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La última copa 1943-04-29 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Francisco Canaro Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de champagne qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay…
Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie.
Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne.
Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…

Extrait musical

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.

C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que esta noche de farra y de alegría
El dolor que hay en mi alma quiero ahogar

Es la última farra de mi vida
De mi vida, muchachos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la última copa
Que, tal vez, también ella ahora estará
Ofreciendo en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que mi vida se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Castillo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée.
Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle.
Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.

La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.

La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en milonga. Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.

La última copa 1927-06-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.

La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.

La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de estribillo.

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.
La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les danseurs pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.

La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. Valse.

Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.

La última copa 1953-10-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.

Comme souvent, la rencontre Pugliese et Morán, donne un tango un peu délicat à danser. Certains apprécient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La última copa 1954 — Héctor Mauré con acomp. de guitarras.

Mauré reprend la tradition gardélienne. Le résultat est à comparer avec celui de son modèle.

La última copa 1956-09-25 — Orquesta Francisco Canaro con Guillermo Rico (Coral).

Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.

La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.

Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.

La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.

La última copa 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante

La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.

L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.

La última copa 1968-10-18 — Sexteto Tango con Jorge Maciel.

Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.

La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.

La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.

Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.

La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con Miguel Ángel Herrera.

Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Ruggiero.

La de los dos Osvaldos est un des surnoms de l’orchestre d’Osvaldo Pugliese. En effet, Osvaldo Ruggiero, l’auteur du tango du jour «N… N…» entra avant ses 17 ans dans l’orchestre de Pugliese et y resta 20 ans. Cette symbiose des deux Osvaldo a donné différents tangos comme «A mis compañeros», «Catuzo», «Rezongo tanguero», «Yunta de oro» et donc N… N…, notre tango du jour. Connaissez-vous la signification du titre de ce tango? Vous la découvrirez en fin d’article.

Osvaldo Lino Ruggiero (23 septembre 1922 – 31 mai 1994)

Fils d’émigrés italiens (de la région de Naples), el Tano Ruggiero est un bandonéoniste et compositeur. Comme beaucoup de ceux qui ont fait l’histoire du tango, ce dernier a commencé jeune, car à 17 ans, il intégrait déjà l’orchestre d’un autre Osvaldo, Osvaldo Pugliese.
Son père, Sabatino Ruggiero, lui a donné le goût de la musique et notamment celui du bandonéon dont il jouait également. Ce fut d’ailleurs lui qui fut son seul professeur, un professeur motivé, car il apprit le solfège uniquement pour pouvoir assurer une bonne éducation musicale à son fils.
Cette formation à base autodidactique lui a permis d’avoir un style un peu particulier qu’il a affiné aux côtés de Pugliese qui lui disait, « S’il faut travailler, alors, travaille ».
Il restera donc fidèle à l’orchestre de Pugliese, jusqu’à la création du Sexteto Tango, qu’il a accompagné et animé lors d’une tournée au Japon, Osvaldo Pugliese étant retenu en Argentine pour des questions de santé. Vous pourrez entendre sa version de N… N… enregistrée lors de cette tournée dans la partie « les versions ».
Ce musicien discret est un peu méconnu, car il n’a jamais souhaité se mettre en avant et avoir un orchestre à son nom, mais ses compositions et les disques de Pugliese et du Sexteto Tango parlent pour lui.
Si vous voulez en savoir plus sur cet artiste attachant, je vous invite à consulter ses « confidences » sur l’excellent site Todo Tango.
Ou son interview réalisée par Daniel Pedercini le 11 juillet 1993.

Interview d’Osvaldo Ruggiero réalisée par Daniel Pedercini le 11 juillet 1993.

Extrait musical

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour.

Les versions

Osvaldo Pugliese a enregistré deux fois ce titre. En 1947, le tango du jour et en 1952. Je vous laisse comparer les deux versions, très proches. Je vous propose d’écouter ces deux versions, car les titres partagés sur les plateformes comme Spotify ou Apple Music sont truffées d’erreurs sur les versions. YouTube n’est pas mieux et un DJ qui a publié de très nombreux tango a plus de 50% d’erreurs dans ses attributions de dates. La seule solution, partir du disque original et vérifier dans le catalogue la date avec le numéro de matrice…
La version de l’auteur, Osvaldo Ruggiero avec son Sexteto Tango est très différente de celles de Pugliese. Bien sûr, elle a été réalisée 16 ans plus tard que la dernière de Pugliese, mais elle est très intéressante.

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour.
N… N… 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version très proche de la première, au point que plusieurs CD proposent celle de 1947 au lieu de celle de 1952. Plus graves, certains DJ qui partagent des musiques sur YouTube font cette erreur.

N… N… 1968-10 — Sexteto Tango.

Une version proposée par l’orchestre du compositeur. Ruggiero étant l’un des arrangeurs et le leader discret de la formation.

D’où vient le nom du tango N… N… ?

Je n’ai pas trouvé la source du nom, alors je vous propose plusieurs hypothèses.
Tout d’abord, N. N. est une abréviation courante pour « Ningún Nombre », pas de nom.
Cette formulation est utilisée depuis l’époque romaine. Il y a plus de 2000 ans, elle était destinée aux vagabonds, les sans nom, les innommables… Cette dénomination est toujours utilisée par exemple dans le cas de victimes non identifiées.
On peut donc penser que Ruggiero n’avait pas d’idée pour donner un titre à son tango, mais ce serait sans doute un peu léger. Beaucoup de tangos portent des noms qui n’ont rien à voir avec la musique, que ce soit à cause des besoins d’une dédicace, de la fantaisie d’un parolier, ou tout simplement, car la musique de tango n’est pas toujours descriptive, notamment dans ses versions modernes. La nécessité de mettre un nom sur une musique n’est pas absolue. En musique classique, la majorité des œuvres ne portent pas de nom descriptif. Elles portent l’indication de leur forme (symphonie, sonate…) et un numéro, le nom étant secondaire et très souvent absent. Il aurait été donc possible, surtout au sein d’un orchestre comme celui de Pugliese, tant collaboratif, un nom à apposer à ce tango.
Je vais donc avancer une autre hypothèse. Ce tango est daté de 1947. On trouve parfois l’indication de 1942 sur certains disques de création récente, mais je pense qu’il s’agit d’erreurs, ces versions étant absolument identiques à celles référencées en 1947. À cette époque (1947), on connaissait les horreurs commises par les nazis et les millions de « no name » qu’ils avaient faits. Floris B. Bakels, dans « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard) décrit le sort des déportés qui étaient signés des lettres N N par les nazis. En effet, le décret N N « Nacht und Nebel » (permettait de déporter des personnes sous couvert d’anonymat. Ainsi, elles ne gonflaient pas les statistiques et les prisonniers qui portaient ces lettres sur leurs vêtements n’étaient pas considérés comme des humains ayant droit à un nom.

Je pense que mon hypothèse est probable, dans la mesure où quelques années plus tard, la dictature argentine a repris la même formulation pour pouvoir mettre du flou sur les disparitions. On connaît bien cette partie de l’histoire argentine et le trafic des enfants de ces N N., car le gouvernement argentin a mis en place une structure pour identifier ces exactions et on connaît également l’immense courage des mères de la Place de Mayo.

La puñalada 1937-04-27 — Orquesta Juan D’Arienzo

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Celedonio Esteban Flores.

Pintín Castellanos a écrit plusieurs milongas comme ; A puño limpio, El potro, El temblor, La endiablada ou Meta fierro et quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense. Vous aurez reconnu de nombreux succès. Notre milonga du jour, La puñalada est sans doute la plus célèbre. Laissez-moi planter le décor.

Gardez le rythme…

Le cas de la puñalada est un peu différent, sans être une exception. En effet, la puñalada a été écrite comme un tango milonga par Pintín Castellanos en 1933. Le tango milonga, mention que l’on trouve sur les partitions de l’époque, indique un tango de danse, éventuellement un peu joueur, type canyengue.
Dans la version du jour, on est plutôt sur un rythme de milonga lente. Les partitions de l’époque parlent de Milonga tangueada.
Ce type de transformation est assez courant. De nombreux titres anciens ont été rejoués de façon plus rapide et syncopée.
Sur cette transformation, il y a deux versions.
Selon la première, Firpo aurait apporté la partition à Feliciano Brunelli en 1933 et celui-ci l’aurait adaptée en milonga.
Selon l’autre version, lors d’une prestation à Montevidéo, D’Arienzo a promis à Pintín Castellanos de jouer le tango qu’il lui a confié, mais Rodolfo Biagi, le pianiste et Domingo Moro, un des bandonéonistes de D’Arienzo, chargés de faire les arrangements pour l’orchestre suggérèrent de moderniser le tango en le transformant dans un rythme plus soutenu et surtout en ajoutant les syncopes qui lui ont donné un caractère de milonga. La descente de gamme au piano et la montée, auraient été rajoutées par D’Arienzo, ce qui aurait fait dire à celui-ci que la Puñalada était un peu de lui.
Difficile de choisir entre ces deux versions. Je vous propose d’y revenir lors de l’écoute des différentes versions.

Extrait musical

La partition est dédicacée ainsi :
«Dedico esta milonga tangueada a la querida muchachada amiga que forma el Juventus del Club Banco de la República O. (orientale, l’Urugay est la “Province de l’Est”) del Uruguay y La Pelusa del Club Banco de la República Argentina, como también a su gran creador é interprete Juan D’Arienzo. – Pintin

La puñalada 1937-04-27 — Orquesta Juan D’Arienzo. En milonga lente (milonga tangueada).

Remarquez la grande descente au début de la portée, puis la remontée et en bout de première ligne, le gros accord (Ploum!) avec un point d’orgue qui indique qu’on peut le faire durer le temps souhaité… Le ploum serait de D’Arienzo, la descente et la montée de Biagi et Moro, mais rien n’est moins sûr.
On notera la dédicace qui prouve en tous cas que Pitin n’était pas fâché avec D’Arienzo pour avoir changé le caractère de sa composition. Il lui reconnaît même le caractère de créateur, alors que c’est lui, Pitin, qui a inauguré le morceau en 1933…

Les paroles

Mentían los que saben
que un malevo
muy de agallas
y de fama
bien sentada
por el barrio
de Palermo
cayó un día
taconeando
prepotente
a un bailongo
donde había
puntos bravos
pa’l facón.

Lo empezaron a mirar
con un aire sobrador
pero el mozo, sin chistar,
a una puerta se arrimó.

Los dejó sobrar.
Los dejó decir.
Y pa’ no pelear
tuvo que sufrir.

Pero la pebeta
más bonita,
la que estaba
más metida
en el alma
de los tauras,
esa noche
con la vista
lo incitaba
a que saliera
a darles dique
y a jugarse
en un tango
su cartel.

Se cruzó
un gran rencor y otro rencor
a la luz
de un farolito a querosén
y un puñal
que parte en dos un corazón
porque así
lo quiso aquella cruel mujer.

Cuentan los que vieron
que los guapos
culebrearon
con sus cuerpos
y buscaron
afanosos
el descuido
del contrario
y en un claro
de la guardia
hundió el mozo
de Palermo
hasta el mango
su facón.

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Celedonio Esteban Flores.

Traduction libre

Ils mentirent, ceux qui savent qu’un homme mauvais avec beaucoup de courage et d’une renommée bien établie dans le quartier de Palermo est tombé un jour, talonnant avec arrogance à un bal où il y avait des Puntos Bravos (des gauchos bagarreurs. Voir le tango Punto Bravo de Canaro, sans paroles et le Punto Bravo d’Alberto Benito Cima dont les paroles d’Enrique Cillan Paredes décrivent le personnage. Il ne semble pas avoir été enregistré).
Ils commencèrent à le regarder avec un air supérieur, mais le serveur, sans un mot, s’agrippa à une porte.
Ils commencèrent à le regarder avec un air supérieur, mais le serveur, sans un mot, s’agrippa à une porte.
Il les a laissé fanfaronner. Il les laissa dire.
Et pour ne pas se battre, il a dû souffrir.
Mais la plus jolie pépète, celle qui était la plus aimée dans l’âme des tauras (caïds), cette nuit-là, l’incita du regard à sortir et à leur rabattre le caquet et à mettre en jeu leur (sa) réputation dans un tango.
Une grande rancune et une autre rancune se croisèrent à la lumière d’un réverbère à pétrole et un poignard qui partage un cœur en deux parce que cette femme cruelle l’a voulu ainsi.
Ceux qui l’ont vu racontent que les guapos (hommes beaux) frémissaient avec leurs corps et cherchaient sournoisement l’inattention de l’adversaire, et dans une baisse de la garde, le serveur de Palermo plongea jusqu’à la garde, son couteau.

Les versions

La puñalada 1937-04-27 — Orquesta Juan D’Arienzo. En milonga lente (milonga tangueada). C’est le tango du jour.
La puñalada 1937-06-12 — Orquesta Francisco Canaro. En tango milonga.

Canaro reste dans la tradition de l’ancien tango (qui par ailleurs bénéficiait d’un regain de popularité). Cette version est beaucoup plus lente et n’a rien d’une milonga. Elle est considérée comme étant fidèle à la version d’origine. Cela peut permettre de douter, à mon avis, de l’hypothèse d’une transformation en milonga par Firpo et Brunelli. Si la transformation était un grand succès, pourquoi Canaro aurait-il pris le risque d’enregistrer une version désuète ? Même en tenant compte de sa tendance à être souvent plus conservateur et de sa volonté de surfer sur la vague de regain pour les tangos anciens, il me semble qu’il aurait a minima fait une milonga tangueada, du type de Milonga de mis amores, qui tout en conservant un rythme très lent fait usage de la syncope. Il reste l’hypothèse que Canaro souhaitait offrir à son compatriote une version témoin de l’écriture originale.

La puñalada 1937-12-02 — Alberto Gómez con acomp. de orquesta, en chanson.

Impensable de danser cette version en milonga, voire de la danser tout court. Il y a des doutes sur l’orchestre, car sur le disque il est juste indiqué avec orchestre. Deux orchestres sont proposés, celui de la Victor (il a chanté pour l’orchestre de 1930 à 1935 et celui de Firpo. Je pourrai rajouter celui de Carabelli, Gomez a beaucoup enregistré avec lui, que ce soit en tango ou avec son Jazz-Band et je pense donc que cet orchestre est plus probable que celui de Firpo pour lequel on ne connaît pas d’autres enregistrements avec lui (à moins qu’ils soient tous anonymes, ce qui n’est pas dans l’habitude de Firpo qui était un orchestre renommé). Gomez aura son propre orchestre plus tard (enregistrements de 1947).

La puñalada 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo. En milonga rapide. Le pli était pris.

Cet enregistrement a été diffusé en disque 78 tours avec la Cumparsita de 1943, 17 millions de ce disque airaient été vendus. C’est encore un record aujourd’hui pour le tango. Le couplage avec la Cumparsita a sans doute fait beaucoup pour le succès de cette milonga.

La puñalada 1946-10-08 — Orquesta Francisco Canaro.

Si Canaro a pu ignorer le succès en milonga du titre, il ne le fait pas après l’immense succès de D’Arienzo et donne sa version en milonga du titre.

La puñalada 1950-12-19 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une belle version joueuse par Fresedo, sans doute trop méconnue.

La puñalada 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du D’Arienzo 50, sans surprise, qui pourrait éventuellement être remplacée par celles, contemporaines, de Fresedo ou Canaro…

La puñalada 1951-11-29 — Orquesta Francisco Canaro.

À couteaux tirés avec D’Arienzo, Canaro, relance quelques semaines après D’Arienzo… Une version tonique et euphorique, qui sera agréablement dansée par tous les danseurs.

Il existe énormément d’autres versions de La puñalada. J’espère que ce petit texte vous aura donné envie de vous y plonger au cœur… (Humour noir).

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tango qui ne dispose pas d’enregistrement de version chantée intéressante dispose de tant de paroles. Pas moins de cinq versions… Quoi qu’il en soit, ce tango écrit en 1897 par Rosendo Mendizábal est fameux, et il fut le premier à avoir une partition…

Un tango célèbre

Ce tango est fameux. C’est pour cela, probablement qu’il dispose de plusieurs paroles, ces dernières étant utilisées pour flatter un commanditaire potentiel.
J’ai raconté dans Sacale punta comment Rosendo l’a dédicacé à Ricardo Segovia et a gagné ainsi 100 pesos… Il venait de le jouer à de multiples reprises à la demande du public en Lo de María la Vasca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, outre l’abondance de paroliers, je pourrais mentionner qu’il est chanté par Gardel dans Tango argentino 1929-12-11.

«De tus buenos tiempos aún hay palpitan
El choclo, Pelele’, El taita, El cabure
La morocha, El catre y La cumparsita
Aquel Entrerriano y el Sabado ingles»

La dernière preuve est le nombre incroyable de versions de ce titre. Les 100 pesos de Ricardo Segovia furent un bon investissement.

Extrait musical

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

On comprend l’enthousiasme des premiers auditeurs de El entrerriano qui ne s’appelait pas ainsi quand il fut joué pour la première fois en Lo de María la Vasca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne réception par les participants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spontané que les versions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Fresedo a su sortir de sa zone de confort pour nous éblouir avec cette version joyeuse.

Les paroles

J’ai mentionné cinq versions. Je n’en ai retrouvé que quatre, celle de Ángel Villoldo semble perdue.
Les quatre restantes sont du même type, elle raconte la gloire, la gloriole d’un type. Rien de bien intéressant et original. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Homero Expósito.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Villoldo a dédié une version à Pepita Avellaneda. Pour cela il a écrit des paroles qui semblent perdues pour le moment.
Attention à ne pas confondre la chanteuse Pepita Avellaneda et Pepito Avellaneda, pseudonyme du danseur José Domingo Monteleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avellaneda. Pepito, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de prendre un pseudonyme pour atténuer son origine italienne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de pizzaiolos de province (Avellaneda).
D’ailleurs Pepita Avellaneda était également un pseudonyme, la chanteuse, qui était aussi danseuse s’appelait en fait Josefa Calatti… C’est elle qui avait étrenné El esquinazo de Villoldo, avec des paroles également disparues…
Villoldo a cependant écrit les paroles d’un autre tango qu’il a également composé : Desafío de un entrerriano (défi d’un entrerriano).
Il se peut qu’une partie des paroles soit proche de celles de la version perdue, à la différence qu’il s’agissait d’une femme, probablement uruguayenne dans le premier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la frontière de la Province de l’Est perméable.
On remarquera qu’elles sont de la même eau que celles destinées à El enterriano, ce qui confirme la destination de ces paroles, la flatterie, voire la flagornerie…
On ne connaît pas la datation précise de l’écriture de ce tango, mais comme il a été publié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la version perdue. Il ne semble pas exister d’enregistrement de ce tango. Voici donc les paroles de Desafío de un entrerriano :

Ángel VilloldoDesafío de un entrerriano 
Aquí viene el entrerriano
El criollo más respetado,
Por una milonga, un estilo,
O un tanguito requebrado.
En cuanto yo me presento
No hay quién se atreva a roncar,
Al cohete son los candiales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pierna
que la echaba de compadre?
Vayan saliendo al momento
Ya que llega la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gusta
Pa´ darles un revolcón.

¿Quién le ronca al entrerriano?
¿No hay quién cope la parada?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bolada.
Miren que ocasión como esta
No se les va a presentar…
¿De ande yerba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la herida,
Y me gano la carrera
Mucho antes de la partida.
Aquí concluyo y saludo
Con cariño fraternal,
A todos los concurrentes
Y al pabellón nacional…


Letra de A. Semino y S. Retondaro
Tú el entrerriano un criollazo
De nobleza e hidalguía
Que captó la simpatía
De todo el que lo trató.
Porque siempre demostró
Ser hombre sincero y fiel
Y como macho de Ley
La muchachada lo apreció.

Como varón se comportó
Su pecho noble supo exponer
Para el débil defender
Y así librarlo del mal
Pero una noche sombría.
Que fue, ¡ay !, su desventura
En su alma la amargura
Echó su manto fatal
Por haber sido tan leal
Halló su cruel perdición …!
El entrerriano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un callejón
Al amigo más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hirió cruel
Y vibrando de indignación
El criollazo atropelló
Y en la faz del matón
Un barbijo marcó.

Y al correr de los años
Libertao ’e las cadenas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo barrio volvió
Y amargado lagrimeó
Al hallarse sin abrigo
Y hasta aquél… el más amigo,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Campo y Oscar Amor
Mi apodo es
El Entrerriano y soy
de aquellos tiempos heroicos de ayer,
el de los patios del farol y el parral,
con perfume a madreselva y clavel.
Soy aquel tango que no tuvo rival
en las broncas y entreveros.
Pero fui sentimental
junto al calor
del vestido de percal.

Soy aquel que no aflojó jamás,
el que luchó con su valor
por mantener este compás
y con él
me sentí muy feliz
al poder triunfar con mi valor
lejos de aquí, allá en París.
Y después
de recorrer triunfal,
la vuelta pegué para volver
junto al calor de mi arrabal
y hoy al ver
que soy retruco y flor
quiero agradecer este favor
al bailarín como al cantor.

Entrerriano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el compás de meta y ponga y fui
de la quebrada y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tambito.
Y en las trenzadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el barrio de San Telmo
yo soy
picaflor afortunao en amor
un punto bravo pa’l chamuyo floreao
buen amigo en cualquier ocasión
caudillo firme de jugado valor
pa’ copar una parada
y afirmar mi bien probada
lealtad con el doctor.

Calá este varón
cuando con un gesto
mando en el resto
pa’ ganar una elección.
Calá este varón
en bailongos bien mistongos
conquistando un fiel corazón.
Calá este varón
en salones distinguidos
todo presumido
de “doctor”.
Calá este varón
mozo atrevido
siempre canto flor, envido
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi única pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mella a mi condición
de varón,
soy entrerriano, señor
y tengo firme el corazón.


Letra de Homero Expósito
Sabrán que soy el Entrerriano,
que soy
milonguero y provinciano,
que soy también
un poquito compadrito
y aguanto el tren
de los guapos con tajitos.
Y en el vaivén
de algún tango de fandango,
como el querer
voy metiéndome hasta el mango,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siempre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
llevándola juntito a mí
como apretando el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es llevarse bien
en las cortadas del querer
y en la milonga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y alguna herida
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
haciendo cortes
y al Sur y al Norte
sulen gritar
que el Entrerriano es el gotán.

Traduction libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provincial, que je suis aussi un peu compadrito et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cicatrices (tajito, petites entailles).
Et dans le balancement d’un tango fandango, (Un siècle avant le tango, le fandango a fait scandale, car jugé lascif. Avec le tango, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tango s’est inauguré dans une maison de plaisir…)

avec volonté je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis toujours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écraser le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cortadas du désir et dans la milonga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a donné la vie et une blessure de temps en temps, pour connaître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (figure de tango) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tango en verlan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad
El entrerriano 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.

Une version par le tigre du bandonéon. Il existe peu d’enregistrements de Arolas, sans doute, moins de 20 et tous de la période de l’enregistrement acoustique. Ils ne rendent sans doute pas justice aux prestations réelles de cet artiste du bandonéon et de son orchestre.

El entrerriano 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro.
El entrerriano 1917 Orquesta Roberto Firpo. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entrerriano 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro.

Une version calme et tranquille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux passages guidés par le piano comme après 50 s.

El entrerriano 1927-03-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une version avec des bruits étranges, on entend les animaux de la ferme (notamment à partir de 30 s). Le dédicataire est en effet un riche propriétaire terrien et j’imagine que Fresedo s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entrerriano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version à toute vitesse. Avec mandoline. Je ne sais pas si elle était destinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démonstration de virtuosité.

El entrerriano 1940-11-06 — Orquesta Radio Victor Argentina.

On dirait que Firpo a passé le virus à Scorticati qui dirigeait la Victor à cette époque. On peut imaginer sa joie de faire raisonner le « Pin-Pon-Pin » du bandonéon comme une ponctuation tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y compris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre tango du jour.

On dirait que Firpo et Scorticati ont passé le virus à Fresedo qui produit à son tour une version très rapide. Il fallait sans doute ces deux contaminations pour l’inciter à produire cette version tonique et rapide. Le bandonéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus convaincant. Cependant, adieu veaux, vaches, couvées par rapport à la version précédente de 1927. Chaque instrument a son tour de gloire et le résultat est prenant, jusqu’au classique double accord final de Fresedo. C’est notre tango du jour.

J’ai passé sous silence les versions de 1941 de Troilo (c’était l’époque où il avait des enregistrements pourris, car les maisons de disques ne voulaient pas concurrencer leurs poulains) et celle de Biagi, qui est du Biagi comme il y en a tant. Du bon Biagi, mais que du Biagi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entrerriano 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo.

Pas la version de 1941 qui était une version plutôt rapide, mais celle de 1944, bien mieux enregistrée. On voit que l’ambiance est bien différente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musicale, moins dans la surprise. On remarquera les pleurs du bandonéon à 2 : 46, le merveilleux jeu de Troilo. Une version pour une danse bien différente, Troilo commence à montrer le bout de son nez novateur.

El entrerriano 1954-04-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milonga qui somnole (il paraît que ça existe), mais certains des titres précédents sont également efficaces pour cet usage…

El entrerriano 1979-10-31 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Fresedo a encore enregistré le titre en 1979. Honnêtement, cet enregistrement n’a rien d’exceptionnel et je vous propose de bouleverser la chronologie pour terminer cette anecdote avec une version étonnante, par Varela…

El entrerriano 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela.

C’est le dernier titre que je vous propose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solennel, suivi d’une citation des paroles de Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, hermano, qué tiempos aquellos? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Castriota Letra: Pascual Contursi) « me dan ganas de llorar ».

Voilà, je termine avec cela. Quel parcours effectué depuis 1897 par ce tango exceptionnel !

À demain les amis !

Danzarín 1963-04-25 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande parfois ce tango en disant, ce tango de Piazzolla, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Angelis qui l’a interprété pour la première fois et c’est Troilo qui l’a rendu célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tournant important dans le microcosme tango à la fin des années 50.

On date souvent l’apparition du tango nuevo de Piazzolla et des années 60. Mais comme toujours, c’est bien plus compliqué que cela.
Dans les années 30, Francisco Canaro était déjà à la recherche de nouveaux styles de tango, mais en fait, les principaux orchestres ont cherché à innover en ajoutant des instruments et en en enlevant d’autres. La flûte a été remplacée par le bandonéon, le piano a fait son apparition, la harpe a été remplacée par la guitare, puis est revenue et repartie, puis des instruments plus ou moins étranges comme la scie musicale parfois remplacée par le theremine qui donne un son très proche bien que purement électronique. Parmi les joueurs de scie musicale, on pourrait citer Rafael Canaro ou Juan Caldarella.

On entend la scie musicale dans la Cumparsita de Roberto Firpo en 1916 et dans de nombreuses compositions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le theremine, voici un exemple de jeu sur une pièce classique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, toujours lui, fut un des premiers à utiliser l’Orgue Hammond. Un instrument électromécanique, produisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est simple. Une roue portant des aimants tourne. Elle déclenche un microphone électromagnétique lors de sa rotation (du même type que ceux des guitares électriques). Si un aimant passe devant le microphone 100 fois par seconde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nombre d’aimants est différent. Avec le double d’aiment, à vitesse de rotation égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant varier la vitesse de rotation, on change la hauteur du son de façon continue.
On peut entendre l’orgue Hammond dans Cristal (1944-06-03) de Francisco Canaro (à partir de 1 minute, ou dans Garras (1945-03-15) à partir de 32 secondes. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour profiter de la jolie interprétation du chanteur, Carlos Roldán.

