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La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Pourquoi une femme noire ten­ant un bon­go sur plan de sur­feurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une expli­ca­tion. Alors par­tons à la décou­verte de la Rumbi­ta can­dombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui con­tin­ue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.

Extrait musical

La rumbi­ta can­dombe 1942-12-29 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

Comme l’indique le titre, on recon­naît rapi­de­ment un rythme de rum­ba. J’écris « un » rythme de rum­ba, car il y a en a des dizaines. His­torique­ment, la rum­ba est orig­i­naire de Cuba où elle a été mêlée avec divers­es dans­es, notam­ment d’origine africaine. Cela se recon­naît par la com­plex­ité des rythmes qui sont loin des rythmes cod­i­fiés en Europe. Il n’est qu’à deman­der à un danseur européen moyen de faire son­ner le clave de la sal­sa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa cul­ture.
N’étant pas moi-même un spé­cial­iste de la rum­ba, j’ai essayé de déter­min­er le type de rum­ba util­isée dans cette com­po­si­tion. Par­mi la cen­taine de pos­si­bil­ités, je trou­ve que la rum­ba yam­bu (une des trois prin­ci­pales rum­bas cubaines) est un assez bon can­di­dat.

La rumbi­ta can­dombe de D’Arienzo et Mau­ré que j’ai mixé avec un rythme de rum­ba yam­bu.

Bien sûr, la ver­sion de D’Arienzo est un peu par­ti­c­ulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milon­ga en prenant plus de lib­ertés par rap­port au rythme orig­i­nal que les autres inter­pré­ta­tions. On notera, par exem­ple, une cadence bien plus rapi­de.

Le Général Juan Manuel de Rosas assis­tant à une man­i­fes­ta­tion de can­dombe vers 1838 assis­tant à une man­i­fes­ta­tion de can­dombe vers 1838.

De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sym­pa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le con­sid­éraient comme un libéra­teur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit prob­a­ble­ment témoign­er de sa prox­im­ité. On remar­quera les tam­bours du can­dombe. Le pein­tre, Martín Boneo s’est représen­té avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du cou­ple (Manueli­ta) est en rouge au côté de l’homme noir assis.

Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Les dif­férentes ver­sions dis­posent de paroles légère­ment dif­férentes. Celles de l’en­reg­istrement de D’Arienzo et Mau­ré sont les plus diver­gentes par rap­port aux paroles orig­i­nales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles orig­i­nales et don­nerai quelques indi­ca­tions pour les autres ver­sions.

Presten todos aten­ción
Que ya empezó
Y a virutear esta milon­ga
Que el rey negro bau­ti­zo

No es su cuna el arra­bal
Negro y cumbe

Por eso es que
Todos le dicen
La milon­ga can­dombe

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

A bailar a can­tar
A seguir sin parar

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

Que se va y se fue
La milon­ga can­dombe.

Osval­do Novar­ro; Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) Letra: Mario Bat­tis­tel­la

Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Prêtez tous atten­tion.
Ça a déjà com­mencé et pour virutear (référence à la viru­ta et l’usure du planch­er) cette milon­ga que le roi noir a bap­tisée.
Ce n’est pas son berceau les faubourgs
Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres)
C’est pourquoi tous l’ap­pel­lent la milon­ga can­dombe
Ae ae ae ae
À danser, à chanter
À con­tin­uer sans s’ar­rêter,
Ae ae ae ae
Car elle s’en va et est par­tie
La milon­ga can­dombe.

Autres versions

Je com­mence par les auteurs de la musique, Osval­do Novar­ro et Tito Luar.

La rumbi­ta can­dombe 1942-06-02 — Hawai­ian Ser­e­naders con Osval­do Novar­ro.

Les Hawai­ian Ser­e­naders est un groupe argentin, mal­gré ce que pour­rait laiss­er penser son nom. Il fut act­if durant une ving­taine d’années après sa créa­tion en 1940 par le chanteur Osval­do Novar­ro (Héc­tor Vil­lanue­va) asso­cié à Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) (Directeur d’orchestre, trom­bon­iste et vio­loniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour.
Les deux hommes étaient d’origine vénézuéli­enne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’histoire.

À l’o­rig­ine du groupe Hawai­ian ser­e­naders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osval­do Novar­ro dans les années 30.

À ce sujet, il est amu­sant de not­er qu’il y a eu un autre groupe nom­mé The Hawai­ian Ser­e­naders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (prob­a­ble­ment un pseu­do­nyme…). Je ne résiste pas à la ten­ta­tion de vous présen­ter une de mes 600 cumpar­si­tas par ces Grecs « hawaïens »…

La cumpar­si­ta 1941 — Felix-Mendelssohn & His Hawai­ian Ser­e­naders.

Les sonorités sont beau­coup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…

La rumbi­ta can­dombe 1942-12-29 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré. C’est notre titre du jour.
La rumbi­ta can­dombe 1943-06-28 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

Oscar Ser­pa et surtout l’interprétation mag­nifique de Frese­do fait que cette ver­sion peut très bien être pro­posée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.

La negri­ta can­dombe (La rumbi­ta can­dombe) 1943-07-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

La ver­sion de Canaro est sans doute celle qui est la plus con­nue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la ver­sion de D’Arienzo, le rythme de la rum­ba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses per­cus­sion­nistes de son orchestre de jazz, Canaro peut pro­pos­er une intro­duc­tion au tam­bour et une orches­tra­tion un peu dif­férente.

Paroles de la version originale

Presten todos aten­ción
Que va a empezar,
Esta será la nue­va dan­za
Que ten­dremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
El cabaré
Por eso es que la lla­mamos
La rumbi­ta can­dombe.

(Estri­bil­lo)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
A bailar, a can­tar
A seguir sin parar,
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
Ya se va, ya se fue
La rumbi­ta can­dombe.

El autor de su com­pás
Es un bongó,
Que se enam­ora­do de una milon­ga
Un domin­go se casó
Y es por eso que al vibrar,
Sen­ti­men­tal su rit­mo es
Mez­cla de rum­ba
Y can­dombe fed­er­al.
Osval­do Novar­ro; Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) Letra: Mario Bat­tis­tel­la

Traduction libre des paroles de la version originale

Prêtez tous atten­tion.
Ça va com­mencer,
Ce sera la nou­velle danse que nous devrons danser…
Son berceau était l’il­lu­sion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’ap­pelle, la rumbi­ta can­dombe.

(Refrain)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (chœur)
À danser, à chanter
À con­tin­uer sans s’ar­rêter,
Ae, ae, ae, ae (chœur)
Déjà elle s’en va, déjà elle est par­tie
La rumbi­ta can­dombe.

L’au­teur de son rythme est un bon­go, qui est tombé amoureux d’une milon­ga.
Un dimanche, il s’est mar­ié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sen­ti­men­tal, son rythme est un mélange de rum­ba et de can­dombe fédéral.

Paroles de la version de Canaro et Roldán

Presten todos aten­ción
Que va a empezar,
Esta será la nue­va dan­za
Que ten­dremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
Que le dio fe,
Por eso es que la lla­mamos
La negri­ta can­dombe.

