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Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo “Lalo” Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscán­dote est un des thèmes les plus émou­vants du tan­go. Par la qual­ité de la musique et des paroles de Eduar­do “Lalo” Scalise El poeta del piano, mais aus­si par la sim­plic­ité et la ron­deur de l’interprétation par Frese­do et Ruiz, pour notre tan­go du jour. Nous allons en prof­iter pour regarder de plus prêt com­ment fonc­tionne une par­ti­tion.

Extrait musical

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz
Pre­mière page de la par­ti­tion retran­scrite par Lucas Cáceres.

Cette pre­mière page présente les qua­tre pre­mières mesures. On voit les dif­férents instru­ments. T (ténor, Ricar­do Ruiz, dans cet enreg­istrement), puis 4 vio­lons, 4 ban­donéons, un piano et une con­tre­basse.
À l’armure, il y a deux diès­es, nous sommes en Si mineur. Un mode nos­tal­gique, voire triste. Dans la pre­mière mesure, on remar­que qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deux­ième mesure com­mence avec la sec­onde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la con­tre­basse com­mence à mar­quer tous les temps (4 par mesure) en com­mençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mou­ve­ment de bas­cule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suiv­ante et ain­si de suite sur env­i­ron la moitié des mesures de la par­ti­tion. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des élé­ments de la mélodie.
On remar­quera que les ban­donéons et vio­lons qui débu­tent aus­si à la deux­ième mesure com­men­cent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez dis­cret, mais vous n’aurez pas de peine à repér­er ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des vio­lons y met fin, pour com­mencer à énon­cer la pre­mière par­tie (A).

La par­ti­tion du ténor avec la pho­to de Ricar­do Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La par­ti­tion a été pro­posée égale­ment par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la par­ti­tion du ténor (Ricar­do Ruiz dans notre cas) qui ne com­mence à chanter qu’à par­tir de la mesure 43 (en lev­ée de la 44).
On se sou­vient que le début de la par­ti­tion était en Ré mineur, après un pas­sage en Fa mineur, Ruiz com­mence à chanter en Fa majeur. La présence de diès­es sur 4 des Sols et un Do, font bas­culer cer­tains pas­sages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les let­tres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repér­er dans les tonal­ités. Le nom­bre de diès­es ou bémols à la clef donne la tonal­ité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Sou­vent, il y a beau­coup de change­ments de tonal­ités et des altéra­tions (Diès­es, ou Bémols) ponctuelles qui ren­dent dif­fi­cile de décider la tonal­ité exacte util­isée. Mais ce n’est pas si impor­tant, ce qui l’est, c’est unique­ment de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sen­si­bil­ité de la musique, donc l’écoute est suff­isante.
Main­tenant que vous êtes au point, je vous pro­pose de suiv­re la par­ti­tion durant l’écoute, grâce au tra­vail remar­quable de Lucas Cáceres.

Par­ti­tion ani­mée de Buscán­dote, une vidéo réal­isée par Lucas Cáceres.

Vous remar­querez qu’il y a toutes les par­ties, et qu’il y a donc beau­coup de change­ments de pages. Dans un orchestre, chaque instru­ment n’a que sa par­tie et si cela vous intéresse, vous pou­vez vous les obtenir en vous abon­nant à son Patre­on.
Assez par­lé de la musique, intéres­sons-nous aux paroles, main­tenant.

Paroles

Vagar con el can­san­cio de mi eter­no andar
tris­teza amar­ga de la soledad
ansias enormes de lle­gar.
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer.
Eduar­do “Lalo” Scalise (Eduar­do Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éter­nelle, l’amère tristesse de la soli­tude, l’énorme désir d’ar­riv­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai par­cou­rues pour vous.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Frese­do et Ruiz. Cepen­dant, la pas­sion européenne pour Frese­do fait que beau­coup d’orchestre du 21e siè­cle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des for­tunes divers­es.

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est notre tan­go du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscán­dote 2000-06-01 — Klaus Johns.

Une ver­sion instru­men­tale avec un par­ti pris de tem­po par­ti­c­ulière­ment lent. C’est prob­a­ble­ment à class­er au ray­on des étrangetés, mais cer­taine­ment pas à pro­pos­er au bal.

Buscán­dote 2012 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notam­ment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciri­a­co, pen­dant une quin­zaine d’années.

Buscán­dote 2012 — Solo Tan­go Orques­ta.

Cet orchestre russe a égale­ment son pub­lic. Ils pro­posent, ici, une ver­sion instru­men­tale.

Buscán­dote 2013 — Ariel Ardit y Orques­ta Típi­ca.

L’incroyable solo de vio­lon qui ouvre cette ver­sion peut sur­pren­dre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien mar­qué par les ban­donéons et tou­jours dom­iné par les cordes et ce superbe vio­lon, fait que c’est cer­taine­ment une ver­sion « chair de poule » pour beau­coup. La belle voix, puis­sante et chaude d’Ariel Ardit ter­mine de faire de cette ver­sion remar­quable. Pour la danse, les arras­tres d’Ariel peu­vent gên­er cer­tains danseurs et le rythme rapi­de peut faire que l’on préfère d’autres ver­sions. Je pense qu’en Europe cette inter­pré­ta­tion aurait des ama­teurs.

Buscán­dote 2013 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette ver­sion tran­quille peut paraître un peu faible, mais il faut la com­par­er à notre étalon, la ver­sion de Frese­do et Ruiz, pour voir que c’est une belle réal­i­sa­tion, intime et bien accordée au thème de la chan­son.

Buscán­dote 2014 (En vivo) — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Une ver­sion avec pub­lic qui per­met de se sou­venir de l’ambiance que met­tait cet orchestre. C’était à Rosario (Argen­tine) lors de l’Encuentro Tanguero del Inte­ri­or (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nom­breuses fois, c’est vrai­ment dom­mage qu’il n’existe plus.

Buscán­dote 2015 — Cuar­te­to SolTan­go.

Ce cuar­te­to, avec beau­coup moins d’instruments s’approche de la ver­sion de Frese­do. Une belle per­for­mance. Le solo de vio­lon qui rem­place la voix de Ricar­do Ruiz, bien que bien chan­tant, est sans doute ce qui peut faire baiss­er la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la prin­ci­pale rai­son, est que cer­tains DJ met­tent des chan­sons tan­go au lieu de véri­ta­bles tan­gos chan­tés de danse.

Buscán­dote 2015 — Orques­ta La 2X4 Rosa­ri­na con Martín Piñol.

Retour à une ver­sion chan­tée. La voix de Martín Piñol pour­rait béné­fici­er d’un orchestre plus accom­pli. La prise de son mérit­erait d’être meilleure égale­ment. Le résul­tat ne risque pas de détrôn­er, la ver­sion de Frese­do qui en est claire­ment le mod­èle.

Buscán­dote 2015-07-09 — Esquina Sur con Diego Di Mar­ti­no.

