 1953…
Niño bien 1956-06-14 — Tita Merel­lo accom­pa­g­née par Fran­cis­co Canaro.

La gouaille incroy­able de Tita Merel­lo, fait de cette ver­sion un morceau d’anthologie. Pas garan­ti pour le bal, c’est d’ailleurs présen­té comme une chan­son, mais à ne pas rater.

Niño bien 1965c – Cuar­te­to Los porteñi­tos.

Un jour, il fau­dra que je vous par­le un peu de ce tal­entueux musi­cien qui a réus­si dans tous les gen­res, du jazz au tan­go, San­tos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a for­mé un cuar­te­to avec Esta­ban Ubal­do De Lío et Héc­tor Davis à la gui­tare, Rober­to Tier­ri­ta Guisa­do, qui était le pre­mier vio­lon de l’orchestre de Di Sar­li (on con­naît l’importance du vio­lon pour les inter­pré­ta­tions de Di Sar­li). Lui-même, San­tos Lipesker tient le ban­donéon, mais il jouait d’autres instru­ments à vent comme le sax­o­phone ou la clar­inette. Ce cuar­te­to n’a enreg­istré, sem­ble-t-il que deux cas­settes. C’est sans doute dom­mage, car c’est plutôt réus­si, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus appré­cié dans les bals…

Niño bien, 1975c — Elba Berón accomp. Cuar­te­to A Puro Tan­go, dirigé par Miguel Nijen­sohn.

Avec Elba, on retrou­ve la gouaille de Tita, avec un accom­pa­g­ne­ment plus sim­ple priv­ilé­giant la gui­tare, comme dans la pre­mière ver­sion que je vous ai pro­posée, celle d’Alberto Vila.

Cette anec­dote pub­liée ini­tiale­ment le 8 mars 2024 a été com­plétée le 7 mars 2025 (tra­duc­tions et nou­velles inter­pré­ta­tions).

Le Niño Bien sem­ble déton­ner dans le mag­a­sin et les clients le regar­dent avec un air éton­né.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

Agustín Bardi (compositeur)

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sub­lime tan­go s’appelait « Tin­ta Verde » (Encre verte). La ver­sion de ce tan­go du jour a été enreg­istrée par Ani­bal Troi­lo le 7 mars 1938, il y a exacte­ment 86 ans, mais la musique a été écrite par Bar­di en 1914. Une his­toire d’amitié comme il en existe tant en Argen­tine.

Jetez l’encre

Agustín Bar­di (13 août 1884 — 21 avril 1941) a écrit ce très beau tan­go en 1914. Il n’en existe pas à ma con­nais­sance de ver­sions chan­tées, toutes les ver­sions sont instru­men­tales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tan­gos qui par­laient d’encre (tin­ta).
Tin­ta roja (Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin tein­té (les his­panophones dis­ent vino tin­to pour par­ler du vin rouge). Tin­ta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tin­ta verde qui avait tou­jours du suc­cès comme en témoignent les enreg­istrements de D’Arienzo 1935 et Troi­lo 1938, celui dont on par­le aujourd’hui).
Tin­ta chi­na (Anto­nio Poli­to Letra : Héc­tor Poli­to). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même suc­cès, ce tan­go écrit en 1942 par­le des per­son­nes à la peau noire. Tin­ta chi­na se réfère donc à la couleur de la peau.
Tin­ta verde. J’ai gardé le sus­pens, mais je vous ras­sure, c’est impos­si­ble de devin­er pourquoi ce tan­go s’appelle Tin­ta verde (encre verte). Ce n’est pas une his­toire de couleur de peau (pas de petits Mar­tiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émis­sion d’Orson Welles met­tant en scène la Guerre des Mon­des d’Her­bert George Wells (le plus grand pio­nnier de la sci­ence-fic­tion) n’a été dif­fusée que le 30 octo­bre 1938 et ce tan­go écrit en 1914.
Je lève le sus­pens, il s’agit tout sim­ple­ment de l’encre verte, celle que l’on peut met­tre dans les sty­los.

1 Je suis par­ti d’une pho­to de Octo­pus Flu­ids, le fab­ri­cant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espère que le col­lègue pho­tographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trou­vé sa pho­to si belle que je n’ai pas eu d’idée pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Flu­ids pour ceux que ça intéresse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car le tan­go étant instru­men­tal, c’est dif­fi­cile à véri­fi­er.
La preuve, la voici ; Agustín Bar­di avait pour voisin et ami, Eduar­do Aro­las (24 févri­er 1892 — 29 sep­tem­bre 1924). Ce dernier était illus­tra­teur en plus d’être ban­donéon­iste, com­pos­i­teur et chef d’orchestre. Il était donc cou­tu­mi­er de l’usage des encres. Curieuse coïn­ci­dence, à la même époque, Agustín Bar­di tra­vail­lait pour une entre­prise de trans­port, « La Car­gado­ra » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet étab­lisse­ment, Agustín écrivait les éti­quettes des expédi­tions à l’encre verte. Cela lui a don­né d’écrire le tan­go pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), com­pagnon d’usage des encres.

Eduar­do, qui était donc égale­ment illus­tra­teur a réal­isé la cou­ver­ture de la par­ti­tion qui lui était dédiée, à l’en­cre verte… La boucle est bouclée.

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu divers­es ver­sions du titre. Vous pour­rez enten­dre la plu­part en fin de cet arti­cle. Mais le tan­go du jour est l’excellente ver­sion de Troi­lo de 1938. Il l’a réen­reg­istré, avec moins de bon­heur à mon sens en 1970.

Tin­ta verde 1938-03-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est le tan­go du jour.

Je trou­ve amu­sant de pro­pos­er en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chan­tées par Fiorenti­no. Nous en repar­lerons sans doute en octo­bre…

Tin­ta roja 1941-10-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no / Sebastián Piana Letra : Cátu­lo Castil­lo

Je vous laisse appréci­er le con­traste. Ces titres peu­vent être com­pat­i­bles, pour les DJ qui mélan­gent les tan­gos chan­tés et instru­men­taux.

D’autres enregistrements

Cette his­toire d’amitié, trop vite inter­rompue par la mort d’Eduardo Aro­las (en 1924, à 32 ans), a don­né lieu à de nom­breuses et belles ver­sions. Agustín Bar­di aura le bon­heur d’entendre les ver­sions de D’Arienzo et Troi­lo, mais prob­a­ble­ment pas l’intéressante inter­pré­ta­tion de Demare. Ce dernier l’a enreg­istré plus d’un an après la mort de Bar­di, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.