Así, así, así, así
Así, así, así, así (coro)
A bailar, a can­tar
A seguir sin parar,
Así, así, así, así (coro)
Ya se va, ya se fue
La negri­ta can­dombe.

El autor de su com­pás
Es un bongó,
Que al arrib­ar a la Argenti­na
De una criol­la se prendó…
Y es por eso que al vibrar,
Sen­ti­men­tal su rit­mo es
Mez­cla de rum­ba
Y can­dombe fed­er­al.

Osval­do Novar­ro; Tito Luar (Raúl For­tu­na­to) Letra: Mario Bat­tis­tel­la (y?)

Traduction libre de la version de Canaro et Roldán

C’est pourquoi nous l’ap­pelons
La negri­ta can­dombe.
(La rumbi­ta est passée de la musique, petite rum­ba à une negri­ta, petite femme noire).
Comme ceci, comme cela, comme cela
(con­traire­ment aux autres ver­sions, Roldán chante “así” et pas “ae”).
Comme ceci, comme ça, comme ça
Danser, chanter
Pour con­tin­uer sans s’ar­rêter,
Comme ceci, comme ça, comme ça
Déjà elle s’en va, déjà elle est par­tie
La negri­ta can­dombe.
L’au­teur de son rythme est un bon­go, qui à son arrivée en Argen­tine, d’une créole, est tombé amoureux…
(la local­i­sa­tion en Argen­tine et la men­tion d’une créole ancrent la chan­son. Canaro était Uruguayen de nais­sance et les esclaves étaient en grande par­tie orig­i­naires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant).
Et c’est pourquoi, quand il vibre, sen­ti­men­tal, son rythme est un mélange de rum­ba et de can­dombe fédéral.

Quelques éléments sur la milonga candombe

Même si le pro­pos de Osval­do Novar­ro et Tito Luar était de créer un nou­veau rythme à base de rum­ba en le mix­ant avec des rythmes de can­dombe, cette expéri­men­ta­tion qui n’a pas don­né d’autres musiques est con­tem­po­raine de l’apparition de la milon­ga can­dombe.
En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milon­ga can­dombe.
Sa pre­mière milon­ga can­dombe est Pena mula­ta (écrite en 1940).

Pena mula­ta 1941-02-18 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no (Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi).

C’est le plus ancien enreg­istrement de milon­ga can­dombe. Amis DJ, si vous avez une milon­ga can­dombe d’avant 1940, c’est sûre­ment un can­dombe ou un autre rythme… Ce n’est pas inter­dit de le pass­er, mais prenez vos pré­cau­tions pour ne pas met­tre en dif­fi­culté les danseurs qui sont sou­vent moins à l’aise avec les milon­gas can­dombe et qui peu­vent être totale­ment per­dus avec des can­dombes.

Aleluya 1943-12-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán (Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo).

Et une ver­sion par Piana lui-même :

Aleluya 1944 — Sebastián Piana con Jorge Demare.

Une ver­sion brute, un peu rugueuse, mais qui fait bien sen­tir les orig­ines de l’inspiration de Piana.

Les titres apparentés au candombe, composés par Sebastián Piana

• Juan Manuel 1934 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Milon­ga fed­er­al)
• Pena mula­ta 1940 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Mar­cha can­dombe)
• Car­navalera 1941 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Milon­ga can­dombe)
• Papá Bal­tasar 1942 — Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi (Milon­ga can­dombe)
• Aleluya 1944 — Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo (Milon­ga negra)
• Ahí viene el negro Raúl 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (Tan­go can­dombe)
• Cal­abú 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (Can­ción de cuna can­dombe)
• El vende­dor de velas 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• Hue­vi­tos de olor 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• La aceitu­na del negro 1973 — Sebastián Piana — Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• La cri­a­da de misia Jovi­ta 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• La mule­cona 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Loren­zo Bar­cala 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Marycham­bá ‑1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Matan­do hormi­gas 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe pregón)
• Sol­dao, pelo col­orao 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Tomá pa’ shu­ca 1973 — Sebastián Piana Letra: León Benarós (can­dombe)
• Carum­baié — Sebastián Piana Letra: Julián Centeya (Milon­ga can­dombe)
• Jac­in­to ret­into — Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Car­nel­li (Milon­ga can­dombe)
• Pastel­era — Sebastián Piana Letra: Cátu­lo Castil­lo (Milon­ga negra)
• Se casa el negri­to — Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Car­nel­li (Milon­ga can­dombe)

Pour ter­min­er, un peu de théorie musi­cale du can­dombe avec les jeux des tam­bours.
Pour la par­tie can­dombe, c’est un peu plus facile, car nous sommes plus accou­tumés à ces rythmes.
Le can­dombe utilise trois types de tam­bours :
Tam­bor chico
https://youtu.be/p2CL5-Ok4SI
Tam­bor repique
https://www.youtube.com/watch?v=VwxzY1fgrUw&t=96s
Tam­bor piano
https://youtu.be/K77E_k0S_q8
Les trois tam­bours jouant ensem­ble :

Les trois types de tam­bours du can­dombe, de gauche à droite : Tam­bor repique, tam­bor chico, tam­bor piano et un autre tam­bor chico.

Et les surfeurs ?

Ah oui, j’allais oubli­er. Mais vous avez sans doute dev­iné.
La femme noire, c’est la negri­ta de Canaro, le tam­bor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le can­dombe et les sur­feurs et l’exocet, c’est une par­tie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.

Une affiche pub­lic­i­taire pour Hawaï de la Pan Amer­i­can Air­ways.

Le surf à Hawaï sem­ble être une très vieille activ­ité, comme en témoigne James Cook en 1779.

Duke Kahanamoku en 1910.

À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sand­wich, nom qu’avait don­né Cook en l’honneur de John Mon­tagu de Sand­wich, l’inventeur du sand­wich. Atten­tion, il ne faut pas les con­fon­dre avec les Îles Sand­wich du Sud, revendiquées, comme les Îles Mal­ouines, par l’Argentine…

Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémis­phère Nord et les Îles Sand­wich du Sud, revendiquées par l’Ar­gen­tine.

À bien­tôt les amis !

Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Mario Melfi Letra: Mario Battistella

Si on ne doit se sou­venir que d’une com­po­si­tion de Mario Melfi, c’est sans con­teste de Poe­ma. Mais si on doit se sou­venir de deux, alors, Remem­bran­za, notre tan­go du jour est assuré­ment dans la liste. Ce qui en revanche est curieux est que l’on asso­cie très peu ces deux titres, très sem­blables. Mais peut-être qu’il y a une ou plusieurs solu­tions…