Garras 1945-03-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. Finalement, je vous propose garras, peut-être moins connu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repérer les cloches, autre instrument original…

Piazzolla introduit la guitare électrique qui utilise donc les mêmes microphones que l’orgue Hammond, une décennie plus tard. C’est un nouvel instrument, mais il est loin d’être le premier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des innovations, il y en a trop. C’était juste pour vous démontrer que les nouveautés en tango, c’est vieux. Sinon, on serait toujours au tango des Gobbi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est également une innovation, dans l’orchestration et le rendu de la musique. C’est également un tango nouveau, une marche dans l’évolution du tango.
Plaza l’a écrit pour la danse, disons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa composition des motifs permettant de pratiquer toutes les figures possibles pour un danzarín, un excellent danseur.

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza.

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrangement de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retravaillé pour Troilo. Nous verrons cependant la limite de cette intervention un peu plus loin dans cette anecdote…
N’oublions pas que c’est De Angelis qui l’a joué en premier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sembler étonnant. Il est certain que le résultat devait être très différent de celui du premier enregistrement par Troilo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troilo a demandé à Plaza de revoir sa partition pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des centaines d’enregistrements de Danzarin. Faute de pouvoir produire la version de De Angelis, je vais me contenter des deux enregistrements de Troilo. En effet, la très grande majorité des enregistrements postérieurs ont pris la version de Troilo comme modèle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tango est terminée, les orchestres cherchent à perdurer, en proposant de nouvelles pistes pour l’écoute et les nouveaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Danzarín 1958-12-15 — Orquesta Aníbal Troilo.
Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza. C’est notre tango du jour.

La sonorité est très différente entre les deux enregistrements.
Pour comprendre ce qui se passe, regardons l’analyse du spectre :

La stéréo de la version de 1963 donne une impression d’espace. Les instruments sont aussi séparés spatialement. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milonga on est obligé de limiter la stéréo pour que la répartition soit correcte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La première utilisation de la stéréophonie date de 1881 et c’est une invention du papa de l’avion, Clément Ader qui a eu l’idée de diffuser le son de l’opéra Garnier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles électriques reliés d’un côté à deux microphones et de l’autre à deux écouteurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtrophone.
En 1931, Alan Blumlein, va plus loin en proposant un procédé d’enregistrement et de relecture sur piste unique qui sera quasiment identique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Disney en 1940 a fait du multipiste pour son film musical Fantasia. Malheureusement, les salles ne se sont pas équipées et le son du cinéma est resté globalement monophonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à partir de 1958 que la stéréophonie est apparue.
Cela implique que tout le tango de l’âge d’or est purement monophonique.
Troilo qui a un peu souffert d’éditeurs médiocres au début de sa carrière cherche à refaire son enregistrement avec le nouveau procédé et c’est le résultat que l’on peut entendre dans la version de 1963. Malheureusement, pour des questions de taille de fichier, il m’est impossible de vous le faire écouter ici en entier [mon fichier original fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que certains DJ considèrent comme un format acceptable en milonga…).

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien marqué :
0 s : les violons débutent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au centre et les bandonéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enregistré avec deux microphones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplissant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les bandonéons et les violons sont des deux côtés. Le piano est plus au centre.
49 s : les instruments retrouvent leur latéralité, les violons plus à gauche et les bandonéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes conditions, la qualité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres éléments que l’on peut déduire des audiogrammes.

Globalement le spectre est bien rempli dans les deux cas (partie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à environ 20 kHz, on est en présence de deux enregistrements de qualité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absolument identiques. À droite, on remarque que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a entendu dans le court extrait en stéréo, les violons commencent à gauche (donc en haut), puis le piano au centre et enfin les bandonéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus marqué.

On constate que si la version de 1963 est globalement plus lente, ce n’est pas vrai partout. La version de 1958, allongée devrait coïncider avec celles de 1963 pour la « pause » centrale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapide dans la version de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort semblable jusqu’à 40 secondes, puis la version de 63 est plus rapide. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la version de 1958 3 secondes de retard.
La « pause » centrale arrive à 1 : 42 dans la version de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nouveau synchronisés pour le solo de violoncelle. La version de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beaucoup ralenti, ce qui a permis à la fin de la pause de resynchroniser le violoncelle. Je rappelle que c’est en temps relatif, car j’ai augmenté le temps de la version de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la version de 1963 accélère de nouveau, devançant celle de 1958, exactement comme elle l’avait fait lors de la première fois. Ainsi, le solo de violoncelle est de nouveau synchronisé à 1 : 54 et ainsi de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musicalise, j’écoute toujours la musique qui passe sur la piste, mais je prépare aussi la tanda suivante et je cherche une cortina convenable. Ceci fait que j’ai souvent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous proposer une version simplifiée de cela en vous présentant un morceau constitué à gauche de la version de 1958 et à droite, de la version de 1963. Ce sera plus simple si vous pouvez l’écouter au casque, ou a minima avec un équipement stéréo bien équilibré.
Cela va vous permettre de constater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Danzarin Gauche 1958 Droite 1963 Troilo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pourriez être DJ ; -)

Vous aurez remarqué, sans doute, qu’il n’y a pas de différence notable dans l’orchestration. Je ne comprends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a bénéficié des arrangements de Plaza. Peut-être que c’était le cas aussi de la version de 1958. Comme on n’a pas d’enregistrement de De Angelis, il est impossible de faire la différence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tango nuevo…

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette valse si agréable à danser, notamment dans la version qu’en donne Castillo avec son orchestre a failli ne pas voir de succès. Lançons-nous à la rencontre de la pulpera de la pulpería.

La pulpera de Santa Lucía

Tout d’abord, un peu de vocabulaire. Une pulpera, est une employée, ou une propriétaire de pulpería. Le « í » est donc important. La chanson parle d’une femme, pas de son établissement.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héctor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pourrait être inventée à l’image de son pays d’origine (son grand-père paternel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothèses, la plus probable est que cette femme était la fille d’un monsieur Miranda qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une histoire politique, on verra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Martin Garcia. Malheureusement, ce sont deux avenues, donc parallèles. Je propose donc plutôt l’angle de Martin Garcia et Montes de Oca, justement le bâtiment qui touche l’église de Santa Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dionisia Miranda si ces hypothèses ne sont pas trop fausses…

Évidemment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siècle et donc, ce bâtiment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un environnement rural et les gauchos devaient passer une bonne partie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio.

Pour une version de chanteur, c’est tout à fait dansable. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprouverez beaucoup de plaisir à la danser, malgré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
reflejaban la gloria del día
y cantaba como una calandria
la pulpera de Santa Lucía.

Era flor de la vieja parroquia.
¿Quién fue el gaucho que no la quería?
Los soldados de cuatro cuarteles
suspiraban en la pulpería.

Le cantó el payador mazorquero
con un dulce gemir de vihuelas
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diamelas.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día tendrás que ser mía,
mientras llenan las noches del barrio
las guitarras de Santa Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuando el año cuarenta moría;
ya no alumbran sus ojos celestes
la parroquia de Santa Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a cantarle vidalas y cielos.
En la reja de la pulpería
los jazmines lloraban de celos.

Y volvió el payador mazorquero
a cantar en el patio vacío
la doliente y postrer serenata
que llevábase el viento del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía?”
¡Cómo lloran por ti las guitarras,
las guitarras de Santa Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Traduction libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du drapeau argentin) reflétaient la gloire du jour et elle chantait comme une calandre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de Santa Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gaucho ne voudrait pas d’elle ? Les soldats de quatre casernes soupiraient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazorquero (chanteur partisan de Rosas, militaire, gouverneur et putschiste) lui chantait avec un doux gémissement de vihuelas (instrument de musique apparenté à la guitare) sur la clôture qui sentait le jasmin, dans la cour qui sentait le diamelas (sorte de jasmin).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quartier sont remplies des guitares de Santa Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aussi le titre d’une ranchera de Brignolo) l’a enlevée à la mort de l’année quarante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de Santa Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revinrent pas lui chanter des vidalas et des cielos (danses). Sur la clôture de l’épicerie, les jasmins pleuraient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la sérénade plaintive et tardive qu’apportait le vent de la rivière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Comment, pour toi pleurent les guitares, les guitares de Santa Lucía !

Cette valse nous parle donc d’un temps ou le quartier était rural et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosistas.

Autres versions

La pulpera de Santa Lucía 1929-06-19 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette version est importante, car Corsini est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces guitaristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le succès a été tel que les auditeurs ont demandé un bis par téléphone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mordre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habitude, l’a enregistrée…

La pulpera de Santa Lucía 1929-07-03 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est une version lente avec l’originalité de la présence d’une guitare hawaïenne. Canaro utilisera cet instrument dans d’autres œuvres, dont justement une valse composée par William H. Heagney, tout aussi lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enregistrée le 9 novembre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 – Orquesta Francisco Canaro (William H. Heagney)

(Ce n’est bien sûr pas une version de la pulpera, c’est juste pour vous faire entendre une valse similaire avec de la guitare hawaïenne).

La pulpera de Santa Lucía 1930 — Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante.

Le frère de Francisco s’y colle ensuite avec Carlos Dante. Une version très rapide, plutôt chanson avec une forte présence de la guitare qui fait penser à Corsini.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. C’est notre merveille de valse du jour.
La pulpera de Santa Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une version très étonnante avec ses dissonances plaquées sur l’introduction. L’harmonica particulièrement expressif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la guitare qui donne le rythme et permet de rendre dansable cette version assez particulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la connaître pour l’harmonica qui lui imprime son caractère si puissant.

La pulpera de Santa Lucía 1977 Nelly Omar con guitarras — Jose Canet.

Une version sympathique, chantée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de Santa Lucía 1983 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Pour terminer, une version de l’autre rive. Bien dansante et amusante comme c’est le faire Villasboas avec son piano bien rythmé et ses violons qui flottent avec une sonorité si particulière. On notera également le magnifique solo du bandonéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez festif pour terminer ce tour des versions de la Pulpera de Santa Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milonga d’hier, j’abordai les origines noires du tango. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effectivement d’origine noire et plus précisément noire américaine. Il est descendant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père paternel, dont le nom de famille était Marshall qui a immigré en Argentine. Maciel fait plus Argentin que Marshall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Marshall, Maciel ?

Son partenaire dans la composition de ce tango est Héctor Pedro Blomberg qui comme son nom le suggère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père paternel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embarque sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voyage il écrivit des articles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrouver toutes les revues, car ils ont été publiés en 1920 dans un ouvrage Las Puertas de Babel. Le préfacier, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je reproduis cet extrait ici, car il est très évocateur du Buenos Aires des origines du tango : 

«Los puertos de Buenos Aires, y los barrios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puertas de Babel. Por ellos se entra en la ciudad monstruosa e inquietante donde todos los idiomas del mundo y todas las razas se confunden y mezclan. Arriba está la ciudad rica y poderosa. Abajo, es decir en las puertas de Babel, se aglomera la caravana de los parias, la turba sucia y doliente que arrastra por los puertos y los mares su desolación et su miseria.

Multitud de lamentables figurillas humanas desfilan. Marineros ingleses, borrachos y brutales, pasan juntos a suaves y contemplativos chinos. Holandeses et italianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancólicos que invocan a Alá, y añoran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cigarras del hambre — cantan y danzan en los cabarets siniestros: andaluzas de Cádiz y de Málaga, griegas de Salónica, mulatas martiniqueñas, inglesas de Liverpool u de Swansea. Todos los barrios trágicos de tierra son evocados en las puertas de Babel: el Bund, de Changai; el Solbrero Rojo, de Marsella; las callejuelas sucias de los barrios que circundan los grandes puertos. Y todas las canciones de la tierra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sorrento, que hacen soñar con el mar azul, fados portugueses, sensuales y lánguidos; canrates desolados de los archipiélagos, oídos en las radas de Oceanía; baladas cándidas, y fragantes que evocan las márgenes del Yang-Tse-Kiang; viejas guajiras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aquellas gentes van pasando bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amontonan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la tragedia estalla a cada paso, allí en las puertas de Babel. Hombres tatuados se apuñalean por alguna de aquellas cigarras del hambre, “gaviotas de todos los puertos”, como también las llama Blomberg. »

Préface de Las Puertas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville monstrueuse et inquiétante où toutes les langues du monde et toutes les races sont confondues et mélangées. Au-dessus se trouve la ville riche et puissante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassemble la caravane des proscrits, la foule immonde et triste qui traîne sa désolation et sa misère à travers les ports et les mers.
Une multitude de pitoyables figurines humaines défilent. Les marins anglais, ivres et brutaux, passent avec des Chinois doux et contemplatifs. Néerlandais et Italiens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélancoliques qui invoquent Allah et se languissent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sinistres cabarets : Andalouses de Cadix et de Malaga, Grecques de Thessalonique, mulâtres martiniquaises, Anglaises de Liverpool ou de Swansea. Tous les quartiers tragiques de la terre sont évoqués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le chapeau rouge de Marseille (le nom vient du chapeau que portaient les cochers des messageries Royales et qui a donné le nom à nombre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se diluent dans les lambeaux de Babel : les couplets de Sorrente, qui font rêver la mer bleue, le fado portugais, sensuel et langoureux ; les canrates désolés des archipels (probablement Canaries), entendus dans les rades de l’Océanie ; des ballades candides et parfumées qui évoquent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles guajiras de Cuba ; Lugubres couplets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en parlait à propos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tournant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mouettes de tous les ports », comme les appelle aussi Blomberg. »

Entre copa y copa 1942-04-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía Letra Héctor Marcó

Les deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Vargas nous offrent cette milonga qui chante la vie d’un milonguero. C’était le 23 avril 1942, il y a exactement 82 années que le compositeur de la musique nous fait danser cette milonga avec la voix magique de son complice, Vargas.

Extrait musical

Couverture de la partition de Entre copa y copa.

Les bandonéons et les violons en pizzicati entament l’ouverture en motifs descendants. La syncope de la milonga s’installe, en alternance avec de courtes pauses. Certaines sont très marquées comme à 0 h 29 ou 0 h 43. C’est un devoir pour le danseur que de les prévoir pour immobiliser la danse et ainsi être en harmonie avec le jeu proposé par l’orchestre. Notre chance est que l’enregistrement a figé ces pièges et que les danseurs connaissant la musique peuvent mieux se préparer aux blagues des musiciens.
À 50 secondes Vargas commence à chanter. Il chante le premier couplet et le refrain. À 1 h 29, l’orchestre reprend de façon plus lisse et ensuite avec l’alternance de passages syncopés et de courtes pauses. À 1 : 58 il reprend le refrain. Il ne chante pas le dernier couplet. L’orchestre termine les 10 dernières secondes par un double accord percussif.
Amis danseurs, écoutez bien cette milonga. Elle n’est peut-être pas la plus facile à danser, mais elle vous fait plein de propositions pour jouer. C’est le moment de se lâcher sans perdre le fil de la musique.
Pour une fois, ce sera le seul enregistrement, car personne d’autre n’a enregistré cette milonga.

Paroles

Yo soy milonguero viejo
de los del tiempo del jopo,
bailarín de taco regio
dulzón para los piropos…
Yo soy milonguero viejo
entrador como cuchillo,
de aquellos que sacan brillo
al pisar en un salón…

Enredado entre las notas
de una milonga querida
así me paso la vida
bailando entre copa y copa.
Y hasta el fuego de tu boca
china, ¡color de carbón!…
Más me quema si te siento
corazón a corazón…


Yo soy milonguero viejo
de los del tiempo del jopo,
entrador pa’ dar consejos
pero que me den… muy pocos…
Nací pa’ gastar charoles
y entre cortes y figuras,
voy tejiendo mis amores,
al compás de un bandoneón.

Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía Letra Héctor Marcó

Traduction libre et indications

 Je suis un vieux milonguero de l’époque du jopo (sorte de port de cheveux à la mode au début du 20e siècle et remis au goût du jour à diverses époques, dont les années 50 avec le rock’n’roll…), un danseur avec un verbiage doux et somptueux pour complimenter (piropos, compliments appuyés pour séduire les femmes)…
Je suis un vieux milonguero tranchant comme un couteau, un de ceux qui brillent en marchant dans un salon…

Je m’enroule dans les notes d’une milonga bien-aimée, c’est ainsi que je passe ma vie à danser entre deux verres.
Et même le feu de ta bouche, ma chérie, couleur du charbon !… Ça me brûle encore plus si je te sens cœur à cœur…

Je suis un vieux milonguero de l’époque du jopo, sympathique pour prodiguer des conseils, mais pour qu’on m’en donne… très peu…
Je suis né pour porter des souliers vernis et entre cortes et figures (coupés, nom d’une figure de tango), je vais, tissant mes amours, au rythme d’un bandonéon.

À propos de l’illustration

J’ai exploré plusieurs pistes. Les coupes de champagne avec des danseurs en fond, des danseurs sans champagne et finalement, j’ai mélangé les deux en prenant comme inspiration le dernier couplet. Celui qui n’est pas chanté par Vargas. Dans celui-ci, il indique « De verre en verre, je vais, tissant la toile de mes amours, au rythme d’un bandonéon ».

J’ai pensé aussi à représenter un danseur billant avec les spectateurs impressionnés. Le danseur est noir, ce qui n’est pas si souvent représenté dans le domaine du tango, malgré ce que proclament certains que le tango est d’origine noire. De montrerai un jour que c’est en très grande partie faux, mais aujourd’hui, je me contente de planter la graine et je vous laisse danser cette belle milonga en espérant que vous gagnerez une coupe. Pas une coupe de cheveux avec jopo, mais une coupe de champagne argentin, coutume que les milongas portègnes ont importées de Paris. Ils ont importé la coutume et le nom, mais pas le vrai champagne…

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Jovés Letra : Antonio Martínez Viérgol

On est tous fous de loca, les locos locaux et les locaux d’ailleurs. D’Arienzo l’a enregistré 3 ou 4 fois pour le disque et au moins une fois pour la télévision. La version du jour est celle de 1942, son premier enregistrement de ce titre et qui a aujourd’hui exactement 82 ans.

Extrait musical

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Les paroles

Le tango du jour est instrumental, mais il y a des paroles que voici :

Loca me llaman mis amigos
que solo son testigos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que siento
ni que remordimiento
se oculta en mi interior?

Yo tengo con alegrías
que disfrazar mi tristeza
y que hacer de mi cabeza
las pesadillas huir.
Yo tengo que ahogar en vino
la pena que me devora…
Cuando mi corazón llora
mis labios deben reír.

Yo, si a un hombre lo desprecio,
tengo que fingirle amores,
y admiración, cuando es necio
y si es cobarde, temores…
Yo, que no he pertenecido
al ambiente en que ahora estoy
he de olvidar lo que he sido
y he de olvidar lo que soy.

Loca me llaman mis amigos
que solo son testigos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que siento
ni que remordimiento
se oculta en mi interior?

Alla, muy lejos, muy lejos,
donde el sol cae cada día,
un tranquilo hogar tenía
y en el hogar unos viejos.
La vida y su encanto era
una muchacha que huyo
sin decirle donde fuera…
y esa muchacha era yo.

Hoy no existe ya la casa,
hoy no existen ya los viejos,
hoy la muchacha, muy lejos,
sufriendo la vida pasa.
Y al caer todos los días
en aquella tierra el sol,
cae con el mi alegría
y muere mi corazón.

Manuel Jovés Letra: Antonio Martínez Viérgol

Traduction libre

Folle, m’appellent mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour léger.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Je dois avec des joies déguiser ma tristesse et faire fuir mes cauchemars de ma tête.
Il faut que je noie dans le vin le chagrin qui me dévore…
Quand mon cœur pleure, mes lèvres doivent rire.
Moi, si je méprise un homme, je dois feindre l’amour et l’admiration pour lui, alors qu’il est un imbécile et que s’il est lâche, qu’il a peur…
Moi qui n’ai pas appartenu au milieu dans lequel je suis maintenant, je dois oublier ce que j’ai été et je dois oublier ce que je suis.
Mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour de lumière me traitent de folle.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Là-bas, très loin, là où le soleil tombe chaque jour, il y avait un foyer tranquille, et dans ce foyer quelques vieux.
La vie et son charme, c’était une fille qui s’enfuyait sans lui dire où elle allait…
Et cette fille, c’était moi.
Aujourd’hui, la maison n’existe plus, aujourd’hui il n’y a plus de vieux, aujourd’hui la fille, très loin, la vie passe en souffrant.
Et quand tombe chaque jour sur cette terre le soleil, ma joie tombe avec lui, et mon cœur meurt.

Autres versions par D’Arienzo

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan . Notre tango du jour est le plus ancien enregistrement par D’Arienzo.
Loca 1946-10-18 – Orquesta Juan D’Arienzo
Loca 1955-12-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Loca 1971

Vous avez tous déjà vu cette vidéo et la façon particulièrement animée de diriger de D’Arienzo. Plusieurs orchestres contemporains imitent cette mise en scène, pour le plus grand plaisir des danseurs.

Loca 1975 – Los Solistas de D’Arienzo. Quelques mois avant la mort de D’Arienzo. Je ne suis pas sûr qu’il ait dirigé cet enregistrement. C’était peut-être Carlos Lazarri, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre.

Autres versions par d’autres orchestres

Loca est un titre à très grand succès et il existe des centaines de versions. Je vous en propose donc une sélection très réduite, mais représentative.

Loca 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Loca 1923 – Orchestre Mondain Jose Sentis. Attention, enregistrement perturbé (disque endommagé). Cependant, cela permet de voir que la France était en pointe, ce titre ayant été écrit l’année d’avant.
Loca 1938-06-20 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro
Loca 1941-07-08 – Orquesta Típica Victor Dir. Freddy Scorticati
Loca 1950-11-06 – Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Amanda Vidal
Loca 1951 Astor Piazzolla, María de la Fuente.
Loca 1954-10-04 – Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente (en vivo en Japón). La même chanteuse que Piazzola.
Loca 1959-01-30 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi
Loca 1964-04 – Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy
Loca 2014 – Orquesta Típica Fervor de Buenos Aires.

Peut-être la version la plus originale. Fervor de Buenos Aires, est un orchestre créé en 2003 et qui a eu sa personnalité en donnant de nouvelles sonorités à des interprétations inspirées de Di Sarli. À partir de 2008, il a continué son chemin avec un style proche sous le nom Típica Misteriosa Buenos Aires. Ce dernier orchestre s’annonce comme un orchestre de danse, mais cela reste tout de même à prouver…

Alors, avez-vous vu ? C’est fou, vraiment fou, tout cela.

Ventanita florida 1932-04-21 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Après le sujet lourd et triste d’hier, un sujet plus léger. La petite fenêtre fleurie. Léger, au moins pour nous, mais pour le malheureux ou la malheureuse qui dit sa peine, c’est sans doute moins agréable. Aujourd’hui, ce malheureux est Agustín Irusta qui marche sous la baguette de Francisco Canaro. C’était il y a 92 années.

Extrait musical

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta ne chante que le refrain, comme il est de coutume pour les tangos de danse. Mais nous allons voir qu’il y a une autre raison à cela après avoir étudié les paroles… On est dans du Canaro typique de cette période, un tango qui se dégage doucement du canyengue. Un tango bien marché avec de petites cachotteries musicales qui évitent la monotonie.

Les paroles

Fue una noche clara
que alumbraba tan sólo el lucero.
Junto a mi humilde ventana
‘te juro’ – decía – ‘mi amor es eterno’
Yo le di mi vida
y entre dulces promesas se fue.
Sola y conmovida
a la reja mi amor le confié.

Ventanita florida
de mi vieja tapera,
en tu reja prendida está
mi tímida ilusión.
Al abrirte contemplo
un jardín de esperanza,
ventanita, y te cierro al fin
cantando por mi amor.

Pero fue mentira
su promesa de amor duradero.
Desde que vino el invierno
una noche tras otra yo en vano lo espero.
Ya ni la esperanza
va quedando de verlo volver.
¡Tanto que lo quise!
¿Para qué me engañó, para qué?

Ventanita florida
de mi vieja tapera,
en tu reja marchita está
la flor de su traición.
Al abrirte, la noche
hasta el alma me hiela,
ventanita, y te cierro al fin
llorando por mi amor.

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Traduction libre et indications

C’était une nuit claire qu’illuminait seulement la lucarne (plusieurs possibilités pour « lucero ». Vénus, lucarne, partie du volet par laquelle peut entrer la lumière. Bref, ce n’est pas très clair, au propre, comme au figuré).
Ensemble à mon humble fenêtre : « Je te jure, disait-il, mon amour est éternel. »
Et je lui ai donné ma vie et au milieu des douces promesses, il est parti.
Seule et inquiète à la grille (probablement les barreaux de la fenêtre, ou une grille de protection qui peut s’ouvrir) je lui ai confié mon amour.

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, en ta grille est accrochée ma timide illusion.
Quand je t’ouvre, je contemple un jardin d’espérance, petite fenêtre, et je te ferme enfin en chantant pour mon amour.

Mais ce fut un mensonge sa promesse d’amour durable.
Depuis que l’hiver est venu nuit après nuit, je l’ai attendue en vain.
Là, il n’y a plus d’espoir de le voir revenir.
Je l’ai tant désiré !
Pourquoi m’a-t-il trompé, pour quoi ?

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, dans ta grille flétrie est la fleur de sa trahison.
Quand je t’ouvre, la nuit me gèle jusqu’à l’âme, petite fenêtre, et je te ferme enfin pleurant pour mon amour.

Autres versions

Je devrais placer en premier une version avec Libertad Lamarque qui a lancé le titre au théâtre Maipo, mais malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrement. Elle devait chanter toutes les paroles et en tant que femme, c’était bien adapté. À ce sujet, il me semble opportun de narrer une anecdote. La musique de Enrique Delfino reçut un accueil plutôt froid des musiciens de l’orchestre chargés de la jouer. Les paroliers du théâtre ne voulurent pas se charger des paroles. C’est alors que Luis César Amadori s’est proposé de les écrire. Libertad Lamarque les chanta, probablement, comme à son habitude, de façon remarquable et le titre devint un grand succès.

La couverture de la partition de Ventanita florida rappellant que c’est un succès de Libertad Lamarque. Un second titre dAmadori, Se viene la Maroma (instrumental) est également inclus. Canaro l’enregistra 8 jours après Ventanita Florida avec Irusta.

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. C’est le tango du jour.

Ce diable de Canaro, toujours à l’affût d’un bon titre l’a enregistré dans la foulée, mais avec un homme. C’est notre tango du jour. Il convenait donc, soit de changer les paroles, soit, ce qui fut l’option choisie, de ne chanter qu’une partie asexuée, le refrain. Nous verrons plus loin cependant que cette « nécessité » n’est pas une loi.

Ventanita florida 1932-05-04 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Une superbe et émouvante version, chantée avec âme. La musique et le chant sont comme relancés à chaque phrase, un peu comme dans une ranchera dans un rythme presque ternaire, bien loin de la version marchée d’Irusta. C’est bien sûr une version chanson, mais un, jour de folie, avec des danseurs particulièrement tolérants, je pourrai la proposer à la danse. Cette version en tous, car mérite les oreilles et même si les danseurs s’arrêtent de danser pour l’écouter, ce sera un bon moment.

Trois autres à écouter, chantées par des hommes qui curieusement chantent les paroles au féminin.