Tin­ta verde 1916 — Quin­te­to Criol­lo Atlanta. Une ver­sion acous­tique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milon­gas, mais à décou­vrir, tout de même.
Tin­ta verde 1927-10-17 — Osval­do Frese­do. Une ver­sion un peu canyengue, moyen­nement intéres­sante, même pour l’époque. À réserv­er aux fans abso­lus de Frese­do et de la vieille garde.
Tin­ta verde 1929-10-03 — Orques­ta Pedro Maf­fia. Une ver­sion tran­quille qui aura une sœur 30 ans plus tard.
Tin­ta verde 1935-08-12 — Orques­ta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typ­ique de sa pre­mière péri­ode, avant l’arrivée de Bia­gi dans l’orchestre.
Tin­ta verde 1938-03-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est le tan­go du jour.
Tin­ta verde 1942-12-09 — Orques­ta Lucio Demare. J’aime bien l’entrée du piano au début de cette ver­sion.
Tin­ta verde 1945-10-30 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Mag­nifique solo de vio­lon.
Tin­ta verde 1954-01-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Une ver­sion lente et majestueuse, comme sait en pro­duire El Señor del Tan­go.
Tin­ta verde 1957-06-19 — Orques­ta Juan Cam­bareri. Une ver­sion un peu pré­cip­itée comme adore en pro­posé “El Mago del Ban­doneón”. Amu­sante, qua­si­ment dans­able en milon­ga. Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occa­sion très par­ti­c­ulière.
Tin­ta verde 1959 — Orques­ta Pedro Maf­fia. 30 ans après le pre­mier enreg­istrement, Maf­fia joue avec une sonorité dif­férente, mais un rythme proche.
Tin­ta verde 1966-12-23 — Orques­ta Arman­do Pon­tier. Une ver­sion assez orig­i­nale. Pas for­cé­ment géniale à danser, mais agréable à écouter.
Tin­ta verde 1967-11-14 Orques­ta Juan D’Arienzo. Ce n’est claire­ment pas la meilleure ver­sion. Je ne pro­poserai pas en milon­ga, même si cela reste dans­able.
Tin­ta verde 1970-11-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tan­go de danse. C’est mag­nifique, mais sans doute insat­is­faisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres ver­sions, les thèmes appré­ciés par Troi­lo ou D’Arienzo ont beau­coup de suc­cès avec les orchestres con­tem­po­rains. N’hésitez pas à don­ner votre avis sur votre ver­sion préférée en com­men­taire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très con­traig­nant).

Agustin Bar­di (à droite), a écrit ce tan­go pour son ami, Eduar­do Aro­las, à gauche.

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

Le tan­go du jour, Lágri­mas a été enreg­istré il y a exacte­ment 85 ans par Dona­to et Lagos.
Maru­ja Pacheco Huer­go, l’auteure des paroles a su trou­ver les mots pour par­ler de la détresse de l’abandon. Je vous invite donc, au-delà de ce thème, à décou­vrir cette femme excep­tion­nelle, auteure de tan­gos sub­limes comme
El adiós.

Le tango du jour

L’association Dona­to et Lagos a don­né un grand nom­bre de tan­gos mag­nifiques. Celui d’aujourd’hui, qui fête son anniver­saire aujourd’hui, par­le de tristesse, mais la musique dynamique de Dona­to se démar­que de la plu­part des tan­gos por­tant ce titre « Lagri­mas » en aban­don­nant la tristesse générale­ment de mise.
On com­patit aux larmes, mais on se laisse emporter dans la musique pour danser sur la piste ce tan­go entraî­nant.
Notons que Dona­to a égale­ment enreg­istré une valse de ce titre écrite par Vicente Vilar­di ; J. Pas­tene Letra : Juan De la Calle (Fed­eri­co Saniez).
Je reviendrai sur ce point dans quelques jours, au sujet de Lágri­mas y son­risas ; la tristesse et les valses.

L’orchestre de Donato

Edgar­do Dona­to

Edgar­do Dona­to était vio­loniste et au début de son orchestre, en 1930, il jouait en plus de diriger l’orchestre.
Dans l’orchestre on retrou­ve deux des ses huit frères Osval­do au piano et Ascanio au vio­lon­celle.
Petit cadeau, la com­po­si­tion de son orchestre en 1930 et en 1936. Dans l’orchestre de 1936, on remar­que trois chanteurs qui ont pro­duit plusieurs titres ensem­ble, leurs voix se mari­ant par­faite­ment.

Instru­men­tistes Orchestre de 1930 Orchestre de 1936
Ban­donéon­istes José Roque Tur­turiel­lo
Vicente Vilar­di
Miguel Bonano
José Roque Tur­turiel­lo
Vicente Vilar­di
Eliseo Marchesse
José Budano
Vio­lonistes Edgar­do Dona­to
Arman­do Julio Pio­vani
Pas­cual Hum­ber­to Martínez
Arman­do Julio Pio­vani
Domin­go Mir­il­lo
José Pol­lici­ta
Pianiste Osval­do Dona­to Osval­do Dona­to
Vio­lon­cel­liste Ascanio Dona­to Ascanio Dona­to
Con­tre­bassiste José Campe­si José Campe­si
Accordéon­iste   Wash­ing­ton Bertoli­ni
(pseu­do de Osval­do Bertoni)
qui était aus­si pianiste.
Chanteurs Luis Díaz
Anto­nio Rodríguez Lesende
Car­los Viván
Teó­fi­lo Ibáñez
Hora­cio Lagos
Lita Morales
Romeo Gavio
L’orchestre d’Edgar­do Dona­to en 1930 et 1936. Remar­quez la présence de ses frères Osval­do (Piano) et Ascanio (vio­lon­celiste)

L’orchestre d’Edgar­do Dona­to en 1933 (ce n’est pas la com­po­si­tion du 6 mars 1939, mais il y a les trois frères Dona­to, Edgar­do, Osval­do et Ascanio.

Maruja Pacheco Huergo

Sous ses allures dis­crètes et mod­estes se cachait un génie. Maru­ja, Pacheco Huer­go.

Maru­ja Pacheco Huer­go de son véri­ta­ble nom, María Esther Pacheco Huer­go était une femme remar­quable. Je vous pro­pose donc quelques élé­ments sur Maru­ja (surnom hypocoris­tique de Maria).
Si on se lim­ite à sa pro­duc­tion de tan­go, on pour­rait citer El adiós, Don Naides, Milon­ga del aguatero, Sin­fonía de arra­bal, ou Vuelves et quelques autres dont elle est la com­positrice et par­fois aus­si l’auteure, comme pour le tan­go du jour dont elle n’a écrit que les paroles. Mais elle a écrit aus­si env­i­ron 600 titres dans tous les rythmes. C’était donc une com­positrice par­ti­c­ulière­ment pro­lifique.
Mais Maru­ja était aus­si pianiste, chanteuse, auteure et actrice, voire pro­fesseur de piano et de chant. Le meilleur est qu’elle a fait tous ces métiers avec suc­cès. Elle était l’épouse de Manuel Fer­radás Cam­pos, lui-même écrivain de tan­gos et jour­nal­iste, mais avec net­te­ment moins de ray­on­nement que son épouse.

Extrait musical

Lágri­mas 1939-03-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos

Les paroles

Ansias de hundir en las som­bras
la angus­tia infini­ta que quiero ocul­tar.
Ansias de llo­rar tu llan­to,
pena de quer­erte tan­to,
voy por un camino largo
lle­van­do en mi alma bue­na
mi pro­pio des­en­can­to…
arras­tran­do en mi agonía
la cruz de mi res­i­gnación.

Lágri­mas…
En la amar­gu­ra de mi vida son,
bál­samo…
Que cica­trizan mi dolor.
Ben­di­tas una y mil veces estas lágri­mas,
sin­ceras, que bro­taron
de mi pobre corazón.

Lágri­mas…
Que enmude­cien­do mis tris­tezas van,
lágri­mas…
tib­ia lloviz­na de pesar.
Hoy lle­gan has­ta el cál­iz de mi vida,
suavizan­do la nos­tal­gia
de esta inmen­sa soledad.

Edgar­do Dona­to Letra: Maru­ja Pacheco Huer­go

D’autres enregistrements

Lágri­mas n’a été enreg­istré que par Dona­to. Avec Hora­cio Lagos en 1939 et Oscar Per­al­ta en 1956.

Lágri­mas 1939-03-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. Tan­go du jour.

C’est le tan­go du jour. J’ai eu la chance de le danser hier à la milon­ga Nue­vo Chique avec l’excellent DJ Dany Borel­li. Je con­firme que mal­gré les paroles, le plaisir de le danser est total.

