Archives par étiquette : Quinteto Don Pancho

El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tan­gos célèbres, El choclo a son lot de légen­des. Je vous pro­pose de faire un petit tour où nous ver­rons au moins qua­tre ver­sions des paroles accrédi­tant cer­taines de ces légen­des. Ce titre importé par Vil­lol­do en France y aurait rem­placé l’hymne argentin (par ailleurs mag­nifique), car il était plus con­nu des orchestres français de l’époque que l’hymne offi­ciel argentin Oid mor­tales du com­pos­i­teur espag­nol : Blas Par­era i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme poli­tique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de sub­sti­tu­tion.

Qui a écrit El choclo ?

Le vio­loniste, danseur (avec sa com­pagne La Pauli­na) et com­pos­i­teur Casimiro Alcor­ta pour­rait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la mis­ère à Buenos Aires, serait, selon cer­tains, l’auteur de nom­breux tan­gos de la péri­ode comme Con­cha sucia (1884) que Fran­cis­co Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, net­te­ment plus élé­gant, mais aus­si La yapa, Entra­da pro­hibi­da et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles apparte­naient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Vil­lol­do a « emprun­té » cette musique…
En 1903, Vil­lol­do demande à son ami chef d’un orchestre clas­sique, José Luis Ron­cal­lo, de jouer avec son orchestre cette com­po­si­tion dans un restau­rant chic, La Amer­i­cana. Celui-ci refusa, car le patron du restau­rant con­sid­érait le tan­go comme de la musique vul­gaire (ce en quoi il est dif­fi­cile de lui don­ner tort si on con­sid­ère ce qui se fai­sait à l’époque). Pour éviter cela, Vil­lol­do pub­lia la par­ti­tion le 3 novem­bre 1903 en indi­quant qu’il s’agissait d’une danse criol­la… Ce sub­terfuge per­mit de jouer le tan­go dans ce restau­rant. Ce fut un tel suc­cès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Vil­lol­do est allé l’enregistrer à Paris, en com­pag­nie de Alfre­do Gob­bi et de sa femme, Flo­ra Rodriguez.
Par la suite, des cen­taines de ver­sions ont été pub­liées. Celle du jour est assez intéres­sante. On la doit à Fran­cis­co Canaro avec Alber­to Are­nas. L’enregistrement est du 15 jan­vi­er 1948.

Extrait musical

Divers­es par­ti­tions de El choclo. On remar­quera à gauche (5ème édi­tion), la dédi­cace à Ron­cal­lo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

On remar­que tout de suite le rythme rapi­de. Are­nas chante égale­ment rapi­de­ment, de façon sac­cadée et il ne se con­tente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précé­dente pour Lib­er­tad Lamar­que.
Ce fait est générale­ment car­ac­téris­tique des tan­gos à écouter. Cepen­dant, mal­gré les facéties de cet enreg­istrement, il me sem­ble que l’on pour­rait envis­ager de le pro­pos­er dans un moment déli­rant, une sorte de cathar­sis, pour toutes ces heures passées à danser sur des ver­sions plus sages. On notera les clo­chettes qui don­nent une légèreté, en con­traste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la ver­sion du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres ver­sions…

Con este tan­go que es burlón y com­padri­to
se ató dos alas la ambi­ción de mi sub­ur­bio;
con este tan­go nació el tan­go, y como un gri­to
sal­ió del sór­di­do bar­ri­al bus­can­do el cielo;
con­juro extraño de un amor hecho caden­cia
que abrió caminos sin más ley que la esper­an­za,
mez­cla de rabia, de dolor, de fe, de ausen­cia
llo­ran­do en la inocen­cia de un rit­mo juguetón.

Por tu mila­gro de notas agor­eras
nacieron, sin pen­sar­lo, las paicas y las gre­las,
luna de char­cos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la man­era de quer­er…

Al evo­carte, tan­go queri­do,
sien­to que tiem­blan las bal­dosas de un bai­lon­go
y oigo el rezon­go de mi pasa­do…
Hoy, que no ten­go más a mi madre,
sien­to que lle­ga en pun­ta ‘e pie para besarme
cuan­do tu can­to nace al son de un ban­doneón.

Caran­can­fun­fa se hizo al mar con tu ban­dera
y en un pernó mez­cló a París con Puente Alsi­na.
Triste com­padre del gav­ión y de la mina
y has­ta comadre del bacán y la pebe­ta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadu­ra
se hicieron voces al nac­er con tu des­ti­no…
¡Misa de fal­das, querosén, tajo y cuchil­lo,
que ardió en los con­ven­til­los y ardió en mi corazón.
Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tan­go moqueur et com­padri­to, l’am­bi­tion de ma ban­lieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tan­go naquit, le tan­go, et, comme un cri, il sor­tit du quarti­er sor­dide en cher­chant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’e­spoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’ab­sence pleu­rant dans l’in­no­cence d’un rythme joueur.
Par ton mir­a­cle des notes prophé­tiques, les paicas et les gre­las ( paicas et gre­las sont les chéries des com­padri­tos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanch­es et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tan­go, je sens les dalles d’un danc­ing trem­bler et j’en­tends le mur­mure de mon passé…
Aujour­d’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’im­pres­sion qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un ban­donéon.
Caran­can­fun­fa (danseur habile, on retrou­ve ce mot dans divers titres, comme les milon­gas Carán-Can-Fú de l’orchestre Rober­to Zer­ril­lo avec Jorge Car­do­zo, ou Carán­can­fún de Fran­cis­co Canaro avec Car­los Roldán) a pris la mer avec ton dra­peau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsi­na (pont sur le Riachue­lo à la Boca).
Triste com­padre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la mar­raine du bacán (riche) et de la pebe­ta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accu­sa­tions et mis­ère ont par­lé à la nais­sance avec ton des­tin…
Une messe de jupes, de kérosène (pét­role lam­pant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les con­ven­til­los (habitas col­lec­tifs pop­u­laires et surpe­u­plés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beau­coup glosé sur l’origine du nom de ce tan­go.
Tout d’abord, la plus évi­dente et celle que Vil­lol­do a affir­mé le plus sou­vent était que c’était lié à la plante comestible. Les orig­ines très mod­estes des Vil­lol­do peu­vent expli­quer cette dédi­cace. Le nord de la Province de Buenos Aires ain­si que la Pam­pa sont encore aujourd’hui des zones de pro­duc­tion impor­tante de maïs et cette plante a aidé à sus­ten­ter les pau­vres. On peut même con­sid­ér­er que cer­tains aiment réelle­ment manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la ver­sion chan­tée par lui-même, mais nous ver­rons que ce n’est pas si sim­ple quand nous allons abor­der les paroles…
Il s’agirait égale­ment, d’un tan­go à la charge d’un petit mal­frat de son quarti­er et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la ver­sion don­née par Irene Vil­lol­do, la sœur de Ángel et que rap­porte Juan Car­los Maram­bio Catán dans une let­tre écrite en 1966 à Juan Bautista Devo­to. On notera que les paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán con­for­tent juste­ment cette ver­sion.
Lorsque Lib­er­tad Lamar­que doit enreg­istr­er ce tan­go en 1947 pour le film « Gran Casi­no » de Luis Buñuel, elle fait mod­i­fi­er les paroles par Enrique San­tos Dis­cépo­lo pour lui enlever le côté vio­lent de la sec­onde ver­sion et dou­teuse de celles de Vil­lol­do.
Vil­lol­do n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous enten­du par­ler de la dernière accep­tion. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est ten­tant de faire ce rap­proche­ment. N’oublions pas que les débuts du tan­go n’étaient pas pour les plus prudes et cette con­no­ta­tion sex­uelle était, assuré­ment, dans l’esprit de bien des audi­teurs. Le lun­far­do et cer­tains textes de tan­gos aiment à jouer sur les mots. Vous vous sou­venez sans doute de « El chi­no Pan­taleón » où, sous cou­vert de par­ler musique et tan­go, on par­lait en fait de bagarre…
Rajou­tons que, comme le tan­go était une musique appré­ciée dans les bor­dels, il est plus que prob­a­ble que le dou­ble sens ait été encour­agé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Vil­lol­do ? Pas for­cé­ment, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aus­si sup­pos­er que, même si Irène était anal­phabète, elle avait la notion de la bien­séance et qu’elle se devait de dif­fuser une ver­sion soft, ver­sion que son frère a peut-être réelle­ment encour­agée pour pro­téger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tan­go a gag­né ses let­tres de noblesse, les poètes se sont éver­tués à écrire de belles paroles et pas seule­ment à cause des péri­odes de cen­sure de cer­tains gou­verne­ments. Tout sim­ple­ment, car le tan­go entrant dans le « beau monde », il devait présen­ter un vis­age plus accept­able.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tan­go.