Ventanita florida 1932-07-20 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Deux mois plus tard, Corsini enregistre sa version. Là, pas question de danser.

Ventanita florida 1955-11-24 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro “Toto” D’Amario.

Un tango chanson, mais avec assez de tonicité. Vargas n’a pas trop viré dans le sentimentalisme. Cela n’en fait pas une version de danse. Pour cela, je reste avec les versions de Canaro.

Ventanita florida 1989 – Roberto Goyeneche con acomp. de Néstor Marconi y su conjunto. Une version assez douce, peut-être trop. Un fond sonore pour une soirée au restaurant ?

Le tango, est-il un truc de pleurnichards et de cocus ?

Le tango du jour est clairement sentimental. Un peu pleureur, mais pas vraiment de cocu dans la mesure où c’est une femme qui a été abandonnée par un homme qui l’a abusée par des promesses.
Ce n’est peut-être pas la bonne occasion de parler du sujet, mais je vais tout de même donner quelques indications.
Si Discépolo a dit que le tango est une pensée triste qui se danse, c’est qu’il avait une vision un peu pessimiste de la vie, comme il l’a exprimé dans cambalache. Ses préoccupations étaient existentialistes et il se devait de parler de vécu et de ressenti.
Mais n’est-ce pas le cas de tant d’autres domaines ? L’art, la poésie, la littérature, quand ils ne sont pas à la gloire d’un commanditaire, parlent d’amour, de hauts faits (celui des compadritos dans le cas du tango et souvent avec beaucoup de moquerie et de dérision), de religion (comme Plegaria).
Même la chanson populaire dans le monde entier parle de tout et de rien et notamment des déboires et des joies de la vie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le tango ?
Nous avons vu hier, Plegaria, nous voyons aujourd’hui, par notre petite fenêtre, une histoire d’abandon, voire de trahison, d’autres, comme Tengo mil novias de Cadicamo, des fanfaronnades empreintes d’humour.
Le peuple argentin n’a pas eu la vie facile et cela l’a sans doute incité à trouver un refuge dans l’art. Il y a une quantité de lecteurs incroyable, tout autant de musiciens et de peintres. L’art est partout dans la rue. Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtre.
Cet art est aussi populaire, c’est celui des gens de la rue et pas seulement un grand art subventionné et intellectuel. Les gens dansent, chantent et il est donc normal qu’ils confient à la musique et à la chanson l’expression de leurs peines comme de leurs joies.
Le tango n’est que le reflet de la vie et il faut être particulièrement aveugle et sourd pour ne voir dans le tango que des histoires larmoyantes de cocus. Je pense que cette approche est causée par une approche purement littéraire des textes et à une focalisation sur des tangos chanson destinés à l’écoute.
En effet, même avec des paroles tristes, un tango peut être plaisant, agréable, voire joyeux à danser. J’ai déjà pris l’exemple de la valse « A Magaldi », qui peut remplir de bonheur le danseur qui se plonge dans la musique avec sa partenaire (ou la danseuse avec son partenaire, bien sûr). Même s’ils comprennent les paroles, la valse est comme une catharsis à une éventuelle tristesse, aux petits et grands malheurs de la vie.
Les Portègnes ne vont pas danser pour se couper les veines. Ils ont le sourire, partagent. Il y a des musiques tristes, mais ce n’est pas une généralité dans l’univers du tango. Si on s’attache à la musique, on se rend compte que la grande majorité est plutôt allègre.
Si on essaye de faire la balance entre les deux, je pense que l’on constatera que le tango de danse est à dominante gaie et que le tango chanson, qui a pris le dessus dans les années 50 est peut-être à dominante triste.
Les chanteurs de refrain de l’âge d’or ne chantaient qu’une petite partie des paroles, ce qui donnait l’occasion à la musique de dispenser sa joie, malgré une éventuelle tristesse des paroles. A contrario, les versions entières pour l’écoute sont souvent larmoyantes, comme en témoigne l’exemple de cette anecdote.
Il est donc important pour le DJ de proposer les tangos de danse et pas ces tangos lugubres qui plombent l’ambiance. Les danseurs viennent passer un bon moment et si quelques-uns pensent que le tango doit être triste, qu’ils gardent le balai là où ils se le sont enfoncé.
Le tango est une pensée joyeuse qui peut se danser !

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo Bianco

Certains tangos sont « interdits » dans les milongas. On ne passe pas Gardel et surtout pas Volver, mais il y a une liste plus longue, le tango du jour en ferait partie même s’il n’a jamais fait partie des tangos interdits par la loi argentine. Attention, cet article aura du mal à suivre ma devise selon laquelle le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Extrait musical

Avant de rentrer sur les causes de l’interdiction, je vous le propose à écouter. Il est interdit dans les milongas, pas à l’écoute. Si vous jugez en lisant l’article que l’interdiction est justifiée, ou pas, vous pourrez voter à la fin de l’article.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

On ne peut pas dire que ce soit vilain, non ?

Interdiction officielle du tango

Plusieurs causes ont provoqué des interdictions du ou des tangos.

Interdiction du tango pour des raisons de bienséance

Les débuts interlopes du tango ont provoqué sont interdiction, surtout à cause des paroles, des lieux et des débordements qu’il pouvait susciter.
La bonne société voyait d’un mauvais œil cette danse de voyous qui naissait dans les faubourgs, mais ses fils s’y acoquinèrent. Le pouvoir religieux poussait des cris d’orfraie, jusqu’à ce que le danseur Casimiro Ain fasse une démonstration au pape. 
Le pape ayant donné sa bénédiction et le tango s’étant acheté une conduite en Europe, les interdictions sont levées et la bonne société se lance à son tour sans réserve dans la pratique de cette danse.

Tangos interdits par les dictatures militaires

Cependant, la dictature militaire a repris la question en main et publié une liste de tangos interdits, non pas à cause de la musique, bien sûr, mais à cause des paroles. Les extrêmes droites, sont rarement favorables à la culture et n’aiment pas trop les critiques.
A mi país de Roberto Diaz et Reynaldo Martín
Acquaforte de C. Marambio Catán et H. Alfredo Perroti
Al mundo le falta un tornillo de Enrique Cadicamo
Al pie de la Santa Cruz de M. Battistella et E. Delfino
Bronca de Mario Battistella et Edmundo Rivero
Caballo Criollo de J. Dalevuelta et F. Ramirez de Aguilar
Cambalache de Enrique Santos Discépolo
Ciruja de T.A. Marino et E.N. de la Cruz
Gorriones de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Jornalero de Atilio Carbone
Matufias de Ángel G. Villoldo
Mentiras criollas de Oscar Arona
Pajarito de Dante A. Linyera
Pan de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Quevachaché de Enrique Santos Discépolo
Sol a sol de Daniel L. Barreto
Solo de Fernando Solanas
Bien sûr, cette liste n’est plus d’actualité, du moins tant qu’un gouvernement ne juge pas de nouveau que ces paroles peuvent nuire à son prestige. Ceux qui suivent la situation en Argentine voient certainement ce qui avive mes craintes.

Tangos « interdits » sans « interdit ».

Les tangos de Gardel sont réputés comme ne devant pas se danser. L’interdit est le plus fort sur Volver et sur Adios amigos, à cause de la fin tragique du chanteur. Le DJ n’ira pas en prison, mais certains danseurs seront surpris.
D’un autre côté, Gardel n’a pas performé pour la piste de danse, c’est donc un moindre mal. Cependant, on trouve plusieurs tangos réalisés par la suite avec la voix de Gardel sur des instrumentations modernes. Ces « prouesses » ont été rendu possibles par les progrès techniques qui permettaient de couper des bandes de fréquences. Le système est assez simple, ce sont des ensembles de résistances et condensateurs qui filtrent certaines fréquences. Des potentiomètres permettent d’ajuster les paramètres. Ainsi on peut renforcer la voix et baisser les fréquences où jouent les instruments. L’orchestre joue ensuite le morceau en appuyant suffisamment pour masquer les restes de guitare des enregistrements originaux…

Par exemple par Canaro, dans les années 50 (1955 à 1959),

Bandoneón arrabalero, Chora, Madame Ivonne, Madre hay una sola, Mi noche triste, Siga el corso, Yira Yira.

Yira… Yira… 1955-11-13 1930-10-16 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Par exemple De Angelis en 1973 et 1974

Alma en pena, Almagro, Ausencia, Cualquier cosa, Duelo criollo, Esta noche me emborracho, Giusepe el zapatero, Íntimas, La cumparsita (Si supieras), Malevaje, Me enamoré una vez (ranchera), Melodía de arrabal, adiós muchachos, Muñeca brava, Nelly (valse), Palermo, Rosas de abril (valse), Si soy así, Tomo y obligo, Viejo jardín (valse), Viejo smoking, Yira Yira.

Yira… Yira… 1973-10-25 1930-10-16 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Gardel. La version de Angelis à partir de Yira Yira…

Par exemple Otros Aires en 2004

Aquel muchacho bueno (extraits de Aquel Muchacho Triste par Carlos Gardel en 1929), En dirección a mi casa (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), La Pampa Seca (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), Milonga Sentimental (extraits de Milonga Sentimental par Carlos Gardel en 1929), Percanta (extraits de Mi Noche Triste par Carlos Gardel).
Les résultats sont plutôt moyens et si on peut considérer que certains sont dansables, ce n’est pas une urgence de les passer.
Pour ma part je n’ai passé des titres de cette liste qu’à une seule reprise en plus de 20 ans de carrière et c’était pour une milonga « spéciale Gardel » dans le cadre du festival Tango postal (Toulouse, France). Heureusement, le thème autorisait de passer des titres composés par Gardel, mais joués par d’autres orchestres…

Interdits par devoir de mémoire

Le tango du jour fait partie de cette catégorie. Il a été composé par Eduardo Bianco qui a également écrit les paroles.
Ce tango, dans sa version de 1927 que vous pourrez entendre ci-dessous est triste et ne donne pas du tout envie de danser. On imagine facilement sa diffusion lors d’un enterrement.
En 1939, l’auteur qui était associé à Bachicha pour la version de 1927, récidive. Cette version d’une grande émotion et tristesse ne se prête pas non plus à la danse.
Il en est autrement de la version de Fresedo qui pourrait s’intégrer dans une tanda.
Donc, les versions avec Bianco ne sont pas passables car elles ne se prêtent pas à la milonga, mais celle de Fresedo le pourrait. Alors pourquoi l’interdire ?
Eduardo Bianco a dédicacé ce tango au Roi Alfonso XIII d’Espagne (et auparavant dédié Evocación à Benito Mussolini), mais le plus grave est à venir…
Ce musicien etait considéré comme ayant des idées antisémites et comme étant sensible aux thèses fascistes. Il fréquentait les milieux pronazis.
Pour les nazis allemand, le tango constituait une réponse aux Jazz des Noirs américains qui avait le vent en poupe. Ils ont donc encouragé le tango en Allemagne, comme en témoignent les nombreux tangos allemands de l’époque.
Lors d’un concert à l’ambassade d’Argentine à Berlin, Adolf Hitler aurait entendu la musique jouée par Bianco et aurait demandé que cette musique soit jouée par les déportés juifs aux portes des chambres à gaz (Jens-Ingo a attiré mon attention sur le fait que ce point serait de la propagande russe, je mets donc en question ce point, d’autant plus que l’ambassadeur d’Argentine qui est cité dans ces sources, Eduardo Labougle Carranza, a quitté ses fonctions à Berlin an 1939 et donc avant la liste en place de la « solution finale ».

Toutefois, le poète roumain Paul Celan détenu en camp de concentration a évoqué cette horreur dans son poème Todesfuge. Selon Enzo Traverso, ce ne serait pas un témoignage direct, cette pratique n’étant pas forcément généralisée dans tous les camps et Celan n’aurait pas été dans le camp de Lublin – Majdanek, où selon l’Armée rouge ce « rituel » aurait été pratiqué.
Si dans les camps la version n’était pas chantée, Aleksander Kulisiewicz a ajouté des paroles et a même enregistré un disque (Songs from the Depths of Hell). Je ne vous le propose pas ici, mais vous pouvez l’écouter sur le site de la Smithsonian et même l’acheter.
S’il existe des « tangos de la muerte » (tango de la mort) qui portent réellement ce titre, on a également baptisé ainsi, pour son usage macabre, plegaria. Les SS l’avaient surnommé, « Muerte en fuga » « Todesfuge » (mort en fugue)…
Pour cette raison, même s’il y a des doutes sur certains éléments de cette histoire, on ne passe généralement pas plegaria en milonga, même la belle version de Fresedo. Cependant, si un DJ la passe, soyez indulgents, pas comme cet individu qui attrapé une pauvre DJ débutante en la traitant de nazi tout en la secouant, car elle avait passé ce titre.

Addendum : Jens-Ingo a attiré mon attention sur un livre qui remettrait en question ces éléments.
https://www.tangodanza.de/Books_Dirk-E-Dietz-Der-Todestango–1726.html?language=en “It still circles over the dancers, the ghost of the ‘death tango’ that the nefarious Eduardo Bianco once brought into the world to give the Nazis a fitting soundtrack for their atrocities.
One of the dancers, historian and journalist Dirk E. Dietz, has now studied the phenomenon extensively. In his investigation, he concludes that the fairy tale of the ‘death tango’ is based on an act of deliberate communist propaganda toward the end of World War II.

As interest in the tango grew, so did the spread of this legend. It is therefore far from being true, as Dietz proves in detail in his book.
A strong book – and an important book for the tango.”.

Pour nous, DJ, même si cette histoire est fausse, il nous faut savoir que l’on peut heurter la sensibilité de certaines personnes et donc prendre les mesures nécessaires avant de passer un titre de ce type. (Fin de l’addendum).

Extrait musical (bis)

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

. Le rythme est tonique et la voix de Ricardo Ruiz est comme toujours magnifique. Si on ne prête pas attention aux paroles, on peut passer à côté de la tristesse du thème. Ce titre sans l’histoire fumeuse de Bianco pourrait passer en milonga, dans un moment d’émotion, par exemple en souvenir d’un disparu, lors d’un hommage.

Les paroles

Plegaria que llega a mi alma
al son de lentas campanadas,
plegaria que es consuelo y calma
para las almas desamparadas.
El órgano de la capilla
embarga a todos de emoción
mientras que un alma de rodillas
¡pide consuelo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuánta amargura y dolor!
Cuando el sol se va ocultando
una plegaria
y se muere lentamente
brota de mi alma
cruza un alma doliente
y elevo un rezo
en el atardecer.

Murió la bella penitente,
murió, y su alma arrepentida
voló muy lejos de esta vida, 
se fue sin quejas, tímidamente,
y di en que noche callada
se oye un canto de dolor
y su alma triste, perdónala,
toda de blanco canta al amor!

Eduardo Bianco

Les paroles sont tristes et peuvent plomber l’ambiance de la milonga, mais rien de répréhensible dans leur contenu.

Prière qui vient à mon âme au son de lentes sonneries de cloches, prière qui est consolation et calme pour les âmes désemparées.
L’orgue de la chapelle embarque tout le monde dans l’émotion tandis qu’une âme à genoux demande du réconfort, demande pardon !

Pauvre de moi ! … Oh Seigneur ! …
Combien d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil va s’occulter
Une prière
et se meurt lentement
Jaillit de mon âme
croise une âme souffrante
Et adresse une prière
dans le soir.

Elle est morte la belle pénitente, elle est morte, et son âme repentante a volé très loin de cette vie. Elle est partie sans se plaindre, timidement, et fit que dans cette nuit silencieuse s’entend un chant de douleur. Et son âme triste, pardonnez-la, toute de blanc chante l’Amour !

Les parties en gras et italique sont chantées par le choeur.
Le couplet en bleu n’est pas chanté par Ricardo Ruiz.

Autres versions

Plegaria 1927-04-22 — Orquesta Bianco-Bachicha con Juan Raggi y coro.

Pas question de passer cette version en milonga, à cause du personnage, mais aussi, car il est loin d’être agréable à écouter et à danser. Le bannir n’est pas du tout un problème. Je vous épargne leurs autres versions de 1928 et 1929.

Plegaria 1939-03-15 — Orquesta Eduardo Bianco con Mario Visconti.

Cette version commence par une cloche lugubre et un chœur chantant comme pour un requiem. Puis Mario Visconti, chante avec beaucoup d’émotion sa prière, en réponse avec le chœur et les instruments. Pour moi, c’est assez joli, mais suffisamment triste pour bannir cette version de toute milonga.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est le tango du jour.

Les prières (plegarias)

D’autres tangos portent ce titre. En voici quelques-uns. Il y en a d’autres, comme quoi l’initiative de Bianco n’est pas étonnante. C’est un thème qui se retrouve au moins jusqu’aux années 50.

La plegaria 1926-09-07 — Orquesta Julio De Caro. Ce tango (instrumental) a été composé par Emilio De Caro.
Plegaria 1931-08-21 — Orquesta Juan Maglio “Pacho” (Eduardo Antonio De Maio avec des paroles d’Alfredo Allegretto).

Il y a même une prière en valse par Antonio Sureda avec des paroles de son frère Gerónimo Sureda. Je vous en propose deux versions. Les paroles sont une prière à la Vierge de Luján,

Plegaria 1933-07-19 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

L’introduction est vraiment sinistre. On peut la passer si on n’est pas sous Prozac.

Plegaria 1933-07-22 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Cette version assez proche (et enregistrée seulement trois jours plus tard) de celle de Canaro, sans l’introduction déprimante.

Sondage

Pensez-vous que cette version par Fresedo (pas celles de Bianco ou Bianco et Bachicha) pourrait être diffusée en milonga ?

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra Julián Centeya

«La vi llegar», je l’ai vue venir, ne raconte pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illustrations de prendre le texte au pied de la lettre, je vais ici donner le véritable sens aux paroles de ce magnifique tango dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Paroles

La vi llegar…
¡Caricia de su mano breve!
La vi llegar…
¡Alondra que azotó la nieve
 !
Tu amor -pude decirle- se funde en el misterio
de un tango acariciante que gime por los dos.

Y el bandoneón
-¡rezongo amargo en el olvido!-
lloró su voz,
que se quebró en la densa bruma.
Y en la desesperanza,
tan cruel como ninguna,
la vi partir sin la palabra del adiós.

Era mi mundo de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuerda siempre su extravío?.
Era mi mundo de ilusión
y se perdió de mí,
sumándome en la sombra del dolor.
Hay un fantasma en la noche interminable.
Hay un fantasma que ronda en mi silencio.
Es el recuerdo de su voz,
latir de su canción,
la noche de su olvido y su rencor.

La vi llegar…
¡Murmullo de su paso leve
 !
La vi llegar…
¡Aurora que borró la nieve!
Perdido en la tiniebla, mi paso vacilante
la busca en mi terrible carnino de dolor.

Y el bandoneón
dice su nombre en su gemido,
con esa voz
que la llamó desde el olvido.
Y en este desencanto brutal que me condena
la vi partir, sin la palabra del adiós…

Enrique Mario Francini Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Je l’ai vue venir… (À prendre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a deviné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le toucher franchement).
Je l’ai vue venir…
Alouette qui fouettait la neige ! (La traduction est difficile. Disons qu’il compare la main à une alouette qui jetterait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pourrais-je lui dire, se fond dans le mystère d’un tango caressant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annoncer la mauvaise nouvelle).

Et le bandonéon
— grognait amèrement dans le désamour ! — (Olvido est à prendre ici dans son sens second, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleurait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un désespoir, plus cruel qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se souvient toujours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut perdu pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fantôme dans la nuit interminable.
Il y a un fantôme qui rôde dans mon silence.
C’est le souvenir de sa voix, le battement de sa chanson, la nuit de son désamour et de son ressentiment.

Je l’ai vue venir…
Le murmure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Perdu dans les ténèbres, mon pas vacillant la cherche sur mon terrible chemin de douleur.

Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…
Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui invoquait le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie souvent cette expression quand dire que la personne qui nous parle ne va pas directement au but, mais que l’on a deviné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tango alternent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour montrer qu’elle lance un froid et « je l’ai vue partir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le figuré, elle est vraiment partie.

Autres versions

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte. C’est notre tango du jour
La vi llegar 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Contrairement à Caló, Troilo ne donne pas la vedette aux violons et dès le début, les bandonéons les accompagnent et les différents solos sont courts et avec un accompagnement très présent. Francini est violoniste, mais Troilo est bandonéoniste…

Une version au cinéma extraite du film Los Pérez García (1950). Orquesta Francini-Pontier con Alberto Podestá.

La vi llegar 1949-50 — Orquesta Enrique Mario Francini y Armando Pontier Con Alberto Podestá. Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950.

Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950. Comme il n’y a pas de véritable enregistrement de ce titre par son compositeur, on est content de l’avoir dans ce film. Petit gag, Armando Pontier semble avoir un problème avec son bandonéon au début de l’interprétation. On peut aussi voir Enrique Mario Francini au violon, jouant sa composition. On peut juste regretter de ne pas avoir un disque de cette prestation. Peut-être qu’un jour on retrouvera les enregistrements de studio qui ont été exploités pour le film. Tout est possible en Argentine. C’est même là que l’on a retrouvé les parties perdues du chef d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis.
Metteur en scène ; Fernando Bolín y Don Napy, scénario Oscar Luis Massa, Antonio Corma y Don Napy. Le film est tiré du feuilleton radiophonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los amigos, La vi llegar 1958 – Francini-Pontier, Orquesta Típica – Dirección Argentino Galván.

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi llegar qui est le thème le plus intéressant notamment grâce au violon solo de Francini commence à 45 s. Julio Ahumada (bandonéon et Jaime Gosis (piano) complètent l’orchestre. Ci-dessous, la couverture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui comporte 34 titres qui ont la particularité (sauf un), d’être joués par différents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argentino Galván. J’ai proposé sur Facebook un jeu sur cette couverture, de découvrir tous les lieux, et clins d’œil au tango qu’elle mentionne.

La vi llegar 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Pour ceux qui aiment la voix pleurante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que certains le danseraient.

La vi llegar 1966 — Octeto Tibidabo dir. Atilio Stampone.

Seule version instrumentale de ma sélection. Le piano de Stampone en fait une version intéressante. J’ai aussi mis cette version, car Tibidado est présent sur la couverture du disque de 1960 dirigé par Argentino Galván. Le Tibidabo était un cabaret situé sur Corrientes au 1244. Il a fonctionné de 1942 à 1955. Aníbal Troilo en était un des piliers.

La vi llegar 1970-05-07 — Roberto Goyeneche Orquesta Típica Porteña dir. y arreglos Raúl Garello y Osvaldo Berlingieri.

Une version émouvante et impressionnante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assurément.

À propos des illustrations

On aura bien compris que la neige que j’ai représenté dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a laissé le désamour.
La première image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens propre alors que c’est plutôt figuré dans la chanson.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est partie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trouvais que cela aurait alourdi cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus marquée en bas qui partait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadrer ça dans un format 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beaucoup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo

Eduardo Arolas Letra Gabriel Clausi

Le théâtre Maipo est un célèbre théâtre de Buenos Aires. En plus de sa grande salle, il dispose de plusieurs étages où il est possible d’assister à des spectacles en prenant une petite merienda (goûter) pendant le spectacle. Plusieurs orchestres y ont joué, dont celui de Firpo qui fut un des premiers à enregistrer ce titre, en 1918. Mais êtes-vous sûr que ce tango parle bien de ce théâtre ?

Brève histoire du théâtre Maipo de Buenos Aires

Si on en croit l’historique développé sur le site du théâtre, voici quelques dates :

  • 1908-05-07, il a été inauguré sous le nom de Scala.
  • 1915-09-30, il est renommé en Esmeralda (il est d’ailleurs rue Esmeralda au 443).
  • 1922-08-15, il prend le nom actuel de Maipo.

Ce tango ne devrait donc pas être antérieur à 1922. Cependant, Roberto Firpo y a joué en 1920 et il a enregistré le tango Maipo en 1918, ce qui est logique. Je vous donnerai l’explication plus loin…
Pour changer, je vous propose de voir un documentaire sur son histoire.
Il est en espagnol, mais il y a des sous-titres multilingues…

Extrait musical

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Paroles

Les paroles ne sont pas contemporaines de la musique. Elles témoignent en fait d’un changement de dédicace du tango.
En effet, le tango écrit par Arolas fêtait le centenaire de la bataille de Maipo ou Maipú, une bataille gagnée contre les Espagnols dans les guerres d’indépendance.
1918, c’est aussi l’année de la création de la bandera, le drapeau argentin avec le soleil de Mai.
Cette gravure de Géricault existe aussi en couleur avec une bandera argentina… Je ne me suis donc pas fait prier pour en mettre dans mon illustration de couverture. J’ai voulu jouer sur les deux tableaux, le théâtre Maipo et le théâtre des opérations militaires, mais ce n’est pas très réussi…

Vuelve a mí, recuerdo del ayer
con el brillar de luces en escena;
siempre el mismo fulgor,
las viejas candilejas
son como estrellas…
Otra vez, vibra en la noche aquel
sueño de amor y canto del pasado;
sombras que corretean
por este viejo tablado de ayer.

Marquesinas de mis sueños,
mil destellos de colores,
figuras esculturales,
nombres que están olvidados…
corre el tiempo y el recuerdo
se entrelaza con la pena…
el sabor de cosas de antes
guardadas con tanto amor…

El viejo Maipo nos vio bajo sus luces
aquellos días tan llenos de ternuras
soñar amores que fueron embeleso…
con toda el alma, con toda la ilusión,
con estas notas, con este tango triste,
quiero contarte teatro de mi pueblo
aquello que guardé en mi corazón,
tal como lo viví… tan lleno de emoción.

Eduardo Arolas (Avant 1918 Letra de Gabriel Clausi plus tardive 1953 ?)

Traduction libre et indications

Cela me revient, un souvenir d’hier avec le scintillement des lumières sur la scène ; toujours la même luminosité, les vieilles lampes sont comme des étoiles…
De nouveau, le rêve d’amour et le chant du passé vibrent dans la nuit ; des ombres qui courent autour de cette vieille scène d’hier.

Des verrières de mes rêves, mille éclats de couleurs, des figures sculpturales, des noms oubliés… Le temps passe et le souvenir se mêle au chagrin… le goût des choses du passé gardées avec tant d’amour…


Le vieux Maipo nous voyait sous ses lumières, ces jours si pleins de tendresse, rêvant d’amours ravies… De toute mon âme, de toute mon illusion, avec ces notes, avec ce triste tango, j’ai envie de te dire, théâtre de mon village, ce que j’ai gardé dans mon cœur, comme je l’ai vécu… tellement plein d’émotion.

Autres versions

Maipo 1918 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version commémorative de la bataille de Maipo ou Maipú ou Maïpu. Firpo jouera justement cette œuvre dans ce théâtre en 1920, alors qu’il s’appelle encore Esperalda, du nom de la rue où il est. Il ne prendra le nom de Maipo, qu’en 1922. J’imagine que Maipo qui est équivalent à Maipú peut venir du nom de la rue de la même manzana (bloc urbain de 100mx100m encadré par 4 rues). Le théâtre appartient au bloc délimité par l’avenue Corrientes et les rues Esmeralda (où il a sa porte principale), Maipù et Lavalle.

Maipo 1928-03-28 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu nostalgique, qui pourrait coller aux paroles, mais en 1928, le théâtre n’était pas un « vieux théâtre ». Il a subi un incendie en 1928, mais c’était en novembre, en mars, les paroles ne pouvaient pas le regretter.