Lágri­mas 1956-06-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Oscar Per­al­ta

Cette dernière ver­sion va sans doute sur­pren­dre les fans de Dona­to qui oublient trop sou­vent que beau­coup de chefs d’orchestres ont eu une car­rière très longue et que par con­séquent, ils ont évolué pour rester dans l’air du temps. En 1956, on est plus en direc­tion de l’é­coute que du tan­go de bal, par exem­ple.
Sig­nalons que le même jour, Dona­to et Lagos ont enreg­istré De pun­ta a pun­ta une milon­ga écrite par Osval­do Dona­to avec des paroles de San­dalio Gómez.

De pun­ta a pun­ta 1939-03-06 Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos / Osval­do Dona­to Letra San­dalio Gómez

Des rires aux larmes et des larmes aux rires

Nous revien­drons prochaine­ment sur ce thème (le 26 mars), mais en atten­dant, deux titres.

Risas y lágri­mas 1927-04-08 (valse) — Rober­to Fir­po con Jazz Band / F. Caso (rires et larmes)

Lágri­mas y son­risas 1950 Rober­to Fir­po (Hijo) y su Cuar­te­to (valse) / Pas­cual De Gul­lo Letra : Fran­cis­co Gul­lo (larmes et rires) où Pas­cual De Gul­lo a mer­veilleuse­ment joué des pas­sages des modes mineurs à majeurs pour mod­uler les vari­a­tions d’émotion.

Nous ter­mi­nons donc sur des rires, mais avec moi, vous le savez, le tan­go est une pen­sée heureuse qui se danse.

Ce tan­go a aus­si été chan­té avec sen­si­bil­ité par deux hommes, Hora­cio Lagos et Oscar Per­al­ta. Les hommes aus­si peu­vent pleur­er les trist­esses de la vie.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tan­go du jour, Cor­netín, évoque le cor­net autre­fois util­isé par les « con­duc­tors» del tran­vía a motor de san­gre (les chargés de clien­tèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à trac­tion ani­male). Il a été enreg­istré il y a exacte­ment 81 ans.

Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)

Les pre­miers tramways étaient donc à trac­tion ani­male. Vous aurez noté que les Argentins dis­ent à moteur de sang pour ce qui est trac­tion humaine et ani­male. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tran­vías de Buenos Aires, l’expression est assez par­lante.

Tran­vías a motor de san­gre en la Boca (Puente Puyrre­don)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient dure­ment exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage con­tre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coû­tait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les cale­si­tas qui étaient ani­mées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit inter­dit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les car­toneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édic­té pour éviter la cru­auté envers les ani­maux, mais main­tenant, ce sont des hommes qui tirent les char­rettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le pas­sage de la trac­tion ani­male à la trac­tion élec­trique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques com­pag­nies résis­tantes à ce change­ment et qui ont con­tin­ué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aus­si not­er que la réti­cence des pas­sagers à la trac­tion élec­trique, avec la peur d’être élec­tro­cuté, est aus­si allée dans ce sens. Il faut dire que les étin­celles et le tin­te­ment des roues de métal sur les rails pou­vaient paraître inquié­tants. Je me sou­viens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le con­duc­teur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explo­saient dans son habita­cle. Je me sou­viens égale­ment d’un con­duc­teur qui don­nait des coups avec une bat­te en bois sur je ne sais quel équipement élec­trique, situé à la gauche de la cab­ine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cor­netín, c’est le con­duc­tor. Atten­tion, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui con­duit les tramways élec­triques, c’est celui qui s’occupe des pas­sagers. Le nom peut effec­tive­ment porter à con­fu­sion. Le con­duc­teur, c’est le may­oral que l’on retrou­ve égale­ment, héros de dif­férents tan­gos que je présen­terai en fin d’article.
Le cor­netín ser­vait à la com­mu­ni­ca­tion entre le may­oral (à l’avant) et le con­duc­tor à l’arrière). Le pre­mier avait une cloche pour indi­quer qu’il allait don­ner le départ et le sec­ond un cor­net qui ser­vait à aver­tir le con­duc­teur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un prob­lème de pas­sager. Le con­duc­teur abu­sait par­fois de son instru­ment pour présen­ter ses hom­mages à de jolies pas­santes.
C’est l’histoire de ce tan­go.

Extrait musical

Cor­netín 1943-03-05 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barul­lo
con­duc­tor del Nacional.

Con su tramway, sin cuar­ta ni cinchón,
sabe cruzar el bar­rancón de Cuyo (al sur).
El cor­netín, col­ga­do de un piolín,
y en el ojal un medal­lón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuer­no lis­to al arrul­lo
si hay per­cal en un zaguán.

Calá, que lin­da está la moza,
calá, bar­rien­do la vere­da,
Mirá, mirá que bien le que­da,
mirá, la pol­leri­ta rosa.
Frená, que va a subir la vie­ja,
frená porque se que­ja,
si está en movimien­to.
Calá, calá que sopla el vien­to,
calá, calá calami­dad.

Tarí, tarí,
tro­ta la yun­ta,
palo­mas cha­pale­an­do en el bar­ri­al.

Talán, tilín,
resue­na el cam­panín
del may­oral
pican­do en son de bro­ma
y el con­duc­tor
cas­ti­ga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le aso­ma,
cualquier moza de un por­tal

Qué lin­da esta la moza,
bar­rien­do la vere­da,
mirá que bien le que­da,
la pol­leri­ta rosa.
Frená, que va a subir la vie­ja,
Frená porque se que­ja
si está en movimien­to,
calá, calá que sopla el vien­to,
calá, calá calami­dad.

Tarí, Tarí.
Con­duce Roque Barul­lo
de la línea Nacional.

Pedro Maf­fia Letra : Home­ro Manzi ; Cátu­lo Castil­lo

Par­mi les détails amu­sants :

On notera le nom du con­duc­teur du tran­vía, Barul­lo, qui en lun­far­do veut dire bagar­reur. Encore un tan­go qui fait le por­trait d’un com­padri­to d’opérette. Celui-ci fait ralen­tir le tran­vía pour faciliter la mon­tée d’une anci­enne ou d’une belle ou tout sim­ple­ment admir­er une serveuse sur le trot­toir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sûr le son du cor­netín.

“sabe cruzar el bar­rancón de Cuyo” – El bar­rancón de Cuyo est un ravin, comme si le tran­vía allait s’y ris­quer. Cela a dû paraître extrav­a­gant, car dans cer­taines ver­sions, c’est tout sim­ple­ment rem­placé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chan­son de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Home­ro Manzi. D’ailleurs la ligne “nacionale” pou­vait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effec­tive­ment dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cor­netín (Cor­netín) 1942-12-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

C’est le pre­mier de la série à être enreg­istré.

Cor­netín 1943-03-05 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est le tan­go du jour.

Cor­netín 1943-04-05 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Cor­netín 1943-04-05 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Cette chan­son a été enreg­istrée un mois, jour pour jour, après la ver­sion de Di Sar­li. Cette ver­sion, plutôt chan­son est tout de même dan­sée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scé­nario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique Gar­cía Vel­loso. Le film est sor­ti le 1er juil­let 1943.
Cet extrait nous per­met de voir com­ment était organ­isé un tran­vía a motor de san­gre, avec son may­oral à l’avant, con­duisant les chevaux et son con­duc­tor, à l’arrière, armé de son cor­netín.

Cor­netín 1950-07-28 Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de Rober­to Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nel­ly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résul­tat est très sym­pa, l’équilibre entre la voix de Nel­ly et la gui­tare de Rober­to Grela et ses fior­i­t­ures est agréable.

  • Je vous dis­pense de la ver­sion de De Ange­lis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tran­vía 1908 Los Gob­bi (Alfre­do Gob­bi y Flo­ra Gob­bi) — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout pre­miers enreg­istrements et c’est plus un dia­logue qu’une chan­son. C’est pour l’intérêt his­torique, je ne vous en voudrai pas si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cor­netín del tran­vía 1938-06-09 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar / Anto­nio Oscar Arona Letra : Arman­do Tagi­ni. Une belle ver­sion de ce titre.
El may­oral 1946-04-24 (milon­ga can­dombe) — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vrai­ment théâ­tral. Sans doute pas le meilleur de Laroc­ca.