Autres versions

Tout comme pour la Cumpar­si­ta, il n’est pas pens­able de présen­ter toutes les ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc une sélec­tion très restreinte sur deux critères :
• His­torique, pour con­naître les dif­férentes épo­ques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notam­ment pour danser, mais aus­si pour écouter.
Il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement disponible de la ver­sion de 1903, si ce n’est celle de Vil­lol­do enreg­istrée en 1910 avec les mêmes paroles pré­sumées.
Mais aupar­a­vant, pri­or­ité à la data­tion, une ver­sion un peu dif­férente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une ver­sion dia­loguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Car­iño puro, mais vous retrou­verez sans prob­lème notre tan­go du jour.

Car­iño puro (diál­o­go y tan­go) 1907 – Los Gob­bi con Los Cam­pos.

Ce titre a été enreg­istré en 1907 sur un disque en car­ton de la com­pag­nie Mar­coni. Si la qual­ité d’origine était bonne, ce matéri­au n’a pas résisté au temps et au poids des aigu­illes de phono­graphes de l’époque. Heureuse­ment, cette ver­sion a été réédité en disque shel­lac par la Colum­bia et vous pou­vez donc enten­dre cette curiosité… La forme dia­loguée rap­pelle que les musi­ciens fai­saient beau­coup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en car­ton recou­vert d’acé­tate (procédé Mar­coni). Ces dis­ques étaient de bonne qual­ité, mais trop frag­iles. À droite, le même enreg­istrement en ver­sion shel­lac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi chi­na que ten­go mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gus­tar
Largá el rol­lo que escu­cho y expli­cate
Lo que pas­es no es ton­tera,
pues te juro que te digo la ver­dad.
dame un beso no me ven­gas con chanela (2)
dejate de ton­teras, no me hagas esper­ar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gav­ilán
son cuen­tos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no ven­go con ganas mi chi­na de far­rear
Pues entonces no me ven­gas con cuen­to
y escuchame un momen­to que te voy a explicar.
No te eno­jes que yo te diré lo cier­to
y verás que me vas a per­donar
Pues entonces
Te diré la purísi­ma ver­dad
Vamos chi­na ya que voy a hac­er las paces
a tomar un car­rin­dan­go pa pasear
Y mirar de Paler­mo
Yo te quiero mi chini­ta no hagas caso
Que muy lejos quer­er
el esquina­zo
ni golpe ni por­ra­zo…
Ángel Vil­lol­do

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beau­coup à te par­ler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâch­er le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu tra­vers­es n’est pas une bêtise,
  • - Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un bais­er Ne viens pas à moi en par­lemen­tant
  • - Arrête les bêtis­es, ne me fais pas atten­dre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un éper­vi­er (homme rapi­de en affaires)
  • - Ce sont des his­toires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • - Je ne viens pas, ma chérie, avec l’en­vie de rigol­er.
    Aus­si, ne me racon­te pas d’histoires
  • - et écoute-moi un instant et, car je vais te l’ex­pli­quer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu ver­ras que tu vas me par­don­ner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • - Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une prom­e­nade
    Et regarder Paler­mo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas atten­tion
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tour­ments d’un cou­ple, inter­prétés par Alfre­do Gob­bi et sa femme, Flo­ra Rodriguez. Dom­mage que la tech­nique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accep­té par nos oreilles mod­ernes.

El choclo 1910 — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do con gui­tar­ra.

Cette ver­sion présente les paroles sup­posées orig­i­nales et qui par­lent effec­tive­ment du maïs. C’est donc cette ver­sion qui peut faire pencher la bal­ance entre la plante et le sexe mas­culin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un gra­no nace la plan­ta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la gar­gan­ta
dijo que esta­ba humil­loso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
mur­muro con alboro­zo
está muy de la banana.

Hay choc­los que tienen
las espi­gas de oro
que son las que adoro
con tier­na pasión,
cuan­do tra­ba­jan­do
llen­i­to de abro­jos
estoy con ras­tro­jos
como humilde peón.

De lava­da enrubia
en largas guede­jas
con­tem­p­lo pare­jas
sí es como cre­cer,
con esos big­otes
que la tier­ra vir­gen
al noble paisano
le suele ofre­cer.

A veces el choclo
asa en los fogones
cal­ma las pasiones
y dichas de amor,
cuan­do algún paisano
lo está coci­nan­do
y otro está ceban­do
un buen cimar­rón.

Luego que la humi­ta
está prepara­da,
bajo la enra­ma­da
se oye un per­icón,
y jun­to al alero,
de un ran­cho deshe­cho
surge de algún pecho
la ale­gre can­ción.
Ángel Vil­lol­do

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous don­nera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humil­ié (calom­nié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je mur­mure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant égale­ment un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une ten­dre pas­sion, quand je les tra­vaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un hum­ble ouvri­er.
De l’innocence blonde aux longues mèch­es, je con­tem­ple les plantes (sim­i­laires, spéci­mens…) si c’est comme grandir, avec ces mous­tach­es que la terre vierge offre habituelle­ment au noble paysan. (Un dou­ble sens n’est pas impos­si­ble, la terre cul­tivée n’a pas de rai­son par­ti­c­ulière d’être con­sid­érée comme vierge).
Par­fois, les épis de maïs sur les feux cal­ment les pas­sions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils cal­ment la faim, cela peut se con­cevoir, mais les pas­sions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un dou­ble sens mar­qué), quand un paysan le cui­sine et qu’un autre appâte un bon cimar­ron (esclave noir, ou ani­mal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une vic­time d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humi­ta (ragoût de maïs) est prête, sous la ton­nelle, un per­icón (per­icón nacional, danse tra­di­tion­nelle) se fait enten­dre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux sur­git d’une poitrine (on peut imag­in­er dif­férentes choses à pro­pos du chant qui sur­git d’une poitrine, mais c’est un peu dif­fi­cile de s’imaginer que cela puisse être provo­qué par la pré­pa­ra­tion d’une humi­ta, aus­si tal­entueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opin­ion, mais il me sem­ble dif­fi­cile d’exclure un dou­ble sens de ces paroles.

