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Adiós, Coco 1972-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo

Carlos Ángel Lázzari

Adiós, Coco est un au revoir, ou plutôt un adieu à Rafael D’Agostino, le neveu de Ángel D’Agostino qui était pianiste, com­pos­i­teur, auteur et jour­nal­iste spé­cial­isé dans les spec­ta­cles (notam­ment au jour­nal La Razón à l’Editorial Anahi et à Radio Colo­nia). Par son oncle et ses activ­ités, il était mem­bre de la grande famille du tan­go et sa mort trag­ique dans un acci­dent de la route a sec­oué la com­mu­nauté, comme en témoigne ce tan­go com­posé par Láz­zari, ban­donéon­iste et arrangeur de l’orchestre de D’Arienzo et l’enregistrement par l’orchestre de ce dernier, un mois seule­ment, après la mort de Coco. Main­tenant, il me reste à vous expli­quer pourquoi un dinosaure con­duit une voiture…

Extrait musical

Adiós, Coco 1972-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Adiós, Coco s’inscrit dans la lignée des tan­gos tardifs enreg­istrés par D’Arienzo. La puis­sance est énorme. Les vio­lons vir­tu­os­es et les longs breaks ren­dent ce style recon­naiss­able immé­di­ate­ment. Le piano de Juan Poli­to est en ponc­tu­a­tion per­ma­nente et bien sûr, les ban­donéons (instru­ment du com­pos­i­teur, Car­los Ángel Láz­zari) et la con­tre­basse assurent la base ryth­mique que repren­nent les autres instru­ments.
Dans cette ver­sion, quelques solos de vio­lons font taire le martelle­ment du rythme, une pointe de roman­tisme en l’honneur de Coco.
Cet orchestre tardif de D’Arienzo, le dernier de sa car­rière était com­posé de la façon suiv­ante :
Car­los Láz­zari (ban­donéon­iste et arrangeur de l’orchestre. C’est lui qui repren­dra la direc­tion à la mort de D’Arienzo et qui enreg­istr­era des titres du même type de dynamisme avec las solis­tas de D’Arienzo (les solistes de D’Arienzo, orchestre créé en 1973 avec l’autorisation de D’Arienzo). Voyons donc ces autres solistes :
Enrique Alessio, Felipe Ric­cia­r­di et Aldo Jun­nis­si (ban­donéon­istes de D’Arienzo, comme Láz­zari de 1950 à 1975).

Juan D’Arien­zo dans une atti­tude typ­ique, ani­me ses ban­donénistes. De gauche à droite, Enrique Alessio, Car­los Láz­zari, celui de droite me sem­ble être Aldo Jun­nis­si plus que Felipe Ric­cia­r­di, mais je ne garan­tis rien… Les qua­tre ban­donéon­istes de D’Arienzo sont restés les mêmes de 1950 à 1975. Cette pho­to sem­ble dater de la décen­nie précé­dente, prob­a­ble­ment les années 60.

Juan Poli­to (pianiste de l’orchestre de D’Arienzo en 1929, 1938–1939, 1957–1975)
Cayetano Puglisi, Blas Pen­sato, Jaime Fer­rer et Clemente Arnaiz (vio­lonistes de D’Arienzo depuis 1940. Cette longévité explique la mer­veille des vio­lons de D’Arienzo qui était lui-même vio­loniste).
Vic­to­rio Vir­gili­to (con­tre-bassiste de D’Arienzo depuis 1950).

Cette ver­sion est instru­men­tale, mais je pense intéres­sant de présen­ter les chanteurs de l’époque :
Osval­do Ramos (ténor). C’est le père de Pablo Ramos qui dirige l’orchestre Los Herederos del Com­pás que vous pour­rez enten­dre et voir dans ce titre en fin d’article.
Alber­to Echagüe et Arman­do Labor­de (bary­tons)
Mer­cedes Ser­ra­no (mez­zo-sopra­no).

Rafael D’Agostino (Coco)

Son oncle, Ángel D’Agostino, est bien plus con­nu et j’ai eu à divers­es repris­es l’honneur de présen­ter cer­taines de ses inter­pré­ta­tions. Je vous pro­pose un petit éclairage sur le neveu, Coco, objet de cet hom­mage.
L’histoire com­mence entre Juan D’Arienzo et Ángel D’Agostino, les D’ du tan­go. D’Arienzo vio­loniste et D’Agostino pianiste sont amis depuis l’adolescence.
Lorsqu’en 1928 naquit Rafael, ce dernier est entré dans le cer­cle d’amitié des deux hommes qui l’ont accom­pa­g­né dans son entrée dans la car­rière musi­cale.
Mal­gré ses capac­ités de pianiste, Rafael s’est dirigé vers le jour­nal­isme, notam­ment de spec­ta­cle. Il fut util­isa­teur dans ses chroniques de surnoms pour les artistes. Cette mode a été ini­tiée par Felix Laiño, le sous-directeur du jour­nal La Razón. Coco s’est expliqué sur cette cou­tume, par exem­ple en par­lant de Tita Merel­lo :

“Nadie puede negar que Tita Merel­lo es las­timera; todos los días se que­ja de su mis­e­ria, sus años y su mala suerte, Estos apo­dos nacen de sus pro­pios defec­tos y vir­tudes.”

(Per­son­ne ne peut nier que Tita Merel­lo est pitoy­able ; chaque jour elle se plaint de sa mis­ère, de son âge et de sa malchance. Ces surnoms nais­sent de leurs pro­pres défauts et ver­tus.)

On attribue un cer­tain nom­bre d’œuvres à Coco :
Pasión milonguera
Vida bohemia
(avec Ricar­do Gar­cía)
Paica ale­gre
Mis flo­res negras
(Pas le pas­sil­lo colom­biano arrangé en valse que chan­ta Gardel)
Noches de Cabaret
(pas celui d’Héctor Varela avec Rodol­fo Lesi­ca)
Mi cov­acha

On voit que ces œuvres sont peu con­nues et celles qui le sont por­tent le nom d’autres auteurs. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. On lui attribue égale­ment El Ple­siosauro. Voyons un peu de ce côté…

El Plesiosauro

Ce sym­pa­thique ani­mal marin, un dinosaure, aime faire des farces. En Écosse, il s’appelle Nes­si et hante le Loch Ness. En Argen­tine, on l’appelle par son nom sci­en­tifique, El Ple­siosauro, mais il porte aus­si le nom de El Nahueli­to, car il serait apparu au Lac Nahuel Huapi (Bar­iloche) ou à un autre lac bien plus au sud, el lago Epuyén.
Con­traire­ment à son cousin d’Écosse, ce dernier s’est offert le luxe d’écrire une let­tre que pub­lia le jour­nal La Nación, en mars 1922, dont voici les ter­mes :
“El obje­ti­vo de mi car­ta es per­suadir­los de que me dejen en paz, ya que soy un mon­struo dis­cre­to y desin­tere­sa­do”
“L’objet de ma let­tre est de vous per­suad­er de me laiss­er en paix, car je suis un mon­stre dis­cret et dés­in­téressé.“
Je pense que vous com­mencez à penser à un can­u­lar, voici l’histoire :
La pre­mière men­tion de cet ani­mal date de 1910 et c’est la pub­li­ca­tion en 1922 de cette « vision » par George Gar­ret qui don­na l’idée à un Nord Améri­cain nom­mé Martín Sheffield d’annoncer la présence de cet ani­mal.
Cela arri­va aux oreilles du Doc­teur Clemente Onel­li, directeur du Zoo de Buenos Aires, qui aurait bien aimé le met­tre dans ses col­lec­tions. Il envoya des fonds à Martín Sheffield et organ­isa une expédi­tion.
À son arrivée, Martín Sheffield avait dis­paru avec l’argent et vous vous en doutez, la quête de El Nahueli­to s’est avérée vaine, mal­gré les descrip­tions qu’en ont faites les pré­ten­dus témoins.
La bête aurait un long cou, la taille d’une vache et serait car­ni­vore. Cer­tains sci­en­tifiques y voy­aient la descrip­tion d’un plé­siosaure, d’où le nom le plus courant à l’époque et d’autres d’un ichtyosaure. Des pho­tos auraient été réal­isées, mais où sont-elles ?

L’af­faire du Plé­siosaure à Bar­iloche. De gauche à droite. Mar­tin Shi­ef­feld, l’aventurier d’Amérique du Nord. Il a quit­té les lieux avec l’argent et n’a pas fait par­tie de l’expédition. Doc­teur Clemente Onel­li, le directeur du Zoo et organ­isa­teur de l’expédition. Sur la pho­to cen­trale : Alber­to Merkle, un taxi­der­miste alle­mand qui aurait pu con­serv­er El Nahueli­to si ses col­lègues l’avaient abat­tu comme prévu. Emilio Frey, un ingénieur, ami de Clemente Onel­li qui est à droite de lui sur la pho­to cen­trale San­ti­a­go Andueza et José Cinaghi, les chas­seurs. La pho­to de droite représente une recon­sti­tu­tion du Plé­siosaure à Bar­iloche.

Le Plé­siosaure a sus­cité des pas­sions, des rires et plusieurs musiques ont exploité le filon.
Par­mi celles-ci, la par­ti­tion attribuée à Rafael D’Agostino.

La par­ti­tion attribuée à Rafael D’Agosti­no du Ple­siosauro. Elle serait de 1922. On remar­que la dédi­cace à Clemente Onel­li, le Directeur de l’expédition, et à un Manuel Gar­cia que je n’ai pas iden­ti­fié. Est-il de la famille de Ricar­do Gar­cía avec qui il a com­posé Vida Bohémia ?

Tous les auteurs qui par­lent de ce tan­go men­tion­nent sans hési­ta­tion Coco, Rafael D’Agostino comme le com­pos­i­teur du Ple­siosauro.
Le fait qui m’intrigue est que la par­ti­tion serait datée de 1922, ce qui est logique vu que c’est l’époque des faits. Ce qui est moins logique, c’est que Rafael D’Agostino est né en 1928 (il avait 40 ans en 1968 selon une inter­view, et 44 à a sa mort en 1972). Un prodi­ge comme Mozart peut écrire une œuvre à six ans, mais pas six ans avant sa nais­sance…
Il faut donc soit con­sid­ér­er que la par­ti­tion n’est pas de 1922, soit que c’est d’un autre Rafael D’Agostino.
Le fait que Coco soit un plaisan­tin pour­rait laiss­er penser qu’il aurait réal­isé un faux. Dans le sens de cette hypothèse, je met­trai la réal­i­sa­tion assez som­maire de la cou­ver­ture de la par­ti­tion.
Ce qui ne fait pas de doute, c’est l’expédition à Bar­iloche de Onel­li, les doc­u­ments sont suff­isam­ment pré­cis sur la ques­tion et ce sci­en­tifique n’aurait pas mis en jeu sa répu­ta­tion pour un can­u­lar.
Le fait qu’il soit cité sur la par­ti­tion est un peu plus éton­nant. En effet, comme il est ren­tré bre­douille, il est peu prob­a­ble qu’il ait appré­cié l’attention. Avoir un tan­go dédi­cacé à son nom et qui rap­pelle un échec n’est sans doute pas des plus réjouis­sant. Cela me con­forte dans l’idée du faux que j’attribuerai à Rafael D’Agostino, un drôle de coco (« drôle de coco » en français peut sig­ni­fi­er un farceur, quelqu’un d’un peu orig­i­nal).
Son com­parse, l’auteur des paroles, serait Amíl­car Mor­bidel­li, un « poète » dont on n’a pas vrai­ment de traces. Est-ce aus­si un élé­ment de la blague ? Nous ver­rons que les paroles peu­vent ren­forcer cette impres­sion.
L’orchestre Sci­ammarel­la tan­go a pro­duit la seule ver­sion enreg­istrée de cette œuvre.

El Ple­siosauro 2023 — Sci­ammarel­la tan­go.

Sci­ammarel­la aurait retrou­vé la par­ti­tion et exé­cuté l’œuvre. Est-ce une com­po­si­tion orig­i­nale de cet orchestre ou réelle­ment une œuvre écrite en 1922, ou un can­u­lar tardif de Coco ?
Le site très sérieux et extrême­ment bien doc­u­men­té Todo Tan­go cite l’œuvre, donne Rafael D’Agostino comme com­pos­i­teur et Amíl­car Mor­bidel­li comme auteur des paroles.
https://www.todotango.com/musica/tema/6341/El-plesiosauro/
Cet élé­ment peut faire pencher la bal­ance du côté de l’œuvre authen­tique, dont voici les paroles.

Paroles de El Plesiosauro

Yo soy un pobre ani­mal bus­ca­do
por los ingratos y sin con­cien­cia.
Porque soy raro y tam­bién lo soy curioso
(según dice la gente allí).

Deje­men solo aquí, gozan­do
en la soledad de este lago
¿Qué es lo que haréis con sacarme si es en vano
lle­varme vivo de este lugar ?

¿No saben los señores
que esto no es coger flo­res?
Pre­tenden aquí cazarme y lle­var
como si nada fuera.

¡Maldito! No me nom­bres.
Nada te debo Onel­li.
Deja que yo viva con igual pre­rrog­a­ti­vas
como tú vives allí.
Rafael D’Agostino Letra: Amíl­car Mor­bidel­li

Traduction libre et indications

Je suis un pau­vre ani­mal recher­ché par les ingrats et sans con­science.
Parce que je suis bizarre et que je suis aus­si curieux (selon ce que dis­ent les gens de là-bas).
Lais­sez-moi seul ici, prof­i­tant de la soli­tude de ce lac
Que fer­ez-vous de me sor­tir, si c’est en vain que vous voulez m’en­lever vivant d’i­ci ? (Les mem­bres de l’expédition sont armés et deux chas­seurs y par­ticipent. La présence d’une grande seringue dans l’équipement est par­fois men­tion­née, mais mise en doute. Ils pen­saient tuer le « mon­stre » et l’empailler « d’où la présence d’un empailleur dans l’expédition.
Ces messieurs ne savent-ils pas qu’il ne s’ag­it pas de cueil­lir des fleurs ?
Ils ont l’in­ten­tion de me tra­quer et de m’emmener comme si de rien n’é­tait.
Mau­dit ! Ne me nom­mez pas.
Je ne te dois rien, Onel­li.
Lais­sez-moi, que je vive avec les mêmes prérog­a­tives que vous là-bas.

On voit que l’auteur a pris la parole pour el Nahueli­to. À moins que ce soit lui, puisqu’il avait déjà pub­lié une let­tre dans le jour­nal La Nación.
On remar­quera que, si la cou­ver­ture dédi­cace l’œuvre à Onel­li, le texte n’est pas du tout à sa gloire. Cela me fait encore hésiter. Un auteur aurait-il dédi­cacé un tan­go où il traite de mau­dit son dédi­cataire ? Cela me sem­ble bien étrange.
Si on tient compte que le Plé­siosaure est un dinosaure qui vit dans l’eau, on pour­rait penser à un pois­son d’avril, cou­tume qui con­siste à racon­ter un truc incroy­able que l’on retrou­ve dans quelques pays d’Europe et dans le Monde, mais pas en Argen­tine.
On pour­rait aus­si voir dans cette his­toire un rap­pel de la coloni­sa­tion… Ces Indi­ens et gau­chos que l’on a déplacés et mas­sacrés sans ménage­ment pour con­quérir leur ter­ri­toire.

