Il est des courriers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Francisco Fiorentino qui a reçu un courrier définitif, mais qui réagit en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le merveilleux orchestre d’Aníbal Troilo est tellement prodigieuse, que ce titre est désormais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorentino lui-même et j’en apporte la preuve.
Extrait musical
Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi.Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Dès le début, la montée piquée au bandonéon donne le rythme. Puis les violons annoncent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorentino. Sa diction est parfaite, un léger rubato anime sa partition. Il exploite complètement, le contraste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond merveilleusement. La montée piquée revient régulièrement pour relancer le mouvement. Aucun risque de monotonie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorentino termine et l’orchestre ponctue par un accord de dominante suivi par un accord de tonique, atténué.
Les paroles
Recibí tu última carta, en la cual tú me decías: « Te aconsejo que me olvides, todo ha muerto entre los dos. Sólo pido mi retrato y todas las cartas mías, ya lo sabes que no es justo que aún eso conserves vos ». Hoy reconoces la falta, tienes miedo que yo diga… que le cuente al que tú sabes (a tu marido) nuestra íntima amistad; ¡Soy muy hombre, no te vendo, no soy capaz de una intriga! Lo comprendo que, si hablara, quiebro tu felicidad.
Pero no vas a negar que cuando vos fuiste mía, dijiste que me querías, que no me ibas a olvidar; y que ciega de cariño me besabas en la boca, como si estuvieras loca… Sedienta, nena, de amar.
Yo no tengo inconveniente en enviarte todo eso, sin embargo, aunque no quieras, algo tuyo ha de quedar. El vacío que dejaste y el calor de aquellos besos bien lo sabes que no puedo devolvértelos jamás. Yo lo hago en bien tuyo evitando un compromiso, sacrifico mi cariño por tu apellido y tu honor ; me conformo con mi suerte, ya que así el destino quiso pero acuérdate bien mío, ¡que esto lo hago por tu amor!
Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi
On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu marido » au lieu de « al que tú sabes».
Traduction libre
J’ai reçu ta dernière lettre, dans laquelle tu me disais : « Je te conseille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon portrait et toutes mes lettres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu reconnais la faute,tu as peur que je dise… que je raconte à qui tu sais, notre amitié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capable d’intriguer ! Je comprends que, si je parlais, je briserais ton bonheur. Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de tendresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoiffée, petite, d’aimer. Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cependant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as laissé et la chaleur de ces baisers, tu sais que je ne pourrai jamais te les rendre. Je le fais pour ton bien, en évitant un engagement, je sacrifie mon affection à ton nom et à ton honneur ; je me contente de mon sort, car c’est ce que le destin a voulu, mais souviens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !
Autres versions
Pour moi, il n’y a pas d’autre version que celle de Troilo et Fiorentino… On peut essayer Fiorentino sans Troilo, par exemple avec Alberto Mancione, ça ne va pas. On peut essayer des noms prestigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomuto. Rien n’arrive à la cheville de la version époustouflante de Troilo et Fiorentino. Voici tout de même une petite sélection. Vous avez le droit d’y trouver des perles qui m’auraient échappé, mais je serai étonné que vous y trouviez mieux que Troilo et Fiorentino…
Te aconsejo que me olvides 1928-09-17 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.
Une chanson, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regretter le début différent de notre version de référence par Troilo et Fiorentino.
Te aconsejo que me olvides 1928-09-25 — Orquesta Francisco Canaro.
Une semaine plus tard, Canaro remet le couvert, mais sans Charlo. Cette fois, il n’omet pas le début si spectaculaire dans la version de Troilo.
Te aconsejo que me olvides 1928-10-11 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).
Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa version avec ses guitaristes. Comme pour la version avec Charlo, on regrette aussi le début. Mais on n’est pas là pour danser.
Te aconsejo que me olvides 1928-10-15 — Orquesta Francisco Lomuto.
Si vous trouviez la version de Canaro un peu planplan et soporifique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Francisco a réussi à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.
Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
C’est notre tango du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque version différente…
Te aconsejo que me olvides 1950-12-29 — Orquesta Alberto Mancione con Francisco Fiorentino.
Neuf ans plus tard, Francisco Fiorentino enregistre de nouveau le thème, mais cette fois avec Alberto Mancione. Je ne sais pas s’il faut pleurer, crier ou tout simplement se tasser dans un coin avec des bouchons dans les oreilles, mais cette version ne me semble pas du tout une réussite. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.
Te aconsejo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.
Toujours très original, Cambareri. Le bandonéon énervé n’arrive pas à faire changer le rythme de Casares, on échappe ainsi à une des versions express de Cambareri. Le résultat est mignon, sans plus.
Te aconsejo que me olvides 1954-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Juan Carlos Cobos.
El Negro Cobos qui a remplacé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dispose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résultat est très Pugliese. Dès les premières mesures San Pugliese a marqué son empreinte. Pas un tango de danse, même si je sais que certains le passeront tout de même. C’est un très bel enregistrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la merveille de Troilo et Fiorentino. En tous cas, c’est mon avis.
Te aconsejo que no le olvidas
(Je te conseille de ne pas l’oublier)
Un petit mot sur l’illustration de couverture. Le tango des années 20, on parle de lettre, l’homme qui pleure au centre me paraissait logique. Seulement, le sujet de ce tango est de tous les temps. J’ai pensé aux signaux de fumée, mais c’était compliqué à dessiner et à faire comprendre. Je suis donc resté à un moyen de communication moins ancien, le télégraphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Montmartre. Les postrévolutionnaires ne s’embarrassaient pas de considération de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sacrilège. À droite, un téléphone portable, pas de la toute dernière génération, mais qui annonce le même fatidique message. Je connais une église qui a une antenne de téléphonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télégraphe Chappe à la fin de la Révolution française.
Te aconsejo que me olvides. Quelle que soit l’époque, il y a des courriers que l’on n’aime pas recevoir… À gauche, télégraphe Chappe sur une église de Montmartre (Paris). Au centre, la forme probable de réception de la lettre et à droite, une forme plus moderne… J’espère qu’avec tout cela, vous n’oublierez pas ce tango.
Mariano Mores vous invite à danser la milonga Candombe avec Taquito militar, notre anecdote du jour. Les paroles de Gilardoni et le film de Demicheli vous donnent même les conseils pour bien la danser. Alors, pourquoi s’en priver?
Histoire de Taquito militar
Inauguré au théâtre Colon en 1952, ce titre a été utilisé dans le film La voz de mi ciudad, un film de Tulio Demicheli en 1953. Cependant, Mariano Mores a une histoire à raconter sur la création de ce titre. Voici ce que cite l’excellent site : Tangos al bardo :
« Discépolo, Tania y yo, con mi Orquesta de Cámara del Tango, habíamos sido invitados a un acto en el Ministerio (de Guerra), con la presencia del General Perón. Al terminar mi actuación se acercó un señor a quien no conocía, para pedirme que tocáramos algo más. Como solo quedábamos en el salón dos de los músicos, Pepe Corriale y Ubaldo De Lío, improvisamos los tres un tema. Al final el mismo señor me solicitó una pieza más. Entonces me puse a improvisar sobre un motivo de milonga que tenía en mente : en esa improvisación se fue desarrollando « Taquito militar ». Fue tal el entusiasmo de este señor -de quien después supe que era el General Franklin Lucero, ministro de Guerra-, que tuvimos que repetirla tres veces esa misma noche. Después, plasmé la forma definitiva y pasó el tiempo. »
Discépolo, Tania et moi, avec mon Orchestre de Chambre de Tango, avions été invités à un événement au Ministère (de la Guerre), en présence du général Perón. À la fin de ma prestation, un homme que je ne connaissais pas s’est approché de moi pour me demander de jouer autre chose. Comme il ne restait que deux musiciens dans la salle, Pepe Corriale et Ubaldo De Lío, nous avons improvisé un air tous les trois. Finalement, le même homme m’a demandé un morceau supplémentaire. Alors j’ai commencé à improviser sur un motif de milonga que j’avais en tête : dans cette improvisation s’est développé « Taquito militar ». L’enthousiasme de cet homme — dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du général Franklin Lucero, ministre de la Guerre — était tel que nous avons dû le répéter trois fois dans la même nuit. Ensuite, j’ai fixé la forme finale et le temps a passé.
Extrait musical
Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores. Cette milonga candombe encourage à frapper du pied.
Les paroles
Le tango du jour est instrumental, mais il y a des paroles ajoutées postérieurement par Gilardoni et qui décrivent la danse, telle qu’elle est présentée dans le film « La voz de Buenos Aires ». Les voici :
Para bailar esta milonga, hay que tener primeramente una buena compañera que sienta en el alma el ritmo de fuego así…
Hay que juntar las cabezas mirando hacia el suelo pendientes de su compás, dejar libres los zapatos que vayan y vengan en repiqueteo sin fin, y que mueva la mujer las caderas al ritmo caliente que da el tambor, olvidarse de la vida y del amor para bailar…
Porque en este baile insinuante hay que tener, desde el corazón palpitante hasta los pies, el repiquetear del taquito se hace obsesión, hasta que se funde en el ritmo del corazón…
Al compás de esta milonga vuelvo a ver igual que ayer un baile de meta y ponga y un vivir para querer… Un pasito atrás por aquí, otro avance más por allá, la sentada limpia y después viene el taconeo final… El candombe está en lo mejor y la moza vibra al compás, y siempre que esta milonga vuelvo a bailar, me gusta más…
Para bailar, se necesita más que nada amar la vida, porque es vida todo aquello que se agita en los compases de un candombe de mi flor y de mi amor
Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni
Traduction libre
Pour danser cette milonga, il faut d’abord avoir une bonne partenaire qui ressent dans l’âme le rythme du feu, comme ça…
Il faut joindre les têtes en regardant le sol, suspendu à son rythme, laisser ses chaussures libres d’aller et venir dans des claquements sans fin, et que la femme bouge ses hanches au rythme torride que marque le tambour, oublier de la vie et de l’amour pour danser…
Parce que dans cette danse insinuante, il faut avoir, du cœur palpitant jusqu’aux pieds, les claquements du talon qui deviennent une obsession, jusqu’à ce qu’ils se fondent dans le rythme du cœur…
Au rythme de cette milonga je revois, comme hier, une danse sans fin (meta y ponga, c’est de forme continue, sans perdre le rythme de la marche, refaire…) et vivre pour aimer…
Un petit pas en arrière par-ci, un autre pas en avant par-là, la sentada (figure de tango où l’homme fait asseoir la danseuse sur sa cuisse) et puis vient le frapper de talon final.
Le candombe est à son meilleur et la fille (serveuse) vibre en rythme, et chaque fois que je danse cette milonga, elle me plaît plus…
Pour danser, il faut plus que tout aimer la vie, car tout ce qui s’agite dans les battements d’un candombe de ma fleur (référence probable au candombe « Milonga de mi flor » de Feliciano Brunelli avec des paroles de Carlos Bahr de 1940. Gilardoni arrive au moins 13 ans plus tard, il peut donc y faire parfaitement référence) et de mon amour, c’est la vie.
Autres versions
La plus ancienne version dont nous avons une trace est l’enthousiasmante version de Mariano Mores lui-même dans le film de Tulio Demicheli ; La voz de mi ciudad, sorti le 15 janvier 1953.
La voz de mi ciudad 1953-01-15 (film argentin dirigé par Tulio Demicheli). Extrait présentant le Taquito militar.
L’affiche du film La voz de mi ciudad (la voix de ma ville). Taquito militar est indiqué à gauche, près du pont de la Boca.
Taquito militar 1953-12-07 — Orquesta Francini-Pontier.
En fin d’année, Francini-Pontier donnent une belle version, la plus ancienne en qualité « disque » et qui commence par les tambours du candombe.
Taquito militar 1954 Orquesta Roberto Caló. Oui, vous avez bien lu Calo.
C’est un des petits frères de Miguel. Ils étaient six frères : Miguel [1907-1972], Juan [1910-1984], Roberto [1913-1985], Salvador, surnommé Fredy [1916— ????], Antonio [1918— ????] y Armando surnommé Keyla [1922— ????] et tous étaient musiciens…
Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores.
Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores, c’est le tango du jour. Plus de quatre ans après la version du film, enfin disponible en disque.
Taquito militar 1954-09-06 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Ismaël Spitalnik.Taquito militar 1954-05-28 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
À chaque fois, Canaro s’enregistre une version des succès du moment. Pas étonnant qu’il soit le chef d’orchestre avec le plus d’enregistrements au compteur…
Taquito militar 1955-01-10 — Héctor Lomuto.
Une version en jazz argentino (rumba). Surprenant, non ? J’ai bien écrit Héctor Lomuto [1914-1968]. C’est le petit frère de Francisco. Les autres frères étaient Hector, Oscar, Enrique et Victor).
Taquito militar 1959 Los Violines De Oro Del Tango. Une version assez originale. Je ne vous épargne rien aujourd’hui…Taquito militar 1972 — Orquesta Donato Racciatti.Taquito militar 1976 — Horacio Salgán y Ubaldo De Lio.
Ubaldo de Lio était, si vous vous en souvenez, présent lors de « l’invention » de ce titre au ministère de la Guerre. Les deux en feront d’autres enregistrements, comme celui de 1981. Cette version est un peu folle, non ?
Taquito militar 1997 – Mariano Mores. Cette version est particulière à cause de l’utilisation de l’orgue Hammond.
J’ai commencé par un film, je termine donc par un film. Le premier film avait pour vedette Mariano Mores. Le dernier a pour vedette… Mariano Mores.
Il s’agit de la séquence finale du documentaire « Café de los maestros » réalisé en 2008 par Miguel Kohan. Petite nostalgie, dans cette séquence finale, on voit plein de visages qui ne sont plus aujourd’hui. Une page du tango a été définitivement tournée.
La couverture à laquelle vous avez failli échapper, des taquitos militares.
Ce 14 avril est un jour faste, je vous propose deux tangos du jour. Ils portent le même nom, El huracán, ils sont composés par les mêmes frères Donato et ils ont été enregistrés le même jour. La seule différence est que l’un des deux est chanté par Carlos Almada.
Extrait musical
Voici les deux tangos enregistrés par Donato, le compositeur, le 14 avril 1950, il y a 74 ans.
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada
Ces deux versions sont incroyablement différentes. Les instruments s’amusent énormément dans la première version, instrumentale. Les nuances sont plus marquées.
La version chantée par Carlos Almada a un rythme plus soutenu. La voix de Carlos Almada dit presque plus que chante les paroles. Cette version tonique décoiffe plus que la précédente, mais perd sans doute un peu de son intensité musicale. Il faudra écouter les deux.
Partition éditée en 1928.
Les paroles
El huracán desarraigó con crueldad el rosal que planté en el jardín de mi amor que cuidé con afán y, al nacer una flor, la traición le cortó sin piedad su raíz y el rosal nunca más floreció. Como al rosal mi ilusión la mató un amor de mujer que mintió. Cristo soy con mi cruz al andar, compasión solo doy al pasar. Vendaval que arrasó mi querer, huracán transformado en mujer.
Fueron sus caricias llenas de mal y traición, labios que mintieron despiadados y al besar su falsa boca se me helaba el corazón. Ilusión que se fue, amor que mató. Una mala mujer que lleva el veneno escondido en su negro corazón.
Te perdoné porque odiar yo no sé, ni rencor para ti guardaré sólo sé que su mal derrumbó el Edén que hilvané con fervor, luz de amor que jamás volverá a alumbrar a mi fiel corazón. Vago sin fe con mi cruz de dolor, hoy vivir para mí es crueldad juventud que le di sin dudar y jugó sin piedad con mi amor. Vendaval que arrasó mi querer, huracán transformado en mujer.
L’ouragan a cruellement déraciné le rosier que j’avais planté dans le jardin de mon amour que j’ai entretenu avec empressement, et quand une fleur est née, la trahison a impitoyablement coupé sa racine et le rosier n’a plus jamais fleuri. Comme le rosier, mon illusion a été tuée par l’amour d’une femme qui a menti. Christ je suis avec ma croix quand je marche, la compassion je ne donne qu’en passant. Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.
Ses caresses étaient pleines de mal et de trahison, ses lèvres qui mentaient impitoyablement, et embrasser sa bouche, fausse me glaçait le cœur. L’illusion qui s’en est allée, l’amour qui tua. Une mauvaise femme qui porte le poison caché dans son cœur noir.
Je t’ai pardonné parce que je ne sais pas haïr, je ne garderai pas de rancœur envers toi, ce que je sais c’est que ta mauvaiseté a fait s’effondrer l’Eden que j’avais arrosé avec ferveur, une lumière d’amour qui n’illuminera plus jamais mon cœur fidèle.
J’erre sans foi avec ma croix de douleur, aujourd’hui vivre pour moi, est une cruelle jeunesse que je lui ai donnée sans hésitation et que j’ai jouée sans pitié avec mon amour. Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.
Autres versions par Donato
Donato a enregistré deux versions en 1950, mais il nous a laissé également deux versions en 1932. Voici cette doublette :
El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 1.El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 2.
Pour information, c’est la version inaugurale qui a été jouée avant cet enregistrement au Salón San Martín (en 1928), plus connu sous le nom de Salón Rodríguez Peña et aujourd’hui, Teatro El Vitral. Pour mémoire, voici nos deux tangos du jour :
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada
Donato l’enregistrera une dernière fois en 1961 avec la voix d’Andrés Galarce.
El huracán 1961-11-01 — Orquesta Edgardo Donato con Andrés Galarce
Autres versions par d’autres orchestres
El huracán 1943 — Tres Guitarras Argentinas Dir. Guillermo Neira.
Une version incroyable, comment les guitares virtuoses arrivent à produire le son de la tempête. Maintenant, un orchestre dont on pourrait qu’il soit à la mesure du défi de la tempête, celui de Juan D’Arienzo.
El huracán 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo produit une belle prestation, notamment grâce au piano de Fulvio Salamanca.El huracán 1948-09-21 — Orquesta Alfredo De Angelis.
De Angelis, avec son piano encore plus présent que dans la version de D’Arienzo de 1944 donne une belle version. Le rendu de la tempête avec les cordes rendant l’effet de vent en compagnie du piano est assez différent. Une version qui défile, emportée par le vent, jusqu’à la dernière note.
El huracán 1952 — Orquesta Tito Martín.
Pour représenter les années 50, j’ai choisi l’orchestre de Tito Martín, rarement diffusé en milonga. Il faut dire qu’il s’inscrit dans la lignée de ces orchestres à la manière de D’Arienzo et que donc on peut (doit ?) préférer passer l’original. Cependant, il ne démérite pas et je pense que beaucoup de danseurs ne remarqueront pas qu’il ne s’agit pas de D’Arienzo… Ah ! vous pensez que l’on ne peut pas tromper les danseurs ? Lisez cette anecdote jusqu’au bout et vous serez surpris…
El huracán 1967 — Orquesta Fulvio Salamanca.
L’ancien pianiste de D’Arienzo fait sa version personnelle, assez originale. Il récidivera avec une version semblable 8 ans plus tard.
El huracán 1973 — Orquesta Florindo Sassone.
Sassone, toujours à la recherche du temps perdu. Sa recherche de joliesse nuit sans doute à la force du message. Pour moi, ce n’est pas une version convaincante. Le vent manque de conviction, difficile de se faire emporter comme le rosier par son souffle.
El huracán 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. by Carlos Lazzari.
La majorité des DJ passent ce titre en annonçant qu’il est de D’Arienzo. C’est bien sûr faux, D’Arienzo étant mort en 1976, soit plus de 11 ans avant cet enregistrement… Cependant, le chef d’orchestre est Carlos Lazzari, bandonéoniste et arrangeur de D’Arienzo dans ses dernières années. Les musiciens sont également en grande partie ceux de l’orchestre. C’est donc un héritage et le mensonge n’est pas trop fort. Cela permet de proposer une version plus énergique que celle de 1944, qui est un peu décevante sur ce point, bien que tout à fait convenable pour la danse.
Je vous laisse donc tourbillonner aux sons du terrifiant ouragan qui déracine les rosiers.
Vous pouvez continuer avec la plupart des orchestres contemporains qui continuent d’enregistrer de nouvelles versions de ce titre, la plupart dans l’esprit de D’Arienzo, mais le mieux, c’est de les danser en présence des orchestres, ce qui est possible très souvent à Buenos Aires.
Je vous jure que je ne prends aucune drogue, mais j’ai voulu personnaliser l’ouragan…Celui-ci fait peur, non ?
José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)
On se damnerait pour ce tango de José Dames. Sa musique subtile et élégante remue l’âme et on ne peut cacher son émotion en le dansant. Les paroles d’Horacio Sanguinetti expliquent la puissance de la musique en révélant la bien triste histoire de celui qui étant parti ne retrouve pas son amour en revenant.
Extrait musical
Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Le piano de Di Sarli lance les deux premières notes, deux accords puis la mélodie démarre ascendante, alternant les parties percutées et les parties glissées. Comme si deux émotions se partageaient la musique. Les vagues se relancent les unes après les autres, que ce soit au violon ou à la voix. La musique reste tout le temps, dansante, même lors des passages plus glissés. La fin se fait dans un ralentissement et se termine avec la voix de Podestá qui chante « amor ». En fait, il reste un petit paquet de notes au piano qui ponctuent la fin, un peu à la manière de Caló, Caló que vous pourrez entendre dans le chapitre « autres versions ». Mais pour l’instant, intéressons-nous aux belles et poignantes paroles d’Horacio Sanguinetti.
La partition pour piano. À droite, la couverture avec Alberto Podesta et à droite, avec un certain Jorge Novoa, chanteur d’Odéon, mais qui est plutôt un inconnu. J’imagine qu’il a payé pour être en couverture de la partition…
Les paroles
He llegado hasta tu casa… ¡Yo no sé cómo he podido! Si me han dicho que no estás, que ya nunca volverás… ¡Si me han dicho que te has ido! ¡ Cuánta nieve hay en mi alma! ¡Qué silencio hay en tu puerta! Al llegar hasta el umbral, un candado de dolor me detuvo el corazón.
Nada, nada queda en tu casa natal… Sólo telarañas que teje el yuyal. El rosal tampoco existe y es seguro que se ha muerto al irte tú… ¡Todo es una cruz! Nada, nada más que tristeza y quietud. Nadie que me diga si vives aún… ¿ Dónde estás, para decirte que hoy he vuelto arrepentido a buscar tu amor? Ya me alejo de tu casa y me voy ya ni sé dónde… Sin querer te digo adiós y hasta el eco de tu voz de la nada me responde. En la cruz de tu candado por tu pena yo he rezado y ha rodado en tu portón una lágrima hecha flor de mi pobre corazón.
José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)
Raúl Iriarte ne chante que ce qui est en gras et pas le dernier couplet. Alberto Amor et Alberto Podesta font de même, mais reprennent la fin du refrain (en bleu) pour terminer.
Traduction libre
Je suis arrivé à ta maison… Je ne sais pas comment j’ai pu le faire ! S’ils m’ont dit que tu n’y es pas, que tu ne reviendras jamais… S’ils m’ont dit que tu es partie ! Que de neige il y a dans mon âme ! Quel silence il y a à ta porte. Alors que j’atteignais le seuil, un verrou de douleur a arrêté mon cœur.
Rien, rien ne reste dans ta maison natale… Seulement les toiles d’araignées que la végétation tisse. Le rosier n’existe pas non plus, et il est certain qu’il est mort par ton départ. Tout est une croix ! Rien, rien que de la tristesse et du calme. Personne pour me dire si tu vis encore… Où tu es, pour te dire qu’aujourd’hui je suis revenu repentant pour chercher ton amour ?
Je m’éloigne de ta maison et je m’en vais, je ne sais où… Sans le vouloir, je te dis adieu et jusqu’à l’écho de ta voix, sortie du néant, me répond. Sur la croix de ton verrou pour ta douleur, j’ai prié et une larme a roulé sur ta porte et fait fleurir mon pauvre cœur.
Autres versions
Nada est le titre de l’année 1944. Ses trois meilleures versions sont de cette année et je n’ai pas envie de vous proposer celles qui ne sont pas au même niveau ou pas dansables, notamment celles des années 60, comme Julio Sosa (1963), Fulvio Salmanca avec Luis Roca (1964), Juan D’Arienzo avec Jorge Valdez (1964), ou celles que Calo fera en 1965 avec Raúl del Mar ou en 1966 avec Ledesma (en vivo). Voici donc, par ordre chronologique, les trois versions enregistrées en deux mois, en 1944.