El choclo 1913 — Orques­ta Típi­ca Porteña dir. Eduar­do Aro­las.

Cette ver­sion instru­men­tale per­met de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Une ver­sion instru­men­tale par la Típi­ca Víc­tor dirigée par Cara­bel­li. Un titre pour les ama­teurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Sans doute une des ver­sions les plus adap­tées aux danseurs, avec les orne­men­ta­tions de Bia­gi au piano et le bel équili­bre des instru­ments, prin­ci­pale­ment tous au ser­vice du rythme et donc de la danse, avec notam­ment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour mar­quer le con­traste avec notre ver­sion du jour, enreg­istrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion légère. Le dou­ble­ment des notes, car­ac­téris­tiques de cette œuvre, a ici une sonorité par­ti­c­ulière, on dirait presque un bégaiement. En oppo­si­tion, des pas­sages aux vio­lons chan­tants don­nent du con­traste. Le résul­tat me sem­ble cepen­dant un peu con­fus, pré­cip­ité et pas des­tiné à don­ner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

On retrou­ve une ver­sion chan­tée. Les paroles sont celles de Juan Car­los Maram­bio Catán, ou plus exacte­ment le tout début des paroles avec la fin du cou­plet avec une vari­ante.
Je vous pro­pose ici, les paroles com­plètes de Catán, pour en garder le sou­venir et aus­si, car la par­tie qui n’est pas chan­tée par Var­gas par­le de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vie­ja milon­ga que en mis horas de tris­teza
traes a mi mente tu recuer­do car­iñoso,
enca­denán­dome a tus notas dul­cemente
sien­to que el alma se me enco­je poco a poco.
Recuer­do triste de un pasa­do que en mi vida,
dejó una pági­na de san­gre escri­ta a mano,
y que he lle­va­do como cruz en mi mar­tirio
aunque su car­ga infame me llene de dolor.

Fue aque­l­la noche
que todavía me ater­ra.
Cuan­do ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en due­lo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
par­tió su corazón.
Y me llam­a­ban
el choclo com­pañero;
tal­lé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una chi­na
enve­nenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trági­co dolor.

Si algu­na vuelta le toca por la vida,
en una mina pon­er su corazón;
recuerde siem­pre
que una ilusión per­di­da
no vuelve nun­ca
a dar su flor.

Besos men­ti­dos, engaños y amar­guras
rodan­do siem­pre la pena y el dolor,
y cuan­do un hom­bre entre­ga su ter­nu­ra
cer­ca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blan­quea­do ya mis sienes
y que en mi pecho sólo ani­da la tris­teza,
como una luz que me ilu­mi­na en el sendero
lle­gan tus notas de melódi­ca belleza.
Tan­go queri­do, viejo choclo que me embar­ga
con las cari­cias de tus notas tan sen­ti­das;
quiero morir aba­jo del arrul­lo de tus que­jas
can­tan­do mis querel­las, llo­ran­do mi dolor.
Juan Car­los Maram­bio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milon­ga. À mes heures de tristesse, tu me rap­pelles ton sou­venir affectueux,
En m’en­chaî­nant douce­ment à tes notes, je sens mon âme se rétré­cir peu à peu.
Sou­venir triste d’un passé qui, dans ma vie, a lais­sé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon mar­tyre, même si son infâme fardeau me rem­plit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me ter­ri­fie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma pas­sion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gau­cho lui a brisé le cœur.
Et ils m’ap­pelaient le com­pagnon maïs (choclo);
J’ai tail­lé dans les mêlées, sûr et résis­tant.
Mais une femme chérie a empoi­son­né ma vie et, aujour­d’hui, je pleure tout seul avec ma douleur trag­ique.
S’il vous prend dans la vie de met­tre votre cœur dans une chérie ; rap­pelez-vous tou­jours qu’une illu­sion per­due ne redonne plus jamais sa fleur.
Des bais­ers men­songers, trompeurs et amers roulent tou­jours le cha­grin et la douleur, et quand un homme donne sa ten­dresse, près du lit, la trahi­son le traque.
Aujour­d’hui que les années ont déjà blanchi mes tem­pes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’é­claire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tan­go chéri, vieux choclo qui m’ac­ca­ble des caress­es de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chan­tant mes peines, pleu­rant ma douleur.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Lib­er­tad Lamar­que inter­prète le titre avec les paroles écrites pour elle par Dis­ce­po­lo. On com­prend qu’elle ne voulait pas pren­dre le rôle de l’assassin et que les paroles adap­tées sont plus con­ven­ables à une dame…
Les paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo seront réu­til­isées ensuite, notam­ment par Canaro pour notre tan­go du jour.

El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas. C’est notre tan­go du jour.

Comme vous vous en doutez, je pour­rai vous présen­ter des cen­taines de ver­sions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous pro­pos­er pour ter­min­er une ver­sion très dif­férente…

Kiss of Fire 1955 — Louis Arm­strong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adap­té et sérieuse­ment mod­i­fié la par­ti­tion, mais on recon­naît par­faite­ment la com­po­si­tion orig­i­nale.

Je vous pro­pose de nous quit­ter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tan­go.
À bien­tôt, les amis.

En guise de corti­na, on pour­rait met­tre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des ver­sions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indi­quer dans les com­men­taires, je rajouterais les plus demandées.

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Eduardo Arolas Letra : Andrés Baldesari (V1) — Gabriel Clausi (V2)

Dere­cho viejo, le vieux droit, le droit ancien est une expres­sion argen­tine qui sig­ni­fie que quelque chose doit être fait sans délai, sans détours. Ce tan­go Dere­cho viejo a été dédi­cacé par Aro­las au Cen­tre des Étu­di­ants en Droit. Il a été enreg­istré, depuis les années 1910, énor­mé­ment de fois, mais une seule fois par Pugliese. C’est notre ver­sion du jour.

Je dédie cet arti­cle à mes deux grands amis, trop tôt dis­parus, Juan Lenci­na y Daniel Rezk, créa­teurs de la milon­ga Dere­cho Viejo de Buenos Aires.

Je dédie cet arti­cle à mes deux grands amis, trop tôt dis­parus, Juan Lenci­na y Daniel Rezk, créa­teurs de la milon­ga Dere­cho Viejo de Buenos Aires.
Les locaux du cen­tre de droit à l’époque de l’écriture de Dere­cho Viejo. C’était à Moreno 350 et c’est aujourd’hui le Musée Ethno­graphique.

Extrait musical

Dere­cho viejo 1945-05-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese.
Par­ti­tion de Dere­cho Viejo

Dere­cho viejo est instru­men­tal. Cepen­dant, il existe plusieurs paroles. J’en repro­duis ici deux. Celles de Balde­sari, les plus anci­ennes et qui cor­re­spon­dent au titre, à tra­vers une his­toire lar­moy­ante dans laque­lle l’expression Dere­cho viejo est util­isée. Les autres, celles de Clausi, plus récentes sont une ode au tan­go, ce qui n’est pas si mal, mais elles ont peu à voir avec le titre.