Tandas mixtes

Hier, dans un groupe de DJ, une ques­tion très étrange a été posée. Com­bi­en de tan­das mixtes peu­vent être passées dans une milon­ga ?
J’avoue que j’ai relu deux fois la ques­tion pour voir de quoi il s’agissait. Il arrive en effet, que l’on mélange dans la même tan­da, des orchestres dif­férents. C’est assez fréquent pour les milon­gas et les valses et je le fais par­fois, par exem­ple pour associ­er des enreg­istrements de Cara­bel­li avec son pro­pre orchestre et de la Típi­ca Vic­tor, dirigée par lui. Je le fais égale­ment quand il y a un titre orphe­lin, qui n’a pas de tan­go com­pat­i­ble par le même orchestre et qu’un autre orchestre à quelque chose qui peut bien se com­bin­er avec. L’étrangeté de la ques­tion vient de « com­bi­en de tan­das mixtes »…
Je n’ai pas répon­du au groupe, mais ma réponse aurait pu être, le DJ fait ce qu’il veut dans la mesure où les danseurs sont con­tents. Faire de bonnes tan­das mixtes est dif­fi­cile, faire 100 % de tan­das mixtes serait un défi très dif­fi­cile à relever…
Poe­ma est asso­cié à l’enregistrement de Canaro et Mai­da de 1935. Remem­bran­za a plusieurs points d’accroche. Notre enreg­istrement du jour avec Pugliese et Maciel est sans doute le plus con­nu. 21 ans sépar­ent ces deux enreg­istrements, un écart encore plus grand existe entre les styles des orchestres, ce qui rend bien évidem­ment ces deux enreg­istrements totale­ment incom­pat­i­bles dans une même tan­da.
Cepen­dant, la struc­ture des morceaux est tout à fait com­pat­i­ble, on trou­ve même des extraits de phras­es musi­cales com­pa­ra­bles entre les deux œuvres. Remem­bran­za aurait été enreg­istré par Canaro et Mai­da, ou Poe­ma par Pugliese et Maciel et on aurait deux piliers solides pour une tan­da.
Ce rêve existe cepen­dant. Je vous le présen­terai en fin d’article…

Extrait musical

Remem­bran­za 1956-07-04 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel
Par­ti­tion argen­tine de Remem­bran­za.

Paroles

Cómo son largas las sem­anas
cuan­do no estás cer­ca de mí
no sé qué fuerzas sobre­hu­manas
me dan val­or lejos de ti.
Muer­ta la luz de mi esper­an­za
soy como un náufra­go en el mar,
sé que me pier­do en lon­tanan­za
mas no me puedo res­ig­nar.
¡Ah
¡qué triste es recor­dar
después de tan­to amar,
esa dicha que pasó…
Flor de una ilusión
nues­tra pasión se mar­chitó.
¡Ah
¡olvi­da mi des­dén,
retor­na dulce bien,
a nue­stro amor,
y volverá a flo­re­cer
nue­stro quer­er
como aque­l­la flor.
En nue­stro cuar­to tibio y rosa
todo quedó como otra vez
y en cada adorno, en cada cosa
te sigo vien­do como ayer.
Tu foto sobre la mesi­ta
que es cre­den­cial de mi dolor,
y aque­l­la hort­en­sia ya mar­chi­ta
que fue el can­tar de nue­stro amor.

Mario Melfi Letra : Mario Bat­tis­tel­la

Autres versions

Les versions françaises

Je pense vous sur­pren­dre en vous indi­quant que les deux pre­miers enreg­istrements de ce titre ont été chan­tés en français. En effet, Melfi et Bat­tis­tel­la étaient à Paris à l’époque. Mario Melfi a même fait l’essentiel de sa car­rière en France où il est mort en 1970. Le titre en français est Ressou­ve­nance, un terme aujourd’hui tombé en désué­tude…
C’est donc Mario Melfi qui ouvre le bal des ver­sions avec un enreg­istrement de 1934, chan­té, donc en français, par Mar­cel Véran et appelé donc Ressou­ve­nance et pas Remem­bran­za.

Ressou­ve­nance 1934 — Mario Melfi Chant Mar­cel Véran (en français). Paroles de Robert Cham­fleury et Hen­ry Lemarc­hand.

C’est le plus ancien enreg­istrement, de plus, réal­isé par l’auteur de la musique, Mario Melfi. En ce qui con­cerne les paroles en français, on se rend compte qu’elles sont proches de celles de Bat­tis­tel­la. On peut donc penser que Bat­tis­tel­la est bien l’auteur orig­i­nal, puisqu’il était à Paris et que Robert Cham­fleury et Hen­ry Lemarc­hand ont adap­té (avec plus de tal­ent que moi) les paroles en français. Vous pour­rez en trou­ver la tran­scrip­tion après le chapitre autres ver­sions.

Ressou­ve­nance 1934 — Auguste Jean Pesen­ti et son Orchestre Tan­go Chant Guy Berry (en français).

Mer­ci à mon col­lègue Michael Sat­tler qui m’a fourni une meilleure ver­sion de ce titre. Si c’est le sec­ond enreg­istrement, il sem­blerait que Guy Berry fut le pre­mier à chanter le titre.

Cou­ver­ture de la par­ti­tion de 1934. On voit que Berry a créé le tan­go et les paroliers sont unique­ment les deux français. On notera égale­ment que Melfi est crédité de son suc­cès de Poe­ma.
Ressou­ve­nance 1934-12-13 — Orlan­do et son orchestre Chant Jean Clé­ment (en français).
Remem­bran­za 1944 — Ramón Men­diz­a­bal. Remem­bran­za a été gravé sur la face B du disque, la face A étant réservée à Obses­sion.

Avec cet enreg­istrement, j’arrête la liste des ver­sions « français­es » (même si la dernière n’est pas chan­tée). Et je vous pro­pose main­tenant les ver­sions « Argen­tines ».

Les versions argentines

Remem­bran­za 1937-05-11 — Héc­tor Pala­cios con gui­tar­ras.

Après les ver­sions français­es avec orchestres, les gui­tares de Héc­tor Pala­cios ne font pas tout à fait le poids. Cepen­dant, ce titre est com­pat­i­ble avec ce type de ver­sion intime et si le résul­tat n’a rien à faire en milon­ga, il est plutôt agréable à écouter.

Remem­bran­za 1943-02-12 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Orlan­do Med­i­na.

Une jolie ver­sion, dans le style de Maler­ba et Med­i­na qui a sa sonorité par­ti­c­ulière.

Remem­bran­za 1947-05-09 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó.

Si les ver­sions précé­dentes avec orchestre, y com­pris les ver­sions français­es étaient har­monieuses, je trou­ve que celle-ci souf­fre d’un manque de cohérence entre la voix de Ribó et l’orchestre de Ricar­do Tan­turi. Le tal­ent des deux n’est pas en cause, Osval­do Ribó avec un orchestre plus présent aurait don­né une très belle ver­sion et inverse­ment.

Remem­bran­za 1948-09-08 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi con Jorge Maciel.

La voix tra­vail­lée de Maciel n’a peut-être pas trou­vé l’orchestre idéal pour sa mise en valeur. On sent Gob­bi un peu réservé, là encore, le résul­tat ne me con­vînt pas totale­ment.

Remem­bran­za 1952-05-23 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta típi­ca con Car­los del Monte.

Encore une ver­sion qui ne va pas provo­quer des ondes d’enthousiasme. De plus, elle n’est pas des­tinée à la danse, mais c’est intéres­sant de temps à autre de présen­ter un de ces deux-cent d’orchestres qui ont œuvré à l’âge d’or et qui n’ont pas eu droit à la recon­nais­sance de la postérité.

Remem­bran­za 1954-12-28 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

On arrive dans des ver­sions un peu plus tra­vail­lées. On remar­quera l’introduction très par­ti­c­ulière de cette ver­sion de De Ange­lis.