Nada 1944-03-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.
Comme Di Sarli, Caló commence par un « Ploum plum », puis expose avec notamment les cordes et quelques accents du piano le thème. Le bandonéon pleure à 0 h 47, puis à 1 h 5 commence Raúl Iriarte. Le rythme est bien marqué, notamment par des cordes percutées, cette marcation s’altère pour laisser la place aux passages émouvants. Le thème se termine par un joli trait de bandonéon et la fin classique de Caló égrenée au piano.
Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.Nada 1944-05-09 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.
Le début est également un « ploum ploum, ou plutôt un « tchac tchac » incisif. Le tempo est beaucoup plus soutenu que dans les deux autres versions. Malgré la jolie voix et l’interprétation de Alberto Amor, on perd un peu d’émotion, mais l’énergie de Biagi rend le titre très dansant.
Pour ma part, c’est la version de Di Sarli que je préfère, suivie de celle de Caló et enfin celle de Biagi. Je peux passer les trois en milonga, selon l’énergie et les circonstances du moment. Les DJ ont à leur disposition ces trois merveilleux enregistrements pour renouveler le bonheur des danseurs.
Sondage. Quelle est votre version préférée ?
L’histoire à laquelle vous avez failli échapper
Je n’ai pas envie de détruire la magie de ce tango magnifique en vous contant des histoires sur l’auteur des paroles, Horacio Basterra, alias Horacio Sanguinetti. Je laisse ceux que ça intéresse s’en charger. Sachez seulement qu’on a perdu sa trace et que différentes hypothèses essayent d’expliquer sa disparition, notamment qu’il aurait tué son beau-frère militaire et qu’il se serait enfui du pays. Je ne retiens que la fin de cette histoire. S’il a quitté l’Argentine, c’est pour retourner au pays (l’Uruguay) pour essayer de retrouver celle qui lui a inspiré Nada. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. FIN.
Les images auxquelles vous avez failli échapper
Songeant à la politique actuelle en Argentine, j’ai pensé au lion aveugle (lo que no ve) et à la ville envahie par les lianes serpents et qui vont faire qu’il ne restera rien, nada.Là, c’est un peu plus tard, un astronaute est de retour à la maison et il ne reste vraiment plus rien. Je l’imagine disant « M’enfin », comme Gaston Lagaffe ayant joué du Gaffophone. M’enfin, Lagaffe et son Gaffophone, d’après André Franquin…
On reste avec Vicente Greco comme compositeur et Julián Porteño pour les paroles. Ce sont eux qui nous avaient donnéRodríguez Peña hier. La Viruta avec une majuscule c’est une célèbre milonga de Buenos Aires. Mais le terme de viruta est délicieusement polysémique. Nous allons voir cela à partir de cette version fort surprenante délivrée par Sassone, il y a seulement 54 ans et 58 ans après l’écriture du titre.
Viruta, tu es qui, tu es quoi ?
En bon espagnol, une viruta, c’est un copeau de bois ou de métal. Faire un tango sur ce sujet, cela semble un peu léger. On se souvient cependant que dans Arrabalera 1950-10-03 par le Quinteto Pirincho, Canaro intervient à deux reprises. La première fois, il lance : « Sácale viruta al piso, hasta romper los zapatos ». Enlève le copeau au plancher, jusqu’à briser les chaussures. Il est à noter que les paroles sont normalement « hasta romper los tamangos », tamangos est un synonyme de zapatos (avec parfois une acception de vieilles chaussures, mais pas forcément et certainement pas dans ce cas). Enlever le copeau du bois, c’est danser avec énergie, éventuellement bien. C’était particulièrement adapté au style canyengue. D’autres textes font référence à la viruta dans ce sens, comme un texte de Cadicamo, Villa Urquiza, chanté par Adriana Varela accompagnée par Néstor Marconi « Se va por un compromiso, Don Benito Avellaneda, pero “Finito” se queda pa’ sacar viruta al piso… » (dernier couplet). Mais revenons à Arrabalera de Canaro (attention, pas la version de Tita Merello qui a été composée par Sebastián Piana et Cátulo Castillo, dont le seul point commun est d’avoir été joué par Canaro qui accompagne Tita Merello. Vous suivez toujours ? Bravo ! On parle beaucoup moins de cette seconde phrase dite par Canaro dans cette milonga.
Détail de la partition de Arrabalera de Francisco Canaro et Rosendo Mendizába. Le passage « chanté » par Canaro. La première ligne est dite vers le milieu de la milonga et la seconde, lors de la reprise, vers la fin de la milonga.
Cette fin est un peu coquine, ou pas : « Sácale, el hilo a esa chaucha, si es que tienes buenas uñas ». En effet, si les paroles peuvent paraître bénignes, puisqu’il s’agirait de retirer le fil des haricots à condition d’avoir de bons ongles. Mais ce serait oublier les doubles sens chers au lunfardo. La chaucha est aussi le pénis et Canaro prononce hilo (le fil) un peu comme virú, sans doute pour rappeler viruta.
Arrabalera 1950-10-03 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro
Une viruta, cela peut aussi être un petit truc sans importance, un homme insignifiant, voire un rouleau de billets que l’on peut sortir de sa chaucha (haricot, mais ici le portefeuille). Je vous avais annoncé plein de sens possible. Le compte est bon. Alors, voici la musique annoncée :
Extrait musical
La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone
Le moins que l’on puisse dire que la musique est un peu grandiloquente, ou plutôt, qu’elle est un mélange de passages épiques et d’autres, plus anecdotiques.
Cela pourrait donner de la variété et donc être intéressant pour la danse, mais il y a de petits problèmes. Le premier est que les changements d’ambiance sont un peu difficiles à deviner si on ne connaît pas déjà le titre et l’autre est que malgré cette variété, on a une impression de monotonie.
Les paroles
Même s’il n’existe a priori pas de version avec les paroles chantées, il y a bien des paroles écrites en 1912 par Julian Porteño.
Con la punta del zapato, bailando así, tu nombre, prenda, quiero escribir sobre el encerado de este salón, al compás del tango. Ni el tiempo lo va a borrar, pues ha de quedar grabado fiel en mi corazón, porque la pasión que se anida en el es noble como tu varón.
Seguime en el vaivén del tango embriagador, viruta de placer, canción de nuestro amor. Seguime en el tanguear, vibrando de ilusión, tu cuerpo unido al mío, corazón a corazón.
Vicente Greco Letra: Julian Porteño
Traduction libre et indications
Avec la pointe de ma chaussure, dansant ainsi, ton nom, femme (prenda, c’est le vêtement, mais en lunfardo, c’est aussi la femme), j’ai envie d’écrire sur l’enfermement de ce salon, au rythme du tango. Même le temps ne l’effacera pas, car il faut qu’il reste fidèlement gravé dans mon cœur, parce que la passion, celle qui se niche en lui est noble, comme ton homme. Suis-moi dans le balancement du tango enivrant, Un éclat de plaisir, chanson de notre amour. Suis-moi dans le tango, vibrant d’illusion. Ton corps uni au mien, cœur à cœur.
Grâce à ce texte « oublié », on a la signification du nom du tango. Il s’agit d’un éclat de plaisir, mais rien n’interdisait aux auditeurs de l’époque de penser à la viruta à enlever du plancher en dansant comme un Dieu… ou à la viruta (rouleau de billets) qu’il faudra sortir de la chaucha pour payer ses petits plaisirs.
La milonga, la Viruta
Il y a à Buenos Aires, une milonga assez différente, La Viruta. Elle a plusieurs particularités par rapport aux autres milongas de Buenos Aires.
On y danse dans la pénombre. Cela ne dépaysera pas certains européens qui pensent que le tango se danse dans l’obscurité, ce qui est tout le contraire pour la majorité des portègnes qui souhaitent voir les danseurs et surtout pouvoir faire la mirada dans de bonnes conditions, la mirada est presque impossible à faire à la Viruta.
Elle est gratuite après deux heures du matin, ce qui permet à de nombreux jeunes de venir occuper la piste sans se ruiner. Il est toutefois à noter que ces jeunes dansent sur la même musique que leurs grands-parents et que s’ils dansent de façon virtuose, ils respectent les lignes de danse et l’espace des voisins, notamment en effectuant leurs figures dans un cylindre qui se déplace autour de la piste avec régularité et pas dans des mouvements browniens.
Il y a des médialunas (viennoiseries en forme de croissant) à la fin de la nuit.
C’est un des hauts lieux du folklore. Cela peut paraître surprenant vu le public plus jeune, mais toutes les milongas, ou presque proposent des intermèdes de folklore.
On la trouve à Armenia 1366, au siège de l’association culturelle arménienne.
Un OVNI pour parler de la milonga La Viruta de Buenos Aires.
Otra noche en la Viruta 2007 — Otros Aires (Miguel Di Génova, Omar Massa ; Diego Ramos Letra : Miguel Di Génova).
Comme quoi, il n’y a pas que Sassone qui sait faire des musiques ennuyeuses, mais là vous avez en prime une vidéo kitch. La milonga « la Viruta » de Buenos Aires mériterait un hommage plus sympathique…
Autres versions
Ce titre a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose quelques-unes par ordre antéchronologique de la version de Sassone à la plus ancienne en stock.
La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone. C’est le tango du jour.La viruta 1967-07-04 — Orquesta Héctor Varela. Une version énergique et boum boum, qui rappelle la version contemporaine de l’année d’avant par D’Arienzo. La viruta 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo. Énergique, mais D’Arienzo ne faisait pas grand-chose d’autres dans les années 60…La viruta 1957-09-27 — Orquesta Osvaldo Fresedo. Je vous vois venir, vous allez penser que Fresedo a copié sur Sassone et Varela. Eh bien, non, regardez la date, c’est enregistré dix ans plus tôt. Ceux qui pensent que Fresedo, c’est uniquement la vieille garde se trompent.La viruta 1952-12-12 — Orquesta Carlos Di Sarli. Même Di Sarli met beaucoup d’énergie dans cette version. Une assez jolie version, même si les enregistrements de 18 952 ne sont pas les meilleurs sur le plan technique. La viruta 1948-07-22 — Orquesta Rodolfo Biagi. Une superbe version avec un Biagi qui fait des vagues au piano. Sans doute une des plus belles versions. À comparer à celle qu’il a enregistrée douze ans plus tôt avec D’Arienzo. La viruta 1947-05-16 – Orquesta Alfredo Gobbi. L’orchestre d’Alfredo Gobbi n’est pas très apprécié des danseurs, mais cette version de La viruta ne démérite pas.La viruta 1943-08-05 — Orquesta Carlos Di Sarli, toujours en remontant le temps, on retrouve un Di Sarli au compas marqué de façon plus sèche. Il n’a pas encore le « zoom » qui fait entrer de façon progressive les attaques de ses violons.La viruta 1938-12-13 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. Une version plus calme, plutôt joli. Légère par la taille de l’orchestre (quintette). En plus cette version est très joueuse. Elle devrait donc plaire à beaucoup de danseurs, malgré son air un peu ancien, mais plutôt reposant après les gros pavés que nous venons d’entendre.La viruta 1936-12-30 — Orquesta Juan D’Arienzo. On retrouve Biagi, cette fois sous la coupe de D’Arienzo. Le piano est bien plus timide que dans l’enregistrement de 1948, mais il y a quelques petites fioritures « à la Biagi » qui permettront aux danseurs qui connaissent bien le titre, de les marquer.La viruta 1933-11-09 — Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad. Une version avec des « fusées de feu d’artifice » (comme dans fuegos artificiales). Le compas est toujours présent, mais sait se faire discret pour laisser la parole aux instruments solistes. Les attaques des violons évoquent celles de D’Arienzo. Le résultat est un peu répétitif, mais ce titre pourra plaire aux amateurs de versions peu connues et limite canyengue. En France, il a notamment joué à Paris, justement au Bagdad (168, rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8°). Son petit neveu, Mario Orlando est DJ de tango à Buenos Aires.
Miguel Orlando – (ND-1955). Photo réalisée en France à l’époque om les musiciens étrangers devaient se présenter en costumes de leur pays.
La viruta 1928-07-02 — Orquesta Luis Petrucelli. Une version qui devient tout de même un peu ancienne, mais il y a des sons des violons qui méritent d’être entendus.La viruta 1913 — Cuarteto Juan Maglio « Pacho ». Et on termine par l’arrière-grand-mère de toutes ces versions. Un rythme soutenu et de jolies notes de flûtes. Peut-être un peu monotone, les différentes reprises sont comparables, même si un petit changement apparaît sur les dernières mesures.
Voilà, nous sommes arrivés au terme du voyage.
Rien ne vous empêche maintenant de faire des sauts dans le temps pour retrouver votre version préférée.
Vicente Greco Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño) ; Juan Miguel Velich ; Rafael (Ralph) Velich; Chamfleury & Liogar…
Il s’agit de la deuxième version du thème Rodríguez Peña, enregistrée par Di Sarli, celle du 8 avril 1952. Comme il l’a enregistré trois fois en 1945, 1952 et 1956, nous allons voir comment il a évolué durant ces onze années… Ce thème a eu beaucoup de succès et les paroliers se sont battus pour apporter leurs propres paroles. Mais là, on s’en moque, car c’est une version instrumentale…
Extrait musical
Partition pour piano de Rodríguez Peña dédicacée à la muchachada de Rodríguez Peña. C’est-à-dire au groupe des amis, aux muchachos du salon.Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di SarliÀ gauche, une partition dédicacée à la Muchachada de Rodríguez Peña, mais avec la mention « Par l’auteur infructueux, pas assez reconnu » (malogrado). Ensuite, deux partitions françaises des éditions Garzon. La première rappelle le succès du titre par Bachicha. On notera que le tango s’appelle « Monsieur Rodriguez ». Je vous fais grâce des paroles, nous en aurons bien assez avec les trois versions argentines…
Les trois versions de Di Sarli
Rodríguez Peña 1945-01-03 — Orquesta Carlos Di SarliRodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di SarliRodríguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di SarliLes trois versions de Di Sarli, en image. 1945, 1952, 1956 en HD et en MP3…
On remarque, dans la partie verte, que les répartitions des fortissimi et des piani sont égales. Dans la quatrième vignette, en bas à droite, c’est la version de 1956, en MP3. Alors que, dans la vignette en bas à gauche, on a des fréquences supérieures à 15 kHz, à droite, en MP3, c’est à peine si on atteint les 10 kHz. C’est la raison pour laquelle je préfère utiliser la musique que je numérise moi-même à partir des disques 78 tours.
Les trois débuts
Je vous laisse comparer les trois versions, si possible dans des versions de bonne qualité, mais dès le début, les différences sont énormes entre les versions. C’est d’ailleurs étonnant de voir les erreurs dans les partages de certains « DJ » qui confondent les trois versions, voire des éditeurs qui indiquer 2e version, tantôt pour celle de 1952 ou celle de 1953. Voici visuellement les trois débuts :
Les débuts (30 secondes environ) des trois versions par ordre chronologique. En violet, 1945, en bleu, 1952 et en jaune 1956.
On voit facilement que la version de 1956 dure plus longtemps que celle de 1952, qui dure plus longtemps que celle de 1945. En effet, entre les trois versions, le tempo se ralentit et c’est très net à l’écoute. Carlos Di Sarli baisse énormément la vitesse entre 1945 et 1956. On voit aussi que les attaques de 1952 et 1953 sont plus fortes que celle de 1945. Celle de 1956 est forte, mais démarre de façon moins abrupte que celle de 1952, par un ZOOOOM qui monte en force progressivement et qui est typique de Di Sarli de la seconde partie des années 50. On n’a presque pas besoin d’écouter la musique, tout est dans l’audiogramme 😉 Si, si, il faut écouter. Je vous propose donc ici les trois débuts enchaînés et par ordre chronologique.
Rodríguez Peña, mixage des trois introductions. 1945, puis 1952, puis 1956
Paroles
Il s’agit d’une version instrumentale, mais il y a des paroles qui permettent de lever le doute. Ce tango ne parle pas du président argentin, mais d’un établissement où se jouait le tango et qui était dans la rue Rodríguez Peña au 344. Son véritable nom était Salón San Martín. Nous l’avons évoqué récemment à propos du tango Pasado-florido-1945-04-04. Les paroliers se sont mis à trois, mais ce ne sont pas des textes inoubliables…
Julián Porteño (Ernesto Temes)
Juan Miguel Velich
Juan Miguel Velich et Rafael (Ralph) Velich
Noches del salón Rodriguez Peña, donde bailé llevando en brazos un buen querer que hoy añora mi corazón, recuerdos…nostalgias de volver a aquellos tiempos bravos de juventud y entreverarme en el vaivén del tango aquel. Fue en Rodriguez Peña que por ella me jugué la vida, y conquisté feliz su corazón. Fue en Rodriguez Peña que una noche la dejé arrullado por otra pasión. Llegan tus compases viejo tango,a reprocharme, ahora que estoy solo añorando su querer, ella fue mi dicha y mi ilusión, Rodriguez Peña, en noches porteñas que ya nunca olvidaré.
Llora mi corazón en el silencio del arrabal al ver que todo cambiado está. Honda recordación del romancesco pasado aquel que tanto amé.
Adiós, Rodríguez Peña de mi alegre juventud. Rincón que al evocar me acerca al tierno bien que fuera como un astro del hermoso ensueño azul que en mi rodar incierto no olvidé y mi tango que se hermana con mi gran sentir suspira al comprender que ya no volverán las tardes y las noches que contento compartí con los muchachos de ese tiempo ideal.
Tango de mis glorias, que repito con mi fiel canción, tango que sonriendo con mi diosa lo bailé. Quiero, tango lindo, que me arrulles con tu dulce voz, como aquellos días venturosos del ayer.
Suelta hasta el zorzal su honda centinela, y su canción es tétrico gemido que al corazón oprime de pena. Música dos compases. Viendo cómo se fue el tiempo tan florido que ayer vivió el arrabal.
El Rodríguez Peña, templo bravo, espiritual, en la transmutación del lindo tiempo aquel ha perdido de las paicas el tanguear sensual y al taitaje que brilló en él. Hoy sólo queda el recuerdo que cantando va el sin igual valor de nuestra tradición, y jamás del alma el progreso borrará aquel pasado de empuje y de acción.
Te hirió el progreso, mi Rodríguez Peña divinal, pero es triste orgullo el querer prevalecer, si su alma es tuya, que es el tango himno de arrabal, que con sus notas canta las purezas del ayer.
Traduction libre de la version de Julián Porteño (Ernesto Temes) Les nuits du salon Rodríguez Peña, où j’ai dansé tenant un bon amour dans les bras Que mon cœur désire ardemment aujourd’hui, souvenirs… Nostalgies de revenir à ces temps de la jeunesse et me laisser emporter par le balancement de ce tango.
Ce fut au Rodríguez Peña que, pour elle j’ai joué ma vie, et conquis, heureux, son cœur.
Ce fut au Rodríguez Peña qu’une nuit je l’ai quittée bercé par une autre passion.
Tes compas arrivent, vieux tango, pour me faire des reproches, maintenant que je suis seul, désirant ardemment son amour. Elle était mon bonheur et mon illusion, Rodríguez Peña, dans les nuits portègnes que jamais j’oublierai.
Metteur en scène : Louis Joseph Gasnier Scénario Alfredo Le Pera.
Melodía de arrabal, c’est le retour de Carlos Gardel au cinéma dans un film réalisé par le réalisateur français, Louis Joseph Gasnier. Comment un film français, réalisé en France, nous apprend ce qui se passait dans le milieu du tango argentin au début du vingtième siècle.
Bien sûr, ce film n’est pas un documentaire et on pourrait considérer qu’il exploite des clichés sur le tango portègne. Cependant, ces mêmes clichés sont ceux qui nourrissent les paroles et l’imaginaire des tangos, imaginaire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagarreurs séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révèlent avoir du caractère ou d’autres aspirations. À ceux qui peuvent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs argentins ou espagnols par une société américaine (Paramount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapide du tango. Je vous propose aujourd’hui quelques éléments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sorti au cinéma le 5 avril 1933.
Les acteurs
Carlos Gardel (Roberto Ramírez), Imperio Argentina (Alina), Vicente Padula (Gutiérrez), Jaime Devesa (Rancales, le truand), Helena D’Algy (Marga), Felipe Sassone (Empresario), Manuel París (Maldonado), José Argüelles (Julián), Josita Hernán.
Carlos Gardel et Imperio Argentino à l’époque du tournage du film (fin 1932).
L’intrigue
Roberto Ramírez, interprété par Carlos Gardel, est un vaurien qui vit dans les cafés de la banlieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tango. Alina (jouée par Imperio Argentina) qui est professeur de chant l’entend chanter et lui conseille de se lancer dans le métier. Roberto Ramírez (Gardel) décide de suivre ses conseils et d’améliorer sa vie. Malheureusement, il tue accidentellement un truand qui menaçait de dévoiler ses mauvais penchants à Alina, qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux). Si on passe les péripéties de l’enquête policière (dont le rebondissement final est amusant), on notera qu’Alina cherche à faire entendre Roberto, son protégé à un producteur joué par Felipe Sassone. Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoiler en public, mais le producteur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui. Lors de cette soirée, le producteur fait chanter Alina, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter. Si on me permet cette audace, c’est aussi lors de cette soirée que le truand Rancales essaye également de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il terminera mort dans une scène à la Agatha Christie. C’est un succès, le producteur fait venir Gardel, pardon, Roberto dans son théâtre et l’y fait chanter. C’est là qu’il va chanter Silencio avec beaucoup de succès. C’est nettement le temps fort du film. On comprendra pourquoi en lisant ma notice sur Silencio… La version du film que je propose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arrabal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exemple, quand Rancales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Alina, qui lui avait proposé de l’aider à chanter. On le sait uniquement par un dialogue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le changement de costume est censé nous renseigner. Le film se termine en parfait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Roberto (Melodía de arrabal) tournant sur un gramophone et la caméra qui se lance dans un long traveling arrière symétrique du traveling du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devanture du magasin de disque. Le mot « fin » apparaît sur le sol. Gardel, (Roberto) est devenu chanteur de tango…
Quelques points de repère et moments forts du film
Cliquez sur les vidéos, vous irez directement au moment sélectionné. Ne vous fiez pas à l’image qui est toujours la même, vous irez bien au point indiqué en cliquant sur l’image.
Le film commence après un panoramique sur un long traveling avant qui suit Carlos Gardel (Roberto) jusqu’à un magasin de disques. Quelques personnes sont autour d’un phonographe qui passe une version instrumentale de Melodía de arrabal. Gardel qui est entré y rencontre Imperia (Alina). Il lui propose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Roberto lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la croisera. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance reconstitué dans un studio de la région parisienne des lieux portègnes du début du vingtième siècle. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chantée par Imperio Argentina et Carlos Gardel en Duo. Une perle ! José Sentis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et compositeur né en Espagne. Il fut un des pionniers du tango à Paris. Ce titre témoigne de ses origines. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le barman utilise un shaker comme des maracas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Continuez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de maison (le producteur) arrête la musique sur laquelle les gens dansaient pour annoncer l’intermède. On voit donc un bal privé utilisant des disques. À la suite chante donc Imperio Argentina qui s’accompagne au piano. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuando tú no estás, une chanson chantée par Carlos Gardel accompagné au piano par Imperio Argentina. (Carlos Gardel et Marcel Lattés pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles). https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silencio, par Carlos Gardel (Musique Carlos Gardel et Horacio G. Pettorossi, paroles Alfredo Le Pera et Horacio G. Pettorossi). Nous avons présenté ce merveilleux titre dans une anecdote du jour Silencio. Remarquez à l’arrière-plan la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arrabal, cette fois sur le disque qu’il a enregistré. C’est la fin du film. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872
Quelques affiches et pochettes de DVD…
Vous pouvez les regarder en écoutant, deux versions très différentes.