Autres versions de Adiós, Coco

Adiós, Coco 1972-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre tan­go du jour.

Du fait qu’il s’agit d’un tan­go tardif, il n’a pas eu le temps d’entrer dans le réper­toire des orchestres. Une excep­tion toute­fois, Los Herederos del Com­pás, l’orchestre ani­mé par Pablo Ramos, le fils de l’ancien chanteur de D’Arienzo, Osval­do Ramos, et qui tra­vaille ardem­ment à entretenir le sou­venir de son père et de la Orques­ta Del Rey del Com­pás.
Cet orchestre joue régulière­ment le thème, et je l’ai donc écouté par eux à divers­es repris­es avec des évo­lu­tions intéres­santes.

Adiós Coco 2021 — Pablo Ramos & Los Herederos del Com­pás. C’est la ver­sion du disque “Que siga el encuen­tro de 2021”.

Mais je pense que vous serez con­tent de voir l’une de leurs presta­tions. C’était l’an passé, le 8 avril 2023, à la huitième édi­tion du fes­ti­val de La Pla­ta.

Adiós Coco 2023-04-08 — Pablo Ramos & Los Herederos del Com­pás, en La Pla­ta Baila Tan­go (8va edi­ción).

Avec cette vidéo, je pense que l’on peut dire Adiós Coco, au revoir, les amis. Soyez pru­dent sur les routes, un dinosaure pour­rait tra­vers­er sans crier gare !

Milonga querida 1938-11-09 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

Ceux qui aiment les milon­gas dynamiques se ruent en général sur la piste aux pre­mières notes de Milon­ga queri­da inter­prétés par D’Arienzo et Echagüe et ils ont bien rai­son. Mal­gré un rythme qui sem­ble soutenu, cette milon­ga aide les danseurs à s’amuser, ce qui n’est pas autant le cas avec ces milon­gas que l’on met trop sou­vent en pen­sant que les danseurs ne sont pas au niveau… Au con­traire, il faut ce type de milon­ga pour les faire pro­gress­er et danser avec joie. Le canyengue n’est pas de la milon­ga…

Extrait musical

Milon­ga queri­da 1938-11-09 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe.

Le piano incisif de Juan Poli­to qui venait de repren­dre la main (je devrais dire les deux mains, puisqu’il s’agit de piano) après l’exclusion de Rodol­fo Bia­gi de l’orchestre. Deux accords posent le tem­po et le piano lance la milon­ga immé­di­ate­ment. Des pas­sages traspies (stac­ca­to) alter­nent avec des pas­sages liss­es (lega­to), ce qui per­met aux danseurs, à la fois de vari­er les impro­vi­sa­tions et de se repos­er un peu, ou pour le moins de pren­dre leur mar­que dans le flot de la milon­ga pour s’intégrer dans l’harmonie du bal.
La vitesse sem­ble très rapi­de, mais elle est suff­isam­ment mod­érée pour pou­voir par­faite­ment jouer avec la musique.
L’attention est soutenue par l’alternance des par­ties et quand Echagüe com­mence à chanter, il reste totale­ment dans le rythme, ce rythme cher à D’Arienzo et qu’il ne sac­ri­fiera surtout pas pour une milon­ga.
Les instru­ments, notam­ment les cordes et les ban­donéons, sem­blent lancer des piques. Les accords sont brefs, nerveux. On se représente bien D’Arienzo, penché en avant avec l’avant-bras dont le poing est ser­ré, encour­ageant ses musi­ciens à don­ner ces accords, un par un ou par salves nettes dans un stac­ca­to très intense, jusqu’aux délivrances des pas­sages liés.
Si vous êtes danseur et intéressé par la musi­cal­ité, vous trou­verez sans doute pas mal d’inspiration dans cette milon­ga ponc­tuée par les fior­i­t­ures du piano de Poli­to dans la lignée de Bia­gi.
La dic­tion de Echagüe, sans doute à son apogée dans cette inter­pré­ta­tion, per­met de capter les paroles, tout en util­isant la voix comme un instru­ment ryth­mique, favorisant la con­ti­nu­ité styl­is­tique avec les par­ties orches­trales.
La fin arrive de façon abrupte, comme si D’Arienzo après avoir lancé les danseurs dans une danse effrénée, voulait les pouss­er à la faute en les faisant con­tin­uer de bouger alors que la musique s’est arrêtée.
Bien sûr, cet enreg­istrement est telle­ment con­nu que les danseurs ne se lais­sent pas sur­pren­dre, mais on peut imag­in­er l’ambiance que le titre provo­quait lors de ses pre­mières exé­cu­tions.

Paroles

No la pin­taron los poet­as
en sus ver­sos seduc­tores,
ni conocieron su vida
ni el amor de sus amores.
Fue la más lin­da del bar­rio
y por lin­da, cod­i­ci­a­da,
y más de cien entreveros
su belleza provocó.

Pero ella bien conocía
quién en silen­cio la ama­ba
y a nadie al fin com­prendía
pues con ninguno se daba;
por ver­la sola, muy sola,
mil comen­tar­ios se hicieron
y difamaron su nom­bre
al no con­seguir su amor.

Aquel mucha­cho tan triste,
tan humilde y tan sen­cil­lo,
se fue en silen­cio una noche
del ale­gre con­ven­til­lo.
Y aque­l­la piba boni­ta
por boni­ta cod­i­ci­a­da,
cargó una tarde sus cosas,
y a su bar­rio no volvió.

Juan Laren­za Letra: Lito Bayardo

Traduction libre

Les poètes ne l’ont pas peinte dans leurs vers séduc­teurs ni ne con­nurent sa vie ni l’amour de ses amours.
C’é­tait la plus belle du quarti­er et parce qu’elle était belle, con­voitée, et plus d’une cen­taine de bagar­res, sa beauté a provo­qué.
Mais elle savait bien qui l’aimait en silence, et elle ne com­pre­nait per­son­ne à la fin, car à aucun elle se don­nait ;
À la voir seule, très seule, mille com­men­taires se firent et dif­famèrent son nom, car ils n’avaient pas obtenu son amour.
Ce garçon, si triste, si hum­ble et si sim­ple, sor­tit en silence une nuit du joyeux con­ven­til­lo (loge­ment col­lec­tif pau­vre).
Et cette jolie fille, con­voitée pour sa beauté, une après-midi, a emporté ses affaires, et elle n’est pas rev­enue dans son quarti­er.

Autres versions

Milon­ga queri­da 1938-11-09 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe. C’est notre milon­ga du jour.
Milon­ga queri­da 1990c — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Avec l’Uruguayen Vil­las­boas, on reste dans une dimen­sion joueuse. On recon­naît son style et ses arrange­ments par­ti­c­uliers. Son piano est sans doute moins présent que celui de Poli­to, cela laisse plus de clarté pour les vio­lons et ban­donéons. On pour­ra peut être moins appréci­er la trop grande régu­lar­ité qui peu­vent engen­dr­er de la monot­o­nie. Je pense qu’écouter cette ver­sion après celles de D’Arienzo qui lui est antérieure d’un demi-siè­cle mon­tre bien la dif­férence d’une musique par­faite pour la danse par rap­port à une musique sym­pa­thique, mais qui ne porte pas aus­si bien.

Et un titre iden­tique, mais totale­ment dif­férent. C’est une créa­tion de Eduar­do Pereyra (El Chon) qui est encore dans l’esprit canyengue.

Milon­ga queri­da 1931-11-23 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Teó­fi­lo Ibáñez.


On ne peut pas dire que ce soit vilain, mais sauf pour les ama­teurs d’encuentros, dif­fi­cile de résis­ter (dans le sens sup­port­er) à une tan­da de ce type…
La fin un peu plus vivante ne sauve pas for­cé­ment l’ensemble…

Vous aurez com­pris que si on me demande « Milon­ga queri­da » je pro­poserai sys­té­ma­tique­ment la ver­sion de D’Arienzo et Echagüe.

Paroles du tango « Milongua querida » de Eduardo Pereyra

Milon­gui­ta queren­dona
Mi más vie­ja com­pañera,
Te lle­vo en el corazón
Como al más fiel de mis amores.

Tu can­ción es el recuer­do
De mi vida aven­tur­era,
Que me embria­ga de dolor
Al recor­dar aquel tiem­po mejor.

Eduar­do Pereyra (El Chon) (Paroles et musique)

Traduction libre du texte de Eduardo Pereyra (El Chon)

Petite milon­ga amoureuse (qui s’énamoure facile­ment)
Ma plus vieille com­pagne,
Je te porte dans mon cœur
Comme le plus fidèle de mes amours.


Ta chan­son est le sou­venir
De ma vie aven­tureuse,
Qui m’enivre de douleur
Au sou­venir de ces temps meilleurs.
Le texte fait sans doute plus penser aux textes des milon­gas des payadores qu’au rythme allè­gre qui en repren­dra le nom.

Les auteurs

La col­lab­o­ra­tion entre Juan Laren­za et Lito Bayardo a don­né la très célèbre zam­ba, Mama vie­ja, que De Ange­lis enreg­istr­era en forme de valse, comme la mag­nifique valse Flo­res del alma (dont les paroles ont été coécrites avec Alfre­do Lucero).

Juan Larenza (1911–1980), pianiste et compositeur

Juan Laren­za

Les com­po­si­tions de Laren­za ont été enreg­istrées par de nom­breux orchestres, dont De Ange­lis, D’Arienzo, Aníbal Troi­lo (avec le fameux Gua­pe­an­do) et même Di Sar­li.
Sa plus célèbre biogra­phie a été écrite ; juste­ment par Lito Bayardo dans son ouvrage « Mis 50 años con la can­ción argenti­na »

Le livre de Lito Bayardo50 años con la can­ción argenti­na” dans lequel il par­le de son ami Juan Laren­za. À droite, Laren­za est le deux­ième en par­tant de la droite et Bayardo le troisième.

Manuel Juan García Ferrari (1905–1986), plus connu comme Lito Bayardo, guitariste, chanteur, compositeur et parolier

Bayardo a écrit à la fois des textes de tan­gos et a com­posé des tan­gos dont il était égale­ment le paroli­er. Un des plus con­nus est sans doute Cua­tro lágri­mas enreg­istré, notam­ment, par Ricar­do Tan­turi avec Enrique Cam­pos, Fran­cis­co Canaro avec Alber­to Are­nas et Rodol­fo Bia­gi avec Alber­to Amor.

Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Francisco García Jiménez

Un chap­ar­rón est une averse, une pluie soudaine, de forte inten­sité, mais de courte durée. Cette milon­ga joue sur les mots, un chap­ar­rón étant en même temps une dis­pute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milon­ga du jour à décou­vrir ce thème mag­nifique­ment inter­prété par Juan d’Arienzo et Alber­to Echagüe.

La musique présente l’histoire que les paroles con­fir­ment ensuite.
On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se pré­pare.
L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se com­pare à une mouche d’orage.
La marche devient en pointil­lé à cause de la dis­cus­sion (dis­pute) du cou­ple. On imag­ine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et repren­nent à tour de rôle. Cette « activ­ité » est par­ti­c­ulière­ment bien adap­tée à une milon­ga.
Puis vient l’averse, « con agua y expli­ca­ciones, era doble el chap­ar­rón » (avec de l’eau et des expli­ca­tions, l’averse était dou­ble). C’est la par­tie cen­trale. La ten­sion qui était mon­tée dans la pre­mière par­tie est en train d’exploser.
Puis, à la toute fin, la réc­on­cil­i­a­tion et l’envie de repren­dre ensem­ble.
« ¡Qué rico el olor a trébol y la rec­on­cil­iación… Da ganas de andar de nue­vo, seria vos y serio yo! »
(Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réc­on­cil­i­a­tion. Ça donne envie d’avancer de nou­veau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élé­ment rythme la milon­ga en étant men­tion­né trois fois. Qua­tre fois dans les paroles orig­i­nales, mais Echagüe ne chante pas la total­ité des paroles écrites par Fran­cis­co Gar­cía Jiménez.

Pintín?

Pin­tín Castel­lanos (Hora­cio Anto­nio Castel­lanos Alves) est l’auteur de cette milon­ga. Les paroles sont de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez. Pin­tín Castel­lanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Mon­te­v­ideo. C’est un com­pos­i­teur majeur avec env­i­ron 200 de thèmes dont la moitié ont été enreg­istrés. Il a égale­ment écrit les paroles d’un bon nom­bre de ses com­po­si­tions. Il était pianiste et fut égale­ment directeur d’orchestre.

1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant le tan­go (illus­tra­tion tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » pub­lié en 1987 et présen­tant 36 cou­ver­tures imag­i­naires de Tintin

Il a été décrit comme un homme élé­gant et d’allure vir­ile, sportif et amoureux de la musique.
Voici com­ment il se racon­te : «Crecí con­sus­tan­ci­a­do con el ambi­ente orillero… cuan­do repi­quete­a­ban las lon­jas de los negros can­domberos en los parch­es de sus tam­bores.
Las melodías pop­u­lares nacieron con­mi­go y con ellas con­vi­vo hace muchos años… »

« J’ai gran­di dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Pla­ta)… quand vibraient les lon­jas (paume des mains) des can­domberos noirs sur les parch­es (ban­deau de cuir masquant les gou­jons et le cer­clage supérieur) de leurs tam­bours. Les mélodies pop­u­laires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pen­dant de nom­breuses années… »

Pourquoi ce surnom, de Pin­tín Castel­lanos ? Je ne sais pas. El pin­to peut être l’Espagnol, Castel­lanos, une inspi­ra­tion de la Castille ? Ce serait donc une dou­ble évo­ca­tion de l’Espagne pour cet Uru­gayen. Pin­tín pour­rait aus­si se référ­er à son élé­gance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.

Ses compositions

Avec une cen­taine de titres enreg­istrés, vous avez oblig­a­toire­ment enten­du plusieurs de ces com­po­si­tions. Pour rester dans la milon­ga, j’évoquerai la puñal­a­da. Un jour qu’il la jouait, il a été con­traint d’accélérer, ce qui l’a trans­for­mé en milon­ga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enreg­istrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tan­go.

Il a écrit de nom­breuses autres milon­gas, comme, A puño limpio, El potro, El tem­blor, La endi­a­bla­da ou Meta fier­ro que l’on con­nait dans des ver­sions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aus­si quelques milon­gas can­dombe, comme Bronce, Can­dombe ori­en­tal ou Can­dombe rio­platense.
Je ne par­le pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nom­breuses autres occa­sions de le faire…

Extrait musical

Chap­ar­rón 1946-08-26 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe

Paroles

Las nubes eran de plo­mo
y era el aire de fogón.
Andábamos, no sé cómo…
¡seria vos y serio yo!
Venía un olor caliente
de la ruda y el cedrón.
Y esta­ba como la gente
de antipáti­co un moscón.