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Frese­do. Cet enreg­istrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Mar­ti­no, s’élance légère et flu­ide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Frese­do et Ruiz restent en tête.

Buscán­dote 2016-03-01 — El Cachivache Quin­te­to.

El Cachivache signe une ver­sion plus per­son­nelle, qui n’est pas qu’une sim­ple imi­ta­tion de Frese­do et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instru­ments comme la gui­tare élec­trique peut don­ner des bou­tons à des milongueros sclérosés. C’est une ver­sion instru­men­tale, mais la diver­sité des vari­a­tions fait que ce n’est pas monot­o­ne. L’entrée avec une gamme de do majeur descen­dent suiv­ie d’une gamme ascen­dante est très orig­i­nale. Le final est égale­ment intéres­sant, c’est une ver­sion qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aus­si à Angela C. car il y a une bonne pro­por­tion de mode majeur dans cette ver­sion, con­traire­ment à la ver­sion de Frese­do qui est majori­taire­ment en mode mineur 😉

Buscán­dote 2016-12 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Rober­to Minon­di.

Avec la Román­ti­ca Milonguera on revient à un reg­istre plus clas­sique, même si cet orchestre a su créer son pro­pre son. Ici, c’est Rober­to Minon­di qui nous rav­it.

Buscán­dote 2019 — Cuar­te­to Mulen­ga. Cette ver­sion présente l’intérêt de voir les instru­men­tistes opér­er. Mais ce titre est aus­si sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réal­isée au Bode­gon (restau­rant) El Des­ti­no, à Quilmes (Province de Buenos Aires).

Buscán­dote 2021-03 Orques­ta Típi­ca Andar­ie­ga.

Un début orig­i­nal, qui peut faire douter durant les 30 pre­mières sec­on­des qu’on écoute Buscán­dote. On notera la descente de piano, très orig­i­nale durant ce début. Le reste de l’orchestration renou­velle égale­ment l’œuvre, qui est comme décom­posée, déstruc­turée au prof­it de solos qui se super­posent. C’est presque un ensem­ble de cita­tions de l’œuvre orig­i­nale, plus qu’une inter­pré­ta­tion au sens habituel. La fin ne dis­sipera pas cette impres­sion.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir com­ment les danseurs vont pou­voir inter­préter la musique que je pro­pose.
J’ai trou­vé cette petite pépite, réal­isée par Jua­na Gar­cía y Julio Rob­les. Elle mon­tre les temps et con­tretemps.

Cliquez sur le lien pour con­sul­ter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Pos­er les pieds en rythme est la toute pre­mière étape du danseur de tan­go et, même si cer­tains ne s’y résol­vent pas, il me sem­ble qu’il faut aller beau­coup plus loin, le tan­go étant une danse d’improvisation. On tir­era cepen­dant de cette vidéo un élé­ment très intéres­sant, la sépa­ra­tion entre les dif­férentes par­ties. Savoir les repér­er per­met d’adapter la danse en changeant le style pour chaque par­tie.
Il faut aus­si savoir dis­tinguer la phrase musi­cale, afin que le cou­ple se retrou­ve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine tran­si­tion ou enchaîne­ment de phras­es. Cer­tains comptent de 1 à 8, mais c’est beau­coup plus agréable de se laiss­er porter par la struc­ture de la musique.
Je décon­seille donc le comp­tage, sauf pour des choré­gra­phies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tan­go social qui nous intéresse ici, car je trou­ve dom­mage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à enten­dre la musique.
Il me sem­ble qu’il est ample­ment préférable de tra­vailler son « instinct », car, rapi­de­ment, le corps saura quand la musique va chang­er et, incon­sciem­ment, il va se pré­par­er, ce qui vous per­me­t­tra de danser l’esprit totale­ment libre, en vous lais­sant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour iden­ti­fi­er les musiques plus dans­ables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suiv­ent. Il a donc la respon­s­abil­ité d’ouvrir la voie et de leur pro­pos­er des chemins dont les dif­fi­cultés sont adap­tées.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

José Servidio ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores

El bulín de la calle Ayacu­cho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musi­ciens. En France, on a eu Chien-Cail­lou, sobri­quet don­né à Rodolphe Bres­din par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nou­velle, « Chien-cail­lou ». Nous avons vu hier le triste des­tin de Alfre­do Gob­bi, les his­toires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéres­sons-nous donc à celui de la rue Ayacu­cho…

Extrait musical

Par­ti­tion de El bulín de la calle Ayacu­cho.
El bulín de la calle Ayacu­cho 1941-06-17 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Même si on ne com­prend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anec­dote, on ne peut qu’admirer ce chef‑d’œuvre dont la qual­ité tient avant tout à la sim­plic­ité, la flu­id­ité, l’harmonie entre la voix et la musique.
Le rythme est soutenu, la musique avance avec déci­sion, aucun danseur ne peut résis­ter à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorenti­no com­mence à chanter, la magie aug­mente encore, les cordes et ban­donéons con­tin­u­ent de mar­quer la cadence, sans flanch­er et la voix de Fiore lie le tout avant de laiss­er la parole au piano et on se sur­prend à être sur­pris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.

Paroles

El bulín de la calle ayacu­cho,
Que en mis tiem­pos de rana alquil­a­ba,
El bulín que la bar­ra bus­ca­ba
Pa caer por la noche a tim­bear,
El bulín donde tan­tos mucha­chos,
En su racha de vida fulera,
Encon­traron mar­ro­co y catr­era
Rechi­fla­do, parece llo­rar.

El primus no me fal­la­ba
Con su car­ga de aguar­di­ente
Y habi­en­do agua caliente
El mate era allí señor.
No falta­ba la gui­tar­ra
Bien encor­da­da y lus­trosa
Ni el bacán de voz gan­gosa
Con berretín de can­tor.

El bulín de la calle Ayacu­cho
Ha queda­do mis­ton­go y fulero:
Ya no se oye el can­tor milonguero,
Engrupi­do, su musa entonar.
Y en el primus no bulle la pava
Que a la bar­ra con­tenta reunía
Y el bacán de la rante ale­gría
Está seco de tan­to llo­rar.

Cada cosa era un recuer­do
Que la vida me amar­ga­ba :
Por eso me la pasa­ba
Fulero, rante y tristón.

Los mucha­chos se cor­taron
Al verme tan afligi­do
Y yo me quedé en el nido
Empol­lan­do mi aflic­ción.

Cotor­ri­to mis­ton­go, tira­do
En el fon­do de aquel con­ven­til­lo,
Sin alfom­bras, sin lujo y sin bril­lo,
¡Cuán­tos días felices pasé,
Al calor del quer­er de una piba
Que fue mía, mimosa y sin­cer­al…
¡Y una noche de invier­no, fulera,
Has­ta el cielo de un vue­lo se fue!

José Ser­vidio ; Luis Ser­vidio Letra : Cele­do­nio Este­ban Flo­res

Fiorenti­no avec Troi­lo chante ce qui est en gras.
Fiorenti­no avec Bas­so chante ce qui est en bleu.
Rodol­fo Lesi­ca chante ce qui est en gras, plus le dernier cou­plet sur lequel il ter­mine.