Melodía de arrabal 1933-04-17 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silencio, publie “la musique du film » dans sa version. Un bon marketing, c’est toujours utile, non ? En plus, c’est une version de danse, alors, on ne va pas bouder son plaisir.Melodía de arrabal 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi J’aime bien la glose initiale. Et cette version est sympathique.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) paroles et musique
Aujourd’hui, un tango un peu rare, car il n’a été enregistré qu’une fois et par un orchestre peu passé en milonga, avec un chanteur encore plus rare. En revanche, les paroles et la musique sont par le fameux Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo). Elles parlent du Buenos Aires disparu et de quelques souvenirs qu’il peut être intéressant de réviser…
Extrait musical
Pasado florido 1945-04-04 — Orquesta Ricardo Malerba con Antonio Maida
Les paroles
Buenos Aires, has cambiado como yo cambié de a poco. Soy del tiempo de tus focos, los primeros que hubo a gas. Yo bailé en Rodríguez Peña, con la orquesta de los Greco y hasta aquí me llega el eco y me enciende su compás…
Yo me acuerdo del T.V.O., de la calle Montes de Oca, de un café que había en La Boca, donde Arolas empezó. Y de Andrade, buen amigo, que en un baile lo mataron… ¡Esas cosas ya pasaron pero tienen su emoción!
De aquel pasado florido de mil novecientos once, viene el recuerdo querido en ancas de aquel entonces… La noche cuando Manolo me provocó con los Vieyra y como yo estaba solo no quise hacerme el Moreyra. Si hubiese vivido Andrade no queda ni uno, esa vez.
Cuántas noches nos largamos con Cielito y con Ceballos en los coches de caballos, por tus calles a pasear… Y una vez, cuando entre copas, por hacer un chiste de antes fui a sentarme en el pescante y me puse a manejar… Buenos Aires de Fray Mocho y de Caras y Caretas en tus plazas sin retretas, hoy me pongo a suspirar… Y al mirar como has cambiado, mi Buenos Aires querido por aquello que he vivido, siento ganas de llorar.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) paroles et musique
Traduction libre et indications
Buenos Aires, tu as changé comme j’ai changé, peu à peu. Je suis de l’époque des réverbères, les premiers qui étaient au gaz. J’ai dansé à Rodríguez Peña,
Salón San Martín (calle Rodríguez Peña 344) actuellement le théâtre El Vitral.
avec l’orchestre Greco (Vicente Greco dit Garrote, Bandonéiste, chef d’orchestre et compositeur. 1888-1924). Et c’est aussi loin que l’écho m’atteint et tourne sur son rythme… Je me souviens du T.V.O., rue Montes de Oca, (Un tango de Adela del Valle [1897-19 ??] se nomme ainsi, sans doute en souvenir du même établissement. T.V.O. = Te veo [je te vois]. La rue Montes de Oca était dans le quartier à l’époque chic de Buenos Aires, Barracas. C’est encore quelque chose qui a changé, Barracas ayant une mauvaise réputation aujourd’hui).
T.V.O (Té Veo) — Adela del Valle
d’un café de La Boca, où Arolas a fait ses débuts.
(On a vu à propose de Lorenzo que le Tigre du bandonéon [Arolas] rodait du côté du Café Royal, plus connu sous son surnom de Café del Griego).
Tito Roccatagliata (violoniste et compositeur) avec Arolas (chef d’orchestre, bandonéoniste et compositeur) et Roberto Firpo (chef d’orchestre, compositeur et pianiste).
Et Andrade, un bon ami, qu’ils ont tué dans un bal… (Il n’est pas le seul… Peut-être un Brésilien). Ces choses-là c’est du passé, mais elles ont leurs émotions ! De ce passé fleuri de mil neuf cent onze, le cher souvenir vient sur le dos (du cheval) de l’époque… La nuit où Manolo (les paroles écrites en 1983 par Pedro Colombo pour le tango « Manolo » semblent conter cette histoire) m’a provoqué avec les Vieyras Et comme j’étais seul, je ne voulais pas jouer le Moreyra. Si Andrade avait vécu, il n’en serait pas resté un seul, cette fois-là. (beaucoup de candidats possibles, je n’arrive pas à la départager). Combien de nuits sommes-nous partis avec Cielito et Ceballos dans des voitures à chevaux, nous promener dans tes rues… Et une fois, entre deux verres, pour faire une blague d’antan, je suis allé m’asseoir sur le siège et j’ai commencé à conduire… Buenos Aires de Fray Mocho (José Ciriaco Alvarez [1858 –1903] écrivain et journaliste)
Fray Mocho (José Ciriaco Alvarez) [1858 –1903] écrivain et journaliste
et Caras y Caretas (Revue fort intéressante et qui malgré quelques éclipses, continue d’être publiée aujourd’hui) vos places sans spectacles de rue, aujourd’hui je commence à soupirer… Et en voyant à quel point tu as changé, mon Buenos Aires bien-aimé, à cause de ce que j’ai vécu, j’ai envie de pleurer.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo)
Cadicamo, (Rosenda Luna ou Yino Luzzi) a vécu tout le vingtième siècle. Du 15 juillet 1900 au 3 décembre 1999). Il a composé et/ou écrit les paroles de plus de 800 titres, majoritairement des tangos, mais aussi d’autres rythmes Quelques exemples parmi le plus connus : A mí no me hablen de penas Tango (1940) A otra cosa che pebeta Tango A pan y agua Tango A quién le puede importar Tango Adiós [d] Poema lunfardo Adiós Arolas (Se llamaba Eduardo Arolas) Tango (1949) Adiós Chantecler Tango Al mundo le falta un tornillo Tango (1933) Almita herida Tango Anclao en París Tango (1931) Angel Vargas el ruiseñor Tango Apología tanguera Milonga (1933) Aquellos tiempos Tango Araca llegó Novarro Tango Argañaraz (Aquellas farras) Tango (1930) Ave de paso Tango (1937) Bailongo Tango Bandera baja-Ella se reía Milonga Baquiano pa’ elegir Tango (1930) Baraja de amor Tango Barajando recuerdos Tango Berretín Tango (1928) Bichitos de luz Tango Boedo y San Juan Tango Boleta Tango Brindemos compañero Tango Brumas Tango Cabaret Tango Café de Barracas (No) Tango Café Nacional Poema lunfardo Calandria (Dejá el bodegón) Tango Callejera Tango (1929) Cambiá de vida Tango (1938) Canción del inmigrante Tango Cancionera Tango Carnavales de mi vida (Mosca muerta) Tango Carpeta Tango Charmaine Vals Che Bartolo Tango (1928) Che papusa oí Tango (1927) Cherí Canción Cien años Canción Colombina (Teresita) Tango Como un sueño Tango Compadrón Tango (1927) Copas, amigas y besos Tango (1944) Cortando camino Vals (1941) Cruz de palo Tango (1929) Cuál de los dos Tango Cuando miran tus ojos Vals Cuando tallan los recuerdos Tango (1943) Cumplido Tango De todo te olvidas (Cabeza de novia) Tango (1929) Descarte Milonga Desvelo (De flor en flor) Tango (1938) Dice un refrán Tango (1942) Dolor milonguero Tango Dos en uno Tango El bar de Rosendo Tango El beso aquel Tango El cantor de Buenos Aires Tango (1936) El cuarteador Tango (1941) El llorón Tango El Morocho y el Oriental (Gardel-Razzano) Milonga (1946) El que atrasó el reloj Tango (1933) El teléfono Tango (1963) El trompito Tango Ella se reía Poema lunfardo En la buena y en la mala Tango (1940) En lo de Laura Milonga En un pueblito de España Vals En una petite garçoniere de Montmarte Tango Ensueños Tango Estación Tango Tango Estrella fugaz Vals Fanfarrón Tango (1928) Gallo Viejo Tango Garúa Tango (1943) Gigoló compadrito Tango Gotán Tango Guapo de la guardia vieja Tango Guitarra que llora Tango Hambre Tango (1932) Hermano tordo Poema (1982) Hojarasca Tango Hoy es tarde Tango Humo Tango Igual que una sombra Tango (1946) Improvisando Milonga Intervalo Tango Juana Rebenque Tango La barranca Tango La biaba de un beso Tango La calle sin sueño Tango La casita de mis viejos Tango (1932) La divina dama Vals La epopeya del tango Poema La luz de un fósforo Tango (1943) La novia ausente Tango (1933) La reina del tango Tango (1928) Lagrimitas de mi corazón Vals Llora vida mía Tango Llorar por una mujer Tango Los compadritos Tango Los mareados Tango (1942) Luna de arrabal Vals (1934) Madame Ivonne Tango (1933) Mal de ausencia [b] Vals Mano brava Milonga (1941) Mañanitas de mi Pampa Tango (1953) María [b] Polca María Milonga Milonga Mascarita [c] Vals (1946) Melodía oriental Tango Mi chiquita Tango (1963) Mi traje de novia Tango Mi vida [b] Vals (1934) Mientras gime el bandoneón Tango Mis lágrimas Tango Mocito rana Tango Mojarrita Tango Morenita mía Tango Muñeca brava Tango (1929) Muñeca cruel Tango Naipe Tango (1944) Niebla del Riachuelo Tango (1937) No hay tierra como la mía Milonga No me importa su amor Tango No vendrá Tango (1945) Noche de estrellas Vals Noches blancas Vals Norma Poema lunfardo Nostalgias Tango (1936) Notas de bandoneón Tango Nunca tuvo novio Tango (1930) Olvidao Tango (1932) Orgullo tanguero Tango Orquesta Típica Tango Pa’ mí es igual Tango (1932) Pa’ que bailen los muchachos Tango (1942) Palais de Glace Tango (1944) Pasado florido Tango Pebeta graciosa Tango Perdoname Vals Piano alemán Fox charleston Picaneao Tango (1953) Pico de oro Tango Piropos Tango Pituca Tango (1930) Pobre piba Tango (1941) Pocas palabras Tango (1941) Pompas de jabón Tango (1925) Por la vuelta Tango (1937) Por las calles de la vida Tango (1942) Por un beso de amor (Per un bacio d’amor) Vals Punto alto Tango Que te vaya bien Tango Qué torcido andás Julián Tango Quién dijo miedo Tango (1932) Quién te ve Tango Ramona [Cadícamo] Vals Rondando tu esquina Tango (1945) Roñita Tango Rubí Tango (1944) Salomé Tango Salú percantinas Tango Santa milonguita Tango (1933) Se fue la pobre viejita Tango Se han sentado las carretas Tango Sea breve Tango Sentimiento malevo Tango (1929) Shusheta Tango (1944) (El aristrocrato) Si la llegaran a ver Tango Sin hilo en el carretel Tango Sol de medianoche Tango Sollozo de bandoneón Tango Solo de bandoneón Tango Son cosas del bandoneón Tango Suburbio Tango Tango de ayer Tango Tango de lengue Tango Te podés acomodar (Zorro viejo) Tango Tengo mil novias Vals Tradición Tango Tres amigos Tango (1944) Tres esquinas Tango (1941) Trovador mazorquero Vals Tu llamado Tango Un dilema Tango Una madre Tango Vamos zaino Tango Vas muerto con el disfraz Tango (1930) Vení vení Tango Vieja recova Tango (1930) Viejas alegrías Tango (1937) Viejo grata Tango Viejo patio Tango Villa Urquiza Tango Voy pa’viejo Tango Y aquel cariño se fue Tango (1939) Y qué más Tango (1937) Yo nací para ti tu serás para mí Foxtrot Yo tan sólo veinte años tenía Vals Yo te perdono Tango (1927) Zorro plateao Tango (1942)
La Boca en 1915. L’ambiance du Sud de Buenos Aires, chère à Cadicamo.Le Congreso en 1911 (travaux du métro). J’ai utilisé cette photographie pour faire le montage de couverture. Il m’a fallu tricher avec la perspective, car cette photo a été prise de plus bas.
Aujourd’hui, une valse pour déclarer son amour à une jolie femme. Pour cela, quatre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caruso, Juan d’Arienzo et Walter Cabral. Nous appellerons également à la rescousse, d’autres grands du tango pour vous donner les arguments nécessaires pour séduire une femme papillon.
Avec D’Arienzo à la baguette et Biagi, on a l’assurance d’avoir une valse dansable. En, ce qui concerne le chanteur, Walter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui collaborera un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : Un Placer, Tu Olvido et Irene et une milonga orpheline Silueta Porteña.
Extrait musical
Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. Musique de Vicente Romeo.Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.
Je vous laisse l’écouter. On en reparlera en comparaison avec les autres versions de ce titre.
Les paroles
Linda mariposa tú eres mi alegría y tus colores de rosa te hacen tan hermosa que en el alma mía tu imagen quedó.
Por eso a tu reja hoy vengo a cantarte, para decirte, mi diosa, que eres muy hermosa y no puedo olvidarte que antes de dejarte prefiero la muerte que sólo con verte es para mí un placer.
Sin tu amor ya no puedo vivir. ¡Oh! ven pronto no me hagas penar. De tus labios yo quiero sentir el placer que se siente al besar. Y por eso en mi canto te ruego que apagues el fuego que hay dentro de mí.
Oye amada mía tuyo es mi querer, que tuya es el alma mía toda mi poesía mis alegres días, hermosa mujer.
Sale a tu ventana que quiero admirarte. Sale mi rosa temprana, hermosa galana, que yo quiero hablarte y quiero robarte tu querer que es santo porque te amo tanto que no puedo más.
Y si el destino de ti me separa nunca podre ser feliz y antes prefiero morir. Porque tu cariño es mi vida entera. Tú has de ser la postrera, la dulce compañera que ayer soñé.
Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso
Traduction libre
Joli papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.
C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quitter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.
Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sentir le plaisir que l’on ressent en embrassant et c’est pourquoi dans ma chanson je te supplie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.
Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; merveilleuse femme.
Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose précoce, belle galante, car je veux te parler et te voler ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.
Et si le destin me séparait de toi, je ne pourrais jamais être heureux et préférerais mourir. Parce que ta tendresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce compagne dont j’ai rêvé hier.
Un joli papillon, pour le plaisir…
Autres versions
Un placer 1931-04-23 — Orquesta Juan Maglio Pacho.
Un tempo très lent, qui peut déstabiliser certains danseurs. C’est une version instrumentale, avec sans doute un peu de monotonie malgré des variations de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la proposer à mes danseurs.
Un placer 1933-04-11 — Orquesta Típica Los Provincianos (dir. Ciriaco Ortiz) con Carlos Lafuente.
Avec la voix un peu aigre de Carlos Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraînante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui ravit en général les danseurs, surtout en fin de tanda. On est clairement monté d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette version. L’orchestre est Los provincianos, mais il s’agit d’un orchestre Victor dirigé par Ciriaco Ortiz. Ce qui fait que vous pouvez trouver le même enregistrement sous les trois formes : Los Provincianos, Típica Victor ou Ciriaco Ortiz, voire un mixage des trois, mais tout cela se réfère à cet enregistrement du 11 avril 1933.
Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.
La voix de Walter Cabral rappelle celle de Carlos Lafuente, une voix de ténor un peu nasillarde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite partie de la valse. L’impression d’accélération ressentie avec la version de Ciriaco Ortiz est présente, mais c’est une constante chez d’Arienzo. BIagi qui a intégré l’orchestre il y a cinq mois est relativement discret. Il se détache sur quelques ponctuations lâchées sur les temps de respiration de l’orchestre. Il n’a pas encore complètement trouvé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…
Un placer 1942-06-12 — Orquesta Aníbal Troilo.
Ici pas de voix aigre ou nasillarde, les parties sont chantées par les violons, ou par le chœur des instruments, avec bien sûr le dernier mot au bandonéon de Troilo qui termine divinement cette version élégante et dansante.
Un placer 1949-02 — Francisco Lauro con su Sexteto Los Mendocinos y Argentino Olivier.
Une version un peu faible à mon goût. Le sexteto manque de présence et Argentino Olivier, déroule les paroles, sans provoquer une émotion irrépressible. Une version que je ne recommanderai pas, mais qui a son intérêt historique et qui après tout peut avoir ses fanatiques.
Un placer 1949-08-04 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.
Une version très jolie, avec piano, violons et bandonéons expressifs. L’originalité est la prestation en Duo, de deux magnifiques chanteurs, Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. On peut ressentir un léger étonnement en écoutant les paroles, les deux semblent se répondre. C’est une jolie version, mais peut-être pas la première à proposer en milonga.
Un placer 1954 — Cuarteto Troilo-Grela.
Une magnifique version dans le dialogue entre le bandonéon et la guitare. La musique est riche en nuances. Le bandonéon démarre tristement, puis la guitare donne le rythme de la valse et le bandonéon alternent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le bandonéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réverbération du bandonéon peut être causée par un éloignement physique important du bandonéon par rapport au microphone, ou bien à un ajout ponctuel de réverbération sur ce passage. Je ne suis pas sûr que cet artifice provoqué par l’enregistrement apporte beaucoup au jeu de Troilo. Il faut toutefois pardonner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nouvelle ère technique et il a sans doute eu envie de jouer avec les boutons…
Un placer 1958-10-07 — Orquesta José Basso con Alfredo Belusi y Floreal Ruiz.
José Basso refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfredo Belusi et Ricardo Ruiz. À mon avis, cela fonctionne moins bien que la version de 1949.
Un placer 1979 — Sexteto Mayor.
Pour terminer, une version assez originale, dès l’introduction. Je vous laisse la découvrir. Étant limité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pouvez pas entendre la stéréo vraiment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qualité et en mono pour tenir dans la limite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milonga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milonga, c’est à limiter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instrument et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à passer (c’est fréquent dans les démos), je limite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du centre. Une salle de bal n’est pas un auditorium…
Mini tanda en cadeau
Walter Cabral
Cabral n’a enregistré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous propose d’écouter et surtout danser cette mini tanda de seulement trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tanda la voix un peu surprenante de Cabral.
Cerise sur la tanda. Pardon, le gâteau, les trois titres forment une histoire. Il découvre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se termine mal…
Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.Irene 1936-06-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter CabralTu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral
Linda mariposa, tú eres mi alegría y tus colores de rosa te hacen tan hermosa qué en el alma mía tu imagen quedó.
Beau papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.
Plus de 200 tangos ont dans leur titre le mot «Adios». C’est donc un thème fort du tango, mais la composition écrite par Maruja Pacheco Huergo est de loin la plus célèbre. Je vous propose, la version qui est considérée comme la plus belle, celle de Donato avec Lagos qui fête aujourd’hui ses 86 ans.
Au centre Edgardo Donato et à droite Horacio Lagos que regarde avec attention, Lita Morales.
Il y a adiós et adiós
Il y a environ 200 tangos avec adiós dans le titre dont on a au moins un enregistrement et il faut rajouter une dizaine de valses et même une milonga. Cependant, tous les adiós ne sont pas similaires. Contrairement au français, adiós n’a pas la connotation définitive de l’adieu. En français, on dit surtout Adieu quand on ne compte plus se revoir, ou seulement en présence de Dieu (À Dieu), après la résurrection. Pour les Argentins, ce n’est pas le cas. C’est un synonyme complet d’au revoir et il s’emploie donc de la même façon. Un Argentin qui vous dit adieu a l’intention de vous revoir, il vous recommande juste « à Dieu », c’est-à-dire qu’il vous souhaite d’aller bien pendant le temps de la séparation. Cependant, en Argentine également, le terme adiós a une signification définitive. On l’utilise également pour quitter un défunt, tout comme en France. Dans le petit monde du tango, il est fréquent que l’on honore un défunt en lui faisant un adieu musical. Parmi les titres célèbres dans ce sens, on a A Magaldi, cette valse d’adieu à Agustín Magaldi, composée par Carlos Dante et Pedro Noda et dont les paroles sont de Juan Bernardo Tiggi. On connaît les merveilleuses versions chantées justement par Carlos Dante, notamment celle de 1947, 9 ans après la mort d’Agustín qui lui-même avait chanté pour la mort de Gardel peu d’années auparavant. Nous en reparlerons le 21 octobre…
Note : El adiós, porte un S à la fin, car c’est « À Dieu » (adieu), Dieu se dit « Diós » en espagnol, ce n’est pas un S du pluriel. Comme DJ, combien de fois ai-je entendu nommer ce titre « El adio »…
Maruja Pacheco Huergo
Maruja (María Esther) Pacheco Huergo (3 avril 1916 – 2 septembre 1983)
Maruja (María Esther) Pacheco Huergo (3 avril 1916 – 2 septembre 1983) était pianiste, compositrice et parolière, mais également auteure (notamment de poèmes et scénarios), actrice et professeur de musique et de chant. Elle a composé plus de 600 thèmes, pas tous des tangos, mais parmi ses créations dont nous avons une trace enregistrée dans notre domaine qu’est le tango, on pourrait citer les titres suivants :
Comme auteure et compositrice :
Sinfonía de arrabal, (paroles et musique) célèbre par le même chef d’orchestre que El Adios, notre tango du jour avec le trio enchanteur de Horacio Lagos, Lita Morales et Romeo Gavioli. Cuando silba el viento une habanera dont elle a également écrit, paroles et musique. Lejanía (une chanson qu’a chantée Corsini), Oro y Azul, El Silencio, Con sabor a tierra, Nenucha et environ 500 autres titres que vous me pardonnerez de ne pas lister ici, mais ce ne sont pas non plus des tangos.
Comme compositrice
Canto de ausencia mise en musique d’un texte d’Homero Manzi Don Naides avec des paroles de Venancio Clauso Gardeniasavec des paroles de Manuel Enrique Ferradás Campos (son mari) Milonga del aguatero et Cancionero porteño del siglo XIX avec des paroles d’Eros Nicola Siri
Comme parolière
Sur des musiques de Donato, elle a écrit les paroles d’Alas rotas, Para qué, Lágrimas et Triqui tra. Ses 600 compositions lui valent d’être inhumée au panthéon SADAIC (société des auteurs et compositeurs argentins) du cimetière de la Chacarita (Buenos Aires).
Virgilio San Clemente
Virgilio San Clemente est surtout un poète. On lui doit cependant les paroles de El adios, et de quelques autres titres, comme la jolie valse Viejo jardín et sans doute Dulce amargura (mais il y a un doute, car il est mentionné tantôt comme compositeur ou comme parolier). Comme il m’est impossible de départager les deux possibilités, voici où j’en suis de l’investigation…
Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Ici, Dulce amargura sur trois disques de Fresedo, Nano Rodrigo et Ignacio Corsini. Sur seulement deux des trois, Virgilio San Clemente est mentionné.
Sur le disque de gauche, Fresedo (1938), Virgilio San Clemente est indiqué comme compositeur. Sur celui du milieu, Nano Rodrigo (1940), ce sont Torres et Alperi et sur celui de droite qui est une réédition en vinyle de l’enregistrement de 1938 de Corsini, il y a bien les trois noms, mais sans distinction de fonction. En résumé, si Virgilio était poète, il a peut-être composé un tango et à assurément écrit les paroles d’autres. Torres et Alperi ne sont pas des compositeurs connus, on ne peut pas lever le doute sur la composition de ce titre tant que l’on n’a pas la partition originale que je n’ai pas encore trouvée. En attendant, je penche plutôt du côté où San Clemente s’est cantonné aux paroles pour Dulce Amargura. Les deux œuvres sont écrites de façon comparable, en trois parties et avec des rimes approximatives, mais devinables. Viejo jardín est différent, il y a plus de couplets, mais les rimes sont également très approximatives. Ces indices, très légers n’invalident pas la possibilité qu’il soit l’auteur des trois textes.
Extrait musical
La partition, mentionnant Ignacio Corsini qui a étrenné le tango.El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Les cordes sont très présentes dans cette version, en legati des violons et en pizzicati. Quelques accents des bandonéons. Le piano chante également sa partie à tour de rôle jusqu’à à 1 :42 entre en scène Lagos qui ne chante que très brièvement, seulement le premier couplet. Il explique le thème et laisse la parole aux instruments pour les 55 dernières secondes.
Les paroles
En la tarde que en sombras se moría, buenamente nos dimos el adiós ; mi tristeza profunda no veías y al marcharte sonreíamos los dos. Y la desolación, mirándote al partir, quebraba de emoción mi pobre voz… El sueño más feliz, moría en el adiós y el cielo para mí se obscureció. En vano el alma con voz velada volcó en la noche la pena… Sólo un silencio profundo y grave lloraba en mi corazón.
Sobre el tiempo transcurrido vives siempre en mí, y estos campos que nos vieron juntos sonreír me preguntan si el olvido me curó de ti. Y entre los vientos se van mis quejas muriendo en ecos, buscándote… mientras que lejos otros brazos y otros besos te aprisionan y me dicen que ya nunca has de volver.
