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Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra:

Un chaparrón est une averse, une pluie soudaine, de forte intensité, mais de courte durée. Cette joue sur les mots, un chaparrón étant en même temps une dispute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milonga du jour à découvrir ce thème magnifiquement interprété par Juan d’Arienzo et Echagüe.

La musique présente l’histoire que les paroles confirment ensuite.
On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se prépare.
L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se compare à une mouche d’orage.
La marche devient en pointillé à cause de la discussion (dispute) du couple. On imagine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et reprennent à tour de rôle. Cette « activité » est particulièrement bien adaptée à une milonga.
Puis vient l’averse, « con agua y explicaciones, era doble el chaparrón » (avec de l’eau et des explications, l’averse était double). C’est la partie centrale. La tension qui était montée dans la première partie est en train d’exploser.
Puis, à la toute fin, la réconciliation et l’envie de reprendre ensemble.
« ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo, seria vos y serio yo! »
(Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réconciliation. Ça donne envie d’avancer de nouveau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élément rythme la milonga en étant mentionné trois fois. Quatre fois dans les paroles originales, mais Echagüe ne chante pas la totalité des paroles écrites par Francisco García Jiménez.

Pintín?

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) est l’auteur de cette milonga. Les paroles sont de Francisco García Jiménez. Pintín Castellanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Montevideo. C’est un compositeur majeur avec environ 200 de thèmes dont la moitié ont été enregistrés. Il a également écrit les paroles d’un bon nombre de ses compositions. Il était pianiste et fut également directeur d’orchestre.

1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant (illustration tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » publié en 1987 et présentant 36 couvertures imaginaires de Tintin

Il a été décrit comme un homme élégant et d’allure virile, sportif et amoureux de la musique.
Voici comment il se raconte : «Crecí consustanciado con el ambiente orillero… cuando repiqueteaban las lonjas de los negros candomberos en los parches de sus tambores.
Las melodías populares nacieron conmigo y con ellas convivo hace muchos años… »

« J’ai grandi dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Plata)… quand vibraient les lonjas (paume des mains) des candomberos noirs sur les parches (bandeau de cuir masquant les goujons et le cerclage supérieur) de leurs tambours. Les mélodies populaires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pendant de nombreuses années… »

Pourquoi ce surnom, de Pintín Castellanos ? Je ne sais pas. El pinto peut être l’Espagnol, Castellanos, une inspiration de la Castille ? Ce serait donc une double évocation de l’Espagne pour cet Urugayen. Pintín pourrait aussi se référer à son élégance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.

Ses compositions

Avec une centaine de titres enregistrés, vous avez obligatoirement entendu plusieurs de ces compositions. Pour rester dans la milonga, j’évoquerai la puñalada. Un jour qu’il la jouait, il a été contraint d’accélérer, ce qui l’a transformé en milonga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enregistrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tango.

Il a écrit de nombreuses autres milongas, comme, A puño limpio, El potro, El temblor, ou Meta fierro que l’on connait dans des versions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aussi quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense.
Je ne parle pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nombreuses autres occasions de le faire…

Extrait musical

Chaparrón 1946-08-26 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Paroles

Las nubes eran de plomo
y era el aire de fogón.
Andábamos, no sé cómo…
¡seria vos y serio yo!
Venía un olor caliente
de la ruda y el cedrón.
Y estaba como la gente
de antipático un moscón.

La boca se resecaba,
estaqueada en mal humor.
Aquello no lo arreglaba
que un chaparrón.
Tormenta de trote y carga
jineteando un nubarrón.
Tormenta de caras largas:
seria vos y serio yo.

Verano de mosca y tierra;
seco el río y el porrón.
Verano de sol en guerra
¡filo de hacha sin perdón!
Amores que se empacaban
(seria vos y serio yo).

Asuntos que se empeoraban
por tardar el chaparrón…
Andábamos a tirones
cuando el cielo se abrió en dos…
Con agua y explicaciones
era doble el chaparrón.
¡Qué rico el olor a trébol
y la reconciliación…
Da ganas de andar de nuevo
seria vos y serio yo!

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra : Francisco García Jiménez

Echagüe ne chante que les parties en italique (début et fin).

libre

Les nuages étaient de plomb, et c’était l’air d’un four (poêle).
Nous marchions, je ne sais pas comment…
Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Il y avait une odeur chaude de rue officinale (plante à odeur forte utilisée en médecine et ayant la réputation d’éloigner les indésirables) et de verveine citronnée.
Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche.
La bouche se desséchait, piquée de mauvaise humeur.
Rien de plus qu’une averse ne pourrait arranger cela.
Tempête de trot et charge chevauchant un nuage d’orage.
Tempête de visages longs :
Sérieuse, toi et sérieux, moi.
Été de mouche et de terre ; la rivière à sec ainsi que la bouteille (porrón, bouteille de terre cuite émaillée qui sert pour la boisson et accessoirement de bouillotte…).
Été de soleil en guerre, fil de hache sans pardon !
Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi).
Des problèmes qui ont été aggravés par le retard de l’averse…
Nous étions en train de nous tirer à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux…
Avec de l’eau et des explications, l’averse a été double.
Comme est délicieuse l’odeur du trèfle et de la réconciliation…
Ça donne envie de marcher à nouveau Sérieuse, toi et sérieux, moi !

Les enregistrements de chaparrón

Cet enregistrement par d’Arienzo et Echagüe est le seul…
Il existe bien un tango du même nom, composé par Carlos Waiss, mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :

Chaparrón 1957 – Nina Miranda con la Orquesta de Graciano Gomez

Autres titres enregistrés un 26 février

D’Arienzo a enregistré le même jour : Fuegos artificiales 1941-02-26. Un tango instrumental composé par et Eduardo Arolas. Comme beaucoup de compositions de fuergo, c’est une illustration sonore, ici de fuegos artificiales (feux d’artifice).
J’ai hésité pour le . Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le mentionne à l’occasion d’une autre interprétation, car contrairement à Chaparrón, Fuegos artificiales a été enregistré à diverses reprises.

Fin de l’averse, de la lluvia el buen tiempo (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réconciliation.

1 ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo seria vos y serio yo!…

Y suma y sigue… 1952-08-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Quand les auteurs de tango se lancent dans la philosophie de la vie, cela donne cela ; des conseils pour naviguer entre les canailles et les giles. Juan D’Arienzo et son pianiste de l’époque, Fulvio Salamanca se sont associés avec Carlos Bahr pour élaborer la musique et les paroles. Pour les danseurs, la philosophie est simple, sauter sur la piste aux premières notes et s’éclater à danser ce titre énergique servi par l’orchestre de D’Arienzo et la voix prenante de Echagüe.

La bande des auteurs

Généralement, on attribue à D’Arienzo et Salamanca la musique et à Carlos Bahr les paroles, mais l’enregistrement à la (Société des auteurs argentins) donne la paternité aux trois pour les deux éléments.