Paroles

Oiga ust­ed com­pañero… si me quiere escuchar…
no crea que soy, ami­go, un cuentero:
yo quiero con­fi­ar­le… a ust­ed… com­pañero
mi inmen­so y cru­el dolor…
Quiero desa­hog­ar mis penas… sién­tese nomás…
y pida algún tra­go si tiene vol­un­tad…
y preste aten­ción, que ahí va la cru­el­dad
de aquel infiel amor…

Ust­ed sabrá
que cuan­do el amor
comien­za a tacon­ear
sen­ti­mos en el pecho
la dulce tentación;
¡sen­ti­mos sed de amar
de amar de corazón !…
Y yo tam­bién
amé con gran pasión,
amé con gran delirio
y coseché mar­tirios
porque un pade­cer
me brindó esa mujer,
¡que fue mi perdi­ción!…

Con el alma la quería… y ella fue
siem­pre mi úni­ca ilusión…
pero por otro hom­bre… como a mí…
¡a su hija aban­donó!
Esa hiji­ta tan queri­da… com­pañero,
ayer tarde se murió…
¡pero antes de morir, de este modo,
ella me habló!…

¡Padre! … Si la lle­ga a encon­trar, dele mi perdón
y dígale tam­bién, que aunque ella nos dejó,
¡yo siem­pre la quer­ré, con todo el corazón
y bésela por mí!
¡Hoy la encon­tró, com­pañero… no pude per­donar…
me fui Dere­cho Viejo… y ahí, a esa vaga,
en nom­bre de mi hija… la pun­ta de mi daga
besó su corazón!…

Eduar­do Aro­las Letra: Andrés Balde­sari

En gras, les paroles chan­tées par Teó­fi­lo Ibáñez dans la ver­sion de 1934 de la Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Traduction libre des paroles de Andrés Baldesari

Enten­dez, cama­rade… Si vous voulez m’écouter… Ne croyez pas que je suis, mon ami, un con­teur :
je veux vous faire confiance…à vous… cama­rade, mon immense et cru­elle douleur…
Je veux évac­uer mes cha­grins… Asseyez-vous sans façon… et deman­dez à boire si vous en avez envie… Et prêtez atten­tion, car là va la cru­auté de cet amour infidèle…
Vous saurez que lorsque l’amour com­mence à taper du pied, nous sen­tons dans notre poitrine la douce ten­ta­tion, nous avons soif d’aimer, d’aimer du fond du cœur…
Et moi aus­si j’ai aimé avec grande pas­sion, j’ai aimé avec un grand délire, et j’ai récolté le mar­tyre parce que cette femme m’a fait souf­frir, qu’elle fut ma perte…
Je l’aimais de toute mon âme… Et elle a tou­jours été ma seule illu­sion… mais, pour un autre homme… Comme moi, elle a aban­don­né sa fille !
Cette petite fille tant aimée… Cama­rade, elle est morte hier soir, mais avant de mourir, elle m’a par­lé de cette façon…
Père !… Si tu la trou­ves, donne-lui mon par­don et dis-lui aus­si que même si elle nous a quit­tés, je l’aimerai tou­jours, de tout mon cœur et tu l’embrasseras pour moi !
Aujourd’hui, je l’ai trou­vée, mon ami… Je n’ai pas pu par­don­ner… Je suis allé droit au but (Dere­cho viejo)… Et là, à cette cloche (vau­ri­enne), au nom de ma fille… La pointe de mon poignard embras­sa son cœur…

Paroles

Tan­go de mi ciu­dad, male­vo y sen­su­al,
canyengue y tristón, col­or de arra­bal.
Señor de salón, tenés emo­ción
de noche porteña.
Vuelve para sur­gir en dan­za tri­un­fal
can­ción sin igual que hace sen­tir
con tan­ta pasión en el corazón
su abra­zo de amor.

Oigo el can­tar de un triste ban­doneón,
que llo­ra en su can­ción la pena de un amor
que nun­ca pudo ser, por causa de creer
en locos berretines.
Todo pasó, no quiero recor­dar
el tiem­po que se fue,
ya nun­ca volverá la dicha de tu amor
para poder soñar con vos en mi arra­bal.

Qué dulzu­ra hay en tu voz,
che, ban­doneón, con tu chamuyo reo.
Tan­go lin­do y querendón, nobleza de arra­bal,
amores de otros tiem­pos…
Sigue, sigue tu can­ción
para ale­grar esta vela­da lin­da,
sue­na, sue­na ban­doneón, que siem­pre tu can­ción
está en el corazón.

Eduar­do Aro­las Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre de la version des paroles de Gabriel Clausi

Tan­go de ma cité, malveil­lant et sen­suel, canyengue (forme de danse ou du faubourg en lun­far­do) et triste, couleur de faubourg.
Mon­sieur de salon, tu as l’excitation de la nuit portègne.
Une chan­son sans égale sur­git pour émerg­er dans une danse tri­om­phante qui fait sen­tir avec tant de pas­sion au cœur, son étreinte d’amour.
J’entends le chant d’un ban­donéon triste, qui pleure dans sa chan­son la douleur d’un amour qui ne put jamais être, à cause de croire en des caprices fous.
Tout est fini, je ne veux pas me sou­venir du temps qui s’est écoulé, la joie de ton amour ne revien­dra jamais pour que je puisse rêver de toi dans mon faubourg.
Quelle douceur il y a dans ta voix, che, ban­donéon, avec ton bavardage roy­al.
Tan­go beau et affectueux, noblesse des faubourgs, amours d’autrefois…
Con­tin­ue, con­tin­ue ta chan­son pour égay­er cette belle soirée, sonne, sonne ban­donéon, que tou­jours ta chan­son soit dans le cœur.

Autres versions

Pas ques­tion de don­ner toutes les ver­sions. Mon pro­pos est de vous mon­tr­er com­ment on est passé de la ver­sion de la ver­sion d’Arolas à celle de Pugliese, 34 ans plus tard.
Top chrono :

Dere­cho viejo 1917 — Orques­ta Rober­to Fir­po. Une ver­sion rapi­de, joueuse. Elle cor­re­spond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Une ver­sion rapi­de, joueuse. Elle cor­re­spond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Dere­cho viejo 1926-08-04 — Orques­ta Julio De Caro.

Le rythme est plus lent et solen­nel, mais De Caro incor­pore plein de bruits étranges, comme des fusées de feu d’artifice ou des grince­ments.

Dere­cho viejo 1927 — Sex­te­to Fran­cis­co Pracáni­co.

Une ver­sion bien canyenge, avec un vio­lon qui vole au-dessus. Les fusées se retrou­vent et se ter­mi­nent par un « POUM ». Une ver­sion cepen­dant un peu monot­o­ne, avant les vari­a­tions de la dernière minute.

Dere­cho viejo 1927-04-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Le rythme bien pesant et mar­qué de Canaro, mais décoré avec de petites fior­i­t­ures. La mon­tée des « fusées » est trans­for­mée en mon­tées en pizzi­cati (qui ne sont pas suiv­is de descente et donc pas de « Poum » non plus, sauf dans la dernière minute où les mon­tées sont toute en vibra­to et les Poums bien présents.

Dere­cho viejo 1927-04-19 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

La ver­sion de Frese­do est moins martelée, plus coulée, mais les mon­tées qu’il adore sont suiv­ies de descentes et de gros Poums aux tim­bales. Il explore aus­si la mon­tée en pizzi­cati de Canaro et les mon­tées en « vrille ». Un véri­ta­ble feu d’artifice.

Dere­cho viejo 1934-06-01 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Teó­fi­lo Ibáñez.

C’est la pre­mière ver­sion chan­tée de ma sélec­tion. Mon­tée en pizzi­cati et descente en vrille, suiv­ie de Poum. Teó­fi­lo Ibáñez chante le refrain des paroles de Andrés Balde­sari.