Mais atten­dez la suite, les choses sérieuses com­men­cent.

Remem­bran­za 1956-07-04 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tan­go du jour.

Les essais de voix plus tra­vail­lées enten­dus précédem­ment trou­vent un meilleur ter­rain avec l’orchestre de Pugliese. Le mariage de la voix de Jorge Maciel avec l’orchestre est bien plus abouti dans cette ver­sion que dans celle de Gob­bi, 8 ans plus tôt.

Remem­bran­za 1963 — Orques­ta Juan Canaro con Susy Lei­va.

J’aurais présen­té les choses à l’envers, Susy Lei­va accom­pa­g­née par l’orchestre de Juan Canaro. C’est une ver­sion à écouter, la voix de Susy Lei­va est expres­sive et a de l’émotion. Mais bon, revenons à nos piliers.

Remem­bran­zas 1964-09-25 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Avec Jorge Valdez, D’Arienzo a un peu mis de côté le tan­go de danse pour suiv­re la mode de l’époque qui était plus radio­phonique ou télévi­suelle que dansante.
D’Arienzo inter­prète le titre dans ses con­certs, comme ici à Mon­te­v­ideo en 1968.

Remem­bran­zas 1968 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Osval­do Ramos. Cet enreg­istrement a été réal­isé à Mon­te­v­ideo (Uruguay).

On revient avec Jorge Valdez qui gagne la palme du chanteur qui a le plus enreg­istré Remem­bran­za, encore une émis­sion de télévi­sion.

Jorge Valdez en Grandes Val­ores (une émis­sion des années 70).

Paroles de la version chantée en français par Guy Berry, Marcel Véran, Jean Clément et autres chanteurs français

Com­bi­en est longue une journée
Quand tu n’es pas auprès de moi.
Com­ment ai-je pu deux années
Vivre sans enten­dre ta voix ?
Je n’ai pour con­sol­er ma peine
Que les doux rêves du passé,
Car ni les jours ni les semaines
N’ont jamais pu les effac­er…
Ah !… Qu’il est trou­blant, chéri(e),
D’évoquer, comme on prie,
Ce bon­heur, hélas trop court.
Rien n’a pu ternir
Le sou­venir de ces beaux jours.
Ah !… Par­donne à ma folie.
Reviens je t’en sup­plie
À notre amour.
Rien ne pour­ra me gris­er
Que tes bais­ers,
Comme aux anciens jours.
Dans notre cham­bre tiède et rose,
Tout est resté comme autre­fois.
Et chaque objet et chaque chose
Ne me sem­ble atten­dre que toi.
Ton por­trait sur la chem­inée
Sem­ble sourire à mon espoir.
Dans un livre, une fleur fanée
Rap­pelle nos ser­ments d’un soir…

Mario Melfi Letra : Mario Bat­tis­tel­la (adap­té en français par Robert Cham­fleury et Hen­ry Lemarc­hand)

Remembranza et Poema unis dans une tanda idéale

Nous avons vu en début d’article qu’il n’y avait pas d’enregistrement com­pat­i­ble de ces deux titres à l’âge d’or du tan­go. C’est une grande frus­tra­tion pour les DJ et sans doute les danseurs.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car les Pesen­ti ont enreg­istré Poe­ma et Ressou­ve­nance, mais ce ne sont sans doute pas des ver­sions suff­isantes pour les danseurs avancés. Je vous laisse en juger.

Poe­ma 1933 – Orques­ta Típi­ca Auguste Jean Pesen­ti du Col­iséum de Paris con Nena Sainz.
Ressou­ve­nance 1934 — Auguste Jean Pesen­ti et son Orchestre Tan­go Chant Guy Berry (en français).
Poe­ma 1937 – René Pesen­ti et son Orchestre de Tan­go con Alber­to.

Je rajoute cette ver­sion de Poe­ma par le frère de Auguste Jean, René Pesen­ti. Elle est com­pat­i­ble et présente l’avantage d’être chan­tée par un homme (Alber­to), ce qui peut être préféré par cer­tains qui n’aiment pas trop les mélanges dans une tan­da.

Si vous avez estimé que ces ver­sions n’étaient pas à la hau­teur, il nous faut chercher ailleurs. Je pense que l’orchestre qui va nous don­ner ce plaisir est la Roman­ti­ca Milonguera. Il a enreg­istré les deux titres dans des ver­sions com­pat­i­bles et de belle qual­ité, presque équiv­a­lentes à la ver­sion de Canaro et Mai­da.
Je vous présente ces deux enreg­istrements en vidéo. Une belle façon de ter­min­er cette anec­dote du jour, non ?

Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera — Poe­ma
Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera — Remem­bran­za

Mer­ci à la Roman­ti­ca Milonguera et à demain, les amis !

Melodía de arrabal (film) — 1933-04-05

Met­teur en scène : Louis Joseph Gas­nier Scé­nario Alfre­do Le Pera.

Melodía de arra­bal, c’est le retour de Car­los Gardel au ciné­ma dans un film réal­isé par le réal­isa­teur français, Louis Joseph Gas­nier. Com­ment un film français, réal­isé en France, nous apprend ce qui se pas­sait dans le milieu du tan­go argentin au début du vingtième siè­cle.

Bien sûr, ce film n’est pas un doc­u­men­taire et on pour­rait con­sid­ér­er qu’il exploite des clichés sur le tan­go portègne. Cepen­dant, ces mêmes clichés sont ceux qui nour­ris­sent les paroles et l’imaginaire des tan­gos, imag­i­naire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagar­reurs séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révè­lent avoir du car­ac­tère ou d’autres aspi­ra­tions.
À ceux qui peu­vent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs argentins ou espag­nols par une société améri­caine (Para­mount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapi­de du tan­go.
Je vous pro­pose aujourd’hui quelques élé­ments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sor­ti au ciné­ma le 5 avril 1933.

Les acteurs

Car­los Gardel (Rober­to Ramírez), Impe­rio Argenti­na (Ali­na), Vicente Padu­la (Gutiér­rez), Jaime Devesa (Ran­cales, le truand), Hele­na D’Al­gy (Mar­ga), Felipe Sas­sone (Empre­sario), Manuel París (Mal­don­a­do), José Argüelles (Julián), Josi­ta Hernán.

Car­los Gardel et Impe­rio Argenti­no à l’époque du tour­nage du film (fin 1932).