Registre de la SADAIC indiquant l’enregistrement de l’œuvre le 20 avril 1953.

On notera que pour les trois, la mention est auteur et compositeur. Les pourcentages pour chacun des trois ne sont pas déterminés. C’est qu’ils estimaient avoir collaboré de façon comparable et qu’ils devraient donc recevoir à parts égales les droits afférents.
On notera au passage les pseudonymes de Salamanca et Bahr. Tony Cayena pour le premier et Alfas et Luke J Y C pour le second.

Carlos Bahr, Juan D’Arienzo et Fulvio Salamanca, les trois auteurs, compositeurs du .

Ce travail à trois n’est pas étonnant dans la mesure où Salamanca et Bahr étaient des amis proches et que D’Arienzo aimait mettre en musique les de Bahr. Ce trio a d’ailleurs réalisé dans les mêmes conditions d’autres titres joués par l’orchestre de D’Arienzo, comme : Ganzúa, La sonrisa de mamá, Sin balurdo, Tomá estas monedas!, Trampa et notre tango du jour, Y suma y sigue…
D’autres titres ont été composés par D’Arienzo et Salamanca avec un texte de Bahr comme : Hoy me vas a escuchar, Necesito tu cariño et Se-Pe-Ño-Po-Ri-Py-Ta-Pa et d’autres, enfin, ont été créé par Bahr (texte) et Salamanca (musique) sans l’apport de D’Arienzo, comme : Amarga sospecha, Aqui he venido a cantar, Dale dale, caballito, Desde aquella noche et Eterna.

De gauche à droite, debout : , Juan D’Arienzo, , Alberto Echagüe et Fulvio Salamanca au piano.

Y suma y sigue

Le titre peut interroger. Ce terme venant des livres comptables invite à tourner la page pour consulter la suite d’un compte, mais il a plusieurs autres significations.

  • Expression indiquant en bas de page, que le calcul va se continuer sur la page suivante.
  • Équivalent de etc. du latín et cetera, pour indiquer que la liste pourrait continuer (et le reste, et les autres choses).
  • Indique que ça va continuer à augmenter.
  • Indique que quelque chose se répète.

Je vous laisse choisir votre interprétation à la présentation des paroles ci-dessous.

Extrait musical

Y suma y sigue… 1952-08-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Partition de Suma y sigue…

Paroles

No me gusta andar con vivos y a los giles les doy pase
a los otros si es preciso los atiendo y se acabó.
Si la mala se encabrita me la aguanto hasta que amanse
y aunque siempre hay un amigo, curo a solas mi dolor.
Me enseñó la mala racha que la suerte es mina ilusa,
Que, al final, se queda siempre con aquel que está grillao.
Y aprendí en los desencantos, que si afloja el de la zurda,
es mejor que te amasijes porque al fin irás palmao.

Aunque seas bien derecho si andas seco te dan pifia.
Trabajando sos cualquiera y afanando sos señor.
Porque, al fin, hasta la grela que comparte tu cobija
cuando ve mangos en fila solo piensa « ¿cuántos son? ».
Además, nadie pregunta de que « lao » llegó la buena,
la importancia está en los mangos aunque salgan de lo peor.
Y aprendes al triste precio de tu credo en esta feria
que ni tiñe la vergüenza, ni la guita tiene honor.

Me enseñaron los amigos que estas firme si hay rebusque,
aprendí de los extraños que hay que abrirse del favor.
Y la vez, que por humano le di cuarta a un gil « cualunque »,
me dejó en la puerca vía sin confianza y sin colchón.
Los demás te ven sacando por la pinta, como al naipe,
y al marcarte « gil en puerta », pregonando que hay amor,
te saquean hasta el alma y después te dan el raje…
¡Pero nadie mira nunca que tenés un corazón!
Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Traduction libre

Je n’aime pas aller avec les canailles et aux giles (XXXX voir anecdote sur le sujet) je donne un laissez-passer, quant aux autres si nécessaire, je m’occupe d’eux et c’est tout.
Si le mauvais se déchaîne, je le supporte jusqu’à ce qu’il se lève et bien qu’il y ait toujours un ami, je guéris ma douleur seul.
La mauvaise série m’a appris que la chance est une gamine illusoire, qu’à la fin, elle reste toujours avec celui qui est grillé.
Et j’ai appris dans les déceptions, que si le sincère se détend, cela vaut mieux que de se pétrir (de coups), car à la fin vous finissez dans les pommes (palmao de palmado est endormir en ).
Même si tu es très droit, si tu es sec, ils se moquent de toi.
En travaillant, tu es quelconque et en trompant (arnaquant, volant), tu es un Monsieur.
Parce qu’en fin de compte, même la gonzesse (femme) qui partage votre couverture (lit) quand elle voit des biffetons (billets de 1 peso) alignés elle pense uniquement à « combien il y en a ? ».
D’ailleurs, personne ne demande de quel côté vient le bon, l’important ce sont les billets même s’ils sortent du pire.
Et tu apprends au triste prix de ton credo dans cette foire qui ni la honte tache, ni le flouze (l’argent) n’a d’honneur.
Les amis m’ont appris à être ferme s’il y a une petite occasion (rebusque est un petit travail supplémentaire, voire un amour passager), j’ai appris d’inconnus qu’il faut s’ouvrir à la faveur (peut aussi signifier profiter sexuellement).
Et la fois, que pour être humain, j’ai porté assistance à un gil quelconque, il m’a laissé des scrofules, sans confiance et sans matelas (je ne suis pas sûr du sens).
Les autres te voient venir pour l’allure, comme aux cartes, et dès qu’ils te marquent « gil à la porte », proclamant qu’il y a de l’amour, ils te pillent jusqu’à l’âme et ensuite ils te jettent dehors…
Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur !
Ces conseils de vie, se terminent par Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur ! Les conseils cachent en fait un regard critique et désabusé sur le monde contemporain, sur les relations humaines. En cela, ce tango rejoint d’autres tangos comme cambalache, tormenta et tant d’autres qui dénoncent les injustices et les abus.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais D’Arienzo et Echagüe ont enregistré plusieurs tangos faisant appel au lunfardo. En 1964, RCA a édité une sélection de 12 de ces tangos dans un disque 33 tours.

Academia del lunfardo (1964). 12 tangos avec des paroles en lunfardo par D’Arienzo et Echagüe. Notre tango du jour est le premier titre de la face 2.
Joyas del Lunfardo (1996) reprend les 12 titres de 1964 et en rajoute 8.

