Archives par étiquette : Olga Delgrossi

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

On sait main­tenant que fumer n’est pas bon pour la san­té, mais dans la mytholo­gie du tan­go, la cig­a­rette, cig­a­r­il­lo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créa­teurs quand eux-mêmes inspi­raient les volutes de fumée. Notre tan­go du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de pro­pa­gande pub­lic­i­taire. Mais nous ver­rons que le tan­go a aus­si servi à lut­ter con­tre le tabac qui t’abat. Je pense que vous décou­vrirez quelques scoops dans cette anec­dote fumante.

Extrait musical

Fuman­do espero 1927-07-21 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor — Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

Cette très belle ver­sion souf­fre bien sûr de son anci­en­neté et du style de l’époque, mais les con­tre­points sont superbes et la ryth­mique lourde est com­pen­sée par de jolis traits. J’aime beau­coup les pas­sages lega­to des vio­lons.

Main­tenant que vous l’avez écouté, nous allons entr­er dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des cou­ver­tures de par­ti­tions.

Fuman­do espero. Divers­es par­ti­tions.

On notera que trois des par­ti­tions annon­cent la créa­tion, mais par des artistes dif­férents…
Créa­tion de Ramonci­ta Rovi­ra (Par­ti­tion éditée par Ilde­fon­so Alier) à Madrid en 1925.
Créa­tion de Pilar Berti pour la pub­li­ca­tion de Barcelone, DO-RE-MI qui pub­li­ait chaque semaine une par­ti­tion. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à divers­es repris­es.
Tania Mex­i­can, créa­trice de ce mag­nifique tan­go, annonce cette par­ti­tion. Tania aurait été la pre­mière à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impos­si­ble dans la mesure où cette Espag­nole de Tolède est arrivée en Argen­tine en 1924. Elle fut la com­pagne de Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Si on peut voir la men­tion « « « Mex­i­can » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Con­jun­to The Mex­i­cans

Après les édi­tions espag­noles, voici celles d’Amérique latine, plus tar­dives, elles ont suivi le tra­jet de la musique.
Felix Car­so au lieu de Car­zo pour l’édition brésili­enne de 1927. L’éditeur, Car­los Wehrs vendait aus­si des pianos.
Tan­go de Velado­ma­to (au lieu de Velado­mat (non cata­lan) pour l’édition chili­enne.
Ces cinq par­ti­tions sont de la pre­mière vague (années 20–30)

La par­ti­tion éditée par las Edi­ciones Inter­na­cionales Fer­ma­ta avec la pho­to de Héc­tor Varela en cou­ver­ture date des années 50. Prob­a­ble­ment de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es un plac­er
genial, sen­su­al.
Fuman­do espero
al hom­bre a quien yo quiero,
tras los cristales
de ale­gres ven­tanales.
Mien­tras fumo,
mi vida no con­sumo
porque flotan­do el humo
me sue­lo adorme­cer…
Ten­di­da en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solíc­i­to y galante,
sen­tir sus labios
besar con besos sabios,
y el deva­neo
sen­tir con más deseos
cuan­do sus ojos veo,
sedi­en­tos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuel­vo loca.
Corre que quiero enlo­que­cer
de plac­er,
sin­tien­do ese calor
del humo embria­gador
que aca­ba por pren­der
la lla­ma ardi­ente del amor.

Mi egip­cio es espe­cial,
qué olor, señor.
Tras la batal­la
en que el amor estal­la,
un cig­a­r­ril­lo
es siem­pre un des­can­sil­lo
y aunque parece
que el cuer­po lan­guidece,
tras el cig­a­r­ro crece
su fuerza, su vig­or.
La hora de inqui­etud
con él, no es cru­el,
sus espi­rales son sueños celes­tiales,
y for­man nubes
que así a la glo­ria suben
y envuelta en ella,
su chis­pa es una estrel­la
que luce, clara y bel­la
con rápi­do ful­gor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Vilado­mat Masanas Letra: Félix Gar­zo (Anto­nio José Gaya Gar­dus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sen­suel.
En fumant, j’attends l’homme que j’aime, der­rière les vit­res de fenêtres gaies.
Pen­dant que je fume, ma vie, je ne la con­somme pas parce que la fumée qui flotte me rend générale­ment som­no­lente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sol­lic­i­tude et galant, de sen­tir ses lèvres embrass­er de bais­ers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoif­fés de pas­sion.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (mar­que de cig­a­rettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu’ainsi je devi­enne folle.
Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sen­tant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour.
Mon égyp­tien (tabac égyp­tien) est spé­cial, quelle odeur, mon­sieur.
Après la bataille dans laque­lle l’amour explose, une cig­a­rette est tou­jours un repos et bien qu’il sem­ble que le corps lan­guisse, après le cig­a­re (en lun­far­do, el cig­a­r­ro est le mem­bre vir­il…), sa force, sa vigueur, gran­dis­sent.
L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cru­elle, ses spi­rales sont des rêves célestes, et for­ment des nuages qui s’élèvent ain­si vers la gloire et envelop­pés d’elle, son étin­celle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouisse­ment rapi­de.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tan­go serait une bonne occa­sion pour par­ler du thème de la cig­a­rette et du tan­go. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octo­bre 2006, il est inter­dit de fumer dans les lieux publics. Cela a large­ment amélioré la qual­ité de l’air dans les milon­gas.
La loi 3718 (décem­bre 2010) ren­force encore ces inter­dic­tions et donc depuis 5 jan­vi­er 2012, il est totale­ment inter­dit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont inter­dits. Cepen­dant, imag­inez l’atmosphère au cours du vingtième siè­cle, époque où le tabac fai­sait des rav­ages.
Le tan­go du jour peut être con­sid­éré comme une pub­lic­ité pour le tabac et même une pub­lic­ité pour le tabac égyp­tien d’une part et la mar­que Edén qui était une mar­que rel­a­tive­ment lux­ueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tan­go, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cig­a­rettes à base de tabac de la Havane. Je pour­rais rajouter le cig­a­re de la Havane, mais je pense que la référence au cig­a­re est plus coquine que rel­a­tive à la fumée…
Les cig­a­rettes Edén étaient com­mer­cial­isées en deux var­iétés, la n° 1, fab­riqué avec du tabac de la Havane, coû­tait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyp­tien. À droite, pub­lic­ité pour les cig­a­rettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créa­teur de la mar­que

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tan­go du jour (Fuman­do espero (1922), puisqu’il cite des mar­ques et l’acte de fumer. Cepen­dant, rien ne prou­ve que ce soient des pub­lic­ités, même déguisées. La référence au tabac égyp­tien peut être une sim­ple évo­ca­tion du luxe, tout comme la mar­que Edén qui en out­re rime avec bien.
Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Vilado­mat sem­ble être un adepte des drogues dans la mesure où il a égale­ment écrit un tan­go qui se nomme La cocaí­na avec des paroles de Ger­ar­do Alcázar.

Par­ti­tion de La cocaina de Juan Vilado­mat avec des paroles de Ger­ar­do Alcázar.
La cocaí­na 1926 — Ramonci­ta Rovi­ra.