La boca se rese­ca­ba,
estaque­a­da en mal humor.
Aque­l­lo no lo arregla­ba
nada más que un chap­ar­rón.
Tor­men­ta de trote y car­ga
jinete­an­do un nubar­rón.
Tor­men­ta de caras largas:
seria vos y serio yo.

Ver­a­no de mosca y tier­ra;
seco el río y el por­rón.
Ver­a­no de sol en guer­ra
¡filo de hacha sin perdón!
Amores que se empaca­ban
(seria vos y serio yo).

Asun­tos que se empe­ora­ban
por tar­dar el chap­ar­rón…
Andábamos a tirones
cuan­do el cielo se abrió en dos…
Con agua y expli­ca­ciones
era doble el chap­ar­rón.
¡Qué rico el olor a trébol
y la rec­on­cil­iación…
Da ganas de andar de nue­vo
seria vos y serio yo!

Pin­tín Castel­lanos (Hora­cio Anto­nio Castel­lanos Alves) Letra : Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Echagüe ne chante que les par­ties en italique (début et fin).

Traduction libre

Les nuages étaient de plomb, et c’é­tait l’air d’un four (poêle).
Nous mar­chions, je ne sais pas com­ment…
Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Il y avait une odeur chaude de rue offic­i­nale (plante à odeur forte util­isée en médecine et ayant la répu­ta­tion d’éloigner les indésir­ables) et de verveine cit­ron­née.
Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche.
La bouche se desséchait, piquée de mau­vaise humeur.
Rien de plus qu’une averse ne pour­rait arranger cela.
Tem­pête de trot et charge chevauchant un nuage d’or­age.
Tem­pête de vis­ages longs :
Sérieuse, toi et sérieux, moi.
Été de mouche et de terre ; la riv­ière à sec ain­si que la bouteille (por­rón, bouteille de terre cuite émail­lée qui sert pour la bois­son et acces­soire­ment de bouil­lotte…).
Été de soleil en guerre, fil de hache sans par­don !
Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi).
Des prob­lèmes qui ont été aggravés par le retard de l’a­verse…
Nous étions en train de nous tir­er à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux…
Avec de l’eau et des expli­ca­tions, l’a­verse a été dou­ble.
Comme est déli­cieuse l’odeur du trèfle et de la réc­on­cil­i­a­tion…
Ça donne envie de marcher à nou­veau Sérieuse, toi et sérieux, moi !

Les enregistrements de chaparrón

Cet enreg­istrement par d’Arienzo et Echagüe est le seul…
Il existe bien un tan­go du même nom, com­posé par Car­los Waiss, mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :

Chap­ar­rón 1957 — Nina Miran­da con la Orques­ta de Gra­ciano Gomez

Autres titres enregistrés un 26 février

D’Arienzo a enreg­istré le même jour : Fue­gos arti­fi­ciales 1941-02-26. Un tan­go instru­men­tal com­posé par Rober­to Fir­po et Eduar­do Aro­las. Comme beau­coup de com­po­si­tions de fuer­go, c’est une illus­tra­tion sonore, ici de fue­gos arti­fi­ciales (feux d’artifice).
J’ai hésité pour le tan­go du jour. Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le men­tionne à l’occasion d’une autre inter­pré­ta­tion, car con­traire­ment à Chap­ar­rón, Fue­gos arti­fi­ciales a été enreg­istré à divers­es repris­es.

Fin de l’averse, después de la llu­via el buen tiem­po (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réc­on­cil­i­a­tion.

1 ¡Qué rico el olor a trébol y la rec­on­cil­iación… Da ganas de andar de nue­vo seria vos y serio yo!…

Y suma y sigue… 1952-08-13 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Quand les auteurs de tan­go se lan­cent dans la philoso­phie de la vie, cela donne cela ; des con­seils pour nav­iguer entre les canailles et les giles. Juan D’Arienzo et son pianiste de l’époque, Ful­vio Sala­man­ca se sont asso­ciés avec Car­los Bahr pour éla­bor­er la musique et les paroles. Pour les danseurs, la philoso­phie est sim­ple, sauter sur la piste aux pre­mières notes et s’éclater à danser ce titre énergique servi par l’orchestre de D’Arienzo et la voix prenante de Echagüe.

La bande des auteurs

Générale­ment, on attribue à D’Arienzo et Sala­man­ca la musique et à Car­los Bahr les paroles, mais l’enregistrement à la SADAIC (Société des auteurs argentins) donne la pater­nité aux trois pour les deux élé­ments.

Reg­istre de la SADAIC indi­quant l’en­reg­istrement de l’œu­vre le 20 avril 1953.

On notera que pour les trois, la men­tion est auteur et com­pos­i­teur. Les pour­cent­ages pour cha­cun des trois ne sont pas déter­minés. C’est qu’ils esti­maient avoir col­laboré de façon com­pa­ra­ble et qu’ils devraient donc recevoir à parts égales les droits afférents.
On notera au pas­sage les pseu­do­nymes de Sala­man­ca et Bahr. Tony Cayena pour le pre­mier et Alfas et Luke J Y C pour le sec­ond.

Car­los Bahr, Juan D’Arien­zo et Ful­vio Sala­man­ca, les trois auteurs, com­pos­i­teurs du tan­go du jour.

Ce tra­vail à trois n’est pas éton­nant dans la mesure où Sala­man­ca et Bahr étaient des amis proches et que D’Arienzo aimait met­tre en musique les textes de Bahr. Ce trio a d’ailleurs réal­isé dans les mêmes con­di­tions d’autres titres joués par l’orchestre de D’Arienzo, comme : Ganzúa, La son­risa de mamá, Sin balur­do, Tomá estas mon­edas!, Tram­pa et notre tan­go du jour, Y suma y sigue…
D’autres titres ont été com­posés par D’Arienzo et Sala­man­ca avec un texte de Bahr comme : Hoy me vas a escuchar, Nece­si­to tu car­iño et Se-Pe-Ño-Po-Ri-Py-Ta-Pa et d’autres, enfin, ont été créé par Bahr (texte) et Sala­man­ca (musique) sans l’apport de D’Arienzo, comme : Amar­ga sospecha, Aqui he venido a can­tar, Dale dale, cabal­li­to, Des­de aque­l­la noche et Eter­na.

De gauche à droite, debout : Héc­tor Varela, Juan D’Arien­zo, Arman­do Labor­de, Alber­to Echagüe et Ful­vio Sala­man­ca au piano.

Y suma y sigue

Le titre peut inter­roger. Ce terme venant des livres compt­a­bles invite à tourn­er la page pour con­sul­ter la suite d’un compte, mais il a plusieurs autres sig­ni­fi­ca­tions.

  • Expres­sion indi­quant en bas de page, que le cal­cul va se con­tin­uer sur la page suiv­ante.
  • Équiv­a­lent de etc. du latín et cetera, pour indi­quer que la liste pour­rait con­tin­uer (et le reste, et les autres choses).
  • Indique que ça va con­tin­uer à aug­menter.
  • Indique que quelque chose se répète.

Je vous laisse choisir votre inter­pré­ta­tion à la présen­ta­tion des paroles ci-dessous.

Extrait musical

Y suma y sigue… 1952-08-13 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe.
Par­ti­tion de Suma y sigue…

Paroles

No me gus­ta andar con vivos y a los giles les doy pase
a los otros si es pre­ciso los atien­do y se acabó.
Si la mala se encabri­ta me la aguan­to has­ta que amanse
y aunque siem­pre hay un ami­go, curo a solas mi dolor.
Me enseñó la mala racha que la suerte es mina ilusa,
Que, al final, se que­da siem­pre con aquel que está gril­lao.
Y aprendí en los des­en­can­tos, que si aflo­ja el de la zur­da,
es mejor que te amasi­jes porque al fin irás pal­mao.

Aunque seas bien dere­cho si andas seco te dan pifia.
Tra­ba­jan­do sos cualquiera y afanan­do sos señor.
Porque, al fin, has­ta la grela que com­parte tu cobi­ja
cuan­do ve man­gos en fila solo pien­sa “¿cuán­tos son?”.
Además, nadie pre­gun­ta de que “lao” llegó la bue­na,
la impor­tan­cia está en los man­gos aunque sal­gan de lo peor.
Y apren­des al triste pre­cio de tu cre­do en esta feria
que ni tiñe la vergüen­za, ni la gui­ta tiene hon­or.

Me enseñaron los ami­gos que estas firme si hay rebusque,
aprendí de los extraños que hay que abrirse del favor.
Y la vez, que por humano le di cuar­ta a un gil “cualunque”,
me dejó en la puer­ca vía sin con­fi­an­za y sin colchón.
Los demás te ven sacan­do por la pin­ta, como al naipe,
y al mar­carte “gil en puer­ta”, preg­o­nan­do que hay amor,
te saque­an has­ta el alma y después te dan el raje…
¡Pero nadie mira nun­ca que tenés un corazón!
Juan D’Arien­zo ; Ful­vio Sala­man­ca (Ful­vio Wer­fil Sala­man­ca); Car­los Bahr (Car­los Andrés Bahr)

Traduction libre

Je n’aime pas aller avec les canailles et aux giles (XXXX voir anec­dote sur le sujet) je donne un lais­sez-pass­er, quant aux autres si néces­saire, je m’oc­cupe d’eux et c’est tout.
Si le mau­vais se déchaîne, je le sup­porte jusqu’à ce qu’il se lève et bien qu’il y ait tou­jours un ami, je guéris ma douleur seul.
La mau­vaise série m’a appris que la chance est une gamine illu­soire, qu’à la fin, elle reste tou­jours avec celui qui est gril­lé.
Et j’ai appris dans les décep­tions, que si le sincère se détend, cela vaut mieux que de se pétrir (de coups), car à la fin vous finis­sez dans les pommes (pal­mao de pal­ma­do est endormir en lun­far­do).
Même si tu es très droit, si tu es sec, ils se moquent de toi.
En tra­vail­lant, tu es quel­conque et en trompant (arnaquant, volant), tu es un Mon­sieur.
Parce qu’en fin de compte, même la gonzesse (femme) qui partage votre cou­ver­ture (lit) quand elle voit des bif­fe­tons (bil­lets de 1 peso) alignés elle pense unique­ment à « com­bi­en il y en a ? ».
D’ailleurs, per­son­ne ne demande de quel côté vient le bon, l’im­por­tant ce sont les bil­lets même s’ils sor­tent du pire.
Et tu apprends au triste prix de ton cre­do dans cette foire qui ni la honte tache, ni le flouze (l’argent) n’a d’hon­neur.
Les amis m’ont appris à être ferme s’il y a une petite occa­sion (rebusque est un petit tra­vail sup­plé­men­taire, voire un amour pas­sager), j’ai appris d’in­con­nus qu’il faut s’ou­vrir à la faveur (peut aus­si sig­ni­fi­er prof­iter sex­uelle­ment).
Et la fois, que pour être humain, j’ai porté assis­tance à un gil quel­conque, il m’a lais­sé des scro­fules, sans con­fi­ance et sans mate­las (je ne suis pas sûr du sens).
Les autres te voient venir pour l’allure, comme aux cartes, et dès qu’ils te mar­quent « gil à la porte », procla­mant qu’il y a de l’amour, ils te pil­lent jusqu’à l’âme et ensuite ils te jet­tent dehors…
Mais per­son­ne ne voit jamais que tu as un cœur !
Ces con­seils de vie, se ter­mi­nent par Mais per­son­ne ne voit jamais que tu as un cœur ! Les con­seils cachent en fait un regard cri­tique et dés­abusé sur le monde con­tem­po­rain, sur les rela­tions humaines. En cela, ce tan­go rejoint d’autres tan­gos comme cam­bal­ache, tor­men­ta et tant d’autres qui dénon­cent les injus­tices et les abus.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de ce titre, mais D’Arienzo et Echagüe ont enreg­istré plusieurs tan­gos faisant appel au lun­far­do. En 1964, RCA a édité une sélec­tion de 12 de ces tan­gos dans un disque 33 tours.

Acad­e­mia del lun­far­do (1964). 12 tan­gos avec des paroles en lun­far­do par D’Arien­zo et Echagüe. Notre tan­go du jour est le pre­mier titre de la face 2.
Joyas del Lun­far­do (1996) reprend les 12 titres de 1964 et en rajoute 8.

Voici la liste des 20 titres du CD. Ceux qui sont en gras étaient dans le CD de 1964

1 Cartón junao (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela/Carlos Waiss)
2 Chichipía(Juan (D‘Arienzo / Héc­tor Varela / Car­los Waiss)
3 Bien pulen­ta (Car­los Waiss)
4 El nene del Abas­to (Ela­dio Blanco/Raúl Hor­maza)
5 Sarampión (Ela­dio Blanco/Raúl Hor­maza)
6 Cam­bal­ache (Enrique San­tos Dis­cépo­lo)
7 Pitu­ca (Enrique Cadícamo/José Fer­reyra)

8 El raje (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela)
9 Amar­ro­to (Miguel Buci­no / Juan Cao)
10 Bara­jan­do (Eduar­do Escaris Mendez)
11 Don Juan Mon­di­o­la (Anto­nio Oscar Arona)
12 Farabute (Joaquín Bar­reiro / Anto­nio Cas­ciani)
13 Cor­ri­entes y Esmer­al­da (Cele­do­nio Flo­res / Fran­cis­co Pracáni­co)
14 Y suma y sigue (Car­los Bahr / Juan D‘Arienzo / Ful­vio Sala­man­ca)
15 Che exis­ten­cial­ista (Mario Lan­di / Rodol­fo Mar­t­in­cho)
16 Pan comi­do (Enrique Dizeo)
17 Las cuarenta (Froilán Gor­rindo)
18 Que mufa che (Jorge Sturla (Tito Pueblo) / Luis Zam­bal­di)
19 Mi queri­da Sisebu­ta (Arman­do Gat­ti / Car­los Láz­zari / Anto­nio Poli­to)
20 Peringundín (Pin­tín Castel­lanos)

Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui.

Je ne vous dis pas à demain, car je vais faire une pause dans les anec­dotes, notam­ment pour essay­er de résoudre les prob­lèmes avec Face­book que cela énerve, mais aus­si, car le site sat­ure et que mon hébergeur me fait aus­si les gros yeux.

Un abra­zo énorme, des­de Buenos Aires où il fait encore bien froid…

Milonga del recuerdo 1939-07-17 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Alfonso Lacueva Letra: José Pecora

Notre milon­ga du jour est une milon­ga irré­sistible, la milon­ga du sou­venir Milon­ga del recuer­do. Le titre pour­rait faire penser à la milon­ga campera, ces chan­sons un peu plain­tives de l’univers des gau­chos comme Milon­ga triste            que chan­tait Mag­a­l­di en 1930 ou même des com­po­si­tions plus récentes comme celle de Piaz­zol­la, Milon­ga del ángel, ou Milon­ga en ay menor dans un style bien sûr très dif­férent. Mais comme vous pou­vez le con­stater, Milon­ga del recuer­do est un appel à se lancer sur la piste pour tous les danseurs. Ces derniers ne prêteront aucune atten­tion à la nos­tal­gie des paroles.