Cuando vuelva a lucir la primavera, y los campos se pinten de color, otra vez el dolor y los recuerdos de nostalgias llenarán mi corazón. Las aves poblarán de trinos el lugar y el cielo volcará su claridad… Pero mi corazón en sombras vivirá y el ala del dolor te llamará. En vano el alma dirá a la luna con voz velada la pena… Y habrá un silencio profundo y grave llorando en mi corazón.
Dans la soirée qui se meurt en ombres, Nous nous sommes tout bonnement dit adieu ; (un adieu comme si c’était un au revoir pour elle). Tu ne voyais pas ma profonde tristesse Et quand tu es partie, nous sourions tous les deux. Et la désolation, de te regarder partir, brisa d’émotion, ma pauvre voix… Le rêve le plus heureux est mort dans l’adieu Et le ciel pour moi s’est obscurci. En vain l’âme d’une voix voilée déversa le chagrin dans la nuit… Juste un silence profond et grave pleurait dans mon cœur.
À propos du temps écoulé, tu vis toujours en moi, et ces champs qui nous ont vus sourire ensemble me demandent si l’oubli m’a guéri de toi. Et parmi les vents mes plaintes s’en vont mourant en échos te cherchant… pendant qu’au loin d’autres bras et d’autres baisers t’emprisonnent et me disent que jamais, tu ne reviendras.
Quand le printemps brillera à nouveau, et que les champs se peindront de couleurs, encore une fois, la douleur et les souvenirs rempliront mon cœur de nostalgie. Les oiseaux peupleront de trilles l’espace et le ciel répandra sa clarté… Mais mon cœur vivra dans l’ombre et l’aile de la douleur t’appellera. En vain l’âme dira à la lune d’une voix voilée, la douleur… et il y aura un silence profond et grave Pleurant dans mon cœur.
Autres versions
El adiós 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
Cette version fait jeu égal avec celle de Donato. Je sais que certains danseurs préfèrent celle de Donato, mais pour moi, il est difficile de les départager. Dans un bal, je peux passer indifféremment l’une ou l’autre, selon l’ambiance que je veux donner. La version de Canaro marche de façon obstinée, avec de jolis passages de violons ondulants et des moments de piano qui ponctuent. Rien de monotone dans cette version, toujours entraînante.
El adiós 1938-03-15 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.
Avec un accompagnement de guitares, Corsini chante l’intégralité des paroles. Corsini a enregistré 12 jours après après Canaro, mais il a été le premier à jouer le titre, comme en témoigne la partition.
El adiós 1938 Hugo Del Carril con orquesta.
C’est une version à écouter. La voix d’Hugo Del Carril exprime avec émotion les sentiments du narrateur. C’est à comparer avec l’enregistrement d’Ignacio Corsini de la même époque. La voix de Del Carril pourrait tenir la comparaison avec les versions de Maida et Lagos. L’orchestre est également agréable, on se prend à regretter qu’une version de danse ne soit pas venue compléter cet enregistrement.
El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est le tango du jour.El adiós 1954-01-28 – Ángel Vargas con su orguesta dirigida por Armando Lacava.
Pour une version de chanteur, cette interprétation de Vargas. Donne la part belle à l’orchestre de Lacava. Le thème est chanté par les instruments avec des variations d’intensités qui donnent de la structure à la musique. Après une minute Vargas commence et chante, une minute environ, laissant les 45 dernières à l’orchestre, sauf une courte reprise de la seconde partie du refrain en final. Cette version de chanteur est presque un tango de danse.
El adiós 1963 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.
Hier, je parlai de Recuerdo. La version de El adiós n’est assurément pas un tango conçu pour la danse. C’est musicalement sublime, même si la voix de Maciel peut parfois être modérément appréciée. Je sais que beaucoup de danseurs se battront pour le danser sur la piste. Alors, je pourrai le passer, mais il y a tant de belles choses de Pugliese parfaites pour la danse que Maciel ne sera pas une de mes priorités, même si les danseurs applaudissent souvent (ce qui ne se fait pas à Buenos Aires).
El adiós 1973 – Hugo Díaz.
C’est la seule version instrumentale de ma sélection, mais l’harmonica d’Hugo Díaz est comme une voix. Il commence par un cri déchirant et ensuite semble pleurer. La guitare le rejoint mais avec un tampon imparable, qui s’ajuste parfois aux accents les plus tristes de l’harmonica. Du très grand Hugo Díaz. À priori, ce n’est pas pour la danse, mais cette version est tellement émouvante qu’elle pourrait participer à une belle tanda particulière. Il y a une vingtaine d’année, une danseuse adorait et lorsque j’animais la milonga, je passais souvent cet artiste quand elle était là. Pour terminer, une version de 2010 par le Dúo Angelozzi-Cavacini auquel s’est jointe Ivana Fortunati. Cet enregistrement est en hommage à Remo Angelozzi récemment décédé. Vous le connaissez sans doute mieux sous son nom d’artiste, Raúl Angeló quand il était, notamment le chanteur de l’orchestre d’Edgardo Donato (en 1953).
Orquesta Típica de Luis Chera en 1948. De gauche à droite Luis Martino (je crois que c’est le père du pianiste et chef d’orchestre Miguel Martino), Carlos Cordó, Luis Prati, Raúl Angeló (Remo Angelozzi) le chanteur, Luis Chera, Raúl Sarrot, Agustín Garnro, Justo Ithurralde, Francisco Tortosa et Esteban Cañete. Photo de la collection de Lautaro Kaller.El adiós 2010 — Dúo Angelozzi-Cavacini junto a Ivana Fortunati. Analia Angelozzi et Ivana Fortunati sont accompagnées par Pablo Cavacini et Jose Morán à la guitare et par Bocha Luca au bandonéon.Raúl Angeló, Aldo Calderón, Jorge Sucher y Edmundo Rivero – Rosario 70s, La Cueva del Tango collection de Lautaro Kaller
Le post d’hier était très long et touffu. Aujourd’hui, j’ai choisi un tango instrumental et c’est sans doute bien dans la mesure où « El apronte » a de multiples significations qui pourraient nous emmener sur des terrains hasardeux. Aujourd’hui, on parlera donc de musique avec la version de D’Arienzo enregistrée le 1er avril 1937, il y a exactement 87 ans.
La dédicace
Comme cela arrive très souvent, la partition a un ou des dédicataires. Ici, ce sont les internes de l’hôpital San Roque de Buenos Aires.
El Apronte, partition de Roberto Firpo. Dans la partie supérieure de la couverture et de la partition, la dédicace aux internes de l’hôpital San Roque de Buenos Aires. Pour le premier bal de l’Internat. On remarque les nombreuses syncopes de la partition qui justifient le genre de Tango Milonga de cette composition.El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo
Le disque que vous écoutez en ce moment…
Rodolfo Biagi, le pianiste, est désormais bien installé dans l’orchestre et a pris (gagné) plus de liberté pour exprimer ses ornements. D’Arienzo lui laisse des temps de suspension pendant lesquels les autres instruments se taisent. Le jeu pour les danseurs est que ces temps de silences ne sont pas tous remplis, ce qui donnera un peu plus tard les fameux breaks de D’Arienzo, ces moments de silence sans musique. En dehors de ces fioritures, le piano joue au même compas (rythme que les autres instruments). Comme très souvent chez d’Arienzo, la fin donne une impression d’accélération, mais cela se fait par l’intercalage de notes supplémentaires, pas par une accélération réelle du tempo qui reste réguler durant toute l’interprétation
Les paroles
C’est un tango instrumental, aussi je n’aborderai pas la question des paroles et c’est tant mieux. Le terme apronte a différentes significations allant du domaine des courses de chevaux, notamment la phase de préparation du cheval, en passant par une personne impatiente, ou une personne payant pour obtenir quelque chose. C’est aussi la préparation, d’un mauvais coup ou d’une passe. En gros, difficile de savoir sans les paroles ce que voulait évoquer Firpo. Cependant, sa musique est en général expressive et l’utilisation d’un tango milonga avec ses hésitations et son rythme irrégulier peut s’adapter à chacun des sens. Précisons un dernier sens, plus « respectable » qui nous vient d’Uruguay, n’oublions pas que c’est à l’époque où il était contracté par le café la Giralda qu’il rencontre Gerardo Matos Rodríguez et inaugure sa marche de carnaval (la Cumparsita). En Uruguay, donc, apronte peut signifier aussi l’apport pour le mariage. La dot, ou tout simplement la préparation de la vie commune. Notons que les paroles de tango s’appelant apronte ou citant ce mot possèdent des paroles plutôt vulgaires, mafieuses et se réfèrent donc à l’acception portègne du mot. Par exemple pour le tango Apronte de Celedonio Flores. Mais ici, comme c’est instrumental, vous pouvez imaginer ce que vous voulez…
Autres versions
Sur la partition que je vous ai présentée ci-dessus, il y a une indication que je souhaite vous présenter. Il est indiqué « Tango Milonga ».
J’ai regroupé sur la même image l’indication de la couverture et le texte qui est sous la dédicace de la partition : Tango Milonga
Nous avons déjà évoqué ces tangos canyengue qui au fil du temps sont joués plus vite et qui deviennent des milongas, mais je souhaite attirer votre attention sur le concept de « tango milonga ». Ce sont des tangos assez joueurs, mais pas suffisamment syncopés et rapides pour mériter le titre de milonga. Ils sont donc entre les deux. Firpo interprète souvent des tangos avec cette ambiguïté, comme d’autres orchestres plus tardifs comme Miguel Villasboas. Ici, nous sommes en présence d’un tango écrit par Firpo, il a donc décidé de lui donner le rythme qu’il affectionne, le Tango Milonga. Pour un DJ, c’est un peu un casse-tête. Faut-il l’annoncer comme un tango ou comme une milonga ? Je passe souvent ce type de titre quand j’ai besoin de baisser la tension, éventuellement à la place d’une tanda de milonga, surtout si les danseurs ne sont pas des aficionados de la milonga. A contrario, s’ils adorent la milonga, je peux colorer une tanda de tango pour leur donner l’occasion de jouer un peu plus. J’annonce au micro ce qui va se passer, car très peu de danseurs connaissent cette catégorie. Cela me permet aussi d’encourager ceux qui sont timides en milonga en leur disant que c’est une milonga « facile ». Le tango du jour interprété par D’Arienzo est un pur tango. Cependant, certaines versions que nous allons voir à présent sont des tangos milonga, comme, c’est le cas pour celles enregistrées par Roberto Firpo, l’auteur de la partition.
El apronte 1926 — Orquesta Roberto Firpo.
Bien qu’enregistrée 12 ans après l’écriture, cette version respecte l’esprit de la partition originale et est un Tango Milonga, avec ses syncopes caractéristiques.
El apronte 1931-10-07 — Orquesta Roberto Firpo.
Cette version est beaucoup plus lisse. Les syncopes sont beaucoup plus rares et la marcación est régulière. C’est une interprétation plus moderne.
El apronte 1937-03-27 — Orquesta Roberto Firpo.
Retour en forcé du style Tango Milonga. Firpo revient à la lettre de sa partition. C’est sa sonorité fétiche que l’on retrouvera notamment sur des orchestres uruguayens comme Villasboas ou chez la Tuba Tango.
El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est le tango du jour.
C’est clairement un tango et pas un Tango Milonga. La marcacion est très régulière et les fantaisies principalement proposées par Biagi au piano se font essentiellement sur les moments de silence des autres instruments. Ainsi le rythme, le compas régulier de d’Arienzo n’est pas bousculé, il est juste mis en pause pour laisser quelques fractions de secondes au piano, ou pour ménager un silence qui réveille l’attention des danseurs, ce qui deviendra un élément caractéristique de son style avec des breaks parfois très longs. Vous savez, ces moments où les danseurs peu expérimentés se tournent vers le DJ en pensant qu’il y a une panne… J’avoue, il m’arrive de jouer en mettant réellement en pause certains breaks (ils sont donc plus longs) pour provoquer des sourires chez les danseurs que je rassure par des signes prouvant que c’est normal 😉
El apronte 1971 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
On retrouve le Tango Milonga qui est un jeu qu’adore utiliser VIllasboas. La boucle est bouclée.
Merci d’être arrivée au bout de cet article. N’hésitez pas à laisser des commentaires mettre un j’aime (le pouce vers le haut en début d’article ou m’envoyer un petit message).
Pour finir, choisissez l’image que vous préférez pour le tango du jour.
El apronte. Le billet est un 50 centavos de la fin du 19e siècle.El apronte… ou plutôt un peu après.
Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno
Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…
La famille Pugliese, une famille de musiciens
Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano. Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.
La famille d’Osvaldo Pugliese. Au moins 8 musiciens, son père, Adolfo, son oncle, Antonio, ses frères Alberto et Vicente, sa fille, Beba, sa petite fille Carla et Marcela, la petite fille de son frère Alberto qui est chanteuse de tango. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique
Adolfo Pugliese, le père d’Osvaldo. Sur la photo de droite, c’est lui avec la flute. Photo prise au studio Cordero qui se trouvait sur Boedo au 2080).
Comme compositeur, on lui attribue :
Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas… La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc. De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies… Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants… Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.
Exemples de partition éditée par Adolfo Pugliese. À gauche, la couverture de Recuerdo, à son nom, Adolfo Pugliese. Nous y reviendrons. À droite, une partition d’un de ses fils, Alberto « Por una Carta ! »
Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre… Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, Alfredo De Franco au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.
Mention portée sur les partitions éditées par Adolfo Pugliese.
On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…
Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango
Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.
Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)
Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur
Alberto Puglise un des grands frères d’Osvaldo. Il est à droite sur la photo de gauche, avec les mains sur les hanches. Osvaldo est appuyé au poteau et je n’ai pas identifié le troisième homme. Ce serait tentant d’y voir le troisième frère Vincente, mais rien n’est moins sûr…
Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :
Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
Cariño gaucho (Milonga)
El charquero (Tango de 1964)
El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Adolfo Carabelli Jazz Band (1926-12-02).
Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera… On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gènes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.
Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes). Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.
Adolfo (Fito) Vicente est l’aîné des frères Pugliese. Il était violoniste et compositeur, mais a abandonné sa carrière à la suite de la mésentente avec son père.
Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice
Beba, la fille d’Osvaldo, également une musicienne de talent
C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur. Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…
Beba Pugliese avec sa mère, María Concepción et Osvaldo en 1948
Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques. Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :
Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.
Roque PUGLIESE Padula
Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.
Filomena Vulcano
Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires. Leurs enfants :
Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885
Extrait musical
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.
Les paroles
Ayer cantaron las poetas y lloraron las orquestas en las suaves noches del ambiente del placer. Donde la bohemia y la frágil juventud aprisionadas a un encanto de mujer se marchitaron en el bar del barrio sud, muriendo de ilusión muriendo su canción.
Mujer de mi poema mejor. ¡Mujer! Yo nunca tuve un amor. ¡Perdón! Si eres mi gloria ideal Perdón, serás mi verso inicial.
Y la voz en el bar para siempre se apagó su motivo sin par nunca más se oyó.
Embriagada Mimí, que llegó de París, siguiendo tus pasos la gloria se fue de aquellos muchachos del viejo café.
Quedó su nombre grabado por la mano del pasado en la vieja mesa del café del barrio sur, donde anoche mismo una sombra de ayer, por el recuerdo de su frágil juventud y por la culpa de un olvido de mujer durmióse sin querer en el Café Concert.
Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno
Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.
Traduction libre et indications
Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir. Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson. Femme de mon meilleur poème.
Femme ! Je n’ai jamais eu d’amour. Pardon ! Si tu es ma gloire idéale Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.
Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu. Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.
Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.
Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.
Autres versions
Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.La photo est de Luis Richelme (qui avait son studio sur l’avenue Corrientes au 1238 de l’avenue Corrientes). C’est le même studio qui a réalisé la photo d’Osvaldo que j’ai placée en bas à droite de l’arbre généalogique. Adolfo a donc changé de studio photo depuis l’époque où il était avec son orchestre (il utilisait alors le studio Cordero qui se trouvait sur Boedo au 2080).Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ». Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta Ricardo Tanturi. Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique. Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.
En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.
Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.
Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.
Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.
Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.
Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?
Qui est le compositeur de Recuerdo ?
On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo. Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo : Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo. On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.
La réédition de Ausencia est maintenant signée O et A Pugliese. Mais il peut s’agit d’Adolfito, le frère aîné et pas d’Adolfo, le père.
Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.
Un des premiers tangos de Pugliese El Frenopàtico, que celui-ci a dédié à sa chère tante Concepción (celle qui est à droite dans l’arbre généalogique que je vous ai présenté). Il est signé de son nom et prénom alors qu’il était mineur.
L’édition de 1926, réalisée par Adolfo Pugliese, porte toujours son nom comme auteur. En revanche, par la suite, c’est bien le prénom d’Osvaldo qui figurera. À gauche, il est fait mention de l’orchestre de Julio de Caro qui a étrenné le tango et l’a enregistré en décembre 1926. Cette partition est donc postérieure à 1926, contrairement à l’édition initiale. Osvaldo était alors âgé de 21 ans et donc majeur. L’argument tombe pour cette deuxième raison également.
En 1942, sur l’enregistrement de Tanturi, c’est toujours A. Pugliese qui est mentionné. Est-ce toujours Adolfo, le père, Alberto ou le plus âgé des frères, Adolfito ?
Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frère aîné Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur. Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles. Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo). On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère. Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene Amuchástegui dans Cien tangos fundamentales. Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles. Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.
Et en conclusion ?
Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente). Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds. Recuerdo restera un souvenir vivant.
Alberto Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)
Qui ne s’est jamais laissé emporter dans le tourbillon de cette valse chantée par Francisco Fiorentino et le bandonéon d’Anibal Troilo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.
Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)
Alberto Hilarion Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamora, ou plus précisément à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village à l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobé au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutôt rural à l’époque et cela a sans doute influencé ses choix musicaux, souvent orientés vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a écrit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chanté avec Razzano, mais aussi des candombés comme Serafín enregistré par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos Cáceres. En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le comparait à celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interpréter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ». Quant à l’auteur des paroles, Charrúa (Gualberto Gregorio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Charrúa, vient du peuple Charrúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontalière avec l’Uruguay) et au Brésil. Ses penchants pour la ruralité peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activité dans le « civil », il était administrateur d’établissements agricoles du côté de General Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires). Son surnom et ses origines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendiquer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) : « Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mère étant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement à être le meilleur Argentin. » Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Estilo (chansons folkloriques typiques de la pampa, ce qui explique le poncho dont il sera question dans la valse du jour) et bien sûr les paroles champêtres de la valse du jour.
Extrait musical
Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Le bandonéon lance le début de l’introduction comme un démarrage difficile. Puis à 0 : 15 commence le thème par les violons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thème. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit ½ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour démarrer le moteur. C’est le même principe que le démarrage initial du bandonéon en introduction. Cet élément stylistique s’apparente dans une certaine mesure à la valse viennoise, mais aussi au vals criolo où le ralentissement est encore plus marqué et le rythme sort complètement de la régularité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).
Les paroles
Linda estaba la tarde en que la vide, el patio de su rancho acomodando y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía) no pude hablarla y me quedé temblando.
Estaba como nunca la había visto, vestido livianito de zaraza, con el pelo volcado sobre los hombros era una virgen que encontré en la casa.
Ni ella ni yo, ninguno dijo nada, con sus ojazos me siguió quemando, dejó la escoba que tenía en la mano, me quiso hablar y se quedó temblando.
Era el recuerdo del amor primero, amor nacido en una edad temprana, como esas flores rústicas del campo que nacen de la noche a la mañana.
Amor que está oculto en los adobes de su rancho paterno tan sencillo y en la corteza del ombú del patio escrito con la punta del cuchillo.
Me di vuelta pisando despacito, como quien desconfía de una trampa, envolviendo recuerdos y emociones entre las listas de mi poncho pampa.
No sé qué me pasó, monté a caballo y me fui (sali) galopeando a rienda suelta, con todos los recuerdos y emociones que en las listas del poncho saqué envueltas.
Linda estaba la tarde en que la vide, el patio de su rancho acomodando. Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía) no pude hablarla y me quedé temblando.
Alberto Hilarion Acuña Letra: Charrúa (Gualberto Márquez)
Fiorentino et Bermúdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intégralité des paroles.
Traduction libre et indications
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant. Elle était comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais rencontrée dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donné une des meilleures versions en 1941.Acuña l’auteur de la valse du jour l’a également chanté en duo avec Ruiz). Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlé, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brûlant, elle a délaissé le balai qu’elle tenait à la main, elle voulait me parler et elle est restée tremblante. C’était le souvenir du premier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin). Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout simple et grâce à la courtoisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belombra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra) Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, enveloppant souvenirs et émotions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses émotions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho). Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis monté à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les souvenirs et les émotions que j’avais enveloppés dans les listes de ponchos. L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant. Un documentaire intéressant pour connaître le poncho.
Autres versions
Temblando 1933-09-28 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprétation pour ce type de valses folkloriques.Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.
Une jolie version, chantée et presque dansable. Il est à noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertés pour mieux coller à leur diction, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actualiser un texte.
Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos Bermúdez.
Comme la version de Troilo, celle de Lorenzo commence par un bandonéon qui « démarre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence Bermúdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompée, à mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supérieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de tonalité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à propos de Lágrimas y sonrisas).
Par la suite, le thème a été repris à différentes reprises, par des chanteurs plutôt versés du côté folklore, ou par d’autres du côté chanson, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des versions équivalentes à celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intéressantes par différents aspects.
Temblando 1976 Rubén Juárez.
Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprétation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.
Temblando 1976 — Rubén Juárez (a Capela).
Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exercice du chant a capela. Là, pas du tout question de danser…
Temblando 1995 — Canta Luis Cardei.
Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. Malgré sa très courte carrière (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chanté dans le film La Nube (1998) de Fernando Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les piétons, sauf un, reculent, la suite est peut-être moins intéressante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant. J’ai essayé de retranscrire la vision avec une lumière très présente, mais adoucie. L’émotion et le soupçon de tourbillon de la valse sont donnés par les traces de rotation qui animent très légèrement l’image. Et laissons, notre héros tremblant lancé au grand galop sur son caballo bayo (cheval bai) avec une lisse sur le chanfrein. Dans le creux de son pancho, l’image tremblante de son émotion.
Je dédicace cet article à mon ami Ricardo Salusky, DJ de Buenos Aires, ce tango étant une histoire d’amitié, c’était logique. Pollo, le poulet, est un surnom assez courant, les Argentins et Uruguayens sont friands de cet exercice qui consiste à ne jamais dire le véritable prénom de personnes…
Reste à savoir qui était le poulet de Luis Alberto Fernández, l’auteur et le parolier de ce tango qu’il a dédicacé à un de ses amis. Ricardo est un prénom courant. Il nous faut donc investiguer. Luis Alberto Fernández (c’est son véritable nom) est né à Montevideo le 29 mars 1887. Il était pianiste, compositeur et parolier d’au moins deux tangos, celui dont nous parlons aujourd’hui et Intervalo. El Pollo Ricardo est indiqué dans les registres de la AGADU (Asociación General de Autores del Uruguay) comme étant de 1911, ce que confirment d’autres sources, comme les plus anciennes exécutions connues par Carlos Warren, puis Juan Maglio Pacho (malheureusement sans enregistrement) et un peu plus tardivement (1917), celle de Celestino Ferrer que vous pourrez écouter à la fin de cet article. De Fernández, on ne connaît que deux compositions, El pollo Ricardo et Intervalo. En cherchant dans les amis de Fernández on trouve un autre Uruguayen ayant justement écrit un tango sur les cartes,
Une partition de Ricardo Scandroglio du tango « En Puerta » (l’ouverture) sur le thème des jeux de cartes. On notera que l’auteur se fait appeler (El Pollo Ricardo).
On retrouve ce Ricardo Scandroglio sur une photo où il est au côté de Luis Alberto Fernández.
Photo prise dans les bois de Palermo en 1912 (Parque Tres de Febrero à Buenos Aires).