La cocaí­na 1926 — Ramonci­ta Rovi­ra. Cette pièce fai­sait par­tie du Guig­nol lyrique en un acte « El tan­go de la cocaí­na » com­posé par Juan Vilado­mat avec un livret de Amichatis et Ger­ar­do Alcázar.

J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une moti­va­tion finan­cière…
D’autres tan­gos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Com­padre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cig­a­r­il­lo (1930), Pucho 1932, Taba­co (1944), Som­bra de humo (1951), Un cig­a­r­il­lo y yo (1966) et bien d’autres qui par­lent à un moment ou un autre, de fumée, de cig­a­rette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cig­a­r­ril­lo 1930-07-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Luis Díaz (Adol­fo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Atten­tion, ne pas con­fon­dre avec le tan­go du même nom qui milite con­tre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’ar­gent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du com­merce…

En revanche, d’autres tan­gos ont été com­man­dités par des mar­ques de cig­a­rettes. Par­mi ceux-ci, citons :

Améri­ca (qui est une mar­que de cig­a­rettes)
Fuman­do Sudan, espero (Sudan est une mar­que de cig­a­rette et Pilar Arcos a enreg­istré cette ver­sion pub­lic­i­taire en 1928).

Paquet en dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite et vignettes de col­lec­tion (1920) des cig­a­rettes Soudan, une mar­que brésili­enne créée par Sab­ba­do D’Angelo en 1913.
Fuman­do Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orques­ta Tipi­ca Dir. Louis Katz­man.

Le nom des cig­a­rettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des pre­mières let­tres du nom du fon­da­teur de la mar­que, S de Saba­do, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo…
Quoi qu’il en soit, cette mar­que ne rec­u­lait devant aucun moyen mar­ket­ing, dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite, images de col­lec­tion, ver­sion chan­tée…
Cela me fait penser à cette pub­lic­ité argen­tine pour la pre­mière cig­a­rette…

Pub­lic­ité argen­tine pour la pre­mière cig­a­rette met­tant en scène un enfant… La cig­a­rette est au pre­mier plan à gauche. On imag­ine la suite.

Sel­lo azul (qui est une mar­que de cig­a­rettes).

Sel­lo Azul de Sci­ammarel­la et Rubis­tein, et à droite, un paquet de ces cig­a­rettes…

Aprovechá la bola­da, Fumá Caran­chos dont je vous pro­pose ici les paroles qui sont un petit chef‑d’œuvre de mar­ket­ing de bas étage :

Cou­ver­ture de la par­ti­tion de Aprovechá la bola­da — Fumá Caran­chos de Fran­cis­co Bohi­gas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Pan­chi­to, no seas longhi, calmá un poco tu arreba­to que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se sui­cide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontar­la con bravu­ra y altivez.
Donde hay vida hay esper­an­za, no pifiés como un incau­to.
Y a tu piba no le arru­ines su pala­cio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yer­bas; yo te doy la solu­ción.
Refrán:
Fumá Caran­chos no seas chan­cle­ta, que en cada eti­que­ta se encuen­tra un cupón.
Seguí mi con­se­jo, pren­dete, che Pan­cho que está en Los Caran­chos tu gran sal­vación.
Fumá Caran­chos, que al fin del jaleo en el gran sor­teo te vas a lig­ar una casa pos­ta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Pan­chi­to, que te veo muy tri­un­fante, dan­do dique a todo el mun­do con un buick deslum­brador, por Flori­da, por Cor­ri­entes, con tu novia en el volante propi­etario de una casa que será nido de amor.
Sin embar­go, caro mio, si no entrás en la fuma­da, serás siem­pre un pobre loco que de seco no sal­drá.
Vos bus­cate tu aco­mo­do, aprovechá la bola­da, fumá Caran­chos queri­do, que tu suerte cam­biará.
Fumá Caran­chos, no seas chan­cle­ta que en cada eti­que­ta se encuen­tra el cupón.

Fran­cis­co Bohi­gas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Pan­chi­to, ne sois pas un manche, calme un peu ton emporte­ment, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se sui­cider, car il a fait le canard (« cada paso una caga­da », le canard a la répu­ta­tion de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affron­tée avec bravoure et arro­gance.
Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un impru­dent.
Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une mai­son et d’autres trucs ; Je vais te don­ner la solu­tion.
Fume Caran­chos ne sois pas une mau­vi­ette, car sur chaque éti­quette, se trou­ve un coupon.
Suis mon con­seil, allume, che Pan­cho, ton grand salut est dans les Caran­chos.
Fume des Caran­chos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombo­la, tu vas recevoir une mai­son excel­lente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réalis­er.
Il me sem­ble, che Pan­chi­to, que je te vois très tri­om­phant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouis­sante, dans Flori­da, dans Cor­ri­entes, avec ta copine au volant et pro­prié­taire d’une mai­son qui sera un nid d’amour.
Cepen­dant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras tou­jours un pau­vre fou qui ne sor­ti­ra pas de la dèche.
Tu trou­veras ton loge­ment, prof­ite de la chance, fume, mon cher, Caran­chos, ta chance va tourn­er.
Fume des Caran­chos, ne sois pas une mau­vi­ette, car sur chaque éti­quette se trou­ve le coupon.
On notera qu’il a fait un tan­go du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui fai­sait la pro­pa­gande d’un tirage au sort d’un vin pro­duit par les caves Giol7. Ne pas con­fon­dre avec le tan­go du même titre écrit par Héc­tor Mar­có et chan­té notam­ment par Edmun­do Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l’immense des tan­gos fait l’apologie de la cig­a­rette, cer­tains dénon­cent ses méfaits en voici un exem­ple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tan­to daño,
tan­to daño provo­caste
a toda la humanidad.
Tan­tas vidas,
tan­tas vidas de mucha­cho
te fumaste… yo no sé.
Apa­gan­do mi amar­gu­ra
en la bor­ra del café
hoy te can­to, cig­a­r­ril­lo, mi ver­dad…

Cig­a­r­ril­lo…
com­pañero de esas noches,
de mujeres y cham­pagne.
Muerte lenta…
cada faso de taba­co
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El taba­co es traicionero
te destruye el cuer­po entero
y te agre­ga más edad…
El taba­co es traicionero,
te destruye el cuer­po entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lin­do !…
Ay, que lin­do que la gente
com­prendiera de una vez
lo difí­cil,
lo difí­cil que se hace,
hoy en día, el res­pi­rar.
Es el humo del cilin­dro
maquiavéli­co y rufián
que destruye tu teji­do pul­monar

Pipo Cipo­lat­ti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité.
Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amer­tume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cig­a­rette, ma vérité…
Cig­a­rette… Com­pagne de ces nuits, des femmes et de cham­pagne.
Mort lente… Chaque cig­a­rette (faso, cig­a­rette en lun­far­do) est une année qui s’en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas atten­tion aux autres.
Le tabac est traître, il détru­it le corps en entier et t’ajoute plus d’âge…
Le tabac est traître, il détru­it le corps entière­ment… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens com­pren­nent une fois pour toutes com­bi­en le dif­fi­cile, com­bi­en il est dif­fi­cile de respir­er aujourd’hui.
C’est la fumée du cylin­dre machi­avélique et voy­ou qui détru­it ton tis­su pul­monaire

Si on rajoute un autre de ses tan­gos Piso de soltero qui par­le des rela­tions d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panora­ma des vices qu’il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de ver­sions, alors je vais essay­er d’être bref et de n’apporter au dossier que des ver­sions intéres­santes, ou qui appor­tent un autre éclairage.
Ce que l’on sait peu, est que ce tan­go est espag­nol, voire cata­lan et pas argentin…
Juan Vilado­mat est de Barcelone et Félix Gar­zo de San­ta Colo­ma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tan­go (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chan­son courte et légère des­tinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nue­va España, lancée en 1923 au teatro Vic­to­ria de Barcelona.
La pre­mière chanteuse du titre en a été Ramonci­ta Rovi­ra née à Fuli­o­la (Cat­a­logne). Je rap­pelle que Ramonci­ta a aus­si lancé le tan­go La cocaí­na que l’on a écouté ci-dessus. Ramonci­ta, l’aurait enreg­istré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espag­noles pren­dront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Mon­tiel et ensuite Mary Sant­pere bien plus tard.