L’intrigue

Rober­to Ramírez, inter­prété par Car­los Gardel, est un vau­rien qui vit dans les cafés de la ban­lieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tan­go.
Ali­na (jouée par Impe­rio Argenti­na) qui est pro­fesseur de chant l’entend chanter et lui con­seille de se lancer dans le méti­er.
Rober­to Ramírez (Gardel) décide de suiv­re ses con­seils et d’améliorer sa vie. Mal­heureuse­ment, il tue acci­den­telle­ment un truand qui menaçait de dévoil­er ses mau­vais pen­chants à Ali­na, qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux).
Si on passe les péripéties de l’enquête poli­cière (dont le rebondisse­ment final est amu­sant), on notera qu’Alina cherche à faire enten­dre Rober­to, son pro­tégé à un pro­duc­teur joué par Felipe Sas­sone.
Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoil­er en pub­lic, mais le pro­duc­teur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui.
Lors de cette soirée, le pro­duc­teur fait chanter Ali­na, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter.
Si on me per­met cette audace, c’est aus­si lors de cette soirée que le truand Ran­cales essaye égale­ment de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il ter­min­era mort dans une scène à la Agatha Christie.
C’est un suc­cès, le pro­duc­teur fait venir Gardel, par­don, Rober­to dans son théâtre et l’y fait chanter.
C’est là qu’il va chanter Silen­cio avec beau­coup de suc­cès. C’est net­te­ment le temps fort du film. On com­pren­dra pourquoi en lisant ma notice sur Silen­cio…
La ver­sion du film que je pro­pose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arra­bal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exem­ple, quand Ran­cales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Ali­na, qui lui avait pro­posé de l’aider à chanter. On le sait unique­ment par un dia­logue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le change­ment de cos­tume est cen­sé nous ren­seign­er.
Le film se ter­mine en par­fait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Rober­to (Melodía de arra­bal) tour­nant sur un gramo­phone et la caméra qui se lance dans un long trav­el­ing arrière symétrique du trav­el­ing du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devan­ture du mag­a­sin de disque. Le mot « fin » appa­raît sur le sol. Gardel, (Rober­to) est devenu chanteur de tan­go…

Quelques points de repère et moments forts du film

Cliquez sur les vidéos, vous irez directe­ment au moment sélec­tion­né. Ne vous fiez pas à l’im­age qui est tou­jours la même, vous irez bien au point indiqué en cli­quant sur l’im­age.

Pour voir le film en entier dans YouTube, cliquez sur ce lien.

Le film com­mence après un panoramique sur un long trav­el­ing avant qui suit Car­los Gardel (Rober­to) jusqu’à un mag­a­sin de dis­ques.
Quelques per­son­nes sont autour d’un phono­graphe qui passe une ver­sion instru­men­tale de Melodía de arra­bal. Gardel qui est entré y ren­con­tre Impe­ria (Ali­na). Il lui pro­pose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Rober­to lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la crois­era.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance recon­sti­tué dans un stu­dio de la région parisi­enne des lieux portègnes du début du vingtième siè­cle.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chan­tée par Impe­rio Argenti­na et Car­los Gardel en Duo. Une per­le ! José Sen­tis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et com­pos­i­teur né en Espagne. Il fut un des pio­nniers du tan­go à Paris. Ce titre témoigne de ses orig­ines.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le bar­man utilise un shak­er comme des mara­cas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tan­go et jazz. Con­tin­uez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de mai­son (le pro­duc­teur) arrête la musique sur laque­lle les gens dan­saient pour annon­cer l’intermède. On voit donc un bal privé util­isant des dis­ques. À la suite chante donc Impe­rio Argenti­na qui s’accompagne au piano.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuan­do tú no estás, une chan­son chan­tée par Car­los Gardel accom­pa­g­né au piano par Impe­rio Argenti­na. (Car­los Gardel et Mar­cel Lat­tés pour la musique et Alfre­do Le Pera et Mario Bat­tis­tel­la pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silen­cio, par Car­los Gardel (Musique Car­los Gardel et Hora­cio G. Pet­torossi, paroles Alfre­do Le Pera et Hora­cio G. Pet­torossi). Nous avons présen­té ce mer­veilleux titre dans une anec­dote du jour Silen­cio. Remar­quez à l’arrière-plan la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
1 :15 :07 Melodía de arra­bal, par Car­los Gardel (Car­los Gardel pour la musique et Alfre­do Le Pera et Mario Bat­tis­tel­la pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4502
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arra­bal, cette fois sur le disque qu’il a enreg­istré. C’est la fin du film.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872

Quelques affiches et pochettes de DVD…

Vous pou­vez les regarder en écoutant, deux ver­sions très dif­férentes.

Melodía de arra­bal 1933-04-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silen­cio, pub­lie “la musique du film” dans sa ver­sion. Un bon mar­ket­ing, c’est tou­jours utile, non ? En plus, c’est une ver­sion de danse, alors, on ne va pas boud­er son plaisir.
Melodía de arra­bal 1965 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héc­tor Gagliar­di J’aime bien la glose ini­tiale. Et cette ver­sion est sym­pa­thique.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milon­ga, enreg­istrée il y a exacte­ment 81 ans par D’Agostino et Var­gas évoque l’un des lieux de tan­go semi-clan­des­tin les plus fameux des débuts du tan­go. Celui qui était tenu par Lau­renti­na Mon­ser­rat, Lau­ra. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siè­cle. Je vous pro­pose de suiv­re le tan­go dans ses berceaux inter­lopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale pun­ta, j’ai évo­qué les « maisons » de tan­go. Je pro­longe ici l’enquête, plus au cœur de ces pre­miers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas

Les paroles

Milon­ga de aquel entonces
que trae un pasa­do envuel­to…
De aquel 911
ya no te que­da ni un vuel­to…
Milon­ga que en lo de Lau­ra
bailé con la Par­da Flo­ra
Milon­ga provo­cado­ra
que me dio car­tel de tau­ra…
Ah… milon­ga ‘e lo de Lau­ra

Milon­ga de mil recuer­dos
milon­ga del tiem­po viejo.
Qué triste cuan­do me acuer­do
si todo ha queda­do lejos…
Milon­ga vie­ja y sen­ti­da
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya esta­mos dob­lan­do el codo.
Ah… milon­ga ‘e lo de Lau­ra

Ami­gos de antes, cuan­do chiquilín,
fui bailarín com­padri­to…
Saco negro, tren­sil­lao, y bien afrance­sao
el pan­talón a cuadri­tos…
¡Que baile solo el Moro­cho
! — me solía gri­tar
la bar­ra «
e los Bal­mace­da…
Viejos tan­gos que empezó a can­tar
la Pepi­ta Avel­lane­da
¡Eso ya no vuelve más!

Anto­nio Poli­to Letra Enrique Cadí­camo (Domin­go Enrique Cadí­camo).

Traduction

Milon­ga de cette époque qui apporte un passé révolu…
De ce 911, il ne te reste, pas même une pièce (mon­naie ren­due)…
Milon­ga que j’ai dan­sée que j’ai dan­sée chez Lau­ra (en lo de Lau­ra) avec la Par­da Flo­ra…
Milon­ga provo­ca­trice qui m’a don­né une répu­ta­tion de brave…
Ah… la milon­ga chez Lau­ra…

Milon­ga aux mille sou­venirs, milon­ga d’an­tan.
Quelle tristesse quand je me sou­viens que tout est si loin !
Milon­ga vieille et sincère, qui sait ce qu’il est devenu de tout ?
Sur la piste de la vie, nous avons atteint un âge vénérable (doblar el codo = pass­er un cap où il reste moins de temps à vivre que ce qu’on a vécu).
Ah… la milon­ga chez Lau­ra…

Amis d’an­tan, quand, enfant, j’é­tais un danseur com­padri­to…
Veste noire, galon, et le pan­talon bien français, à car­reaux…
Q’uil danse seul, le Moro­cho ! (homme à la peau som­bre) — avaient l’habitude de me crier la bande et les Bal­mace­da…
Wieux tan­gos qu’avait com­mencé à chanter la Pepi­ta Avel­lane­da… (peut-être la Par­da Flo­ra)
Cela ne revien­dra plus !