Ce manque d’at­ten­tion est ren­for­cé par le fait que Echagüe ne chante que le refrain et pas les cou­plets plus nos­tal­giques.

Extrait musical

Milon­ga del recuer­do 1939-07-17 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.
Milon­ga del recuer­do. Alfon­so Lacue­va Letra: José Pec­o­ra. À gauche la cou­ver­ture de la par­ti­tion, au cen­tre la tab­la­ture des accords et à droite, le disque. RCA Vic­tor 38767‑B. La face A était Dere­cho viejo 1939-07 une ver­sion instru­men­tale.

Paroles

Qué daría por ser joven y vivir aque­l­los días
Que se fueron ale­jan­do y no pueden más volver,
Aque­l­los años dichosos de las fies­tas tran­scur­ri­das
En el patio de la casa que me viera a mí, nac­er.
¿Dónde está la mucha­chi­ta, esa novia que besara?
Con los labios tem­blorosos encen­di­dos de pasión,
La que tan­to yo quería y siem­pre he recor­da­do
Porque fue el amor primero que no olvi­da el corazón.

¿Dónde están los cora­zones
de la lin­da muchacha­da?
¿Dónde están las ilu­siones
de aquel tiem­po que se fue?
Mi vie­ja dicha per­di­da
Hoy estás en el olvi­do,
Y yo que tan­to he queri­do
Siem­pre te recor­daré.

Las milon­gas de mi bar­rio al gemir de ban­do­neones
Entre notas melo­diosas de algún tan­go com­padrón,
Las pebe­tas sen­si­bleras impreg­nadas de ilu­siones
Que reían y canta­ban al influ­jo de un amor.
No se ve la muchacha­da a la luz del faroli­to
Comen­tan­do por las noches los idil­ios del lugar,
Ni se escuchan los acordes de las dul­ces ser­e­natas
Que llen­a­ban de emo­ciones y nos hacían soñar.

Alfon­so Lacue­va Letra : José Pec­o­ra

Echagüe ne chante que le refrain, en gras.

Traduction libre

Que don­nerais-je (on dirait plutôt en français : « que ne don­nerais-je pas ») pour être jeune et vivre ces jours qui se sont éloignés et qui ne peu­vent plus revenir, ces années heureuses des fêtes passées dans la cour de la mai­son qui m’a vu naître.
Où est la fille, cette fiancée que j’embrassais ?
Avec les lèvres trem­blantes et embrasées de pas­sion, celle que j’aimais tant et dont je me suis tou­jours sou­venu parce que c’était le pre­mier amour que le cœur n’oublie pas.
Où sont les cœurs de la belle bande d’amis ?
Où sont les illu­sions (émo­tions) de ce temps qui a dis­paru ?
Mon ancien bon­heur per­du est aujourd’hui oublié, et moi qui ai tant aimé, je me sou­viendrai tou­jours de toi.
Les milon­gas de mon quarti­er au gémisse­ment des ban­donéons entre les notes mélodieuses d’un tan­go com­pagnon, les poupées sen­ti­men­tales imprégnées d’illusions qui riaient et chan­taient sous l’influence d’un amour.
On ne voit pas la bande des gars à la lueur du lam­padaire com­menter la nuit les idylles du lieu ni on n’entend les accords des douces séré­nades qui nous rem­plis­saient d’émotions et nous fai­saient rêver.

Autres versions

Curieuse­ment, ce thème n’a pas été enreg­istré par d’autres orchestres. La mag­nifique ver­sion de D’Arienzo et Echagüe reste orphe­line même si cer­tains orchestres jouent cette milon­ga dans les bals.

Milon­ga del recuer­do 1939-07-17 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe

Une ver­sion intéres­sante par un orchestre de cham­bre con­tem­po­rain, le Cuar­te­to SolTan­go avec des arrange­ments de Mar­tin Klett.

https://on.soundcloud.com/1x1ZzHQoyXKUhL3f9 Quand les musi­ciens clas­siques s’essayent à la milon­ga.

À demain, les amis !

Nunca más 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Nun­ca más, est comme un cri lancé. Nun­ca más exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. Nun­ca más, c’est un des plus beaux thèmes enreg­istrés par D’Arienzo avec Mau­ré. Nun­ca más est une œuvre de deux des frères Lomu­to, Fran­cis­co qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tan­go qui exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. C’est notre tan­go du jour.

Extrait musical

Nun­ca más 1941-07-14 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.
Nun­ca más. Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to.

Paroles

En una noche de fal­sa ale­gría
tus ojos claros volví a recor­dar
y entre los tan­gos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuer­do matar.
Record­a­ba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida con­sagré,
pero ingra­ta te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi ale­gría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por bue­na
en tus dul­ces labios, nena,
me he que­ma­do el corazón.
Lin­da,
muñe­qui­ta mimosa,
siem­pre,
en mi corazón estás,
Nena,
acor­date de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuan­do dijo: ¡Nun­ca más!

Entre milon­gas y tim­bas, mi vida
pasan­do va estas horas inqui­etas,
de penas lleno, el alma oprim­i­da,
páli­do el ros­tro como una care­ta.
Arrepen­ti­da, nun­ca vuel­vas, jamás
a pedir des­o­la­da mi perdón.
¡No olvides que al decirme nun­ca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to

Traduction libre

Par une nuit de joie fac­tice, je me suis rap­pelé tes yeux clairs et entre les tan­gos, le vin et l’orgie, j’ai cher­ché fébrile­ment à tuer ton sou­venir.
Je me suis sou­venu de mon bon­heur sans pareil d’avoir con­sacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et soli­taire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illu­sion ») de ma vie, toute ma joie et ma pas­sion.
Mau­vaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es tou­jours, dans mon cœur, Petite, sou­viens-toi du cha­grin que ta bouche folle m’a don­né, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milon­gas et tim­bas (tripot, boîtes de jeu clan­des­tines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de cha­grins, l’âme oppressée, le vis­age pâle comme un masque.
Repen­tante, jamais tu ne reviens, jamais à deman­der, désolée, mon par­don.
N’oublie pas qu’en dis­ant plus jamais, tu m’as lais­sé, femme, sans cœur !… (la vir­gule change le sens de la phrase. Là, c’est prob­a­ble­ment lui qui est sans cœur, même s’il est sous-enten­du qu’elle a égale­ment été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon sub­tile de la met­tre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nun­ca más 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Gardel est le pre­mier à avoir enreg­istré le titre, env­i­ron deux ans après son écri­t­ure.

Nun­ca más 1927-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Trois ans après Gardel, Lomu­to enreg­istre le titre conçu avec son frère. Une ver­sion bien canyengue. Pas vilain, mais à réserv­er aux ama­teurs du genre. Le ban­donéon de Minot­to Di Cic­co est bien vir­tu­ose pour l’époque.

Nun­ca más 1931-08-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Alber­to Acuña y Fer­nan­do Díaz.

Une ver­sion plus tonique, qui mon­tre mieux la colère de l’homme aban­don­né. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs com­men­cent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas con­va­in­cu par ce duo. Ce ne sera pas ma ver­sion préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un prob­lème… Le plus éton­nant est que c’est la plus dif­fusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraî­nante, c’était juste un « mau­vais moment » à pass­er. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napoli­tano qui a rem­placé un autre frère de Lomu­to (Enrique) inter­vient de façon sym­pa­thique.

Nun­ca más 1931-11-10 — Alber­to Gómez con acomp. de gui­tar­ras.

Gómez pro­pose une ver­sion chan­tée, sans doute plus sym­pa­thique que celle de Gardel.

Nun­ca más 1932-01-12 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

On reste dans les ver­sions à écouter avec Ada Fal­cón. Elle met au ser­vice du titre sa dic­tion et son phrasé par­ti­c­uli­er. C’est un autre titre sym­pa­thique à écouter.

Nun­ca más 1941-07-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.

C’est notre tan­go du jour. Il reprend le début tonique de la ver­sion de 1931 de Lomu­to, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puis­sance. Une énergie fan­tas­tique se dégage de ce titre et don­nera un élan irré­press­ible aux danseurs. Ce qui est mer­veilleux est que Mau­ré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pen­dant son inter­ven­tion. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tan­go du jour…

Nun­ca más 1948-09-23 — Orques­ta Miguel Caló con Rober­to Arri­eta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est sur­pris par de nom­breux change­ments de tonal­ité. Même si la voix de Arri­eta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette ver­sion.

Nun­ca más 1950-04-25 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Miguel Mon­tero.

De fin à 1949 à fin 1950, Mon­tero a enreg­istré de quoi faire une tan­da calme et nos­tal­gique avec Lomu­to, mais je pense que ceux qui adorent Mon­tero sont plus des audi­teurs que des danseurs.

Nun­ca más 1956-08-31 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Sans son parte­naire ange, (D’Agostino), Var­gas pour­suit sa car­rière. L’orchestre de Toto pro­pose un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité. La voix de Var­gas est tou­jours mer­veilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nun­ca más 1974-12-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Avec son sec­ond chanteur fétiche, D’Arienzo renou­vèlera-t-il le suc­cès de la ver­sion de 1941 ? Pour moi, non. Cette ver­sion clin­quante comme beau­coup d’enregistrement de cette époque a lais­sé de côté la qual­ité de la danse au prof­it du spec­ta­cle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sen­si­b­lerie dans son inter­pré­ta­tion. Je vous con­seille de revenir au titre chan­té par Mau­ré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule ver­sion pour une milon­ga de qual­ité, celle de 1941, même si cer­taines autres fer­ont plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le cor­beau (The raven).En voici la ver­sion en anglais et à la suite, la ver­sion traduite en français par Charles Baude­laire.

Nev­er­more (Nun­ca más).

Paroles

‘Once upon a mid­night drea­ry, while I pon­dered, weak and weary,
Over many a quaint and curi­ous vol­ume of for­got­ten lore—
While I nod­ded, near­ly nap­ping, sud­den­ly there came a tap­ping,
As of some one gen­tly rap­ping, rap­ping at my cham­ber door.
“’Tis some vis­i­tor,” I mut­tered, “tap­ping at my cham­ber door—
Only this and noth­ing more.”

Ah, dis­tinct­ly I remem­ber it was in the bleak Decem­ber;
And each sep­a­rate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eager­ly I wished the mor­row; —vain­ly I had sought to bor­row
From my books surcease of sor­row – sor­row for the lost Lenore—
For the rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore—
Name­less here for ever­more.

And the silken, sad, uncer­tain rustling of each pur­ple cur­tain
Thrilled me – filled me with fan­tas­tic ter­rors nev­er felt before;
So that now, to still the beat­ing of my heart, I stood repeat­ing
“’Tis some vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door—
Some late vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door; —
This it is and noth­ing more.”

Present­ly my soul grew stronger; hes­i­tat­ing then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, tru­ly your for­give­ness I implore;
But the fact is I was nap­ping, and so gen­tly you came rap­ping,
And so faint­ly you came tap­ping, tap­ping at my cham­ber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Dark­ness there and noth­ing more.

Deep into that dark­ness peer­ing, long I stood there won­der­ing, fear­ing,
Doubt­ing, dream­ing dreams no mor­tal ever dared to dream before;
But the silence was unbro­ken, and the still­ness gave no token,
And the only word there spo­ken was the whis­pered word, “Lenore?”
This I whis­pered, and an echo mur­mured back the word, “Lenore!”–
Mere­ly this and noth­ing more.

Back into the cham­ber turn­ing, all my soul with­in me burn­ing,
Soon again I heard a tap­ping some­what loud­er than before.
“Sure­ly,” said I, “sure­ly that is some­thing at my win­dow lat­tice;
Let me see, then, what there­at is, and this mys­tery explore—
Let my heart be still a moment and this mys­tery explore; —
’Tis the wind and noth­ing more!”

Open here I flung the shut­ter, when, with many a flirt and flut­ter,
In there stepped a state­ly Raven of the saint­ly days of yore;
Not the least obei­sance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my cham­ber door—
Perched upon a bust of Pal­las just above my cham­ber door—
Perched, and sat, and noth­ing more.

Then this ebony bird beguil­ing my sad fan­cy into smil­ing,
By the grave and stern deco­rum of the coun­te­nance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghast­ly grim and ancient Raven wan­der­ing from the Night­ly shore—
Tell me what thy lord­ly name is on the Night’s Plu­ton­ian shore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

Much I mar­velled this ungain­ly fowl to hear dis­course so plain­ly,
Though its answer lit­tle mean­ing – lit­tle rel­e­van­cy bore;
For we can­not help agree­ing that no liv­ing human being
Ever yet was blessed with see­ing bird above his cham­ber door—
Bird or beast upon the sculp­tured bust above his cham­ber door,
With such name as “Nev­er­more.”

But the Raven, sit­ting lone­ly on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did out­pour.
Noth­ing far­ther then he uttered – not a feath­er then he flut­tered—
Till I scarce­ly more than mut­tered “Oth­er friends have flown before—
On the mor­row he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nev­er­more.”

Star­tled at the still­ness bro­ken by reply so apt­ly spo­ken,
“Doubt­less,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhap­py mas­ter whom unmer­ci­ful Dis­as­ter
Fol­lowed fast and fol­lowed faster till his songs one bur­den bore—
Till the dirges of his Hope that melan­choly bur­den bore
Of ‘Nev­er – nev­er­more’.”

But the Raven still beguil­ing all my fan­cy into smil­ing,
Straight I wheeled a cush­ioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the vel­vet sink­ing, I betook myself to link­ing
Fan­cy unto fan­cy, think­ing what this omi­nous bird of yore—
What this grim, ungain­ly, ghast­ly, gaunt, and omi­nous bird of yore
Meant in croak­ing “Nev­er­more.”

This I sat engaged in guess­ing, but no syl­la­ble express­ing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divin­ing, with my head at ease reclin­ing
On the cushion’s vel­vet lin­ing that the lamp-light gloat­ed o’er,
But whose vel­vet-vio­let lin­ing with the lamp-light gloat­ing o’er,
She shall press, ah, nev­er­more!