Fuman­do-Espero 1926-08 – Orques­ta Del Mae­stro Lacalle.

Ce disque Colum­bia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enreg­istré en août 1926 à New York où le Mae­stro Lacalle (la rue), d’origine espag­nole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une ver­sion instru­men­tale, un peu répéti­tive. L’avantage d’avoir enreg­istré à New-York est d’avoir béné­fi­cié d’une meilleure qual­ité sonore, grâce à l’enregistrement élec­trique. Le même jour, il a enreg­istré Lan­gos­ta de Juan de Dios Fil­ib­er­to, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tan­go orig­i­nal.

Disque enreg­istré à New York en 1926 par El Mae­stro Lacalle de Fuman­do Espero et Lan­gos­ta.

On est donc en présence d’un tan­go 100 % espag­nol et même 100 % cata­lan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des sur­pris­es.

Fuman­do Espero 1926-10-18 — Mar­gari­ta Cue­to acc. Orques­ta Inter­na­cional — Dir.Eduardo Vig­il Y Rob­les. Un autre enreg­istrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fuman­do espero 1926-10-29 — Orques­ta Inter­na­cional — Dir. Eduar­do Vig­il Y Rob­les. Quelques jours après l’enregistrement avec Mar­gari­ta Cue­to, une ver­sion instru­men­tale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fuman­do espero 1927-07-11 — Rosi­ta Quiroga con orques­ta.

Rosi­ta Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la dic­tion et aux manières très faubouri­ennes était sans doute dans son élé­ment pour par­ler de la cig­a­rette. On est toute­fois loin de la ver­sion raf­finée qui était celle du cuplé espag­nol d’origine.

Fuman­do espero 1927-07-21 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor — Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

C’est notre superbe ver­sion instru­men­tale du jour, magis­trale­ment exé­cutée par l’orchestre de la Vic­tor sous la baguette de Cara­bel­li.

Fuman­do espero 1927 — Sex­te­to Fran­cis­co Pracáni­co.

Une autre ver­sion instru­men­tale argen­tine. Le titre a donc été adop­té à Buenos Aires, comme en témoigne la suc­ces­sion des ver­sions.

Fuman­do espero 1927-08-20 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une ver­sion un peu frus­tre à mon goût.

Fuman­do espero 1927-08-23 – Orques­ta Rober­to Fir­po.

Fir­po nous pro­pose une superbe intro­duc­tion et une orches­tra­tion très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est des­tiné à un tan­go un peu lourd, canyengue, cette ver­sion devrait plaire aux danseurs qui peu­vent sor­tir du strict âge d’or.

Fuman­do espero 1927-09-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Fuga­zot.

Canaro ne pou­vait pas rester en dehors du mou­ve­ment, d’autant plus qu’il enreg­istr­era Cig­a­r­ril­lo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).

Fuman­do espero 1927-11-08 — Orques­ta Osval­do Frese­do.
Fuman­do espero 1927-11-17 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle inter­pré­ta­tion par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fuman­do espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castil­ians.
Fuman­do Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orques­ta Tipi­ca Dir. Louis Katz­man.

C’est la ver­sion pub­lic­i­taire que nous avons évo­quée dans le chapitre sur tabac et tan­go.

La source sem­ble s’être tarie et l’on ne trou­ve plus de ver­sions de Fuman­do espero intéres­sante avant les années 1950.

Fuman­do espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fuman­do espero 1955-06-01 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma.

Oui, je sais, cette ver­sion, vous la con­nais­sez et elle a cer­taine­ment aidé au renou­veau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation mar­que la fin du tan­go de danse, 97,38 % (env­i­ron), des danseurs se ruent sur la piste aux pre­mières notes.

Fuman­do espero 1955-12-01 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi.

L’Uruguay se toque aus­si pour la reprise de Fuman­do espero. Après Dona­to Rac­ciat­ti et Olga Del­grossi, Nina Miran­da.

Fuman­do espero 1956 — Orques­ta Gra­ciano Gómez con Nina Miran­da.

Nina Miran­da a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Gra­ciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une col­lab­o­ra­tion entre les deux rives du Rio de la Pla­ta.

Fuman­do espero 1956 — Jorge Vidal con gui­tar­ras.

Une ver­sion tran­quille, à la gui­tare.

Fuman­do espero 1956-02-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Argenti­no Ledes­ma.

Après la ver­sion à 97,38 % avec Varela, Argenti­no Ledes­ma, avec Di Sar­li réalise la ver­sion pour 100 % des danseurs.
Ledes­ma venait de quit­ter l’orchestre de Varela pour inté­gr­er celui de Di Sar­li. Il devient le spé­cial­iste du titre… Ce fut un immense suc­cès com­mer­cial au point que la Víc­tor décala sa fer­me­ture pour vacances pour rééditer d’autres dis­ques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui mar­que le renou­veau explosif du titre.

Fuman­do espero 1956-04-03 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

J’aurais plus imag­iné Lar­ro­ca pour ce titre. De Ange­lis a choisi Dante. C’est toute­fois joli, mais je trou­ve qu’il manque un petit quelque chose…

Pop­urri 1956-04-20 Fuman­do espero, His­to­ria de un amor y Baile­mos — José Bas­so C Flo­re­al Ruiz.

Il s’agit d’un pop­urrí, c’est à dire du mélange dans un seul tan­go de plusieurs titres. Comme ce pot-pour­ri com­mence par Fuman­do espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez prof­iter de la superbe voix de Flo­re­al Ruiz. À 58 sec­on­des com­mence His­to­ria de un amor et à deux min­utes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Baile­mos. Les tran­si­tions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pour­rait presque pro­pos­er cela pour la danse (avec pré­cau­tion et pour un moment spé­cial).

Fuman­do espero 1956-04-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Flo­rio.