Voici la liste des 20 titres du CD. Ceux qui sont en gras étaient dans le CD de 1964

1 Cartón junao (Juan D`Arienzo/Héctor Varela/)
2 Chichipía(Juan (D`Arienzo / Héctor Varela / Carlos Waiss)
3 Bien pulenta (Carlos Waiss)
4 El nene del Abasto (Eladio Blanco/Raúl Hormaza)
5 Sarampión (Eladio Blanco/Raúl Hormaza)
6 Cambalache (Enrique Santos Discépolo)
7 Pituca (Enrique Cadícamo/José Ferreyra)

8 El raje (Juan D`Arienzo/Héctor Varela)
9 Amarroto (Miguel Bucino / )
10 Barajando (Eduardo Escaris Mendez)
11 Don Juan Mondiola (Antonio Oscar Arona)
12 Farabute (Joaquín Barreiro / Antonio Casciani)
13 y Esmeralda (Celedonio Flores / Francisco Pracánico)
14 Y suma y sigue (Carlos Bahr / Juan D`Arienzo / Fulvio Salamanca)
15 Che existencialista (Mario Landi / Rodolfo Martincho)
16 Pan comido (Enrique Dizeo)
17 Las cuarenta (Froilán Gorrindo)
18 Que mufa che (Jorge Sturla (Tito Pueblo) / Luis Zambaldi)
19 Mi querida Sisebuta (Armando Gatti / Carlos Lázzari / Antonio Polito)
20 Peringundín (Pintín Castellanos)

Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui.

Je ne vous dis pas à demain, car je vais faire une pause dans les anecdotes, notamment pour essayer de résoudre les problèmes avec Facebook que cela énerve, mais aussi, car le site sature et que mon hébergeur me fait aussi les gros yeux.

Un abrazo énorme, desde où il fait encore bien froid…

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Letra:

Notre du jour est une milonga irrésistible, la milonga du souvenir Milonga del . Le titre pourrait faire penser à la milonga campera, ces chansons un peu plaintives de l’univers des gauchos comme Milonga triste            que chantait Magaldi en 1930 ou même des compositions plus récentes comme celle de Piazzolla, Milonga del ángel, ou Milonga en ay menor dans un style bien sûr très différent. Mais comme vous pouvez le constater, est un appel à se lancer sur la piste pour tous les . Ces derniers ne prêteront aucune attention à la nostalgie des paroles.

Ce manque d’attention est renforcé par le fait que Echagüe ne chante que le refrain et pas les couplets plus nostalgiques.

Extrait musical

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Echagüe.
Milonga del recuerdo. Alfonso Lacueva Letra: José Pecora. À gauche la couverture de la partition, au centre la tablature des accords et à droite, le disque. RCA Victor 38767-B. La face A était Derecho viejo 1939-07 une version instrumentale.

Paroles

Qué daría por ser joven y vivir aquellos días
Que se fueron alejando y no pueden más volver,
Aquellos años dichosos de las fiestas transcurridas
En el patio de la casa que me viera a mí, nacer.
¿Dónde está la muchachita, esa novia que besara?
Con los labios temblorosos encendidos de pasión,
La que tanto yo quería y siempre he recordado
Porque fue el amor primero que no olvida el .

¿Dónde están los corazones
de la linda muchachada?
¿Dónde están las ilusiones
de aquel tiempo que se fue?
Mi vieja dicha perdida
Hoy estás en el olvido,
Y yo que tanto he querido
Siempre te recordaré.

Las milongas de mi barrio al gemir de bandoneones
Entre notas melodiosas de algún tango compadrón,
Las pebetas sensibleras impregnadas de ilusiones
Que reían y cantaban al influjo de un amor.
No se ve la muchachada a la luz del farolito
Comentando por las noches los idilios del lugar,
Ni se escuchan los acordes de las dulces serenatas
Que llenaban de emociones y nos hacían soñar.

Alfonso Lacueva Letra : José Pecora

Echagüe ne chante que le refrain, en gras.

Traduction libre

Que donnerais-je (on dirait plutôt en français : « que ne donnerais-je pas ») pour être jeune et vivre ces jours qui se sont éloignés et qui ne peuvent plus revenir, ces années heureuses des fêtes passées dans la cour de la maison qui m’a vu naître.
Où est la fille, cette fiancée que j’embrassais ?
Avec les lèvres tremblantes et embrasées de passion, celle que j’aimais tant et dont je me suis toujours souvenu parce que c’était le premier amour que le cœur n’oublie pas.
Où sont les cœurs de la belle bande d’amis ?
Où sont les illusions (émotions) de ce temps qui a disparu ?
Mon ancien bonheur perdu est aujourd’hui oublié, et moi qui ai tant aimé, je me souviendrai toujours de toi.
Les milongas de mon quartier au gémissement des bandonéons entre les notes mélodieuses d’un tango compagnon, les poupées sentimentales imprégnées d’illusions qui riaient et chantaient sous l’influence d’un amour.
On ne voit pas la bande des gars à la lueur du lampadaire commenter la nuit les idylles du lieu ni on n’entend les accords des douces sérénades qui nous remplissaient d’émotions et nous faisaient rêver.

Autres versions

Curieusement, ce thème n’a pas été enregistré par d’autres orchestres. La magnifique version de D’Arienzo et Echagüe reste orpheline même si certains orchestres jouent cette milonga dans les bals.

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Une version intéressante par un orchestre de chambre contemporain, le avec des arrangements de .

https://on.soundcloud.com/1x1ZzHQoyXKUhL3f9 Quand les musiciens classiques s’essayent à la milonga.

À demain, les amis !

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra:

Nunca más, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre tango du jour.

Extrait musical

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Nunca más. Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto.

Paroles

En una noche de falsa alegría
tus ojos claros volví a recordar
y entre los tangos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuerdo matar.
Recordaba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida consagré,
pero ingrata te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi alegría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por buena
en tus dulces labios, nena,
me he quemado el corazón.
Linda,
muñequita mimosa,
siempre,
en mi corazón estás,
Nena,
acordate de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuando dijo: ¡Nunca más!

Entre milongas y timbas, mi vida
pasando va estas horas inquietas,
de penas lleno, el alma oprimida,
pálido el rostro como una careta.
Arrepentida, nunca vuelvas, jamás
a pedir desolada mi perdón.
¡No olvides que al decirme nunca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Traduction libre

Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir.
Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion.
Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque.
Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon.
N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nunca más 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, (guitarras).

Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.

Nunca más 1927-07-19 – Orquesta Francisco Lomuto.

Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.

Nunca más 1931-08-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Acuña y Fernando Díaz.

Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.

Nunca más 1931-11-10 – con acomp. de guitarras.

Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.

Nunca más 1932-01-12 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…

Nunca más 1948-09-23 – Orquesta Miguel Caló con .

On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de . Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.

Nunca más 1950-04-25 – Orquesta Francisco Lomuto con .

De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et nostalgique avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.

Nunca más 1956-08-31 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nunca más 1974-12-11 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le succès de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’ de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.

Nevermore (Nunca más).

Paroles

‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore—
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door—
Only this and nothing more.”

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December;
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore—
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore—
Nameless here for evermore.

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
“’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door—
Some late visitor entreating entrance at my chamber door; —
This it is and nothing more.”

Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Darkness there and nothing more.

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?”
This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”–
Merely this and nothing more.

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
“Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice;
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore—
Let my heart be still a moment and this mystery explore; —
‘Tis the wind and nothing more!”

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore;
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door—
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door—
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore—
Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning – little relevancy bore;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door—
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as “Nevermore.”

But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour.
Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered—
Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before—
On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nevermore.”

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
“Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore—
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of ‘Never – nevermore’.”

But the Raven still beguiling all my fancy into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore—
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking “Nevermore.”

This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,
But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er,
She shall press, ah, nevermore!

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted—
On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting–
“Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken!
Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,
And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted – nevermore!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus.
Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus !
Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simpson (The Simpsons) de Matt GroeningThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pouvez afficher les sous-titres dans la langue souhaitée…

Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Nous avons vu il y a peu Un tango y nada más où j’évoquais l’existence d’une vingtaine de tango contenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils marquent des points, beaucoup de points.

Extrait musical

Partition pour piano éditée par Jules Korn de Nada más.
Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Echagüe.

La musique se déroule en parties s’opposant, de passages martelés (bandonéons et piano) et d’autres ondoyants (violons). La voix de Echagüe se lance, pour un court passage, le refrain, en totale harmonie avec la musique qui continue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organisation jusqu’à la fin. Une version pour . On notera que les petites accentuations du piano sont un peu plus discrètes que dans les dernières versions avec Biagi au piano. Juan Polito est en train de trouver ses marques pour succéder aux mains sorcières de .

Paroles

No quiero nada, nada más
que no me dejes, frente a frente, con la vida.
Me moriré si me dejás
por qué sin vos no he de saber vivir.

Y no te pido más que eso,
que no me dejes sucumbir,
te lo suplico por Dios
no me quites el calor
de tu cariño y tus besos,
que, si me falta la luz
de tu mirar, que es mi sol,
será mi vida una cruz.

Cuánta nieve habrá en mi vida
sin el fuego de tus ojos!
Y mi alma, ya perdida,
sangrando por la herida,
se dejará morir,
y en la cruz de mis anhelos
llenaré de brumas mi alma,
morirá el azul del cielo,
sobre mi desvelo
viéndote partir.

No quiero nada, nada más
que la mentira de tu amor, como limosna.
¿Qué voy a hacer si me dejás
con el vacío de mi decepción?
No te vayas te lo ruego,
no destroces mi corazón,
si no lo hacés por amor
hacelo por compasión
pero por Dios no me dejés
jamás te molestaré,
seré una sombra a tus pies,
tirada en algún rincón.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra: Luis Rubistein

Echagüe ne chante que le refrain (en gras).
Roberto Maida chante ce qui est en bleu.
Ada Falcón chante tout et termine en reprenant le refrain (en gras).

libre

Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laisses pas face à face avec la vie.
Je mourrai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre.
Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laisser succomber, je te supplie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affection et de tes baisers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix.
Combien de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux !
Et mon âme, déjà perdue, saignant de la blessure, se laissera mourir, et sur la croix de mes désirs je remplirai mon âme de brouillards, le bleu du ciel mourra, sur mon insomnie en te regardant partir.
Je ne veux rien, rien de plus que le mensonge de ton amour, comme une aumône.
Que vais-je faire si tu me laisses avec le vide de ma déception ?
Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de ), je t’en supplie, ne détruis pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par compassion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.

Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Une première version de la musique a été associée à des paroles, également de Rubinstein à la gloire de Alfredo Callejas surnommé « El Tigre » qui était un jockey fameux de l’hippodrome de Palermo (Buenos Aires). Son fils également prénommé Alfredo a repris sa carrière comme entraîneur et quitta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son compatriote Robert Pérez à New York (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernardo a suivi le même chemin et a un élevage de chevaux à Belmont (USA).
Les paroles évoquent Blandengues. Il me semble qu’il s’agit d’un lieu situé à Barracas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jockey et entraîneur.
Le nom est également celui d’un régiment argentin créé au 18e siècle et dissous au 19e (notons qu’un régiment de ce nom existe toujours en Uruguay). Il est donc peu probable que Alfredo soit réellement un membre de Blandengues. je propose plutôt d’y voir un hommage historique, ce jockey rejoignant les illustres défenseurs de la patrie (contre les peuples premiers), ou tout simplement son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu particulièrement propice aux exploits équestres et au tango, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces propices à ces exercices. Aujourd’hui encore, un grand parc subsiste, El parque Leonardo Pereyra.

Sos de Blandengues el mejor
Y no hay quién tenga tu muñeca pa’ tallar,
Ni se conoce un cuidador
Con más carpeta pa’ poder ganar.

Y de Blandengues sos el mago
Que ha conquistado más halagos,
« Tigre » Callejas, no hay qué hacerle
Se impone tu muñeca de gran « compositor ».

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Tu es de Blandengues le meilleur et il n’y a personne qui a ton poignet pour dominer (tallar n’est pas à prendre dans le sens de tailler, mais de dominer, c’est du ), ni aucun soigneur connu avec plus d’habileté (carpeta en lunfardo) pour pouvoir gagner.
Et de Blandengues vous êtes le magicien qui a conquis le plus d’éloges, « Tigre » Callejas, il n’y a rien à faire, votre talent (muñeca en lunfardo = habileté) de grand « compositeur » s’impose (un compositor en lunfardo est un préparateur de chevaux de course).

Autres versions

Callejas solo (A Alfredo Callejas) 1928 – Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Dante.

D’Arienzo et Rubinstein avaient déjà utilisé cette même musique sous le titre Callejas solo. Vous reconnaîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrêmement différente. Heureusement que Carlos Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet enregistrement.

Callejas solo 1930 – Orquesta Eduardo Bianco.

Même si cette version instrumentale a été publiée sous le titre de Callejas Solo, la douceur de son interprétation semble plus adaptée aux nouvelles paroles, celle de Nada más. La version française serait donc un précurseur des futures versions.

Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre .
Nada más 1938-08-22 – Orquesta con Roberto Maida.

On remarque tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Maida chante d’une voix caressante. On est aux antipodes de la version de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments distincts de la . Les deux sont parfaits pour la danse.

Nada más 1938-09-28 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Un mois plus tard, Canaro enregistre avec sa chérie, Ada Falcón une version à écouter. C’est absolument clair. L’orchestre introduit directement le chant, puis par la suite ne sert que de ponctuation. Ada chante quasiment a capella. C’est une version très étonnante, mais passionnante.

Nada más 1958-07-10 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la version de D’Arienzo avec Echagüe avec celle interprétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Falcón.

Nada más 1971-12-20 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

Treize ans plus tard, D’Arienzo enregistre sa troisième version du titre avec Mercedes Serrano. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trouve que la version avec Mercedes Serrano en 1971 est bien plus intéressante que celle avec Jorge Valdez.