Traduction libre et indications

Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouil­loire) sur un réchauf­feur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en cale­basse) et une bom­bil­la (paille ser­vant à aspir­er la bois­son). Dans l’assiette, la yer­ba (les feuilles broyées ser­vant à pré­par­er le mate). Tout le néces­saire pour le mate, en somme. En Argen­tine et pays voisins, le mate est aus­si une céré­monie ami­cale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.

La piaule (dans un con­ven­til­lo, habi­tat pop­u­laire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce don­nait directe­ment sur un couloir qui lui don­nait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouver­ture que la porte don­nant sur le couloir) de la rue Ayacu­cho, que je louais à l’époque (pour être pré­cis, son loge­ment était prêté par l’éditeur Jules Korn, pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astu­cieux, je pense que là il faut com­pren­dre les temps heureux de la démerde, pau­vre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cher­chait à se réfugi­er (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (tim­bear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = suc­ces­sions de faits, bons ou mau­vais) quel­conque, trou­vaient mar­ro­co (pain) et litière. (chi­fla­do = cinglé, rechi­fla­do, plus que cinglé. Il faut com­pren­dre que le bulín était un lieu de folie), sem­ble pleur­er.
Le primus (réchauf­feur à alcool, voir illus­tra­tion ci-dessus) ne me fai­sait pas défaut avec sa pro­vi­sion d’alcool (aguar­di­ente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on par­le du com­bustible du petit réchaud) fai­sait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pau­vres, le maté est par­fois la seule nour­ri­t­ure d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beau­coup d’Argentins revi­en­nent à ce régime, encour­agé par le gou­verne­ment qui dit qu’un seul repars par jour suf­fit. Les plus pau­vres se fond du mate coci­do, le mate des enfants, car en infu­sion, cela demande moins de yer­ba, d’herbe à mate).
La gui­tare ne fai­sait pas défaut, bien accordée et lus­trée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en déri­sion) à la voix à la voix nasil­larde avec la voca­tion de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir).
Le bulín de la rue Ayacu­cho est resté mis­érable et quel­conque :
Le chanteur milonguero pré­ten­tieux ne s’entend plus taquin­er sa muse en chan­tant.
Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réu­nis­sait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de ator­rante, clochard) allè­gre est sec de tant pleur­er.
Chaque chose était un sou­venir que la vie me rendait amer :
C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quel­conque, clochard…) et triste.
Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à rumin­er mon afflic­tion.
Petite piaule mis­érable (cotor­ri­to est un syn­onyme de bulín), retirée au fond de ce con­ven­til­lo, sans tapis, sans luxe et sans éclat.
Com­bi­en de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère…
Et une nuit d’hiver, quel­conque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !

La censure

Cette his­toire de jeunes fauchés qui fai­saient de la musique dans une cham­bre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux mil­i­taires qui avaient pris le pou­voir en 1943. De nom­breux tan­gos, comme nous l’avons déjà vu (ple­garia) ont été inter­dits, ou mod­i­fiés pour avoir des paroles plus respecta­bles. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles mod­i­fiées :

La version des paroles après censure

Mi cuar­ti­to feliz y coque­to
Que en la calle Ayacu­cho alquil­a­ba
mi cuar­ti­to feliz que alber­ga­ba
un romance sin­cero de amor
Mi cuar­ti­to feliz donde siem­pre
una mano cor­dial me tendía
y una lin­da cari­ta ponía
con bon­dad su son­risa mejor…

Ver­sion accep­tée par la cen­sure de la dic­tature mil­i­taire de 1943

Traduction de la version après censure

Ma petite cham­bre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacu­cho.
Ma petite cham­bre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère.
Ma petite cham­bre heureuse où tou­jours une main cor­diale se tendait.
Et un joli petit vis­age posait avec gen­til­lesse son meilleur sourire…
Il doit être dif­fi­cile de faire plus cucu. Les mil­i­taires sont de grands roman­tiques…

Les admin­is­tra­teurs de la SADAIC ont demandé une entre­vue au général Perón, nou­veau prési­dent pour faire tomber cette ridicule cen­sure sur les paroles de tan­go. Le 25 mars 1949, ce dernier qui dis­ait ne pas être au courant de cette cen­sure a don­né droit à leur requête. Les tan­gos pou­vaient désor­mais retrou­ver les paroles qu’ils souhaitaient.

El bulín de la calle Ayacu­cho 1925-12-27 — Car­los Gardel con acomp. de José Ricar­do. Cette pre­mière ver­sion a été enreg­istrée à Barcelone (Espagne).
El bulín de la calle Ayacu­cho 1926 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do. Cette ver­sion a été enreg­istrée à Buenos Aires.
El bulín de la calle Ayacu­cho 1941-06-17 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est notre tan­go du jour.
El bulín de la calle Ayacu­cho 1949-04-07 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no.

La presta­tion de l’orchestre est très dif­férente de celle de Troi­lo, sans doute un peu grandil­o­quente. On sent que Bas­so a voulu se mesur­er à Troi­lo, mais je trou­ve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorenti­no chante tou­jours superbe­ment, cepen­dant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même har­monie. FIorenti­no chante plus dans cette ver­sion.

El bulín de la calle Ayacu­cho 1951-07-17 — Orques­ta Héc­tor Varela con Rodol­fo Lesi­ca.

Un grand chanteur, peut-être un peu trop roman­tique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.

El bulín de la calle Ayacu­cho 1956 — Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Une superbe ver­sion en vivo. Dom­mage que ce soit un enreg­istrement de piètre qual­ité, réal­isé lors des Car­navales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désor­dre).

El bulín de la calle Ayacu­cho 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo.

Le vio­lon­celle qui débute et accom­pa­gne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhait­erait presque avoir une ver­sion pure­ment instru­men­tale pour mieux l’écouter. On retrou­ve la tra­di­tion de Gardel, pour un tan­go à écouter, mais pas à danser.

Edmun­do Rivero l’a égale­ment inter­prété. En voici une ver­sion avec vidéo. La ver­sion disque est de 1967.

Edmun­do Rivero chante El bulín de la calle Ayacu­cho
El bulín de la calle Ayacu­cho 2018-02 — Tan­go Bar­do con Osval­do Pere­do.

Cette ver­sion a sans doute peu de chance de con­va­in­cre les danseurs. Il con­vient toute­fois d’encourager les orchestres con­tem­po­rains à faire revivre les grands titres.

El bulín de la calle Ayacucho

Ce con­ven­til­lo et la cham­bre étaient situés au 1443 de la rue Ayacu­cho.

Calle Ayacu­cho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre mai­son anci­enne.

Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre

En 1923 com­puse « El bulín de la calle Ayacu­cho ». Gardel lo grabó en ese mis­mo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi famil­ia. Cele­do­nio me tra­jo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la pri­mav­era de 1923.
Nosotros éramos ami­gos des­de la infan­cia, él vivía en la calle Velaz­co entre Mal­abia y Can­ning. Com­puse el tan­go en un par de días, en el ban­doneón. La primera frase me sal­ió ensegui­da. El bulín de la calle Ayacu­cho exis­tió real­mente. Qued­a­ba en Ayacu­cho 1443. El dueño del bulín era Julio Korn, que se lo prestó a Cele­do­nio Flo­res. 
Era una piecita en la que ni los ratones falta­ban. Con­cur­rentes infalta­bles a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulgini­ti, el can­tor Mar­ti­no, el can­tor Pagani­ni (del dúo Pagani­ni-Cia­cia); Nun­zi­at­ta, tam­bién can­tor, del dúo Cicarel­li-Nun­zi­at­ta; el fla­co Sola, can­tor, gui­tar­rista y gar­gan­ta priv­i­le­gia­da para la caña; yo, en fin…
Cia­cia, que forma­ba dúo con Pagani­ni, era el que cocin­a­ba siem­pre un buen puchero. En el bulín, del bar­rio de Reco­le­ta, había una sartén y una moro­chi­ta.
Se toma­ba mate, se char­la­ba. Como le decía, has­ta algún ratón merode­a­ba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacu­cho duraron más o menos has­ta fines de 1921. Cuan­do Cele se puso de novio ter­mi­naron. Ya han muer­to casi todos los que nos reuníamos allí.
El tan­go lo editó un mae­stro de escuela, de apel­li­do Lami, que puso edi­to­r­i­al en Paraguay al 4200. Después se fal­si­ficó la edi­ción. El bulín de la calle Ayacu­cho lo estrenó el dúo Torel­li-Man­dari­no, en el teatro Soleil. Canataro acom­paña­ba con su gui­tar­ra al dúo.

José Gob­el­lo et Jorge Alber­to Bossio. Tan­gos, letras y letris­tas tomo 1. Pages 82 à 89.

Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.

En 1923, j’ai com­posé « El bulín de la calle Ayacu­cho ». Gardel l’a enreg­istré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit tou­jours. Cele­do­nio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le print­emps 1923.
Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velaz­co entre Mal­abia et Can­ning (aujourd’hui Scal­ib­ri­ni Ortiz).
J’ai com­posé la musique en une paire de jours. Le bulín exis­tait réelle­ment dans la rue Ayacu­cho au 1443. Le pro­prié­taire en était Julio Korn (édi­teur de musique dont nous avons déjà par­lé au sujet des suc­cès de la radio en 1937), qui le prê­tait à Cele­do­nio Flo­res.
C’était une petite pièce dans laque­lle même les souris ne man­quaient pas.
Les par­tic­i­pants inévita­bles aux réu­nions tous les ven­dredis étaient Juan Fulgini­ti, le chanteur Mar­ti­no, le chanteur Pagani­ni (du duo Pagani­ni-Cia­cia) ; Nun­zi­at­ta, égale­ment chanteur (du duo Cicarel­li-Nun­zi­at­ta) ; le Fla­co Sola (fla­co = mai­gre), chanteur, gui­tariste et gosier priv­ilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin…
Cia­cia pré­parait tou­jours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une moro­chi­ta (mar­mite pat­inée).
On pre­nait le mate et on bavar­dait.
Comme je le dis­ais, même une souris rôdait dans les par­ages.
Les réu­nions dans le bulín de la rue Ayacu­cho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Cele­do­nio Este­ban Flo­res) s’est fiancé, ça s’est arrêté.
Presque tous ceux d’entre nous qui se sont ren­con­trés là-bas sont déjà morts.
Le tan­go a été édité par un maître d’école, nom­mé Lami, qui a créé une mai­son d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été fal­si­fiée. Le bulín de la calle Ayacu­cho a été créé par le duo Torel­li-Man­dari­no, au Teatro Soleil. Canataro a accom­pa­g­né le duo avec sa gui­tare.
On notera que le nar­ra­teur est le com­pos­i­teur. Son frère, Luis, sem­ble avoir eu un rôle mineur dans cette com­po­si­tion. Ils avaient l’habitude de cosign­er, mais les par­tic­i­pa­tions étaient vari­ables selon les œuvres.

El bulín de la calle Ayacu­cho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs dif­férences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une cham­bre à Arles. Il y a une gui­tare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit change­ment dans les cadres pour per­son­nalis­er l’intérieur de la cham­brette de Cele dont on peut voir le por­trait dans le cadre en haut à droite.
Les calques util­isés pour créer cette image.

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 (Valse) — Orquesta Rodolfo Biagi

Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

Hier, avec Valsecito ami­go, nous étions en présence d’une mer­veilleuse valse. Aujourd’hui, une autre valse, Lágri­mas y son­risas qui va nous per­me­t­tre de par­ler (un tout petit peu) de théorie musi­cale. Je vous emporte dans le tour­bil­lon de cette mer­veilleuse valse rénovée par Rodol­fo Bia­gi.

Extrait musical

Pour suiv­re la suite, il est impor­tant de vous met­tre la musique dans l’oreille dès à présent.
Voici donc la valse du jour. Elle a été com­posée en 1913 (il y a donc 111 ans), mais cette ver­sion a été enreg­istrée le 23 mars 1941, il y a exacte­ment 83 ans par Bia­gi.

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi. C’est la valse du jour.

Vous avez peut-être perçu un change­ment d’ambiance à l’écoute en fonc­tion des pas­sages. Mais pour bien com­pren­dre ce qui s’y passe, il faut faire un peu de théorie.

Lire une partition. La théorie musicale pour les débutants

Par­don à mes lecteurs musi­ciens, mais pour mieux faire com­pren­dre aux non-spé­cial­istes, je dois faire un topo lim­i­naire très basique. Vous pou­vez le sauter. Ceux qui ne sont pas tout à fait débu­tants pour se rac­crocher aux étapes suiv­antes avant d’aller au cœur du sujet (au chapitre inti­t­ulé, Vous êtes ren­voyés…) La vul­gar­i­sa­tion, ce n’est pas de met­tre des bar­reaux en haut de l’échelle, c’est de met­tre des bar­reaux cor­recte­ment espacés du bas au haut de l’échelle. Dix­it un de mes pro­fesseurs à l’École du Lou­vre, il y a bien longtemps.

La hauteur d’une note

La portée est un ensem­ble de cinq lignes hor­i­zon­tales qui per­met d’indiquer la hau­teur d’un son.
Plus un son est aigu et plus il représen­té haut sur la portée. Si le son est plus aigu ou grave que les lignes de la portée, on rajoute un petit bout de ligne avec la note (voir ci-dessous, pour le pre­mier DO, à gauche).

Par la suite, j’utiliserai la nota­tion avec le nom des notes (Do à Si) et pas les let­tres A à G.