On peut se deman­der pourquoi Di Sar­li enreg­istre une nou­velle ver­sion, moins de trois mois après celle de Ledes­ma. L’introduction est dif­férente et l’orchestration présente quelques vari­antes. La plus grosse dif­férence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tan­da avec Flo­rio, cet enreg­istrement me sem­ble un excel­lent élé­ment. Je pense que la prin­ci­pale rai­son est que Ledes­ma n’a enreg­istré que trois tan­gos avec Di Sar­li et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux pass­er la ver­sion avec Ledes­ma, je suis obligé de faire une tan­da mixte, autre chanteur et/ou titre instru­men­tal pour obtenir les qua­tre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indis­pens­able d’inclure une de ces ver­sions dans une milon­ga…
Il y a peut-être aus­si un peu de colère de la part de Di Sar­li. En effet, si l’enregistrement de Ledes­ma avec Varela n’avait pas bien fonc­tion­né, à la suite du suc­cès de la ver­sion avec Di Sar­li, la Colum­bia (la mai­son de dis­ques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense suc­cès qui a décidé la Colum­bia a réin­té­gr­er Ledes­ma dans l’orchestre de Varela. Voy­ant que son nou­veau poulain, par­tait en fumée, Di Sar­li (ou la Víc­tor) a donc décidé de graver d’urgence une autre ver­sion avec un nou­veau chanteur afin de ne pas laiss­er au cat­a­logue un titre avec un chanteur passé à la con­cur­rence…

Fuman­do espero 1956 — Los Señores Del Tan­go C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fuman­do espero 1956 — Lib­er­tad Lamar­que Orques­ta — Dir.Victor-Buchino.

Fuman­do espero 1956 — Lib­er­tad Lamar­que Orques­ta —  Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement dis­cret de Vic­tor Buchi­no et la presta­tion sou­vent a capel­la de Lib­er­tad Lamar­que per­met de bien saisir le grain de voix mag­nifique de Lib­er­tad.

Fuman­do espero 1957 — Chola Luna y Orques­ta Luis Caru­so.
Fuman­do espero 1957 — Impe­rio Argenti­na.

Si Impe­rio Argenti­na est née en Argen­tine, elle a fait une grande par­tie de sa car­rière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, ado­les­cente) et bien sûr en France, mais aus­si en Alle­magne. Elle nous per­met de faire la liai­son avec l’Espagne ou nous revenons pour ter­min­er cette anec­dote.

C’est le film, El Últi­mo Cuplé qui va nous per­me­t­tre de fer­mer la boucle. Le thème rede­vient un cuplé et même si le théâtre a été rem­placé par le ciné­ma, nous achèverons notre par­cours avec cette scène du film ou Sara Mon­tiel chante le cuplé.

Sara Mon­tiel chante Fuman­do espero dans le film El Últi­mo Cuplé de 1957. Met­teur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez recon­nu l’illustration de cou­ver­ture. J’ai mod­i­fié l’ambiance pour la ren­dre plus noire et ajouté de la fumée, beau­coup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suiv­ez les con­seils de Pipo Cipo­lat­ti que je vous con­serve longtemps. Je rédi­ge cette anec­dote le 20 juil­let, Dia del ami­go (jour de l’ami).

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un arti­cle qui dis­ait que Tita Merel­lo avec «Yo soy así», avait don­né une place aux femmes dans le tan­go. Il me sem­ble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des inter­prètes de la pre­mière heure, Flo­ra Gob­bi, Rosi­ta Quirogan, Ada Fal­cón, Ani­ta Palmero, Azu­ce­na Maizani, Nel­ly Omar, Mer­cedes Simone, Lita Morales, Lib­er­tad Lamar­que, Tania, María Graña, Susana Rinal­di, Vir­ginia Luque, Ela­dia Blázquez, Nina Miran­da, Impreio Argenti­na, Olga Del­grossi et bien sûr et pas des moin­dres, Tita Merel­lo. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous par­le de tan­go.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois caus­es. La pre­mière est que les femmes ont eu une place impor­tante comme chanteuses, mais pas réelle­ment comme chefs d’orchestre ou musi­ci­ennes. Aujourd’hui, beau­coup de danseurs con­nais­sent et recon­nais­sent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est sou­vent, car ce sont des « cou­ples » que l’on est habitué à associ­er à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troi­lo-Fiorenti­no ou Rodriguez-Moreno. S’ils enten­dent Fiorenti­no avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le recon­nais­sent.

Les femmes ont plus sou­vent chan­té des ver­sions à écouter que des ver­sions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette rai­son, d’autant plus que la voix de femme dans un reg­istre plus aiguë laisse de la place aux instru­ments plus graves qui mar­quent générale­ment la pul­sa­tion, Main gauche au piano, con­tre­basse, ban­donéon… La preuve est que des ver­sions chan­tées de bout en bout par des femmes sont par­faite­ment dans­ables alors que par le même orchestre et à la même époque, une ver­sion chan­tée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exem­ple les enreg­istrements de Canaro qui a de nom­breux exem­ples de titres enreg­istrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, lais­sant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tan­gos. Là, elles n’ont pas tou­jours le beau rôle, comme en témoigne notre tan­go du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous mon­tr­er qu’il y a de nom­breuses femmes dans l’univers de tan­go, je vous pro­pose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, con­cen­trons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’écouter notre tan­go du jour, sachez qu’il existe un autre tan­go du même titre, Sin sabor joué par Tito Fran­cia qui en est le com­pos­i­teur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pour­rai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nom­breux à aimer ce duo mag­nifique, cette musique entraî­nante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milon­gas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Hora­cio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour for­mer un duo et finale­ment, l’orchestre ter­mine le tan­go. La struc­ture est très sim­ple, comme l’orchestration. C’est une belle ver­sion qui brille par sa sim­plic­ité et sa légèreté.

Paroles

Lle­van­do mi pesar
Como una maldición
Sin rum­bo fui
Bus­can­do de olvi­dar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desam­paro cru­el
Tratan­do de olvi­darte recordé
Con la ansiedad febril
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la real­i­dad
De toda tu cru­el­dad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encan­dilé
Lle­va­do en mi ansiedad de amar
Besos impreg­na­dos de amar­gu­ra
Tuve de tu boca en su fri­al­dad
Tu alma no sin­tió mi fiel ter­nu­ra
Y me brindó con su rig­or, mal­dad
Quiero disi­par toda mi pena
Bus­co de cal­mar mi sins­a­bor
Sien­to inaguantable esta cade­na
Que me ceñí al implo­rar tu amor

Ascanio Ernesto Dona­to Letra : Adol­fo Anto­nio Vedani

Hora­cio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Por­tant mon cha­grin comme une malé­dic­tion, sans but, j’ai cher­ché à oubli­er.
Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la soli­tude d’un cru­el aban­don.
Essayant de t’oublier, je me suis sou­venu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai don­né tout mon être et voy­ant la réal­ité de toute ta cru­auté, j’ai mau­dit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laque­lle j’étais ébloui), emporté par mon anx­iété d’aimer.
Des bais­ers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas sen­ti ma ten­dresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dis­siper toute ma douleur, je cherche à apais­er ma détresse (sins­a­bor, de sin sabor [sans saveur] sig­ni­fie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insup­port­able cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgar­do Dona­to et Hora­cio Lagos, l’équipe qui nous offre le tan­go du jour.