Pour terminer la liste des versions, je vous propose un autre enregistrement, par les mêmes. Il s’agit d’une version enregistrée dans l’émission El Tango del Millón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été colorisée par Pablo Ramos qui effectue un travail formidable, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Compás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui remplaça, à mon avis très efficacement, Jorge Valdez.

Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano. 1971 ou 1975.

Et Jacques Brel, dans l’affaire ?

La photo de couverture a sans doute étonné certains, je vous dois une explication, que vous avez peut-être déjà devinée en prenant connaissance des paroles.
Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pouvait être une référence au jockey Callejas, mais à cause des paroles de sa chanson immortelle « Ne me quitte pas ».

Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.

En effet, elle se termine par :

« Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
 »

Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.

Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubinstein :

“jamás te molestaré,
seré una sombra a tus pies,
tirada en algún rincón.”

Luis Rubistein, fin des paroles de Nada más.

L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intrigante, peut-être même inquiétante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique sombre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la question. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais auparavant, délectez-vous de la chanson de Jacques Brel.

Ne me quitte pas, Jacques Brel

« Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve ».

Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)

À demain, les amis !

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra :

Hugo Gutiérrez et Homero Manzi ont réalisé avec ce tango le difficile exercice de parler de la mort avec une émotion rarement atteinte dans , sans être oppressants. La version de D’Arienzo et Echagüe qui est notre est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à mettre en avant ce titre qui a à son service quelques-unes de plus belles interprétations du répertoire, de plus avec une grande variété. Entrons dans cette pensée triste qui se danse.

Extrait musical

1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe
À gauche, couverture de partition Casa Amarilla avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Partition Julio Korn de Después avec en couverture Anibal Troilo.

Paroles

Después …
La luna en sangre y tu emoción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubarrón.
Luego …
irremediablemente,
tus ojos tan ausentes
llorando sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fatiga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausencia leve
tu pálido final.

Todo retorna del recuerdo:
tu pena y tu silencio,
tu angustia y tu misterio.
Todo se abisma en el pasado:
tu nombre repetido…
tu duda y tu cansancio.
Sombra más fuerte que la muerte,
grito perdido en el olvido,
paso que vuelve del fracaso
canción hecha pedazos
que aún es canción.

Después …
vendrá el olvido o no vendrá
y mentiré para reír
y mentiré para llorar.
Torpe
fantasma del pasado
bailando en el tinglado
tal vez para olvidar.
Y después,
en el silencio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gritaré para vivir…
como si huyera del recuerdo
en arrepentimiento
para poder morir.

Hugo Gutiérrez Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émotion, et l’anticipation de la fin dans un nuage sombre.
Plus tard… irrémédiablement, tes yeux si absents pleurant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me battre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton chagrin et ton silence, ton angoisse et ton mystère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri perdu dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chanson en miettes qui est encore une chanson.
Après…
L’oubli viendra ou il ne viendra pas et je mentirai pour rire
Et je mentirai pour pleurer.
Un fantôme maladroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins sommaire à hangar), peut-être pour oublier.
Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de solitude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le souvenir en repentirs pour pouvoir mourir.

Autres versions

Después 1943-1944 – accomp. Guitare de José Canet.

Je commence par cet enregistrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieusement, il est très rarement indiqué, y compris dans des sites généralement assez complets comme tango-dj.at ou El Recodo. Je l’indique comme étant de 1943-1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de qui est du tout début de 1944. La voix merveilleusement chaude de Nilda Elvira Vattuone alias Nelly Omar accompagnée par la guitare de José Canet nous propose une version fantastique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orquesta Miguel Caló con .

Dès les premières notes, l’ambiance est impressionnante. On pourrait penser à un film de suspens. La magnifique voix de Iriarte, plus rare que celle de Berón, convient parfaitement au titre. Si vous n’aimez pas avoir des frissons et les poils qui se dressent, évitez cette version proposée par Miguel Caló et Raúl Iriarte très émouvante.

Después 1944-03-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Avec Troilo, on reste avec une très belle version musicale. Le grondement des bandonéons me semble moins émouvant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me semble aller un peu au détriment de la danse. Ce ne sera donc pas ma version préférée pour la milonga.

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano. La voix de Libertad Lamarque est très différente de celle de Nelly Omar, mais tout aussi captivante. Elle bénéficie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Maurano dont le piano ressort avec beaucoup de justesse (je précise que je parle de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je parle de lui…).

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Comme toujours, la version de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième version de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroyable diversité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trouver un peu bavarde. Echagüe, met beaucoup de pression. Le résultat est dansable, mais il me semble que d’autres titres interprétés par D’Arienzo le remplaceront avantageusement dans une tanda de D’Arienzo et Echagüe, notamment ceux de la première période. Después est le premier titre enregistré par cette composition après cinq années sans enregistrement et il me semble que cette association mettra un peu de temps avant de retrouver une harmonie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absenté de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recommence à enregistrer. Son Después fait partie de ces enregistrements français qui prouvent que la distance entre les deux mondes n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares versions purement instrumentales.

Después 1974-05-03 – Orquesta Aníbal Troilo con (Programa En a Homero Manzi – Conducción Antonio Carrizo).

Cette version a été enregistrée lors d’une émission en public en hommage à Homero Manzi décédé exactement 23 ans plus tôt. Il me semble que cette version Troilo – Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qualité sonore.

Después 1974 – Rubén Juárez Accomp. Armando Pontier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du bandonéoniste Armando Pontier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précédent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Armando Pontier, également bandonéoniste. Cependant, dans cette version, il se « contente » de chanter.

Después 1977-05-13 – Roberto Goyeneche con la Orquesta Típica Porteña dirigida por Raúl Garello.

Le bandonéon de Raúl Garello annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette version. El Polaco (Roberto Goyeneche) donne une version extrêmement émouvante et l’orchestre l’accompagne parfaitement dans les ondulations de la musique. Cette version fait ressortir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui décida de consacrer sa vie à l’art populaire et national du tango plutôt que de rechercher les honneurs qui aurait pu s’attacher à la carrière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous propose d’arrêter avec ce titre très émouvant et donc de passer sous silence les versions de Pugliese avec qui sortent, à mon avis, du champ du tango pour entrer dans autre chose, sans doute une forme de musique classique moderne, mais sans l’émotion que suscite généralement le tango.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich; Francisco Brancatti

, encore un grand tango, adoré par les . Si ce sont les versions de D’Arienzo qui sont les plus connues, il y a d’autres versions intéressantes et que je vous propose ici. Attention, on entre dans l’univers hostiles des gauchos, mandrias, s’abstenir.

Extrait musical

Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos
Partition de Mandria. On voit le combat avec les rebenques.

Paroles

Tome mi poncho… No se aflija…
¡Si hasta el cuchillo se lo presto!
Cite, que en la cancha que usté elija
he de dir y en fija
no pondré mal gesto.