Maipo 1936-07-24 — Orquesta Pedro Maffia.

Huit ans plus tard, un thème très nostalgique. Une version douce et jolie, avec des vents et un piano agile. Une belle version qui entraîne bien.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Maipo 1941-09-02 — Orquesta Julio De Caro.

Jolis violons, survolant le piano et l’orchestre plus percussif. Cette version, plus tonique que celle de 1928, s’accommode plus d’un thème militaire ou festif (évocation des spectacles du théâtre) que nostalgique.

Maipo 1953-04-10 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu étrange. Compatible avec le thème du théâtre. Gabriel Clausi dont on ne connaît pas la date d’écriture des paroles pourrait aussi l’avoir écrit en 1953, à son retour de dix ans au Chili. Il retrouve le théâtre et la nostalgie fait le reste.

Maipo 1962-09-13 — Cuarteto Troilo-Grela.

Avec Aníbal Troilo (bandonéon), Roberto Grela (guitarra), Ernesto Báez (guitarrón), Eugenio Pro (contrabajo). Une très belle version, à écouter.

Maipo 1964 — Orquesta Fulvio Salamanca
Maipo 2024-01-12 — Orquesta Romantica Milonguera.

La toute dernière version, une version originale comme sait en faire cet orchestre.

Finalement, peu de versions collent aux paroles. La musique est plutôt tonique et pas nostalgique dans la plupart des versions.
Elle peut être tonique pour évoquer la bataille de Maipo, mais aussi pour présenter les spectacles qui se déroulaient dans la salle.
Je vous laisse donc en plan. Si vous trouvez la réponse et notamment la date d’écriture des paroles par Gabriel Clausi, je suis preneur.

À demain, les amis !

El opio 1940-04-17 — Orquesta Carlos Di Sarli

Francisco Canaro

El opio, c’est cette substance extraite de la fleur du pavot, mais c’est aussi l’ennui. Par exemple, quand un Portègne s’ennuie, il peut partir en lâchant : « Me voy, esta fiesta es un opio ». Je vais essayer de ne pas vous ennuyer, ni vous faire sombrer dans de fumeuses théories.

Extrait musical

El opio 1940-04-17 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Souvent on privilégie le Di Sarli des années 50 dans les milongas, c’est sans doute dommage, car les versions des années 1940 se prêtent fabuleusement à la danse, avec un bon marquage du tempo et une excellente lisibilité des phrases musicales et suffisamment de surprises pour relever l’intérêt du danseur improvisateur. Pas de trace de dépression ou d’ennui dans cette version. À mon avis, c’est dommage de ne pas le passer en plus en milonga. Je crois ne l’avoir jamais dansé ailleurs que chez moi. Parfois on regrette de ne pas pouvoir danser quand on est DJ.

Autres versions

El opio 1931-10-23 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est probablement la plus ancienne version dont on conserve l’enregistrement. Elle a été enregistrée par le compositeur, Francisco Canaro.

El opio 1940-04-17 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
El opio 1951-05-09 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Di Sarli, onze ans plus tard, revisite complètement son interprétation. Désormais, le jeu de bascule entre le piano et l’orchestre est beaucoup plus assumé et les grands ziiiimmms des cordes sont plus généreux. On a nettement changé de période, tout en gardant les mêmes ingrédients. Cependant, il me semble que la danse a perdu au change.

El opio 1952-05-29 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est au tour de Canaro de récidiver, mais là avec 21 ans de délai. La musique a la même durée que la version de 1931, mais le rythme est beaucoup plus soutenu. On n’est plus dans l’opium pesant, mais dans quelque chose de plus léger et entraînant. La clarinette domine l’orchestre en effectuant la plupart des solos. Les autres instruments ne sont cependant pas éteints. Ils sont brillants, énergiques. Une version qui donne la pêche.

El opio 1962-09-21 — Orquesta Florindo Sassone.

Je ne sais pas si ça vous fait cette impression, avec Sassone, on a un peu l’impression d’entendre toujours le même morceau. C’est sans doute pour cela qu’il est rare en milonga et si un DJ s’y aventure, c’est à petite dose.

El opio 1967-11-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On est dans la force brute du D’Arienzo des années 60 tempérée par des essais de dissonances et quelques jeux originaux pour cet artiste. Peut-être une inspiration venue de je ne sais quelle plante dont on tire un suc. C’est à écouter, voire à danser, mais je garde sous el coude les versions de Di Sarli et celle de Canaro de 1952 pour droguer mes danseurs avec de la musique qui va les faire planer.

Sondage

À propos de l’illustration de couverture

J’ai voulu m’assurer que le tango parlait bien de l’opium. C’est fort probable dans la mesure où ce tango ne respire par l’ennui et que par conséquent, c’est plus le sens courant que lunfardo qu’il faut mettre en œuvre pour ce titre.
J’ai essayé d’imaginer comment représenter l’opium, sans tomber sous les coups de la censure.
Il y a très, très longtemps, j’avais fait une carte de vœux avec une fleur de pavot. C’était une carte en noir et blanc faite avec une carte à gratter. Le dessin apparaissait donc en blanc sur fond noir. J’avais pris le modèle de la fleur sur des planches Letraset (il s’agissait d’alphabets et de cliparts qui se reportaient par décalcomanie sur le papier, il n’y avait pas d’ordinateur pour le grand public, ni même pour les graphistes à l’époque).
Innocemment, j’avais choisi ce motif que je trouvais élégant et se prêtant bien à la stylisation pour un dessin au trait.
L’affaire en serait restée là si un de mes correspondants ne m’avait fait remarquer que c’était une fleur de pavot et que ça servait à faire de la drogue et que donc, je souhaitais une nouvelle année droguée à mes contacts.
J’ai donc essayé d’éviter la fleur pour l’illustration. Je suis parti vers des délires tourbillonnants et que j’imaginais psychédéliques jusqu’à arriver à cela.

N’étant pas convaincu, je me suis dirigé vers l’utilisation de l’opium, notamment en Argentine. Je n’ai pas trouvé de grandes révélations, ni d’image. En fait, j’ai tout de même découvert que contrairement à ce que je pensais, l’utilisation de l’opium était très répandue, ailleurs qu’en Chine (je ne connaissais le concept que par le Lotus Bleu de Tintin…).
Je vous propose quelques images collectées et qui se situent en France, Londres, New-York et San Francisco.

Ne me voyant pas dessiner un truc avec une personne à demi-morte, je suis parti sur l’option « ennui » et c’est la personne qui a la tête sur les bras sur l’image de couverture. Le fond était noir, comme ses idées, mais j’ai pensé que c’était un peu trop sobre. J’ai pensé l’associer avec une de mes recherches psychédéliques, puis, finalement, je me suis décidé à ressortir le pavot, de façon suffisamment discrète pour le pas m’attirer les foudres des censeurs.
Ma seule drogue, c’est le tango. Si elle provoque une accoutumance, l’écoute prolongée ne provoque pas de trouble connu. Alors, droguons-nous aux sons de la 2×4 qui n’est pas de la 2×4 (c’est encore un truc à débunker, nous en reparlerons).
Si vous êtes arrivés jusque-là, sans être juste, las, ce n’est pas si mal.

À demain les amis !

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

Il est des courriers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Francisco Fiorentino qui a reçu un courrier définitif, mais qui réagit en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le merveilleux orchestre d’Aníbal Troilo est tellement prodigieuse, que ce titre est désormais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorentino lui-même et j’en apporte la preuve.

Extrait musical

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Dès le début, la montée piquée au bandonéon donne le rythme. Puis les violons annoncent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorentino. Sa diction est parfaite, un léger rubato anime sa partition. Il exploite complètement, le contraste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond merveilleusement. La montée piquée revient régulièrement pour relancer le mouvement. Aucun risque de monotonie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorentino termine et l’orchestre ponctue par un accord de dominante suivi par un accord de tonique, atténué.

Les paroles

Recibí tu última carta,
en la cual tú me decías:
“Te aconsejo que me olvides,
todo ha muerto entre los dos.
Sólo pido mi retrato
y todas las cartas mías,
ya lo sabes que no es justo
que aún eso conserves vos”.
Hoy reconoces la falta,
tienes miedo que yo diga…
que le cuente
al que tú sabes (a tu marido)
nuestra íntima amistad;
¡Soy muy hombre, no te vendo,
no soy capaz de una intriga!
Lo comprendo que, si hablara,
quiebro tu felicidad.

Pero no vas a negar
que cuando vos fuiste mía,
dijiste que me querías,
que no me ibas a olvidar;
y que ciega de cariño
me besabas en la boca,
como si estuvieras loca…
Sedienta, nena, de amar.

Yo no tengo inconveniente
en enviarte todo eso,
sin embargo, aunque no quieras,
algo tuyo ha de quedar.
El vacío que dejaste
y el calor de aquellos besos
bien lo sabes que no puedo
devolvértelos jamás.
Yo lo hago en bien tuyo
evitando un compromiso,
sacrifico mi cariño
por tu apellido y tu honor ;
me conformo con mi suerte,
ya que así el destino quiso
pero acuérdate bien mío,
¡que esto lo hago por tu amor!

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu marido » au lieu de « al que tú sabes».

Traduction libre

J’ai reçu ta dernière lettre, dans laquelle tu me disais : « Je te conseille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon portrait et toutes mes lettres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu reconnais la faute, tu as peur que je dise… que je raconte à qui tu sais, notre amitié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capable d’intriguer ! Je comprends que, si je parlais, je briserais ton bonheur.
Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de tendresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoiffée, petite, d’aimer.
Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cependant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as laissé et la chaleur de ces baisers, tu sais que je ne pourrai jamais te les rendre. Je le fais pour ton bien, en évitant un engagement, je sacrifie mon affection à ton nom et à ton honneur ; je me contente de mon sort, car c’est ce que le destin a voulu, mais souviens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !

Autres versions

Pour moi, il n’y a pas d’autre version que celle de Troilo et Fiorentino…
On peut essayer Fiorentino sans Troilo, par exemple avec Alberto Mancione, ça ne va pas.
On peut essayer des noms prestigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomuto. Rien n’arrive à la cheville de la version époustouflante de Troilo et Fiorentino.
Voici tout de même une petite sélection. Vous avez le droit d’y trouver des perles qui m’auraient échappé, mais je serai étonné que vous y trouviez mieux que Troilo et Fiorentino…

Te aconsejo que me olvides 1928-09-17 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.

Une chanson, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regretter le début différent de notre version de référence par Troilo et Fiorentino.

Te aconsejo que me olvides 1928-09-25 — Orquesta Francisco Canaro.

Une semaine plus tard, Canaro remet le couvert, mais sans Charlo. Cette fois, il n’omet pas le début si spectaculaire dans la version de Troilo.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-11 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa version avec ses guitaristes. Comme pour la version avec Charlo, on regrette aussi le début. Mais on n’est pas là pour danser.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-15 — Orquesta Francisco Lomuto.

Si vous trouviez la version de Canaro un peu planplan et soporifique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Francisco a réussi à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est notre tango du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque version différente…

Te aconsejo que me olvides 1950-12-29 — Orquesta Alberto Mancione con Francisco Fiorentino.

Neuf ans plus tard, Francisco Fiorentino enregistre de nouveau le thème, mais cette fois avec Alberto Mancione. Je ne sais pas s’il faut pleurer, crier ou tout simplement se tasser dans un coin avec des bouchons dans les oreilles, mais cette version ne me semble pas du tout une réussite. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.

Toujours très original, Cambareri. Le bandonéon énervé n’arrive pas à faire changer le rythme de Casares, on échappe ainsi à une des versions express de Cambareri. Le résultat est mignon, sans plus.

Te aconsejo que me olvides 1954-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Juan Carlos Cobos.

El Negro Cobos qui a remplacé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dispose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résultat est très Pugliese. Dès les premières mesures San Pugliese a marqué son empreinte. Pas un tango de danse, même si je sais que certains le passeront tout de même. C’est un très bel enregistrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la merveille de Troilo et Fiorentino. En tous cas, c’est mon avis.

Te aconsejo que no le olvidas

(Je te conseille de ne pas l’oublier)

Un petit mot sur l’illustration de couverture. Le tango des années 20, on parle de lettre, l’homme qui pleure au centre me paraissait logique. Seulement, le sujet de ce tango est de tous les temps. J’ai pensé aux signaux de fumée, mais c’était compliqué à dessiner et à faire comprendre. Je suis donc resté à un moyen de communication moins ancien, le télégraphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Montmartre. Les postrévolutionnaires ne s’embarrassaient pas de considération de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sacrilège. À droite, un téléphone portable, pas de la toute dernière génération, mais qui annonce le même fatidique message. Je connais une église qui a une antenne de téléphonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télégraphe Chappe à la fin de la Révolution française.

Taquito militar 1957-04-15 – Orquesta Mariano Mores (Milonga candombe)

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

Mariano Mores vous invite à danser la milonga Candombe avec Taquito militar, notre anecdote du jour. Les paroles de Gilardoni et le film de Demicheli vous donnent même les conseils pour bien la danser. Alors, pourquoi s’en priver?

Histoire de Taquito militar

Inauguré au théâtre Colon en 1952, ce titre a été utilisé dans le film La voz de mi ciudad, un film de Tulio Demicheli en 1953. Cependant, Mariano Mores a une histoire à raconter sur la création de ce titre. Voici ce que cite l’excellent site : Tangos al bardo :

« Discépolo, Tania y yo, con mi Orquesta de Cámara del Tango, habíamos sido invitados a un acto en el Ministerio (de Guerra), con la presencia del General Perón. Al terminar mi actuación se acercó un señor a quien no conocía, para pedirme que tocáramos algo más. Como solo quedábamos en el salón dos de los músicos, Pepe Corriale y Ubaldo De Lío, improvisamos los tres un tema. Al final el mismo señor me solicitó una pieza más. Entonces me puse a improvisar sobre un motivo de milonga que tenía en mente : en esa improvisación se fue desarrollando “Taquito militar”. Fue tal el entusiasmo de este señor -de quien después supe que era el General Franklin Lucero, ministro de Guerra-, que tuvimos que repetirla tres veces esa misma noche. Después, plasmé la forma definitiva y pasó el tiempo. »

Tangos al bardo

Traduction :

Discépolo, Tania et moi, avec mon Orchestre de Chambre de Tango, avions été invités à un événement au Ministère (de la Guerre), en présence du général Perón. À la fin de ma prestation, un homme que je ne connaissais pas s’est approché de moi pour me demander de jouer autre chose. Comme il ne restait que deux musiciens dans la salle, Pepe Corriale et Ubaldo De Lío, nous avons improvisé un air tous les trois. Finalement, le même homme m’a demandé un morceau supplémentaire. Alors j’ai commencé à improviser sur un motif de milonga que j’avais en tête : dans cette improvisation s’est développé « Taquito militar ». L’enthousiasme de cet homme — dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du général Franklin Lucero, ministre de la Guerre — était tel que nous avons dû le répéter trois fois dans la même nuit. Ensuite, j’ai fixé la forme finale et le temps a passé.

Extrait musical

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores. Cette milonga candombe encourage à frapper du pied.

Les paroles

Le tango du jour est instrumental, mais il y a des paroles ajoutées postérieurement par Gilardoni et qui décrivent la danse, telle qu’elle est présentée dans le film « La voz de Buenos Aires ». Les voici :

Para bailar esta milonga,
hay que tener primeramente
una buena compañera
que sienta en el alma
el ritmo de fuego así…

Hay que juntar las cabezas mirando hacia el suelo
pendientes de su compás,
dejar libres los zapatos que vayan y vengan
en repiqueteo sin fin,
y que mueva la mujer las caderas
al ritmo caliente que da el tambor,
olvidarse de la vida y del amor
para bailar…

Porque en este baile insinuante
hay que tener,
desde el corazón palpitante
hasta los pies,
el repiquetear del taquito
se hace obsesión,
hasta que se funde en el ritmo
del corazón…

Al compás de esta milonga
vuelvo a ver igual que ayer
un baile de meta y ponga
y un vivir para querer…
Un pasito atrás por aquí,
otro avance más por allá,
la sentada limpia y después
viene el taconeo final…
El candombe está en lo mejor
y la moza vibra al compás,
y siempre que esta milonga
vuelvo a bailar, me gusta más…

Para bailar,
se necesita más que nada amar la vida,
porque es vida todo aquello
que se agita en los compases
de un candombe de mi flor y
de mi amor

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

Traduction libre

Pour danser cette milonga, il faut d’abord avoir une bonne partenaire qui ressent dans l’âme le rythme du feu, comme ça…

Il faut joindre les têtes en regardant le sol, suspendu à son rythme, laisser ses chaussures libres d’aller et venir dans des claquements sans fin, et que la femme bouge ses hanches au rythme torride que marque le tambour, oublier de la vie et de l’amour pour danser…

Parce que dans cette danse insinuante, il faut avoir, du cœur palpitant jusqu’aux pieds, les claquements du talon qui deviennent une obsession, jusqu’à ce qu’ils se fondent dans le rythme du cœur…

Au rythme de cette milonga je revois, comme hier, une danse sans fin (meta y ponga, c’est de forme continue, sans perdre le rythme de la marche, refaire…) et vivre pour aimer…

Un petit pas en arrière par-ci, un autre pas en avant par-là, la sentada (figure de tango où l’homme fait asseoir la danseuse sur sa cuisse) et puis vient le frapper de talon final.

Le candombe est à son meilleur et la fille (serveuse) vibre en rythme, et chaque fois que je danse cette milonga, elle me plaît plus…

Pour danser, il faut plus que tout aimer la vie, car tout ce qui s’agite dans les battements d’un candombe de ma fleur (référence probable au candombe « Milonga de mi flor » de Feliciano Brunelli avec des paroles de Carlos Bahr de 1940. Gilardoni arrive au moins 13 ans plus tard, il peut donc y faire parfaitement référence) et de mon amour, c’est la vie.

Autres versions

La plus ancienne version dont nous avons une trace est l’enthousiasmante version de Mariano Mores lui-même dans le film de Tulio Demicheli ; La voz de mi ciudad, sorti le 15 janvier 1953.

La voz de mi ciudad 1953-01-15 (film argentin dirigé par Tulio Demicheli). Extrait présentant le Taquito militar.
Taquito militar 1953-12-07 — Orquesta Francini-Pontier.

En fin d’année, Francini-Pontier donnent une belle version, la plus ancienne en qualité « disque » et qui commence par les tambours du candombe.

Taquito militar 1954 Orquesta Roberto Caló. Oui, vous avez bien lu Calo.

C’est un des petits frères de Miguel. Ils étaient six frères : Miguel [1907-1972], Juan [1910-1984], Roberto [1913-1985], Salvador, surnommé Fredy [1916— ????], Antonio [1918— ????] y Armando surnommé Keyla [1922— ????] et tous étaient musiciens…

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores.

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores, c’est le tango du jour. Plus de quatre ans après la version du film, enfin disponible en disque.

Taquito militar 1954-09-06 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Ismaël Spitalnik.
Taquito militar 1954-05-28 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

À chaque fois, Canaro s’enregistre une version des succès du moment. Pas étonnant qu’il soit le chef d’orchestre avec le plus d’enregistrements au compteur…

Taquito militar 1955-01-10 — Héctor Lomuto.

Une version en jazz argentino (rumba). Surprenant, non ? J’ai bien écrit Héctor Lomuto [1914-1968]. C’est le petit frère de Francisco. Les autres frères étaient Hector, Oscar, Enrique et Victor).

Taquito militar 1959 Los Violines De Oro Del Tango. Une version assez originale. Je ne vous épargne rien aujourd’hui…
Taquito militar 1972 — Orquesta Donato Racciatti.
Taquito militar 1976 — Horacio Salgán y Ubaldo De Lio.

Ubaldo de Lio était, si vous vous en souvenez, présent lors de « l’invention » de ce titre au ministère de la Guerre. Les deux en feront d’autres enregistrements, comme celui de 1981. Cette version est un peu folle, non ?

Taquito militar 1997 – Mariano Mores. Cette version est particulière à cause de l’utilisation de l’orgue Hammond.

J’ai commencé par un film, je termine donc par un film. Le premier film avait pour vedette Mariano Mores. Le dernier a pour vedette… Mariano Mores.

Il s’agit de la séquence finale du documentaire « Café de los maestros » réalisé en 2008 par Miguel Kohan. Petite nostalgie, dans cette séquence finale, on voit plein de visages qui ne sont plus aujourd’hui. Une page du tango a été définitivement tournée.

El huracán 1950-04-14 – Orquesta Edgardo Donato instrumental y con Carlos Almada

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Ce 14 avril est un jour faste, je vous propose deux tangos du jour. Ils portent le même nom, El huracán, ils sont composés par les mêmes frères Donato et ils ont été enregistrés le même jour. La seule différence est que l’un des deux est chanté par Carlos Almada.

Extrait musical

Voici les deux tangos enregistrés par Donato, le compositeur, le 14 avril 1950, il y a 74 ans.

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Ces deux versions sont incroyablement différentes. Les instruments s’amusent énormément dans la première version, instrumentale. Les nuances sont plus marquées.

La version chantée par Carlos Almada a un rythme plus soutenu. La voix de Carlos Almada dit presque plus que chante les paroles. Cette version tonique décoiffe plus que la précédente, mais perd sans doute un peu de son intensité musicale. Il faudra écouter les deux.

Les paroles

El huracán desarraigó con crueldad
el rosal que planté en el jardín
de mi amor que cuidé con afán
y, al nacer una flor, la traición
le cortó sin piedad su raíz
y el rosal nunca más floreció.
Como al rosal mi ilusión la mató
un amor de mujer que mintió.
Cristo soy con mi cruz al andar,
compasión solo doy al pasar.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Fueron sus caricias
llenas de mal y traición,
labios que mintieron despiadados
y al besar su falsa boca
se me helaba el corazón.
Ilusión que se fue,
amor que mató.
Una mala mujer que lleva
el veneno escondido
en su negro corazón.

Te perdoné porque odiar yo no sé,
ni rencor para ti guardaré
sólo sé que su mal derrumbó
el Edén que hilvané con fervor,
luz de amor que jamás volverá
a alumbrar a mi fiel corazón.
Vago sin fe con mi cruz de dolor,
hoy vivir para mí es crueldad
juventud que le di sin dudar
y jugó sin piedad con mi amor.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Traduction libre

L’ouragan a cruellement déraciné le rosier que j’avais planté dans le jardin de mon amour que j’ai entretenu avec empressement, et quand une fleur est née, la trahison a impitoyablement coupé sa racine et le rosier n’a plus jamais fleuri.
Comme le rosier, mon illusion a été tuée par l’amour d’une femme qui a menti.
Christ je suis avec ma croix quand je marche, la compassion je ne donne qu’en passant.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.


Ses caresses étaient pleines de mal et de trahison, ses lèvres qui mentaient impitoyablement, et embrasser sa bouche, fausse me glaçait le cœur. L’illusion qui s’en est allée, l’amour qui tua.

Une mauvaise femme qui porte le poison caché dans son cœur noir.

Je t’ai pardonné parce que je ne sais pas haïr, je ne garderai pas de rancœur envers toi, ce que je sais c’est que ta mauvaiseté a fait s’effondrer l’Eden que j’avais arrosé avec ferveur, une lumière d’amour qui n’illuminera plus jamais mon cœur fidèle.

J’erre sans foi avec ma croix de douleur, aujourd’hui vivre pour moi, est une cruelle jeunesse que je lui ai donnée sans hésitation et que j’ai jouée sans pitié avec mon amour.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.

Autres versions par Donato

Donato a enregistré deux versions en 1950, mais il nous a laissé également deux versions en 1932. Voici cette doublette :

El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 1.
El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 2.

Pour information, c’est la version inaugurale qui a été jouée avant cet enregistrement au Salón San Martín (en 1928), plus connu sous le nom de Salón Rodríguez Peña et aujourd’hui, Teatro El Vitral.
Pour mémoire, voici nos deux tangos du jour :

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Donato l’enregistrera une dernière fois en 1961 avec la voix d’Andrés Galarce.

El huracán 1961-11-01 — Orquesta Edgardo Donato con Andrés Galarce

Autres versions par d’autres orchestres

El huracán 1943 — Tres Guitarras Argentinas Dir. Guillermo Neira.

Une version incroyable, comment les guitares virtuoses arrivent à produire le son de la tempête. Maintenant, un orchestre dont on pourrait qu’il soit à la mesure du défi de la tempête, celui de Juan D’Arienzo.

El huracán 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo produit une belle prestation, notamment grâce au piano de Fulvio Salamanca.
El huracán 1948-09-21 — Orquesta Alfredo De Angelis.

De Angelis, avec son piano encore plus présent que dans la version de D’Arienzo de 1944 donne une belle version. Le rendu de la tempête avec les cordes rendant l’effet de vent en compagnie du piano est assez différent. Une version qui défile, emportée par le vent, jusqu’à la dernière note.

El huracán 1952 — Orquesta Tito Martín.

Pour représenter les années 50, j’ai choisi l’orchestre de Tito Martín, rarement diffusé en milonga. Il faut dire qu’il s’inscrit dans la lignée de ces orchestres à la manière de D’Arienzo et que donc on peut (doit ?) préférer passer l’original. Cependant, il ne démérite pas et je pense que beaucoup de danseurs ne remarqueront pas qu’il ne s’agit pas de D’Arienzo… Ah ! vous pensez que l’on ne peut pas tromper les danseurs ? Lisez cette anecdote jusqu’au bout et vous serez surpris…

El huracán 1967 — Orquesta Fulvio Salamanca.

L’ancien pianiste de D’Arienzo fait sa version personnelle, assez originale. Il récidivera avec une version semblable 8 ans plus tard.

El huracán 1973 — Orquesta Florindo Sassone.

Sassone, toujours à la recherche du temps perdu. Sa recherche de joliesse nuit sans doute à la force du message. Pour moi, ce n’est pas une version convaincante. Le vent manque de conviction, difficile de se faire emporter comme le rosier par son souffle.

El huracán 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. by Carlos Lazzari.

La majorité des DJ passent ce titre en annonçant qu’il est de D’Arienzo. C’est bien sûr faux, D’Arienzo étant mort en 1976, soit plus de 11 ans avant cet enregistrement… Cependant, le chef d’orchestre est Carlos Lazzari, bandonéoniste et arrangeur de D’Arienzo dans ses dernières années. Les musiciens sont également en grande partie ceux de l’orchestre. C’est donc un héritage et le mensonge n’est pas trop fort. Cela permet de proposer une version plus énergique que celle de 1944, qui est un peu décevante sur ce point, bien que tout à fait convenable pour la danse.

Je vous laisse donc tourbillonner aux sons du terrifiant ouragan qui déracine les rosiers.

Vous pouvez continuer avec la plupart des orchestres contemporains qui continuent d’enregistrer de nouvelles versions de ce titre, la plupart dans l’esprit de D’Arienzo, mais le mieux, c’est de les danser en présence des orchestres, ce qui est possible très souvent à Buenos Aires.

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

On se damnerait pour ce tango de José Dames. Sa musique subtile et élégante remue l’âme et on ne peut cacher son émotion en le dansant. Les paroles d’Horacio Sanguinetti expliquent la puissance de la musique en révélant la bien triste histoire de celui qui étant parti ne retrouve pas son amour en revenant.

Extrait musical

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.