Sur cette pho­to, Lita Morales et Hora­cio Lagos ne sem­blent pas être le cou­ple ayant don­né le sujet de ce tan­go… Il se dit qu’ils se seraient mar­iés, mais rien ne le prou­ve. Ce cou­ple, si c’était un cou­ple, était très dis­cret et mys­térieux. Un indice, les deux ont com­mencé par enreg­istr­er du folk­lore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapi­de­ment la car­rière (1935–1942 pour Hora­cio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de nais­sance, Lita aurait été enceinte. Ceci pour­rait expli­quer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tan­go du jour est a pri­ori, la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée et la seule avant une date assez récente.

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales. C’est notre tan­go du jour.

Le Cuar­te­to Mulen­ga l’a enreg­istré vers 2008, avec le chanteur Max­imil­liano Agüero.

Sins­a­bor 2008c — Carte­to Mulen­ga Con Max­imil­liano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette ver­sion, mais elle a du mal à faire oubli­er celle de Dona­to, à mon avis.
C’est toute­fois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totale­ment trans­for­mé. En revanche, la Roman­ti­ca Milonguera nous en a don­né plusieurs ver­sions intéres­santes.

Sins­a­bor 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (Sur l’album Roman­ti­ca Milonguera de 2017).
Sins­a­bor 2018 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur l’album Duo de 2018). Cette, nou­velle ver­sion est plus tonique.
Sins­a­bor 2019 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur le sin­gle Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas ver­siones de 2019).

Rober­to Minon­di est un mag­nifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remar­quable.

Elle me per­met d’introduire la dernière par­tie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tan­go. Com­bi­en en con­nais­sez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous pro­pose une petite galerie de por­traits. Elle est très incom­plète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Com­bi­en de chanteuses recon­nais­sez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire appa­raitre le nom de la chanteuse.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Lorsque Varela lance les qua­tre notes ini­tiales, tous les danseurs réagis­sent. Elles raison­nent comme le pom pom pom pom de la 5e sym­phonie de Beethoven. Le des­tin des danseurs est fixé, ils doivent danser ce titre. Cette fas­ci­na­tion date des pre­miers temps de ce titre qui a été enreg­istré, il n’y a pas trois ans, mais 68 ans et il nous par­le tou­jours.

Le pom pom pom pom de Varela dans la ver­sion avec Ledes­ma.

Même si la par­ti­tion ne com­porte que les notes en rouge pour les trois pre­mières notes, Varela fait jouer une dou­ble croche à la place de la croche du début de la sec­onde mesure à ses vio­lons. C’est rel­a­tive­ment dis­cret. Je l’ai indiqué en plaçant deux points rouges avec un petit point bleu au cen­tre. Varela fait jouer les deux petits points à la place de la croche qu’ils enca­drent. Cela cor­re­spond aux paroles (me/ha), Ledes­ma chan­tant deux syl­labes sur une seule note ; Varela demande à ses vio­lons de faire pareil, par un très léger accent. On se retrou­ve donc avec env­i­ron trois dou­ble croches (No-me-ha), puis la croche pointée (las). On notera que les vio­lons, comme Ledes­ma, chantent le (las) sur la note supérieure de l’accord (dernière note en rouge).
Cela atténue la syn­cope ini­tiale que devrait provo­quer l’anacrouse avec la dou­ble croche ini­tiale suiv­ie d’une croche. L’interprétation est plus proche de trois dou­bles croches, ce qui est sem­blable aux coups du des­tin dans la cinquième sym­phonie de Beethoven. Trois coups brefs suivi d’un plus long. Varela utilise une mon­tée à la quinte, alors que Beethoven utilise une descente à la tierce. Ce démar­rage est dif­férent suiv­ant les orchestres et si Varela l’utilise pour la ver­sion de 1973, il ne le fait pas pour la ver­sion chan­tée par Mau­ré enreg­istrée la même année (1956).
À la fin de la croche pointée rouge, on trou­ve (te-so-ro-mi) sur trois dou­ble croches et une croche qui fait dur­er le dou­ble de temps le (mi), puis le (o) qui dis­pose de toute une noire et qui dure donc qua­tre fois plus longtemps que les trois pre­mières notes bleues.

Juan Pablo Marín

Juan Pablo Marín était gui­tariste et a écrit trois titres un peu con­nus. Fueron tres años, notre tan­go du jour en 1956, et l’année suiv­ante, Reflex­ionemos qui a été enreg­istré trois fois en 1957, par Mau­ré, Gob­bi et Nina Miran­da et Ser­e­na­ta mía enreg­istré par Car­los Di Sar­li avec le duo de Rober­to Flo­rio et Jorge Durán. Ces deux titres de 1957 ne sont pas com­pa­ra­bles avec Fueron tres años ce qui explique un peu leur oubli. Je les laisse donc tran­quille­ment dormir pour vous offrir notre tan­go du jour.

Extrait musical

Fueron tres años 1956-05-18 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma.
Par­ti­tion de Fueron tres años

Paroles

No me hablas, tesoro mío,
no me hablas ni me has mira­do.
Fueron tres años, mi vida,
tres años muy lejos de tu corazón.
¡Háblame, rompe el silen­cio!
¿No ves que me estoy murien­do?
Y quí­tame este tor­men­to,
porque tu silen­cio ya me dice adiós.

¡Qué cosas que tiene la vida!
¡Qué cosas ten­er que llo­rar!
¡Qué cosas que tiene el des­ti­no!
Será mi camino sufrir y penar.
Pero deja que bese tus labios,
un solo momen­to, y después me voy;
y quí­tame este tor­men­to,
porque tu silen­cio ya me dice adiós.

Aún ten­go fuego en los labios,
del beso de des­pe­di­da.
¿Cómo pen­sar que men­tías,
sí tus negros ojos llora­ban por mí?
¡Háblame, rompe el silen­cio!
¿No ves que me estoy murien­do?
Y quí­tame este tor­men­to,
porque tu silen­cio ya me dice adiós.

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Traduction libre

Tu ne me par­les pas, mon tré­sor,
Tu ne me par­les pas ni ne m’as regardé.
Ce furent trois ans, ma vie,
trois ans très loin de ton cœur.
Par­le-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tour­ment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Que de choses tient la vie !
Que de choses à tenir pour pleur­er !
Que de choses tient le des­tin !
Ce sera mon chemin, souf­frir et être peiné.
Mais laisse-moi bais­er tes lèvres,
un seul instant, et ensuite je m’en vais ;
Et enlève-moi ce tour­ment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

J’ai encore du feu sur les lèvres,
du bais­er d’adieu.
Com­ment penser que tu men­tais,
quand tes yeux noirs pleu­raient pour moi ?
Par­le-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tour­ment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Autres versions

Seules les deux ver­sions de Varela avec Ledes­ma et Fal­cón sont courantes, pour­tant d’autres méri­tent d’être écoutées, voire dan­sées.

Fueron tres años 1956 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Héc­tor Varela.

Cette ver­sion n’est pas pré­cisé­ment datée. Elle est peut-être postérieure à celle avec Ledes­ma, mais j’ai souhaité la met­tre en pre­mier pour la met­tre en valeur. Même si ce n’est pas une ver­sion de danse, elle est mag­nifique et je pense que vous aurez plaisir à l’écouter. On notera que le début est dif­férent. On peut l’attribuer au fait que Ledes­ma chante durant tout le titre et que par con­séquent, faire un pre­mier pas­sage instru­men­tal aurait été trop long. Varela l’a donc rac­cour­ci et il n’y a pas le pom pom pom pom ini­tial.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma. C’est notre tan­go du jour.
Fueron tres años 1956-06-18 — Orques­ta Gra­ciano Gómez con Nina Miran­da.