Then, methought, the air grew denser, per­fumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tin­kled on the tuft­ed floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy mem­o­ries of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and for­get this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il! —
Whether Tempter sent, or whether tem­pest tossed thee here ashore,
Des­o­late yet all undaunt­ed, on this desert land enchant­ed—
On this home by Hor­ror haunt­ed – tell me tru­ly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il!
By that Heav­en that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sor­row laden if, with­in the dis­tant Aidenn,
It shall clasp a saint­ed maid­en whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Be that word our sign of part­ing, bird or fiend!” I shrieked, upstart­ing–
“Get thee back into the tem­pest and the Night’s Plu­ton­ian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spo­ken!
Leave my lone­li­ness unbro­ken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

And the Raven, nev­er flit­ting, still is sit­ting, still is sit­ting
On the pal­lid bust of Pal­las just above my cham­ber door;
And his eyes have all the seem­ing of a demon’s that is dream­ing,
And the lamp-light o’er him stream­ing throws his shad­ow on the floor;
And my soul from out that shad­ow that lies float­ing on the floor
Shall be lift­ed – nev­er­more!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minu­it lugubre, pen­dant que je médi­tais, faible et fatigué, sur maint pré­cieux et curieux vol­ume d’une doc­trine oubliée, pen­dant que je don­nais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapote­ment, comme de quelqu’un frap­pant douce­ment, frap­pant à la porte de ma cham­bre. « C’est quelque vis­i­teur, — mur­mu­rai-je, — qui frappe à la porte de ma cham­bre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! dis­tincte­ment je me sou­viens que c’était dans le glacial décem­bre, et chaque tison bro­dait à son tour le planch­er du reflet de son ago­nie. Ardem­ment je désir­ais le matin ; en vain m’étais-je effor­cé de tir­er de mes livres un sur­sis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore per­due, pour la pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore, — et qu’ici on ne nom­mera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruisse­ment des rideaux pour­prés me péné­trait, me rem­plis­sait de ter­reurs fan­tas­tiques, incon­nues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apais­er le bat­te­ment de mon cœur, je me dres­sai, répé­tant : « C’est quelque vis­i­teur qui sol­licite l’entrée à la porte de ma cham­bre, quelque vis­i­teur attardé sol­lic­i­tant l’entrée à la porte de ma cham­bre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sen­tit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Mon­sieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre par­don ; mais le fait est que je som­meil­lais, et vous êtes venu frap­per si douce­ment, si faible­ment vous êtes venu taper à la porte de ma cham­bre, qu’à peine étais-je cer­tain de vous avoir enten­du. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scru­tant pro­fondé­ment ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mor­tel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas trou­blé, et l’immobilité ne don­na aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chu­choté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chu­chotais, et un écho à son tour mur­mu­ra ce mot : « Lénore ! » — Pure­ment cela, et rien de plus.
Ren­trant dans ma cham­bre, et sen­tant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bien­tôt un coup un peu plus fort que le pre­mier. « Sûre­ment, — dis-je, — sûre­ment, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mys­tère. Lais­sons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mys­tère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je pous­sai alors le volet, et, avec un tumultueux bat­te­ment d’ailes, entra un majestueux cor­beau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moin­dre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se per­cha au-dessus de la porte de ma cham­bre ; il se per­cha sur un buste de Pal­las juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; — il se per­cha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la grav­ité de son main­tien et la sévérité de sa phy­s­ionomie, induisant ma triste imag­i­na­tion à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimi­er, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien cor­beau, voyageur par­ti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneur­ial aux rivages de la Nuit plu­toni­enne ! » Le cor­beau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émer­veil­lé que ce dis­gra­cieux volatile entendît si facile­ment la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand sec­ours ; car nous devons con­venir que jamais il ne fut don­né à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa cham­bre, un oiseau ou une bête sur un buste sculp­té au-dessus de la porte de sa cham­bre, se nom­mant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le cor­beau, per­ché soli­taire­ment sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à mur­mur­er faible­ment : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aus­si, il me quit­tera comme mes anci­ennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tres­sail­lant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à‑propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infor­tuné que le Mal­heur impi­toy­able a pour­suivi ardem­ment, sans répit, jusqu’à ce que ses chan­sons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De pro­fundis de son Espérance eût pris ce mélan­col­ique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le cor­beau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîn­er les idées aux idées, cher­chant ce que cet augur­al oiseau des anciens jours, ce que ce triste, dis­gra­cieux, sin­istre, mai­gre et augur­al oiseau des anciens jours voulait faire enten­dre en croas­sant son Jamais plus !
Je me tenais ain­si, rêvant, con­jec­turant, mais n’adressant plus une syl­labe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient main­tenant jusqu’au fond du cœur ; je cher­chais à devin­er cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que cares­sait la lumière de la lampe, ce velours vio­let caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sem­bla que l’air s’épaississait, par­fumé par un encen­soir invis­i­ble que bal­ançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la cham­bre. “Infor­tuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a don­né par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressou­venirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore per­due !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon, mais tou­jours prophète ! que tu sois un envoyé du Ten­ta­teur, ou que la tem­pête t’ait sim­ple­ment échoué, naufragé, mais encore intrépi­de, sur cette terre déserte, ensor­celée, dans ce logis par l’Horreur han­té, — dis-moi sincère­ment, je t’en sup­plie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en sup­plie !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon ! tou­jours prophète ! par ce Ciel ten­du sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Par­adis loin­tain, elle pour­ra embrass­er une fille sainte que les anges nom­ment Lénore, embrass­er une pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore.” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le sig­nal de notre sépa­ra­tion, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redres­sant. — Ren­tre dans la tem­pête, retourne au rivage de la Nuit plu­toni­enne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme sou­venir du men­songe que ton âme a proféré ; laisse ma soli­tude invi­o­lée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et pré­cip­ite ton spec­tre loin de ma porte !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
Et le cor­beau, immuable, est tou­jours instal­lé, tou­jours instal­lé sur le buste pâle de Pal­las, juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; et ses yeux ont toute la sem­blance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruis­se­lant sur lui, pro­jette son ombre sur le planch­er ; et mon âme, hors du cer­cle de cette ombre qui gît flot­tante sur le planch­er, ne pour­ra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour ter­min­er, une ver­sion ciné­matographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simp­son (The Simp­sons) de Matt Groen­ingThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pou­vez affich­er les sous-titres dans la langue souhaitée…

Nada más 1938-07-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Nous avons vu il y a peu Un tan­go y nada más où j’évoquais l’existence d’une ving­taine de tan­go con­tenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils mar­quent des points, beau­coup de points.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano éditée par Jules Korn de Nada más.
Nada más 1938-07-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

La musique se déroule en par­ties s’opposant, de pas­sages martelés (ban­donéons et piano) et d’autres ondoy­ants (vio­lons). La voix de Echagüe se lance, pour un court pas­sage, le refrain, en totale har­monie avec la musique qui con­tin­ue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organ­i­sa­tion jusqu’à la fin. Une ver­sion pour danseurs. On notera que les petites accen­tu­a­tions du piano sont un peu plus dis­crètes que dans les dernières ver­sions avec Bia­gi au piano. Juan Poli­to est en train de trou­ver ses mar­ques pour suc­céder aux mains sor­cières de Rodol­fo Bia­gi.

Paroles

No quiero nada, nada más
que no me dejes, frente a frente, con la vida.
Me moriré si me dejás
por qué sin vos no he de saber vivir.

Y no te pido más que eso,
que no me dejes sucumbir,
te lo supli­co por Dios
no me quites el calor
de tu car­iño y tus besos,
que, si me fal­ta la luz
de tu mirar, que es mi sol,
será mi vida una cruz.

Cuán­ta nieve habrá en mi vida
sin el fuego de tus ojos!
Y mi alma, ya per­di­da,
san­gran­do por la heri­da,
se dejará morir,
y en la cruz de mis anh­e­los
llenaré de bru­mas mi alma,
morirá el azul del cielo,
sobre mi desvelo
vién­dote par­tir.

No quiero nada, nada más
que la men­ti­ra de tu amor, como limosna.
¿Qué voy a hac­er si me dejás
con el vacío de mi decep­ción?
No te vayas te lo ruego,
no destro­ces mi corazón,
si no lo hacés por amor
hace­lo por com­pasión
pero por Dios no me dejés
jamás te molestaré,
seré una som­bra a tus pies,
tira­da en algún rincón.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubis­tein Letra: Luis Rubis­tein

Echagüe ne chante que le refrain (en gras).
Rober­to Mai­da chante ce qui est en bleu.
Ada Fal­cón chante tout et ter­mine en reprenant le refrain (en gras).

Traduction libre

Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laiss­es pas face à face avec la vie.
Je mour­rai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre.
Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laiss­er suc­comber, je te sup­plie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affec­tion et de tes bais­ers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix.
Com­bi­en de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux !
Et mon âme, déjà per­due, saig­nant de la blessure, se lais­sera mourir, et sur la croix de mes désirs je rem­pli­rai mon âme de brouil­lards, le bleu du ciel mour­ra, sur mon insom­nie en te regar­dant par­tir.
Je ne veux rien, rien de plus que le men­songe de ton amour, comme une aumône.
Que vais-je faire si tu me laiss­es avec le vide de ma décep­tion ?
Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en sup­plie, ne détru­is pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par com­pas­sion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.

Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Une pre­mière ver­sion de la musique a été asso­ciée à des paroles, égale­ment de Rubin­stein à la gloire de Alfre­do Calle­jas surnom­mé « El Tigre » qui était un jock­ey fameux de l’hippodrome de Paler­mo (Buenos Aires). Son fils égale­ment prénom­mé Alfre­do a repris sa car­rière comme entraîneur et quit­ta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son com­pa­tri­ote Robert Pérez à New York (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernar­do a suivi le même chemin et a un éle­vage de chevaux à Bel­mont (USA).
Les paroles évo­quent Bland­engues. Il me sem­ble qu’il s’agit d’un lieu situé à Bar­ra­cas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jock­ey et entraîneur.
Le nom est égale­ment celui d’un rég­i­ment argentin créé au 18e siè­cle et dis­sous au 19e (notons qu’un rég­i­ment de ce nom existe tou­jours en Uruguay). Il est donc peu prob­a­ble que Alfre­do soit réelle­ment un mem­bre de Bland­engues. je pro­pose plutôt d’y voir un hom­mage his­torique, ce jock­ey rejoignant les illus­tres défenseurs de la patrie (con­tre les peu­ples pre­miers), ou tout sim­ple­ment son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu par­ti­c­ulière­ment prop­ice aux exploits équestres et au tan­go, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces prop­ices à ces exer­ci­ces. Aujourd’hui encore, un grand parc sub­siste, El par­que Leonar­do Pereyra.

Sos de Bland­engues el mejor
Y no hay quién ten­ga tu muñe­ca pa’ tal­lar,
Ni se conoce un cuidador
Con más car­pe­ta pa’ poder ganar.

Y de Bland­engues sos el mago
Que ha con­quis­ta­do más hala­gos,
“Tigre” Calle­jas, no hay qué hac­er­le
Se impone tu muñe­ca de gran “com­pos­i­tor”.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubis­tein Letra : Luis Rubis­tein

Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Tu es de Bland­engues le meilleur et il n’y a per­son­ne qui a ton poignet pour domin­er (tal­lar n’est pas à pren­dre dans le sens de tailler, mais de domin­er, c’est du lun­far­do), ni aucun soigneur con­nu avec plus d’habileté (car­pe­ta en lun­far­do) pour pou­voir gag­n­er.
Et de Bland­engues vous êtes le magi­cien qui a con­quis le plus d’éloges, « Tigre » Calle­jas, il n’y a rien à faire, votre tal­ent (muñe­ca en lun­far­do = habileté) de grand « com­pos­i­teur » s’impose (un com­pos­i­tor en lun­far­do est un pré­para­teur de chevaux de course).

Autres versions

Calle­jas solo (A Alfre­do Calle­jas) 1928 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Car­los Dante.

D’Arienzo et Rubin­stein avaient déjà util­isé cette même musique sous le titre Calle­jas solo. Vous recon­naîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrême­ment dif­férente. Heureuse­ment que Car­los Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet enreg­istrement.

Calle­jas solo 1930 — Orques­ta Eduar­do Bian­co.

Même si cette ver­sion instru­men­tale a été pub­liée sous le titre de Calle­jas Solo, la douceur de son inter­pré­ta­tion sem­ble plus adap­tée aux nou­velles paroles, celle de Nada más. La ver­sion française serait donc un précurseur des futures ver­sions.

Nada más 1938-07-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.
Nada más 1938-08-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

On remar­que tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Mai­da chante d’une voix cares­sante. On est aux antipodes de la ver­sion de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments dis­tincts de la milon­ga. Les deux sont par­faits pour la danse.

Nada más 1938-09-28 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Un mois plus tard, Canaro enreg­istre avec sa chérie, Ada Fal­cón une ver­sion à écouter. C’est absol­u­ment clair. L’orchestre intro­duit directe­ment le chant, puis par la suite ne sert que de ponc­tu­a­tion. Ada chante qua­si­ment a capel­la. C’est une ver­sion très éton­nante, mais pas­sion­nante.

Nada más 1958-07-10 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la ver­sion de D’Arienzo avec Echagüe avec celle inter­prétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Fal­cón.

Nada más 1971-12-20 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Mer­cedes Ser­ra­no.

Treize ans plus tard, D’Arienzo enreg­istre sa troisième ver­sion du titre avec Mer­cedes Ser­ra­no. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trou­ve que la ver­sion avec Mer­cedes Ser­ra­no en 1971 est bien plus intéres­sante que celle avec Jorge Valdez.

Pour ter­min­er la liste des ver­sions, je vous pro­pose un autre enreg­istrement, par les mêmes. Il s’agit d’une ver­sion enreg­istrée dans l’émission El Tan­go del Mil­lón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été col­orisée par Pablo Ramos qui effectue un tra­vail for­mi­da­ble, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Com­pás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui rem­plaça, à mon avis très effi­cace­ment, Jorge Valdez.

Juan D’Arienzo con Mer­cedes Ser­ra­no. 1971 ou 1975.

Et Jacques Brel, dans l’affaire ?

La pho­to de cou­ver­ture a sans doute éton­né cer­tains, je vous dois une expli­ca­tion, que vous avez peut-être déjà dev­inée en prenant con­nais­sance des paroles.
Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pou­vait être une référence au jock­ey Calle­jas, mais à cause des paroles de sa chan­son immortelle « Ne me quitte pas ».

Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.

En effet, elle se ter­mine par :

« Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
 »

Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.

Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubin­stein :

“jamás te molestaré,
seré una som­bra a tus pies,
tira­da en algún rincón.”

Luis Rubis­tein, fin des paroles de Nada más.

L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intri­g­ante, peut-être même inquié­tante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique som­bre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la ques­tion. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais aupar­a­vant, délectez-vous de la chan­son de Jacques Brel.

Ne me quitte pas, Jacques Brel

« Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve ».

Edmond Ros­tand (Cyra­no de Berg­er­ac)

À demain, les amis !

Después 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra : Homero Manzi

Hugo Gutiér­rez et Home­ro Manzi ont réal­isé avec ce tan­go le dif­fi­cile exer­ci­ce de par­ler de la mort avec une émo­tion rarement atteinte dans le tan­go, sans être oppres­sants. La ver­sion de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tan­go du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à met­tre en avant ce titre qui a à son ser­vice quelques-unes de plus belles inter­pré­ta­tions du réper­toire, de plus avec une grande var­iété. Entrons dans cette pen­sée triste qui se danse.

Extrait musical

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe
À gauche, cou­ver­ture de par­ti­tion Casa Amar­il­la avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Par­ti­tion Julio Korn de Después avec en cou­ver­ture Ani­bal Troi­lo.

Paroles

Después …
La luna en san­gre y tu emo­ción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubar­rón.
Luego …
irre­me­di­a­ble­mente,
tus ojos tan ausentes
llo­ran­do sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fati­ga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausen­cia leve
tu páli­do final.