Le piano de Di Sarli lance les deux premières notes, deux accords puis la mélodie démarre ascendante, alternant les parties percutées et les parties glissées. Comme si deux émotions se partageaient la musique. Les vagues se relancent les unes après les autres, que ce soit au violon ou à la voix. La musique reste tout le temps, dansante, même lors des passages plus glissés. La fin se fait dans un ralentissement et se termine avec la voix de Podestá qui chante « amor ». En fait, il reste un petit paquet de notes au piano qui ponctuent la fin, un peu à la manière de Caló, Caló que vous pourrez entendre dans le chapitre « autres versions ».
Mais pour l’instant, intéressons-nous aux belles et poignantes paroles d’Horacio Sanguinetti.

Les paroles

He llegado hasta tu casa…
¡Yo no sé cómo he podido!
Si me han dicho que no estás,
que ya nunca volverás…
¡Si me han dicho que te has ido!
¡ Cuánta nieve hay en mi alma!
¡Qué silencio hay en tu puerta!
Al llegar hasta el umbral,
un candado de dolor
me detuvo el corazón.

Nada, nada queda en tu casa natal…
Sólo telarañas que teje el yuyal.
El rosal tampoco existe
y es seguro que se ha muerto al irte tú…
¡Todo es una cruz!
Nada, nada más que tristeza y quietud.
Nadie que me diga si vives aún…
¿ Dónde estás, para decirte
que hoy he vuelto arrepentido a buscar tu amor?


Ya me alejo de tu casa
y me voy ya ni sé dónde…
Sin querer te digo adiós
y hasta el eco de tu voz
de la nada me responde.
En la cruz de tu candado
por tu pena yo he rezado
y ha rodado en tu portón
una lágrima hecha flor
de mi pobre corazón.

José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Raúl Iriarte ne chante que ce qui est en gras et pas le dernier couplet. Alberto Amor et Alberto Podesta font de même, mais reprennent la fin du refrain (en bleu) pour terminer.

Traduction libre

Je suis arrivé à ta maison…
Je ne sais pas comment j’ai pu le faire !
S’ils m’ont dit que tu n’y es pas, que tu ne reviendras jamais…
S’ils m’ont dit que tu es partie !
Que de neige il y a dans mon âme !
Quel silence il y a à ta porte.
Alors que j’atteignais le seuil, un verrou de douleur a arrêté mon cœur.

Rien, rien ne reste dans ta maison natale… Seulement les toiles d’araignées que la végétation tisse.
Le rosier n’existe pas non plus, et il est certain qu’il est mort par ton départ.
Tout est une croix !
Rien, rien que de la tristesse et du calme.
Personne pour me dire si tu vis encore…
Où tu es, pour te dire qu’aujourd’hui je suis revenu repentant pour chercher ton amour ?

Je m’éloigne de ta maison et je m’en vais, je ne sais où…
Sans le vouloir, je te dis adieu et jusqu’à l’écho de ta voix, sortie du néant, me répond.
Sur la croix de ton verrou pour ta douleur, j’ai prié et une larme a roulé sur ta porte et fait fleurir mon pauvre cœur.

Autres versions

Nada est le titre de l’année 1944. Ses trois meilleures versions sont de cette année et je n’ai pas envie de vous proposer celles qui ne sont pas au même niveau ou pas dansables, notamment celles des années 60, comme Julio Sosa (1963), Fulvio Salmanca avec Luis Roca (1964), Juan D’Arienzo avec Jorge Valdez (1964), ou celles que Calo fera en 1965 avec Raúl del Mar ou en 1966 avec Ledesma (en vivo). Voici donc, par ordre chronologique, les trois versions enregistrées en deux mois, en 1944.

Nada 1944-03-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Comme Di Sarli, Caló commence par un « Ploum plum », puis expose avec notamment les cordes et quelques accents du piano le thème. Le bandonéon pleure à 0 h 47, puis à 1 h 5 commence Raúl Iriarte. Le rythme est bien marqué, notamment par des cordes percutées, cette marcation s’altère pour laisser la place aux passages émouvants. Le thème se termine par un joli trait de bandonéon et la fin classique de Caló égrenée au piano.

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Nada 1944-05-09 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.

Le début est également un « ploum ploum, ou plutôt un « tchac tchac » incisif. Le tempo est beaucoup plus soutenu que dans les deux autres versions. Malgré la jolie voix et l’interprétation de Alberto Amor, on perd un peu d’émotion, mais l’énergie de Biagi rend le titre très dansant.

Pour ma part, c’est la version de Di Sarli que je préfère, suivie de celle de Caló et enfin celle de Biagi. Je peux passer les trois en milonga, selon l’énergie et les circonstances du moment. Les DJ ont à leur disposition ces trois merveilleux enregistrements pour renouveler le bonheur des danseurs.

Sondage. Quelle est votre version préférée ?

L’histoire à laquelle vous avez failli échapper

Je n’ai pas envie de détruire la magie de ce tango magnifique en vous contant des histoires sur l’auteur des paroles, Horacio Basterra, alias Horacio Sanguinetti. Je laisse ceux que ça intéresse s’en charger. Sachez seulement qu’on a perdu sa trace et que différentes hypothèses essayent d’expliquer sa disparition, notamment qu’il aurait tué son beau-frère militaire et qu’il se serait enfui du pays.
Je ne retiens que la fin de cette histoire. S’il a quitté l’Argentine, c’est pour retourner au pays (l’Uruguay) pour essayer de retrouver celle qui lui a inspiré Nada. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
FIN.

Les images auxquelles vous avez failli échapper

Entre dos fuegos 1940-04-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Alberto López Buchardo

Entre deux feux, Entre dos fuegos est un tango instrumental. Pour l’illustration de l’anecdote du jour, j’avais plusieurs pistes possibles. J’ai choisi celle de la souris entre deux chats aux yeux de feu, mais d’autres possibilités étaient ouvertes. Découvrons ce tango qui met le feu dans les milongas…

Pourquoi entre deux feux ?

On connaît bien sûr l’expression, qui depuis l’antiquité grecque, impose aux humains d’affronter en même temps deux menaces, comme les tourbillons et les récifs du détroit de Messine qui ont donné naissance aux êtres légendaires, Charybde et Scylla.

C’est aussi une expression militaire, où les combattants essuient les tirs de deux côtés à la fois.
Mais puisqu’on est dans le domaine du tango, on se doute que l’entre deux feux concerne plutôt une jeune femme aux prises avec deux séducteurs.
Cela nous est confirmé par une des couvertures de partition.

L’Argentine pendant la Première Guerre mondiale

En 1914, l’Argentine avait son activité économique tournée vers l’Europe. L’Angleterre, l’Allemagne et dans de plus faibles proportions, la France.
En termes de population, les pays « fournisseurs » étaient l’Italie, l’Espagne et la France au point qu’à la veille de la guerre, à Buenos Aires, 80 % des hommes étaient nés en Europe et dans tout le pays, près de 30 % de la population était d’origine européenne.
Ceci explique que même si l’Argentine est restée indépendante pendant tout le conflit, elle n’a pas été indifférente à celui-ci, ne serait-ce qu’à cause des répercussions économiques, les importations et exportations avec l’Europe étant quasiment paralysées.
Pour assouvir la soif de nouvelles des Argentins, les journaux et revues de l’époque parlent abondamment de la Guerre.

La couverture de gauche comporte un « jeu ». En effet, le soldat allemand dit qu’il aura la victoire, car il a x canons, obus et ainsi de suite. On remarquera que les chiffres sont peu compréhensibles.
Il faut lire la réponse du soldat français pour comprendre l’astuce : « el soldado frances replica: Vuelva la hoja y lea al trasluz ». Le soldat français répond : tourne la page et lis-la à contre-jour.

On remarque que sur la couverture de la partition et sur la couverture de gauche de Caras y Caretas, le soldat français porte un élégant pantalon rouge, rouge garance pour être précis. Après la défaite de 1870 contre la Prusse, les autorités françaises ont tiré plusieurs conclusions.

  1. Il faut enseigner la géographie aux Français, car les grossières erreurs de stratégies de l’état-major français venaient de lacunes dans ce domaine. Jules Ferry et sur tout Ferdinand Buisson travailleront à améliorer le système scolaire.
  2. Le pantalon rouge garance est trop voyant et avec l’augmentation de portée des armes, les soldats français deviennent des cibles trop voyantes.

On remarquera que sur les illustrations de 1914 et 1915, presque un demi-siècle plus tard, la couleur rouge est toujours utilisée… Je vous épargne les campagnes pour ou contre et les interminables débats sur la question, jusqu’au fantassin qui déclare qu’il ne souhaite pas que l’on change la couleur, car elle fait de l’effet aux femmes.
Ce n’est qu’en 1915 et progressivement, que la couleur « bleu horizon » est adoptée. Ce qui a hâté le mouvement, c’est que la culture de la garance avait périclité en France et que la teinture chimique pour faire la couleur rouge était fabriquée… en Allemagne.

Extrait musical

Cela étant écrit, il est temps de passer à l’écoute du tango du jour, par l’énergique d’Arienzo.

Entre dos fuegos 1940-04-12 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Avec la façon d’interpréter qu’à D’Arienzo, on peut penser plutôt à quelqu’un essuyant des coups de feu de deux partis. Le début peut paraître une marche martiale, la fleur au fusil. Il est à noter que cet enregistrement a été fait après un an de guerre. On a l’impression que les instruments s’affrontent. La musique est très dynamique avec de brusques sautes d’humeur, donnant du suspens à la musique, ce qui en fait un titre amusant à danser, au moins pour les danseurs qui pourront en percevoir les fantaisies. Les autres pourront continuer à marcher au pas cadencé du roi du rythme (Rey del compás).

Autres versions

Cette version de 1916 a été enregistrée par Canaro qui est, de très loin, le chef d’orchestre ayant enregistré le plus, 3799 enregistrements selon la discographie de Christoph Lanner. Ce titre porte la référence 25 dans son catalogue.

Entre dos fuegos 1915 (o 1916) — Orquesta Típica Canaro Sello: Atlanta Disco: 3025 Matriz: 47 Fecha Grabación: 1916.

Cette version est tout de même un peu répétitive et lancinante. Le disque usé et l’enregistrement acoustique ne donnent pas envie de la passer dans une milonga…

Entre dos fuegos 1940-04-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est le tango du jour. Comme celui de Canaro, enregistré en temps de guerre mondiale, ce qui peut laisser penser que la version un peu militaire n’est pas étrangère à son interprétation.
Entre dos fuegos 1966-07-25 (enregistrement) et 1966-12-04 (date de sortie) — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo a réenregistré le titre, 26 ans plus tard.

Le même jour, il a enregistré au moins 6 titres :
La payanca 1966-07-25, Vea, vea 1966-07-25, Entre dos fuegos 1966-07-25, Rodriguez Peña 1966-07-25, La viruta 1966-07-25 et El amanecer 1966-07-25.
Cela explique peut-être la qualité moyenne de cette interprétation. On est plus dans la quantité que la qualité. Les six titres ont la même contrebasse, marquant bien le tempo. Cela reste du tango de danse, mais avec sans doute moins de subtilités pour les danseurs avancés que dans les années 30 et 40.

Pourquoi des chats et une souris ?

Une des couvertures de la partition de Entre dos fuegos avait des chats et une souris qui semblait avoir des difficultés à trouver un moyen de rejoindre son trou que l’on voit au pied du mur, car elle est prise entre deux feux.

J’ai aussi imaginé une variation de l’illustration où les chats sont de feu, la souris est alors littéralement entre deux feux…

Lisón 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

José Ranieri Letra : Julián Centeya

Lison est un prénom à la mode depuis la fin du vingtième siècle. Il y a donc à parier que dans la nouvelle génération de danseuses de tango, nous allons avoir prochainement des Lison. Ce tango sera donc utile pour mettre en valeur une de ces danseuses. Les Lisón des années 40 étaient ces grisettes qui avaient quitté la France pour venir participer au «rêve» argentin.

Les auteurs

José Ranieri

José Ranieri (José Ranieri Magarotti) est également connu sous les pseudonymes de Pirula et Rudy Grant. Ne pas le confondre avec José Ranieri Virdo, flûtiste et trompettiste de Canaro.
Le José Ranieri du jour est né à Buenos Aires le 20 décembre 1911 et décédé le 9 novembre 1972 (je ne sais pas où).
Il était bandonéoniste, trompettiste et compositeur.

José Ranieri compositeur de tango et de jazz

Parmi ses compositions (tangos et jazz), citons :
A los muchachos (Pa’ los muchachos), Cantares de oriente, Dibujos, La negra quiere bailar, La novia del mar, Lisón, Muñequita de París, Noches blancas, Oh ! Ma chérie, Pa’ los muchachos, Que no sepan las estrellas, Que te cuente mi violín, Sólo una novia, Te quiero todavía.

José Ranieri trompettiste

Comme trompettiste, c’est un scoop, car je n’ai trouvé nulle part la mention qu’il était trompettiste. Je répare donc cette lacune…

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).

Vous avez certainement déjà entendu ce Fox-trot, car certains DJ de tango le passent comme milonga… Il y a deux trompettes, celle d’Ignacio Verrotti et celle de José Ranieri.

Cantares de oriente 1931-03-26 — Adolfo Carabelli Jazz Band con Francisco Donaldson. Un autre fox-trot où il intervient à la trompette avec Verrotti. Il en est également le compositeur.
Oh ! Ma chérie 1932-03 — Orquesta Adolfo Carabelli, dont il est aussi le compositeur.

Noches Blancas — Elio Rietti y su Jazz Band.

Là, il y a trois trompettes, celle de Gaetano Ochipinti s’est rajoutée aux deux autres. Ranieri a également composé ce titre. Je vous le donne à écouter. Mais difficile de dire laquelle des trompettes est la sienne.

José Ranieri bandonéoniste

Curieusement, si aucun site ne parle de Ranieri comme flûtiste ou trompettiste, tous disent qu’il était bandonéoniste, mais impossible de le trouver mentionné.
J’en suis donc réduit à des hypothèses.
Le 26 mars 1931, Carabelli enregistre deux titres. Cantares de oriente et Por qué?, un tango d’Osvaldo Fresedo et Emilio Augusto Oscar Fresedo pour les paroles. Le chanteur est le même que pour Cantares de oriente et ce titre n’utilise pas la trompette. Est-il exagéré de suggérer que Ranieri pourrait avoir joué du bandonéon, puisque ce serait son instrument principal dans cet orchestre ? Je n’ai aucune preuve de cela, mais je garde l’idée sous le coude, d’autant plus que durant cette période Carabelli a enregistré divers Paso Dobles ou Fox-trots conjointement à des tangos.
Dernière hypothèse, existe-t-il un lien de parenté entre les deux José Ranieri ? Magarotti pourrait être le nom de la femme de son père et Virdo, celui de la femme de son grand-père paternel. Pas facile d’avoir des informations sur des instrumentistes discrets, plus d’un siècle après les faits (pas trouvé dans les sites de généalogie).

Julián Centeya (Amleto Enrico Vergiati)

Julián Centeya est un poète et auteur de paroles de tango. Vous l’avez tous entendu au début de Café Dominguez de Ángel D’Agostino. C’est lui qui dit le récitatif « Café Dominguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda… ».
Il a mis les paroles sur le tango du jour, Lisón, notre tango du jour, mais aussi sur Pa’ los muchachos (que l’on connaît chanté par Roberto Rufino avec l’orchestre de Carlos Di Sarli ou par Ángel Vargas et son orchestre dirigé par Eduardo Del Piano).
On lui doit aussi les paroles de :
Claudinette, avec la musique de Enrique Pedro Delfino.
Este cuore, avec la musique de Daniel Melingo.
Felicita, avec la musique de Hugo del Carril.
Julián Centeya, avec la musique de José Canet (on n’est jamais si bien servi que par soi-même).
La vi llegar, avec la musique de Enrique Francini.
Lisón, avec la musique de Ranieri (notre tango du jour).
Lluvia de abril, avec la musique de Enrique Francini.
Más allá de mi rencor, avec la musique de Lucio Demare.

Extrait musical

Avec tous ces propos liminaires, vous pensiez que nous n’y arriverons pas. Mais voici le tango du jour…

Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.

Ce tango est assez rarement passé en milonga. Je pense que c’est en partie à cause de ses faux départs et de ses arrêts intempestifs. En effet, le rythme de la musique est cassé à de nombreuses reprises. Ce n’est pas forcément très agréable pour la danse.

Les paroles

Lisón
Tu amor quedó en mi corazón.
Lisón, dulce Lisón.
Y fue
La melodía de tu voz
Sentí triste canción.
Lisón
Eran tus manos blancas
Y yo soñaba con la luna
Vida mía.
En un
Romance azul de juventud
Lisón, dulce Lisón.

Muchachita de ojos negros
La canción
Del buen amor.
En la sombra de los muelles
Es invierno cruel y llueve,
Pasa el viento que te nombra,
Y yo sueño entre las sombras
Que te llama, corazón
Con este amor.

José Ranieri Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Lison
Ton amour est resté dans mon cœur.
Lison, douce Lison.
Et c’était la mélodie de ta voix, que je sentais être une triste chanson.
Lison
C’étaient tes mains blanches, et j’ai rêvé de la lune, ma vie.
Dans une romance bleue de jeunesse Lison, douce Lison.

Fille aux yeux noirs, la chanson du bon amour.
Dans l’ombre des quais c’est l’hiver cruel et il pleut, le vent qui te nomme passe, et je rêve dans l’ombre, qu’il t’appelle, cœur, avec cet amour.

Autres versions

Ce titre n’a pas eu un énorme succès, il n’a été enregistré que deux fois, en 1944.

Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor. C’est notre tango du jour
Lisón 1944-10-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera.

Cette version est beaucoup plus liée. Les pauses sont mieux annoncées et si la version est plutôt moins énergique, elle peut convenir à une tanda de retour au calme, après une tanda de milonga par exemple. La voix plus rare d’Alberto Rivera n’est pas désagréable et la musique est sympathique, elle reste dansable, même si ce n’est pas un des 50 titres indispensables sur l’île déserte.

Qui était Lisón ?

Lison était un prénom courant en France au début du vingtième siècle, voire un surnom courant. La jeune femme aux yeux noirs de la chanson est donc probablement une de ces grisettes qui effectuaient des travaux domestiques ou peuplaient les maisons closes de l’époque, comme tant d’autres qui ont inspiré les compositeurs et auteurs de l’époque.
Vous pouvez vous reporter à mes autres anecdotes de tango sur le sujet, notamment En Lo de Laura, El Porteñito, Madame Ivone, Bajo el cono azul ou Mañanitas de Montmartre (avant l’exportation…).
En France, un autre tango porte le prénom Lison dans son titre : Tango pour Lison 1943 de Louis Moisello avec des paroles d’Achem.
En France, toujours, le film musical Ils sont dans les vignes réalisé par Robert Vernay et sorti en 1952 contient une chanson (valse) Le jupon de Lison chantée par Line Renaud. C’est un titre de Louis Gasté (Loulou) et avec des paroles de Bernard Michel et Philippe Gérard.
Pour revenir à la Lisón du tango du jour. Impossible à savoir vu le peu d’informations sur la vie privée des auteurs et le nombre conséquent de Lisón qui ont hanté les pensées des hommes de Buenos Aires.

Saludos 1944-04-10 — Orquesta Domingo Federico

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) ; Francisco Federico

Je pense qu’en voyant l’illustration, vous avez pensé que cette fois, j’étais définitivement parti me balader avec les fous. En fait, pas tout à fait. Ces petits bonjours (saludos) des Federico, père (Francisco) et fils (Domingo), les deux sains d’esprits, ont vraiment quelque chose à voir avec le grand Walt!

En fait, le grand Walt a vexé nos amis et ce tango est leur réponse musicale et élégante.
Voyons cela en image, animée…

Extrait du film mélangeant des passages filmés et des dessins animés tirés du film sorti en 1942, Saludos Amigos de Walt Disney

Il s’agit d’un court extrait du film mélangeant des passages filmés et des dessins animés tirés du film sorti en 1942, Saludos Amigos de Walt Disney. Il était destiné à inciter les pays d’Amérique latine à adhérer à la Good Neighbor Policy face au nazisme qui déchirait l’Europe.
Federico était énervé, car Disney a rejeté le tango et il a donc décidé d’écrire un tango.

La phrase qui tue…

Dans le film en entier, on commence par quelques vues de Buenos Aires, puis on va rapidement à la campagne. On présente le travail des gauchos, leur vêtement, puis de la danse. Le commentateur lance alors « No con el tango moderno de Buenos Aires, sino con los bailes típicos del campo ». Pas avec le tango moderne de Buenos Aires, mais avec les danses typiques de la campagne…

La réponse de Fédérico

Comme on le sait, les orchestres de tango de l’époque étaient aussi des orchestres de Jazz, ou pour le moins suffisamment connaisseurs pour s’emparer de cette musique qui partageait les salles de bal avec le tango.
Federico a donc décidé d’écrire un tango intégrant un rythme de Boogie et de le présenter à Disney pour qu’il revoie sa copie.

Boogie. Repérer les syncopes du boogie. Un peu comme quelqu’un qui boiterait.

Federico s’est inspiré du rythme du boogie et a appelé sont tango Saludos pour répondre au titre du film de Disney « Saludos amigos ». Désolé, pas de lunfardo ou de détails croustillants, mais ce n’est pas fini, restez jusqu’au bout…

Extrait musical

Il est temps d’écouter le titre par l’auteur, tout chaud sorti de sa plume (en fait, cet enregistrement a été fait environ un an après l’écriture).

Saludos 1944-04-10 — Orquesta Domingo Federico.

Retrouvez-vous la syncope du boogie ? Probablement que les danseurs nord-américains n’y trouveraient pas leur compte, mais les danseurs de tango ont beaucoup aimé ce nouveau rythme dans leur musique et le titre a été rapidement un succès.

Autres versions

Il y en a beaucoup, alors, je vous ai fait une petite sélection :

Saludos 1944-04-10 — Orquesta Domingo Federico. C’est le tango du jour et le point de départ de la collection de saluts.
Saludos 1944-08-23 — Orquesta Miguel Caló. Cette version est très connue, peut être encore plus que l’original. Elle a quatre mois de moins et est vraiment très différente. Les motifs magnifiques du violon estompent l’attention sur le rythme de boogie.
Saludos 1950-09-28 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico. Une version plutôt nerveuse. Cambareri est coutumier de ces versions rapides. Je ne sais pas si les danseurs de boogie peuvent y trouver leur compte, mais c’est une curiosité à connaître, probablement hors des pistes de milonga toutefois. Le brillant piano et le bandonéon virtuose de Cambareri méritent notre estime, je suis content de vous l’avoir proposé…
Saludos 1999 — Jorge Arduh y su Gran Orquesta Típica Argentina. Une version plus calme, mais pas pour la danse non plus. La syncope du boogie est encore ramollie, on est plus dans l’esprit de Calo que de Federico. La fin propose un beau trait de bandonéon.
Saludos 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. Dir. Domingo Federico. Une petite entorse à la chronologie, pour terminer avec l’auteur qui dirige l’orchestre de jeunes de Rosario, ville où il a terminé sa vie, une dizaine après.

Et Disney ?

Rappelez-vous, Federico était animé du dessein (ce jeu de mots n’est que pour les Français, désolé) de proposer son tango à Disney pour qu’il revoie sa copie en y intégrant le tango.
Finalement, son tango a eu beaucoup de succès et Federico a oublié son projet.
Le plus amusant est que Disney a revu sa copie en réalisant une suite à « Saludos amigos », « Los très caballeros » (les trois cavaliers). Dans ce nouveau film, il revient en Argentine et met en valeur… de nouveau la Pampa, avec un personnage qui rappelle, Patoruzú… Le tango n’aura pas son film par Disney, même si quelques films ont des musiques qui peuvent l’évoquer de façon relativement lointaine, comme dans Ratatouille, Colette Shows Him Le Ropes, ou The Dysfunctional TangoGermaine Franco du film de Disney Encanto.

La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone

Vicente Greco Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño)

On reste avec Vicente Greco comme compositeur et Julián Porteño pour les paroles. Ce sont eux qui nous avaient donné Rodríguez Peña hier. La Viruta avec une majuscule c’est une célèbre milonga de Buenos Aires. Mais le terme de viruta est délicieusement polysémique. Nous allons voir cela à partir de cette version fort surprenante délivrée par Sassone, il y a seulement 54 ans et 58 ans après l’écriture du titre.

Viruta, tu es qui, tu es quoi ?

En bon espagnol, une viruta, c’est un copeau de bois ou de métal. Faire un tango sur ce sujet, cela semble un peu léger.
On se souvient cependant que dans Arrabalera 1950-10-03 par le Quinteto Pirincho, Canaro intervient à deux reprises. La première fois, il lance : « Sácale viruta al piso, hasta romper los zapatos ». Enlève le copeau au plancher, jusqu’à briser les chaussures. Il est à noter que les paroles sont normalement « hasta romper los tamangos », tamangos est un synonyme de zapatos (avec parfois une acception de vieilles chaussures, mais pas forcément et certainement pas dans ce cas). Enlever le copeau du bois, c’est danser avec énergie, éventuellement bien. C’était particulièrement adapté au style canyengue.
D’autres textes font référence à la viruta dans ce sens, comme un texte de Cadicamo, Villa Urquiza, chanté par Adriana Varela accompagnée par Néstor Marconi « Se va por un compromiso, Don Benito Avellaneda, pero “Finito” se queda pa’ sacar viruta al piso… » (dernier couplet).
Mais revenons à Arrabalera de Canaro (attention, pas la version de Tita Merello qui a été composée par Sebastián Piana et Cátulo Castillo, dont le seul point commun est d’avoir été joué par Canaro qui accompagne Tita Merello. Vous suivez toujours ? Bravo ! On parle beaucoup moins de cette seconde phrase dite par Canaro dans cette milonga.

Détail de la partition de Arrabalera de Francisco Canaro et Rosendo Mendizába. Le passage « chanté » par Canaro. La première ligne est dite vers le milieu de la milonga et la seconde, lors de la reprise, vers la fin de la milonga.

Cette fin est un peu coquine, ou pas : « Sácale, el hilo a esa chaucha, si es que tienes buenas uñas ». En effet, si les paroles peuvent paraître bénignes, puisqu’il s’agirait de retirer le fil des haricots à condition d’avoir de bons ongles. Mais ce serait oublier les doubles sens chers au lunfardo. La chaucha est aussi le pénis et Canaro prononce hilo (le fil) un peu comme virú, sans doute pour rappeler viruta.

Arrabalera 1950-10-03 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Une viruta, cela peut aussi être un petit truc sans importance, un homme insignifiant, voire un rouleau de billets que l’on peut sortir de sa chaucha (haricot, mais ici le portefeuille). Je vous avais annoncé plein de sens possible. Le compte est bon.
Alors, voici la musique annoncée :

Extrait musical

La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone

Le moins que l’on puisse dire que la musique est un peu grandiloquente, ou plutôt, qu’elle est un mélange de passages épiques et d’autres, plus anecdotiques.

Cela pourrait donner de la variété et donc être intéressant pour la danse, mais il y a de petits problèmes. Le premier est que les changements d’ambiance sont un peu difficiles à deviner si on ne connaît pas déjà le titre et l’autre est que malgré cette variété, on a une impression de monotonie.

Les paroles

Même s’il n’existe a priori pas de version avec les paroles chantées, il y a bien des paroles écrites en 1912 par Julian Porteño.