El may­oral del tran­vía (milon­ga) 1946-04-26 Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Julio Mar­tel / Fran­cis­co Laino; Car­los Mayel (MyL)
Milon­ga del may­oral 1953 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal y Raúl Berón arrange­ments d’Astor Piazzolla/Aníbal Troi­lo Letra: Cátu­lo Castil­lo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tran­vías ont ter­miné leur car­rière à Buenos Aires en 1962, soit env­i­ron un siè­cle après le début de l’aventure.

Tiem­po de tran­vías 1981-07-01 Orques­ta Osval­do Pugliese con Abel Cór­do­ba / Raúl Miguel Garel­lo Letra : Héc­tor Negro.

Un truc qui peut plaire à cer­tains, mais qui n’a aucune chance de pass­er dans une de mes milon­gas. L’intro de 20 sec­on­des, sif­flée, est assez orig­i­nale. On croirait du Mor­ri­cone, mais dans le cas présent, c’est un tran­vía, pas un train qui passe.

Tiem­po de tran­vías 2012 — Nel­son Pino accom­pa­g­ne­ment musi­cal Quin­te­to Nés­tor Vaz / Raúl Miguel Garel­lo Letra : Héc­tor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y may­orales ebrios, en ser­vi­cio, serán cas­ti­ga­dos con una mul­ta de cin­co pesos mon­e­da nacional, que se hará efec­ti­va por medio de la empre­sa ». Les cochers et con­duc­teurs (plus tard, on dira les

On appelle sou­vent les colec­tivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nos­tal­gie du tran­vía per­du.

Quelques sources

Tran­vías a motor de san­gre en la Boca (Puente Puyrre­don)
Un des pre­miers tramways élec­triques à avoir une grille pour sauver les pié­tons qui seraient per­cutés par le tramway. Cette grille pou­vait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’ex­trémité est dans la cab­ine de con­duite.
Motor­man lev­ant la rejil­la 1948 (Doc­u­ment Archives générales de la nation Argen­tine)

5 Coches del Tran­vía eléc­tri­co de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tran­vía eléc­tri­co de la calle Las Heras, doble pisos.
Recon­sti­tu­tion du tran­vía du film “Eclipse de sol”, car il n’ap­pa­rait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tan­go (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui cir­cule. on com­prend la nos­tal­gie des temps anciens.
Traf­ic com­pliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathé­drale. Trois tran­vías élec­triques essayent de se fray­er un pas­sage. On remar­que la grille des­tinée à éviter aux pié­tons de pass­er sous le tramway en cas de col­li­sion.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

Vicente Gre­co Letra : Pas­cual Contursi/Juan Sarcino/Jerónimo Gra­di­to (trois ver­sions des paroles)

Le tan­go du jour, el Flete a été enreg­istré il y a exacte­ment 88 ans par Juan d’Arienzo. Je vous pro­pose d’en voir un peu plus de ce tan­go qui est des pre­miers à avoir béné­fi­cié de la col­lab­o­ra­tion avec Rodol­fo Bia­gi.

Ceux qui par­courent les rues de Buenos Aires ont sans doute été sur­pris par l’abondance de ces camions antédilu­viens et por­teurs de charges par­fois extrav­a­gantes.

Des camions de « Fletes » dans une rue de Buenos Aires.

Sur leurs flancs, l’indication « Fletes ». Ce sont des véhicules des­tinés aux livraisons. Si vous avez un canapé à vous faire livr­er, ou tout un démé­nage­ment, vous fer­ez sans doute appel à un de ces ser­vices de fletes.
El flete, c’est donc la charge, la livrai­son, le trans­port, le col­is Le mot « flete » vient du français « Fret ». On pense aux mer­veilleuses toiles et splen­dides émaux sur métal de Quin­quela Mar­tin où on voit les por­teurs pli­er sous le poids des paque­ts qu’ils char­gent et déchar­gent des bateaux dans le port de la Boca.

Quin­quela Mar­tin — Moti­vo de puer­to. Émail sur fer (1946). 0,88x0,98 m. Au cen­tre, on voit la tra­ver­sée d’une passerelle. La musique m’évoque la marche de ces hommes.

Si vous allez à la Boca le quarti­er qui doit tant à Ben­i­to Quin­quela Mar­tin, n’oubliez pas de voir son joy­au, le musée mai­son de ce pein­tre.

Ceux qui n’ont pas l’occasion de venir à Buenos Aires pour­ront avoir une idée de ce musée en regar­dant cette vidéo.

Anec­dote : Víc­tor Fer­nán­dez, directeur du Musée Ben­i­to Quin­quela Martín est égale­ment DJ de tan­go, ce qui lim­ite ma cul­pa­bil­ité dans mon excur­sion dans ce superbe musée.

Là, où on revient à notre tango du jour, El Flete

Le tan­go du jour est instru­men­tal, on pour­rait donc penser que l’on évoque le trans­port, le tra­vail dif­fi­cile de ceux qui l’effectuent, les véhicules lour­de­ment chargés.
D’ailleurs, la musique encour­age à cette inter­pré­ta­tion. Quelques pas rapi­des et un pas plus pesant, comme un homme qui porterait une lourde charge en descen­dant du bateau et qui ferait de temps à autre une pause. Cette inter­pré­ta­tion est pour moi ren­for­cée par l’enregistrement par Fir­po, surtout celui du 16 févri­er 1916.
C’est un enreg­istrement acous­tique, donc, avec les lim­ites que cela implique. Dans cet enreg­istrement, je retrou­ve les pas alternés com­pat­i­ble avec le tra­vail d’un flete, mais si on se sou­vent que Fir­po aimait les tan­gos descrip­tifs (où la musique évoque les élé­ments réels), cela ren­force l’hypothèse que le tan­go est en lien avec cette activ­ité. Vous pour­rez l’écouter à la fin de cet arti­cle.

Je te donne ma parole

Ou plutôt, mes paroles. En effet, pas moins de trois ver­sions des paroles exis­tent pour ce tan­go, bien que celui-ci soit qua­si­ment tou­jours enreg­istré sans le chant. Il con­vient donc de les inter­roger et cela va don­ner des sur­pris­es par rap­port à notre inter­pré­ta­tion prim­i­tive.

Les paroles originales de Contursi (1914)

Pas­cual Con­tur­si a écrit des paroles pour El Flete. Ce sont sans doute les paroles orig­i­nales, celle d’une époque où le tan­go n’avait pas encore trou­vé ses let­tres de noblesse en France, Pays où Con­tur­si ter­min­era sa car­rière.
Dans les paroles de Con­tur­si, un peu con­fus­es, car très chargées de sous-enten­dus et de lun­far­do, on com­prend que le cli­mat de crainte qu’inspiraient cer­tains mal­frats n’encourageait pas les com­padrons à faire les fiers quand ils les croi­saient. Ils dégon­flaient la poitrine et fai­saient pro­fil bas pour éviter de paraître celui qui a le plus d’oseille (flouze, argent), car celui-ci, ils l’envoyaient dans l’autre monde

Le dan flete pa’ la otra población.

Les paroles renouvelées, de Gradito

En lun­far­do, El Flete désigne un cheval léger de monte, bril­lant et léger. Rien à voir avec les chevaux devant tir­er les lourds char­i­ots des fletes de l’époque.
Dans une des rares ver­sions chan­tées dont on a l’enregistrement, Ernesto Fama chante le refrain des paroles de Gerón­i­mo Gra­di­to qui par­lent d’un cheval de course, autre leit­mo­tiv du tan­go.
Le cheval de couleur noisette, vain­queur de la course, per­met d’attirer l’attention d’une jeune paysanne sur son lad, ce qui le rend amoureux.