Le pom pom pom pom est rem­placée une mon­tée des cordes et ban­donéons. Cela donne un départ assez spec­tac­u­laire et très dif­férent. On con­nait Nina Miran­da, une des grandes chanteuses uruguayennes. C’est vif et enlevé, mais ça manque sans doute de l’émotion que l’on trou­ve dans les ver­sions de Varela.

Fueron tres años 1956-06-25 — Jorge Vidal con gui­tar­ras.

Un mois après la ver­sion enreg­istrée par Varela avec Ledes­ma, Jorge Vidal pro­pose une ver­sion en chan­son accom­pa­g­née par des gui­tares. On est dans un tout autre reg­istre. Je trou­ve que l’on perd, là aus­si un peu d’émotion.

Fueron tres años 1956-07-18 — Orques­ta Sím­bo­lo ‘Osmar Mader­na’ dir. Aquiles Rog­gero con Jorge Hidal­go.

Rog­gero choisit la même option que Gómez, un debut lié, mais plus doux.

Fueron tres años 1956-07-27 — Orques­ta Enrique Mario Franci­ni con Alber­to Podestá.

Des nuances sans doute un peu exagérées démar­rent le thème, avec des vio­lons énervés. Podestá qui fait un peu de même ne me sem­ble pas totale­ment con­va­in­cant. C’est de toute façon une ver­sion d’écoute et j’ai donc une excuse pour ne pas la pass­er en milon­ga…

Fueron tres años 1956-08-06 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi

On trou­ve pour la même année, 1956, une ver­sion de Rodriguez avec Moreno, mais j’ai un gros doute, car je n’y recon­nais ni l’un ni l’autre dans cette inter­pré­ta­tion qui de toute façon n’a rien de génial. Je préfère m’abstenir… Il y a donc au moins huit ver­sions et peut-être plus enreg­istrées sur la seule année 1956.
Il fau­dra atten­dre 1973, pour que Varela relance la machine à tubes (pour les non-fran­coph­o­nes, machine à suc­cès). Cette fois avec Jorge Fal­cón.

Fueron tres años 1973 — Orques­ta Héc­tor Varela con Jorge Fal­cón.

C’est une autre sub­lime ver­sion, bra­vo, Mon­sieur Varela, trois ver­sions mer­veilleuses du même thème, cha­peau bas !

Fueron tres años 1974 — Orques­ta Jorge Drag­one Con Diego Solis.

Ce n’est pas inin­téres­sant. Nous n’aurions pas les ver­sions de Varela, on s’en con­tenterait peut-être. Ces artistes méri­tent cepen­dant une écoute et comme ils ont enreg­istré dans un réper­toire proche, on peut même faire une tan­da pour accom­pa­g­n­er ce titre.

Fueron tres años 2014 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

C’est dom­mage que cet orchestre ne soit plus. Il avait une sym­pa­thique dynamique impul­sée par son chanteur et directeur. On en a peut-être abusé, mais c’était un des orchestres qui avait un style qui n’était pas qu’une copie de ceux du passé. Je les avais fait venir au fes­ti­val Tan­go­postale de Toulouse lorsque j’étais en charge des orchestres de bals et ils furent épous­tou­flants et en plus, ils fai­saient du trop­i­cal génial qu’il est dom­mage de ne pas plus avoir dans leurs dis­ques, tournés sur le tan­go.

Fueron tres años 2016-12 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Rober­to Minon­di.

Un autre orchestre qui a cher­ché un style pro­pre et qui l’a trou­vé. La très belle voix de Rober­to Minon­di et la sonorité par­ti­c­ulière de l’orchestre donne une autre teinte au titre.

Fueron tres años 2018 — Cuar­te­to Mulen­ga con Max­i­m­il­iano Agüero.

L’orchestre mar­que son orig­i­nal­ité en déplaçant la syn­cope ini­tiale du désor­mais fameux pom pom pom pom…

Fueron tres años 2023 — Con­junc­to Berretin con Megan Yvonne.

La ver­sion la plus récente en ma pos­ses­sion de ce titre. Si vous aimez, vous pou­vez acquérir une ver­sion en haute qual­ité sur Band­Camp https://tangoberretin.bandcamp.com/album/tangos-del-berretin.

Même si j’ai un faible pour les ver­sions de Varela, je pense que vous avez écouté des choses qui vous plaisent dans ce tan­go tardif, puisque né après l’âge d’or du tan­go de danse. Si vous n’aimez rien de tous ces titres, je vous pro­pose quelque chose de très dif­férent qui prou­ve le suc­cès majeur de ce thème écrit il y a 68 ans…

Fueron tres años — Los Rangers De Venezuela.

Aïe, ne me tapez pas sur la tête ! Vous avez la preuve que ce n’est pas néces­saire… C’est la corti­na…
Je vous pro­pose de retrou­ver tout de suite votre titre préféré dans la liste qui précède.

À demain les amis !

Hablame, rompe silen­cio.

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Jovés Letra : Antonio Martínez Viérgol

On est tous fous de loca, les locos locaux et les locaux d’ailleurs. D’Arienzo l’a enreg­istré 3 ou 4 fois pour le disque et au moins une fois pour la télévi­sion. La ver­sion du jour est celle de 1942, son pre­mier enreg­istrement de ce titre et qui a aujourd’hui exacte­ment 82 ans.

Extrait musical

Loca 1942-04-22 – Orques­ta Juan D’Arienzo

Les paroles

Le tan­go du jour est instru­men­tal, mais il y a des paroles que voici :

Loca me lla­man mis ami­gos
que solo son tes­ti­gos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que sien­to
ni que remordimien­to
se ocul­ta en mi inte­ri­or?

Yo ten­go con ale­grías
que dis­frazar mi tris­teza
y que hac­er de mi cabeza
las pesadil­las huir.
Yo ten­go que ahog­ar en vino
la pena que me devo­ra…
Cuan­do mi corazón llo­ra
mis labios deben reír.

Yo, si a un hom­bre lo des­pre­cio,
ten­go que fin­girle amores,
y admiración, cuan­do es necio
y si es cobarde, temores…
Yo, que no he perteneci­do
al ambi­ente en que aho­ra estoy
he de olvi­dar lo que he sido
y he de olvi­dar lo que soy.

Loca me lla­man mis ami­gos
que solo son tes­ti­gos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que sien­to
ni que remordimien­to
se ocul­ta en mi inte­ri­or?

Alla, muy lejos, muy lejos,
donde el sol cae cada día,
un tran­qui­lo hog­ar tenía
y en el hog­ar unos viejos.
La vida y su encan­to era
una muchacha que huyo
sin decir­le donde fuera…
y esa muchacha era yo.

Hoy no existe ya la casa,
hoy no exis­ten ya los viejos,
hoy la muchacha, muy lejos,
sufrien­do la vida pasa.
Y al caer todos los días
en aque­l­la tier­ra el sol,
cae con el mi ale­gría
y muere mi corazón.