Dere­cho viejo 1936-08-10 — Orques­ta Julio De Caro.

On retrou­ve De Caro avec une ver­sion pleine d’encore plus de bruits incon­grus, dont des cuiv­res toni­tru­ants.

Dere­cho viejo 1938-03-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion qui marche bien avec une orches­tra­tion orig­i­nale. Du bon Canaro, net­te­ment plus dynamique que sa ver­sion de 1927…

Dere­cho viejo 1939-07-17 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo évite toutes les mon­tées et descentes glis­sées qu’offrent la plu­part des ver­sions. Son inter­pré­ta­tion plus sèche, même quand le motif de vio­lon sur­nage, sur l’orchestre, ce dernier ne perd pas la mar­ca­cion et on n’a pas d’autre choix que d’y aller dere­cho viejo (sans hésiter).

Dere­cho viejo 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

On retrou­ve Frese­do qui se régale avec les mon­tées et descentes de ses fusées et les gros poums. C’est vrai­ment son truc.

Dere­cho viejo 1945-05-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Dès la deux­ième mesure, l’ambiance change avec Pugliese. Même la fusée qui ne fait qu’une descente en vrille a un autre car­ac­tère. La yum­ba pointe son nez. Les pas­sages, sans mar­cación aucune, pour­ront désta­bilis­er les danseurs qui aiment l’exercice de la marche à pas cadencé. Dans la dernière minute, les audaces har­moniques et les vari­a­tions de rythme, typ­iques de Pugliese don­neront du fil à retor­dre aux danseurs novices.
Le titre con­tin­uera par la suite, avec notam­ment des évo­lu­tions de Frese­do et Fir­po, mais je souhaite rester sur Pugliese et cet enreg­istrement qu’il ne renou­vellera pas de Dere­cho Viejo.

Eduardo Arolas, le tigre du bandonéon en film.

La com­po­si­tion de Eduar­do Aro­las a donc eu beau­coup de suc­cès. Presque tous les orchestres ont gardé les grandes cas­cades que Frese­do a beau­coup util­isées dans ses inter­pré­ta­tions par la suite. Cer­tains les ont presque, adap­tées, comme Pugliese, voire sup­primé comme D’Arienzo qui n’en garde que l’amorce et nous laisse donc sur notre faim. À pro­pos de fin, je vous pro­pose de voir un extrait du film Dere­cho viejo réal­isé en 1950 par Manuel Romero sur un scé­nario de Alfre­do Ruano­va. Le film est sor­ti le 4 jan­vi­er 1951. Le film retrace la vie d’Eduardo Aro­las. Juan José Míguez jouant le rôle du Tigre du ban­donéon.
Dans cet extrait, on voit le ten­ancier récolter la mon­naie pour pay­er Aro­las. À 15 sec­on­des de mon extrait, on voit une femme qui dit à sa mère que l’on va danser sur un Tanga­zo (tan­go de pre­mière qual­ité) aujourd’hui. Lorsque « Aro­las » joue, accom­pa­g­né à la gui­tare on voit des cou­ples danser, dans un style qui se veut repro­duire celui du début du siè­cle

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

S’il fal­lait prou­ver un lien entre la France et le tan­go, il suf­fi­rait de men­tion­ner le cham­pagne, breuvage typ­ique­ment français qui fut inven­té par le moine béné­dictin, DOM Pierre Pérignon et imité par tous les vitic­ul­teurs du Monde et notam­ment d’Argentine qui pro­duisent le « cham­pagne » des milon­gas portègnes.

Le suc­cès du cham­pagne vient du fait que les musi­ciens argentins, dès 1906, sont venus à Paris pour enreg­istr­er leurs dis­ques. À par­tir de 1910, cela devient une véri­ta­ble ruée, ren­for­cée par la folie des Parisiens pour cette musique et la danse asso­ciée.
Même si le syn­di­cat des musi­ciens français impo­sait aux Argentins de jouer en cos­tume tra­di­tion­nel de leur pays, les musi­ciens argentins ont fait recette. Canaro qui a enreg­istré en 1938 notre tan­go du jour ne nous con­tredi­ra pas, lui qui ain­si que ses frères fut un habitué des cabarets parisiens.
Ces cabarets se sont exportés à Buenos Aires, y com­pris dans les noms. Les paroles de Con­tur­si men­tion­nent le Pigall, l’un des plus réputés. Cabaret et cham­pagne, Chapô au lieu de som­brero. Le ton est don­né, les Portègnes s’amusent à être à Paris.
Je vous invite à con­som­mer sans mod­éra­tion, Cham­pagne tan­go.

Extrait musical

Cham­pagne tan­go 1938-05-09 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro

Fidèle à son style « marchant » Canaro à la tête de son Quin­te­to Don Pan­cho nous pro­pose une ver­sion qui se déroule sans encom­bre. Ceux qui sont habitués aux ver­sions de Di Sar­li seront sans doute très dépaysés, mais cette ver­sion avec ses petites fior­i­t­ures au vio­lon est bien sym­pa­thique. Une ver­sion assez légère qui s’envole comme les bulles du cham­pagne.

Paroles

Il faut se lever de bonne heure pour trou­ver une ver­sion chan­tée de Cham­pagne tan­go… Vrai­ment de très bonne heure, car je n’en ai pas trou­vé.

Esas minas vet­er­anas
que siem­pre se con­forma­ban,
que nun­ca la protesta­ban
aunque picara el buyón,
vivien­do así en su cotor­ro
pasan­do vida pib­era
en una pobre catr­era
que le falta­ba el colchón.

¡Cuán­tas veces a mate amar­go
el estó­ma­go engrupía
y pasa­ban muchos días
sin ten­er para mor­far!
La catr­era era el con­sue­lo
de esos ratos de amar­gu­ra
que, cul­pa « e la mishiadu­ra
no tenía pa » mor­far.

Se acabaron esas minas
que siem­pre se con­forma­ban
con lo que el bacán les daba
sí era bacán de ver­dad.
Hoy sólo quieren vesti­dos
y riquísi­mas alha­jas,
coches de capota baja
pa’ pasear por la ciu­dad.

Nadie quiere con­ven­til­lo
ni ser pobre cos­tur­era,
ni tam­poco andar fulera…
Sólo quieren aparentar
ser ami­go de fulano
y que ten­ga mucho ven­to
que alquile depar­ta­men­to
y que la lleve al Pigall.

Ten­er un coche,
ten­er muca­ma
y gran “chapó“
y pa’ las far­ras
un gigoló;
pieza alfom­bra­da
de gran para­da,
ten­er sirvien­ta
y… ¡qué se yo !
Y así…
de esta man­era
en donde quiera
“cham­pán tangó”.