Il existe égale­ment des paroles écrites par Juan Sar­ci­no et qui font égale­ment référence à un cheval, mais à ma con­nais­sance, nous n’avons pas d’enregistrement de cette ver­sion et je ne les pos­sède pas. Si vous avez une ver­sion enreg­istrée et les paroles, je suis pre­neur.

Extrait musical

El flete 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est notre tan­go du jour. Il est le fruit de la col­lab­o­ra­tion rel­a­tive­ment nou­velle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rod­oflo Bia­gi. Cette ver­sion hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Bia­gi qui répon­dent aux cordes. C’est un morceau superbe et assuré­ment un de plus plaisants à danser dans les milon­gas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de répons­es entre les instru­ments. À not­er que les pre­mières réédi­tions sur CD, toutes tirées d’une même édi­tion effec­tuée dans les années 50 sur disque vinyle com­por­taient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plu­part des ver­sions qui cir­cu­lent sont cor­rigées.

Les paroles

Je pro­pose ici les paroles par ordre chronologique. D’abord celles de Con­tur­si, puis celles de Gra­di­to. Elles nous con­tent deux his­toires très dif­férentes, ce qui témoigne de la poly­sémie du mot Flete en espag­nol argentin, mais aus­si de l’évolution du tan­go qui des mau­vais quartiers est passé dans la société plus aisée, où il était plus facile de par­ler d’un lad amoureux et de son cheval que de dan­gereux assas­sins rodant pour dépouiller les frimeurs.

Version de 1916 — Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Se acabaron los pesa­dos,
patoteros y men­taos
de cora­je y decisión.
Se acabaron los mal­os
de taleros y de palos,
far­iñeras y facón.
Se acabaron los de faca
y todos la van de ara­ca
cuan­do lle­ga la ocasión.
Porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Esos taitas que tenían
la mujer de pre­po­ten­cia,
la van de pura decen­cia
y no ganan pa’l bul­lón.
Nadie se hace el pata ancha
ni su pecho ensan­cha
de puro com­padrón,
porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Ver­sion de 1916 — Músi­ca : Vicente Gre­co — Letra : Pas­cual Con­tur­si

Ici, on décrit un monde assez noir avec des hommes armés (taleros, palos, far­iñeras, facón). En fait, il s’agit de se moquer des com­padri­tos qui jouent les durs et qui n’en mènent pas large, il retrou­vent une atti­tude décente, ne gon­flent plus la poitrine, car ici, celui qui a le plus de pépètes (argent)„ ils le goû­tent (tâtent pour trou­ver ses richess­es) et lui don­nent une expédi­tion (Flete) dans l’autre monde (ils le tuent).
Cette ver­sion des paroles peut égale­ment être com­pat­i­ble avec la musique, les alter­nances de la musique pou­vant être les mou­ve­ments respec­tifs des assas­sins et de la vic­time.

Version de 1930 — Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

On peut imag­in­er que ces paroles vio­lentes ont incité Fama à adopter des paroles plus légères à une époque où le tan­go était en train d’entrer dans la bonne société.

Pare­jero; zaino escarceador,
por tu pin­ta y col­or
y por tu san­gre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difí­cil de empar­dar !
En las can­chas no tenés rival,
y en una ocasión
que has de recor­dar
ganaste a un pan­garé
y, al jinetearte, así
decía para mí:

¡Zaino,
mi viejo ami­go,
de pun­ta a pun­ta, ganale!
¡Flete,
todo he juga­do,
y en vos está mi esper­an­za!
¡Zaino!
¡Solo en la can­cha !
¡Cor­re­lo al galope,
que atrás lo dejás !
¡Flete,
zaino de mi alma,
tuya es la car­rera
que en ley la ganás !

Y al lle­gar vos tri­un­fador
el pueblo te aplaudió,
y una paisani­ta
flo­res te tira­ba
que después se acer­có
y tu cabeza palmeó.
Y ella, des­de entonces,
¡es mi úni­co quer­er!…

Pare­jero; zaino escarceador,
por tu pin­ta y col­or
y por tu san­gre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difí­cil de empar­dar !
En los pueb­los no tenés rival
como yo pa’el amor,
y al cor­rerla los dos
siem­pre ten­emos que ser:
¡Yo todo un buen varón
y un bra­vo flete vos !

Ver­sion de 1930 — Músi­ca : Vicente Gre­co — Letra : Gerón­i­mo Gra­di­to

Ici, il s’agit d’un lad qui tombe amoureux d’une jeune paysanne qui a envoyé des fleurs au cheval dont il s’occupe et qui lui a caressé la tête. Cepen­dant, le lad ne peut pas s’empêcher de faire le fan­faron, dis­ant qu’il n’a pas de rival pour l’amour, tout comme « Châ­taigne », son cheval, n’a pas de rival dans la course. Je suis un bon homme et toi un brave flete.

À mon avis, qui en vaut sans doute un autre, sans être une référence, ces paroles ne con­vi­en­nent pas totale­ment à la musique. On a du mal à y voir la fièvre de la course, l’exaltation du vain­queur et l’amour nais­sant. Je pense que c’est juste le fait que El Flete peut aus­si bien con­sid­ér­er l’expédition que le cheval de course qui est à l’origine de cette fusion.

Comme j’aime bien faire des hypothès­es, je me dis que le cheval de course est en fait l’héritier du cheval qui pas­sait les mes­sages et qui était donc rapi­de. C’est un peu ce que sous-entend ce tan­go, Zaino est le mes­sager de l’amour.

Quelques versions

À titre de com­para­i­son, quelques ver­sions de ce tan­go qui n’est vrai­ment célèbre que sous la baguette de Juan d’Arienzo.

Les ver­sions de Rober­to Fir­po. Il y a plusieurs ver­sions, instru­men­tales et au piano. Je vous pro­pose ma préférée, celle de 1916.

El Flete 1916-02-16 — Rober­to Fir­po.

Mal­gré les lim­ites de l’enregistrement acous­tique, la musique est agréable à écouter. Cela nous per­met de rap­pel­er qu’à cette époque, Fir­po était un chef d’orchestre de tout pre­mier plan.

El flete 1928-03-07 Orques­ta Fran­cis­co Canaro

Un des pre­miers enreg­istrements élec­triques du thème. Une ver­sion encore empreinte du canyengue et prob­a­ble­ment bien adap­tée aux paroles som­bres de Con­tur­si. On retrou­vera Canaro 11 ans plus tard dans une ver­sión bien dif­férente.

El flete 1930-09-16 — Orques­ta Típi­ca Porteña dir. Adol­fo Cara­bel­li con Ernesto Famá.

C’est un bon Cara­bel­li et le plus ancien enreg­istrement en ma pos­ses­sion avec une par­tie chan­tée. Les paroles, comme nous l’avons vu ci-dessus sont celles de Gra­di­to. La musique est désor­mais inter­mé­di­aire entre le plan­plan du canyengue et les ver­sions futures plus dynamiques.

El flete 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo

C’est notre tan­go du jour. Le fruit de la col­lab­o­ra­tion rel­a­tive­ment nou­velle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rod­oflo Bia­gi. Cette ver­sion hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Bia­gi qui répon­dent aux cordes. C’est un morceau superbe et assuré­ment un de plus plaisants à danser dans les milon­gas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de répons­es entre les instru­ments.
À not­er que les pre­mières réédi­tions sur CD, toutes tirées d’une même édi­tion effec­tuée dans les années 50 sur disque vinyle com­por­taient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plu­part des ver­sions qui cir­cu­lent sont cor­rigées.