Manuel Jovés Letra: Anto­nio Martínez Viér­gol

Traduction libre

Folle, m’appellent mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour léger.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Je dois avec des joies déguis­er ma tristesse et faire fuir mes cauchemars de ma tête.
Il faut que je noie dans le vin le cha­grin qui me dévore…
Quand mon cœur pleure, mes lèvres doivent rire.
Moi, si je méprise un homme, je dois fein­dre l’amour et l’admiration pour lui, alors qu’il est un imbé­cile et que s’il est lâche, qu’il a peur…
Moi qui n’ai pas appartenu au milieu dans lequel je suis main­tenant, je dois oubli­er ce que j’ai été et je dois oubli­er ce que je suis.
Mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour de lumière me trait­ent de folle.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Là-bas, très loin, là où le soleil tombe chaque jour, il y avait un foy­er tran­quille, et dans ce foy­er quelques vieux.
La vie et son charme, c’était une fille qui s’enfuyait sans lui dire où elle allait…
Et cette fille, c’était moi.
Aujourd’hui, la mai­son n’existe plus, aujourd’hui il n’y a plus de vieux, aujourd’hui la fille, très loin, la vie passe en souf­frant.
Et quand tombe chaque jour sur cette terre le soleil, ma joie tombe avec lui, et mon cœur meurt.

Autres versions par D’Arienzo

Loca 1942-04-22 – Orques­ta Juan . Notre tan­go du jour est le plus ancien enreg­istrement par D’Arienzo.
Loca 1946-10-18 – Orques­ta Juan D’Arienzo
Loca 1955-12-22 – Orques­ta Juan D’Arienzo

Loca 1971

Vous avez tous déjà vu cette vidéo et la façon par­ti­c­ulière­ment ani­mée de diriger de D’Arienzo. Plusieurs orchestres con­tem­po­rains imi­tent cette mise en scène, pour le plus grand plaisir des danseurs.

Loca 1975 – Los Solis­tas de D’Arienzo. Quelques mois avant la mort de D’Arienzo. Je ne suis pas sûr qu’il ait dirigé cet enreg­istrement. C’était peut-être Car­los Lazarri, ban­donéon­iste et arrangeur de l’orchestre.

Autres versions par d’autres orchestres

Loca est un titre à très grand suc­cès et il existe des cen­taines de ver­sions. Je vous en pro­pose donc une sélec­tion très réduite, mais représen­ta­tive.

Loca 1922 – Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras)
Loca 1923 – Orchestre Mondain Jose Sen­tis. Atten­tion, enreg­istrement per­tur­bé (disque endom­magé). Cepen­dant, cela per­met de voir que la France était en pointe, ce titre ayant été écrit l’année d’avant.
Loca 1938-06-20 – Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro
Loca 1941-07-08 – Orques­ta Típi­ca Vic­tor Dir. Fred­dy Scor­ti­cati
Loca 1950-11-06 – Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Aman­da Vidal
Loca 1951 Astor Piaz­zol­la, María de la Fuente.
Loca 1954-10-04 – Orques­ta Juan Canaro con María de la Fuente (en vivo en Japón). La même chanteuse que Piaz­zo­la.
Loca 1959-01-30 – Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi
Loca 1964-04 – Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Juan Car­los Godoy
Loca 2006 — Orques­ta Típi­ca Fer­vor de Buenos Aires.

Peut-être la ver­sion la plus orig­i­nale. Fer­vor de Buenos Aires, est un orchestre créé en 2003 et qui a eu sa per­son­nal­ité en don­nant de nou­velles sonorités à des inter­pré­ta­tions inspirées de Di Sar­li. À par­tir de 2008, il a con­tin­ué son chemin avec un style proche sous le nom Típi­ca Mis­te­riosa Buenos Aires. Ce dernier orchestre s’annonce comme un orchestre de danse, mais cela reste tout de même à prou­ver…

Alors, avez-vous vu ? C’est fou, vrai­ment fou, tout cela.

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Juan Anto­nio Col­la­zo Letra : Rober­to Fontaina ; Víc­tor Soliño

Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élé­gant et un peu pré­cieux. Cepen­dant, le tan­go du jour par­le d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invi­tent à décou­vrir le per­son­nage avec une car­i­ca­ture légère et entraî­nante. C’est aus­si pour moi, l’occasion de vous faire sou­venir d’un orchestre un peu oublié.

Même dans le monde du tan­go, il y a des per­son­nes qui aiment paraître, qui ont la « nar­iz para­da » (le nez relevé par la fierté), qui souhait­ent péter plus haut que leur cul. Ce tan­go, dont les paroles qui sont de Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño, par­lent d’un de ces per­son­nages de ban­lieue qui joue à être de la haute (société).
Ce tan­go a été enreg­istré à divers­es repris­es, en deux vagues.
La plus anci­enne ver­sion est une ver­sion chan­tée par Alber­to Vila, accom­pa­g­né à la gui­tare en 1927. L’année suiv­ante, la Típi­ca Vic­tor enreg­istre une ver­sion instru­men­tale et en 1930 Irus­ta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (vio­lon).
Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons cer­tains de ces enreg­istrements.

À propos de Niño bien

 Niño bien a don­né son nom à une milon­ga du jeu­di à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a mal­heureuse­ment dis­paru, comme tant d’autres.

La Leone­sa, le salon où se déroulait la milon­ga Niño bien. Je pense que vous recon­nais­sez le DJ 😉

Cette milon­ga était suff­isam­ment fameuse pour que Bri­an Win­ter donne son nom à un de ses livres (Bien après minu­it à la Niño bien). Une autre milon­ga fameuse qui elle aus­si a dis­paru, Thun­der­land est l’autre héroïne par­mi les milon­gas citées dans ce livre.

La cap­ti­vante quête d’une Améri­caine dans les milon­gas portègnes pour retrou­ver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milon­ga aux USA. Pour le retrou­ver, elle devra décou­vrir tous les aspects du tan­go. Ce livre per­met de se remé­mor­er des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milon­ga Niño Bien évo­quée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâch­er le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.

Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Enrique (Faus­ta) Mora (8 févri­er 1915 – 14 juil­let 2003) est sans doute injuste­ment oublié, Il était un bril­lant pianiste, chef d’orchestre et com­pos­i­teur de tan­gos comme Este es tu tan­go, con­nu par les enreg­istrements de Ricar­do Tan­turi avec Rober­to Videla ou Enrique Rodriguez avec Arman­do Moreno.
J’imagine que son oubli vient en par­ti­c­uli­er du fait qu’il n’a enreg­istré que dans les années 50, un moment où le tan­go de danse était en régres­sion. Il n’a donc pas été réédité aus­si rapi­de­ment que les mon­stres sacrés. Je suis donc con­tent de lui redonner jus­tice, comme j’avais ressor­ti de l’oubli Dona­to Rac­ciat­ti il y a une ving­taine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrou­vera une simil­i­tude entre Mora, Rac­ciat­ti et Fir­po, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évo­quer Nina Miran­da ou Olga Del­grossi, voire Tita Merel­lo qui a aus­si chan­té ce titre.
Elsa Moreno a enreg­istré une douzaine de titres avec le cuar­te­to d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le pre­mier de la série.