Yo con el cabo ‘e mi
tengo ‘e sobra pa’ cobrarme…
Nunca he sido un maula, ¡se lo juro!
y en ningún apuro
me sabré achicar.

Por la mujer,
creamé, no lo busqué…
Es la acción
que le viché
al varón
que en mi rancho cobijé…
Es su maldad
la que hoy me hace sufrir :
Pa’ matar
o pa’ morir
vine a pelear
y el hombre ha de cumplir.

Pa’ los sotretas de su laya
tengo güen brazo y estoy listo…
Tome… Abaraje si es de agaya,
que el varón que taya
debe estar previsto.
Esta es mi marca y me asujeto.
¡Pa’ qué pelear a un hombre mandria !
Váyase con ella, la cobarde…
Dígale que es tarde
pero me cobré.

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich ; Francisco Brancatti

Traduction libre et indications

Prenez mon poncho… Ne vous affligez pas…
Et jusqu’au couteau, je vous le prête !
Racontez, que dans le lieu (terrain pour le duel, se dit aussi du terrain de foot) que vous choisissez, il faut dire et assurément (fija en , chose sûre), je n’aurai pas de mauvais geste.
Moi, avec la tête de mon fouet j’ai largement pour me couvrir (protéger)…

(tête de fouet de gaucho). On voit la dragonne qui permet de le tenir fermement au poignet et la boule de métal qui devait donner de forts mots de tête quand elle entrait en contact avec le crâne de l’adversaire…

Je n’ai jamais été un lâche, je vous le jure !
Et sans aucune urgence je saurais me faire petit.
Pour la femme, croyez-moi, je ne l’ai pas cherché…
C’est l’action que j’ai vue de l’homme que j’ai hébergé dans mon ranch…
C’est sa méchanceté qui aujourd’hui me fait souffrir :
Pour tuer ou pour mourir, je suis venu me battre et l’homme doit s’y conformer.
Pour un malotru de ce type, j’ai un bon bras et je suis prêt…
Prenez… Abattu s’il est fait de galle, (agaya = agalla = excroissance qui se forme sur un arbre à cause de la piqûre d’un insecte) que le mec qui a parlé doit être prévenu.
C’est ma devise et je m’y tiens.
Pourquoi combattre un homme pleutre !
Allez avec elle, la lâche…
Dites-lui qu’il est tard, mais que j’ai été payé.

J’ai quelques doutes sur l’interprétation, est-ce qu’au final il a mis une raclée avec son fouet au type qui était allé avec sa femme et qu’il chasse les deux, ou qu’il ne prend pas la peine de s’attaquer au pleutre (mandria) et qu’il le chasse avec la femme infidèle.

Autres versions

Mandria 1927-03-17 — con guitarras.

Mandria 1927-03-17 — Rosita Quiroga con guitarras. Les prestations de Rosita, l’artiste à la mode remportèrent beaucoup de succès au théâtre et à la radio, ce qui lança le titre comment en témoignent les autres enregistrements réalisés dans les deux mois qui suivirent. Dans cet enregistrement, elle est accompagnée de trois guitaristes. Sa voix, marquée de souffrance l’avait fait surnommée, la toujours blessé (La eterna herida) ou la muse pauvre (La musa mistonga), car elle était un produit des faubourgs dont elle avait la diction et la gouaille. En 1927, elle était au fait de sa gloire et l’année précédente, Antonio Polito et Celedonio Flores pour les paroles, lui avaient écrit un tango La musa mistonga.

Rosita Quiroga, La musa mistonga
Mandría 1927-03-25 — Orquesta Roberto Firpo.

Une Jolie version, assez lente et bien dansable.

Mandría 1927-05-10 – Orquesta

La version de Fresedo a des points communs avec celle de Firpo.

Mandria 1927-05-19 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Encore une version assez proche, un tempo plus marqué, mais bien sûr, la grande différence est le refrain chanté par Agustín Irusta.

Avec Canaro se terminent les enregistrements de la première vague. Quatre en deux mois, c’est un beau succès pour le titre, mais attendez la suite…

Mandria 1939-08-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Après une pause de douze ans, une nouvelle version de notre titre du jour. C’est sans doute la version la plus célèbre. Contrairement aux versions de la décennie précédente on est face à un titre énergique, brillant, qui donne envie de danser.

Mandria 1954-04-22 — Orquesta Eduardo Del Piano con Mario Bustos.

Une version chantée avec une voix un peu recherchée. Pas forcément la version préférée des danseurs.

Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos. C’est notre tango du jour.

Trois ans plus tard, Bustos enregistre le thème avec D’Arienzo qui lui est aussi avec sa deuxième version, la première étant de 18 ans plus ancienne, avec Echagüe.
Il est intéressant de comparer la version de Del Piano avec celle de D’Arienzo, elles sont proches en date et c’est le même chanteur. Del Piano a laissé plus de liberté à Bustos et même si D’Arienzo laisse Bustos chanter toutes les paroles, il reste dans le cadre de la danse, ce qui n’est aps toujours le cas d’autres orchestre de l’époque qui augmentent aussi fortement la part chantée des tangos.

Mandria 1970 — Orquesta Juan Cambareri con Héctor Berardi.
Mandria 1980c — con .
Mandria 2022 – .

El rebenque

On a déjà parlé de l’armement des gauchos, notamment du facón (couteau) et du poncho (enroulé autour du bras en protection).

L’arme d’aujourd’hui est le rebenque. C’est une sorte de cravache ou de fouet court. D’un côté, il y a la poignée (cabo) et de l’autre, la queue.

À gauche, un rebenque entier avec au premier plan el cabo en métal. La tenue du rebenque avec la dragonne au poignet. Combat au rebenque selon une illustration de Molina. Le poncho enroulé sur le bras sert à se protéger. Rebenque et facón, deux armes redoutables, dessins de Mario Lopez Osornio Ici, il tient le rebenque par la queue. On imagine donc le résultat de la fappe du cabo sur l’adversaire. Dans le combat, le rebenque sert également à désarmer l’adversaire de son couteau.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Mi serenata est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette sérénade et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.

Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle.
La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores.
Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros.
Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con y Podestá.

La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.

Mi serenata, Partition avec Donato et Gavioli en photo

Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires.
La partition est dédicacée par Donato à José Lectoure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.

Ismael Pace et José Lectoure en compagnie de techniciens de la construction du Stadium Luna Park dont ils sont les propriétaires (photo de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la dédicace. Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi
brindarte quiero un cantar
que sea el reflejo fiel
de cariño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrella guiñó
y aquel día forjé
mi primera ilusión.
Serenata que allí
para ti improvisó mi amor,
tu promesa de amor,
tu mirada, un clavel,
dieron premio a mi canción.

Hoy que ya el tiempo pasó,
vine a tu reja a cantar,
silencio fue el responder
a este triste dolor
que tu ausencia dejó.