Assis, de gauche à droite : El pollo Ricardo qui a bien une tête de poulet, non ? Au centre, Luis Alberto Fernández et Curbelo. Debouts, Arturo Prestinari et Fernández Castilla. Cette photo a été reproduite dans la revue La Mañana du 29 septembre 1971. Et pour clore le tout, on a une entrevue entre Alfredo Tassano et Ricardo Scandroglio où ce dernier donne de nombreuses précisions sur leur amitié. Vous pouvez écouter cette entretien (à la fin de la version de Canaro de El pollo Ricardo) ici: https://bhl.org.uy/index.php/Audio:_Entrevista_a_Ricardo_Scandroglio_a_sus_81_a%C3%B1os,_1971 Mais je vous conseille de lire tout le dossier qui est passionnant : https://bhl.org.uy/index.php/Scandroglio,_Ricardo_-_El_Pollo_Ricardo
Extrait musical
Il s’agit du deuxième des trois enregistrements de El pollo Ricardo par Carlos Di Sarli. Nous écouterons les autres dans le chapitre « autres versions ».
El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli. Couverture de la deuxième édition et partition pour piano de El pollo Ricardo
Les paroles
Personne ne connaît les paroles que Gerardo Adroher, encore un Uruguayen, a composées, mais qu’aucun orchestre n’a enregistrées. Ce tango a été récupéré par les danseurs qui ont moins besoin des paroles. Toutefois, il me semble intéressant de les mentionner, car il montre l’atmosphère d’amitié entre Ricardo Scandroglio et Luis Alberto Fernández.
Tu pinta de bacán tu estampa de varón tu clase pura para el baile cuando te floreás te han distinguido entre los buenos guapos con razón porque entrando a tallar te hiciste respetar. Pollo Ricardo vos fuiste amigo fiel y yo he querido con un tango bravo y compadrón dar lo mejor de mi amistad a quien me abrió su corazón. La barra fuerte del café muchachos bravos de verdad formaban rueda cuando vos maravillabas al tanguear. Y siempre fue tu juventud el sol que a todos alumbró borrando sombras con la luz que tu bondad nos dio. Y cuando pasen los años oirás en el compás de este tango un desfilar de recuerdos largo… largo. Puede que entonces me fui yo a viajar con rumbo por una estrella. Mira hacia el cielo es ella, la que brilla más.
Gerardo Adroher
Traduction libre et indications
Ton élégance de noceur, ton allure de mec, ta pure classe pour la danse quand tu brilles t’ont distingué parmi les beaux élégants, à juste titre, parce que quand tu entres en taille (figure de tango, comme dans le ocho cortado. Ne pas oublier que la forme ancienne du tango de danse avait des attitudes pouvant rappeler le combat au couteau) ; tu t’es fait respecter. Poulet Ricardo tu étais un ami fidèle et moi j’ai aimé avec un tango, courageux, et compère, donner le meilleur de mon amitié à qui m’a ouvert son cœur. La bande du café, des garçons vraiment bons (vaillants, bons danseurs dans le cas présent). Formant le cercle quand tu émerveillais en dansant le tango. Et ça a toujours été ta jeunesse, le soleil qui a illuminé tout le monde, effaçant les ombres avec la lumière que ta bonté nous a donnée. Et quand les années passeront, tu entendras au rythme de ce tango un défilé de souvenirs long… long. Il se peut qu’ensuite, je sois parti en voyage, En route vers une étoile. Lève les yeux vers le ciel, c’est celle qui brille le plus. Fernandez est décédé en 1947, et il avait trois ans de plus que Ricardo, ces paroles peuvent paraître prémonitoires, mais avec beaucoup d’avance…
Autres versions
Les premières versions
Le premier orchestre à avoir joué El pollo Ricardo en 1912 serait l’orchestre uruguayen de Carlos Warren, mais il ne semble pas y avoir d’enregistrement. Même chose pour la version par Juan Maglio Pacho. La partition aurait été éditée en 1917, mais si on prend en compte que Fernández jouait d’oreille et n’écrivait pas la musique, on peut penser que les premières interprétations soient passées par un canal différent.
El pollo Ricardo 1917-01-17 — Orquesta Típica de Celestino Ferrer.
C’est, a priori, la plus ancienne version existante en enregistrement. Ferrer était réputé pour sa participation aux nuits parisiennes autour des orchestres comme celui de Pizarro. On lui doit un tango comme compositeur, El Garrón, qui célèbre le salon parisien qui fut un des premiers lieux de tango à Paris. Il faut attendre un peu pour trouver des versions dansantes du tango.
El pollo Ricardo 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.
Une version bien ronde et qui avance avec une cadence régulière qui pourra plaire aux danseurs milongueros. J’aime bien les petits « galops » qu’on entend particulièrement bien vers 43 secondes et à diverses reprises. Cependant, on ne pense pas forcément à un poulet ou à un danseur de tango.
Les trois enregistrements de Di Sarli
J’ai choisi de regrouper les trois enregistrements de Di Sarli pour qu’il soit plus facile à comparer. La version intermédiaire de D’Arienzo de 1947 sera placée après celle de 1951 de Di Sarli, ce qui vous permettra de comparer également les deux enregistrements de D’Arienzo (1947 et 1952).
El pollo Ricardo 1940-09-23 Orquesta Carlos Di Sarli.
C’est la première version de ce thème par Di Sarli. À diverses reprises le son du bandonéon peut faire penser au caquètement d’un poulet (0 : 26 ou 1 : 26 par exemple).
El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
Le tempo est plus modéré que dans la version de 1940 et le caquètement de poulet est plus accentué, en contraste avec les violons en legato. Comme le tempo est un peu plus lent, les caquètements sont décalés à 0 : 30 et 1 : 30. En six ans on remarque bien l’évolution de l’orchestre, même si le style reste encore très rythmé et les violons s’expriment moins que dans des versions plus tardives comme celle de 1951.
El pollo Ricardo 1951-07-16 — Orquesta Carlos Di Sarli.
La sonorité de cette version est plus familière aux aficionados de Di Sarli des années 50. Les violons sont beaucoup plus présents, y compris dans les caquètements qui toutefois sont plus discrets que dans les deux autres versions. Le piano s’exprime également plus et rajoute les fioritures qui sont une des caractéristiques du Di Sarli des années 50.
Les deux enregistrements de D’Arienzo
Les deux enregistrements de D’Arienzo sont à comparer aux deux enregistrements quasi contemporains de Di Sarli (46-47 et 51-52). Comme nous l’avons vu, l’évolution de Di Sarli est allée en direction des violons. Celles de D’Arienzo serait plutôt de favoriser les bandonéons et de les engager dans le marquage du tempo, comme d’ailleurs tous les instruments de l’orchestre. Il n’est pas El Rey del Compas pour rien… Le piano a toujours une grande place chez D’Arienzo qui n’oublie pas que c’est aussi un instrument à percussion…
El pollo Ricardo 1947-05-20 — Orquesta Juan D’ArienzoEl pollo Ricardo 1952-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo
Retour en Uruguay
Le héros, le compositeur et le parolier de ce tango étant uruguayens, il me semble logique de donner la parole en dernier à trois orchestres de ce pays.
El pollo Ricardo 1972 — Orquesta Orquesta Donato Racciatti.
Une version énergique et au tempo soutenu. Quelques illuminations du piano de Racciatti répondent aux violons (jouant legato mais aussi en pizzicati) . Le style haché et joueur peut être intéressant à proposer aux danseurs.
El pollo Ricardo 1985 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Un peu moins tonique que la version de Racciatti et avec la sonorité particulière de cet orchestre, on trouve tout de même un air de famille, le son uruguayen 😉 Les violons un peu plus lyriques, le piano plus sourd rendent sans doute cette version moins intéressante, mais elle devrait tout de même plaire aux danseurs notamment dans la dernière partie qui est plutôt très réussi et entraînante.
El pollo Ricardo 2005-10 – Orquesta Matos Rodríguez.
Bien que l’orchestre se réfère à Matos Rodríguez (le compositeur uruguayen de la Cumparsita), on est plus dans une impression à la Di Sarli. Cependant, le résultat est un peu mièvre et ne se prête pas à une danse de qualité, même s’il reprend des idées des orchestres urugayens et des trucs à la Sassone.
La dédicace à El Pollo Ricardo
Comme Fernandez a réalisé un hommage à son ami Ricardo, je fais de même avec Ricardo, l’excellent DJ de Buenos Aires. J’ai emprunté la photo au talentueux photographe (celui qui avait réalisé la grande fresque du salon
Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi
Le tango du jour est Silencio, enregistré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expiatoire » dévoile une des failles de Carlos Gardel, Enfant de France. Je vous invite à découvrir ou redécouvrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.
Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire voir et écouter une version différente du tango du jour, avant la version du jour. Nous sommes en 1932, Carlos Gardel est en France (comme beaucoup de musiciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne quatre films et dans le dernier de la série, il chante une chanson dont on ne peut comprendre la totalité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.
Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier.
Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Studios de Joinville-le-Pont en octobre et novembre 1932. Le scénario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, également).
Juan Cruz Mateo
L’orchestre représenté dans le film et qui joue la bande-son est la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tango de l’âge d’or. On n’en connaît guère aujourd’hui qu’une cinquantaine ayant suffisamment d’enregistrements pour être significatifs et sans doute pas beaucoup plus d’une cinquantaine ayant suffisamment de titres pour faire une tanda, et cela à la condition de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour certains titres que j’appelle « orphelins », je mélange les orchestres pour constituer une tanda complète et cohérente. Par exemple, la Típica Victor dirigée par Carabelli et l’orchestre de Carabelli. Cela, c’est plus fréquemment pour les milongas qui sont plutôt déficitaires en nombre (moins de 600 milongas ont été enregistrées entre 1935 et 1955), contre presque le double de valses et quatre fois plus de tangos. En effet, l’âge d’or du tango, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un patrimoine ridiculement petit par rapport à ce qui a été joué et pas enregistré.
Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au premier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au premier plan… Carlos Gardel. Les autres sont des personnes de la Paramount qui a produit le film. La photo du centre montre Mateo et Gardel en répétition. À droite, autoportrait de Mateo devenu peintre…
Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa carrière principalement en France et qu’il s’est recyclé comme peintre futuriste à la fin des années 30. On lui doit notamment l’accompagnement orchestral de trois films interprétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arrabal dont est tiré cet extrait. C’est également le pianiste qui a le plus accompagné Carlos Gardel. Donc, si vous entendez chanter Gardel avec un accompagnement de piano, c’est certainement lui…
Extrait musical
Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.
Cette version est particulièrement émouvante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y reviendrons après avoir étudié les paroles.
Les paroles
Silencio en la noche. Ya todo está en calma. El músculo duerme. La ambición descansa.
Meciendo una cuna, una madre canta un canto querido que llega hasta el alma, porque en esa cuna, está su esperanza.
Eran cinco hermanos. Ella era una santa. Eran cinco besos que cada mañana rozaban muy tiernos las hebras de plata de esa viejecita de canas muy blancas. Eran cinco hijos que al taller marchaban.
Silencio en la noche. Ya todo está en calma. El músculo duerme, la ambición trabaja.
Un clarín se oye. Peligra la Patria. Y al grito de guerra los hombres se matan cubriendo de sangre los campos de Francia.
Hoy todo ha pasado. Renacen las plantas. Un himno a la vida los arados cantan. Y la viejecita de canas muy blancas se quedó muy sola, con cinco medallas que por cinco héroes la premió la Patria.
Silencio en la noche. Ya todo está en calma. El músculo duerme, la ambición descansa…
Un coro lejano de madres que cantan mecen en sus cunas, nuevas esperanzas. Silencio en la noche. Silencio en las almas…
Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi.
Carlos Gardel et Imperio Argentina chantent la totalité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en graset deux fois ce qui est en bleu.
Traduction libre et indications
Le titre commence par un son de clairon. Le clairon jouant sur trois notes, cet air fait immédiatement penser à une musique militaire (le clairon ne permet de jouer facilement que 4 notes et trois autres notes ne sont accessibles qu’aux virtuoses de cet instrument, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées. Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lentement, comme dans les sonneries aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début… Gardel reprend à la suite de la sonnerie sur le même Mi. Cela permet de faire la liaison entre le clairon et sa voix, ce qui n’était pas si évident à concevoir. Dans la version de 1932 c’est une trompette et pas un clairon qui lance Sol Sol Do et Gardel commence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tessiture. La version de Canaro est donc à mon sens mieux construite de ce point de vue et l’usage du clairon est plus pertinent.
Silencio militar – Día de los muertos por la patria. Interprété par le régiment de Grenadiers à cheval « General San Martín », escorte présidentielle de la République argentine.
On remarquera que la sonnerie « officielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La sonnerie aux morts française est assez proche, mais pas identique non plus à celle proposée par Canaro. Disons que c’est une sonnerie factice destinée à donner le La. Pardon, le clairon ne peut pas jouer de La. Disons qu’il donne le Mi à Gardel.
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment. L’ambition se repose. Balançant un berceau, une mère chante une chanson bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trouve son espoir. (Le chœur de femmes intervient sur ce couplet). Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq baisers qui, chaque matin, effleuraient très tendrement les mèches argentées de cette déjà vieille aux cheveux blanchis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre) Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition travaille. (L’ambition passe du repos au travail. Elle prépare le combat). Un clairon résonne. La patrie est en danger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, couvrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le clairon qui résonne). Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renaissent. Les charrues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie. Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition se repose… Un chœur lointain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nouveaux espoirs. Silence dans la nuit. Silence dans les âmes…
Les versions
Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo.
Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la sonnerie de trompette au début est différente de la sonnerie de clairon de la version de Canaro de 1933.
Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.
C’est le tango du jour. Dans la version du film, il y a deux petites réponses de Imperio Argentina, sa partenaire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.
Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín (trompette).
La partenaire de Carlos Gardel dans le film Melodía de arrabal, reprend à son compte le titre. C’est également une superbe version à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tango du film melodía de Arrabal. En fait, elle n’y chante que deux phrases en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enregistré en même temps que la bande son du film (octobre-novembre 1932) et qu’il soit sorti en 1933, à l’occasion de la sortie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les versions de Canaro, qui était toujours à l’affut d’un bon coup financier.
Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédition du même enregistrement à droite, preuve du succès.
Une autre « erreur du disque est la mention d’un clairon. Contrairement à la version Canaro Gardel, c’est de nouveau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo. Elle débute par Si Si Si Do Ré Ré – Ré Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inaccessibles à un clairon. Cela ne peut donc pas être un clairon, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne. Le piano apparait pour sa part tardivement, à une minute par une petite fioriture sur la respiration de la chanteuse (de esa viejecita DING – DONG de canas muy blancas). Après 1 :11, la guitare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit entendre une mandoline. Le piano termine élégamment en faisant descendre la tension par un motif léger ascendant puis descendant. J’aime beaucoup le résultat, Imperio a pris sa revanche sur Gardel en nous fournissant une version complémentaire et tout aussi belle.
Silencio 1933-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.
Trois jours après la version à écouter chantée par Gardel, Canaro enregistre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite partie des paroles. Cela en fait un tango de danse. La tragédie des paroles est compensée par des fioritures, notamment avant la reprise du début du refrain.
Je ne vous propose pas d’autres versions, même s’il y en a environ deux douzaines, car avec cet échantillon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une version de danse. La totale, quoi ? Parmi les versions que je laisse de côté, des interprétations de Gardel avec des guitares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.
Pourquoi Silencio ?
Carlos Gardel Enfant de France
Je ne vais pas rouvrir le dossier et me fâcher avec mes amis uruguayens, mais je signale tout de même cette page où je présente les arguments en faveur d’une origine française de Gardel. Ce qui ne peut pas être remis en question, c’est que Gardel est venu en France à diverses reprises, qu’il a visité sa famille française, notamment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobilisation pour la « Grande Guerre », celle de 1914-1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échapper à l’accusation de désertion. Cependant, lors d’un séjour en France, il a visité les cimetières de la Grande Guerre. On sent que cela le chatouillait. Le tango Silencio est un peu son expiation pour avoir échappé à la tuerie de 1914-1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a évoqué le grand sculpteur romantique, Auguste Préault, justement auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.
Auguste Préault, sculpteur romantique
J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de partir d’une œuvre du sculpteur français Auguste Préault qui a réalisé en 1842 cette œuvre pour le monument funéraire d’un certain Jacob Roblès qui est désormais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évoquer la guerre de 1914-1918, même cette œuvre ne relate pas précisément des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provocatrice. D’ailleurs cette œuvre n’a été acceptée au salon officiel de 1839 que pour montrer ce qu’il ne fallait pas faire pour être un grand sculpteur. Préault réalisera la commande de Roblès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de purgatoire et d’interdiction d’exposition). Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été donné plus tardivement, vers 1867.
Silencio. Montage et interprétation d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admiration. Ces œuvres portent le même message que Silencio.
Voici les deux œuvres et en prime un portrait de Préault par le photographe Nadar.
Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Monument funéraire de Jacob Roblès au Père-Lachaise (Paris). Sur le monument funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tango créé par un « déserteur ».
La vidéo de fin…
Pour une fois, je vais faire plusieurs entorses au format des anecdotes du jour en terminant par une vidéo au lieu d’une illustration que j’aurais réalisée. Je n’ai pas choisi la musique, c’est une initiative de l’ami Memo Vilte qui voulait rendre un hommage à la France en chantant ce tango qui n’est pas dans son répertoire habituel de folklore argentin.
Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réalisée à l’arrache (c’était totalement impromptu). Merci à toi Anne-Marie.
La danseuse extraordinaire, c’est Stella Maris, mais vous l’aurez reconnue. Muchísimas Gracias Stella.
Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous comprenez maintenant pourquoi je préfère être DJ.
La tour Eiffel s’est mise à scintiller pour saluer notre performance. C’était imprévu, mais on a apprécié cet hommage de la Vieille Dame au tango qu’elle a vu naître.
Si comme moi vous adorez les valses, vous devez avoir le titre du jour, Valsecito amigo bien au chaud dans votre cœur. Ce titre est né sous tous les bons auspices avec la musique de Troilo, les paroles de Contursi et la voix de Fiorentino. Vous en aviez rêvé, Pichuco l’a fait pour vous.
Aníbal Carmelo Troilo y Marcos
Pichuco, el Gordo, el bandoneón mayor de Buenos Aires et autres appellations témoignent de l’affection que portent les Portègnes à Troilo.
Il utilisait son nom véritable, tout comme son grand frère Marcos, également bandonéiste et qui travailla d’ailleurs dans l’orchestre de son frère de 1941 à 1947.
La famille Troilo en promenade au Jardin zoologique de Buenos Aires. À gauche, Anibal, au centre la mère (Felisa Bagnoli) et à droite, Marcos, le grand frère d’Anibal.
Le chouchou de Buenos Aires
Un émoticon qui va devenir culte. Moi, je l’adore.
À Buenos Aires, Troilo est littéralement adoré. C’était nettement moins le cas en Europe et je me souviens qu’en 2014, en France, pour le centenaire de sa naissance, certains danseurs faisaient la moue quand j’annonçais une tanda de Troilo. J’ai cependant insisté et je pense que désormais, Troilo est unanimement apprécié, même s’il y a quelques semaines, je recueillais les confidences d’un danseur qui m’indiquait qu’il avait du mal à danser sur Troilo. Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le débat ici, mais Troilo a fait du tango pour la danse et du tango à écouter. Par ailleurs, il adorait les chanteurs et leur a donné un peu plus de présence. Cela a donc influé sur la dansabilité de ses titres. Il convient donc de choisir les Troilo que l’on propose en milonga et l’on peut donner énormément de bonheur aux danseurs, même en sortant de la liste d’une quinzaine de titres à laquelle se limitent la plupart des DJ. Avec cette valse, pas de risque de déception, sauf bien sûr pour les rares danseurs qui n’aiment pas les valses (bisous, Henri et Catherine).
Les débuts de Pichuco contés par son frère, Marcos
Je vous propose cette archive datant de 1969, dans laquelle son grand frère, Marcos, parle des débuts de son fameux frère. L’entrevue est menée par Pipo Mancera (José Nicolás Mancera)
Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera
Transcription partielle, mais pas partiale.
Pipo hablando a Aníbal: Pichuco, No, no te voy a pedir nada, se lo voy a preguntar a Troilo, pero no a vos, se lo voy a preguntar a tu hermano. Pipo a Marcos: Si usted fuera tan amable, adelante señor Troilo. Pipo al público: Marcos Troilo, hermano mayor de Aníbal Troilo. Pipo a Marcos: Como era su hermano cuando era chico? Marcos: Bueno mi hermano cuando chico ya dejaba entrever que iba a ser un poquito gordito […] que estaban en una época de los 10 a los 12 años 13 años bueno. Pipo a Marcos: Señor Troilo cuando se despierte en Pichuco su amor por la música? Marcos: Bueno, Pichuco, hace muchísimos años, tenía la edad de 10, 11 años y nosotros frecuentábamos un club que se llamó la Fanfarria (La Fanfarria estaba en los terrenos del antiguo Hipódromo Nacional, ahora, lugar de la cancha de River Plate, el club de Aníbal…) en las cuales los socios aportaban semanalmente uno o dos pesos y todas las semanas los mismos socios hacían una pequeña jugada en la cual si se llegaba a ganar se aportaba para hacer un picnic o una fiesta o un baile. Pipo: Qué lindo Marcos: Entonces es ahí donde empezó la vocación de Pichu pues esa cosa que se le despertó a él. Y yo recuerdo muy bien en los picnics cuando se encontraba con los bandoneones que actuaban en esa fiesta que festejaban eso que nosotros estábamos ahí que se sentaba siempre al lado de uno de los bandoneones y lo miraba muy atentamente. Entonces llegó un día de que esos picnics se hacían con mucha frecuencia y un día le dijo a mi madre que le comprara un bandoneón. Esta vez así que en una oportunidad yo regresaba a casa y me dijo mi madre dice mira dice lo que hay arriba de esa cama. Y era un bandoneón que le había comprado en una casa de la calle Córdoba, a un señor que lo recuerdo como si fuera ahora, se llamaba “Esteinguar” (o Estenguar, apellido a verificar) Pipo: Si como es este mismo (El bandoneón que está usando Aníbal) Aníbal: Cuarenta y tres años. Pipo: El fueye que le compro su madre. Marcos: y creo que le costó 140 pesos […] Pipo: 140 pesos Aníbal: A pagar 10 pesos por mes. Hay una anécdota curiosísima. A los cuatro meses, no vinieron a cobrar. El tipo se había muerto. Así que me costó 40 pesos. Pipo a Marcos: Pero me has dado un dato que para mí es muy importante […] (Pipo pido el fuye a Anibal, tratando de hacer tocar a Marcos…) usted aprendió a tocar el fueye porque sabía que su hermano iba a ser famoso. Marcos: No simplemente porque me contagió el entusiasmo que él tenía y un día decidí practicar y empecé a tocar una cosita de acá otra cosita de acá agregando y empecé a tocar un valsecito con éxito. Pipo: Cuántos años hace que no toca el bandoneón? Marcos: Bueno en honor de la verdad creo que hace del año 48 a fines del 48 (Marcos tocó en la orquesta de su hermano hasta 1947). Pipo: Qué es lo que mejor recuerda que tocaba en bandoneón… Un valsecito, un tanguito? Marcos: Creo que era un tango de Charlo. Este tango precioso. No recuerdo bien el nombre ahora, pero, que Pichuco me lo puede hacer recordar. […]
Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera. En azul mis comentarios.