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beau­coup de bêtis­es sur les prémices du tan­go, le mieux est donc de faire court pour lim­iter la liste de ces âner­ies. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près cer­taine est qu’il n’est pas né dans les salons hup­pés de la bour­geoisie. Cepen­dant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient par­fois s’encanailler dans les moins trou­bles des lieux de « diver­tisse­ment » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pou­vaient pas décem­ment se ren­dre dans les mêmes lieux, la danse se fai­sait avec les femmes du lieu, des ban­lieusardes, des soubrettes, des grisettes et des pros­ti­tuées, plus ou moins raf­finées. On n’y dan­sait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon général­isée et souhaitée…
Lorsque le tan­go est revenu cou­vert de gloire d’Europe et notam­ment de Paris, le tan­go s’est dif­fusé dans les hautes sphères. Il n’était plus néces­saire de fréquenter ce type de lieu pour le pra­ti­quer, les femmes de la bonne société pou­vaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles out­ran­cières comme celles de Vil­lo­do ont été réécrites, la danse s’est raf­finée en adop­tant une atti­tude plus droite, plus élé­gante, le tan­go était prêt à entr­er dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aus­si plus ou moins l’époque où l’enregistrement élec­trique est apparu, ce qui nous per­met de con­serv­er des sou­venirs sonores de bien meilleure qual­ité de cette époque. Enreg­istrement.

Allons au bordel

La mai­son que cer­tains appel­lent pudique­ment « école de danse » ou tout sim­ple­ment Lo de Lau­ra (ou du nom d’une autre ten­an­cière) est tout sim­ple­ment une mai­son de plaisirs. Cepen­dant, il ne faut pas y voir néces­saire­ment un lieu sor­dide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la pros­ti­tu­tion au XIXe siè­cle avait dif­férents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Cour­tisane. À Paris, la Pai­va en était sans doute le meilleur exem­ple. C’était une pros­ti­tuée, plus ou moins occa­sion­nelle qui a réus­si à se faire remar­quer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs rich­es hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au con­traire, c’est le con­traire qui aurait été choquant. On aurait pen­sé qu’il était pin­gre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Paï­va, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Paï­va est le seul hôtel par­ti­c­uli­er restant de l’époque où on affir­mait que c’étaient les Champs-Élysées qui étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rival­i­saient sur les « Champs ». Même ce sur­vivant est mis à mal, car désor­mais masqué par la devan­ture d’un bistrot.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa pro­prié­taire.

Les cocottes

La cocotte (cocote en espag­nol) n’arrive pas au statut social des cour­tisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suff­isam­ment riche ou généreux pour lui per­me­t­tre de s’établir dans un somptueux hôtel par­ti­c­uli­er.
Notons que les économies qu’arrivent à faire cer­taines leur per­me­t­tent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pen­sions (loge­ments) ou des bor­dels. Elles con­tin­u­ent donc de tra­vailler, elles-mêmes ou font tra­vailler d’autres femmes, con­traire­ment aux Cour­tisanes, qui ne tra­vail­lent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son bud­get, se livre à l’exercice moyen­nant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre pro­fes­sion qui ne garan­tit pas un revenu suff­isam­ment réguli­er et impor­tant pour vivre. Cer­taines auront un peu de chance dans leurs ren­con­tres et iront rejoin­dre les cocotes, voire les cour­tisanes, mais d’autres fer­ont cela à temps plein et entreront alors dans les maisons clos­es.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a dif­férents étages. Je ne ren­tr­erai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre pro­pos. Ce qu’il suf­fit de savoir est que pour pra­ti­quer le tan­go dans les pre­miers temps, c’étaient des lieux où on pou­vait facile­ment trou­ver une parte­naire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela com­mençait avec un café, café qui reste tou­jours de mise dans la bouche des dragueurs des milon­gas portègnes…
Ces étab­lisse­ments étaient con­trôlés, notam­ment pour lim­iter la syphilis et gérés par une anci­enne pros­ti­tuée, un souteneur ou quelque entre­pre­neur entre­prenant. D’ailleurs, de très nom­breuses filles pau­vres, notam­ment des Français­es, sont venues à Buenos Aires avec les promess­es d’un bel Argentin et se sont retrou­vées dans ces étab­lisse­ments avec des for­tunes très divers­es. Par­mi elles, on pour­rait citer de nom­breuses « grisettes » comme Grise­ta, Male­na, Manón, Mar­got, María, Mimí, Mireya Ninón et Made­moi­selle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toute­fois était une admin­is­tra­trice de pen­sion, pas de bor­del, elle a employé dif­férem­ment ses économies.
Les dif­férentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activ­ité.

Les « Lo »

Par­mi les lieux les plus réputés pour la danse, on pour­rait citer Lo de Lau­ra, qui fait l’objet de ce tan­go et que nous avons déjà décrit à pro­pos de Sacale pun­ta, Lo de Maria la Vas­ca (la Basque). On cite sou­vent Lo de Hansen qui était un bar-restau­rant créé par un Alle­mand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois dou­teux que ce fût un lieu de danse et un bor­del. En revanche, Lo de Tan­cre­li revendique les deux fonc­tions.

Lo de Hansen

Cet étab­lisse­ment était situé dans le parc 3 de febrero (Paler­mo) qui a été inau­guré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 févri­er 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui mar­que le début de la péri­ode nom­mée « orga­ni­zación nacional » (organ­i­sa­tion nationale…) de l’histoire poli­tique mou­ve­men­tée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sol­licite auprès de la com­mis­sion du parc d’ouvrir un café-restau­rant dans une con­struc­tion du parc (prob­a­ble­ment antérieure à la créa­tion du parc en 1875, car elle était en mau­vais état. Il avait déjà un étab­lisse­ment depuis 1869, égale­ment à Paler­mo (en face de la gare). La com­mis­sion accepte et Juan Hansen effectuera dif­férents travaux comme l’ajout d’une ter­rasse sur le toit, le rem­place­ment du planch­er par un car­relage, l’agrandissement des fenêtres exis­tantes et la con­struc­tion d’un salon sup­plé­men­taire.

Le café de Hansen, ici nom­mé « Restau­rant del Par­que 3 de Febrero » et la men­tion J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux pho­tos les amé­nage­ments pro­posés à la com­mis­sion : Le car­relage et la ter­rasse panoramique.