Manuel Gre­go­rio Aróztegui Letra : Pas­cual Con­tur­si

Traduction libre et indications

Ces filles vétéranes qui s’adaptaient tou­jours, qui ne protes­taient jamais même si elles tiraient le dia­ble par la queue, vivant ain­si dans son gour­bi (cotor­ro, garçon­nière, cham­bre de soli­taire, cham­bre de pros­ti­tuée) une vie de pau­vre fille dans un pau­vre lit auquel il man­quait le mate­las.
Com­bi­en de fois l’estomac s’est-il con­tenté de mate amar­go (Mate, la bois­son d’Uruguay, Paraguay et Argen­tine qui se boit sans sucre, amère) et beau­coup de jours se sont écoulés sans rien avoir à manger !
Le lit était la con­so­la­tion de ces moments d’amertumes où, par la faute de la mis­ère, il n’y avait rien à manger.
C’est fini, les filles qui se con­tentaient tou­jours de ce que le mec leur don­nait s’il était un vrai bacán (qui entre­tient une fille).
Aujourd’hui, elles ne veu­lent que des robes et des bijoux somptueux, des voitures décapota­bles pour se promen­er dans la ville.
Per­son­ne n’a envie de con­ven­til­lo (habi­ta­tion col­lec­tive des pau­vres de Buenos Aires) ou d’être une pau­vre cou­turière, ni d’aller incon­nue (fulera est une per­son­ne quel­conque, sans pres­tige. La Fulera est aus­si la mort, mais pas dans ce con­texte)
Elles veu­lent juste paraître être amis avec untel ayant beau­coup d’argent, qu’il loue un apparte­ment et qu’il l’emmène au Pigall (le cabaret/Casino Pigall appar­tient à ce phénomène de mode où se copi­ent les mœurs parisi­ennes, Pigalle étant un quarti­er ani­mé de Paris).
Avoir une voiture, avoir une femme de ménage et un grand « chapó » (cha­peau, autre mode, par­ler avec des mots de français, voire en français) et d’avoir un gigo­lo pour les fêtes, une pièce recou­verte de tapis lux­ueux (gran para­da est à pren­dre dans le sens français de parade), d’avoir une ser­vante et… que sais-je !
Et ain­si… de cette façon, elle veut « Cham­pagne et Tan­go ».

Autres versions

Cham­pagne tan­go 1914 Orques­ta Rober­to Fir­po.

Cette ver­sion acous­tique, desservie par la tech­nique d’enregistrement, per­met tout de même de pren­dre con­nais­sance de l’interprétation de Fir­po qui nous pro­posera 32 ans plus tard, un autre enreg­istrement que nous pour­rons com­par­er. La flûte (jouée par Ale­jan­dro Michet­ti) qui vit ses dernières années dans les orchestres de tan­go est ici bien présente.

Cham­pagne tan­go 1929 — Orques­ta Vic­tor Pop­u­lar.

Une ver­sion un peu vieil­lotte. La clar­inette joue avec les vio­lons. Ce n’est pas vilain, mais un peu monot­o­ne et ce disque est en mau­vais état.

Cham­pagne tan­go 1938-05-09 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro. C’est notre tan­go du jour.
Cham­pagne tan­go 1938-06-22 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est le tout dernier enreg­istrement avec Bia­gi au piano, avant qu’il se fasse vir­er pour avoir pris la vedette à D’Arienzo. L’orchestre est dans un intense dia­logue avec le piano qui est effec­tive­ment la vedette, le soliste.
Quand on voit l’évolution du piano pen­dant les trois années où Bia­gi a offi­cié dans l’orchestre de D’Arienzo, on peut se deman­der ce qu’aurait don­né l’évolution de l’orchestre de D’Arienzo avec Bia­gi si el Rey del Com­pás avait été un peu moins sus­cep­ti­ble…

Cham­pagne tan­go 1944-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Qui n’a jamais enten­du Cham­pagne tan­go par Di Sar­li n’a jamais pris de cours de tan­go. Même si Di Sar­li en pro­pose trois enreg­istrements, cette ver­sion bien ryth­mée est la préférée des pro­fesseurs qui pensent que leurs élèves doivent avoir un tem­po bien mar­qué et suff­isam­ment lent pour que leurs élèves puis­sent met­tre en pra­tique les fig­ures com­pliquées qu’ils vien­nent de leur appren­dre.
Rel­a­tive­ment peu de sur­prise dans cette ver­sion. Les danseurs peu­vent être en con­fi­ance.

Cham­pagne Tan­go 1946-09-25 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

32 ans plus tard, Fir­po qui essaye de se refaire une san­té finan­cière s’est remis au tan­go. Son inter­pré­ta­tion est très orig­i­nale et inspir­era des orchestres uruguayens, comme nous le ver­rons ci-dessous.
L’attaque des cordes des vio­lons par des coups d’archet brefs ou des pizzi­cati donne une ver­sion pétil­lante comme des bulles de cham­pagne.

Cham­pagne tan­go 1952-09-19 — Orques­ta Héc­tor Varela.

Je sais que cer­tains essayeront de ne pas écouter cette ver­sion à cause du nom de Varela. Cepen­dant cette ver­sion est plutôt sym­pa­thique. Elle est énergique et sen­si­ble. Elle con­vient à la danse et est dépourvue des pon­cifs fati­gants de Varela. Alors, allez‑y en con­fi­ance et lais­sez-vous enivr­er par Varela.

Cham­pagne tan­go 1952-10-27 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Encore Di Sar­li. La musique est beau­coup plus glis­sée. Les vio­lons ondoy­ants alter­nent avec des pas­sages plus martelés. Cette ver­sion est plus con­trastée que celle de 1944. C’est un Di Sar­li typ­ique, un incon­tourn­able des milon­gas.

Cham­pagne tan­go 1958-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Encore, encore Di Sar­li qui a enreg­istré de nom­breux titres à deux repris­es durant la décen­nie des années 50. C’est un développe­ment de la ver­sion précé­dente. Elle est bien flu­ide. On sent le disque qui tourne, imper­turbable. On peut préfér­er les autres ver­sions, mais celle-ci a aus­si ses fana­tiques. Sur l’île déserte, il faut emporter tout le cham­pagne de Di Sar­li

Cham­pagne Tan­go 1959-03-23 — Dona­to Rac­ciat­ti y sus Tangueros del 900.

Le retour de la flûte (et pas seule­ment de cham­pagne) et d’un style de jeu qui plaît à Borges qui n’a jamais digéré que le tan­go sorte des bor­dels et de sa fange pour se « déna­tur­er » avec la guimauve sen­ti­men­tale. Rac­ciat­ti nous pro­pose une ver­sion légère et qui pour­rait être une réminis­cence des années 1910, époque où la gui­tare et la flûte le dis­putaient encore au piano et au ban­donéon.

Cham­pagne tan­go 1959-12-07 — Miguel Vil­las­boas y Su Quin­te­to Bra­vo del 900.

On reste sur la rive uruguayenne. Le style entraî­nant de Vil­las­boas et sa sonorité par­ti­c­ulière sont en général bien appré­ciés. On retrou­vera des sim­i­lar­ités avec Fir­po. Une ver­sion joueuse. Vil­las­boas n’a pas le cham­pagne triste.

Cham­pagne tan­go 1970 — Quin­te­to Año­ran­zas.

Le Quin­te­to Año­ran­zas nous pro­pose une autre ver­sion avec un ensem­ble réduit. Il sem­blerait que le cham­pagne se prête bien aux petites for­ma­tions. Là encore _une flûte présente, mais qui partage la vedette avec le ban­donéon et le vio­lon. Cette ver­sion est cepen­dant un peu terne. On désir­erait un peu plus de mou­ve­ment (Año­ramos a más movimien­to 😉

Cham­pagne tan­go 1979-09 — Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to.

Vingt ans après, Vil­las­boas nous livre une autre ver­sion. Pour ma part, je trou­ve la réver­béra­tion exagérée. Cela rend con­fuse l’écoute et per­turbe la sérénité des danseurs. J’éviterais donc de vous pass­er cette version.Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to. Vingt ans après, Vil­las­boas nous livre une autre ver­sion.
Notons que trois ver­sions par des orchestres uruguayens, c’est peut-être un signe de chau­vin­isme, Aróztegui étant lui aus­si Uruguayen…

Cham­pagne tan­go 1996 — Quin­te­to Fran­cis­co Canaro dir. Anto­nio D’Alessandro.