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Traduction libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…).
À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments.
Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.

Autres versions

Mi serenata 1940-01-11 — Orquesta Edgardo Donato con Romeo Gavio y .

C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios.
C’est sans doute la version préférée de la plupart des danseurs et elle le mérite.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.
Mi serenata 1955-09-02 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Montero.
Mi serenata 1973 – Los Solistas de D’Arienzo con Osvaldo Ramos y Alberto Echagüe
Mi serenata 1980 – Orquesta con y Gabriel Reynal.

Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.

Mi Serenata 2022-06 – . Sans doute la palme de l’originalité pour cette version.

Et pour terminer, une belle version de la Romantica Milonguera en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi.
C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.

Orquesta Romantica Milonguera avec et en duo – « Mi serenata »

À demain les amis !

Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Cantuarias

Pensalo bien, pense-le bien, ce titre est quasi indissociable de la version du jour par Juan D’Arienzo et Alberto Echagüe. Nous nous ferons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Biagi et Echagüe.

Pour ce qui est de la participation de Rodolfo Biagi à la réalisation de ce chef-d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enregistrement de Biagi avec D’Arienzo. Pour être précis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enregistre qui porte le numéro de matrice suivant (12 364 contre 12 363 pour Pensalo bien). Les enregistrements suivants se feront avec Juan Polito, D’Arienzo ayant mis à la porte Biagi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.

Extrait musical

Penbsalo bien. Juan José Visciglio Letra: Nolo López; Julio Alberto Cantuarias. Arrangement de Charles Gorczynski. Il est indiqué Calvera sur la partition au lieu de Visciglio, mais c’est bien la partition de la version de Visciglio… À droite, une application intéressante, Chordify, qui permet d’avoir les accords qui s’affichent en même temps que la lecture de la musique.
Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Le début staccato des bandonéons, suivi de tous les instruments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directement dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo efficace. Des phrases des violons adoucissent et contrastent ce marquage appuyé du rythme.
Le thème principal apparaît à 30 secondes. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des contrepoints du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 secondes… Heureusement qu’il y a eu deux prises de ce titre le même jour, cela lui a permis de chanter 50 secondes…. À partir de 1:51, les bandonéons explosent la cadence en passant à des staccatos en doubles croches. La n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si.
C’est simple, efficace, dansant. Du bon tango de danse, le fait que son ne se démente pas 86 ans plus tard le prouve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux premières notes de ce thème, le tango vivra.

Paroles

No te pido explicaciones
No me gustan las escenas,
¿Decís que vas a dejarme?
Andá, qué le voy a hacer.
Si es cierto que has de marcharte
Me causará mucha pena,
Mas prefiero esa franqueza
A un innoble proceder.
No me explico por qué causa
Decidiste dar tal paso,
Si ayer mismo me juraste:
“Sos el dueño de mi amor.”
¿Te ha cansado la pobreza ?
¿Ya no me quieres, acaso?
O encontraste quien te quiera
Con más cariño y fervor.

Pensalo bien
Antes de dar ese paso,
Que tal vez mañana acaso
No puedas retroceder.
Pensalo bien,
Ya que tanto te he querido,
Y lo has echado al olvido
Tal vez por otro querer.

Te agradezco los momentos
Más felices de mi vida,
Yo sé que vos me trajiste
La luz en mi soledad.
Ya ciego corrí a tu encuentro
A descansar en tus brazos,
Y mis noches angustiosas
Con tu paz, las borré.
Es por eso que te imploro
De rodillas : « No te vayas. »
Más que nunca yo preciso
Las caricias de tu amor.
Escuchame… te suplico
Por mi viejita querida,
¡No te vayas!, Acordate
Que vos juraste por Dios.

Juan José Visciglio Letra: Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias

Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 secondes qui restent dans l’oreille, une merveille.

Les paroles du refrain dites par Fernando Serrano.

Traduction libre

Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes.
Tu dis que tu vas me quitter ?
Va. Qu’est-ce que je vais faire ?
S’il est vrai que tu dois partir, cela me causera beaucoup de chagrin.
Mais je préfère cette franchise à un ignoble procédé.
Je ne comprends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais :
« Tu es le propriétaire de mon amour. »
La pauvreté t’a fatiguée ?
Tu ne m’aimes plus, peut-être ?
Ou tu as rencontré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de ferveur.

Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pourras pas revenir en arrière.
Pense-le bien.
Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.

Je te remercie pour les moments les plus heureux de ma vie.
Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma solitude.
Alors aveugle, j’ai couru à ta rencontre pour me reposer dans tes bras.
Et mes nuits angoissées, avec ta paix, je les avais effacées.
C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. »
Plus que jamais j’ai besoin des caresses de ton amour.
Écoute-moi… Je t’en supplie pour ma chère mère.
Ne pars pas !
Rappelle-toi que tu as juré par Dieu.

Autres versions

Il existe trois tangos portant le titre Pensalo Bien, mais un seul enregistrement nous restitue la création de Juan José Visciglio, Nolo López et Julio Alberto Cantuarias à l’époque de l’âge d’or du tango de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre . Bien sûr, des orchestres contemporains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en propose deux.

Mais auparavant, je vais vous présenter les « faux » Pensalo bien.

Les « faux » Pensalo bien

Évidemment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas connu le même succès que notre tango du jour.

Pensalo bien composé par Edgardo Donato

Pensalo bien 1926-12-14 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Cette version instrumentale a été composée par Edgardo Donato. Dès les premières secondes, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instrumental, personne ne pourra penser qu’il a le même titre que notre tango du jour.

Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López

C’est la version étiquetée par erreur dans la partition publiée par Charles Gorczynski. On remarquera tout de suite que cette version n’a rien à voir avec la partition présentée qui est bien celle de la version de Juan José Visciglio (notre tango du jour).

Pensalo bien 1929-10-10 — Orquesta con Teófilo Ibáñez.
Pensalo bien 1929-10-23 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Pensalo bien 1929-12-17 — con acomp. de Francisco Canaro.

Comme bien souvent, Canaro enregistre une version de danse et une version chanson. Cette dernière avec Ada Falcón.

Pensalo bien 1959-09-21 — Orquesta con Luis Correa.

30 ans plus tard, Salamanca propose cette version qui, je le reconnais, aurait pu ne pas faire partie de ma sélection…

Le « vrai » Pensalo bien

Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.
Pensalo Bien — con Javier di Ciriaco.

Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco. Ce sexteto, aujourd’hui disparu, avait proposé des versions personnelles des grands succès du tango. Ici, Pensalo Bien, chanté par son leader, Javier Di Ciriaco. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sexteto et de la part de cet orchestre, on pourrait attendre une version un peu plus énergique, mais c’est sympathique tout de même.