Le café restau­rant ouvre donc, mais se livr­erait à d’autres activ­ités, comme l’avancent « José Sebas­t­ian Tal­lón dans El tan­go en su eta­pa de músi­ca pro­hibi­da. Buenos Aires, Insti­tu­to Ami­gos del Libro Argenti­no, 1959 et repris par Enrique Hora­cio Puc­cia dans “el Buenos Aires de Ángel Vil­lol­do”. »
« Hansen à Paler­mo, était un mélange de bor­del somptueux et de restau­rant. Un com­merce de précurseurs, pour­rait-on dire, avec en prime les bagar­res fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréa­tion de bacanci­tos (petits chefs) et com­padri­tos comme ils se définis­sent eux-mêmes. Et des bagar­reurs et des gens ayant divers prob­lèmes. »
Cepen­dant, plus qu’un bor­del, c’était une « Chup­ping house » comme dis­ent élégam­ment les Argentins qui ne veu­lent pas par­ler de la chose et la déguisent par une expres­sion anglaise qui pour­rait se traduire par mas­tur­ba­tion. Il sem­blerait que les bosquets avoisi­nants aient été prop­ices à ces activ­ités, notam­ment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux vis­ages. Il était ouvert en per­ma­nence. De jour, il accueil­lait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fau­teurs de trou­ble s’y retrou­vaient.
Par­mi eux, les ama­teurs de tan­go. Ceux-ci venaient écouter, car il était inter­dit de le danser, comme l’affirment notam­ment Amadeo Las­tra et Miguel Angel Scen­na.
Cepen­dant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dan­sait tout de même au son de la musique dans les alen­tours de l’établissement. Dans ce sens, je vous pro­pose le témoignage de Félix Lima :

« Se bail­a­ba? Esta­ba pro­hibido el bai­lon­go, pero a reta­guardia del caserón de Hansen, en la zona de las glo­ri­etas tanguea base liso, tan­gos dormilones, de con­tra­ban­do. Los mozos hacían la vista gor­da. El tan­go esta­ba en pañales. A un no había inva­di­do los salones de la “haute”. Sola­mente lo bail­a­ban las mujeres ale­gres »

« Est-ce qu’on y dan­sait ? Il était inter­dit de faire du bai­lon­go, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des glo­ri­ettes, il se dan­sait des tan­gos tran­quilles, des tan­gos las­cifs (endormis), de con­tre­bande. Les serveurs fai­saient sem­blant de ne pas voir (vista gor­da). Le tan­go avait encore des couch­es (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (ale­gres) le dan­saient.

El Esquina­zo, un suc­cès à tout rompre

C’est dans cet étab­lisse­ment qu’a eu lieu l’incroyable suc­cès de El Esquina­zo d’Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do. Voici com­ment le racon­te Pintin Castel­lanos dans Entre cartes y que­bradas, can­dombes, milon­gas y tan­gos en su his­to­ria y comen­tar­ios. Mon­te­v­ideo, 1948.
Pintin par­le du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Ansel­mo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le pro­prié­taire le 8 mai 1903, adop­té le nom « Restau­rante Recreo Paler­mo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Sig­nalons que Tarana avait cinq voitures, pour rac­com­pa­g­n­er les clients à domi­cile, ce qui témoigne bien du suc­cès.
La com­po­si­tion de Vil­lol­do a été un tri­om­phe […]. L’accueil du pub­lic fut tel que, soir après soir, il se ren­dit au et le rythme dia­bolique du tan­go sus­men­tion­né com­mença à ren­dre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de com­ment c’était joué à l’époque, un enreg­istrement de 1909 sor­ti le 5 mars 1910.

El esquina­zo 1910-03 05 — Estu­di­anti­na Cen­te­nario dirige par Vicente Abad (Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra Car­los Pesce ; A. Timarni [Anto­nio Poli­to])

Tout d’abord, et avec une cer­taine pru­dence, les clients ont accom­pa­g­né la musique de « El Esquina­zo » en tapant légère­ment avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours pas­saient et l’engouement pour le tan­go dia­bolique ne ces­sait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se con­tentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gar­dant le rythme, aug­men­tèrent peu à peu et furent rejoints par des tass­es, des ver­res, des chais­es, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arri­va une nuit, une nuit fatale, où se pro­duisit ce que le pro­prié­taire de l’établissement floris­sant ressen­tait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tan­go déjà con­sacré de Vil­lol­do, une cer­taine ner­vosité était per­cep­ti­ble dans le pub­lic nom­breux […] l’orchestre a com­mencé le rythme ryth­mique de « El Esquina­zo » et tous les assis­tants ont con­tin­ué à suiv­re leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chais­es, tables, ver­res, bouteilles, talons, etc. […]. Patiem­ment, le pro­prié­taire (Ansel­mo R Tarana) a atten­du la fin du tan­go du démon, mais le dernier accord a reçu une stand­ing ova­tion de la part du pub­lic. La répéti­tion ne se fit pas atten­dre ; et c’est ain­si qu’il a été exé­cuté un, deux, trois, cinq, sept… Finale­ment, de nom­breuses fois et à chaque inter­pré­ta­tion, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inou­bli­able a coûté au pro­prié­taire plusieurs cen­taines de pesos, irré­cou­vrables. Mais le prob­lème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait con­tin­uer à se pro­duire dans les nuits suiv­antes.
Après mûre réflex­ion, le mal­heureux « Pagani­ni » des « assi­ettes brisées » prit une réso­lu­tion héroïque. Le lende­main, les clients du café Tarana ont eu la désagréable sur­prise de lire une pan­car­te qui, près de l’orchestre, dis­ait : « Est stricte­ment inter­dite l’exécution du tan­go el esquina­zo ; La pru­dence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette mai­son était située en la calle Europa, aujourd’hui, Car­los Cal­vo au n° 2721. Elle apparte­nait à Car­los Kern (El Ingles) et sa femme, María Ran­gol­la, une basque française) et une anci­enne pros­ti­tuée, dev­enue Cour­tisane la gérait.
C’est là que Rosendo Men­dizábal a lancé « El Entr­erri­ano », voir cela dans l’article sur Sacale pun­ta.

El entr­erri­ano 1910-03-05 Estu­di­anti­na Cen­te­nario dir. Vicente Abad (enreg­istré en 1909, sor­tie du disque le 5 mars 1910). Une sym­pa­thique ver­sion avec une jolie man­do­line.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vas­ca.

Le mari de la Vas­ca, Car­los Kern dont l’autre surnom était Matasi­ete (tue sept en référence à son imposante stature) veil­lait à ce que les dames de la mai­son soient respec­tées.

Un mur­al réal­isé par Eduar­do Saba­do, Ernesto Mar­t­inchuk en décem­bre 2024, représente Lo de María la Vas­ca.

Un film un peu par­ti­c­uli­er sur cette mai­son : Orig­ines pro­hibidos y prostibu­lar­ios del tan­go — María Aldaz. Il y a beau­coup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défile­ment automa­tique, mais ce tra­vail est intéres­sant si vous avez le courage de vous y plonger.

Orig­ines pro­hibidos y prostibu­lar­ios del tan­go par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vas­ca pos­sé­dait un autre lieu, plus mod­este qui était situé à Chile au 1567 à la Soci­etad Patria e Lavoro. Cet immeu­ble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Par­da » Lore­to.
Avec le paiement d’un sup­plé­ment, il était pos­si­ble de prof­iter d’une cham­bre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vas­ca, n’était pas for­cé­ment bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y pas­sait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Lau­ra est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milon­ga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai par­lé à pro­pos de Sacale pun­ta.
Cette mai­son était beau­coup plus grande que celle de María la Vas­ca.

Lo de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Cette « mai­son » était située en Paraguay 2512. C’est main­tenant une mai­son de retraite…

Sa fréquen­ta­tion était plus éli­tiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tan­gos qui par­lent de ces maisons, comme Lo de Lau­ra.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Lau­ra

C’est le tan­go du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nou­veau nos deux anges. Var­gas et D’Agostino.