El Flete 1939-03-30

El Flete 1939-03-30 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro. On retrou­ve Canaro dans une ver­sion avec un de ses quin­tettes, le Don Pan­cho (Pan­cho est un surnom pour le prénom Fran­cis­co, mais aus­si quelqu’un qui fait l’andouille en lun­far­do…). Con­traire­ment à la ver­sion de 1928, cette ver­sion est bien plus allè­gre et d’une grande richesse musi­cale, notam­ment dans sa sec­onde par­tie. C’est un très beau Canaro, avec les inter­ven­tions mag­nifiques de la flûte de José Ranieri Vir­do (qui était aus­si trompet­tiste de Canaro, mais pas dans cet enreg­istrement).

Je ne cit­erai pas d’autres ver­sions, car elles n’apportent rien à notre pro­pos. Voir, pour ceux que ça intéresse,

  • Héc­tor Varela (1950 et 1952),
  • Dona­to Rac­ciat­ti y sus Tangueros del 900 (1959), où on retrou­ve la flûte, ici avec des gui­tares, mais le résul­tat est monot­o­ne.
  • Osval­do Frese­do (1966), dans son style « Varela »…
  • La Tubatan­go (2006), une ver­sion amu­sante, joueuse comme une milon­ga et avec le retour de la flûte farceuse.

Je vais ter­min­er cet arti­cle avec la Tubatan­go, mais dans une représen­ta­tion théâ­trale le 18 octo­bre 2010 au Paraguay.

La Tubatan­go, El flete, représen­ta­tion théâ­trale le 18 octo­bre 2010 au Paraguay

Vous remar­querez l’apparition d’un riche ivrogne qui se fera jeter de scène. La Tuba Tan­go s’est donc inspirée des paroles orig­i­nales de Con­tur­si, ce qui est logique, puisqu’ils ont adop­té un style canyengue.

Sur scène, ils expulsent l’ivrogne, ils le ne le tuent pas, mais je reste sur mes posi­tions…

Pho­tomon­tage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malan­drins et qui risque de le pay­er très cher. Mais que fai­sait-il dans cette galère, dans le port de la Boca ? Dans le fond des détails de la toile Día lumi­noso de « Ben­i­to Quin­quela Martín.

Paciencia 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Qui s’intéresse un peu, même de loin, au tan­go con­naît Pacien­cia, (Patience), de D’Arienzo et Gor­rindo. Je vous pro­pose de le décou­vrir plus pré­cisé­ment, à par­tir de la ver­sion de Canaro et Mai­da enreg­istrée il y a exacte­ment 86 ans.

Le pré­texte étant le jour d’enregistrement, cela tombe sur cette ver­sion Canaro Mai­da, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidèle à sa com­po­si­tion toute sa vie.
Je ferai donc la part belle à ses enreg­istrements en fin d’article.
La beauté et l’originalité des paroles de Fran­cis­co Gor­rindo avec son « Pacien­cia », ont fait beau­coup pour le suc­cès de ce thème qui a don­né lieu à des ver­sions chan­tées, des chan­sons et même instru­men­tales, ce qui est toute­fois un peu dom­mage 😉

Extrait musical

Pacien­cia 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da

Il s’agit d’une ver­sion instru­men­tale avec estri­bil­lo réduit au min­i­mum. Rober­to Mai­da chante vrai­ment très peu. La clar­inette de Vicente Meri­co est ici plus présente que lui. On con­state dans cette inter­pré­ta­tion le goût de Canaro pour les instru­ments à vent.

Les paroles

Dans cette ver­sion, les paroles sont réduites au min­i­mum, je vous invite donc à les savour­er avec les autres enreg­istrements de ce titre, sous le chapitre « autres ver­sions ».

Anoche, de nue­vo te vieron mis ojos ;
anoche, de nue­vo te tuve a mi lado.
¡Pa qué te habré vis­to si, después de todo,
fuimos dos extraños miran­do el pasa­do!
Ni vos sos la mis­ma, ni yo soy el mis­mo…
¡Los años! … ¡La vida!… ¡Quién sabe lo qué!…
De una vez por todas mejor la fran­queza:
yo y vos no podemos volver al ayer.

Pacien­cia…
La vida es así.
Quisi­mos jun­tarnos por puro egoís­mo
y el mis­mo egoís­mo nos mues­tra dis­tin­tos.
¿Para qué fin­gir?
Pacien­cia…
La vida es así.
Ninguno es cul­pa­ble, si es que hay una cul­pa.
Por eso, la mano que te di en silen­cio
no tem­bló al par­tir.

Hare­mos de cuen­ta que todo fue un sueño,
que fue una men­ti­ra haber­nos bus­ca­do;
así, bue­na­mente, nos que­da el con­sue­lo
de seguir creyen­do que no hemos cam­bi­a­do.
Yo ten­go un retra­to de aque­l­los veinte años
cuan­do eras del bar­rio el sol famil­iar.
Quiero verte siem­pre lin­da como entonces:
lo que pasó anoche fue un sueño no más.

Juan D’Arienzo Letra : Fran­cis­co Gor­rindo

Traduction

Hier soir, à nou­veau mes yeux t’ont vue,
hier soir, à nou­veau, je t’avais de nou­veau à mes côtés.
Pourquoi t’ai-je revue, si au final,
nous fûmes deux étrangers regar­dant le passé !
Ni toi es la même, ni moi suis le même,
Les années, la vie, qui sait ce que c’est ?
Une fois pour toutes, la fran­chise vaut mieux ;
toi et moi ne pou­vons pas revenir en arrière (à hier).

Patience…
la vie est ain­si.

Nous voulions nous rejoin­dre par pur égoïsme
et le même égoïsme nous révèle, dif­férents.
Pourquoi faire sem­blant ?

Patience…
la vie est ain­si.
Per­son­ne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute.
C’est pourquoi la main que je t’ai ten­due en silence n’a pas trem­blé à la sépa­ra­tion.

Nous fer­ons comme si tout ne fut qu’un rêve,
que c’était un men­songe de nous être cher­ché ;
ain­si, heureuse­ment, nous reste la con­so­la­tion
de con­tin­uer de croire que nous n’avons pas changé.
J’ai un por­trait de ces vingt années-là,
quand du quarti­er, tu étais le soleil fam­i­li­er,
je veux tou­jours te voir jolie comme alors.
Ce qui s’est passé la nuit dernière ne fut qu’un rêve, rien de plus.

Mai­da ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres ver­sions où les paroles sont plus com­plètes.
Le même jour, Canaro enreg­is­trait avec Mai­da, la Milon­ga del corazón.

Milon­ga del corazón 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. Une milon­ga qui est tou­jours un suc­cès, 86 ans après son enreg­istrement.

Autres versions

Pacien­cia 1937-10-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Enrique Car­bel. C’est le plus ancien enreg­istrement. On pour­rait le pren­dre comme référence. Enrique Car­bel chante le pre­mier cou­plet et le refrain.
Pacien­cia 1938-01-14 — Héc­tor Pala­cios accom­pa­g­né d’une gui­tare et d’une man­do­line. Dans cet enreg­istrement, Héc­tor Pala­cios chante toutes les paroles. Enreg­istré en Uruguay.

Héc­tor Pala­cios est accom­pa­g­né par une gui­tare et une man­do­line. Le choix de la man­do­line est par­ti­c­ulière­ment intéres­sant, car cet instru­ment bien adap­té à la mélodie, con­traire­ment à la gui­tare qui est plus à l’aide dans les accords est le sec­ond « chant » de ce thème, comme une réponse à Mag­a­l­di. On se sou­vient que Gardel men­tionne la man­do­line pour indi­quer la fin des illu­sions « Enfundá la man­dolina, ya no estás pa’serenatas » ; Range (remet­tre au four­reau, comme une arme) la man­do­line, ce n’est plus le temps des séré­nades. Musique de Fran­cis­co Pracáni­co et paroles d’Horacio J. M. Zubiría Man­sill. J’imagine que Pala­cios a choisi cet instru­ment pour son aspect nos­tal­gique et pour ren­forcer l’idée de l’illusion per­due de la recon­struc­tion du cou­ple.