Todo retor­na del recuer­do:
tu pena y tu silen­cio,
tu angus­tia y tu mis­te­rio.
Todo se abis­ma en el pasa­do:
tu nom­bre repeti­do…
tu duda y tu can­san­cio.
Som­bra más fuerte que la muerte,
gri­to per­di­do en el olvi­do,
paso que vuelve del fra­ca­so
can­ción hecha peda­zos
que aún es can­ción.

Después …
ven­drá el olvi­do o no ven­drá
y men­tiré para reír
y men­tiré para llo­rar.
Tor­pe
fan­tas­ma del pasa­do
bai­lan­do en el tinglado
tal vez para olvi­dar.
Y después,
en el silen­cio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gri­taré para vivir…
como si huy­era del recuer­do
en arrepen­timien­to
para poder morir.

Hugo Gutiér­rez Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émo­tion, et l’anticipation de la fin dans un nuage som­bre.
Plus tard… irrémé­di­a­ble­ment, tes yeux si absents pleu­rant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me bat­tre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton cha­grin et ton silence, ton angoisse et ton mys­tère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri per­du dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chan­son en miettes qui est encore une chan­son.
Après…
L’oubli vien­dra ou il ne vien­dra pas et je men­ti­rai pour rire
Et je men­ti­rai pour pleur­er.
Un fan­tôme mal­adroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins som­maire à hangar), peut-être pour oubli­er.
Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de soli­tude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le sou­venir en repen­tirs pour pou­voir mourir.

Autres versions

Después 1943–1944 — Nel­ly Omar accomp. Gui­tare de José Canet.

Je com­mence par cet enreg­istrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieuse­ment, il est très rarement indiqué, y com­pris dans des sites générale­ment assez com­plets comme tango-dj.at ou El Reco­do. Je l’indique comme étant de 1943–1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix mer­veilleuse­ment chaude de Nil­da Elvi­ra Vat­tuone alias Nel­ly Omar accom­pa­g­née par la gui­tare de José Canet nous pro­pose une ver­sion fan­tas­tique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Dès les pre­mières notes, l’ambiance est impres­sion­nante. On pour­rait penser à un film de sus­pens. La mag­nifique voix de Iri­arte, plus rare que celle de Berón, con­vient par­faite­ment au titre. Si vous n’aimez pas avoir des fris­sons et les poils qui se dressent, évitez cette ver­sion pro­posée par Miguel Caló et Raúl Iri­arte très émou­vante.

Después 1944-03-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Avec Troi­lo, on reste avec une très belle ver­sion musi­cale. Le gron­de­ment des ban­donéons me sem­ble moins émou­vant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me sem­ble aller un peu au détri­ment de la danse. Ce ne sera donc pas ma ver­sion préférée pour la milon­ga.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no. La voix de Lib­er­tad Lamar­que est très dif­férente de celle de Nel­ly Omar, mais tout aus­si cap­ti­vante. Elle béné­fi­cie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Mau­ra­no dont le piano ressort avec beau­coup de justesse (je pré­cise que je par­le de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je par­le de lui…).

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour. Comme tou­jours, la ver­sion de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième ver­sion de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroy­able diver­sité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trou­ver un peu bavarde. Echagüe, met beau­coup de pres­sion. Le résul­tat est dans­able, mais il me sem­ble que d’autres titres inter­prétés par D’Arienzo le rem­placeront avan­tageuse­ment dans une tan­da de D’Arienzo et Echagüe, notam­ment ceux de la pre­mière péri­ode. Después est le pre­mier titre enreg­istré par cette com­po­si­tion après cinq années sans enreg­istrement et il me sem­ble que cette asso­ci­a­tion met­tra un peu de temps avant de retrou­ver une har­monie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absen­té de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recom­mence à enreg­istr­er. Son Después fait par­tie de ces enreg­istrements français qui prou­vent que la dis­tance entre les deux mon­des n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares ver­sions pure­ment instru­men­tales.

Después 1974-05-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rubén Juárez (Pro­gra­ma En Hom­e­na­je a Home­ro Manzi — Con­duc­ción Anto­nio Car­ri­zo).

Cette ver­sion a été enreg­istrée lors d’une émis­sion en pub­lic en hom­mage à Home­ro Manzi décédé exacte­ment 23 ans plus tôt. Il me sem­ble que cette ver­sion Troi­lo - Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qual­ité sonore.

Después 1974 — Rubén Juárez Accomp. Arman­do Pon­tier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précé­dent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Arman­do Pon­tier, égale­ment ban­donéon­iste. Cepen­dant, dans cette ver­sion, il se « con­tente » de chanter.

Después 1977-05-13 — Rober­to Goyeneche con la Orques­ta Típi­ca Porteña dirigi­da por Raúl Garel­lo.

Le ban­donéon de Raúl Garel­lo annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette ver­sion. El Pola­co (Rober­to Goyeneche) donne une ver­sion extrême­ment émou­vante et l’orchestre l’accompagne par­faite­ment dans les ondu­la­tions de la musique. Cette ver­sion fait ressor­tir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui déci­da de con­sacr­er sa vie à l’art pop­u­laire et nation­al du tan­go plutôt que de rechercher les hon­neurs qui aurait pu s’attacher à la car­rière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous pro­pose d’arrêter avec ce titre très émou­vant et donc de pass­er sous silence les ver­sions de Pugliese avec Abel Cór­do­ba qui sor­tent, à mon avis, du champ du tan­go pour entr­er dans autre chose, sans doute une forme de musique clas­sique mod­erne, mais sans l’émotion que sus­cite générale­ment le tan­go.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

Mandria 1957-06-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich; Francisco Brancatti

Man­dria, encore un grand tan­go, adoré par les danseurs. Si ce sont les ver­sions de D’Arienzo qui sont les plus con­nues, il y a d’autres ver­sions intéres­santes et que je vous pro­pose ici. Atten­tion, on entre dans l’univers hos­tiles des gau­chos, man­drias, s’abstenir.

Extrait musical

Man­dria 1957-06-29 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Mario Bus­tos
Par­ti­tion de Man­dria. On voit le com­bat avec les reben­ques.

Paroles

Tome mi pon­cho… No se afli­ja…
¡Si has­ta el cuchil­lo se lo presto!
Cite, que en la can­cha que usté eli­ja
he de dir y en fija
no pon­dré mal gesto.

Yo con el cabo ‘e mi rebenque
ten­go ‘e sobra pa’ cobrarme…
Nun­ca he sido un maula, ¡se lo juro!
y en ningún apuro
me sabré achicar.

Por la mujer,
creamé, no lo busqué…
Es la acción
que le viché
al varón
que en mi ran­cho cobi­jé…
Es su mal­dad
la que hoy me hace sufrir :
Pa’ matar
o pa’ morir
vine a pelear
y el hom­bre ha de cumplir.

Pa’ los sotre­tas de su laya
ten­go güen bra­zo y estoy lis­to…
Tome… Abara­je si es de agaya,
que el varón que taya
debe estar pre­vis­to.
Esta es mi mar­ca y me asu­je­to.
¡Pa’ qué pelear a un hom­bre man­dria !
Váyase con ella, la cobarde…
Dígale que es tarde
pero me cobré.

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich ; Fran­cis­co Bran­cat­ti

Traduction libre et indications

Prenez mon pon­cho… Ne vous affligez pas…
Et jusqu’au couteau, je vous le prête !
Racon­tez, que dans le lieu (ter­rain pour le duel, se dit aus­si du ter­rain de foot) que vous choi­sis­sez, il faut dire et assuré­ment (fija en lun­far­do, chose sûre), je n’aurai pas de mau­vais geste.
Moi, avec la tête de mon fou­et j’ai large­ment pour me cou­vrir (pro­téger)…

Cabo de rebenque (tête de fou­et de gau­cho). On voit la drag­onne qui per­met de le tenir fer­me­ment au poignet et la boule de métal qui devait don­ner de forts mots de tête quand elle entrait en con­tact avec le crâne de l’adversaire…

Je n’ai jamais été un lâche, je vous le jure !
Et sans aucune urgence je saurais me faire petit.
Pour la femme, croyez-moi, je ne l’ai pas cher­ché…
C’est l’action que j’ai vue de l’homme que j’ai hébergé dans mon ranch…
C’est sa méchanceté qui aujourd’hui me fait souf­frir :
Pour tuer ou pour mourir, je suis venu me bat­tre et l’homme doit s’y con­former.
Pour un mal­otru de ce type, j’ai un bon bras et je suis prêt…
Prenez… Abat­tu s’il est fait de galle, (agaya = agal­la = excrois­sance qui se forme sur un arbre à cause de la piqûre d’un insecte) que le mec qui a par­lé doit être prévenu.
C’est ma devise et je m’y tiens.
Pourquoi com­bat­tre un homme pleu­tre !
Allez avec elle, la lâche…
Dites-lui qu’il est tard, mais que j’ai été payé.

J’ai quelques doutes sur l’interprétation, est-ce qu’au final il a mis une raclée avec son fou­et au type qui était allé avec sa femme et qu’il chas­se les deux, ou qu’il ne prend pas la peine de s’attaquer au pleu­tre (man­dria) et qu’il le chas­se avec la femme infidèle.

Autres versions

Man­dria 1927-03-17 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras.

Man­dria 1927-03-17 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras. Les presta­tions de Rosi­ta, l’artiste à la mode rem­portèrent beau­coup de suc­cès au théâtre et à la radio, ce qui lança le titre com­ment en témoignent les autres enreg­istrements réal­isés dans les deux mois qui suivirent. Dans cet enreg­istrement, elle est accom­pa­g­née de trois gui­taristes. Sa voix, mar­quée de souf­france l’avait fait surnom­mée, la tou­jours blessé (La eter­na heri­da) ou la muse pau­vre (La musa mis­ton­ga), car elle était un pro­duit des faubourgs dont elle avait la dic­tion et la gouaille. En 1927, elle était au fait de sa gloire et l’année précé­dente, Anto­nio Poli­to et Cele­do­nio Flo­res pour les paroles, lui avaient écrit un tan­go La musa mis­ton­ga.

Rosi­ta Quiroga, La musa mis­ton­ga
Man­dría 1927-03-25 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une Jolie ver­sion, assez lente et bien dans­able.

Man­dría 1927-05-10 – Orques­ta Osval­do Frese­do

La ver­sion de Frese­do a des points com­muns avec celle de Fir­po.

Man­dria 1927-05-19 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta

Encore une ver­sion assez proche, un tem­po plus mar­qué, mais bien sûr, la grande dif­férence est le refrain chan­té par Agustín Irus­ta.

Avec Canaro se ter­mi­nent les enreg­istrements de la pre­mière vague. Qua­tre en deux mois, c’est un beau suc­cès pour le titre, mais atten­dez la suite…

Man­dria 1939-08-09 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Après une pause de douze ans, une nou­velle ver­sion de notre titre du jour. C’est sans doute la ver­sion la plus célèbre. Con­traire­ment aux ver­sions de la décen­nie précé­dente on est face à un titre énergique, bril­lant, qui donne envie de danser.

Man­dria 1954-04-22 — Orques­ta Eduar­do Del Piano con Mario Bus­tos.

Une ver­sion chan­tée avec une voix un peu recher­chée. Pas for­cé­ment la ver­sion préférée des danseurs.

Man­dria 1957-06-29 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Mario Bus­tos. C’est notre tan­go du jour.

Trois ans plus tard, Bus­tos enreg­istre le thème avec D’Arienzo qui lui est aus­si avec sa deux­ième ver­sion, la pre­mière étant de 18 ans plus anci­enne, avec Echagüe.
Il est intéres­sant de com­par­er la ver­sion de Del Piano avec celle de D’Arienzo, elles sont proches en date et c’est le même chanteur. Del Piano a lais­sé plus de lib­erté à Bus­tos et même si D’Arienzo laisse Bus­tos chanter toutes les paroles, il reste dans le cadre de la danse, ce qui n’est aps tou­jours le cas d’autres orchestre de l’époque qui aug­mentent aus­si forte­ment la part chan­tée des tan­gos.

Man­dria 1970 — Orques­ta Juan Cam­bareri con Héc­tor Berar­di.
Man­dria 1980c — Los Man­cifes­ta con Car­los Teje­da.
Man­dria 2022 — El Cachivache Quin­te­to.

El rebenque

On a déjà par­lé de l’armement des gau­chos, notam­ment du facón (couteau) et du pon­cho (enroulé autour du bras en pro­tec­tion).

L’arme d’aujourd’hui est le rebenque. C’est une sorte de cravache ou de fou­et court. D’un côté, il y a la poignée (cabo) et de l’autre, la queue.

À gauche, un rebenque entier avec au pre­mier plan el cabo en métal. La tenue du rebenque avec la drag­onne au poignet. Com­bat au rebenque selon une illus­tra­tion de Moli­na. Le pon­cho enroulé sur le bras sert à se pro­téger. Rebenque et facón, deux armes red­outa­bles, dessins de Mario Lopez Osornio Ici, il tient le rebenque par la queue. On imag­ine donc le résul­tat de la fappe du cabo sur l’adversaire. Dans le com­bat, le rebenque sert égale­ment à désarmer l’adversaire de son couteau.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Mi ser­e­na­ta est un superbe tan­go chan­son, écrit par Edgar­do Dona­to. Il l’a enreg­istré à deux repris­es, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous pro­pose aujourd’hui la sec­onde ver­sion, moins con­nue que celle réal­isée 12 ans plus tôt. C’est le soir, lais­sez-vous bercer par cette séré­nade et soyez sym­pas, répon­dez aux chanteurs, pas comme la pim­bêche de ce tan­go.

Les rues de Buenos Aires et des alen­tours regorgeaient d’âmes seules et de musi­ciens, chanteurs, tou­jours prêts à pouss­er la chan­son­nette, notam­ment pour con­quérir une belle.
La séré­nade, favorisée par les nuits générale­ment clé­mentes de la région, fai­sait donc flo­res.
Le tan­go témoigne de cet engoue­ment, avec au moins une trentaine de titres con­tenant Ser­e­na­ta. Ce sont majori­taire­ment des tan­gos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pou­vait s’agir aus­si de habaneras ou boléros.
Le céré­mo­ni­al de la séré­nade pas­sait par la chan­son sous le bal­con, de l’autre côté de la clô­ture, comme dans la ver­sion d’aujourd’hui, par fois sur le bal­con, comme dans Ser­e­na­ta que nous avons déjà évo­qué… Nor­male­ment, la femme devait allumer une lumière pour sig­naler qu’elle était à l’écoute et si tout se pas­sait bien, le chanteur pou­vait espér­er aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au bal­con de façon acro­ba­tique, sauter la bar­rière, ou recevoir l’accueil sus­picieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi ser­e­na­ta 1952-06-25 – Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da y Alber­to Podestá.

La voix grave de Alma­da et la plus aigüe de Podestá for­ment un assez bel ensem­ble.