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Lau­ra et Lo de María la Vas­ca

 « Vos fuiste el rey del bai­lon­go en lo de Lau­ra y la Vas­ca… »

No aflo­jés 1940-11-13 – Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas (Pedro Maf­fia ; Sebastián Piana Letra: Mario Bat­tis­tel­la)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Lau­ra et lo de Hansen

En 1926, Car­los Gardel enreg­is­trait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bor­dels de luxe où on dan­sait le tan­go et cher­chait la com­pag­nie des femmes. La musique est de Fran­cis­co Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiem­pos viejos (Te acordás her­mano) 1926 — Car­los Gardel avec les gui­tares de Guiller­mo Bar­bi­eri et José Ricar­do (Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enreg­istré à de mul­ti­ples repris­es, mais seule­ment à par­tir de 1927, notam­ment avec sa com­pagne offi­cieuse, Ada Fal­cón.

Tiem­pos viejos (Te acordás her­mano) 1931-12-17 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro. C’est une autre ver­sion « chan­son ».

Je reviendrai à l’occasion du tan­go du jour sur une ver­sion de danse de ce titre, notam­ment le 28 sep­tem­bre avec la ver­sion enreg­istrée en 1937 par Fran­cis­co Canaro et Rober­to Mai­da.

¿Te acordás, her­mano ? ¡Qué tiem­pos aquél­los!
Eran otros hom­bres más hom­bres los nue­stros.
No se conocían cocó ni mor­fi­na,
los mucha­chos de antes no usa­ban gom­i­na.

¿Te acordás, her­mano? ¡Qué tiem­pos aquél­los!
¡Vein­ticin­co abriles que no volverán!
Vein­ticin­co abriles, volver a ten­er­los,
si cuan­do me acuer­do me pon­go a llo­rar.

¿Dónde están los mucha­chos de entonces?
Bar­ra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, her­mano,
yo y vos solos para recor­dar…
¿Dónde están las mujeres aquél­las,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Lau­ra pelea­ban
cada cual defen­di­en­do su amor?

¿Te acordás, her­mano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepe­da?

Casi me sui­ci­do una noche por ella
y hoy es una pobre mendi­ga hara­pi­en­ta.
¿Te acordás, her­mano, lo lin­da que era?
Se forma­ba rue­da pa’ ver­la bailar…
Cuan­do por la calle la veo tan vie­ja
doy vuelta la cara y me pon­go a llo­rar.

Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs élé­ments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne con­nais­sait pas la cocaïne ni la mor­phine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gom­i­na (le film argentin d’Enrique Car­reras ; Los mucha­chos de antes no usa­ban gom­i­na sor­ti le 13 mars 1969 pré­tend représen­ter cette époque et a choisi cette phrase de la chan­son comme titre.
Tu te sou­viens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepe­da ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepe­da, le poète Andrés Cepe­da [surnom­mé le Loco ou le mau­vais, il était de plus anar­chiste] et il a fail­li se sui­cider pour elle et aujourd’hui, elle est une men­di­ante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vas­ca

Cou­ver­ture de la par­ti­tion pour piano de la Vas­ca de Juan Car­los Bazan.

On a la par­ti­tion, mais pas d’enregistrement de ce tan­go.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Aro­las » [Le ban­donéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héc­tor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ron­da en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Aro­las étant mort à Paris]. La men­tion de Lo de Hansen est donc très som­maire, mais ça prou­ve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Lau­renz le met­tra en musique, mais il n’a prob­a­ble­ment pas été enreg­istré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduar­do Bar­beris le 25 avril 1905 (com­pos­i­teur anonyme).

Lo de Tran­queli, cet étab­lisse­ment de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaf­fec­té. À droite, la par­ti­tion avec la retran­scrip­tion des paroles qui sont assez dif­fi­ciles à com­pren­dre.

Eduar­do Bar­beris (qui a fait un tra­vail ethno­graphique en récoltant ce tan­go) a essayé de repro­duire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la par­ti­tion moins com­préhen­si­ble. Je vous pro­pose une ver­sion prob­a­ble et une tra­duc­tion approx­i­ma­tive à la suite…

Anoche en lo de Tran­queli
Bailé con la Bolado­ra
Y esta­ba la par­da Flo­ra
Que en cuan­to me vio estriló,
Que una vez en los Cor­rales
En un cafetín que esta­ba,
Le tuve que dar la bia­ba
Porque se me rever­só.

Pre­mier cou­plet du tan­go qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tran­queli, j’ai dan­sé avec la Bolado­ra. Il y avait la Par­da Flo­ra (Uruguayenne mulâtresse ayant tra­vail­lé à Lo de Lau­ra et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Cor­rales dans un café où elle était, j’avais dû lui don­ner une bran­lée, car j’étais à l’en­vers (retourné, pas dans mon assi­ette).
Je pro­pose de rap­procher la Par­da Flo­ra de Pepi­ta Avel­lane­da, qui si elle n’est pas la même a un par­cours très sim­i­laire : Uruguay, Lo de Lau­ra, Flo­res et la Boca.
Aux Cor­rales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier com­bat des guer­res civiles argen­tines. Les forces nationales y ont rem­porté la dernière manche con­tre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Cor­rales Viejos (situé à Par­que Patri­cios). On voit qu’on n’est pas dans l’am­biance feu­trée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Lau­ra…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tan­go est né aux Cor­rales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sen­ta­da, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tran­queli fait par­tie des piringundines, les bor­dels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les étab­lisse­ments de plus haute tenue comme Lo de Lau­ra.
Fer­nan­do Assun­cao, dans « El tan­go y sus cir­cun­stan­cias » men­tionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bor­del en Mon­te­v­ideo où il y avait régulière­ment (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga rela­jo pero con orden! », que ce soit déten­du, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est éton­nant et intéres­sant de voir com­ment le tan­go s’est frayé un chemin des faubourgs et de la pros­ti­tu­tion de bas étage, jusqu’aux plus hautes class­es de la société. Nous avons dévelop­pé aujourd’hui la pre­mière étape, celle où le tan­go est inter­dit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des étab­lisse­ments déguisés sous le nom d’école de danse ou de bor­dels.
J’ai passé sous silence la danse dans les con­ven­til­los (habi­tats pop­u­laires), mais on imag­ine que les fana­tiques du tan­go devaient saisir toutes les occa­sions pos­si­bles, dans les glo­ri­ettes où on pou­vait enten­dre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Pro­gres­sive­ment, il se trou­ve un chemin et va être dan­sé dans de nou­veaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Vic­to­ria.

El Teatro de la Vic­to­ria. On trou­ve en général la pho­to de droite asso­ciée à Lo de Lau­ra. Il s’agit en fait d’une pho­togra­phie réal­isée en 1905 au Teatro de la Vic­to­ria qui était situé au 954 de la calle Vic­to­ria (actuelle Hipoli­to Irigoyen).

L’étape suiv­ante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suiv­re…

Danseurs en Lo de Lau­ra — Recon­sti­tu­tion fan­tai­siste à tous points de vue.