Pacien­cia 1938-01-26 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit égale­ment d’une chan­son. L’introduction très courte (10 sec­on­des) elle présente directe­ment la par­tie chan­tée, sans le début habituel. Mag­a­l­di chante l’intégralité des paroles. Le rythme est très lent, Mag­a­l­di assume le fait que c’est une chan­son absol­u­ment pas adap­tée à la danse. On notera sa pronon­ci­a­tion qui « mange le « d » dans cer­tains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Pala­cios et d’autres de l’époque, égale­ment).

Pacien­cia 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est la ver­sion du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette ver­sion, car Mai­da ne chante que le refrain, aucun des cou­plets.
Pacien­cia 1938 — Orques­ta Rafael Canaro con Luis Scalón.

Cette ver­sion est con­tem­po­raine de celle enreg­istrée par son frère. Elle a été enreg­istrée en France. Son style bien que proche de celui de son frère dif­fère par des sonorités dif­férentes, l’absence de la clar­inette et par le fait que Scalón chante en plus du refrain le pre­mier cou­plet (comme l’enregistra Car­bel avec D’Arienzo, l’année précé­dente.

Pacien­cia 1948 — Orques­ta Típi­ca Bachicha con Alber­to Ler­e­na.

Encore une ver­sion enreg­istrée en France. Ler­e­na chante deux fois le refrain avec un très joli trait de vio­lon entre les deux. Le dernier cou­plet est passé sous silence.

Pacien­cia 1951-09-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

14 ans plus tard, D’Arienzo réen­reg­istre ce titre avec Echagüe. Dans cette ver­sion, Echagüe chante presque tout, sauf la pre­mière moitié du dernier cou­plet dont il n’utilise que « Yo ten­go un retra­to de aque­l­los veinte años […] lo que pasó anoche fue un sueño no más. Le rythme mar­qué de D’Arienzo est typ­ique de cette péri­ode et c’est égale­ment une très belle ver­sion de danse, même si j’ai per­son­nelle­ment un faible pour la ver­sion de 1937.

Pacien­cia 1951-10-26 — Orques­ta Héc­tor Varela con Rodol­fo Lesi­ca. Dans un style tout dif­férent de l’enregistrement légère­ment antérieur de D’Arienzo, la ver­sion de Varela et Des­i­ca est plus « déco­ra­tive ». On notera toute­fois que Lesi­ca chante exacte­ment la même par­tie du texte qu’Echagüe.
Pacien­cia 1959-03-02 — Rober­to Rufi­no accom­pa­g­né par Leo Lipesker. Dans cet enreg­istrement, Rufi­no nous livre une chan­son, jolie, mais pas des­tinée à la danse. Toutes les paroles sont chan­tées et le refrain, l’est, deux fois.
Pacien­cia 1961-08-10 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Hora­cio Pal­ma.

Comme dans la ver­sion enreg­istrée avec Echagüe, dix ans aupar­a­vant, les paroles sont presque com­plètes, il ne manque que la pre­mière par­tie du dernier cou­plet. Une ver­sion énergique, typ­ique d’El Rey del com­pas et Pal­ma se plie à cette cadence, ce qui en fait une ver­sion dans­able, ce qui n’est pas tou­jours le cas avec ce chanteur qui pousse plutôt du côté de la chan­son.

Pacien­cia 1964 — Luis Tue­bols et son Orchestre typ­ique argentin. Encore une ver­sion enreg­istrée en France, mais cette fois, instru­men­tale, ce qui est dom­mage, mais qui me per­met de mon­tr­er une autre facette de ce titre.
Pacien­cia 1970-12-16 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

D’Arienzo et Echagüe ont beau­coup inter­prété à la fin des années 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Pacien­cia dans leurs con­certs. Cette ver­sion de stu­dio est de meilleure qual­ité pour l’écoute, mais il est tou­jours sym­pa­thique de voir D’Arienzo se démen­er.

Vidéo enreg­istrée en Uruguay (Canal 4) en décem­bre 1969 (et pas févri­er 1964 comme indiqué dans cette vidéo).

Après la mort de D’Arienzo, les solis­tas de D’Arienzo l’enregistrèrent à divers­es repris­es, ain­si que des dizaines d’autres orchestres, Pacien­cia étant un des mon­u­ments du tan­go.

J’ai ici une pen­sée pour mon ami Ruben Guer­ra, qui chan­tait Pacien­cia et qui nous a quit­tés trop tôt. Ici, à la milon­ga d’El Puchu à Obelis­co Tan­go à Buenos Aires, milon­ga que j’ai eu l’honneur de musi­calis­er en dou­blette avec mon ami Quique Camar­go.

Ruben Guer­ra, Pacien­cia, milon­ga d’El Puchu à Obelis­co Tan­go à Buenos Aires.18 août 2017.

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Carlos Gardel et José Razzano (paroles et musique)

Con los ami­gos (a mi madre) est un thème écrit par Car­los Gardel et José Raz­zano. Mais la ver­sion que j’ai choisie pour le tan­go du jour a été enreg­istrée le 2 mars de 1943 par Tan­turi et Castil­lo. La par­tic­u­lar­ité est que la chan­son orig­i­nale s’est com­muée en valse, mais ce n’est pas la seule sur­prise…

On con­naît, un peu l’histoire de Car­los Gardel, je devrais dire les his­toires pour ne pas fâch­er mes amis Uruguayens et Argentins. Que Gardel soit enfant de France, ou de quelque qu’autre endroit, il a eu une rela­tion par­ti­c­ulière avec sa mère.
Pas for­cé­ment celle qu’elle espérait, dans la mesure où il a fait les 400 coups et même des coups plutôt pend­ables.
On sait cepen­dant que Gardel avait un bon cœur et qu’il chéris­sait sa mère, même s’il ne l’a pas tou­jours entouré de toute l’affection qu’elle aurait pu atten­dre.
Cette chan­son doit sans doute être prise pour un regret, un remords, un hom­mage à sa mère qui a élevé seule ce chenapan de Gardel.

Extrait musical

Con los ami­gos (A mi madre) 1943-03-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo (Valse)

Les paroles

Con los ami­gos que el oro me pro­du­jo
Pasa­ba con afán las horas yo
Y de mi bol­sa el poderoso influ­jo
Todos goz­a­ban de esplen­dente lujo
Pero mi madre, no

¡Pobre madre!, yo de ella me olvid­a­ba
Cuan­do en los bra­sos­del vicio me dor­mí
Un inmen­so corte­jo me rode­a­ba
Yo a nadie mi afec­to le falta­ba
Pero a mi madre, sí

¡Hoy mori­bun­do en lágri­mas deshe­cho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angus­ti­a­do pecho
Todos se ale­jan de mi pobre lecho
Pero mi madre, no

Y cer­ca ya del últi­mo sus­piro
Nadie se acuer­da por mi mal, de mí
La vista en torno de mi lecho giro
Y en mi triste en derre­dor a nadie miro
Pero a mi madre, sí

¡Hoy mori­bun­do en lágri­mas deshe­cho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angus­ti­a­do pecho
Todos se ale­jan de mi pobre lecho
¡Pero mi madre, no!