Mi ser­e­na­ta, Par­ti­tion avec Dona­to et Gavi­o­li en pho­to

Vous remar­querez qu’il est indiqué « Tan­go can­ción » (tan­go chan­son). Il est écrit égale­ment que les pal­abras (paroles) sont de Juan C. Thor­ry, que la musique est de Edgar­do Dona­to et que c’est une créa­tion de Romeo Gavio. Cela nous indique cer­taine­ment qu’avant de l’enregistrer, il l’a chan­té sur une des scènes de Buenos Aires.
La par­ti­tion est dédi­cacée par Dona­to à José Lec­toure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne con­naissiez pas ces deux indi­vidus, voici leur pho­to et leur CV.

Ismael Pace et José Lec­toure en com­pag­nie de tech­ni­ciens de la con­struc­tion du Sta­di­um Luna Park dont ils sont les pro­prié­taires (pho­to de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas dev­iné qui étaient réelle­ment les dédi­cataires… Le Luna Park est une immense salle de spec­ta­cle de Buenos Aires, on se sou­vient que Canaro l’a util­isée pour les car­navals à par­tir de 1936, voir par exem­ple Después del car­naval 1941-06-19 Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est aus­si une salle où des com­bats de boxe sont don­nés, tout aus­si vio­lents que les meet­ings poli­tiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la dédi­cace. Ils étaient amis de Dona­to, mais le thème de ce tan­go ne sem­ble pas totale­ment adap­té aux per­son­nages. On les imag­ine dif­fi­cile­ment grat­tant une gui­tare sous un bal­con, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi corazón
brindarte quiero un can­tar
que sea el refle­jo fiel
de car­iño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrel­la guiñó
y aquel día for­jé
mi primera ilusión.
Ser­e­na­ta que allí
para ti impro­visó mi amor,
tu prome­sa de amor,
tu mira­da, un clav­el,
dieron pre­mio a mi can­ción.

Hoy que ya el tiem­po pasó,
vine a tu reja a can­tar,
silen­cio fue el respon­der
a este triste dolor
que tu ausen­cia dejó.

Edgar­do Dona­to Letra: Juan Car­los Thor­ry (José Anto­nio Tor­rontegui)

Traduction libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chan­son qui soit le reflet fidèle d’une affec­tion sans pareille, fille de mon sen­ti­ment amoureux (ilusión, n’est pas une illu­sion…).
À ta clô­ture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes pre­miers sen­ti­ments.
Une séré­nade que là, pour toi, j’ai impro­visé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œil­let, ont don­né un prix (récom­pense) à ma chan­son.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clô­ture pour chanter, le silence a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a lais­sée.

Autres versions

Mi ser­e­na­ta 1940-01-11 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Romeo Gavio y Lita Morales.

C’est la pre­mière ver­sion, enreg­istrée par l’auteur, avec le duo gag­nant Lita Morales et Romeo Gavi­o­li. Qui d’autre que Roméo pou­vait lancer la séré­nade à Juli­ette, par­don, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un cou­ple dis­cret comme nous l’avons évo­qué lors de notre anec­dote sur El adios.
C’est sans doute la ver­sion préférée de la plu­part des danseurs et elle le mérite.

Mi ser­e­na­ta 1952-06-25 – Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da y Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.
Mi ser­e­na­ta 1955-09-02 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Mon­tero.
Mi ser­e­na­ta 1973 — Los Solis­tas de D’Arien­zo con Osval­do Ramos y Alber­to Echagüe
Mi ser­e­na­ta 1980 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Marce­lo Bion­di­ni y Gabriel Rey­nal.

Il s’appelle aus­si Dona­to, mais c’est son prénom et le résul­tat n’est pas for­cé­ment con­va­in­cant.

Mi Ser­e­na­ta 2022-06 — El Cachivache Quin­te­to. Sans doute la palme de l’originalité pour cette ver­sion.

Et pour ter­min­er, une belle ver­sion de la Roman­ti­ca Milonguera en video. C’est de 2017, donc logique­ment après la ver­sion de El Cachivache, mais je trou­ve plus sym­pa de ter­min­er ain­si.
C’est de nou­veau un duo, homme femme, comme la pre­mière ver­sion de 1940 par Dona­to. La boucle est fer­mée.

Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera avec Rober­to Minon­di et Marisol Mar­tinez en duo — “Mi ser­e­na­ta”

À demain les amis !

Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias

Pen­sa­lo bien, pense-le bien, ce titre est qua­si indis­so­cia­ble de la ver­sion du jour par Juan D’Arienzo et Alber­to Echagüe. Nous nous fer­ons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Bia­gi et Echagüe.

Pour ce qui est de la par­tic­i­pa­tion de Rodol­fo Bia­gi à la réal­i­sa­tion de ce chef‑d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enreg­istrement de Bia­gi avec D’Arienzo. Pour être pré­cis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enreg­istre Cham­pagne tan­go qui porte le numéro de matrice suiv­ant (12 364 con­tre 12 363 pour Pen­sa­lo bien). Les enreg­istrements suiv­ants se fer­ont avec Juan Poli­to, D’Arienzo ayant mis à la porte Bia­gi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.

Extrait musical

Penb­sa­lo bien. Juan José Vis­ciglio Letra: Nolo López; Julio Alber­to Can­tu­ar­ias. Arrange­ment de Charles Gor­czyn­s­ki. Il est indiqué Calvera sur la par­ti­tion au lieu de Vis­ciglio, mais c’est bien la par­ti­tion de la ver­sion de Vis­ciglio… À droite, une appli­ca­tion intéres­sante, Chordi­fy, qui per­met d’avoir les accords qui s’affichent en même temps que la lec­ture de la musique.
Pen­sa­lo bien 1938-06-22 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Le début stac­ca­to des ban­donéons, suivi de tous les instru­ments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directe­ment dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo effi­cace. Des phras­es des vio­lons adoucis­sent et con­trastent ce mar­quage appuyé du rythme.
Le thème prin­ci­pal appa­raît à 30 sec­on­des. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des con­tre­points du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 sec­on­des… Heureuse­ment qu’il y a eu deux pris­es de ce titre le même jour, cela lui a per­mis de chanter 50 sec­on­des…. À par­tir de 1:51, les ban­donéons explosent la cadence en pas­sant à des stac­catos en dou­bles croches. La vitesse n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si.
C’est sim­ple, effi­cace, dansant. Du bon tan­go de danse, le fait que son suc­cès ne se démente pas 86 ans plus tard le prou­ve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux pre­mières notes de ce thème, le tan­go vivra.

Paroles

No te pido expli­ca­ciones
No me gus­tan las esce­nas,
¿Decís que vas a dejarme?
Andá, qué le voy a hac­er.
Si es cier­to que has de mar­charte
Me causará mucha pena,
Mas pre­fiero esa fran­queza
A un inno­ble pro­ced­er.
No me expli­co por qué causa
Decidiste dar tal paso,
Si ayer mis­mo me juraste:
“Sos el dueño de mi amor.”
¿Te ha cansa­do la pobreza ?
¿Ya no me quieres, aca­so?
O encon­traste quien te quiera
Con más car­iño y fer­vor.

Pen­sa­lo bien
Antes de dar ese paso,
Que tal vez mañana aca­so
No puedas retro­ced­er.
Pen­sa­lo bien,
Ya que tan­to te he queri­do,
Y lo has echa­do al olvi­do
Tal vez por otro quer­er.

Te agradez­co los momen­tos
Más felices de mi vida,
Yo sé que vos me tra­jiste
La luz en mi soledad.
Ya ciego cor­rí a tu encuen­tro
A des­cansar en tus bra­zos,
Y mis noches angus­tiosas
Con tu paz, las bor­ré.
Es por eso que te imploro
De rodil­las : « No te vayas. »
Más que nun­ca yo pre­ciso
Las cari­cias de tu amor.
Escuchame… te supli­co
Por mi vieji­ta queri­da,
¡No te vayas!, Acor­date
Que vos juraste por Dios.

Juan José Vis­ciglio Letra: Nolo López ; Julio Alber­to Can­tu­ar­ias

Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 sec­on­des qui restent dans l’oreille, une mer­veille.

Les paroles du refrain dites par Fer­nan­do Ser­ra­no.

Traduction libre

Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes.
Tu dis que tu vas me quit­ter ?
Va. Qu’est-ce que je vais faire ?
S’il est vrai que tu dois par­tir, cela me causera beau­coup de cha­grin.
Mais je préfère cette fran­chise à un igno­ble procédé.
Je ne com­prends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais :
« Tu es le pro­prié­taire de mon amour. »
La pau­vreté t’a fatiguée ?
Tu ne m’aimes plus, peut-être ?
Ou tu as ren­con­tré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de fer­veur.

Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pour­ras pas revenir en arrière.
Pense-le bien.
Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.

Je te remer­cie pour les moments les plus heureux de ma vie.
Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma soli­tude.
Alors aveu­gle, j’ai cou­ru à ta ren­con­tre pour me repos­er dans tes bras.
Et mes nuits angois­sées, avec ta paix, je les avais effacées.
C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. »
Plus que jamais j’ai besoin des caress­es de ton amour.
Écoute-moi… Je t’en sup­plie pour ma chère mère.
Ne pars pas !
Rap­pelle-toi que tu as juré par Dieu.

Autres versions

Il existe trois tan­gos por­tant le titre Pen­sa­lo Bien, mais un seul enreg­istrement nous restitue la créa­tion de Juan José Vis­ciglio, Nolo López et Julio Alber­to Can­tu­ar­ias à l’époque de l’âge d’or du tan­go de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre tan­go du jour. Bien sûr, des orchestres con­tem­po­rains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en pro­pose deux.

Mais aupar­a­vant, je vais vous présen­ter les « faux » Pen­sa­lo bien.

Les « faux » Pensalo bien

Évidem­ment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas con­nu le même suc­cès que notre tan­go du jour.

Pensalo bien composé par Edgardo Donato

Pen­sa­lo bien 1926-12-14 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Cette ver­sion instru­men­tale a été com­posée par Edgar­do Dona­to. Dès les pre­mières sec­on­des, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instru­men­tal, per­son­ne ne pour­ra penser qu’il a le même titre que notre tan­go du jour.

Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López

C’est la ver­sion éti­quetée par erreur dans la par­ti­tion pub­liée par Charles Gor­czyn­s­ki. On remar­quera tout de suite que cette ver­sion n’a rien à voir avec la par­ti­tion présen­tée qui est bien celle de la ver­sion de Juan José Vis­ciglio (notre tan­go du jour).

Pen­sa­lo bien 1929-10-10 — Orques­ta Rober­to Fir­po con Teó­fi­lo Ibáñez.
Pen­sa­lo bien 1929-10-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.
Pen­sa­lo bien 1929-12-17 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Comme bien sou­vent, Canaro enreg­istre une ver­sion de danse et une ver­sion chan­son. Cette dernière avec Ada Fal­cón.

Pen­sa­lo bien 1959-09-21 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca con Luis Cor­rea.

30 ans plus tard, Sala­man­ca pro­pose cette ver­sion qui, je le recon­nais, aurait pu ne pas faire par­tie de ma sélec­tion…

Le « vrai » Pensalo bien

Pen­sa­lo bien 1938-06-22 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.
Pen­sa­lo Bien — Sex­te­to Milonguero con Javier di Ciri­a­co.

Pen­sa­lo Bien — Sex­te­to Milonguero con Javier di Ciri­a­co. Ce sex­te­to, aujourd’hui dis­paru, avait pro­posé des ver­sions per­son­nelles des grands suc­cès du tan­go. Ici, Pen­sa­lo Bien, chan­té par son leader, Javier Di Ciri­a­co. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sex­te­to et de la part de cet orchestre, on pour­rait atten­dre une ver­sion un peu plus énergique, mais c’est sym­pa­thique tout de même.

Pour ter­min­er, une ver­sion un peu « cabo­tine » de Fer­nan­do Ser­ra­no… 

Pen­sa­lo bien 2020, Fer­nan­do Ser­ra­no

C’est dans­able et si tout comme la ver­sion du Sex­te­to Milonguero, ça ne peut pas faire oubli­er l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recev­able danse une milon­ga. L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle mon­tre les deux instru­men­tistes (pianiste et ban­donéon­iste) à l’œuvre.

Pensez‑y bien, et à demain les amis !

Para ti madre 1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

¡Madre hay una sola! chan­tait Gardel dans le tan­go du même nom. La valse du jour est une valse pour les mères que l’on fête en Argen­tine le 3dimanche d’octobre. Ce n’est donc pas tout de suite que les Argentins vont pass­er cette valse à leur maman, en revanche, dans beau­coup d’autres pays, cela se fête en mai. Cer­tains vont donc pou­voir l’utiliser bien­tôt…

Extrait musical

Par­ti­tion de Para ti, Madre.
Para ti madre 1932-05-04 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta. Près de 30 sec­on­des d’introduction, le temps d’aller chercher sa mère pour la faire danser.

Paroles

Este mun­do, donde todo es leve humo,
men­ti­ra, hojaras­ca,
por sobre toda pequeñez humana,
por sobre toda grandeza vac­ua,
como un beso de dios, hecho mate­ria,
un sim­bo­lo, la madre se lev­an­ta

Dichoso tiem­po aquel de la niñez mar­avil­losa,
infan­cia de oro y miel, ben­di­ta edad de ingenuidad,
el mun­do era un edén en donde el bien rein­a­ba
y lleno de ilusión era feliz el corazón.
Cari­cia mater­nal, mano leal y gen­erosa,
ter­nu­ra sin igual, mun­do ide­al, col­or de rosa.
Del ven­tur­oso ayer sólo quedó el recuer­do,
la vida dura y cru­el ya me enseñó lo que es dolor.

Mi corazón san­grante ten­go
en el pesar más cru­el sum­i­do,
extraña el buen calor del nido
y en la can­ción
se der­ra­ma su emo­ción.
Evo­cación del bien per­di­do
es para ti la can­ción
y a acari­ciar tus oídos
irán los lati­dos
de mi corazón.

Aho­ra que no estás, te sien­to más hon­do en el alma
y nadie ha de poder bor­rar, jamás, tu ima­gen fiel.
Aho­ra que no estás es tan tenaz la angus­tia
de haber sido, quizás, algu­na vez un poco cru­el.
El eco de tu voz, que es voz de Dios, vibra en mi oído
y es sop­lo alen­ta­dor que da val­or al abati­do.
Tu beso inma­te­r­i­al pasa mi sien rozan­do
y aunque no estás aquí, muy mater­nal, velas por mí.

José Moc­ci­o­la Letra : Venan­cio Clau­so

Agustín Irus­ta ne chante que ce qui est en gras, c’est-à-dire que le plus triste de la chan­son n’est pas évo­qué. C’est mieux pour le chanter à sa mère si vous avez la chance de l’avoir encore en vie…
En bleu, ce qui est dit ou chan­té selon les ver­sions par Echagüe et seule­ment par lui, dans les années 70.
Car­los Dante et Ada Fal­cón chantent toutes les paroles (sauf ce qui est bleu, qui n’appartient qu’à Echagüe).