Les altérations

Pour mar­quer les sub­til­ités de la musique, on a besoin de « crans » inter­mé­di­aires à ces 8 étages. Pour cela on utilise les diès­es et les bémols.
Le dièse aug­mente d’un demi-ton la note qu’il précède. Le bémol baisse la note qu’il précède d’un demi-ton. Prenons l’exemple de la note Sol :

On peut donc mon­ter ou descen­dre une note, au choix. Si on aug­mente la note la plus grave et qu’on baisse la plus aiguë, on obtient le même son.

Une vidéo qui vous mon­tre un peu le principe du clavier du piano. https://youtu.be/WKuR6dwX6QE

Voici ce que donne la représen­ta­tion sur une portée de l’air bien con­nu de Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob).

Représen­ta­tion de la chan­son Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) sur une portée.

On peut donc raison­ner en demi-tons, puisque chaque touche du piano (blanche et noire) est séparée de sa voi­sine d’un demi-ton.
Revenons à Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) qui peut être écrit ain­si :
Do Ré Mi Do Do Ré Mi Do Mi Fa Sol
Entre le Mi et le Fa, il n’y a qu’un demi-ton. On peut donc obtenir la même mélodie, un peu plus grave ou aigue, en décalant le jeu. Par exem­ple Sol La Si Sol Sol La Si Sol Si Do Ré. Main­tenant, le demi-ton est entre le Si et le Do.
On peut égale­ment jouer en inclu­ant les touch­es noires, par exem­ple en com­mençant par Fa# Sol# La# et ain­si de suite.
Cela peut aider pour jouer avec des instru­ments qui ont une tes­si­ture étroite (qui ne peu­vent jouer que des notes sur une éten­due restreinte d’une ou deux octaves, comme une flûte à bec). On change la note de référence pour l’adapter aux pos­si­bil­ités de l’instrument avec lequel on joue. Cela s’appelle la trans­po­si­tion. On fait aus­si cela pour les chanteurs. Par exem­ple, si c’est une femme sopra­no qui chante ou un homme bary­ton, il fau­dra que l’orchestre s’adapte à la tes­si­ture du chanteur.
Avec les instru­ments à cordes, on peut chang­er la ten­sion pour mod­i­fi­er l’accord de l’instrument. Pour d’autres comme le ban­donéon, c’est impos­si­ble. Il faut donc accorder tous les instru­ments pour qu’ils soient com­pat­i­bles avec cet instru­ment. L’amusant est que selon les régions et les épo­ques le « dia­pa­son » a changé et que cer­tains se crêpent le chignon pour ce type de détail… Mais, cela devient un dis­cours de « spé­cial­iste » et n’a aucun intérêt pour la danse. Abor­dons donc d’abord le niveau trois, l’esprit tran­quille.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau trois, les modes

Il ne faudrait pas penser que toutes ces sub­til­ités ont été créées pour pal­li­er des prob­lèmes tech­niques.
Les altéra­tions (diès­es et bémols) ont été inven­tées pour chang­er la tonal­ité (la couleur, les teintes, pour faire une com­para­i­son avec la pein­ture).
Selon la dis­po­si­tion de ces altéra­tions, l’ambiance du morceau va chang­er.
Le plus sim­ple est d’écouter un morceau bien con­nu et de voir com­ment son ambiance change si on mod­i­fie la posi­tion des demi-tons.
Je reprends Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) pour que ce soit bien clair.

Frère Jacques au piano en Do majeur. C’est la ver­sion habituelle.
Frère Jacques au piano en Do mineur.

La tonal­ité de la musique est bien dif­férente. Le mi de la ver­sion habituelle est devenu un mi bémol. Il est un demi-ton plus bas. Cela suf­fit à chang­er la façon dont on perçoit la musique. Elle sem­ble plus triste. Ce mode par­ti­c­uli­er est appelé mode mineur par oppo­si­tion au mode majeur plus gai que l’on est habitué à enten­dre pour ce titre.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau quatre, l’armature et les changements de mode

On par­le tou­jours du mode et pas de la mode ves­ti­men­taire, hein ?
On a vu que le change­ment de mode don­nait une couleur par­ti­c­ulière à la musique. Pour éviter d’avoir à écrire chaque dièse ou bémol à la clef, on a décidé de met­tre en début de par­ti­tion, tous les diès­es ou bémols à utilis­er. Pour être pré­cis, c’est soit des diès­es, soit des bémols et l’ordre en est pré­cis, on n’écrit pas n’importe quoi à l’armature (cette par­tie de la par­ti­tion).
Cette arma­ture indique la tonal­ité d’un morceau. Par exem­ple, il peut être en Do majeur, c’est une des tonal­ités les plus sim­ples. Au piano il se joue unique­ment avec les touch­es blanch­es. La plu­part des chan­sons enfan­tines sont dans cette tonal­ité, car elles sont sou­vent jouées sur des instru­ments rudi­men­taires qui ne per­me­t­tent pas les demi-tons.
Dans Lágri­mas y son­risas, le mode change en cours de route.

On remar­quera à l’armature au tout début, trois bémols (Si b, Mi b, La b). Cela indique que tous les Si, tous les Mi et tous les La seront altérés (joués un demi-ton plus bas), sauf indi­ca­tion con­traire.
Con­traire­ment au dièse ou au bémol isolé, ces altéra­tions placées en début de par­ti­tion influ­ent sur toute la musique. Dans le cas de cette valse, on peut dire qu’elle com­mence en Do mineur donc un mode nos­tal­gique, triste. Je n’entre pas dans les détails, ce serait trop long à expos­er ici.
On remar­quera sur la sec­onde page de la par­ti­tion, à l’endroit du change­ment de couleur, trois signes placés sur les lignes des Si, Mi et La (les lignes des notes qui sont altérées. Ces signes qui ressem­blent un peu aux diès­es sont des bécar­res. Leur fonc­tion est d’annuler les altéra­tions sur les notes con­sid­érées. Ici, comme c’est au début d’une par­tie, c’est val­able pour tout ce qui suit. Tous les Si, tous les Mi et tous les La seront désor­mais ordi­naires [ni plus graves ni plus aigus].

Le bécarre peut aus­si être placé devant une seule note, comme un dièse ou un bémol. Dans ce cas, il ne mod­i­fie que la note qui va être jouée et pas les suiv­antes qui garderont l’altération [dièse ou bémol] appliquée à la clef dans l’armure.
Cela sem­ble un peu com­pliqué, mais une fois qu’on a com­pris, c’est pra­tique.

Vous êtes renvoyés…

Je reviens à la par­ti­tion de Lágri­mas y son­risas. On a observé qu’au début elle était en Do mineur [3 bémols], puis que dans la par­tie de couleur ambre, elle était en mode majeur [ici Do majeur].
Cela veut dire que le début est plutôt triste et la par­tie de couleur ambre, plus gaie.
Cela s’entend assez claire­ment à l’écoute si on arrive à pass­er par-dessus deux dif­fi­cultés.
La pre­mière est que les par­ti­tions sont écrites à l’économie. Lorsque l’on rejoue le même pas­sage, on en l’écrit pas, on utilise des sys­tèmes de ren­voi. Par exem­ple, à la fin, on voit D. C. qui sig­ni­fie Da Capo [en tête] et qui indique au musi­cien qu’il doit main­tenant recom­mencer du début. D’autres ren­vois plus dis­crets sont les dou­bles bar­res ver­ti­cales.