Traduction libre de l’entrevue avec Marcos Troilo
Pipo s’adressant à Aníbal : Pichuco, non, je ne vais rien te demander, je vais demander à Troilo, mais pas à toi, je vais demander à ton frère. Pipo à Marcos : Si vous voulez bien le faire, venez, M. Troilo. Pipo au public : Marcos Troilo, le frère aîné d’Aníbal Troilo. Pipo à Marcos : Comment était ton frère quand il était enfant ? Marcos : Eh bien, quand il était enfant, mon frère avait déjà laissé entendre qu’il allait être un peu potelé […] C’était au moment où il avait 10 à 12 ans, 13 ans. Pipo à Marcos : M. Troilo, quand l’amour pour la musique s’éveille-t-il chez Pichuco ? Marcos : Eh bien, Pichuco, il y a de nombreuses années, il avait 10 ou 11 ans et nous fréquentions un club appelé la Fanfarria (la Fanfare, qui était sur le terrain de l’ancien hippodrome national, aujourd’hui l’endroit où se trouve le terrain de River Plate, le club d’Aníbal…) dans lequel les membres contribuaient à hauteur d’un ou deux pesos par semaine et chaque semaine, les membres eux-mêmes faisaient une petite pièce dans laquelle s’ils gagnaient, c’était un apport pour faire un pique-nique, une fête ou une danse. Pipo : C’est mignon. Marcos : C’est donc là que la vocation de Pichu a commencé, cette chose qui s’est éveillée en lui. Et je me souviens très bien que lors des pique-niques, lorsqu’il rencontrait les bandonéonistes qui jouaient à cette fête. Il s’asseyait toujours à côté de l’un des bandonéonistes et le regardait très attentivement. Puis il y a eu un jour où ces pique-niques étaient très fréquents et un jour il a dit à ma mère de lui acheter un bandonéon. Une fois que je rentrais à la maison, ma mère m’a dit, regarde ce qu’il y a sur ce lit. Et c’était un bandonéon qu’elle avait acheté dans une maison de la rue Cordoba, à un homme dont je me souviens comme si c’était maintenant, son nom était « Esteinguar » (ou Estenguar, nom de famille à vérifier) Pipo : Oui, c’est celui-ci. (Le bandonéon qu’utilise Troilo est celui acheté par sa mère) Hannibal : Quarante-trois ans. Pipo : Le fueye que votre mère lui a acheté. Marcos : Et je pense que ça lui a coûté 140 pesos […] Pipo : 140 pesos Aníbal : À payer 10 pesos par mois. Il y a une anecdote très curieuse. Au bout de quatre mois, ils ne sont pas venus réclamer leur dû. Le gars était mort. Cela m’a donc coûté 40 pesos. Pipo à Marcos : Mais tu m’as communiqué une information qui est très importante pour moi […] (Pipo emprunte le bandonéon à Anibal et essaye d’en faire jouer son frère, Marcos) tu as appris à jouer du bandonéon parce que tu savais que ton frère allait devenir célèbre ? Marcos : Non, simplement parce que j’ai été contaminé par l’enthousiasme qu’il avait et qu’un jour j’ai décidé de m’entraîner et j’ai commencé à jouer une petite chose d’ici, une autre petite chose par-là, et j’ai commencé à jouer une valse avec succès. Pipo : Combien d’années se sont-elles écoulées depuis que vous n’avez pas joué du bandonéon ? Marcos : Eh bien, pour être honnête, je pense que c’était en 1948 à la fin de 1948 (Marcos a effectivement joué dans l’orchestre de son frère jusqu’en 1947). Pipo : De quoi te souviens-tu le mieux quand tu jouais du bandonéon ? Une valse, un tango ? Marcos : Je crois que c’était un tango de Charlo. Un beau tango. Je ne me souviens plus très bien du nom, mais Pichuco peut me le rappeler. […]
Extrait musical
Écoutons maintenant le tango du jour, qui est cette merveilleuse valse, Valcesito amigo.
Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Les paroles
Vals sentimental de nuestras viejas horas, ¡nunca te escuché tan triste como ahora! Llegas hasta mi para aumentar mi queja, tiene tu rondín sabor a cosa vieja… Vals sentimental, ingenuo y ondulante, vuelvo a recordar aquellos tiempos de antes. Una voz lejana me acusa en tu canción, ¡valcesito!… ¡y envuelve mi emoción!
Vuelca tu nostalgia febril, tu musiquita sensual, se que no es posible seguir oyéndote sin llorar. Valcesito amigo, no ves esta incertidumbre tenaz que no hace más que remover y conmover mi soledad… Unos ojos verdes de mar más grandes que su ilusión, unas ansias grandes de amar… después… llorando una voz… Valcesito amigo, no ves que tu musiquita sensual no sabe más que atormentar y atormentar mi corazón…
Cuando llegue el fin de mi oración postrera, quiero imaginarla así, como ella era… Juntaré mi voz a aquellos labios suyos, mientras tu canción nos servirá de arrullo. Vals sentimental de nuestras horas, ya no me verán tan triste como ahora. Lentamente tus notas amigas cantaré, valsecito… ¡y entonces moriré!
Anibal Troilo Letra: José María Contursi
Traduction libre
Petite valse amicale
Valse sentimentale de nos heures anciennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine. Tu ne viens à moi que pour me tourmenter. Tes notes ont la saveur des choses passées… Valse sentimentale, ingénue et ondulante, de ces temps d’autrefois tu fais revenir le souvenir. Une voix lointaine m’accuse dans ta chanson, petite valse, et enserre mon émotion.
Tu verses ta nostalgie fébrile, ta petite musique sensuelle, tu sais que je ne peux pas continuer de t’entendre sans pleurer. Petite valse amie, ne vois-tu pas cette incertitude tenace, qui ne fait rien que remuer et aviver ma solitude ? Des yeux verts de mer, plus grands que ton illusion, une fringale immense d’aimer… Puis… Une voix qui pleure… Valse amicale, ne vois-tu pas que ta petite musique sensuelle ne sait rien faire d’autre que tourmenter et tourmenter mon cœur…
Quand arrivera la fin de ma dernière prière, je veux l’imaginer ainsi, comme elle était… Je joindrai ma voix aux siennes lèvres, pendant que ta chanson nous servira de roucoulement. Valse sentimentale de nos heures ; jamais me virent si triste comme maintenant. Lentement, je chanterai tes notes amicales, petite valse… et ensuite, je mourrai !
Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
C’est le tango du jour. Troilo est sur son terrain, car il en est le compositeur. La première minute fait monter la tension afin de préparer l’intervention de Fiorentino. Le mode mineur adopté donne un peu de nostalgie à la musique, mais le rythme soutenu entraîne les danseurs dans une valse énergique. Les instruments, violons et bandonéon, mais aussi la voix relance l’énergie à chaque mesure. Le premier temps est marqué de façon sensible mais sans brutalité, toute en subtilité. Troilo a trouvé une façon de marquer les trois temps de la valse avec un style particulièrement fluide, que préserve Fiorentino. Impossible de résister à l’élan sans cesse renouvelé. Même Fiorentin ne semble pas devoir reprendre son souffle, pour ne pas couper la dynamique malgré une diction parfaite et rapide.
Valsecito amigo 1943-08-17 Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.
Enregistrée cinq mois plus tard, la version de Canaro marque bien la différence de style. Troilo a une modernité naissante bien différente de la version plus traditionnelle de Canaro. Cependant, il ne faudrait pas jeter la magnifique prestation de Canaro et l’émotion que suscite Eduardo Adrián. Canaro qui est également à la tête d’un orchestre de jazz utilise des instruments plus rares dans les típicas de tango, comme la trompette bouchée ou la clarinette. Les instruments se répondent, des motifs répondent à l’instrument principal qui peut être la voix. Ces petits accents sont comme des fioritures que peuvent observer les danseurs pour sortir du rythme régulier et puissant bien que d’un tempo plus modéré. Canaro donne la parole successivement à chaque instrument ce qui évite la monotonie, chaque reprise a une couleur différente. Canaro a sa sonorité propre, facilement reconnaissable et le résultat est aussi fantastique que la version de Troilo et Fiorentino. Sur l’île déserte, il faut absolument emporter les deux.
S’il existe bien sûr d’autres enregistrements, il n’y a rien de bien passionnant qui puisse faire passer au second plan les versions de Troilo et Canaro. On dirait que les merveilles réalisées par ces deux monstres sacrés ont fait peur aux suiveurs. Cependant, un enregistrement moderne me semble intéressant, peut-être, car il me rappelle le Cuarteto Cedrón qui fut un des orchestres qui berça mon enfance avec la voix si particulière de Juan.
Valsecito amigo 2010-10-22 La Típica Orquesta de Tango con Juan Tata Cedrón (voz y dirección).
À voir
Pour mieux connaître Pichuco, vous pouvez consulter ce film documentaire sur ceux qui font vivre l’héritage de Pichuco. Il a été réalisé en 2014 à l’occasion du centenaire de sa naissance.
Un recorrido musical por la obra de Aníbal ¨Pichuco¨ Troilo, uno de los personajes fundamentales de la historia del Tango y la música Argentina. Director: Martín Turnes. 2014. https://play.cine.ar/INCAA/produccion/1451
Il faut un compte pour voir le film, mais c’est gratuit et cela vous ouvrira la porte des merveilleuses ressources de l’INCAA.
Adiós, los Troilos
Marcos est décédé le 7 avril 1975 et un peu plus d’un mois plus tard, Anibal l’a rejoint. Le poète Adrián Desiderato écrivit à cette triste occasion : « Fue un 18 de mayo, ese día al bandoneón, se le cayó Pichuco de las manos ». Ce fut un 18 mai, ce jour du bandonéon, qu’il tomba des mains de Pichuco. Depuis l’âge de dix ans, l’instrument n’a pas quitté Anibal. On a donc décidé de faire du 18 mai le jour du bandonéon. Le seul hic, c’est qu’il y a un doute réel sur la date de décès d’Anibal, 18 ou 19 mai ? Je vous laisse méditer, comme le héros de cette valse, interprété par Fiorentino, Adrián et Cedrón.
Valsecito amigo… Valse sentimentale de nos heures anciennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine.
Tu ne viens à moi que pour me tourmenter. Tes notes ont la saveur des choses passées…
Je pense que vous ne devinerez pas pourquoi il y a un tigre pour présenter le tango du jour, Lorenzo enregistré par Fresedo. Lorenzo était-il un tigre du zoo de Buenos Aires ? Parle-t-on d’un Lorenzo originaire de Tigre ? Rien de tout cela, vous ne pourrez jamais deviner sans lire ce qui suit…
Le tango « Lorenzo » a été composé par Agustín Bardi et les paroles écrites par Mario Alberto Pardo en l’honneur du bandonéoniste Juan Lorenzo Labissier. Il a été joué pour la première fois dans le café Dominguez (celui qui est célébré par D’Agostino avec la célèbre phrase introductive dite par Julián Centeya :
« Café Domínguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda. Café del cuarteto bravo de Graciano de Leone. »
Café de la vieille rue Corrientes [rue de Buenos Aires, célèbre pour ses théâtres et son histoire intime avec le tango] qui n’existe plus. Café du cuarteto Bravo de Graciano de Leone. Nous n’avons aucun enregistrement de cette époque [avant 1919] de ce cuarteto constitué de lui-même à la direction et au bandonéon, de Roccatagliata au violon de Carlos Hernani Macchi à la flûte et d’Agustín Bardi, l’auteur de ce tango, au piano. On peut se demander pourquoi Bardi a dédicacé ce tango à Labissier alors qu’il travaillait pour un autre bandonéoniste. Je n’ai pas la réponse ;-) Souvent, les hommages sont faits en mémoire d’un ami récemment défunt comme la magnifique Valse « A Magaldi », mais dans le cas présent, le dédicataire a survécu près de 40 ans à cette dédicace. Bardi le connaissait pour avoir travaillé avec lui au café Café Royal, café plus connu sous son surnom de Café del Griego (du Grec). Ce café était situé à proximité de l’angle des rues Necochea et Suarrez (La Boca). À l’époque Bardi était violoniste et se transforma en pianiste… Signalons en passant que Canaro qui a enregistré le titre le 23 mai 1927, la veille de Fresedo qui signe le tango du jour avait fait ses débuts officiels dans les mêmes parages. N’oublions pas que sur quelques dizaines de mètres se collisionnent de nombreux souvenirs de tango, Lo de Tancredi, le lieu de naissance de Juan de Dios Filiberto, La de Zani, et la rencontre entre Canaro et Eduardo Arolas qui était surnommé le Tigre du bandonéon. Cela pourrait être une des raisons pour laquelle j’ai mis le tigre dans l’image de couverture, mais il y en a une autre. Soyez patients.
Là où on revient à Lorenzo
Pour revenir au dédicataire du tango, Lorenzo n’était pas comme Arolas un Tigre, mais il a joué durant une vingtaine d’années de son instrument dans différents orchestres et notamment avec Vicente Greco (trio, quinteto et típica). La communauté des musiciens de tango semble avoir été très soudée à cette époque et Lorenzo était donc un proche des Greco (Vicente, mais aussi ses frères, Ángel et Domingo). On peut voir cela aux dédicaces des partitions.
Quelques exemples de tangos dédicacés à Lorenzo Juan Labissier. Canaro, Filiberto, Bardi (qui a donné son prénom au tango) et Thompson.
Il a composé quelques titres parmi lesquels : Aquí se vacuna, dédicacé aux docteurs Gregorio Hunt et Fernando Álvarez, La biyuya (l’argent en lunfardo), El charabón (nandou) dédicacé à son ami José Martínez, Blanca Nieve (Blanche Neige) dédicacé à sa sœur Blanca Nieve Labissier, Pochita, Ensueño, Ósculos de fuego, Romulito, Recuerdo inolvidable…
Quelques exemples de partitions composées par Lorenzo Juan Labissier.Orchestre de Vicente Greco. Lorenzo est le bandonéon de droite. Dans la plupart des illustrations, la photo est inversée. Là, vous l’avez en couleur et à l’endroit…
Extrait musical
Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).
Les paroles
Tous les enregistrements sont instrumentaux, mais il y a des paroles, écrites par Mario Alberto Pardo. Les voici…
Noches de loco placer, de orgias, de mujeres, de champán que ya no volveré a beber porque mi corazón, sangrando en sus recuerdos, llora una emoción.
Cuando el primer metejón en mi pecho clavo su ponzoña fatal y la traición de mujer en mi pecho el veneno empezó a destilar, vicio tras vicio adquiriendo, fui necio bebiendo mi propio pesar; loco, hice de mi vida milonga corrida buscando olvidar.
Así da gusto la vida quien lo pudiera gozar sin un dolor, sin un pesar con un amor a disfrutar, buscando siempre la alegría que reinara en la música del fueye, de las copas y el champan.
Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo
Traduction libre et indications
Nuits de plaisir fou, d’orgies, de femmes, de champagne que je ne reviendrai plus boire, parce que mon cœur, saignant dans ses souvenirs, pleure son émotion. Quand, la première passion amoureuse cloua dans mon cœur son poison fatal et la trahison de la femme s’est mise à distiller son venin, ajoutant vice sur vice, j’ai été stupide de boire mon propre chagrin ; Fou, j’ai fait de ma vie une milonga débridée pour chercher à oublier. Ainsi, la vie rend heureux celui qui pourrait en profiter sans douleur, sans regret, avec un amour à profiter, cherchant toujours la joie qui régnera dans la musique du bandonéon, des coupes et le champagne. Heureusement qu’il parle de bandonéon à la fin, pour rester dans le thème de l’hommage à l’ami du compositeur. Je n’ai pas d’information sur la vie amoureuse de Lorenzo. Il dédicace un tango à sa sœur, Blanche Neige, pas à ma connaissance à une femme. Peut-être a-t-il été empoisonné comme le suggère ce tango et Bardi, en bon ami, a essayé de le consoler avec ce titre.
Les versions
Lorenzo 1926-12-28 — Orquesta Julio De Caro.
Parmi les éléments amusants de cette version, le couplet sifflé à 0:15 et à 1:15) et le cri à 2:21. Le bandonéon est assez discret, les violons dans les pizzicati et les legati, voire le piano, ont plus de présence. Cela n’enlève rien au charme du résultat et les quelques notes finales de bandonéon permettent de rappeler que ce thème est en l’honneur d’un bandonéoniste. Un des rares thèmes de De Caro qui peut se prêter à la danse, en tous as pour ceux qui sont attirés par la vieille garde.
Lorenzo 1927-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.
On reste dans la vieille garde. Cette version est plus simple, directement canyengue, le violon reste présent, mais le bandonéon a un peu plus de temps d’expression que dans la version de De Caro.
Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).
Enregistré le lendemain de la version de Canaro, la version de Fresedo est plus dynamique et expressive, tout en conservant les appuyés rappelant le canyengue. Là encore un joli violon. Bardi a décidément été fidèle à son premier instrument. À partir de 1:20, joli solo de bandonéon. Là encore le bandonéon a le dernier mot en lâchant les dernières notes.
Lorenzo 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Un tempo soutenu, les bandonéons sont plus présents, par exemple à 1:00 et ils accompagnent les violons qui gardent leurs superbes chants en legato. Un bon d’Arienzo, des débuts de Biagi dans l’orchestre, même si son piano ne se remarque que par quelques gammes virtuoses et par le final qui est donc au piano au lieu du bandonéon.
Lorenzo 1938-03-24 — Orquesta Francisco Canaro.
On redescend en rythme par rapport à Fresedo et D’Arienzo. Le bandonéon a pris à sa charge des éléments qui étaient plus à la charge des violons dans d’autres versions. Le piano a aussi plus de voix. C’est une version complétée par quelques notes de flûte et c’est cette fois-ci le violon qui a le mot de la fin.
Lorenzo 1950-05-05 — Orquesta Francisco Canaro.
Un tempo rapide, dans un style encore un peu canyengue par moment et à d’autres donnant dans le spectaculaire, notamment avec les explosions de piano. Comme dans la version de 1938, la flûte et le bandonéon ont de la présence. C’est au finale une version bien ludique qui donne encore une fois le dernier mot au violon. Sans doute une tendresse personnelle pour son instrument.
Lorenzo 1965 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Je ne sais pas ce qu’aurait pensé Lorenzo s’il avait vécu quinze ans de plus pour pouvoir entendre cette version. En tous cas, pas question de l’exploiter pour danser en milonga.
Lorenzo 1987 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Pour terminer par une version qui peut aller au bal, un petit tour en Uruguay. Comme toujours l’orchestration de Villasboas est claire et semble simple. Le piano, son piano est très présent et marque le rythme et le bandonéon alterne avec le violon. Cette version enjouée devrait ravir les danseurs qui sont prêts à sortir de l’âge d’or. Une seconde écoute pourra être utile pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version afin d’en tirer toutes les subtilités suggérées pour l’improvisation.
Roulons des mécaniques…
Un peu hors concours, une curiosité, une version au pianola :
Le pianola est un piano mécanique qui peut être joué comme un piano normal, à condition de ne pas avoir de trop grandes jambes, car le mécanisme sous le clavier prend de l’espace. Sa particularité, vous la verrez dans la vidéo, est qu’il joue tout seul, comme un organito à partir d’un programme sur carton perforé.
La fortune du thème
Une publicité Scandale de 1947.
En juillet 1947, Henri Betti qui est de passage à Nice s’arrête devant la vitrine d’une boutique de lingerie féminine Scandale et il prétend que c’est là que les neuf premières notes musicales de la chanson lui viennent en tête : fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, ré. Il prétend ensuite avoir écrit le reste en moins de dix minutes. Lorsqu’il retourne à Paris, il s’entend avec le parolier André Hornez qui lui fait différentes propositions et finalement, c’est si bon, qui est le titre élu pour cette chanson qui commence donc par le fa, mi, mi bémol sur chacune de ces syllabes. Vos commencez à me connaître et je trouve que cette histoire est très suspecte. En effet, pourquoi citer un magasin de lingerie féminine ? Je comprends que cela peut donner des idées, mais la musique n’évoque pas particulièrement ce type de vêtements. En fait, la réponse est assez simple à trouver. Regardez quel est l’orchestre qui joue dans cette vidéo :
Et maintenant, écoutez la première version enregistrée de c’est si bon.
C’est si bon 1948 — Jacques Hélian & son Orchestre — Jean Marco
Eh, oui ! C’est l’orchestre de Jacques Hélian, le même qui avait fait la publicité Scandale. De deux choses l’une, Hélian et/ou Betti ont trouvé une façon de monnayer l’histoire auprès de Scandale, afin de montrer que la marque inspirait également les hommes. Henri Betti tirera beaucoup de satisfaction de ce titre. On le voit ici le jouer en 1959 dans l’émission « Les Joies de la Vie » du 6 avril 1959 réalisée par Claude Barma.
Henri Betti jouant Lorenzo. Pardon, jouant C’est si bon !
Betti a écrit de nombreuses chansons, mais aucun n’a atteint ce succès. Peut-être aurait-il été inspiré de pomper un peu plus sur les auteurs argentins. N’allons pas en faire un scandale, mais continuons à voguer avec « C’est si bon », qui rapidement traversera l’Atlantique
C’est si bon 1950 — Johnny Desmond Orchestre dirigé par Tony Mottola et les voix en chœur par The Quintones
Le titre sera également repris par Louis Amstrong, Yves Montand et…
Pourquoi un tigre ?
Cet indice sera-t-il suffisant ?
Quand j’étais nettement plus jeune, il y avait une publicité pour une marque d’essence qui promettait de mettre un tigre dans son moteur (ou dans son réservoir selon les pays). L’air de la publicité était celui de « C’est si bon », mais je l’ai toujours associé à Lorenzo, ne connaissant pas le titre en français. Je n’ai pas réussi à retrouver cette chanson publicitaire de la fin des années 60, mais je suis sûr que vous me croyez sur parole. La chanson disait « c’est si bon, d’avoir les meilleurs pneus, pouvoir compter sur eux »… et se terminait par « Esso c’est ma station ! ». « Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette », pardon, voilà que je me prends pour Sganarelle. Voilà justement ce qui explique la présence du tigre. Les gamins dont j’étais tannaient leurs parents pour obtenir la queue de tigre à laisser pendre au rétroviseur. Donc, à défaut du Tigre du Bandonéon (Arolas), c’est le tigre d’Esso qui vous salue et moi qui vous remercie d’avoir lu cela, jusqu’au bout, ce petit texte en l’honneur de Lorenzo Juan Labissier.
On connaît tous la milonga du jour, El Porteñito, mais est-ce vraiment une milonga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñito et ce qu’il nous cache.
Ángel Villoldo a composé et créé les paroles de ce tango qui est un des plus anciens dont on dispose des enregistrements. Je profite donc de ce patrimoine pour vous faire toucher du doigt le tango des origines avec le risque de relancer le débat des anciens et des modernes.
Extrait musical
El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
La version du jour est intermédiaire sur tous les plans.
Elle a été enregistrée en 1943, soit environ 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or du tango.
Les deux anges se sont donc associés à un troisième, Villoldo pour nous offrir cette belle milonga… ou beau tango… Disons que c’est un tango milonga, un canyengue rapide. Ce titre évoluera depuis sa création entre les rythmes, nous en verrons quelques exemples en fin d’article.
Les paroles
Les paroles, il y a vraiment plusieurs paroles à ce tango. El porteñito est El criollito dans la plus ancienne version enregistrée. Je vais donc vous proposer trois versions. Celle de D’Agostino et Vargas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite partie des paroles. L’introduction musicale, nous présente un type qui se balade dans les rues, saluant les passants 1:22 plus tard, Vargas entame le chant et termine à la fin du titre. Cette version est généralement considérée comme une milonga, mais si vous la dansez en canyengue, personne ne vous dira rien.
D’Agostino Vargas 1943 Soy nacido en Buenos Aires, me llaman « El Porteñito », el criollo más compadrito que en esta tierra nació. Y al bailar un tango criollo no hay ninguno que me iguale porque largo todo el rollo cuando me pongo a bailar. Anda que está lindo el baile! brindase comadre, y el compadre… Soy un taura del noventa, tiempo bravo del tambito, bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñito” y al bailar un tango bravo, lo hago con corte y quebrada para dejar bien sentada mi fama de bailarín.
Villoldo 1908 Soy hijo de Buenos Aires, por apodo « El Porteñito », el criollo más compadrito que en esta tierra nació. Cuando un tango en la vigüela rasguea algún compañero no hay nadie en el mundo entero que baile mejor que yo.
No hay ninguno que me iguale para enamorar mujeres, puro hablar de pareceres, puro filo y nada más. Y al hacerle la encarada la fileo de cuerpo entero asegurando el puchero con el vento que dará.
…Recitativo… Soy el terror del malevaje cuando en un baile me meto, porque a ninguno respeto de los que hay en la reunión. Y si alguno se retoba y viene haciéndose el guapo lo mando de un castañazo a buscar quien lo engrupió.
Cuando el vento ya escasea le formo un cuento a mi mina (china) que es la paica más ladina que pisó el barrio del sur. Y como caído del cielo entra el níquel al bolsillo y al compás de un organillo bailo el tango a su « salú ». …Recitativo…
Los Gobbi 1906 Él: Soy hijo de Buenos Aires E me llaman el criollito, El más pierna e compadrito Per cantar e per bailar. De las chinas un querido Todas me brindan amores, Soy el que entre los mejores Siempre se hace respetar. Ella: Este tipo extravagante Que viene a largar el rollo, Echándosela de criollo Y no sabe compadrear. Es un gringo chacarero De afuera recién llegado Un criollo falsificado Que la viene aquí a contar. Él: Soy tremendo para el baile Se me voy donde hay… E agarrando la guitarra La “melunga” sé cantar. Ella: No arrugués que no hay quién planche Afeitate, volvé luego, Que te ha conocido el juego Gringo, podés espiantar. Él: No te hagás la compadrona La paciencia se me acaba, Te va´ a comé una trompada Se me llego yo a enojar. Ella: Arrimate che italiano Y haceme una atropellada. Él: Te la doy. Ella: Pura parada Si ni el agua vos cortás. Él: Fijate qué firulete, qué parada No hay ninguno que me pueda guadañar. Juntos: Porque somos para el tango Los más piernas, Y sabemos hacernos respetar.
Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)
Les versions
El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – Dúo Los Gobbi.
Le titre est un peu différent, ainsi que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñito est el criollito et il le texte comporte de nombreuses variations par rapport à la version « canonique ». Deux points sont à signaler. C’est un duo (que je trouver relativement pénible entre les époux Gobbi, Flora et Alfredo) avec des passages parlés comme c’était assez courant à l’époque.
El porteñito 1908 — Ángel Villoldo.
Cet enregistrement par l’auteur pourrait servir de référence. Ce sont les paroles de la version centrale (il y a quelques petites différences, comme mina au lien de china, mais qui ne change pas le sens).
El porteñito (La Criollita) 1909 – Andrée Vivianne con orquesta.
Une version chantée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flora Gobbi, mais de peu. On notera qu’elle a adapté les paroles en chantant au féminin et en se faisant appeler la criollita et non pas la porteñita.
El Porteñito 1928-09-26 – Orquesta Típica Victor (Adolfo Carabelli).
On arrive ici à la première version dansable. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Carabelli. C’est une version instrumentale, avec de beaux dialogues instrumentaux, et des violons qui plairont à beaucoup. Une fantaisie qui pourrait passer dans une milonga, mais pas comme une milonga, c’est clairement un tango et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la quebrada dont parlent d’ailleurs les paroles.
El Porteñito 1937-08-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Une version au rythme syncopé avec un plan de violon ou bandonéon qui survole le tout. Une impression d’accélération à la fin et quelques ponctuations de Biagi au piano témoignent du style qui est en train de se mettre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une version rarement diffusée en milonga. Elle pourrait l’être, mais il y a d’autres titres plus porteurs qui prennent la place dans le temps limité donné au DJ pour faire des propositions.
El Porteñito 1941-06-06 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Canaro enregistrera deux fois avec le quinteto Pirincho ce titre. Voici la première version, assez brillante, notamment grâce à la partie de piano interprétée par Luis Riccardi.
El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.
C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.
El Porteñito 1959-04-09 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Je fais un petit saut dans le temps en passant diverses versions pour retrouver le Quinteto Pirincho et la flute géniale de Juvencio Física qui donne une couleur à cette version qui balance toujours entre le tango et la milonga, mais on peut en général le passer comme milonga, car son allure très enjouée le rend sympathique à danser et il est suffisamment connu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fioritures de l’orchestre puissent être mises en valeur par les danseurs.
El Porteñito 2013 – Otros Aires y Joe Powers.
Je vais vous demander de me pardonner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gagnées. Il y a aussi des tragédies, comme cette version mixant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renouveler et transformer ses premiers essais) et l’harmoniciste, Joe Powers (qui est loin d’être mon préféré). Le résultat est à la hauteur de mes espérances, inaudible, je comprends votre colère.
L’élégance au tango dans les années 1900
On a un peu de mal à imaginer que le tango ait pu paraître sulfureux au point d’être interdit à Buenos Aires. Cependant, il y avait tout de même de bonnes raisons. Il était dansé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrêmement élégant, mais de prendre du plaisir avec une femme compréhensive (même si cela la rendait malheureuse, comme a pu le voir hier avec Zorro gris qui parlait d’une grisette dans un établissement de luxe). On imagine que dans d’autres lieux comme Lo de Tranqueli, la réalité était bien pire.
El Cachafaz et Carmencita Calderon, deux danseurs réputés qui ont donné leurs lettres de noblesse au tango en assagissant les singeries des premiers tangos. À noter que Carmencita dansera encore en public à plus de 100 ans. Le tango, ça conserve.
El Cachafaz et Carmencita Calderon dans Tango de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozán dans le film de Manuel Romero Carnaval de Antaño.
Je parlerai plus abondamment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bianquet, dit el Cachafaz, au sujet de la version du tango El Cachafaz, dans la version de D’Arienzo du 2 juin 1937. Cette façon de danser passerait difficilement pour élégante de nos jours, mais elle faisait l’admiration de nos aïeux et on peut regretter aujourd’hui une certaine stérilisation de la danse. Je ne dis pas qu’il faut retrouver les outrances de l’époque, mais plutôt de prendre des petites idées, de relancer la machine à improviser. Je terminerai par cette image qui est un montage que j’ai réalisé à partir de photos du début du vingtième siècle où on voit des attitudes un peu surprenantes, mais qui étaient considérées comme très chic à l’époque. Cela devait toutefois être fait avec une certaine élégance et ne doit en aucun justifier les violences qu’infligent certains danseurs contemporains à leur partenaire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de travail 😉
Les danseurs de tango au début du vingtième siècle.
Cette version de Zorro gris a été enregistrée le 22 mars 1946 par Enrique Rodriguez, il y a exactement 78 ans. Sa musique attrayante cache une histoire qui comporte deux tragédies. Menons l’enquête.
Zorro en espagnol, c’est le renard.
Zorro gris, c’est donc le renard gris. Le tango enregistré par Rodriguez est une version instrumentale. La musique est plutôt allègre, il est donc facile d’imaginer un petit renard qui gambade. La musique explore des directions opposées. Les instruments qui se répondent permettent d’imaginer un renard furetant, d’un côté à l’autre.
En lunfardo, un renard…
En lunfardo, le renard peut désigner les manières de certains, mais ce sont aussi les agents de la circulation, dénommés ainsi à cause de la couleur grise de leur tenue.
La tenue grise des agents de la circulation leur a donné leur surnom de Zorro gris
Extrait musical
Voyons si l’écoute du tango du jour nous aide à en savoir plus.
Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.
Les paroles
Avec les paroles, tout s’éclaire et probablement que vos hypothèses vont être contredites. Cependant, la musique a été écrite avant 1920 et les paroles en 1921, il se peut donc qu’une fois de plus, elles aient été plaquées sans véritable cohérence. Francisco García Jiménez n’a écrit les paroles que de trois des compositions de Rafael Tuegols, Zorro gris (1920-21), Lo que fuiste (1923) et Príncipe (1924). Ce n’est donc pas une association régulière, Rafael Tuegols ayant composé au moins 55 tangos dont on dispose d’un enregistrement (sans doute beaucoup plus).
Cuantas noches fatídicas de vicio tus ilusiones dulces de mujer, como las rosas de una loca orgía les deshojaste en el cabaret. Y tras la farsa del amor mentido al alejarte del Armenonville, era el intenso frío de tu alma lo que abrigabas con tu zorro gris. Al fingir carcajadas de gozo ante el oro fugaz del champán, reprimías adentro del pecho un deseo tenaz de llorar. Y al pensar, entre un beso y un tango, en tu humilde pasado feliz, ocultabas las lágrimas santas en los pliegues de tu zorro gris.
Por eso toda tu angustiosa historia en esa prenda gravitando está. Ella guardó tus lágrimas sagradas, ella abrigó tu frío espiritual. Y cuando llegue en un cercano día a tus dolores el ansiado fin, todo el secreto de tu vida triste se quedará dentro del zorro gris.
Rafael Tuegols Letra : Francisco García Jiménez
Gardel change deux fois, au début et à la fin, le couplet en gras.
Traduction libre et explications
Combien de nuits fatidiques de vices, tes douces illusions de femme, comme les roses d’une folle orgie, les as-tu effeuillées au cabaret.
Et après la farce de l’amour menteur en t’éloignant de l’Armenonville, c’était le froid intense de ton âme que tu abritais avec ton renard gris.
En feignant des éclats de rire de joie devant l’or fugitif du champagne, tu as réprimé dans ta poitrine un désir tenace de pleurer. Et quand tu pensais, entre un baiser et un tango, à ton humble passé heureux, tu cachais les saintes larmes dans les replis de ton renard gris.
C’est pourquoi toute ton histoire angoissante gravite autour de ce vêtement. Il a gardé tes larmes sacrées, il a abrité ton froid spirituel. Et quand viendra, un jour prochain, la fin désirée de tes douleurs, tout le secret de ta triste vie restera au cœur du renard gris.
Le Renard gris d’Argentine (Lycalopex griseus) est un petit canidé d’Amérique du Sud. Le voici en manteau et quand ce n’est pas un manteau.
Je vous avais annoncé deux tragédies dans ce tango, la première est pour les renards gris qui terminent en manteaux, mais il en reste une seconde, que je vais préciser au sujet de l’Armenonville qui est cité dans les paroles.
L’Armenonville
Si on regarde Wikipédia et la plupart des sites de tango, l’Armenonville est décrit comme un restaurant chic. La réalité était un peu différente, d’autant plus que beaucoup d’auteurs confondent les deux Armenonville qui se sont succédés. J’en parlerai sans doute plus en détail le 6 décembre, à l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement du tango Armenonville par son auteur, Juan Félix Maglio « Pacho » avec des paroles de José Fernández.
L’Armenonville 1, celui qui fut détruit en 1925 et qui était donc celui évoqué dans Zorro gris et dans le tango du même nom dont la couverture de la partition représente l’entrée de l’établissement qui avait un parc
À l’époque sévissaient la traite des blanches, de façon un peu artisanale comme le racontent certains tangos comme Madame Ivonne, mais aussi de façon plus organisée, notamment avec deux grandes filières, la Varsovia (qui fut nommée par la suite Zwi Migdal) et le réseau marseillais. La population de Buenos Aires et de ses environs était alors relativement équilibrée pour les autochtones, mais déséquilibrée pour les étrangers fraîchement immigrés. Jusqu’à la fin des années 1930 où l’équilibre s’est à peu près fait, il y a eu jusqu’à quatre fois plus d’hommes que de femmes. Je reviendrai sans doute plus en détail sur cette question, car ce déséquilibre est une des sources du tango. Pour revenir à l’Armenonville, son nom et sa structure sont inspirés du bâtiment du même nom situé dans le Bois de Boulogne à Paris, bien qu’on le décrive parfois comme un chalet de style anglais. Il sera détruit en 1925 et un autre établissement du même nom (qui changera de nom pour Les Ambassadeurs, autre référence à la France) s’ouvrira avec des proportions bien plus grandes, nous en reparlerons au sujet du tango qui l’a pris pour titre. Pour ceux qui pourraient s’étonner qu’un établissement de Buenos Aires prenne un nom français, je rappellerai que la France à la fin du XIXe siècle était le troisième pays en nombre d’immigrés, un peu derrière l’Espagne et l’Italie. Ce n’est que vers 1914 que l’immigration française a cessé d’être importante, même si son influence est restée notable jusqu’en 1939 et bien au-delà dans le domaine du tango.
Le zorro gris, la seconde tragédie promise
L’Armenonville était un établissement de luxe, mais il avait des activités secondaires pour cette clientèle huppée. La possesseuse du manteau en Renard gris masquait sa tristesse dans les plis de son vêtement. Sa détresse s’exprimait lorsqu’elle quittait l’établissement. Si elle avait été une cliente fortunée allant danser et boire du champagne, on n’en aurait sans doute pas fait un tango. Elle était donc honteuse de ce qu’elle devait faire, c’est la seconde tragédie que partage avec elle son manteau de renard.
Autres versions
Zorro gris a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose ici quelques-unes.
Zorro gris 1920 — Orquesta Roberto Firpo.
Un enregistrement acoustique et de faible qualité sonore, mais le témoignage le plus ancien de ce tango.
Zorro gris 1921 — Carlos Gardel accompagné à la guitare par Guillermo Barbieri et José Ricardo.
Là encore la prestation souffre de la piètre qualité de l’enregistrement acoustique, mais c’est le plus ancien enregistrement avec les paroles de Jiménez. Gardel chante deux fois le premier couplet (en gras dans les paroles ci-dessus).
Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta Francisco Lomuto.
Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.
Zorro gris 1938-04-21 — Quinteto Don Pancho dirigé par Francisco Canaro.
Version tonique, sans doute un peu répétitive, mais rien d’excessif pour un titre de la Vieja Guardia. Son esprit est très différent de la version de 1927. À mon avis, ce n’est pas la version la plus agréable à danser, trop anecdotique, même si elle reste passable elle ne sera pas mon premier choix si je dois passer ce titre.
Zorro gris 1941-07-28 — Orquesta Francisco Lomuto.
Une version enjouée avec un tempo très rapide, sans doute un peu trop rapide, car cela brouille le dialogue entre les instruments qui est un des éléments intéressants de la structure de ce tango, mieux mis en valeur dans la version de 1927. Certains passages sont même franchement précipités.
C’est notre tango du jour. Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.
Zorro gris 1952-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca..
J’adore la voix de Larroca, mais le rythme un peu rapide me semble moins agréable que d’autres interprétations de ce chanteur.
Zorro gris 1954-04-28 — Orquesta Donato Racciatti con Carlos Roldán.
Ce titre a eu aussi son succès en Uruguay (Canaro est origine d’Uruguay), mais avec Racciatti, on est encore plus au cœur de l’Uruguay. Roldán propose ici une des rares versions chantées et elle est relativement intéressante et rarement jouée.
Zorro gris 1957-01-31 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Une version bien dans l’esprit de ce quintette avec Luis Riccardi (à moins que ce soit Mariano Mores), le pianiste en forme et un solo de flûte de Juvencio Física très sympathique.
Zorro gris 1973-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Un des derniers enregistrements de D’Arienzo, comme la plupart de ceux de cette époque, très flatteur pour le concert, mais sans doute un peu trop grandiloquent et anarchique pour la danse de qualité. Cependant, cet enregistrement pourra avoir son succès dans certaines milongas.
Zorro gris 1985 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Encore un enregistrement uruguayen dans le style bien reconnaissable de Villasboas, mais sans l’accentuation du style canyengue qui est souvent sa marque. Cet enregistrement nous propose un tango assez joueur, même si on peut le trouver un peu répétitif.
Zorro gris 2009 — La Tuba Tango.
On revient canyengue du début, mais de façon légère et en retrouvant les fantaisies qui avaient fait le charme de la version de 1927 par Lomuto. Cette version fait complètement les tragédies de ce tango et peut donc être la source de pensées joyeuses qui se dansent.
Olvidao, le titre du tango du jour peut paraître étonnant à première vue, voire à seconde vue. Je vais alors vous dévoiler ses secrets. Olvidao a été enregistré par Canaro il y a exactement 92 ans.
Le parlé lunfardo
Olvidao est la forme « contractée » d’olvidado. Dans la prononciation faubourienne des premiers temps du tango, les chanteurs outre l’emploi du lunfardo chantaient avec ce type de prononciation déformée.
Un des plus forts exemples de ce type est celui que j’ai évoqué dans l’article sur Lo de Laura en citant la retranscription de l’ethnologue Eduardo Barberis reproduisant le texte d’un tango « La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli).
La partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre. Eduardo Barberis a essayé de restituer la prononciation du chanteur.
Les tangos ayant souvent été chantés d’une façon plus élégante par la suite, en général, je transcris les paroles en bon espagnol, donc sans les flexions défectueuses. Là, le titre étant figé en olvidao, je le laisse ainsi, mais il faut bien sûr comprendre « olvidado » (oublié).
Extrait musical
Olvidao 1932-03-21 — Orquesta Francisco Canaro. Tango instrumental. Le drame de l’histoire n’est pas sensible. C’est un bon tango de danse pour une tanda de la vieille garde.
Les paroles
Il s’agit d’une versión instrumentale qui ne laisse pas deviner la tragédie sous-jacente. Cependant, les paroles expliquent le titre du tango. Voici la version originale, celle écrite par Cadicamó.
Le peuple agrandit la langue — Académie portègne du Lunfardo… Effectivement, le tango a beaucoup puisé à l’imagination populaire et aux mélanges des peuples qui ont constitué la population de Buenos Aires.
PARTE I Lo mataron al pobre Contreras, Recién los casaban!… Si es para no creer! Un luz mala, saltó la tranquera Y vino a buscarle su propia mujer… Fue en el patio e’ la estancia «La Hazaña» La fiesta e’ los novios era un explendor, (esplendor)… Mas de pronto dos dagas hicieron De aquella alegría un cuadro e’ dolor… RECITADO Mató al despechado y herido de muerte, el recién casado, En sangre bañado, Habló de esta suerte PARTE II No es nada mi gaucha… No te asustés, vida… A los dos, peliando, Se nos fué el facón… Me viene golpeando Un vientito helado Aqui… de este lado En el corazón… Llevame unas flores, Anda a visitarme, La tierra es muy fría Pa estar olvidao… Adiosioto gaucha Te estaré esperando!… Me voy apagando De puro finao!…
PARTE I (BIS) Al principio fué pura promesa La viuda lloraba sin dunda demás… Mas después se le jué (fue) la tristeza. Y a su pobre gaucho no lo jué (fue) a ver más,. Con razón que en la noches e’ tormenta Se siente patente la voz del finao (finado) Que la llama diciendo: “Lucinda !” ‘Estoy muy solito’… ‘Llégate a mi lao (lado)’…
Guillermo Barbieri Letra Enrique Cadícamo
En rouge, ce qui est chanté par Charlo dans la première version enregistrée.
Traduction libre et explications
PREMIÈRE PARTIE Ils ont tué le pauvre Contreras, Ils venaient de le marier, et c’est incroyable, un gars (luz en lunfardo peut être un homme rapide) maléfique sauta le portillon, et vint le dérober à sa propre femme. C’était dans la cour du ranch « La Hazaña ». La fête où étaient les mariés était une splendeur, Mais tout à coup deux poignards firent de cette joie une image d’horreur. REFRAIN Il tua le vaurien Et mortellement blessé, le jeune marié baignant dans le sang parla de cette chance. SECONDE PARTIE Ce n’est rien ma gaucha, ne t’inquiète pas ma vie, En nous battant contre les deux, nous avons perdu le poignard Il me vient en frappant, un petit vent glacial, ici, de ce côté, dans le cœur. Apporte-moi des fleurs, viens me rendre visite, la terre est trop froide pour être oublié. Adieux ma gaucha, je t’attendrai, je m’éteins, pur défunt. PREMIÈRE PARTIE (BIS) Au début, c’était une promesse pure La veuve pleura sans doute de trop… Mais ensuite, la tristesse se fut Et elle n’alla plus voir son pauvre gaucho. C’est pour cela que dans les nuits d’orage, on entend clairement la voix du défunt, qui l’appelle en disant : « Lucinda, je suis très seul, viens à mon côté »… Je pense maintenant que vous savez pourquoi ce tango s’appelle Olvidao (Olvidado), c’est à dire oublié).
La partition
On voit que pour la partition, l’éditeur a choisi la dernière demeure de Contreras pour illustrer la partition. Les paroles sont celles d’origine. Dans les années 50, d’autres versions légèrement différentes ont circulé, notamment pour que les paroles soient plus intelligibles. Ce sont celles que l’on trouve en général, associées à Rivero ou Sosa. Sur cette partition, il y a quelques erreurs que j’ai corrigées, comme « jué » à la place de « fue ».
Autres versions
Olvidao 1932-03-18 — Orquesta Adolfo Carabelli con Charlo.
Trois jours avant l’enregistrement par Canaro. Beaucoup de différences dans le style. La musique est plus légère, je trouve plus élégante. Charlo chante un couplet (en rouge dans les paroles, ci-dessus). Même si ce passage parle de la mort, le tango reste tout à fait dans l’élégance de la danse et son final enjoué (la veuve joyeuse, sans doute), fait que l’on termine la danse dans de bonnes conditions.
Olvidao 1932-03-21 — Orquesta Francisco Canaro. Tango instrumental.
Le drame de l’histoire n’est pas sensible. C’est un bon tango de danse pour une tanda de la vieille garde. Charlo dans le film Puerto nuevo de Mario Soffici y Luis Cesar Amador en 1935 ou 1936.
Olvidao 1941-07-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Reynal.
Reynal chante presque toutes les paroles avec quelques variantes de détail qui ne changent pas le sens de l’histoire. L’énergie de D’Arienzo fait oublier le tragique de l’histoire. N’oublions pas qu’un grand nombre de danseurs hispanophones ne tiennent pas compte des paroles quand ils dansent. La lecture des textes de tango peut générer des pensées tristes, mais pas pour la danse quand c’est D’Arienzo qui mène la danse.
Olvidao 1952 — Edmundo Rivero con guitarras.
Avec Rivero, une version chanson qui bénéficie de l’expressivité de Rivero qui rend le tragique de l’histoire.
Olvidao 1953-02-03 — Julio Sosa con la Orquesta Francini-Pontier. Une autre version chanson par el Varon del tango. Olvidao 1953-08-05 — Juan Carlos Cobos Con la Orquesta Osvaldo Pugliese. Pour terminer, cette autre version en chanson que certains pourraient réclamer de danser. Pffff, écoutez-là, mais ne dansez pas SVP.Mariage, enterrement et oubli.
Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés
Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coïncidence de date fait, que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siècle, les musiciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment à Paris, les portes du succès. Un détail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva Valdès…
Correspondance de date. Cette anecdote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voyage entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me permettra d’animer quelques milongas et je rentrerai à Buenos Aires, fin avril.
Ce titre peut ouvrir la piste à de très nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’histoire contée dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine « Adios Argentina ». Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaît la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia écrit par Carlos Mauricio Pacheco). Dans le cas présent, j’ai préféré imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect différent sur les deux drapeaux.
Les voyages transatlantiques des musiciens de tango
Le début du vingtième siècle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe. Parmi eux, en vrac : Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Ángel Villoldo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, Juan Bautista Deambroggio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Carlos Gardel, Vicente Loduca, Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, Mario Melfi, Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi… La liste est interminable, je vous en fais grâce, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que, selon l’excellent site « La Bible tango », 345 orchestres ont été répertoriés, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donné dans la mode « Tango ». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango »)
Orchestre Bianco-Bachicha en costume de gaucho, car le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers à porter une tenue de leur pays.
Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vêtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France à l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.
Histoire de bombachas
On connaît tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommée bombacha. Ce vêtement est particulièrement pratique pour travailler, car il laisse de la liberté de mouvement, même s’il est réalisé avec une étoffe qui n’est pas élastique. Cependant, ce qui est peut-être moins connu c’est que l’origine de ce vêtement est probablement française, du moins indirectement. En France métropolitaine, se portaient, dans certaines régions, comme la Bretagne, des braies très larges (bragou-braz en breton). Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, ce pantalon était aussi très utilisé. Par exemple, par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.
Janissaire turc, zouave (du pont de l’Alma à Paris), paysan breton, homme de Majorque (Espagne), beaux Argentins de Chubut.
La désastreuse guerre de Crimée en provoquant la mort de 800 000 soldats a également libéré des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont quatre régiments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.
De beaux zouaves. Leur pantalon était rouge, ce qui ne se voit pas sur cette photo réalisée avec une pellicule orthochromatique qui avait donc tendance à foncer la couleur rouge. Je sais que c’est une photo en noir et blanc, mais avec une pellicule plus moderne (panchromatique), les pantalons auraient été plus clairs. C’est en tous cas ce type de pantalon qui a rejoint l’Argentine. Napoléon III n’était avare ni de pantalons ni de vies humaines…
Napoléon III s’est alors retrouvé à la tête d’un stock de près de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il décida de les offrir à Urquiza, alors président de la fédération argentine. Les Argentins ont alors adopté les babuchas qu’ils réformeront en bombachas. En guise de conclusion et pour être complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicéleste d’Obélix, ce fameux personnage René Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vécu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc certainement croisé des bombachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau à son équipe nationale de foot.
Il se peut donc que Goscinny ait influencé Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volonté de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton… Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considérer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrés à la cheville…
Extrait musical
Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.
Les paroles
Tierra generosa, en mi despedida te dejo la vida temblando en mi adiós. Me voy para siempre como un emigrante buscando otras tierras, buscando otro sol. Es hondo y es triste y es cosa que mata dejar en la planta marchita la flor. Pamperos sucios ajaron mi china, adiós, Argentina, te dejo mi amor.