Extrait musical

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Cou­ver­ture du numéro 40 de la revue heb­do­madaire El tan­go de Moda (1929). Cette revue a été pub­liée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.

Les paroles

Niño bien, pre­ten­cioso y engrupi­do,
que tenés berretín de fig­u­rar;
niño bien que llevás dos apel­li­dos
y que usás de escrito­rio el Petit Bar;
pelandrún que la vas de dis­tin­gui­do
y siem­pre hablás de la estancia de papá,
mien­tras tu viejo, pa’ ganarse el puchero,
todos los días sale a vender fainá.

Vos te creés que porque hablás de ti,
fumás taba­co inglés
paseás por Sarandí,
y te cortás las patil­las a lo Rodol­fo
sos un fifí.
Porque usás la cor­ba­ta car­mín
y allá en el Chante­cler
la vas de bailarín,
y te mandás la bia­ba de gom­i­na,
te creés que sos un rana
y sos un pobre gil.

Niño bien, que naciste en el sub­ur­bio
de un bulín alum­brao a querosén,
que tenés pedi­grée bas­tante tur­bio
y decís que sos de famil­ia bien,
no manyás que estás mostran­do la hilacha
y al cam­i­nar con aire tri­un­fador
se ve bien claro que tenés mucha clase
para lucirte detrás de un mostrador.

Juan Anto­nio Col­la­zo Letra: Rober­to Fontaina; Víc­tor Soliño

Traduction

Niño bien (enfant de « bonne famille »), pré­ten­tieux et van­i­teux, qui a pour but (loisir), le paraître ;
Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ;
Pelandrún (per­son­ne oisive et paresseuse) qui se meut de façon dis­tin­guée et qui par­le tou­jours de l’estancia (ferme de gros pro­prié­taire ter­rien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gag­n­er sa vie, sort tous les jours pour ven­dre des fainás (pains plats à base de farine de pois chich­es, ali­ment pour les pau­vres, mais que vendent aus­si les pizze­rias argen­tines).
Tu crois que, parce-ce que tu par­les de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodol­fo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode).
Parce que tu portes la cra­vate carmin et que tu vas comme danseur au Chante­cler et que tu t’en­voies bia­ba de gom­i­na (coif­fure avec une quan­tité exagérée de gom­i­na), tu te prends pour une rana (grenouille, per­son­ne avisée) et tu es un pau­vre gil (imbé­cile, médiocre, cave).
Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bor­del éclairé au pét­role (kérosène), qui a un pedi­gree plutôt trou­ble et tu dis que tu descends d’une bonne famille,
Tu ne soupçonnes pas que tu mon­tres le fil et, lorsque tu march­es d’un air tri­om­phant, il est très clair que tu as beau­coup de classe pour briller der­rière un comp­toir.

La photo de couverture

Pour cette image, je ne suis pas par­ti de pho­tos. Je vais vous expli­quer la démarche, à la lueur des paroles du tan­go.

Siem­pre hablás de la estancia de papá, mien­tras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu par­les tou­jours du domaine de ton papa, cepen­dant ton vieux, pour gag­n­er la pitance, sort tous les jours pour ven­dre des fainás (Galettes à base de farine de pois chich­es)].

Au cou­plet suiv­ant : « te cortás las patil­las a lo Rodol­fo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valenti­no), tu es un efféminé.

Pour l’image, je suis par­ti de l’idée d’avoir le Niño Bien au pre­mier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de par­tir de son mod­èle, à savoir Rudolph Valenti­no, cet acteur de l’époque du ciné­ma muet qui était con­sid­éré comme par­ti­c­ulière­ment beau. Pour le père, j’ai décidé de met­tre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véri­ta­ble vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chich­es, cuites au four à piz­za, à la poêle, ou sur des instal­la­tions plus som­maires, comme on peut le voir sur la pho­to.
Voici les images orig­i­nales :

À gauche, Rudolph Valenti­no. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas iden­ti­fié le stu­dio (pho­to ou ciné­ma). À droite, le « père » est en fait Ricar­do Ravadero, un vendeur ambu­lant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette pho­to).

Autres versions

Niño bien 1927-12-03 — Alber­to Vila con gui­tar­ras.

Une jolie et sim­ple ver­sion par Alber­to Vila accom­pa­g­née par la gui­tare. Les tré­mo­los de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.

Niño bien 1928-04-09 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Cette ver­sion instru­men­tale. Sous ses airs de marche mil­i­taire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas tri­om­phant dans la rue Sarandí…

Après la pre­mière vague des années 20–30, la relance du titre vient de la sor­tie du film d’Homero Manzi e Ralph Pap­pi­er « Pobre mi madre queri­da », sor­ti le 28 avril 1948. Hugo del Car­ril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se ter­min­er en bagarre…

Nino bien 1948-04-28 (sor­tie du film) — Hugo del Car­ril. Extrait du film « Pobre mi madre queri­da » de Home­ro Manzi y Ralph Pap­pi­er
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Elsa Moreno. C’est le tan­go du jour.
Niño bien 1955-03-22 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Luis Men­doza. Avec de la réver­béra­tion. On peut préfér­er la ver­sion de 1953…
Niño bien 1955-03-22 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Luis Men­doza. Avec de la réver­béra­tion. On peut préfér­er la ver­sion de 1953…
Niño bien 1956-06-14 — Tita Merel­lo accom­pa­g­née par Fran­cis­co Canaro.

La gouaille incroy­able de Tita Merel­lo, fait de cette ver­sion un morceau d’anthologie. Pas garan­ti pour le bal, c’est d’ailleurs présen­té comme une chan­son, mais à ne pas rater.

Niño bien 1965c – Cuar­te­to Los porteñi­tos.

Un jour, il fau­dra que je vous par­le un peu de ce tal­entueux musi­cien qui a réus­si dans tous les gen­res, du jazz au tan­go, San­tos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a for­mé un cuar­te­to avec Esta­ban Ubal­do De Lío et Héc­tor Davis à la gui­tare, Rober­to Tier­ri­ta Guisa­do, qui était le pre­mier vio­lon de l’orchestre de Di Sar­li (on con­naît l’importance du vio­lon pour les inter­pré­ta­tions de Di Sar­li). Lui-même, San­tos Lipesker tient le ban­donéon, mais il jouait d’autres instru­ments à vent comme le sax­o­phone ou la clar­inette. Ce cuar­te­to n’a enreg­istré, sem­ble-t-il que deux cas­settes. C’est sans doute dom­mage, car c’est plutôt réus­si, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus appré­cié dans les bals…

Niño bien, 1975c — Elba Berón accomp. Cuar­te­to A Puro Tan­go, dirigé par Miguel Nijen­sohn.

Avec Elba, on retrou­ve la gouaille de Tita, avec un accom­pa­g­ne­ment plus sim­ple priv­ilé­giant la gui­tare, comme dans la pre­mière ver­sion que je vous ai pro­posée, celle d’Alberto Vila.

Cette anec­dote pub­liée ini­tiale­ment le 8 mars 2024 a été com­plétée le 7 mars 2025 (tra­duc­tions et nou­velles inter­pré­ta­tions).

Le Niño Bien sem­ble déton­ner dans le mag­a­sin et les clients le regar­dent avec un air éton­né.