La sec­onde dif­fi­culté est qu’il y a des altéra­tions ou des bécar­res sur des notes isolées. On voit dans l’illustration précé­dente, des bécar­res sur les trois « Si » de la pre­mière mesure entière de cet extrait.
C’est-à-dire que la tonal­ité a en fait changé avant l’arrivée des bécar­res. C’est tout sim­ple­ment que le com­pos­i­teur, Pas­cual de Gul­lo dans le cas présent, pré­pare l’oreille de l’auditeur pour le nou­veau mode à venir. C’est ici très dis­cret, c’est plus mar­qué à d’autres endroits. On remar­quera la même chose dans d’autres mesures avec la présence de bécar­res ou diès­es isolés. Je sig­nale ces change­ments dans la sec­onde écoute, ci-dessous.
Ce sont ces sub­til­ités qui font l’harmonie de la musique. Imag­inez que vous passiez directe­ment de Frère Jacques en mode majeur à sa ver­sion en mode mineur, sans pré­pa­ra­tion…
La plu­part des morceaux con­ti­en­nent des change­ments de tonal­ité, moins sou­vent des change­ments de mode comme ici.

Nouvelle écoute de la valse du jour

Main­tenant que vous êtes au courant, je vous pro­pose d’écouter de nou­veau et d’essayer de détecter ces change­ments de mode qui font pass­er du triste des larmes [Lágri­mas] au gai des sourires [Son­risas].

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

0 : 00 Mineur
0 : 18 Un peu de majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
0 : 26 Mineur
0 : 51 Majeur
1 : 17 Mineur
1 : 31 Un peu de Majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
1 : 44 Mineur jusqu’à la fin, mais les fior­i­t­ures au piano de Bia­gi, tem­pèrent l’idée de tristesse, même s’il y a un léger ralen­tisse­ment final.

Les paroles

Mal­heureuse­ment, on n’a pas de ver­sion enreg­istrée avec les paroles de Fran­cis­co Gul­lo. On ne pour­ra donc pas enten­dre com­ment s’articulent les pas­sages tristes ou gais, avec les paroles cor­re­spon­dantes. J’indique donc les paroles pour votre référence, même si vous avez peu de chance de les enten­dre inter­prétées, un jour.

Inmen­so es el pesar que tu ausen­cia me ha cau­sa­do,
Mi corazón des­gar­ra­do san­gra de tan­to llo­rar,
Ya no puedo vivir sin tus dul­ces son­risas
Lágri­mas cru­en­tas der­ramo sabi­en­do que te perdí…

Tus son­risas, mág­i­cas de encan­to son
Embe­le­so de mis lágri­mas de amor,
Me acari­cian con su divi­no rubor
Soñán­dolas, vana ilusión, con­sue­lo mi corazón…

Porque te ama­ba de veras
For­ja­ba quimeras con loca ansiedad,
Y en tus her­mosas son­risas
Quedó pri­sion­era mi feli­ci­dad…

Hoy que el recuer­do se ahon­da en la mente
Quisiera verte una vez más,
Para con­fi­arte en secre­to, alma mía
Que mi amor, no te olvi­do jamás…

Bésame con pasión tu boca me mur­mura­ba,
No te ator­mentes, que nada de ti me sep­a­rará,
Siem­pre te nom­brarán mis lágri­mas sen­ti­das
Por tus son­risas fin­gi­das, estoy enfer­mo de amor…

Pas­cual De Gul­lo Letra : Fran­cis­co Gul­lo (Pas­cual De Gul­lo)

Traduction libre et indications

Immense est le cha­grin que m’a causé ton absence. Mon cœur déchiré saigne de tant pleur­er.
Je ne peux plus vivre sans tes doux sourires. Des larmes sanglantes que j’ai ver­sées en sachant que je t’ai per­due…
Tes sourires sont mag­iques de charme, embel­lis­sant mes larmes d’amour. Ils me caressent de leur divine rougeur. En rêver, vaine illu­sion, con­sole mon cœur…
Parce que je t’aimais vrai­ment ; j’ai forgé des chimères avec une folle anx­iété et dans tes beaux sourires, mon bon­heur était empris­on­né…
Aujourd’hui, que le sou­venir s’engloutit dans l’esprit, j’aimerais te voir une fois de plus [voir le sub­lime tan­go « Quiero verte una vez más » de Mario Canaro avec des paroles de José María Con­tur­si, sur le même thème].
Pour te con­fi­er secrète­ment, mon âme, que mon amour ne t’oubliera jamais
Embrasse-moi pas­sion­né­ment, me mur­mu­ra ta bouche, ne te tour­mente pas, car rien ne me sépar­era de toi. Tou­jours mes larmes sincères te nom­meront. À cause de tes sourires feints, je suis malade d’amour…
Les paroles sont plutôt jolies et sen­si­bles. La chute finale avec les sourires feints ouvre dif­férents hori­zons que je vous laisse explor­er ; —)

Les versions

Lágri­mas y son­risas 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Un enreg­istrement acous­tique, donc un peu sévère pour nos oreilles mod­ernes, mais qui laisse tout de même remar­quer la qual­ité de l’interprétation. Cepen­dant, le manque de vari­a­tions peut laiss­er paraître le titre un peu monot­o­ne.

Lágri­mas y son­risas 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro Espósi­to.

L’année suiv­ante, Tano Genaro l’interprète avec son Quin­te­to Criol­lo. À mon avis, on peut se pass­er facile­ment de cette ver­sion, plutôt ennuyeuse.

Lágri­mas y son­risas 1932-12-05 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Bien que de 1932, cette ver­sion à deux gui­tares et un ban­donéon, peut se danser, mais elle ne devrait pas sus­citer des ent­hou­si­asmes débor­dants. Les gui­tares de Ramón Andrés Menén­dez y Vicente Spina (le com­pos­i­teur de Loco tur­bión) font leur tra­vail, mais le ban­donéon de Ciri­a­co Ortiz est un peu paresseux.

Lágri­mas y son­risas 1934-10-20 — Orques­ta Adol­fo Pocho­lo Pérez.

On monte un peu en énergie et la dif­férence entre les par­ties tristes (mineure) et gaies (majeures) est bien sen­si­ble.