Car­los Gardel et José Raz­zano (musique et paroles)

Je pro­pose ici les deux pre­miers cou­plets et le dernier, pour vous don­ner une idée du thème de ce tan­go.
Avec les amis que l’or me procu­rait, moi, je trompais les heures, et de ma poche, le pou­voir influ­ait. Tous jouis­saient d’un luxe splen­dide, mais ma mère, non !
Pau­vre mère ! Moi, je l’oubliais quand dans les bras (emprise, mais j’aime mieux le change­ment de parole de la ver­sion de Canaro) du vice je m’endormis.
Une immense cour m’entourait. Per­son­ne ne man­quait de mon affec­tion. Mais ma mère, si.

[…]
Aujourd’hui, mori­bond, en larmes, défait, je crie de douleur, tout est fini et à voir ma poitrine oppressée gémir, tous quit­tent mon pau­vre lit, mais ma mère, non.
La morale de ce tan­go pour­rait être que les amis faits par l’argent ne valent pas l’amour d’une mère.

Autres versions

Tout d’abord, un exem­ple de la chan­son orig­i­nale par Car­los Gardel, celle qu’il chan­tait pour exprimer ses regrets à sa mère.
Il existe plusieurs enreg­istrements, 1919,192 0, 1930, 1933. J’ai choisi celui-ci où l’on ressent bien l’émotion dans la voix de Gardel.

A mi madre (Con los ami­gos) 1930-05-22 Car­los Gardel accom­pa­g­né par Guiller­mo Bar­bi­eri, José María Aguilar, Domin­go Riverol (gui­tares).

Ver­sion en chan­son, avec de jolies gui­tares. Bien sûr, pas pour la danse. D’ailleurs Gardel ne se danse pas, même si on danse sur plusieurs de ses titres quand ils sont joués par d’autres orchestres, comme celui de Tan­turi ou celui de Canaro dans ce cas (voir ci-dessous).

Con los ami­gos (A mi madre) 1943-05-12 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Eduar­do Adrián.
Gardel à Nice en 1931. Il est au cen­tre avec Char­lie Chap­lin. Pen­sait-il à ce moment à sa mère ?
Char­lie Chap­lin, c’est Char­lot, à ne pas con­fon­dre avec le chanteur Char­lo 😉

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 – Carlos di Sarli (Sexteto)

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Ernesto Marsili

Le tan­go du jour, Cuan­do bron­ca el tem­po­ral, a été enreg­istré par Di Sar­li avec son sex­te­to, le pre­mier mars 1929, il y a exacte­ment 95 ans. Il a été écrit par l’auteur de la Cumpar­si­ta.

Un tem­po­ral, c’est une tem­pête. Une bron­ca, c’est une colère. Cepen­dant, la tem­pête dont nous par­lons aujourd’hui est autant dans les crânes que dans la ville. Une fois de plus, les paroles d’un tan­go jouent sur les mots. Ernesto Mar­sili a fait le par­al­lèle entre la tem­pête qui se déchaîne à l’extérieur et les sen­ti­ments qui s’entrechoquent dans la tête de l’homme aban­don­né.

Il y a quelques semaines, en Argen­tine, il y a eu des tem­pêtes vio­lentes. On déplore des morts, notam­ment à Mar del Pla­ta, la ville natale d’Astor Piaz­zol­la. À Buenos Aires, des cen­taines d’arbres ont été abat­tus et une fleur a per­du un de ses pétales.

Le ciel juste avant le début du tem­po­ral, à Buenos Aires.
Flo­ralis Genéri­ca después del tem­po­ral. Un des pétales est au sol. Trois mois après, elle n’a tou­jours pas été réparée. En revanche, le parc a été réou­vert quelques semaines plus tard, lorsque les arbres dan­gereux ont été sécurisés.

Extrait musical

Cuan­do bron­ca el tem­po­ral 1929-03-01 — Car­los Di Sar­li (Sex­te­to)

Extrait musical

Cuan­do bron­ca el tem­po­ral 1929-03-01 — Car­los Di Sar­li (Sex­te­to)

On a un peu de mal à imag­in­er la tem­pête ou les tem­pêtes. Pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas le titre, comme cette ver­sion est instru­men­tale, ce n’est pas for­cé­ment gênant.
Car­los Di Sar­li nous pro­pose un tan­go plan-plan, bien canyengue.
Je sais que cer­tains adorent ce qu’il a enreg­istré à l’époque de son sex­te­to, mais pour ma part, je préfère ces années 40 et 50 pour la richesse des arrange­ments et la qual­ité de l’interprétation.

Bien sûr, comme DJ, je peux être amené à pass­er du canyengue, juste­ment, car cer­tains aiment cela.

Les paroles

La ver­sion de Di Sar­li avec son sex­te­to est instru­men­tale. Cepen­dant, Ernesto Mar­sili a écrit un texte qui fait le par­al­lèle entre la tem­pête et les sen­ti­ments de l’homme aban­don­né. Peut-être tem­po­raire­ment. Elle est sor­tie se pass­er les nerfs (Pa´ sacarte el berretín).

Mina, mina desalma­da
Que de puro empeci­na­da,
Una noche ´e tem­pes­tad
Te piantaste del bulín…
Me dijiste: “Está llovien­do
voy a descol­gar la ropa”,
Y rajaste hecha una sopa
Pa´ sacarte el berretín.

Des­de entonces en la noche,
Con su estrépi­to infer­nal
Me despier­ta el tem­po­ral…
Me parece que en el patio
Otra vez vuel­vo a escuchar,
Tu nervioso tacon­ear…

Me parece que estás cer­ca
¡Pero qué vas a ser vos!,
Es el rui­do de la llu­via
Que lo engrupe al corazón,
Que lo engrupe al corazón.

Cuan­do fría y despi­ada­da
Como pilcha aban­don­a­da,
Me dejaste en la catr­era
No pen­saste en mi dolor.
Y olvi­daste aquel car­iño
Que te con­tentó, es per­fec­to,
De un rezon­go, con un beso
De un des­dén con una flor.

Olvi­daste aquel car­iño
Que yo no puedo olvi­dar,
Aunque lo quiero lograr…
Ni los ecos de tus pasos
Cuan­do bron­ca el tem­po­ral,
Con su estrépi­to infer­nal…

Me parece que estás cer­ca
¡Pero qué vas a ser vos!,
Es el rui­do de la llu­via
Que lo engrupe al corazón,
Que lo engrupe al corazón.

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Mar­sili.

Bref résumé de l’intrigue

Les paroles, qui ne sont pas util­isées par Di Sar­li, nous appren­nent qu’elle est par­tie ren­tr­er le linge à cause de la pluie qui arrivait (assuré­ment un pré­texte), puis est allée pass­er sa colère. Lui s’est endor­mi et l’orage l’a réveil­lé. Le bruit des gouttes d’eau évo­quait les talons de la belle qui n’était tou­jours pas rev­enue. La fin n’est pas dite. Faut-il croire en son espoir de réu­nir le cœur ? Pas sûr.
Je vous pro­pose égale­ment une ver­sion chan­tée. La plus anci­enne enreg­istrée dont je dis­pose dans ma col­lec­tion (on peut tou­jours espér­er trou­ver d’autres enreg­istrements. Le milieu de la recherche en tan­go est très act­if) est celle de Fran­cis­co Lomu­to. Elle est chan­tée par Char­lo (Car­los José Pérez). Cette ver­sion est un eu antérieure à celle du jour, elle est du 10 décem­bre 1928.

Cuan­do bron­ca el tem­po­ral 1928-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Char­lo.

Seule la par­tie en rouge et gras des paroles est chan­tée par Char­lo. Il se con­tente d’un cou­plet et du refrain. La musique est égale­ment empreinte de canyengue. C’était dans l’air du temps. J’aime bien la presta­tion de Char­lo, dans ce titre.

Des­de entonces en la noche, con su estrépi­to infer­nal me despier­ta el tem­po­ral… (Plus tard, dans la nuit, avec ses rugisse­ments infer­naux, l’orage me réveil­la)