Peut-être que les musi­ciens ont un peu abusé de la divine bois­son. La pièce est un peu assoupie. C’est peut-être pour exprimer la nos­tal­gie des paroles, mais en tous cas, cela ne donne pas envie de la danser.

Le coup de l’étrier (La copa de la despedida)

Je ne pou­vais pas vous laiss­er sur la ver­sion du Quin­te­to Canaro. Je vous pro­pose donc un autre titre, venu d’un autre univers, mais qui par­le aus­si de cham­pagne. Il s’agit de Cham­pagne bub­bles par Jose‑M.Lucchesi. Ce musi­cien pas­sion­né de tan­go argentin n’a pas tou­jours été recon­nu à sa juste valeur, notam­ment à cause d’une cer­taine jalousie des musi­ciens argentins qui voy­aient en lui un tal­entueux con­cur­rent. D’origine corse (France), mais né au Brésil, il fait l’essentiel de sa car­rière en France, comme com­pos­i­teur et chef d’orchestre. Il se fera d’ailleurs nat­u­ralis­er Français.

Cham­pagne-bub­bles 1935 Jose-Maria Luc­ch­esi.
Cham­pagne Bub­bles (com­posé par Jose-Maria Luc­ch­esi, un titre en anglais et des indi­ca­tions en alle­mand pour cette pro­duc­tion réal­isée par Elec­tro­la à Berlin (Alle­magne). Ceci mon­tre la dif­fu­sion du tan­go… et du cham­pagne. 1935, on est dans la péri­ode où les nazis encour­ageaient le tan­go plutôt que le jazz, musiques de noirs qu’ils mépri­saient.

Pour en savoir plus sur Luc­ch­esi, vous pou­vez reporter à l’excellent site Milon­ga Ophe­lia.

El pollo Ricardo 1946-03-29 – Orquesta Carlos Di Sarli

Luis Alberto Fernández Letra : Gerardo Adroher

Je dédi­cace cet arti­cle à mon ami Ricar­do Salusky, DJ de Buenos Aires, ce tan­go étant une his­toire d’amitié, c’était logique. Pol­lo, le poulet, est un surnom assez courant, les Argentins et Uruguayens sont friands de cet exer­ci­ce qui con­siste à ne jamais dire le véri­ta­ble prénom de per­son­nes…

Reste à savoir qui était le poulet de Luis Alber­to Fer­nán­dez, l’auteur et le paroli­er de ce tan­go qu’il a dédi­cacé à un de ses amis.
Ricar­do est un prénom courant. Il nous faut donc inves­tiguer.
Luis Alber­to Fer­nán­dez (c’est son véri­ta­ble nom) est né à Mon­te­v­ideo le 29 mars 1887. Il était pianiste, com­pos­i­teur et paroli­er d’au moins deux tan­gos, celui dont nous par­lons aujourd’hui et Inter­va­lo. El Pol­lo Ricar­do est indiqué dans les reg­istres de la AGADU (Aso­ciación Gen­er­al de Autores del Uruguay) comme étant de 1911, ce que con­fir­ment d’autres sources, comme les plus anci­ennes exé­cu­tions con­nues par Car­los War­ren, puis Juan Maglio Pacho (mal­heureuse­ment sans enreg­istrement) et un peu plus tar­di­ve­ment (1917), celle de Celesti­no Fer­rer que vous pour­rez écouter à la fin de cet arti­cle.
De Fer­nán­dez, on ne con­naît que deux com­po­si­tions, El pol­lo Ricar­do et Inter­va­lo.
En cher­chant dans les amis de Fer­nán­dez on trou­ve un autre Uruguayen ayant juste­ment écrit un tan­go sur les cartes,

Une par­ti­tion de Ricar­do Scan­droglio du tan­go « En Puer­ta » (l’ouverture) sur le thème des jeux de cartes. On notera que l’auteur se fait appel­er (El Pol­lo Ricar­do).

On retrou­ve ce Ricar­do Scan­droglio sur une pho­to où il est au côté de Luis Alber­to Fer­nán­dez.

Pho­to prise dans les bois de Paler­mo en 1912 (Par­que Tres de Febrero à Buenos Aires).

Assis, de gauche à droite : El pol­lo Ricar­do qui a bien une tête de poulet, non ? Au cen­tre, Luis Alber­to Fer­nán­dez et Curbe­lo. Debouts, Arturo Presti­nari et Fer­nán­dez Castil­la. Cette pho­to a été repro­duite dans la revue La Mañana du 29 sep­tem­bre 1971.
Et pour clore le tout, on a une entre­vue entre Alfre­do Tas­sano et Ricar­do Scan­droglio où ce dernier donne de nom­breuses pré­ci­sions sur leur ami­tié.
Vous pou­vez écouter cette entre­tien (à la fin de la ver­sion de Canaro de El pol­lo Ricar­do) ici:
https://bhl.org.uy/index.php/Audio:_Entrevista_a_Ricardo_Scandroglio_a_sus_81_a%C3%B1os,_1971
Mais je vous con­seille de lire tout le dossier qui est pas­sion­nant :
https://bhl.org.uy/index.php/Scandroglio,_Ricardo_-_El_Pollo_Ricardo

Extrait musical

Il s’agit du deux­ième des trois enreg­istrements de El pol­lo Ricar­do par Car­los Di Sar­li. Nous écouterons les autres dans le chapitre « autres ver­sions ».

El pol­lo Ricar­do 1946-03-29 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Cou­ver­ture de la deux­ième édi­tion et par­ti­tion pour piano de El pol­lo Ricar­do

Les paroles

Per­son­ne ne con­naît les paroles que Ger­ar­do Adro­her, encore un Uruguayen, a com­posées, mais qu’aucun orchestre n’a enreg­istrées.
Ce tan­go a été récupéré par les danseurs qui ont moins besoin des paroles. Toute­fois, il me sem­ble intéres­sant de les men­tion­ner, car il mon­tre l’atmosphère d’amitié entre Ricar­do Scan­droglio et Luis Alber­to Fer­nán­dez.

Tu pin­ta de bacán
tu estam­pa de varón
tu clase pura para el baile
cuan­do te flo­reás
te han dis­tin­gui­do
entre los buenos gua­pos con razón
porque entran­do a tal­lar
te hiciste respetar.
Pol­lo Ricar­do
vos fuiste ami­go fiel
y yo he queri­do con un tan­go
bra­vo y com­padrón
dar lo mejor de mi amis­tad
a quien me abrió su corazón.
La bar­ra fuerte del café
mucha­chos bravos de ver­dad
forma­ban rue­da cuan­do vos
mar­avil­l­abas al tanguear.
Y siem­pre fue tu juven­tud
el sol que a todos alum­bró
bor­ran­do som­bras con la luz
que tu bon­dad nos dio.
Y cuan­do pasen los años
oirás en el com­pás de este tan­go
un des­fi­lar de recuer­dos
largo… largo.
Puede que entonces
me fui yo a via­jar
con rum­bo por una estrel­la.
Mira hacia el cielo
es ella, la que bril­la más.