Lágri­mas y son­risas 1936-09-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion clas­sique. Bia­gi se remar­que au piano par quelques élé­ments légers. Dans la par­tie gaie, il accom­pa­gne de façon légère les pizzi­cati des vio­lons. Le final à la D’Arienzo sug­gère une accéléra­tion et la valse nous entraîne puis­sam­ment jusqu’aux dernières notes.
Il est un peu dom­mage de ne pas en avoir un enreg­istrement de 1938, car c’est cette valse qui a poussé D’Arienzo à vir­er Bia­gi, car il deve­nait de plus en plus la vedette de l’orchestre. En effet, à la suite d’une inter­pré­ta­tion bril­lante de cette valse, Bia­gi se leva pour saluer le pub­lic qui applaud­is­sait à tout rompre. D’Arienzo s’est alors dirigé vers lui pour lui sig­ni­fi­er à voix basse qu’il était viré ; “¡Soy la úni­ca estrel­la de esta orquesta…estás des­pe­di­do!». Je suis la seule vedette (étoile) de cet orchestre, tu es viré !

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

C’est la valse du jour. Là, Bia­gi a son pro­pre orchestre. Il peut se lâch­er com­plète­ment au piano pour nous pro­pos­er cette ver­sion bril­lante. Les expi­ra­tions hale­tantes des ban­donéons, les glis­san­dos des vio­lons et les accents énergiques du piano don­nent une grande var­iété à cette inter­pré­ta­tion. La fin n’a pas l’impression d’accélération que pos­sède la ver­sion de D’Arienzo, mais les motifs des 30 dernières sec­on­des démon­trent la vir­tu­osité de Bia­gi au piano.

Lágri­mas y son­risas 1974-04-26 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis

Je ter­min­erai avec un autre pianiste, De Ange­lis qui pro­pose une ver­sion bien dif­férente et tar­dive de cette très belle valse où on retrou­ve le même jeu que dans les 30 dernières sec­on­des de la ver­sion de Bia­gi, mais plus tôt. On peut con­sid­ér­er que c’est un hom­mage, une cita­tion. Cela per­met à De Ange­lis de retrou­ver l’accélération finale qui avait été gom­mée dans la ver­sion de Bia­gi.

Violín 1944-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina

Ricardo Malerba; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti

Ricar­do Maler­ba était ban­donéon­iste et ses frères étaient vio­loniste (Car­los) et pianiste (Alfre­do). Car­los est mort au Por­tu­gal lors d’une tournée en 1931 et il se peut que Vio­lín, soit un hom­mage de Ricar­do à son frère trop tôt dis­paru. Quoi qu’il en soit, ce titre mérite d’être le tan­go du jour. Il a été enreg­istré il y a exacte­ment 80 ans.

On con­naît Maler­ba, comme chef d’orchestre et com­pos­i­teur. Il était un ban­donéon­iste, sem­ble-t-il, assez moyen si on en croit un témoignage rap­porté par Tan­go al Bar­do qui indique qu’il lais­sait le gros du tra­vail à Miguel Caló lors de la tournée en Espagne des années 30.

Les vio­lonistes de Maler­ba à cette époque sont Alfre­do Lat­tero, Ernesto Gian­ni, Fran­cis­co San­marti­no et José López. Il m’est impos­si­ble de dire lequel effectue les mag­nifiques solos de vio­lon que l’on peut enten­dre dans cette œuvre.
Son frère, Alfre­do avait entretemps épousé Lib­er­tad Lamar­que. Cette dernière lui a per­mis de tra­vailler à Radio Bel­gra­no, à con­di­tion qu’il pro­pose des tan­gos ryth­més à la D’Arienzo…
Pour cela il avait un autre atout, son pianiste, Dante Smur­ra qui était par­ti­c­ulière­ment réputé au point qu’en 1938, il avait été sol­lic­ité pour rem­plac­er Bia­gi dans l’orchestre de D’Arienzo.
Dante a refusé l’of­fre, pour rester fidèle à Maler­ba. Avec ce dernier, il a com­posé Cuan­do flo­rez­can las rosas, Embru­jamien­to (leur plus grand suc­cès, repris égale­ment par D’Arienzo), La piba de los jazmines, un des hits de Maler­ba et bien sûr Vio­lín, notre tan­go du jour.

Extrait musical

Vio­lín 1944-03-16 – Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Orlan­do Med­i­na

Les paroles

Hoy mi vio­lín está soñan­do
con un amor en el atril,
sus cuer­das vibran tir­i­tan­do
porque vive recor­dan­do
que hoy está lejos de mí.

Es mi vio­lín el alma mía
y su can­ción es mi sen­tir,
mi corazón que la quería,
que la quiere y no la olvi­da,
va llo­ran­do en mi vio­lín.

Vio­lín, vio­lín…
La quiero mucho más,
la quiero más que ayer
mi amor no tiene fin.
Vio­lín, vio­lín…
quisiera que mi voz,
en alas de tu voz,
lle­gara has­ta mi amor.
Vio­lín, vio­lín…
me quiso igual que yo
y ha de volver a mí,
la esper­aré
y tú tam­bién,
vio­lín.

Ricar­do Maler­ba ; Dante Smur­ra Letra Hora­cio San­guinet­ti

Les paroles ne lais­sent pas de doute sur le fait qu’elles ne s’adressent pas à Car­los, le frère vio­loniste mort en 1931, mais il se peut que Maler­ba ait écrit la musique en pen­sant à son frère. Les hom­mages de musi­cien à musi­cien sont très fréquents dans le tan­go, bien que générale­ment plus explicites.

Traduction libre

Aujourd’hui mon vio­lon rêve avec un amour sur le pupitre, ses cordes vibrent en fris­son­nant parce qu’il vit en se sou­venant qu’aujourd’hui elle est loin de moi.
Mon vio­lon est mon âme et son chant est mon sen­ti­ment, mon cœur qui l’a aimée, qui l’aime et ne l’oublie pas, il pleure dans mon vio­lon.
Vio­lon, vio­lon… Je l’aime telle­ment plus, je l’aime plus qu’hier mon amour n’a pas de fin.
Vio­lon, vio­lon… Je voudrais que ma voix, sur les ailes de ta voix, atteigne mon amour.
Vio­lon, vio­lon… Elle m’aimait comme moi, et elle revien­dra vers moi, je l’attendrai, et toi aus­si, vio­lon.

En lun­far­do, un vio­lon (un vio­lín) est une femme. Je suis donc par­ti de cette idée. Les papil­lons, ce sont ceux du creux du ven­tre quand on est amoureux.

Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta

Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)

J’ai tou­jours adoré Loco tur­bión et me suis demandé pourquoi seule­ment Caló l’avait enreg­istré. C’est sans doute que cette ver­sion est par­faite. Je vous invite donc à savour­er ce tan­go du jour, enreg­istré il y a 78 ans.

Loco tur­bión, dès le titre, on est en appétit. Loco, fou et tur­bión, averse vio­lente, mais aus­si choses emportées dans un « tour­bil­lon ».
Si on ne prête pas atten­tion aux paroles, on peut imag­in­er le pas­sage de l’averse. Au début, une marche, puis la mon­tée de la ten­sion, des mou­ve­ments con­tra­dic­toires, comme le vent qui agite les arbres à l’approche de la tour­mente. L’averse pour­rait être le puis­sant duo d’Iriarte et Arri­eta, puis le soleil réap­pa­raît à la toute fin, jusqu’à la chute des deux dernières gouttes d’eau.