Con la punta del zapato,
bailando así,
tu nombre, prenda,
quiero escribir
sobre el encerado
de este salón,
al compás del tango.
Ni el tiempo lo va a borrar,
pues ha de quedar grabado
fiel en mi corazón,
porque la pasión
que se anida en el
es noble como tu varón.

Seguime en el vaivén
del tango embriagador,
viruta de placer,
canción de nuestro amor.
Seguime en el tanguear,
vibrando de ilusión,
tu cuerpo unido al mío,
corazón a corazón.

Vicente Greco Letra: Julian Porteño

Traduction libre et indications

Avec la pointe de ma chaussure, dansant ainsi, ton nom, femme (prenda, c’est le vêtement, mais en lunfardo, c’est aussi la femme), j’ai envie d’écrire sur l’enfermement de ce salon, au rythme du tango.
Même le temps ne l’effacera pas, car il faut qu’il reste fidèlement gravé dans mon cœur, parce que la passion, celle qui se niche en lui est noble, comme ton homme.
Suis-moi dans le balancement du tango enivrant,
Un éclat de plaisir, chanson de notre amour.
Suis-moi dans le tango, vibrant d’illusion.
Ton corps uni au mien, cœur à cœur.

Grâce à ce texte « oublié », on a la signification du nom du tango. Il s’agit d’un éclat de plaisir, mais rien n’interdisait aux auditeurs de l’époque de penser à la viruta à enlever du plancher en dansant comme un Dieu… ou à la viruta (rouleau de billets) qu’il faudra sortir de la chaucha pour payer ses petits plaisirs.

La milonga, la Viruta

Il y a à Buenos Aires, une milonga assez différente, La Viruta. Elle a plusieurs particularités par rapport aux autres milongas de Buenos Aires.

  • On y danse dans la pénombre. Cela ne dépaysera pas certains européens qui pensent que le tango se danse dans l’obscurité, ce qui est tout le contraire pour la majorité des portègnes qui souhaitent voir les danseurs et surtout pouvoir faire la mirada dans de bonnes conditions, la mirada est presque impossible à faire à la Viruta.
  • Elle est gratuite après deux heures du matin, ce qui permet à de nombreux jeunes de venir occuper la piste sans se ruiner. Il est toutefois à noter que ces jeunes dansent sur la même musique que leurs grands-parents et que s’ils dansent de façon virtuose, ils respectent les lignes de danse et l’espace des voisins, notamment en effectuant leurs figures dans un cylindre qui se déplace autour de la piste avec régularité et pas dans des mouvements browniens.
  • Il y a des médialunas (viennoiseries en forme de croissant) à la fin de la nuit.

C’est un des hauts lieux du folklore. Cela peut paraître surprenant vu le public plus jeune, mais toutes les milongas, ou presque proposent des intermèdes de folklore.

On la trouve à Armenia 1366, au siège de l’association culturelle arménienne.

Un OVNI pour parler de la milonga La Viruta de Buenos Aires.

Otra noche en la Viruta 2007 — Otros Aires (Miguel Di Génova, Omar Massa ; Diego Ramos Letra : Miguel Di Génova).

Comme quoi, il n’y a pas que Sassone qui sait faire des musiques ennuyeuses, mais là vous avez en prime une vidéo kitch. La milonga « la Viruta » de Buenos Aires mériterait un hommage plus sympathique…

Autres versions

Ce titre a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose quelques-unes par ordre antéchronologique de la version de Sassone à la plus ancienne en stock.

La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone. C’est le tango du jour.
La viruta 1967-07-04 — Orquesta Héctor Varela. Une version énergique et boum boum, qui rappelle la version contemporaine de l’année d’avant par D’Arienzo.
La viruta 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo. Énergique, mais D’Arienzo ne faisait pas grand-chose d’autres dans les années 60…
La viruta 1957-09-27 — Orquesta Osvaldo Fresedo. Je vous vois venir, vous allez penser que Fresedo a copié sur Sassone et Varela. Eh bien, non, regardez la date, c’est enregistré dix ans plus tôt. Ceux qui pensent que Fresedo, c’est uniquement la vieille garde se trompent.
La viruta 1952-12-12 — Orquesta Carlos Di Sarli. Même Di Sarli met beaucoup d’énergie dans cette version. Une assez jolie version, même si les enregistrements de 18 952 ne sont pas les meilleurs sur le plan technique.
La viruta 1948-07-22 — Orquesta Rodolfo Biagi. Une superbe version avec un Biagi qui fait des vagues au piano. Sans doute une des plus belles versions. À comparer à celle qu’il a enregistrée douze ans plus tôt avec D’Arienzo.
La viruta 1943-08-05 — Orquesta Carlos Di Sarli, toujours en remontant le temps, on retrouve un Di Sarli au compas marqué de façon plus sèche. Il n’a pas encore le « zoom » qui fait entrer de façon progressive les attaques de ses violons.
La viruta 1938-12-13 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. Une version plus calme, plutôt joli. Légère par la taille de l’orchestre (quintette). En plus cette version est très joueuse. Elle devrait donc plaire à beaucoup de danseurs, malgré son air un peu ancien, mais plutôt reposant après les gros pavés que nous venons d’entendre.
La viruta 1936-12-30 — Orquesta Juan D’Arienzo. On retrouve Biagi, cette fois sous la coupe de D’Arienzo. Le piano est bien plus timide que dans l’enregistrement de 1948, mais il y a quelques petites fioritures « à la Biagi » qui permettront aux danseurs qui connaissent bien le titre, de les marquer.
La viruta 1933-11-09 — Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad. Une version avec des « fusées de feu d’artifice » (comme dans fuegos artificiales). Le compas est toujours présent, mais sait se faire discret pour laisser la parole aux instruments solistes. Les attaques des violons évoquent celles de D’Arienzo. Le résultat est un peu répétitif, mais ce titre pourra plaire aux amateurs de versions peu connues et limite canyengue.
En France, il a notamment joué à Paris, justement au Bagdad (168, rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8°). Son petit neveu, Mario Orlando est DJ de tango à Buenos Aires.
La viruta 1928-07-02 — Orquesta Luis Petrucelli. Une version qui devient tout de même un peu ancienne, mais il y a des sons des violons qui méritent d’être entendus.
La viruta 1913 — Cuarteto Juan Maglio « Pacho ». Et on termine par l’arrière-grand-mère de toutes ces versions. Un rythme soutenu et de jolies notes de flûtes. Peut-être un peu monotone, les différentes reprises sont comparables, même si un petit changement apparaît sur les dernières mesures.

Voilà, nous sommes arrivés au terme du voyage.

Rien ne vous empêche maintenant de faire des sauts dans le temps pour retrouver votre version préférée.

La viruta.

Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño) ; Juan Miguel Velich ; Rafael (Ralph) Velich; Chamfleury & Liogar…

Il s’agit de la deuxième version du thème Rodríguez Peña, enregistrée par Di Sarli, celle du 8 avril 1952. Comme il l’a enregistré trois fois en 1945, 1952 et 1956, nous allons voir comment il a évolué durant ces onze années… Ce thème a eu beaucoup de succès et les paroliers se sont battus pour apporter leurs propres paroles. Mais là, on s’en moque, car c’est une version instrumentale…

Extrait musical

Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Les trois versions de Di Sarli

Rodríguez Peña 1945-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli
Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli
Rodríguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli

On remarque, dans la partie verte, que les répartitions des fortissimi et des piani sont égales. Dans la quatrième vignette, en bas à droite, c’est la version de 1956, en mp3. Alors que dans la vignette en bas à gauche, on a des fréquences supérieures à 15 kHz, à droite, en mp3, c’est à peine si on atteint les 10 kHz. C’est la raison pour laquelle je préfère utiliser la musique que je numérise moi-même à partir des disques 78 tours.

Les trois débuts

Je vous laisse comparer les trois versions, si possible dans des versions de bonne qualité, mais dès le début, les différences sont énormes entre les versions. C’est d’ailleurs étonnant de voir les erreurs dans les partages de certains « DJ » qui confondent les trois versions, voire des éditeurs qui indiquer 2e version, tantôt pour celle de 1952 ou celle de 1953.
Voici visuellement les trois débuts :

On voit facilement que la version de 1956 dure plus longtemps que celle de 1952 qui dure plus longtemps que celle de 1945. En effet, entre les trois versions, le tempo se ralentit et c’est très net à l’écoute. Carlos Di Sarli baisse énormément la vitesse entre 1945 et 1956.
On voit aussi que les attaques de 1952 et 1953 sont plus fortes que celle de 1945. Celle de 1956 est forte, mais démarre de façon moins abrupte que celle de 1952, par un ZOOOOM qui monte en force progressivement et qui est typique de Di Sarli de la seconde partie des années 50.
On n’a presque pas besoin d’écouter la musique, tout est dans l’audiogramme 😉
Si, si, il faut écouter. Je vous propose donc ici les trois débuts enchaînés et par ordre chronologique.

Rodriguez Peña, mixage des trois introductions. 1945, puis 1952, puis 1956

Paroles

Il s’agit d’une version instrumentale, mais il y a des paroles qui permettent de lever le doute. Ce tango ne parle pas du président argentin, mais d’un établissement où se jouait le tango et qui était dans la rue Rodriguez Peña au 344. Son véritable nom était Salón San Martín. Nous l’avons évoqué récemment à propos du tango Pasado-florido-1945-04-04.
Les paroliers se sont mis à trois, mais ce ne sont pas des textes inoubliables…

Julián Porteño (Ernesto Temes)Juan Miguel VelichJuan Miguel Velich et Rafael (Ralph) Velich
Noches del salón Rodriguez Peña,
donde bailé
llevando en brazos un buen querer
que hoy añora mi corazón,
recuerdos…nostalgias
de volver a aquellos tiempos bravos
de juventud
y entreverarme en el vaivén
del tango aquel.
 
Fue en Rodriguez Peña
que por ella me jugué
la vida, y conquisté
feliz su corazón.
 
Fue en Rodriguez Peña
que una noche la dejé
arrullado por otra pasión.
 
Llegan tus compases
viejo tango,a reprocharme,
ahora que estoy solo
añorando su querer,
ella fue mi dicha
y mi ilusión,
Rodriguez Peña,
en noches porteñas
que ya nunca olvidaré.
Llora mi corazón
en el silencio del arrabal
al ver que todo cambiado está.
Honda recordación
del romancesco pasado aquel
que tanto amé.

Adiós, Rodríguez Peña de mi alegre juventud.
Rincón que al evocar me acerca al tierno bien
que fuera como un astro del hermoso ensueño azul
que en mi rodar incierto no olvidé
y mi tango que se hermana con mi gran sentir
suspira al comprender que ya no volverán
las tardes y las noches que contento compartí
con los muchachos de ese tiempo ideal.

Tango de mis glorias,
que repito con mi fiel canción,
tango que sonriendo
con mi diosa lo bailé.
Quiero, tango lindo,
que me arrulles con tu dulce voz,
como aquellos días
venturosos del ayer.
Suelta hasta el zorzal
su honda centinela, y su canción
es tétrico gemido que al corazón
oprime de pena.
Música dos compases.
Viendo cómo se fue
el tiempo tan florido que ayer vivió
el arrabal.

El Rodríguez Peña, templo bravo, espiritual,
en la transmutación del lindo tiempo aquel
ha perdido de las paicas el tanguear sensual
y al taitaje que brilló en él.
Hoy sólo queda el recuerdo que cantando va
el sin igual valor de nuestra tradición,
y jamás del alma el progreso borrará
aquel pasado de empuje y de acción.

Te hirió el progreso,
mi Rodríguez Peña divinal,
pero es triste orgullo
el querer prevalecer,
si su alma es tuya,
que es el tango himno de arrabal,
que con sus notas canta
las purezas del ayer.

Traduction libre de la version de Julián Porteño (Ernesto Temes)
Les nuits du salon Rodriguez Peña, où j’ai dansé tenant un bon amour dans les bras
Que mon cœur désire ardemment aujourd’hui, souvenirs… Nostalgies de revenir à ces temps de la jeunesse et me laisser emporter par le balancement
de ce tango.

Ce fut au Rodriguez Peña que pour elle j’ai joué ma vie, et conquis, heureux, son cœur.

Ce fut au Rodriguez Peña qu’une nuit je l’ai quittée bercé par une autre passion.

Tes compas arrivent, vieux tango, pour me faire des reproches, maintenant que je suis seul, désirant ardemment son amour. Elle était mon bonheur et mon illusion, Rodriguez Peña, dans les nuits portègnes que jamais j’oublierai
.

La siete de abril (zamba)

Andrés Avelino Chazarreta et Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou…

Les Argentins adorent avoir des règles pour pouvoir les transgresser. Comme le jour de la zamba est le 29 septembre (anniversaire de Gustavo «Cuchi» Leguizamón) et le jour national du folkloriste argentin le 29 mai (anniversaire de Andrés Avelino Chazarreta, auteur [possible] de cette zamba), ils fêtent la zamba le 7 avril, jour mentionné dans le titre de cette zamba qui est la «Cumparsita» (selon l’expression de Daniel Borelli) des danseurs de zamba. ¡A bailar la zamba chicos!

Pour vous permettre d’avoir une idée de cette danse, je vous propose cette interprétation de zamba par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo.

Zamba dansée par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo. Musiciens : Cristian Bautista (violon) ; Alef Cardozo Madaf (guitare) Eduardo Lobos, (Bombo).

Qui est l’auteur de cette zamba ?

L’auteur de cette zamba n’est pas vraiment connu. J’ai listé les créateurs potentiels, mais le nom généralement retenu est le premier qui l’a déposé à la SADAIC (société des auteurs argentins), Andrés Avelino Chazarreta.
Manuel Gomez Carillo l’a collectée et déposée à son tour en 1923. Il n’en est donc pas l’auteur, il l’a seulement collectée et sur sa version, Manuel Valladares Leda a rajouté des paroles postérieurement. Plusieurs autres versions existent.
L’auteur original, s’il n’est pas Chazarreta peut-être Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou ou un autre qui reste anonyme. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt en fait.

Extrait musical

Il y a des dizaines de versions de cette zamba. En voici quelques-unes, relativement différentes, mais c’est une toute petite partie de celles qui existent. Si vous êtes en Argentine le 7 avril, vous allez l’entendre de tout côté…

La 7 de abril — Los Manseros Santiagueños. Sans doute la plus connue.
La 7 de abril — Pitin Salazar. Avec annonce des figures de la chorégraphie. Comme DJ, cette version peut aider les danseurs un peu fragiles dans la pratique de la zamba, mais le DJ peut aussi faire les annonces.
La 7 de abril — .
La 7 de abril — Dino Saluzzi
La 7 de abril — Andrés Chazarreta à la guitare. Je ne proposerai pas cette version à la danse, mais elle est intéressante, car interprétée par « l’auteur ».

ZZZ’avez dit zamba ou samba ?

Zamba, comme vous l’avez constaté avec la vidéo, cette danse n’a absolument rien à voir avec la danse brésilienne qui enflamme les rues de Rio durant le carnaval.
Cette danse, originaire de… Bon, on se retrouve devant une autre difficulté. Les revendications sont nombreuses. Des origines africaines (j’imagine que les auteurs confondent avec la samba) ou des origines péruviennes. En effet, on attribue souvent à l’évolution de la zamacueca en une version plus rapide, l’origine de la zamba. J’écris la zamba, mais il y a en fait des zambas. Pour éviter de me mettre à dos la moitié des danseurs de folklore argentins, je vais rester vague et juste dire que cette danse se pratique avec des mouchoirs (pañuelos) dans toutes les provinces argentines et même à Buenos Aires.
Il y a d’ailleurs beaucoup plus de danseurs de folklore en Argentine que de danseurs de tango.

Comment ça se danse ?

C’est un peu la suite de la question précédente. Il n’y a pas une, mais, des zambas. Pour simplifier, on dit que les rythmes sont un peu différents d’une province à l’autre, mais les chorégraphies sont également variées.
En fait, il s’agit d’une danse traditionnelle et chaque groupe ethnique l’a mis à sa sauce, l’a conçue, l’a construite et déconstruite. Les ethnologues, musicologues ont figé ces danses dans des chorégraphies, ce qui a appauvri la diversité, car c’est de ces collectes que sont partis les groupes folkloriques pour monter leurs spectacles. Je connais bien le phénomène, étant maître de danses traditionnelles et ayant fait mon mémoire, justement sur ce sujet…
La base de la danse est une danse de couple, sans contact. C’est une danse de séduction. L’homme et la femme se déplacent en agitant leur mouchoir. Dans la première partie, la femme rejette les avances de l’homme, mais dans la seconde, elle se fait plus tolérante et finalement se laisse conquérir.
Les deux parties sont donc distinctes. Dans la première, l’homme est entreprenant, il mobilise son mouchoir et essaye d’attirer l’attention de la dame. La femme est pudique, se masque le visage, n’accepte pas l’invitation. Elle donne même souvent le dos à la fin de la première partie. Dans la seconde partie, en revanche, elle devient plus entreprenante et accepte les avances. Souvent, les danseurs jouent les deux parties de la même façon, ou toute la durée est en séduction réciproque, ce qui est à mon avis une petite trahison de l’esprit de cette danse.
D’autres la dansent comme si c’était une chorégraphie de country, mais c’est une autre histoire…

Je pensais vous faire un petit cours de zamba et me suis plongé dans ma bibliothèque à la recherche de quelque manuel d’où je pourrais tirer des éléments utiles. Las, ces petits dessins semblent tellement compliqués à comprendre que j’ai abandonné l’idée.
Je vais juste vous mentionner les figures de la forme la plus courante à Buenos Aires, qui est très loin d’être l’endroit où elle se danse le plus, mais dans les milongas, il y a souvent un intermède de folklore comportant chacarera et zamba et comme vous me suivez pour le tango, vous avez certainement une attirance pour cette ville.
Les phrases musicales sont de 8 temps. Elles donnent la durée des « figures ».
L’introduction. On peut frapper dans les mains.
La première vuelta. Elle commence avec le chant (quand c’est une zamba chantée, bien sûr). À la fin de la première phrase, on a un échange de place avec sa partenaire. À la fin de la seconde, on est rentré dans une sorte de spirale et on s’arrête, on change de direction (arresto) au début de la troisième phrase et on revient au point de départ en faisant l’escargot à l’envers.
On revient au centre et ont fait trois arrestos (ce qui donne l’impression que les partenaires se tournent autour), puis ont revient au point de départ.
La musique change de tonalité, de caractère. Cela annonce le dernier escargot.
Et sur la dernière phrase, le couple se réunit au centre (la femme dos à l’homme dans la première partie et de face et complice dans la seconde).
Je pense que vous n’aurez rien compris, ce n’est pas grave car en admettant que vous ayez compris la chorégraphie, il vous resterait à acquérir la manipulation du mouchoir et c’est tout un autre univers. Toutefois, pour le mouchoir, on peut améliorer son jeu en jouant l’histoire de la danse. Dans la première partie, l’homme cherche à capter l’attention et la femme se cache et rejette, dans la seconde, ils s’accordent et peuvent enlacer les mouchoirs, se caresser avec…

La siete de abril

Le titre peut sembler est une date (7 avril). On se demande alors immédiatement qu’à cette date particulière pour qu’on en fasse une zamba (ou même une chanson).
Une date probable est le 7 avril 1840, où Marcos Avellaneda qui dirigeait une insurrection (la Ligue du Nord) a perdu la tête qui a été exposée par l’armée de Rosas sur la place centrale de San Miguel de Tucumán.
La défaite de l’insurrection a eu lieu à Famaillá, mais Avellaneda s’est enfuit vers le Nord et il se peut que ce soit sur l’emplacement de 7 de Abril qu’il a été rattrapé et décapité.

Cette localité qui compte aujourd’hui un millier de personnes s’était développée à proximité d’une station de chemin de fer destinée à transporter vers des lieux plus peuplés, la canne à sucre produite ici et le bois récolté dans les bois avoisinants.

Quoi qu’il en soit, il est difficile de faire le lien entre cet événement sanglant et la zamba. Il reste deux hypothèses. La belle est de 7 de Abril, où il s’agit d’un 7 de Abril, date d’une rencontre et donc, une date plutôt d’ordre privé.
Tournons-nous du côté des paroles pour voir si on a d’autres pistes.

Les paroles

Il y a en fait diverses paroles. La version la plus courante aujourd’hui est celle de Pedro Evaristo Díaz sur la musique déposée par Andrés Avelino Chazarreta.

Triste y con penas me voy
Voy cantando mi canción
{Buscando consuelo en una zamba
Porque me ha pedido el corazón} bis
Lejos se escucha una (mi) voz
Y ella dice en su cantar
{En aquellas noches silenciosas
Canto porque alivio mi pesar} bis
Estribillo
Otros andarán por ahí
Igualitos como yo
{Cantando triste sus penas
Zamba sos mi canción} bis

Como el perfume de flor
Suave, acompasada sos
{Has hecho bailar a muchos criollos
Haciendo vivir la tradición} bis
Tus melodías quizás
Siempre han sido para mí
{La que muchas noches he soñado
Y así la nombré siete de abril} bis

Andrés Avelino Chazarreta Letra : Pedro Evaristo Díaz

Si vous voulez connaître d’autres versions, mais qui ne donnent pas plus d’indication sur l’origine, vous pouvez consulter cet excellent article :

https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Version archivée au cas où la page deviendrait indisponible : https://web.archive.org/web/20220909213526/https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Traduction libre

Triste et chargé de peine je m’en vais
Je m’en vais en chantant ma chanson
Cherchant du réconfort dans une zamba
{Parce que mon cœur me l’a demandé} bis
Au loin s’entend une voix
Et elle dit dans sa chanson
{Dans ces nuits silencieuses
Je chante pour alléger mon chagrin} bis
Refrain
D’autres viendront par là
Tous égaux, comme moi
{Chantant tristement leurs peines
Zamba tu es ma chanson} bis

Comme le parfum de la fleur
Tu es douce et rythmée
{Tu as fait danser beaucoup de criollos
Faisant revivre la tradition} bis
Tes mélodies peut-être
Ont toujours été pour moi
{Celle dont j’ai rêvé de nombreuses nuits
C’est ainsi que je l’ai nommée 7 avril} bis

Alors, allez-vous danser la zamba ?

Comme DJ, j’adore voir les danseurs danser une belle zamba. Ce plaisir est rare en Europe, alors j’espère que vous vous y mettrez, pour me faire plaisir, mais surtout pour vous faire plaisir.
J’essaye toujours de placer un intermède de folklore dans les milongas que j’anime. En Europe, ça a rarement du succès et ça se termine en cortina, mais désormais, la chacarera est bien rentrée dans les mœurs. La zamba, c’est un peu plus difficile, mais j’ai eu quelques occasions, donc celle qui m’a servi pour la photo de couverture où deux danseurs français ont réalisé une très belle zamba. Ils se sont retrouvés seuls sur la piste, mais ils ont produit une vive émotion et je suis sûr que cela a donné une petite envie à certains.
L’an dernier à Tarbes, j’ai aussi pu faire danser quelques couples sur une zamba.

Une autre zamba pour vous décider à la danser, par Argentino Luna

Il existe des centaines de Zambas, chacune dans de nombreuses versions. C’est un champ immense.

Gallitos del aire par Argentino Luna. Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les mouchoirs.

Gallitos del aire par Argentino Luna. Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les mouchoirs.

À Buenos Aires, cette version plaît beaucoup.

Je vous en donne les paroles et leur traduction, car ce titre décrit exactement la danse et son sentiment.

Paroles de Gallitos del aire

Comenzó la zamba y con el pañuelo
Te invité a bailarla y fue como un ruego
Cuando te acercaste, casi sin aliento
Con mucha vergüenza, dijiste bailemos
Y así comenzamos a bailar la zamba
Poniendo en el baile, el cuerpo y el alma

La Luna traviesa brillaba en tu pelo
Yo te presentía paloma en acecho
En la media vuelta me puse a tu lado
Buscando tus ojos, mis ojos jugaron
Giraste y te fuiste, tímida y callada
Temblorosamente bailando la zamba

Una vuelta entera, nos puso de frente
Mis labios deseaban tus labios ardientes
Gallitos del aire fueron los pañuelos
Que en blanco y celeste pintaron el cielo
Ya la media zamba marcaba el final
Y yo presentía tus ganas de amar

Se va la segunda, dijo el musiquero
Y yo enamorado seguía tu vuelo
Presentí tus miedos casi con asombro
Mientras me mirabas por arriba del hombro
Con la mano izquierda me toque el sombrero
Como pa’ decirte aquí voy de nuevo

Lo demás fue un juego de amagues y esquives
Un tantear de cerca, tu cuerpo de mimbre
Formando un arresto, mi pañuelo blanco
Lo entrelazó al tuyo que andaba volando
Y fue con el baile, violín y guitarra
La noche más noche, la zamba más zamba

Una vuelta entera nos puso de frente
Mis labios deseaban tus labios ardientes
Gallitos del aire, fueron los pañuelos
Que en blanco y celeste pintaron el cielo
Mi pañuelo blanco te trajo hacia mí
Y tú enamorada dijiste que sí

Argentino Luna

Traduction libre de Gallitos del aire et indications

La zamba a commencé et avec le mouchoir
Je t’ai invitée à la danser et c’était comme une prière
Quand tu t’es approchée, presque essoufflée
Avec beaucoup de honte, tu as dit, dansons
C’est ainsi que nous avons commencé à danser la zamba
Mettant dans la danse corps et âme

La lune coquine brillait dans tes cheveux
J’ai senti que tu étais une colombe traquée
Dans la media vuelta (figure de la zamba), je me tenais à ton côté
Mes yeux jouant à chercher tes yeux
Tu t’es retourné et tu es partie, timide et silencieuse
Dansant la zamba en tremblant

Un vuelta entera (figure de zamba, tour entier), nous a mis face à face
Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes
Les coqs de l’air étaient les mouchoirs
Qui en blanc et bleu céleste ont peint le ciel. (Ce sont les couleurs de la bandera argentine. Les femmes ont traditionnellement le mouchoir céleste et les hommes le blanc. Les mouchoirs sont agités en l’air et donnent l’impression de peindre le ciel)
Déjà la demi-zamba marquait la fin
Et j’ai pressenti ton désir d’aimer. (C’est la fin de la première partie. Le danseur raccompagne la femme et la seconde partie commence).

La seconde démarre, dit le musicien (il annonce la seconde partie)
Et moi, amoureux, j’ai suivi ton vol
J’ai senti tes craintes presque avec étonnement
Alors que tu me regardais par-dessus ton épaule
De ma main gauche, j’ai touché mon chapeau
Comme pour te dire que je reviens.

Le reste n’était qu’un jeu de feintes et d’esquives
Une sensation de proximité, ton corps en osier
Formant une arresto (figure de la zamba consistant à changer de sens, comme une simulation de court après-moi que je t’attrape), mon mouchoir blanc
Je l’ai entrelacé avec le tien qui allait, volant
Et ce fut avec la danse, le violon et la guitare
La nuit la plus nuit, la zamba la plus zamba

Un tour entier nous a mis face à face
Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes
Coqs de l’air, c’étaient les mouchoirs
Qui en blanc et bleu clair ont peint le ciel
Mon mouchoir blanc t’a amené jusqu’à moi
Et toi, énamourée, tu as dit oui.