Ger­ar­do Adro­her

Traduction libre et indications

Ton élé­gance de noceur, ton allure de mec, ta pure classe pour la danse quand tu brilles t’ont dis­tin­gué par­mi les beaux élé­gants, à juste titre, parce que quand tu entres en taille (fig­ure de tan­go, comme dans le ocho cor­ta­do. Ne pas oubli­er que la forme anci­enne du tan­go de danse avait des atti­tudes pou­vant rap­pel­er le com­bat au couteau) ; tu t’es fait respecter.
Poulet Ricar­do tu étais un ami fidèle et moi j’ai aimé avec un tan­go, courageux, et com­père, don­ner le meilleur de mon ami­tié à qui m’a ouvert son cœur.
La bande du café, des garçons vrai­ment bons (vail­lants, bons danseurs dans le cas présent).
For­mant le cer­cle quand tu émer­veil­lais en dansant le tan­go.
Et ça a tou­jours été ta jeunesse, le soleil qui a illu­miné tout le monde, effaçant les ombres avec la lumière que ta bon­té nous a don­née.
Et quand les années passeront, tu enten­dras au rythme de ce tan­go un défilé de sou­venirs
long… long.
Il se peut qu’ensuite, je sois par­ti en voy­age,
En route vers une étoile. Lève les yeux vers le ciel, c’est celle qui brille le plus.
Fer­nan­dez est décédé en 1947, et il avait trois ans de plus que Ricar­do, ces paroles peu­vent paraître pré­moni­toires, mais avec beau­coup d’a­vance…

Autres versions

Les premières versions

Le pre­mier orchestre à avoir joué El pol­lo Ricar­do en 1912 serait l’orchestre uruguayen de Car­los War­ren, mais il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement. Même chose pour la ver­sion par Juan Maglio Pacho. La par­ti­tion aurait été éditée en 1917, mais si on prend en compte que Fer­nán­dez jouait d’oreille et n’écrivait pas la musique, on peut penser que les pre­mières inter­pré­ta­tions soient passées par un canal dif­férent.

El pol­lo Ricar­do 1917-01-17 — Orques­ta Típi­ca de Celesti­no Fer­rer.

C’est, a pri­ori, la plus anci­enne ver­sion exis­tante en enreg­istrement. Fer­rer était réputé pour sa par­tic­i­pa­tion aux nuits parisi­ennes autour des orchestres comme celui de Pizarro. On lui doit un tan­go comme com­pos­i­teur, El Gar­rón, qui célèbre le salon parisien qui fut un des pre­miers lieux de tan­go à Paris. Il faut atten­dre un peu pour trou­ver des ver­sions dansantes du tan­go.

El pol­lo Ricar­do 1938-05-09 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion bien ronde et qui avance avec une cadence régulière qui pour­ra plaire aux danseurs milongueros. J’aime bien les petits « galops » qu’on entend par­ti­c­ulière­ment bien vers 43 sec­on­des et à divers­es repris­es. Cepen­dant, on ne pense pas for­cé­ment à un poulet ou à un danseur de tan­go.

Les trois enregistrements de Di Sarli

J’ai choisi de regrouper les trois enreg­istrements de Di Sar­li pour qu’il soit plus facile à com­par­er. La ver­sion inter­mé­di­aire de D’Arienzo de 1947 sera placée après celle de 1951 de Di Sar­li, ce qui vous per­me­t­tra de com­par­er égale­ment les deux enreg­istrements de D’Arienzo (1947 et 1952).

El pol­lo Ricar­do 1940-09-23 Orques­ta Car­los Di Sar­li.

C’est la pre­mière ver­sion de ce thème par Di Sar­li. À divers­es repris­es le son du ban­donéon peut faire penser au caquète­ment d’un poulet (0 : 26 ou 1 : 26 par exem­ple).

El pol­lo Ricar­do 1946-03-29 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.

Le tem­po est plus mod­éré que dans la ver­sion de 1940 et le caquète­ment de poulet est plus accen­tué, en con­traste avec les vio­lons en lega­to. Comme le tem­po est un peu plus lent, les caquète­ments sont décalés à 0 : 30 et 1 : 30. En six ans on remar­que bien l’évolution de l’orchestre, même si le style reste encore très ryth­mé et les vio­lons s’expriment moins que dans des ver­sions plus tar­dives comme celle de 1951.

El pol­lo Ricar­do 1951-07-16 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

La sonorité de cette ver­sion est plus famil­ière aux afi­ciona­dos de Di Sar­li des années 50. Les vio­lons sont beau­coup plus présents, y com­pris dans les caquète­ments qui toute­fois sont plus dis­crets que dans les deux autres ver­sions. Le piano s’exprime égale­ment plus et rajoute les fior­i­t­ures qui sont une des car­ac­téris­tiques du Di Sar­li des années 50.

Les deux enregistrements de D’Arienzo

Les deux enreg­istrements de D’Arienzo sont à com­par­er aux deux enreg­istrements qua­si con­tem­po­rains de Di Sar­li (46–47 et 51–52).
Comme nous l’avons vu, l’évolution de Di Sar­li est allée en direc­tion des vio­lons. Celles de D’Arienzo serait plutôt de favoris­er les ban­donéons et de les engager dans le mar­quage du tem­po, comme d’ailleurs tous les instru­ments de l’orchestre. Il n’est pas El Rey del Com­pas pour rien… Le piano a tou­jours une grande place chez D’Arienzo qui n’oublie pas que c’est aus­si un instru­ment à per­cus­sion…

El pol­lo Ricar­do 1947-05-20 — Orques­ta Juan D’Arienzo
El pol­lo Ricar­do 1952-11-12 — Orques­ta Juan D’Arienzo

Retour en Uruguay

Le héros, le com­pos­i­teur et le paroli­er de ce tan­go étant uruguayens, il me sem­ble logique de don­ner la parole en dernier à trois orchestres de ce pays.

El pol­lo Ricar­do 1972 — Orques­ta Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti.

Une ver­sion énergique et au tem­po soutenu. Quelques illu­mi­na­tions du piano de Rac­ciat­ti répon­dent aux vio­lons (jouant lega­to mais aus­si en pizzi­cati) . Le style haché et joueur peut être intéres­sant à pro­pos­er aux danseurs.

El pol­lo Ricar­do 1985 – Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Un peu moins tonique que la ver­sion de Rac­ciat­ti et avec la sonorité par­ti­c­ulière de cet orchestre, on trou­ve tout de même un air de famille, le son uruguayen 😉 Les vio­lons un peu plus lyriques, le piano plus sourd ren­dent sans doute cette ver­sion moins intéres­sante, mais elle devrait tout de même plaire aux danseurs notam­ment dans la dernière par­tie qui est plutôt très réus­si et entraî­nante.

El pol­lo Ricar­do 2005-10 – Orques­ta Matos Rodríguez.

Bien que l’orchestre se réfère à Matos Rodríguez (le com­pos­i­teur uruguayen de la Cumpar­si­ta), on est plus dans une impres­sion à la Di Sar­li. Cepen­dant, le résul­tat est un peu mièvre et ne se prête pas à une danse de qual­ité, même s’il reprend des idées des orchestres uru­gayens et des trucs à la Sas­sone.

La dédicace à El Pollo Ricardo

Comme Fer­nan­dez a réal­isé un hom­mage à son ami Ricar­do, je fais de même avec Ricar­do, l’excellent DJ de Buenos Aires. J’ai emprun­té la pho­to au tal­entueux pho­tographe (celui qui avait réal­isé la grande fresque du salon