Extrait musical

Loco tur­bión 1946-03-15 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte y Rober­to Arri­eta

L’exposition sem­ble faire référence à un temps passé, comme quelqu’un qui se sou­vient. Le pas­sage en mineur aux alen­tours de 0:30 et qui trou­ve son apogée dans le solo de vio­lon à par­tir de 0:40.
Rober­to Arri­eta com­mence à chanter à 1:00. À 1:30 Raúl Iri­arte rem­place Arri­eta, puis à 1:37 ils chantent en duo, avec une émo­tion intense, qui se détend, puis Arri­eta prend le relais, seul et ain­si de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tan­go.
La musique sem­ble effectuer des aller et retour, comme pour mar­quer les hési­ta­tions. Les instru­ments, puis les chanteurs sem­blent apporter leur pierre à la con­struc­tion musi­cale, jusqu’à ce qu’ils se com­bi­nent dans le final en étant sur la « même longueur d’onde ». Les paroles con­fir­ment cette impres­sion.

Les paroles

Les paroles ren­for­cent l’idée de tour­bil­lon, de dia­logue, d’hésitation. Les chanteurs se répon­dent avant de s’accorder (à la quinte) et de dévelop­per un des mag­nifiques duos dont nous rav­it le tan­go.

Ten­go miedo de encon­trar­la
Y de nue­vo recor­dar­la…
Y achicar el corazón.
Ten­go miedo que en sus ojos,
Al mirar estos despo­jos
Yo adi­vine com­pasión.
En mis días fue un dolor,
En mis sueños, fue un ren­cor,
Y en mi vida no hizo más que mal…
Me tor­tu­ra este recuer­do
Que me acosa y me per­sigue
En mis noches sin final.

En la fragua de espan­tos del sufrir,
Ella puso entre brasas mi ilusión.

Me ha enseña­do a morir,
Porque ya no es vivir,
Escuchan­do en las som­bras su reír.
Y esa voz que me nom­bra sin cesar,
Que me muerde en las noches con su mal,
¡Es un loco tur­bión!…
Una gar­ra bru­tal,
Que me estru­ja el corazón.

Yo me hun­do en la locu­ra
De un tur­bión, al recor­dar­la
Y quer­erla con pasión.
Y el pen­sar en olvi­dar­la,
Es camino que con­duce
¡A la deses­peración!
Es tor­men­to sin final
El fra­ca­so de olvi­dar,
¡Y es ple­garia que no escucha Dios!
Es tor­tu­ra inter­minable
El recuer­do de sus ojos
Y el arrul­lo de su voz.

Vicente Spina Letra : Rober­to Miró (Rober­to Daniel Miró)

Les par­ties chan­tées par Rober­to Arri­eta seul, sont en rouge.
Celles qui sont chan­tées par Raúl Iri­arte seul sont en bleu.
Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras.
Au final, ils repren­nent en duo le refrain à par­tir de Y esa voz que me nom­bra sin cesar, qui était chan­té par Iri­arte seul la pre­mière fois.
Le dernier cou­plet n’est pas chan­té. C’est la par­tie où il souhaite l’oublier.

La météo du tango

Plusieurs tan­gos par­lent d’averses soudaines et vio­lentes, que ce soit de façon objec­tive, comme el aguacero ou de façon fig­urée, comme Tor­men­ta.
El aguacero de Cátu­lo Castil­lo Letra : José González Castil­lo (Juan de León).
Chap­ar­rón 1946-08-26 (Milon­ga) Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe, nous en repar­lerons le 26 août à l’occasion de l’anniversaire de cet enreg­istrement.
Llu­via au moins une quar­an­taine de tan­gos par­lent de pluie (llu­via), tou­jours au sens pro­pre ou fig­uré.
Pour rester dans les aléas cli­ma­tiques, le vent a aus­si sa voix, par exem­ple dans les tan­gos suiv­ants.
Cuan­do bron­ca el tem­po­ral de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Mar­sili, que nous avons évo­qué à pro­pos de la ver­sion de Di Sar­li de 1929.
Tor­men­ta d’Enrique San­tos Dis­cépo­lo, mais il y a d’autres tan­gos inclu­ant tor­men­ta (Anto­nio Bonave­na, P. Mon­tanel­li, José De Cic­co, José Luis Padu­la) qui par­lent de tor­men­ta, au réel comme au fig­uré.
Huracán, une incroy­able com­po­si­tion de Dona­to d’une puis­sance titanesque.
Ven­taval, plusieurs tan­gos de ce nom, comme Ven­taval de Rodol­fo Sci­ammarel­la par Mer­cedes Simone dans le film de 1939, qui se passe à Paris (le titre a pour fond d’écran, le Pan­théon), mais qui est argentin, ou cru­en­to ven­daval de Miguel Mar­ti­no et Jac­in­to Alí (MyL).

Les illustrations

Pour les illus­tra­tions, je suis par­ti de deux pistes. L’idée de tour­bil­lon pour la pre­mière, tour­bil­lon que m’évoque le mot tur­bión, et la musique qui sem­ble cir­culer d’un côté à l’autre, rebondis­sant d’un instru­ment à l’autre, d’un chanteur à l’autre et l’idée de la femme per­due, inac­ces­si­ble, qui s’en va.
En résumé, n’arrivant pas à choisir, je vous pro­pose les qua­tre images. N’hésitez pas à indi­quer en com­men­taire celle qui vous plaît le plus, peut-être que je chang­erai la pho­to de cou­ver­ture en fonc­tion de vos avis.

L’image de couverture

Je souhaitais garder l’ambiguïté entre l’averse, le tour­bil­lon et la belle. J’ai hésité entre deux styles, un abstrait à la Arcim­bol­do, ou les fleurs et nuages col­orés rem­pla­cent les légumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finale­ment opté pour la femme fleur tour­bil­lon­nante, mais comme j’aime bien les autres aus­si, je vous présente le lot.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Ten­go miedo de encon­trar­la y de nue­vo recor­dar­la.…
J’ai peur de la ren­con­tr­er et d’à nou­veau me sou­venir d’elle.

L’image de fin

En général, je souhaite pro­pos­er une image d’un style dif­férent pour l’image de fin. C’est donc la ver­sion orageuse qui clô­ture l’article, mais j’aime bien aus­si celle de la belle qui s’évapore dans les nuées tour­bil­lon­nantes.

Es tor­tu­ra inter­minable el recuer­do de sus ojos y el arrul­lo de su voz. C’est une tor­ture inter­minable, le sou­venir de ses yeux et le roucoule­ment de sa voix.

Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des éclairs, sem­blant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volé avant de rejoin­dre l’Olympe. Elle est dev­enue inac­ces­si­ble, divine et cru­elle.