Pour terminer, une version un peu « cabotine » de Fernando Serrano… 

Pensalo bien 2020, Fernando Serrano

C’est dansable et si tout comme la version du Sexteto Milonguero, ça ne peut pas faire oublier l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recevable danse une . L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle montre les deux instrumentistes (pianiste et bandonéoniste) à l’œuvre.

Pensez-y bien, et à demain les amis !

Para ti madre 1932-05-04 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

¡ hay una sola! chantait Gardel dans le tango du même nom. La du jour est une valse pour les mères que l’on fête en Argentine le 3dimanche d’octobre. Ce n’est donc pas tout de suite que les Argentins vont passer cette valse à leur maman, en revanche, dans beaucoup d’autres pays, cela se fête en mai. Certains vont donc pouvoir l’utiliser bientôt…

Extrait musical

Partition de Para ti, Madre.
1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con . Près de 30 secondes d’introduction, le temps d’aller chercher sa mère pour la faire danser.

Paroles

Este mundo, donde todo es leve humo,
mentira, hojarasca,
por sobre toda pequeñez humana,
por sobre toda grandeza vacua,
como un beso de dios, hecho materia,
un simbolo, la madre se levanta

Dichoso tiempo aquel de la niñez maravillosa,
infancia de oro y miel, bendita edad de ingenuidad,
el mundo era un edén en donde el bien reinaba
y lleno de ilusión era feliz el .
Caricia maternal, mano leal y generosa,
ternura sin igual, mundo ideal, color de rosa.
Del venturoso ayer sólo quedó el recuerdo,
la vida dura y cruel ya me enseñó lo que es dolor.

Mi corazón sangrante tengo
en el pesar más cruel sumido,
extraña el buen calor del nido
y en la canción
se derrama su emoción.
Evocación del bien perdido
es para ti la canción
y a acariciar tus oídos
irán los latidos
de mi corazón.

Ahora que no estás, te siento más hondo en el alma
y nadie ha de poder borrar, jamás, tu imagen fiel.
Ahora que no estás es tan tenaz la angustia
de haber sido, quizás, alguna vez un poco cruel.
El eco de tu voz, que es voz de Dios, vibra en mi oído
y es soplo alentador que da valor al abatido.
Tu beso inmaterial pasa mi sien rozando
y aunque no estás aquí, muy maternal, velas por mí.

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

Agustín Irusta ne chante que ce qui est en gras, c’est-à-dire que le plus triste de la chanson n’est pas évoqué. C’est mieux pour le chanter à sa mère si vous avez la chance de l’avoir encore en vie…
En bleu, ce qui est dit ou chanté selon les versions par Echagüe et seulement par lui, dans les années 70.
Carlos Dante et chantent toutes les paroles (sauf ce qui est bleu, qui n’appartient qu’à Echagüe).

libre

Temps bienheureux de l’enfance merveilleuse, une enfance d’or et de miel, une époque bénie de naïveté. Le monde était un Éden où le bien régnait et où le cœur était heureux et plein d’illusions.
Caresse maternelle, main loyale et généreuse, tendresse sans pareille, monde idéal, couleur de rose. Du passé heureux, il ne reste que le souvenir, la vie dure et cruelle m’a déjà appris ce que c’est que la douleur.
Mon cœur saignant est submergé par les regrets les plus cruels, il manque de la bonne chaleur du nid et dans le chant se déverse son émotion.
Une évocation du bien perdu, la chanson est pour toi, et en caressant tes oreilles, viendront les battements de mon cœur.
Maintenant que tu n’es plus, je te sens au plus profond de mon âme et personne ne pourra jamais effacer ton image fidèle.
Maintenant que tu es partie, l’angoisse d’avoir été, peut-être, parfois un peu cruel est si tenace.
L’écho de ta voix, qui est la voix de Dieu, vibre à mon oreille et est un souffle encourageant qui donne du courage à celui qui est abattu.
Ton baiser immatériel effleure ma tempe et même si tu n’es pas là, tu veilles sur moi d’une manière si maternelle.

Autres versions

Quelques-uns des disques présentés, de gauche à droite : Canaro Irusta, Canaro Falcon, De Angelis Dante, Maderna Datila, Corrales et à droite, la pochette d’un 33 tours de Canaro reprenant la version de 1932.
Para ti madre 1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. C’est notre valse du jour.
Para ti madre 1932-07-18 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Fidèle à ses habitudes, Canaro réalise dans la foulée une version en chanson. Celle-ci, respectueuse des paroles, est donc plus triste. Cependant la jolie voix d’Ada fait que ce titre, bien accompagné par Canaro est agréable à écouter.

Para ti madre 1948-07-23 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

Si votre mère est cardiaque ou un peu bancale, évitez de la faire valser sur cette version très rapide proposée par De Angelis et Dante.

Para ti madre 1949-01-26 — Orquesta Osmar Maderna con y Mario Corrales (Pomar).

Une version qui pourrait être sympa si elle n’avait pas été massacrée par un du son, fou. Les grands coups de potentiomètres pour augmenter les nuances sont ridicules. Avec un peu de boulot, on peut rétablir un semblant de normalité dans cette valse, mais quel gâchis.

Para ti madre 1972 — Alberto Echagüe con orquesta de .

Mais qu’est-ce qui a pris à Echagüe de s’associer avec Dragone pour enregistrer cette version sinistre ? Même si on arrive à supporter l’orgue électronique, la tristesse de l’introduction et l’ambiance de cette valse rendent définitivement impassable à une mère un tant soit peu aimée… Peut-être que j’ai une petite dent contre l’orgue électronique, car quand j’étais adolescent et que je jouais sur l’un d’entre eux, celui-ci a décidé de prendre feu, chose qui n’arrive pas avec les bons vieux Steinway Bossendörfer ou Yamaha…
Echagüe dit la première strophe, cela donne un air un peu sinistre.
Pour le reste, il chante les paroles avec de légères variantes.

Para ti madre (1972 ? Le disque est sorti le 14 janvier 1974) — Los Solistas de D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Echagüe se rachète avec cette version enregistrée avec les anciens musiciens de D’Arienzo. Carlos Lázzari (Bandonéon, arrangements et directeur), Normando Lázara (Piano), Milo Dojman (Violín), Enrique Amadeo Guerra (Contrabajo) et Alberto Echagüe au chant.
Echagüe change ce qu’il disait dans la version de Dragone, ce qui enlève un peu de sinistre. Le rythme plus rapide fait que la valse passe mieux.

Si rien ne vous convient, vous trouverez des dizaines de titres en cherchant avec Mamá, Madre et Madrecita. Beaucoup sont des valses, forme qui se prête particulièrement aux anniversaires et fêtes en tout genre.
Et si tout cela ne vous suffit pas, pour terminer avec un genre différent, je vous propose, Para ti madrecita par le chanteur équatorien Julio Jaramillo sur une musique et des paroles de Sergio Bedoya.

Para ti madrecita — Julio Jaramillo, El Ruiseñor de América.
Para ti madre.