Traduction libre

Temps bien­heureux de l’enfance mer­veilleuse, une enfance d’or et de miel, une époque bénie de naïveté. Le monde était un Éden où le bien rég­nait et où le cœur était heureux et plein d’illusions.
Caresse mater­nelle, main loyale et généreuse, ten­dresse sans pareille, monde idéal, couleur de rose. Du passé heureux, il ne reste que le sou­venir, la vie dure et cru­elle m’a déjà appris ce que c’est que la douleur.
Mon cœur saig­nant est sub­mergé par les regrets les plus cru­els, il manque de la bonne chaleur du nid et dans le chant se déverse son émo­tion.
Une évo­ca­tion du bien per­du, la chan­son est pour toi, et en cares­sant tes oreilles, vien­dront les bat­te­ments de mon cœur.
Main­tenant que tu n’es plus, je te sens au plus pro­fond de mon âme et per­son­ne ne pour­ra jamais effac­er ton image fidèle.
Main­tenant que tu es par­tie, l’angoisse d’avoir été, peut-être, par­fois un peu cru­el est si tenace.
L’écho de ta voix, qui est la voix de Dieu, vibre à mon oreille et est un souf­fle encour­ageant qui donne du courage à celui qui est abat­tu.
Ton bais­er immatériel effleure ma tempe et même si tu n’es pas là, tu veilles sur moi d’une manière si mater­nelle.

Autres versions

Quelques-uns des dis­ques présen­tés, de gauche à droite : Canaro Irus­ta, Canaro Fal­con, De Ange­lis Dante, Mader­na Dati­la, Cor­rales et à droite, la pochette d’un 33 tours de Canaro reprenant la ver­sion de 1932.
Para ti madre 1932-05-04 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta. C’est notre valse du jour.
Para ti madre 1932-07-18 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Fidèle à ses habi­tudes, Canaro réalise dans la foulée une ver­sion en chan­son. Celle-ci, respectueuse des paroles, est donc plus triste. Cepen­dant la jolie voix d’Ada fait que ce titre, bien accom­pa­g­né par Canaro est agréable à écouter.

Para ti madre 1948-07-23 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

Si votre mère est car­diaque ou un peu ban­cale, évitez de la faire valser sur cette ver­sion très rapi­de pro­posée par De Ange­lis et Dante.

Para ti madre 1949-01-26 — Orques­ta Osmar Mader­na con Pedro Dáti­la y Mario Cor­rales (Pomar).

Une ver­sion qui pour­rait être sym­pa si elle n’avait pas été mas­sacrée par un ingénieur du son, fou. Les grands coups de poten­tiomètres pour aug­menter les nuances sont ridicules. Avec un peu de boulot, on peut rétablir un sem­blant de nor­mal­ité dans cette valse, mais quel gâchis.

Para ti madre 1972 — Alber­to Echagüe con orques­ta de Jorge Drag­one.

Mais qu’est-ce qui a pris à Echagüe de s’associer avec Drag­one pour enreg­istr­er cette ver­sion sin­istre ? Même si on arrive à sup­port­er l’orgue élec­tron­ique, la tristesse de l’introduction et l’ambiance de cette valse ren­dent défini­tive­ment impass­able à une mère un tant soit peu aimée… Peut-être que j’ai une petite dent con­tre l’orgue élec­tron­ique, car quand j’étais ado­les­cent et que je jouais sur l’un d’entre eux, celui-ci a décidé de pren­dre feu, chose qui n’arrive pas avec les bons vieux Stein­way Bossendör­fer ou Yama­ha…
Echagüe dit la pre­mière stro­phe, cela donne un air un peu sin­istre.
Pour le reste, il chante les paroles avec de légères vari­antes.

Para ti madre (1972 ? Le disque est sor­ti le 14 jan­vi­er 1974) — Los Solis­tas de D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Echagüe se rachète avec cette ver­sion enreg­istrée avec les anciens musi­ciens de D’Arienzo. Car­los Láz­zari (Ban­donéon, arrange­ments et directeur), Nor­man­do Lázara (Piano), Milo Doj­man (Vio­lín), Enrique Amadeo Guer­ra (Con­tra­ba­jo) et Alber­to Echagüe au chant.
Echagüe change ce qu’il dis­ait dans la ver­sion de Drag­one, ce qui enlève un peu de sin­istre. Le rythme plus rapi­de fait que la valse passe mieux.

Si rien ne vous con­vient, vous trou­verez des dizaines de titres en cher­chant avec Mamá, Madre et Madrecita. Beau­coup sont des valses, forme qui se prête par­ti­c­ulière­ment aux anniver­saires et fêtes en tout genre.
Et si tout cela ne vous suf­fit pas, pour ter­min­er avec un genre dif­férent, je vous pro­pose, Para ti madrecita par le chanteur équa­to­rien Julio Jaramil­lo sur une musique et des paroles de Ser­gio Bedoya.

Para ti madrecita — Julio Jaramil­lo, El Ruiseñor de Améri­ca.
Para ti madre.

Paciencia 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Qui s’intéresse un peu, même de loin, au tan­go con­naît Pacien­cia, (Patience), de D’Arienzo et Gor­rindo. Je vous pro­pose de le décou­vrir plus pré­cisé­ment, à par­tir de la ver­sion de Canaro et Mai­da enreg­istrée il y a exacte­ment 86 ans.

Le pré­texte étant le jour d’enregistrement, cela tombe sur cette ver­sion Canaro Mai­da, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidèle à sa com­po­si­tion toute sa vie.
Je ferai donc la part belle à ses enreg­istrements en fin d’article.
La beauté et l’originalité des paroles de Fran­cis­co Gor­rindo avec son « Pacien­cia », ont fait beau­coup pour le suc­cès de ce thème qui a don­né lieu à des ver­sions chan­tées, des chan­sons et même instru­men­tales, ce qui est toute­fois un peu dom­mage 😉

Extrait musical

Pacien­cia 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da

Il s’agit d’une ver­sion instru­men­tale avec estri­bil­lo réduit au min­i­mum. Rober­to Mai­da chante vrai­ment très peu. La clar­inette de Vicente Meri­co est ici plus présente que lui. On con­state dans cette inter­pré­ta­tion le goût de Canaro pour les instru­ments à vent.

Les paroles

Dans cette ver­sion, les paroles sont réduites au min­i­mum, je vous invite donc à les savour­er avec les autres enreg­istrements de ce titre, sous le chapitre « autres ver­sions ».

Anoche, de nue­vo te vieron mis ojos ;
anoche, de nue­vo te tuve a mi lado.
¡Pa qué te habré vis­to si, después de todo,
fuimos dos extraños miran­do el pasa­do!
Ni vos sos la mis­ma, ni yo soy el mis­mo…
¡Los años! … ¡La vida!… ¡Quién sabe lo qué!…
De una vez por todas mejor la fran­queza:
yo y vos no podemos volver al ayer.

Pacien­cia…
La vida es así.
Quisi­mos jun­tarnos por puro egoís­mo
y el mis­mo egoís­mo nos mues­tra dis­tin­tos.
¿Para qué fin­gir?
Pacien­cia…
La vida es así.
Ninguno es cul­pa­ble, si es que hay una cul­pa.
Por eso, la mano que te di en silen­cio
no tem­bló al par­tir.

Hare­mos de cuen­ta que todo fue un sueño,
que fue una men­ti­ra haber­nos bus­ca­do;
así, bue­na­mente, nos que­da el con­sue­lo
de seguir creyen­do que no hemos cam­bi­a­do.
Yo ten­go un retra­to de aque­l­los veinte años
cuan­do eras del bar­rio el sol famil­iar.
Quiero verte siem­pre lin­da como entonces:
lo que pasó anoche fue un sueño no más.

Juan D’Arienzo Letra : Fran­cis­co Gor­rindo

Traduction

Hier soir, à nou­veau mes yeux t’ont vue,
hier soir, à nou­veau, je t’avais de nou­veau à mes côtés.
Pourquoi t’ai-je revue, si au final,
nous fûmes deux étrangers regar­dant le passé !
Ni toi es la même, ni moi suis le même,
Les années, la vie, qui sait ce que c’est ?
Une fois pour toutes, la fran­chise vaut mieux ;
toi et moi ne pou­vons pas revenir en arrière (à hier).

Patience…
la vie est ain­si.

Nous voulions nous rejoin­dre par pur égoïsme
et le même égoïsme nous révèle, dif­férents.
Pourquoi faire sem­blant ?

Patience…
la vie est ain­si.
Per­son­ne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute.
C’est pourquoi la main que je t’ai ten­due en silence n’a pas trem­blé à la sépa­ra­tion.

Nous fer­ons comme si tout ne fut qu’un rêve,
que c’était un men­songe de nous être cher­ché ;
ain­si, heureuse­ment, nous reste la con­so­la­tion
de con­tin­uer de croire que nous n’avons pas changé.
J’ai un por­trait de ces vingt années-là,
quand du quarti­er, tu étais le soleil fam­i­li­er,
je veux tou­jours te voir jolie comme alors.
Ce qui s’est passé la nuit dernière ne fut qu’un rêve, rien de plus.

Mai­da ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres ver­sions où les paroles sont plus com­plètes.
Le même jour, Canaro enreg­is­trait avec Mai­da, la Milon­ga del corazón.

Milon­ga del corazón 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. Une milon­ga qui est tou­jours un suc­cès, 86 ans après son enreg­istrement.

Autres versions

Pacien­cia 1937-10-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Enrique Car­bel. C’est le plus ancien enreg­istrement. On pour­rait le pren­dre comme référence. Enrique Car­bel chante le pre­mier cou­plet et le refrain.
Pacien­cia 1938-01-14 — Héc­tor Pala­cios accom­pa­g­né d’une gui­tare et d’une man­do­line. Dans cet enreg­istrement, Héc­tor Pala­cios chante toutes les paroles. Enreg­istré en Uruguay.

Héc­tor Pala­cios est accom­pa­g­né par une gui­tare et une man­do­line. Le choix de la man­do­line est par­ti­c­ulière­ment intéres­sant, car cet instru­ment bien adap­té à la mélodie, con­traire­ment à la gui­tare qui est plus à l’aide dans les accords est le sec­ond « chant » de ce thème, comme une réponse à Mag­a­l­di. On se sou­vient que Gardel men­tionne la man­do­line pour indi­quer la fin des illu­sions « Enfundá la man­dolina, ya no estás pa’serenatas » ; Range (remet­tre au four­reau, comme une arme) la man­do­line, ce n’est plus le temps des séré­nades. Musique de Fran­cis­co Pracáni­co et paroles d’Horacio J. M. Zubiría Man­sill. J’imagine que Pala­cios a choisi cet instru­ment pour son aspect nos­tal­gique et pour ren­forcer l’idée de l’illusion per­due de la recon­struc­tion du cou­ple.

Pacien­cia 1938-01-26 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit égale­ment d’une chan­son. L’introduction très courte (10 sec­on­des) elle présente directe­ment la par­tie chan­tée, sans le début habituel. Mag­a­l­di chante l’intégralité des paroles. Le rythme est très lent, Mag­a­l­di assume le fait que c’est une chan­son absol­u­ment pas adap­tée à la danse. On notera sa pronon­ci­a­tion qui « mange le « d » dans cer­tains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Pala­cios et d’autres de l’époque, égale­ment).

Pacien­cia 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est la ver­sion du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette ver­sion, car Mai­da ne chante que le refrain, aucun des cou­plets.
Pacien­cia 1938 — Orques­ta Rafael Canaro con Luis Scalón.

Cette ver­sion est con­tem­po­raine de celle enreg­istrée par son frère. Elle a été enreg­istrée en France. Son style bien que proche de celui de son frère dif­fère par des sonorités dif­férentes, l’absence de la clar­inette et par le fait que Scalón chante en plus du refrain le pre­mier cou­plet (comme l’enregistra Car­bel avec D’Arienzo, l’année précé­dente.

Pacien­cia 1948 — Orques­ta Típi­ca Bachicha con Alber­to Ler­e­na.

Encore une ver­sion enreg­istrée en France. Ler­e­na chante deux fois le refrain avec un très joli trait de vio­lon entre les deux. Le dernier cou­plet est passé sous silence.

Pacien­cia 1951-09-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

14 ans plus tard, D’Arienzo réen­reg­istre ce titre avec Echagüe. Dans cette ver­sion, Echagüe chante presque tout, sauf la pre­mière moitié du dernier cou­plet dont il n’utilise que « Yo ten­go un retra­to de aque­l­los veinte años […] lo que pasó anoche fue un sueño no más. Le rythme mar­qué de D’Arienzo est typ­ique de cette péri­ode et c’est égale­ment une très belle ver­sion de danse, même si j’ai per­son­nelle­ment un faible pour la ver­sion de 1937.

Pacien­cia 1951-10-26 — Orques­ta Héc­tor Varela con Rodol­fo Lesi­ca. Dans un style tout dif­férent de l’enregistrement légère­ment antérieur de D’Arienzo, la ver­sion de Varela et Des­i­ca est plus « déco­ra­tive ». On notera toute­fois que Lesi­ca chante exacte­ment la même par­tie du texte qu’Echagüe.
Pacien­cia 1959-03-02 — Rober­to Rufi­no accom­pa­g­né par Leo Lipesker. Dans cet enreg­istrement, Rufi­no nous livre une chan­son, jolie, mais pas des­tinée à la danse. Toutes les paroles sont chan­tées et le refrain, l’est, deux fois.
Pacien­cia 1961-08-10 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Hora­cio Pal­ma.

Comme dans la ver­sion enreg­istrée avec Echagüe, dix ans aupar­a­vant, les paroles sont presque com­plètes, il ne manque que la pre­mière par­tie du dernier cou­plet. Une ver­sion énergique, typ­ique d’El Rey del com­pas et Pal­ma se plie à cette cadence, ce qui en fait une ver­sion dans­able, ce qui n’est pas tou­jours le cas avec ce chanteur qui pousse plutôt du côté de la chan­son.

Pacien­cia 1964 — Luis Tue­bols et son Orchestre typ­ique argentin. Encore une ver­sion enreg­istrée en France, mais cette fois, instru­men­tale, ce qui est dom­mage, mais qui me per­met de mon­tr­er une autre facette de ce titre.
Pacien­cia 1970-12-16 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

D’Arienzo et Echagüe ont beau­coup inter­prété à la fin des années 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Pacien­cia dans leurs con­certs. Cette ver­sion de stu­dio est de meilleure qual­ité pour l’écoute, mais il est tou­jours sym­pa­thique de voir D’Arienzo se démen­er.

Vidéo enreg­istrée en Uruguay (Canal 4) en décem­bre 1969 (et pas févri­er 1964 comme indiqué dans cette vidéo).

Après la mort de D’Arienzo, les solis­tas de D’Arienzo l’enregistrèrent à divers­es repris­es, ain­si que des dizaines d’autres orchestres, Pacien­cia étant un des mon­u­ments du tan­go.

J’ai ici une pen­sée pour mon ami Ruben Guer­ra, qui chan­tait Pacien­cia et qui nous a quit­tés trop tôt. Ici, à la milon­ga d’El Puchu à Obelis­co Tan­go à Buenos Aires, milon­ga que j’ai eu l’honneur de musi­calis­er en dou­blette avec mon ami Quique Camar­go.

Ruben Guer­ra, Pacien­cia, milon­ga d’El Puchu à Obelis­co Tan­go à Buenos Aires.18 août 2017.