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Jorge Caldara

Pour bien comprendre pourquoi cette version de Patético interprétée par Osvaldo Pugliese est géniale, il faut la comparer aux deux autres enregistrements contemporains, par Anibal Troilo et Juan Deambroggio « Bachicha »… Mais surtout, il faut nous intéresser à son compositeur, Jorge Caldara, un génie mort trop jeune. Pugliese a enregistré Patético il y a jour pour jour 76 ans.

Extrait musical

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Je vous laisse écouter cette merveilleuse version, sans commentaire. Vous les trouverez cependant ci-dessous, en comparaison avec deux autres versions contemporaines.

Autres versions

Il me semble intéressant de comparer les trois versions enregistrées à quelques mois d’intervalle. Je commence par le tango du jour, celle de Pugliese, puis une version de Bachicha mal datée, mais probablement légèrement postérieure à celle de Pugliese dans la mesure où Jorge Caladara était bandonéoniste dans l’orchestre d’Osvaldo à ce moment.
La troisième version est celle de Troilo, enregistrée presque un an après celle de Pugliese.

Je vous invite à remarquer comme la version de Pugliese est différente dès les premières secondes.

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese
Patético 1948 — Orquesta Juan Deambroggio « Bachicha »
Patético 1949-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo

Intéressons-nous maintenant à la vision d’ensemble des trois interprétations.

La partie verte représente le volume de la musique.
La partie à dominante rouge représente la hauteur du son. En bas (en jaune), ce sont les basses et en haut, les aigus.
On se rend compte à l’oreille et à l’œil que la version de Pugliese est un peu plus sourde (moins d’aigus que celle de Troilo. Celle de Bachicha a des aigus, mais ce sont principalement les bruits du disque…
Cela étant dit, il convient de remarquer la structure très différente des trois morceaux. Celui de Pugliese présente des parties fortissimo et des parties piano. Vous remarquerez par exemple la partie où est le curseur (ligne rouge verticale et fine) qui correspond à une partie pianissimo (bas niveau sonore).
Dans la version de Troilo, les alternances de fortissimi et piani sont plus fréquentes et moins marquées.
La version de Bachicha est plus homogène. On peut imaginer que la musique sera un peu moins expressive que dans les deux autres versions.
Sur les basses (partie inférieure en jaune), Pugliese les marque notamment avec ses cordes (contrebasse, par exemple).
Troilo les réalise avec les cordes, mais aussi avec le piano. Les instruments percutant en même temps.
1 : 05 Pugliese ne met pas le long trait de violon qui était si original au début. Au contraire, c’est presque silencieux, ce qui crée un manque, un appel, une interrogation chez l’auditeur. Pour le danseur qui n’avait pas pu danser le premier, car tout au début, c’est une frustration possible. Il s’attendait à faire un truc « super » sur ce motif…Puisqu’on parle de cette partie, Bachicha, que ce soit au début ou au milieu (1 : 08) remplit le vide par un motif ascendant au piano. Ce n’est pas une invention de sa part, il est écrit ans la partition de Caldara. Pugliese a pour sa part, décidé de le supprimer totalement (lui qui est pourtant pianiste).Quant à Troilo, il propose au contraire un motif de piano descendant et une petite fioriture au piano pour compenser, mais seulement dans la partie du milieu, vers 1 : 15.
Je vous laisse écouter les différences.
Pour vérifier que vous suivez bien le moment sur l’audiogramme, voici un petit jeu. Écoutez le morceau en suivant de gauche à droite la zone verte. Si vous arrivez à vous repérer pour être en phase avec les variations de volume, c’est très bien. A minima, essayez de terminer votre lecture visuelle en même temps que la musique.

Pour terminer cette courte étude des interprétations, allons à la fin du morceau. Écoutez la fin de Bachicha. Il déroule tranquillement la partition, sans créer d’effet de surprise. Les deux accords finaux (dominante et tonique) sont joués avec quasiment le même volume. Un véritable « tsoin tsoin » final. J’ai une anecdote à ce sujet, mais je vous la conterai une autre fois. Maintenant, bon, OK. J’étais habitué à dire « tsoin tsoin » à la fin des morceaux. Ce tsoin-tsoin était couvert par les applaudissements. Cependant, un jour, nous avons interprété un choral de Bach durant une messe. Le problème est que dans ce type d’endroit, les gens n’applaudissent pas et que mon tsoin-tsoin a résonné dans toute l’église. Vais-je dire que j’ai encore honte, tant d’années après. Peut-être, mais en tous cas, cela a exacerbé ma sensibilité sur les fins de morceaux et les orchestres de tango sont un régal pour cela, chacun cherchant à donner sa signature.
Revenons à nos moutons, ou plutôt à Troilo et Pugliese afin d’écouter leurs signatures.
Troilo reprend le motif du départ (qui n’est pas dans la partition originale) et termine avec un glissando énorme du piano pour lancer finalement les deux accords finaux, dominante fortissimo et le dernier plus faible. C’est une fin superbe, il faut en convenir.
La fin proposée par Pugliese. Le rappel du motif initial est presque absent, si ce n’est quelques « coups » de volume de tous les instruments avec une fin qui s’estompe, comme un rêve qui se termine. Le pathétique devenu insignifiant après s’être tant gonflé disparaît d’une pichenette et retombe sur l’accord final comme une baudruche dégonflée.

Jorge Caldara (17 septembre 1924 – 24 août 1967)

Le compositeur du tango du jour est un jeune prodige. Tout gosse, il voulait devenir pianiste, mais son père un tanguero un peu pingre rabattit ses ambitions au bandonéon.
Cela ne découragea pas Jorge qui commença à jouer dans des orchestres à l’âge de 14 ans et à 15 ans, il créa son propre orchestre, la Orquesta Juvenil Buenos Aires. (l’orchestre de jeunes de Buenos Aires) qui joua en alternance avec l’orchestre d’Anibal Troilo les mardis au Café Germinal (Avenida Corrientes au 942, au côté du Café Nacional, aujourd’hui théâtre Nacional Sancor Seguros). C’était un lieu prestigieux, voisin du café Nacional avec qui il travaillait en doublette et en face des 36 Billares. De toute façon, chaque mètre de l’avenue Corrientes dans ces environs a des souvenirs de tango. Donc, avoir son orchestre à 15 ans et jouer dans la cour des grands, cela prouve le talent du bonhomme.
Évidemment, il a été remarqué et Alberto Pugliese l’a fait entrer dans son orchestre comme bandéoniste, jusqu’en 1944, date où il a dû effectuer son service militaire.
À la fin de son service, il intègre l’orchestre du petit frère d’Alberto, Osvaldo Pugliese.
Caldara prendra une place importante dans l’orchestre de Pugliese, toutes proportions gardées, comme Biagi avec D’Arienzo, grâce à son bandonéon énergique qui marquait la cadence tout en développant la mélodie. Caldara était sensible à un tango moderne, notamment à celui d’Eduardo Rovira et je pense que cela l’a influencé pour ses créations à l’époque de Pugliese, celui-ci pourtant novateur, n’a pris la dimension de Rovira que bien plus tard, notamment avec sa magnifique version de A Evaristo Carriego qu’il n’a enregistré qu’en 1969… Je pense même que Troilo auquel Caldara était également sensible avait de l’avance dans ce domaine par rapport à Pugliese, notamment sur l’utilisation des chanteurs.
J’ai une théorie personnelle sur la question, mais je pense que la Yumba doit un peu à la façon de jouer de Caldara, même si Pugliese affirme qu’il l’a choisi, car il pouvait s’intégrer parmi sa ligne de bandonéonistes déjà en place.

Osvaldo reconnut également ses talents de compositeurs, car il lui doit plusieurs de ses succès comme Patético 1948, notre tango du jour, Pastoral 1950, Pasional 1951 (avec Alberto Morán) et Por pecadora 1952 (avec Alberto Morán).
Le jeune Jorge Caladra vouait une dévotion à son nouveau chef d’orchestre et lui dédicacera un tango Puglieseando, qui est une merveille et que je vous propose d’écouter tout de suite :

Puglieseando

Puglieseando 1958-08-13 — Jorge Caldara

Le début rappelle Ríe, payaso de Virgilio Carmona, notamment la version de D’Arienzo avec Bustos de 1959 qui possède un tempo proche, a contrario de celle de 1940 (avec Carlos Casares) qui a un tempo beaucoup plus rapide. Jorge connaissait ce titre, car il l’a enregistré.
0 : 17 La Yumba chère à Pugliese apparaît.
0 : 50 remarquez son bandonéon sensible et expressif qui lui permet de marquer le contraste avec les passages plus énergiques. Caldara était bandonéoniste.
Comme chez l’objet de son hommage, les parties avec un tempo marqué alternent avec les parties glissées et suaves, notamment dessinées par les violons, le piano et les bandonéons plus staccatos contrastent, jusqu’à ce que à…
2 : 30 les réponses se fassent de plus en plus rapprochés, les changements de tonalité, font grimper la tension qui s’apaise dans une coda plus lente et un gros accord sur la dominante, suivi par un léger rebond sur la tonique, dans un style complètement pugliesien.

Pasional

Si je vous dis que c’est aussi Jorge Caldara qui a composé Pasional, un des plus gros succès de Pugliese, vous avez pris la dimension de ce musicien. Voici sa version enregistrée avec l’immense chanteur Rodolfo Lesica sur des paroles de Mario Soto.

Pasional 1964 — Jorge Caldara — Rodolfo Lesica, sa composition qu’a rendu célèbre Osvaldo Pugliese, mais ici par son compositeur et chantée par le grand Lesica.

Il a donc commencé très jeune, mais il est mort après moins de 30 ans de carrière et surtout, ses premiers enregistrements comme chef d’orchestre ne datent que de la fin des années 50, période où le rock’n’roll et autres fantaisies avaient pris le pas sur le tango.

Principales compositions de Jorge Caldara

Ses tangos instrumentaux

  • Bamba, dédicacé à sa fille,
  • Con T de Troilo,
  • Cuando habla el bandoneón, en collaboration avec Luis Stazo,
  • Mi bandoneón y yo (Crecimos juntos),
  • Papilino, dédicacé à son fils,
  • Pastoral,
  • Patético,
  • Patriarca,
  • Puglieseando,
  • Sentido en collaboration avec Daniel Lomuto,
  • Tango 05, dédicacé à la Fuerza Aérea Argentina (armée de l’air argentine)

Ses tangos chantés

  • Pasional, avec des paroles de Mario Soto
  • Por pecadora, avec des paroles de Mario Soto
  • Muchachita de barrio, avec des paroles de Mario Soto
  • Profundamente, avec des paroles de Mario Soto
  • Paternal, avec des paroles de Norberto Samonta
  • No ves que nos queremos, avec des paroles de Abel Aznar
  • Estés donde estés, avec des paroles de Martínez
  • Gorrión de barrio, son premier tango (il était lui-même très jeune et donc comme un petit moineau de quartier).
  • Solo Dios vos y yo, dédicacé à son épouse, avec des paroles de Rodolfo Aiello

Jorge Caldara et ses orchestres

On a vu qu’il a fondé son premier orchestre à quinze ans avant d’intégrer différents grands orchestres dont pour finir celui d’Osvaldo Pugliese, mais son parcours ne s’arrête pas là, il reprend à plusieurs milliers de kilomètres de Buenos Aires, au
Jorge Caldara a en effet passé un an au Japon. La fameuse chanteuse Ranko Fujisawa l’ayant entendu jouer dans l’orchestre d’Osvaldo Pugliese à Buenos Aires, l’a invité à venir créer son propre orchestre au Japon.
Fidèle à son directeur, il n’a pas relevé l’invitation, mais un peu plus tard, Ranko est revenue à la charge et Jorge décida de quitter l’orchestre d’Osvaldo à la fin de 1954 et a déménagé avec sa famille.
Il y est resté un an et y a gravé ses premiers disques avec un orchestre composé avec des musiciens japonais qu’il avait recrutés, mais aussi avec ceux de la Típica Tokio dirigée par le mari de Ranko…
Il fut donc l’un des tout premiers, après Juan Canaro, à faire le saut vers le Japon. J’y vois encore une preuve de la qualité de cet artiste.
Parmi les titres gravés au Japon, je vous propose Recuerdo de Buenos Aires enregistré en 1955 et chanté par… vous aurez deviné, Ranko Fujisawa.

Recuerdo de Buenos Aires 1955 — orquesta de Jorge Caldara con Ranko Fujisawa

De retour à Buenos Aires, il monte un orchestre.

Parmi les titres enregistrés avec cet orchestre, je vous propose maintenant deux curiosités, mais le plus intéressant sera pour la fin de cet article…

La Pena de James Dean 1958-11-13 — Jorge Caldara Con Miguel Martino. Une chanson composée par Enrique Juan Munné avec des paroles de Lina Ferro de Bahr) parlant de James Dean, cet acteur mort en 1955 à l’âge de 24 ans dans un accident de voiture.
La fulana (milonga) 1957-07-29 — Jorge Caldara Con Carlos Montalvo avec des paroles et la musique de Alberto Mastra et Luis Rafael Caruso.

En parallèle, Jorge joue dans un cuarteto. Cette dimension d’orchestre s’adapte mieux à cette époque où le tango est en perte de vitesse.

La tablada 1960-01-29 Estrellas de Buenos Aires

Un exemple de ce que donne ce cuarteto nommé Las estrellas de Buenos Aires (les Étoiles de Buenos Aires). Dans ce titre, on entend bien séparément les quatre instruments. Vous pouvez donc repérer par ordre d’apparition : le bandonéon de Jorge, le piano d’Armando Cupo et le violon d’Hugo Baralis puis la contrebasse de Kicho Díaz. Vous remarquerez que la version proposée par ce cuarteto est bien originale et qu’elle valait le coup de lire jusqu’ici.

Et une dernière surprise, un de ses derniers enregistrements

Mais ce n’est pas fini, je reviens à l’orchestre avec qui il a continué d’enregistrer dans les années 60 avec un titre incroyable. C’est une des compositions les plus célèbres d’Osvaldo Pugliese, ici dans une version fort étonnante que nous propose Jorge Caldara et son orchestre.

La Yumba 1964 — Jorge Caldara — La Yumba 1964 — Jorge Caldara.

On voit bien que c’est Caldara qui poussait Pugliese, plutôt que l’inverse, non ?

On ne peut que regretter que ce talentueux musicien soit mort jeune, sa carrière commencée à 14 ans n’a pas duré 30 ans (26 ans). Les trois/quatre dernières années de sa vie furent perdues à cause du cancer qui l’emporta. Ses enregistrements de 1964 sont les derniers.

Melodía de arrabal (film) – 1933-04-05

Metteur en scène : Louis Joseph Gasnier Scénario Alfredo Le Pera.

Melodía de arrabal, c’est le retour de Carlos Gardel au cinéma dans un film réalisé par le réalisateur français, Louis Joseph Gasnier. Comment un film français, réalisé en France nous apprend ce qui se passait dans le milieu du tango argentin au début du vingtième siècle.

Bien sûr, ce film n’est pas un documentaire et on pourrait considérer qu’il exploite des clichés sur le tango portègne. Cependant, ces mêmes clichés sont ceux qui nourrissent les paroles et l’imaginaire des tangos, imaginaire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagarreurs, séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révèlent avoir du caractère ou d’autres aspirations.
À ceux qui peuvent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs Argentins ou Espagnols par une société américaine (Paramount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapide du tango.
Je vous propose aujourd’hui quelques éléments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sorti au cinéma le 5 avril 1933, il y a exactement 91 ans.

Les acteurs

Carlos Gardel (Roberto Ramírez), Imperio Argentina (Alina), Vicente Padula (Gutiérrez), Jaime Devesa (Rancales, le truand), Helena D’Algy (Marga), Felipe Sassone (Empresario), Manuel París (Maldonado), José Argüelles (Julián), Josita Hernán.

Carlos Gardel et Imperio Argentino à l’époque du tournage du film (fin 1932).

L’intrigue

Roberto Ramírez interprété par Carlos Gardel est un vaurien qui vit dans les cafés de la banlieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tango.
Alina (jouée par Imperio Argentina) qui est professeur de chant l’entend chanter et lui conseille de se lancer dans le métier.
Roberto Ramírez (Gardel) décide de suivre ses conseils et d’améliorer sa vie. Malheureusement, il tue accidentellement un truand qui menaçait de dévoiler ses mauvais penchants à Alina qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux).
Si on passe les péripéties de l’enquête policière (dont le rebondissement final est amusant), on notera qu’Alina cherche à faire entendre Roberto, son protégé à un producteur joué par Felipe Sassone.
Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoiler en public, mais le producteur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui.
Lors de cette soirée, le producteur fait chanter Alina, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter.
Si on me permet cette audace, c’est aussi lors de cette soirée que le truand Rancales essaye également de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il terminera mort dans une scène à la Agatha Christie.
C’est un succès, le producteur fait venir Gardel, pardon, Roberto dans son théâtre et l’y fait chanter.
C’est là qu’il va chanter Silencio avec beaucoup de succès. C’est nettement le temps fort du film. On comprendra pourquoi en lisant ma notice sur Silencio
La version du film que je propose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arrabal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exemple, quand Rancales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Alina qui lui avait proposé de l’aider à chanter. On le sait uniquement par un dialogue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le changement de costume est censé nous renseigner.
Le film se termine en parfait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Roberto (Melodía de arrabal) tournant sur un gramophone et la caméra qui se lance dans un long traveling arrière symétrique du traveling du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devanture du magasin de disque. Le mot « fin » apparaît sur le sol. Gardel, pardon Roberto est devenu chanteur de tango…

Quelques points de repère et moments forts du film

Cliquez sur les vidéos, vous irez directement au moment sélectionné. Ne vous fiez pas à l’image qui est toujours la même, vous irez bien au point indiqué en cliquant sur l’image.

Pour voir le film en entier dans YouTube, cliquez sur ce lien.

Le film commence après un panoramique sur un long traveling avant qui suit Carlos Gardel (Roberto) jusqu’à un magasin de disques.
Quelques personnes sont autour d’un phonographe qui passe une version instrumentale de Melodía de arrabal. Gardel qui est entré y rencontre Imperia (Alina). Il lui propose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Roberto lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la croisera.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance reconstitué dans un studio de la région parisienne des lieux portègnes du début du vingtième siècle.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chantée par Imperio Argentina et Carlos Gardel en Duo. Une perle ! José Sentis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et compositeur né en Espagne. Il fut un des pionniers du tango à Paris. Ce titre témoigne de ses origines.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le barman utilise un shaker comme des maracas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Continuez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de maison (le producteur) arrête la musique sur laquelle les gens dansaient pour annoncer l’intermède. On voit donc un bal privé utilisant des disques. À la suite chante donc Imperio Argentina qui s’accompagne au piano.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuando tú no estás, une chanson chantée par Carlos Gardel accompagné au piano par Imperio Argentina. (Carlos Gardel et Marcel Lattés pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silencio, par Carlos Gardel (Musique Carlos Gardel et Horacio G. Pettorossi, paroles Alfredo Le Pera et Horacio G. Pettorossi). Nous avons présenté ce merveilleux titre dans une anecdote du jour Silencio. Remarquez à l’arrière-plan la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
1 :15 :07 Melodía de arrabal, par Carlos Gardel (Carlos Gardel pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4502
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arrabal, cette fois sur le disque qu’il a enregistré. C’est la fin du film.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872

Quelques affiches et pochettes de DVD…

Vous pouvez les regarder en écoutant, deux versions très différentes.

Melodía de arrabal 1933-04-17 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silencio, publie “la musique du film” dans sa version. Un bon marketing, c’est toujours utile, non ? En plus, c’est une version de danse, alors, on ne va pas bouder son plaisir.
Melodía de arrabal 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi J’aime bien la glose initiale. Et cette version est sympathique.

Pasado florido 1945-04-04 — Orquesta Ricardo Malerba con Antonio Maida

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) paroles et musique

Aujourd’hui, un tango un peu rare, car il n’a été enregistré qu’une fois et par un orchestre peu passé en milonga, avec un chanteur encore plus rare. En revanche, les paroles et la musique sont par le fameux Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo). Elles parlent du Buenos Aires disparu et de quelques souvenirs qu’il peut être intéressant de réviser…

Extrait musical

Pasado florido 1945-04-04 — Orquesta Ricardo Malerba con Antonio Maida

Les paroles

Buenos Aires, has cambiado como yo cambié de a poco.
Soy del tiempo de tus focos, los primeros que hubo a gas.
Yo bailé en Rodríguez Peña, con la orquesta de los Greco
y hasta aquí me llega el eco y me enciende su compás…

Yo me acuerdo del T.V.O., de la calle Montes de Oca,
de un café que había en La Boca, donde Arolas empezó.
Y de Andrade, buen amigo, que en un baile lo mataron…
¡Esas cosas ya pasaron pero tienen su emoción!

De aquel pasado florido
de mil novecientos once,
viene el recuerdo querido
en ancas de aquel entonces…
La noche cuando Manolo
me provocó con los Vieyra
y como yo estaba solo
no quise hacerme el Moreyra.
Si hubiese vivido Andrade no queda ni uno, esa vez.

Cuántas noches nos largamos con Cielito y con Ceballos
en los coches de caballos, por tus calles a pasear…
Y una vez, cuando entre copas, por hacer un chiste de antes
fui a sentarme en el pescante y me puse a manejar…
Buenos Aires de Fray Mocho y de Caras y Caretas
en tus plazas sin retretas, hoy me pongo a suspirar…
Y al mirar como has cambiado, mi Buenos Aires querido
por aquello que he vivido, siento ganas de llorar.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) paroles et musique

Traduction libre et indications

Buenos Aires, tu as changé comme j’ai changé, peu à peu.
Je suis de l’époque des réverbères, les premiers qui étaient au gaz.
J’ai dansé à Rodríguez Peña,

avec l’orchestre Greco (Vicente Greco dit Garrote, Bandonéiste, chef d’orchestre et compositeur. 1888-1924).
Et c’est aussi loin que l’écho m’atteint et tourne sur son rythme…
Je me souviens du T.V.O., rue Montes de Oca, (Un tango de Adela del Valle [1897-19 ??] se nomme ainsi, sans doute en souvenir du même établissement. T.V.O. = Te veo [je te vois]. La rue Montes de Oca était dans le quartier à l’époque chic de Buenos Aires, Barracas. C’est encore quelque chose qui a changé, Barracas ayant une mauvaise réputation aujourd’hui).

T.V.O (Té Veo) — Adela del Valle

d’un café de La Boca, où Arolas a fait ses débuts.

(On a vu à propose de Lorenzo que le Tigre du bandonéon [Arolas] rodait du côté du Café Royal, plus connu sous son surnom de Café del Griego).

Et Andrade, un bon ami, qu’ils ont tué dans un bal… (Il n’est pas le seul… Peut-être un Brésilien).  
Ces choses-là c’est du passé, mais elles ont leurs émotions !
De ce passé fleuri de mil neuf cent onze, le cher souvenir vient sur le dos (du cheval) de l’époque…
La nuit où Manolo (les paroles écrites en 1983 par Pedro Colombo pour le tango « Manolo » semblent conter cette histoire) m’a provoqué avec les Vieyras
Et comme j’étais seul, je ne voulais pas jouer le Moreyra.
Si Andrade avait vécu, il n’en serait pas resté un seul, cette fois-là. (beaucoup de candidats possibles, je n’arrive pas à la départager).
Combien de nuits sommes-nous partis avec Cielito et Ceballos dans des voitures à chevaux, nous promener dans tes rues…
Et une fois, entre deux verres, pour faire une blague d’antan, je suis allé m’asseoir sur le siège et j’ai commencé à conduire…
Buenos Aires de Fray Mocho (José Ciriaco Alvarez [1858 –1903] écrivain et journaliste)

et Caras y Caretas (Revue fort intéressante et qui malgré quelques éclipses, continue d’être publiée aujourd’hui) vos places sans spectacles de rue, aujourd’hui je commence à soupirer…
Et en voyant à quel point tu as changé, mon Buenos Aires bien-aimé, à cause de ce que j’ai vécu, j’ai envie de pleurer.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo)

Cadicamo, (Rosenda Luna ou Yino Luzzi) a vécu tout le vingtième siècle. Du 15 juillet 1900 au 3 décembre 1999).
Il a composé et/ou écrit les paroles de plus de 800 titres, majoritairement des tangos, mais aussi d’autres rythmes
Quelques exemples parmi le plus connus :
A mí no me hablen de penas Tango (1940)
A otra cosa che pebeta Tango
A pan y agua Tango
A quién le puede importar Tango
Adiós [d] Poema lunfardo
Adiós Arolas (Se llamaba Eduardo Arolas) Tango (1949)
Adiós Chantecler Tango
Al mundo le falta un tornillo Tango (1933)
Almita herida Tango
Anclao en París Tango (1931)
Angel Vargas el ruiseñor Tango
Apología tanguera Milonga (1933)
Aquellos tiempos Tango
Araca llegó Novarro Tango
Argañaraz (Aquellas farras) Tango (1930)
Ave de paso Tango (1937)
Bailongo Tango
Bandera baja-Ella se reía Milonga
Baquiano pa’ elegir Tango (1930)
Baraja de amor Tango
Barajando recuerdos Tango
Berretín Tango (1928)
Bichitos de luz Tango
Boedo y San Juan Tango
Boleta Tango
Brindemos compañero Tango
Brumas Tango
Cabaret Tango
Café de Barracas (No) Tango
Café Nacional Poema lunfardo
Calandria (Dejá el bodegón) Tango
Callejera Tango (1929)
Cambiá de vida Tango (1938)
Canción del inmigrante Tango
Cancionera Tango
Carnavales de mi vida (Mosca muerta) Tango
Carpeta Tango
Charmaine Vals
Che Bartolo Tango (1928)
Che papusa oí Tango (1927)
Cherí Canción
Cien años Canción
Colombina (Teresita) Tango
Como un sueño Tango
Compadrón Tango (1927)
Copas, amigas y besos Tango (1944)
Cortando camino Vals (1941)
Cruz de palo Tango (1929)
Cuál de los dos Tango
Cuando miran tus ojos Vals
Cuando tallan los recuerdos Tango (1943)
Cumplido Tango
De todo te olvidas (Cabeza de novia) Tango (1929)
Descarte Milonga
Desvelo (De flor en flor) Tango (1938)
Dice un refrán Tango (1942)
Dolor milonguero Tango
Dos en uno Tango
El bar de Rosendo Tango
El beso aquel Tango
El cantor de Buenos Aires Tango (1936)
El cuarteador Tango (1941)
El llorón Tango
El Morocho y el Oriental (Gardel-Razzano) Milonga (1946)
El que atrasó el reloj Tango (1933)
El teléfono Tango (1963)
El trompito Tango
Ella se reía Poema lunfardo
En la buena y en la mala Tango (1940)
En lo de Laura Milonga
En un pueblito de España Vals
En una petite garçoniere de Montmarte Tango
Ensueños Tango
Estación Tango Tango
Estrella fugaz Vals
Fanfarrón Tango (1928)
Gallo Viejo Tango
Garúa Tango (1943)
Gigoló compadrito Tango
Gotán Tango
Guapo de la guardia vieja Tango
Guitarra que llora Tango
Hambre Tango (1932)
Hermano tordo Poema (1982)
Hojarasca Tango
Hoy es tarde Tango
Humo Tango
Igual que una sombra Tango (1946)
Improvisando Milonga
Intervalo Tango
Juana Rebenque Tango
La barranca Tango
La biaba de un beso Tango
La calle sin sueño Tango
La casita de mis viejos Tango (1932)
La divina dama Vals
La epopeya del tango Poema
La luz de un fósforo Tango (1943)
La novia ausente Tango (1933)
La reina del tango Tango (1928)
Lagrimitas de mi corazón Vals
Llora vida mía Tango
Llorar por una mujer Tango
Los compadritos Tango
Los mareados Tango (1942)
Luna de arrabal Vals (1934)
Madame Ivonne Tango (1933)
Mal de ausencia [b] Vals
Mano brava Milonga (1941)
Mañanitas de mi Pampa Tango (1953)
María [b] Polca
María Milonga Milonga
Mascarita [c] Vals (1946)
Melodía oriental Tango
Mi chiquita Tango (1963)
Mi traje de novia Tango
Mi vida [b] Vals (1934)
Mientras gime el bandoneón Tango
Mis lágrimas Tango
Mocito rana Tango
Mojarrita Tango
Morenita mía Tango
Muñeca brava Tango (1929)
Muñeca cruel Tango
Naipe Tango (1944)
Niebla del Riachuelo Tango (1937)
No hay tierra como la mía Milonga
No me importa su amor Tango
No vendrá Tango (1945)
Noche de estrellas Vals
Noches blancas Vals
Norma Poema lunfardo
Nostalgias Tango (1936)
Notas de bandoneón Tango
Nunca tuvo novio Tango (1930)
Olvidao Tango (1932)
Orgullo tanguero Tango
Orquesta Típica Tango
Pa’ mí es igual Tango (1932)
Pa’ que bailen los muchachos Tango (1942)
Palais de Glace Tango (1944)
Pasado florido Tango
Pebeta graciosa Tango
Perdoname Vals
Piano alemán Fox charleston
Picaneao Tango (1953)
Pico de oro Tango
Piropos Tango
Pituca Tango (1930)
Pobre piba Tango (1941)
Pocas palabras Tango (1941)
Pompas de jabón Tango (1925)
Por la vuelta Tango (1937)
Por las calles de la vida Tango (1942)
Por un beso de amor (Per un bacio d’amor) Vals
Punto alto Tango
Que te vaya bien Tango
Qué torcido andás Julián Tango
Quién dijo miedo Tango (1932)
Quién te ve Tango
Ramona [Cadícamo] Vals
Rondando tu esquina Tango (1945)
Roñita Tango
Rubí Tango (1944)
Salomé Tango
Salú percantinas Tango
Santa milonguita Tango (1933)
Se fue la pobre viejita Tango
Se han sentado las carretas Tango
Sea breve Tango
Sentimiento malevo Tango (1929)
Shusheta Tango (1944) (El aristrocrato)
Si la llegaran a ver Tango
Sin hilo en el carretel Tango
Sol de medianoche Tango
Sollozo de bandoneón Tango
Solo de bandoneón Tango
Son cosas del bandoneón Tango
Suburbio Tango
Tango de ayer Tango
Tango de lengue Tango
Te podés acomodar (Zorro viejo) Tango
Tengo mil novias Vals
Tradición Tango
Tres amigos Tango (1944)
Tres esquinas Tango (1941)
Trovador mazorquero Vals
Tu llamado Tango
Un dilema Tango
Una madre Tango
Vamos zaino Tango
Vas muerto con el disfraz Tango (1930)
Vení vení Tango
Vieja recova Tango (1930)
Viejas alegrías Tango (1937)
Viejo grata Tango
Viejo patio Tango
Villa Urquiza Tango
Voy pa’viejo Tango
Y aquel cariño se fue Tango (1939)
Y qué más Tango (1937)
Yo nací para ti tu serás para mí Foxtrot
Yo tan sólo veinte años tenía Vals
Yo te perdono Tango (1927)
Zorro plateao Tango (1942)

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Aujourd’hui, une valse pour déclarer son amour à une jolie femme. Pour cela, quatre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caruso, Juan d’Arienzo et Walter Cabral. Nous appellerons également à la rescousse, d’autres grands du tango pour vous donner les arguments nécessaires pour séduire une femme papillon.

Avec D’Arienzo à la baguette et Biagi, on a l’assurance d’avoir une valse dansable.
En, ce qui concerne le chanteur, Walter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui collaborera un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : Un Placer, Tu Olvido et Irene et une milonga orpheline Silueta Porteña.

Extrait musical

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.

Je vous laisse l’écouter. On en reparlera en comparaison avec les autres versions de ce titre.

Les paroles

Linda mariposa
tú eres mi alegría
y tus colores de rosa
te hacen tan hermosa
que en el alma mía
tu imagen quedó.

Por eso a tu reja
hoy vengo a cantarte,
para decirte, mi diosa,
que eres muy hermosa
y no puedo olvidarte
que antes de dejarte
prefiero la muerte
que sólo con verte
es para mí un placer.

Sin tu amor ya no puedo vivir.
¡Oh! ven pronto no me hagas penar.
De tus labios yo quiero sentir
el placer que se siente al besar.
Y por eso en mi canto te ruego
que apagues el fuego
que hay dentro de mí.

Oye amada mía
tuyo es mi querer,
que tuya es el alma mía
toda mi poesía
mis alegres días,
hermosa mujer.

Sale a tu ventana
que quiero admirarte.
Sale mi rosa temprana,
hermosa galana,
que yo quiero hablarte
y quiero robarte
tu querer que es santo
porque te amo tanto
que no puedo más.

Y si el destino
de ti me separa
nunca podre ser feliz
y antes prefiero morir.
Porque tu cariño
es mi vida entera.
Tú has de ser la postrera,
la dulce compañera que ayer soñé.

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Traduction libre

Joli papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.


C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quitter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.

Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sentir le plaisir que l’on ressent en embrassant et c’est pourquoi dans ma chanson je te supplie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.

Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; merveilleuse femme.

Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose précoce, belle galante, car je veux te parler et te voler ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.

Et si le destin me séparait de toi, je ne pourrais jamais être heureux et préférerais mourir. Parce que ta tendresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce compagne dont j’ai rêvé hier.

Autres versions

Un placer 1931-04-23 — Orquesta Juan Maglio Pacho.

Un tempo très lent, qui peut déstabiliser certains danseurs. C’est une version instrumentale, avec sans doute un peu de monotonie malgré des variations de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la proposer à mes danseurs.

Un placer 1933-04-11 — Orquesta Típica Los Provincianos (dir. Ciriaco Ortiz) con Carlos Lafuente.

Avec la voix un peu aigre de Carlos Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraînante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui ravit en général les danseurs, surtout en fin de tanda. On est clairement monté d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette version. L’orchestre est Los provincianos, mais il s’agit d’un orchestre Victor dirigé par Ciriaco Ortiz. Ce qui fait que vous pouvez trouver le même enregistrement sous les trois formes : Los Provincianos, Típica Victor ou Ciriaco Ortiz, voire un mixage des trois, mais tout cela se réfère à cet enregistrement du 11 avril 1933.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.

La voix de Walter Cabral rappelle celle de Carlos Lafuente, une voix de ténor un peu nasillarde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite partie de la valse. L’impression d’accélération ressentie avec la version de Ciriaco Ortiz est présente, mais c’est une constante chez d’Arienzo. BIagi qui a intégré l’orchestre il y a cinq mois est relativement discret. Il se détache sur quelques ponctuations lâchées sur les temps de respiration de l’orchestre. Il n’a pas encore complètement trouvé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…

Un placer 1942-06-12 — Orquesta Aníbal Troilo.

Ici pas de voix aigre ou nasillarde, les parties sont chantées par les violons, ou par le chœur des instruments, avec bien sûr le dernier mot au bandonéon de Troilo qui termine divinement cette version élégante et dansante.

Un placer 1949-02 — Francisco Lauro con su Sexteto Los Mendocinos y Argentino Olivier.

Une version un peu faible à mon goût. Le sexteto manque de présence et Argentino Olivier, déroule les paroles, sans provoquer une émotion irrépressible. Une version que je ne recommanderai pas, mais qui a son intérêt historique et qui après tout peut avoir ses fanatiques.

Un placer 1949-08-04 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.

Une version très jolie, avec piano, violons et bandonéons expressifs. L’originalité est la prestation en Duo, de deux magnifiques chanteurs, Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. On peut ressentir un léger étonnement en écoutant les paroles, les deux semblent se répondre. C’est une jolie version, mais peut-être pas la première à proposer en milonga.

Un placer 1954 — Cuarteto Troilo-Grela.

Une magnifique version dans le dialogue entre le bandonéon et la guitare. La musique est riche en nuances. Le bandonéon démarre tristement, puis la guitare donne le rythme de la valse et le bandonéon alternent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le bandonéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réverbération du bandonéon peut être causée par un éloignement physique important du bandonéon par rapport au microphone, ou bien à un ajout ponctuel de réverbération sur ce passage. Je ne suis pas sûr que cet artifice provoqué par l’enregistrement apporte beaucoup au jeu de Troilo. Il faut toutefois pardonner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nouvelle ère technique et il a sans doute eu envie de jouer avec les boutons…

Un placer 1958-10-07 — Orquesta José Basso con Alfredo Belusi y Floreal Ruiz.

José Basso refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfredo Belusi et Ricardo Ruiz. À mon avis, cela fonctionne moins bien que la version de 1949.

Un placer 1979 — Sexteto Mayor.

Pour terminer, une version assez originale, dès l’introduction. Je vous laisse la découvrir. Étant limité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pouvez pas entendre la stéréo vraiment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qualité et en mono pour tenir dans la limite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milonga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milonga, c’est à limiter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instrument et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à passer (c’est fréquent dans les démos), je limite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du centre. Une salle de bal n’est pas un auditorium…

Mini tanda en cadeau

Cabral n’a enregistré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous propose d’écouter et surtout danser cette mini tanda de seulement trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tanda la voix un peu surprenante de Cabral.

Cerise sur la tanda. Pardon, le gâteau, les trois titres forment une histoire. Il découvre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se termine mal…

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.
Irene 1936-06-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral
Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vida y obra de Walter Cabral

Vous pourrez trouver sur ce site, une biographie complète de ce chanteur.

El adiós 1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Plus de 200 tangos ont dans leur titre le mot «Adios». C’est donc un thème fort du tango, mais la composition écrite par Maruja Pacheco Huergo est de loin la plus célèbre. Je vous propose, la version qui est considérée comme la plus belle, celle de Donato avec Lagos qui fête aujourd’hui ses 86 ans.

Il y a adiós et adiós

Il y a environ 200 tangos avec adiós dans le titre dont on a au moins un enregistrement et il faut rajouter une dizaine de valses et même une milonga.
Cependant, tous les adiós ne sont pas similaires.
Contrairement au français, adiós n’a pas la connotation définitive de l’adieu. En français, on dit surtout Adieu quand on ne compte plus se revoir, ou seulement en présence de Dieu (À Dieu), après la résurrection.
Pour les Argentins, ce n’est pas le cas. C’est un synonyme complet d’au revoir et il s’emploie donc de la même façon. Un Argentin qui vous dit adieu a l’intention de vous revoir, il vous recommande juste « à Dieu », c’est-à-dire qu’il vous souhaite d’aller bien pendant le temps de la séparation.
Cependant, en Argentine également, le terme adiós a une signification définitive. On l’utilise également pour quitter un défunt, tout comme en France.
Dans le petit monde du tango, il est fréquent que l’on honore un défunt en lui faisant un adieu musical. Parmi les titres célèbres dans ce sens, on a A Magaldi, cette valse d’adieu à Agustín Magaldi, composée par Carlos Dante et Pedro Noda et dont les paroles sont de Juan Bernardo Tiggi. On connaît les merveilleuses versions chantées justement par Carlos Dante, notamment celle de 1947, 9 ans après la mort d’Agustín qui lui-même avait chanté pour la mort de Gardel peu d’années auparavant. Nous en reparlerons le 21 octobre…

Note : El adiós, porte un S à la fin, car c’est « À Dieu » (adieu), Dieu se dit « Diós » en espagnol, ce n’est pas un S du pluriel. Comme DJ, combien de fois ai-je entendu nommer ce titre « El adio »…

Maruja Pacheco Huergo

Maruja (María Esther) Pacheco Huergo (3 avril 1916 – 2 septembre 1983) était pianiste, compositrice et parolière, mais également auteure (notamment de poèmes et scénarios), actrice et professeur de musique et de chant.
Elle a composé plus de 600 thèmes, pas tous des tangos, mais parmi ses créations dont nous avons une trace enregistrée dans notre domaine qu’est le tango, on pourrait citer les titres suivants :

Comme auteure et compositrice :

Sinfonía de arrabal, (paroles et musique) célèbre par le même chef d’orchestre que El Adios, notre tango du jour avec le trio enchanteur de Horacio Lagos, Lita Morales et Romeo Gavioli.
Cuando silba el viento une habanera dont elle a également écrit, paroles et musique.
Lejanía (une chanson qu’a chantée Corsini), Oro y Azul, El Silencio, Con sabor a tierra, Nenucha et environ 500 autres titres que vous me pardonnerez de ne pas lister ici, mais ce ne sont pas non plus des tangos.

Comme compositrice

Canto de ausencia mise en musique d’un texte d’Homero Manzi
Don Naides avec des paroles de Venancio Clauso
Gardenias avec des paroles de Manuel Enrique Ferradás Campos (son mari)
Milonga del aguatero et Cancionero porteño del siglo XIX avec des paroles d’Eros Nicola Siri

Comme parolière

Sur des musiques de Donato, elle a écrit les paroles d’Alas rotas, Para qué, Lágrimas et Triqui tra.
Ses 600 compositions lui valent d’être inhumée au panthéon SADAIC (société des auteurs et compositeurs argentins) du cimetière de la Chacarita (Buenos Aires).

Virgilio San Clemente

Virgilio San Clemente est surtout un poète. On lui doit cependant les paroles de El adios, et de quelques autres titres, comme la jolie valse Viejo jardín et sans doute Dulce amargura (mais il y a un doute, car il est mentionné tantôt comme compositeur ou comme parolier). Comme il m’est impossible de départager les deux possibilités, voici où j’en suis de l’investigation…

Sur le disque de gauche, Fresedo (1938), Virgilio San Clemente est indiqué comme compositeur. Sur celui du milieu, Nano Rodrigo (1940), ce sont Torres et Alperi et sur celui de droite qui est une réédition en vinyle de l’enregistrement de 1938 de Corsini, il y a bien les trois noms, mais sans distinction de fonction.
En résumé, si Virgilio était poète, il a peut-être composé un tango et à assurément écrit les paroles d’autres.
Torres et Alperi ne sont pas des compositeurs connus, on ne peut pas lever le doute sur la composition de ce titre tant que l’on n’a pas la partition originale que je n’ai pas encore trouvée.
En attendant, je penche plutôt du côté où San Clemente s’est cantonné aux paroles pour Dulce Amargura. Les deux œuvres sont écrites de façon comparable, en trois parties et avec des rimes approximatives, mais devinables. Viejo jardín est différent, il y a plus de couplets, mais les rimes sont également très approximatives. Ces indices, très légers n’invalident pas la possibilité qu’il soit l’auteur des trois textes.

Extrait musical

El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Les cordes sont très présentes dans cette version, en legati des violons et en pizzicati. Quelques accents des bandonéons. Le piano chante également sa partie à tour de rôle jusqu’à à 1 :42 entre en scène Lagos qui ne chante que très brièvement, seulement le premier couplet. Il explique le thème et laisse la parole aux instruments pour les 55 dernières secondes.

Les paroles

En la tarde que en sombras se moría,
buenamente nos dimos el adiós ;
mi tristeza profunda no veías
y al marcharte sonreíamos los dos.
Y la desolación, mirándote
al partir,
quebraba de emoción mi pobre voz…
El sueño más feliz, moría en el adiós
y el cielo para mí se obscureció.

En vano el alma
con voz velada
volcó en la noche la pena…
Sólo un silencio
profundo y grave
lloraba en mi corazón.

Sobre el tiempo transcurrido
vives siempre en mí,
y estos campos que nos vieron
juntos sonreír
me preguntan si el olvido
me curó de ti.
Y entre los vientos
se van mis quejas
muriendo en ecos,
buscándote…
mientras que lejos
otros brazos y otros besos
te aprisionan y me dicen
que ya nunca has de volver.

Cuando vuelva a lucir la primavera,
y los campos se pinten de color,
otra vez el dolor y los recuerdos
de nostalgias llenarán mi corazón.
Las aves poblarán de trinos el lugar
y el cielo volcará su claridad…
Pero mi corazón en sombras vivirá
y el ala del dolor te llamará.
En vano el alma
dirá a la luna
con voz velada la pena…
Y habrá un silencio
profundo y grave
llorando en mi corazón.

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Traduction libre et indications

Dans la soirée qui se meurt en ombres,
Nous nous sommes tout bonnement dit adieu ; (un adieu comme si c’était un au revoir pour elle).
Tu ne voyais pas ma profonde tristesse
Et quand tu es partie, nous sourions tous les deux.
Et la désolation, de te regarder partir,
brisa d’émotion, ma pauvre voix…
Le rêve le plus heureux est mort dans l’adieu
Et le ciel pour moi s’est obscurci.
En vain l’âme
d’une voix voilée
déversa le chagrin dans la nuit…
Juste un silence
profond et grave
pleurait dans mon cœur.

À propos du temps écoulé,
tu vis toujours en moi,
et ces champs qui nous ont vus
sourire ensemble
me demandent si l’oubli
m’a guéri de toi.
Et parmi les vents
mes plaintes s’en vont
mourant en échos
te cherchant…
pendant qu’au loin
d’autres bras et d’autres baisers
t’emprisonnent et me disent
que jamais, tu ne reviendras.

Quand le printemps brillera à nouveau,
et que les champs se peindront de couleurs,
encore une fois, la douleur et les souvenirs
rempliront mon cœur de nostalgie.
Les oiseaux peupleront de trilles l’espace
et le ciel répandra sa clarté…
Mais mon cœur vivra dans l’ombre
et l’aile de la douleur t’appellera.
En vain l’âme
dira à la lune
d’une voix voilée, la douleur…
et il y aura un silence
profond et grave
Pleurant dans mon cœur.

Autres versions

El adiós 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Cette version fait jeu égal avec celle de Donato. Je sais que certains danseurs préfèrent celle de Donato, mais pour moi, il est difficile de les départager. Dans un bal, je peux passer indifféremment l’une ou l’autre, selon l’ambiance que je veux donner. La version de Canaro marche de façon obstinée, avec de jolis passages de violons ondulants et des moments de piano qui ponctuent. Rien de monotone dans cette version, toujours entraînante.

El adiós 1938-03-15 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Avec un accompagnement de guitares, Corsini chante l’intégralité des paroles. Corsini a enregistré 12 jours après après Canaro, mais il a été le premier à jouer le titre, comme en témoigne la partition.

El adiós 1938 Hugo Del Carril con orquesta.

C’est une version à écouter. La voix d’Hugo Del Carril exprime avec émotion les sentiments du narrateur. C’est à comparer avec l’enregistrement d’Ignacio Corsini de la même époque. La voix de Del Carril pourrait tenir la comparaison avec les versions de Maida et Lagos. L’orchestre est également agréable, on se prend à regretter qu’une version de danse ne soit pas venue compléter cet enregistrement.

El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est le tango du jour.
El adiós 1954-01-28 – Ángel Vargas con su orguesta dirigida por Armando Lacava.

Pour une version de chanteur, cette interprétation de Vargas. Donne la part belle à l’orchestre de Lacava. Le thème est chanté par les instruments avec des variations d’intensités qui donnent de la structure à la musique. Après une minute Vargas commence et chante, une minute environ, laissant les 45 dernières à l’orchestre, sauf une courte reprise de la seconde partie du refrain en final. Cette version de chanteur est presque un tango de danse.

El adiós 1963 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Hier, je parlai de Recuerdo. La version de El adiós n’est assurément pas un tango conçu pour la danse. C’est musicalement sublime, même si la voix de Maciel peut parfois être modérément appréciée. Je sais que beaucoup de danseurs se battront pour le danser sur la piste. Alors, je pourrai le passer, mais il y a tant de belles choses de Pugliese parfaites pour la danse que Maciel ne sera pas une de mes priorités, même si les danseurs applaudissent souvent (ce qui ne se fait pas à Buenos Aires).

El adiós 1973 – Hugo Díaz.

C’est la seule version instrumentale de ma sélection, mais l’harmonica d’Hugo Díaz est comme une voix. Il commence par un cri déchirant et ensuite semble pleurer. La guitare le rejoint mais avec un tampon imparable, qui s’ajuste parfois aux accents les plus tristes de l’harmonica. Du très grand Hugo Díaz. À priori, ce n’est pas pour la danse, mais cette version est tellement émouvante qu’elle pourrait participer à une belle tanda particulière. Il y a une vingtaine d’année, une danseuse adorait et lorsque j’animais la milonga, je passais souvent cet artiste quand elle était là.
Pour terminer, une version de 2010 par le Dúo Angelozzi-Cavacini auquel s’est jointe Ivana Fortunati. Cet enregistrement est en hommage à Remo Angelozzi récemment décédé. Vous le connaissez sans doute mieux sous son nom d’artiste, Raúl Angeló quand il était, notamment le chanteur de l’orchestre d’Edgardo Donato (en 1953).

El adiós 2010 — Dúo Angelozzi-Cavacini junto a Ivana Fortunati. Analia Angelozzi et Ivana Fortunati sont accompagnées par Pablo Cavacini et Jose Morán à la guitare et par Bocha Luca au bandonéon.

Adiós queridos amigos, hasta mañana.

El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo

Roberto Firpo

Le post d’hier était très long et touffu. Aujourd’hui, j’ai choisi un tango instrumental et c’est sans doute bien dans la mesure où « El apronte » a de multiples significations qui pourraient nous emmener sur des terrains hasardeux. Aujourd’hui, on parlera donc de musique avec la version de D’Arienzo enregistrée le 1er avril 1937, il y a exactement 87 ans.

La dédicace

Comme cela arrive très souvent, la partition a un ou des dédicataires. Ici, ce sont les internes de l’hôpital San Roque de Buenos Aires.

El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo

Rodolfo Biagi, le pianiste, est désormais bien installé dans l’orchestre et a pris (gagné) plus de liberté pour exprimer ses ornements.
D’Arienzo lui laisse des temps de suspension pendant lesquels les autres instruments se taisent.
Le jeu pour les danseurs est que ces temps de silences ne sont pas tous remplis, ce qui donnera un peu plus tard les fameux breaks de D’Arienzo, ces moments de silence sans musique.
En dehors de ces fioritures, le piano joue au même compas (rythme que les autres instruments).
Comme très souvent chez d’Arienzo, la fin donne une impression d’accélération, mais cela se fait par l’intercalage de notes supplémentaires, pas par une accélération réelle du tempo qui reste réguler durant toute l’interprétation

Les paroles

C’est un tango instrumental, aussi je n’aborderai pas la question des paroles et c’est tant mieux. Le terme apronte a différentes significations allant du domaine des courses de chevaux, notamment la phase de préparation du cheval, en passant par une personne impatiente, ou une personne payant pour obtenir quelque chose. C’est aussi la préparation, d’un mauvais coup ou d’une passe. En gros, difficile de savoir sans les paroles ce que voulait évoquer Firpo. Cependant, sa musique est en général expressive et l’utilisation d’un tango milonga avec ses hésitations et son rythme irrégulier peut s’adapter à chacun des sens.
Précisons un dernier sens, plus « respectable » qui nous vient d’Uruguay, n’oublions pas que c’est à l’époque où il était contracté par le café la Giralda qu’il rencontre Gerardo Matos Rodríguez et inaugure sa marche de carnaval (la Cumparsita). En Uruguay, donc, apronte peut signifier aussi l’apport pour le mariage. La dot, ou tout simplement la préparation de la vie commune.
Notons que les paroles de tango s’appelant apronte ou citant ce mot possèdent des paroles plutôt vulgaires, mafieuses et se réfèrent donc à l’acception portègne du mot. Par exemple pour le tango Apronte de Celedonio Flores.
Mais ici, comme c’est instrumental, vous pouvez imaginer ce que vous voulez…

Autres versions

Sur la partition que je vous ai présentée ci-dessus, il y a une indication que je souhaite vous présenter. Il est indiqué « Tango Milonga ».

Nous avons déjà évoqué ces tangos canyengue qui au fil du temps sont joués plus vite et qui deviennent des milongas, mais je souhaite attirer votre attention sur le concept de « tango milonga ». Ce sont des tangos assez joueurs, mais pas suffisamment syncopés et rapides pour mériter le titre de milonga. Ils sont donc entre les deux. Firpo interprète souvent des tangos avec cette ambiguïté, comme d’autres orchestres plus tardifs comme Miguel Villasboas. Ici, nous sommes en présence d’un tango écrit par Firpo, il a donc décidé de lui donner le rythme qu’il affectionne, le Tango Milonga.
Pour un DJ, c’est un peu un casse-tête. Faut-il l’annoncer comme un tango ou comme une milonga ? Je passe souvent ce type de titre quand j’ai besoin de baisser la tension, éventuellement à la place d’une tanda de milonga, surtout si les danseurs ne sont pas des aficionados de la milonga. A contrario, s’ils adorent la milonga, je peux colorer une tanda de tango pour leur donner l’occasion de jouer un peu plus. J’annonce au micro ce qui va se passer, car très peu de danseurs connaissent cette catégorie. Cela me permet aussi d’encourager ceux qui sont timides en milonga en leur disant que c’est une milonga « facile ».
Le tango du jour interprété par D’Arienzo est un pur tango. Cependant, certaines versions que nous allons voir à présent sont des tangos milonga, comme, c’est le cas pour celles enregistrées par Roberto Firpo, l’auteur de la partition.

El apronte 1926 — Orquesta Roberto Firpo.

Bien qu’enregistrée 12 ans après l’écriture, cette version respecte l’esprit de la partition originale et est un Tango Milonga, avec ses syncopes caractéristiques.

El apronte 1931-10-07 — Orquesta Roberto Firpo.

Cette version est beaucoup plus lisse. Les syncopes sont beaucoup plus rares et la marcación est régulière. C’est une interprétation plus moderne.

El apronte 1937-03-27 — Orquesta Roberto Firpo.

Retour en forcé du style Tango Milonga. Firpo revient à la lettre de sa partition. C’est sa sonorité fétiche que l’on retrouvera notamment sur des orchestres uruguayens comme Villasboas ou chez la Tuba Tango.

El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est le tango du jour.

C’est clairement un tango et pas un Tango Milonga. La marcacion est très régulière et les fantaisies principalement proposées par Biagi au piano se font essentiellement sur les moments de silence des autres instruments. Ainsi le rythme, le compas régulier de d’Arienzo n’est pas bousculé, il est juste mis en pause pour laisser quelques fractions de secondes au piano, ou pour ménager un silence qui réveille l’attention des danseurs, ce qui deviendra un élément caractéristique de son style avec des breaks parfois très longs. Vous savez, ces moments où les danseurs peu expérimentés se tournent vers le DJ en pensant qu’il y a une panne… J’avoue, il m’arrive de jouer en mettant réellement en pause certains breaks (ils sont donc plus longs) pour provoquer des sourires chez les danseurs que je rassure par des signes prouvant que c’est normal 😉

El apronte 1971 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

On retrouve le Tango Milonga qui est un jeu qu’adore utiliser VIllasboas. La boucle est bouclée.

Merci d’être arrivée au bout de cet article.
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Pour finir, choisissez l’image que vous préférez pour le tango du jour.