Mi alma prendida estaba a la de ella por lazos que mi cariño puro trenzó, y el gaucho, que es varón y es altanero, de un tirón los reventó. ¿Para qué quiero una flor que en manos de otro hombre su perfume ya dejó?
Llevo la guitarra hembra como ella; como ella tiene cintas de color, y al pasar mis manos rozando sus curvas cerraré los ojos pensando en mi amor. Adiós, viejo rancho, que nos cobijaste cuando por las tardes a verla iba yo. Ya nada queda de tanta alegría. Adiós Argentina, vencido me voy.
Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés
Traduction libre
Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un émigré à la recherche d’autres terres, à la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanée. Les sales pamperos ont sali ma chérie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour. Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà laissé son parfum dans les mains d’un autre homme ? J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.
J’ai laissé le terme « Pamperos » dans sa forme originale, car il peut y avoir différents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pampa, vu ce qu’ils ont fait à sa china (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo. Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal à une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composé par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.
¡Pampero! ¡Viento macho y altanero que le enseñaste al gaucho golpeándole en la cara a levantarse el ala del sombrero!
Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)
Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant à la face à lever les ailes de son chapeau (à saluer).
Patoruzú, le Tehuelche de la BD créée en 1928 par Dante Quinterno
Le terme de Pampero était donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothèse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans après la création de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.
Autres versions
D’autre versions, notamment chantées, pour vous permettre d’écouter les paroles. Les artistes qui ont enregistré ce titre dans les années 1930 étaient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que le tango s’est acheté une « conduite » et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure société argentine, puis d’une importante partie de sa communauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siècle.
Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor. Adiós Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnée par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte très élogieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.Adiós Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjuntoAdiós Argentina 1930-12-03 – Ada Falcón con acomp. de Francisco CanaroAdiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Falcón, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du même disque que le précédent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque… La comparaison est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont environ réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la différence.
Grafonola Columbia de 1920
Adiós Argentina 2001-06 – Orquesta Matos Rodríguez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versión par cet orchestre à la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.
Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva
Couverture de La Rampe du premier décembre 1929 avec Alina de Silva en couverture. Un article élogieux est contenu à l’intérieur.
« Nous l’avons connue à l’Empire il y a quelques mois. Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique. Elle s’est imposée maintenant dans la pléiade des grandes et pures artistes. Chanteuse incomparable, elle est habitée d’une passion frémissante, qu’elle sait courber à sa fantaisie en ondes douces et poignantes à la fois. Sur elle, notre confrère Louis-Léon Martin a écrit, ce nous semble, des phrases définitives : “Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naît des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possède cette vertu extraordinaire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impérieuse, capiteuse, passionnée, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins émouvants et flexibles. Elle subjugue…” Deux ans ont suffi à Mlle Alina de Silva pour conquérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle pénétra dans la capitale. La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » étoile » digne de figurer à côté des plus éclatantes. Il est des émotions qui ne trompent pas. Celles que continue à nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. » A. B.
Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France à la belle époque des années folles.
A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929
Un des premiers témoignages de la folie tango dans la revue Femina du premier novembre 2011. CeE qui est en couleur traite du tango. En noir et blanc, la couverture et le One Step, autre danse qui se disputait la première place à l’époque.
Ainsi s’achève mon vol
Mon avion va bientôt atterrir à Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectué en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournée européenne, de faire sentir l’âme de notre tango à tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales. À très bientôt les amis !
À très bientôt les amis de chaque côté de l’Atlantique !
Rosa de Fuego, la Rose de Feu, comme ils l’appellent. Quelle histoire se cache derrière ce titre énigmatique ? Pour le découvrir, écoutons la musique de Manuel Jovés et les paroles spectaculaires d’Antonio Viergol. La première version enregistrée de ce tango a un siècle, mais la version du jour a été ressuscitée il y a seulement 67 ans, jour pour jour.
Rosa de Fuego
Il est souvent conseillé de déclarer sa flamme avec des fleurs, mais parfois, la rose la plus flamboyante peut ne pas suffire. Nous allons plonger dans une ambiance mystérieuse et avec une musique qui va sans doute en étonner plus d’un quand ils vont se rendre compte qu’il s’agit de Donato. Les plus étonnés seront sans doute ceux qui oublient que les grands orchestres ont été actifs pendant plusieurs décennies et que donc, ils ont suivi les modes de l’époque. Nous verrons également trois autres versions. La plus ancienne, enregistrée il y a donc un siècle par Juan Pulido. Les deux versions le plus récentes sont chantées par le même chanteur, Héctor de Rosas, au nom prédestiné pour ce titre. Ses enregistrements sont distants de sept ans seulement, mais la plus grosse différence vient des orchestres de Roberto Caló et José Basso qui abordent le thème de façon très différente. Mais pour l’instant, intéressons-nous à notre tango du jour enregistré par Edgardo Donato et Alberto Aguirre, le 19 mars 1957.
Extrait musical
Rosa de fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto Aguirre
Les paroles
Rosa de Fuego, los hombres la llamaban Porque sus labios quemaban al besar, Y eran sus ojos dos ascuas que abrasaban Y era un peligro su amor ambicionar. Cuantos lograron, por ella ser mirados Y de sus labios bebieron el placer, Todos quedaron como carbonizados Entre los brazos de tan bella mujer…
Rosa de Fuego, feliz vivía Rosa de Fuego, se divertía, Hasta tenía vanidad De su diabólica maldad… Rosa de Fuego, los arruinaba Rosa de Fuego, los calcinaba, Y al ver sus víctimas caer… Se reía la mujer…
Mas cierto día, cruzóse en su camino Un hombre frío, de hielo el corazón, Rosa de Fuego luchó contra su sino E inútilmente jugó con su pasión. El hombre aquel, de sangre de serpiente De su mirada, el fuego resistió, Y de sus labios aquel beso candente Se dominaba y esclava se encontró…
Rosa de Fuego, ya no reía Rosa de Fuego, se consumía, Se le abrasaba el corazón En el volcán de su pasión. Y el hombre frío, la despreciaba Y el hombre frío, la maltrataba, Rosa de Fuego aún al morir… Lo sentía reír…
Manuel Jovés Letra : Antonio Viergol
Traduction libre
Rosa de Fuego (Rose de Feu) ainsi les hommes l’appelaient Car ses lèvres brûlaient quand elle embrassait, Et ses yeux étaient deux braises qui calcinaient Et c’était un péril de convoiter son amour. Combien réussirent à être regardés par elle Et qui de ses lèvres burent le plaisir, Tous restèrent carbonisés Dans les bras d’une si belle femme…
Rosa de Fuego vivait heureuse Rosa de Fuego s’amusait, Elle tirait même de la vanité De sa méchanceté diabolique… Rosa de Fuego les a détruits Rosa de Fuego, elle les a brûlés, Et à voir ses victimes tomber… La femme riait…
Mais un jour, croisa son chemin Un homme froid, au cœur de glace. Rosa de Fuego s’est battue contre son destin Et joua en vain de sa passion. Cet homme, au sang du serpent Résistait à son regard et à son feu, Et de ses lèvres au baiser incandescent Fut dominé et elle s’est retrouvée esclave…
Rosa de Fuego désormais ne riait plus Rosa de Fuego, se consumait, Son cœur brûlait Au volcan de sa passion. Et l’homme froid la méprisait Et l’homme froid la maltraitait, Rosa de Fuego au moment de mourir… Le sentit rire…
Au contact de la glace, la rose s’est consumée. L’âme meurtrie de Rosa de Fuego va-t-elle au paradis ou en enfer ? L’histoire ne le dit pas. Laissons-la voguer vers sa destinée.
Autres versions
Rosa de fuego 1924 — Orquesta Juan Pulido. Columbia No.2186-X, Matrice 93859. Un enregistrement acoustique, mais de bonne qualitéRosa de fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto AguirreRosa de fuego 1957-06-19 – Orquesta Roberto Caló con Héctor De Rosas
Héctor de Rosas enregistre de nouveau le titre, sept ans plus tard avec un autre orchestre pour une version bien différente.
Rosa de fuego 1964 — Orquesta José Basso con Héctor de Rosas. Héctor de Rosas J’ai peut-être un peu forcé le trait, l’homme de glace jette vraiment un froid.
Madame Ivonne, est l’histoire d’une vie résumée en trois minutes. Comme Mademoiselle Yvonne, des milliers de jeunes femmes ont vécu l’illusion de l’amour et ont rêvé de la Croix du Sud, Croix sur laquelle, nombre d’entre elles ont été clouées par la tristesse. Je vous invite à découvrir la version de Tanturi et Castillo, mais aussi d’autres versions pleines d’émotion. Préparez votre mouchoir.
Le phénomène de la traite des blanches est aujourd’hui bien documenté. Des Argentins peu scrupuleux séduisaient de belles Françaises et leur faisaient miroiter les charmes de l’Argentine, qui à l’époque n’était un paradis que pour les plus riches. Sur les ailes de l’amour, ou plus prosaïquement sur des bateaux, comme le vapeur Don Pedro qui conduisit Charles Gardes et sa mère à Buenos Aires, les belles énamourées effectuaient la traversée et on connaît la suite de l’histoire, très peu vécurent le rêve, la majorité se retrouve dans les maisons comme Lo de Laura ou sont lavandières ou femmes de peine. Les paroles nous en apprendront plus sur la destinée de Mademoiselle Yvonne, devenue Madame Ivonne.
Extrait musical
Madame Ivonne 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo
Mademoiselle Ivonne era una pebeta que en el barrio posta del viejo Montmartre con su pinta brava de alegre griseta, animo las fiestas de Les Quatre Arts.
Era la papusa del Barrio Latino, que supo a los puntos del verso inspirar, pero fue que un día llego un argentino y a la francesita la hizo suspirar.
Madame Ivonne… la Cruz del Sur fue como un sino Madame Ivonne… fue como el sino de tu suerte.
Alondra gris, tu dolor me conmueve ; tu pena es de nieve, Madame Ivonne…
Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo
Madame Ivone, version de Julio Sosa
La version chantée par Julio Sosa est légèrement différente, mais surtout plus complète, il me semble donc intéressant d’avoir les compléments de l’histoire. Julio Sosa commence par un récitatif qui place l’histoire, puis chante la totalité des couplets. Ce qui est en gras est chanté, le début est seulement parlé sur la musique. C’est une version qui donne la chair de poule. Je ne la proposerais pas à la danse, mais quelle émotion !
Madame Ivonne 1962-11-08 — Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa
Ivonne Yo te conocí allá en el viejo Montmartre Cuando el cascabel de plata de tu risa Era un refugio para nuestra bohemia Y tu cansancio y tu anemia No se dibujaban aún detrás de tus ojeras violetas
Yo te conocí cuando el amor te iluminaba por dentro Y te adore de lejos sin que lo supieras Y sin pensar que confesándote este amor podía haberte salvado Te conocí cuando era yo un estudiante de bolsillos flacos Y el Paris nocturno de entonces Lanzaba al espacio en una cascada de luces El efímero reinado de tu nombre Mademoiselle Ivonne
Mademoiselle Ivonne era una pebeta Que en el barrio posta del viejo Montmartre Con su pinta brava de alegre griseta Alegró la fiestas de aquel Boulevard Era la papusa del barrio latino Que supo a los puntos del verso inspirar Hasta que un buen día cayó un argentino Y a la francesita la hizo suspirar
Madame Ivonne La Cruz del Sur fue como un sino Madame Ivonne Fue como el sino de tu suerte Alondra gris Tu dolor me conmueve Tu pena es de nieve
Madame Ivonne Han pasado diez años que zarpó de Francia Mademoiselle Ivonne hoy es solo Madame La que al ver que todo quedó en la distancia Con ojos muy tristes bebe su champán Ya no es la papusa del barrio latino Ya no es la mistonga florcita de lis Ya nada le queda, ni aquel argentino Que entre tango y mate la alzó de París
Madame Ivonne La Cruz del Sur fue como un sino Madame Ivonne Fue como el sino de tu suerte Alondra gris Tu dolor me conmueve Tu pena es de nieve
Madame Ivonne Ya no es la papusa del barrio latino Ya no es la mistonga florcita de lis Ya nada le queda, ni aquel argentino Que entre tango y mate la alzó de París
Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo
Maintenant que vous connaissez parfaitement le thème, je vous propose de voir Julio Sosa chanter le thème. Les gloses initiales sont réduites et différentes. Comme elles n’apportent rien de plus à ce que nous avons déjà entendu, je vous propose de démarrer la vidéo au début de la chanson, mais si vous êtes curieux, vous pouvez voir la vidéo depuis le début.
Julio Sosa chante Madame Ivonne à la télévision.
Traduction libre et explication de texte…
Comme d’habitude, je fais une traduction destinée principalement à déceler les clefs secrètes, sans soucis de livrer une œuvre poétique de la qualité de l’original. Pour faciliter la lecture, j’indique en bleu les commentaires au milieu du texte. Le début est récité sur la musique, mais pas chanté.
Yvonne (Yvonne en français, Ivonne en argentin. Le titre est connu sous les deux formes du prénom, mais il s’agit bien sûr du même). Je réserve Yvonne à la partie française, quand elle est jeune et Ivonne à la partie argentine. Je t’ai rencontrée dans le vieux Montmartre, quand la cloche d’argent de ton rire était un refuge pour notre bohème. Ta fatigue et ton anémie n’étaient pas encore apparues derrière tes cernes violets. (Premiers signes que tout ne va pas pour le mieux pour Ivonne). Je t’ai connue quand l’amour t’illuminait de l’intérieur, et je t’adorais de loin, sans que tu le saches et sans penser qu’en te confessant cet amour, j’aurais pu te sauver. C’est la même histoire que celle de Susu contée dans Bajo el cono azul. Je t’ai rencontrée quand j’étais étudiant aux poches plates (fauché, sans le sou) et le Paris de la nuit de l’époque envoyait dans l’espace en une cascade de lumières le règne éphémère de ton prénom, Mademoiselle Ivonne
Commence ici la partie chantée.
Mademoiselle Yvonne était une poupée (pépète, jeune femme) qui, dans le quartier dit du vieux Montmartre (quartier populaire de Paris, accueillant de nombreux artistes), de son air courageux de grisette (couturière, lavandière, femme modeste, habillée de gris. Elle se différencie de la Lorette qui elle fait plutôt profession de ses charmes) joyeuse égayait les festivités de ce boulevard (le boulevard Montmartre). Elle était la Papusa du Quartier latin (Papusa, une jolie fille. Quartier étudiant de Paris, elle devait faire tourner les cœurs des jeunes gens) qui savait susciter des poèmes, jusqu’à ce qu’un beau jour un Argentin tombât et fit soupirer la petite Française. Madame Ivonne La Croix du Sud fut comme un signe. Madame Ivonne. C’était comme le signe de ta chance. Alouette grise (La alondra est un oiseau matinal. On donnait ce surnom à ceux qui se levaient tôt et se couchaient tôt, Yvonne était donc une travailleuse honnête). Ta douleur m’émeut, ton chagrin est de neige (il peut s’agir d’une vision poétique, mais plus sûrement de la cocaïne qui se désigne par « nieve » en lunfardo. Ces deux indications la référence à l’alouette du passé et à la cocaïne d’aujourd’hui, content en deux phrases toute l’histoire). Madame Ivonne Cela fait dix ans que Mademoiselle a quitté la France. Aujourd’hui c’est seulement Madame. Comme beaucoup de Françaises dans son cas, elle a dû devenir gérante d’un bordel et acquérir le « titre » de Madame. celle à qui tout paraît lointain (elle se désintéresse de ce qui se passe autour d’elle), avec ses yeux très tristes, elle boit son champagne (cela confirme qu’elle doit être la chef de la maison close. Il ne s’agit pas de véritable Champagne, encore aujourd’hui, les Argentins nomment ainsi les vins mousseux, ce qui énerve les viticulteurs français. Ils font de même avec le Roquefort…). Elle n’est plus la Papusa du Quartier latin, elle n’est plus la fleur de lys fauchée (Mistonga en lunfardo est pauvre. Je trouve que faucher la fleur de lys, c’est une belle image. Le lys est un symbole royal, mais aussi de pureté, de virginité, ce qui confirme discrètement que l’activité actuelle de Madame Ivonne n’est pas des plus pures). Il ne reste plus rien d’elle, pas même cet Argentin qui, entre tango et maté, l’a enlevée de Paris. Déjà les ravages du tango qui était une folie à Paris dans les années 20. Le maté est bien sûr el mate, la boisson indispensable aux Argentins. Madame Ivonne La Croix du Sud était comme un signe. La Croix du Sud est la constellation qui marque dans le ciel nocturne de l’hémisphère austral, le Sud.
Au rythme d’un tango
Le même jour, Tanturi et Castillo ont enregistrée Al compás de un tango. Les deux tangos pourraient être associés. En effet, le thème est un copain qui essaye de réconforter son ami qui est désespéré à cause d’une femme. Son conseil, aller danser…
Al compás de un tango 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Alberto Suárez Villanueva Letra Oscar Rubens)Mademoiselle Yvonne et Madame Yvonne. « Dix années » séparent ces images. Je n’ai pas forcé sur les cernes d’Ivonne fatiguée par la drogue, le champagne et le chagrin
Quelle image choisir ?
L’illustrateur d’un texte est toujours confronté à des choix. Doit-il faire une belle image ou rester fidèle au texte. C’est effectivement un dilemme. Pour l’image de couverture, j’ai réalisé une image « entre deux ». Elle n’est plus la jeune femme insouciante de Paris, mais pas encore la tenancière droguée du bordel portègne. Cela me semblait plus convenable pour présenter l’article. Pour la dernière image, je souhaitais faire apparaître la décennie et ses ravages. J’ai donc testé différentes options pour choisir celle ci-dessus qui ne fait pas apparaître que la différence d’âge que j’ai amplifiée, disons à 20 ans au lieu des 10 du tango. Mais dans cette image, il est difficile de voir les ravages causés par le chagrin et la vie nocturne et sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Il me fallait donc aller plus loin. Si vous avez l’âme sensible, arrêtez de lire le texte ici et ne regardez pas les images qui suivent.
Yvonne est la même. Par contre, j’ai beaucoup vieilli Ivonne et je lui ai donné sans doute un peu trop d’âge. Pardon, Ivonne.Là, j’ai un peu plus fait tomber les traits d’Ivonne, tout en lui enlevant un peu d’âge pour être plus proche des paroles. Je lui ai rajouté les cernes violets et pendant que j’y étais, je lui ai rougi les yeux et agrandi les pupilles. Je crois que c’est une caractéristique provoquée par la drogue. La seule que je prends, c’est la musique de tango, celle qui a des effets euphorisants, même à forte dose.
Vous aurez peut-être remarqué le fond qui est le même pour toutes les images. Je l’ai conçu pour un article traitant du rôle de la France dans le tango. Pour vous remercier d’avoir lu jusqu’au bout, voici le fond, tout seul…
Je vous jure que ma seule drogue, c’est la musique. C’est ainsi que je vois les mélanges culturels entre la France et l’Argentine, les deux pays rois du cambalache
Nicolas Luis Cuccaro; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli Direction et arrangements Luis Stazo et Orlando Trípodi
Silueta porteña est une superbe milonga qui fait le bonheur des danseurs. Aujourd’hui, je vais vous la proposer dans une version différente, moins dansante, mais le tango ne s’arrête pas à la porte de la milonga et le duo est superbe. Un sondage en fin d’article vous permettra de donner votre avis sur la dansabilité.
Luis Stazo (1930-2016) est un très grand monsieur du tango, tout d’abord comme bandonéoniste., mais aussi comme chef d’orchestre, arrangeur et compositeur. Il est aussi connu pour être le fondateur du Sexteto Mayor avec José Libertella, également bandonéoniste. Cet orchestre a tourné dans le monde entier et continue de le faire avec les successeurs des créateurs.
Los siete del tango est un autre orchestre créé également par Luis Stazo, mais avec Orlando Trípodi. Ils sont les arrangeurs et les chefs de cet orchestre qui a eu une carrière plutôt réduite, entre 1965 et 1969. Cependant, on conserve des enregistrements, à la fois de compositions « classiques », comme Silueta porteña, notre tango du jour et des compositions de Stazo et Trípodi, comme Entre dos, qu’ils ont enregistré le même jour, le 17 mars 1967. La composition de l’orchestre est la suivante :
Luis Stazo au bandonéon (plus arrangements et direction)
Orlando Trípodi au piano (plus arrangements et direction)
Suarez Paz au violon
Hector Ortega à la guitare électrique
Mario Monteleone à la basse
Les chanteurs sont Gloria Velez et Lalo Martel pour cet enregistrement, mais Roberto Echague et Olga de Grossi ont enregistré d’autres titres.
Silueta porteña n’a pas été intégrée aux quatre disques 33 tours réalisés par l’orchestre (cinq si on compte une double édition avec les mêmes titres) ni éditée en 45 tours (ce qui fut réservé à seulement deux titres, dont celui qui a été enregistrée le même jour que Silueta porteña, Entre dos. Elle a été publié sur la compilation « Al ritmo de la milongas inovidables » par Pampa – EMI – Odeon en 1968. C’est le second titre de la face B. On y trouve la date d’enregistrement, 17-3-67).
Extrait musical
Silueta porteña 1967-03-17 – Los Siete Del Tango con Gloria Velez y Lalo Martel
Les paroles
J’indique également les paroles de cette version qui sont un peu différentes, car Gloria Velez chante sa partie en jouant le rôle de la Silueta porteña, contrairement à la version habituelle ou tout le texte est dit du point de vue de l’homme.
Cuando tú pasas caminando por las tardes, (Cuando yo paso caminando por las calles)
repiqueteando tu taquito en la vereda, (repiqueteando mi taquito en la vereda)
marcas compases de cadencias melodiosas
de una milonga juguetona y callejera.
Y en tus vaivenes pareciera la bailaras, (Y en los vaivenes pareciera lo bailara)
así te miren y te dicen lo que quieran, (así me miran y me dicen lo que quiera)
porque tú llevas en tu cuerpo la arrogancia
y el majestuoso ondular de las porteñas.
Tardecita criolla, de límpido cielo
bordado de nubes, llevas en tu pelo.
Vinchita argentina que es todo tu orgullo...
¡Y cuánto sol tienen esos ojos tuyos!
Y los piropos que te dicen los muchachos,
como florcitas que a tu paso te ofrecieran
que las recoges y que enredas en tu pelo,
junto a la vincha con que adornas tu cabeza.
Dice tu cuerpo tu arrogancia y tu cadencia
y tus taquitos provocando en la vereda:
Soy el espíritu criollo hecho silueta
y te coronan la más guapa y más porteña.
Nicolas Luis Cuccaro ; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli
En rouge ce qui est chantée par Gloria Velez (Quand c’est un homme qui chante, c’est la partie gauche des lignes qui est chantée). En bleu, ce qui est chanté par Lalo Martel. En gras, ce qui est chanté par les deux en duo. En gras et vert, la reprise finale du refrain par les deux chanteurs, Gloria et Lalo. Le dernier couplet n’est pas chanté dans cette version.
Une autre silhouette portègne jusqu’au bout des ongles
Traduction libre
Quand tu passes dans l’après-midi, en faisant claquer tes talons sur le trottoir, tu marques la cadence mélodieuse d’une milonga joyeuse et de la rue (il n’y a pas d’équivalent en français). Et dans tes allers et retours, tu sembles danser, ainsi ils te regardent, te parlent ceux qui aiment, car tu portes dans ton corps, l’arrogance et la majestueuse ondulation des Portègnes. L’après-midi criollo, au ciel limpide et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. Le ruban (bannière) argentin(e) qui est toute ta fierté… Et que de soleil contiennent tes yeux ! (Elle porte les couleurs de l’Argentine sur la tête. Le céleste et le blanc, ainsi que le soleil dans ses yeux). Et les flatteries (piropos) que te lancent les gars, comme des petites fleurs qu’ils offrent à ton passage pour que tu les ramasses et les laces dans tes cheveux, au côté du bandeau dont tu ornes ta tête. Ton corps dit ton arrogance et ta cadence et tes talons professent sur le trottoir : je suis l’esprit criollo fait silhouette et ils te couronnent comme la plus belle et la plus portègne.
Sondage
Autres versions
Lors de la publication le 17 mars 2024, il n’y avait que la version de Los Siete Del Tango. Un an jour pour jour, plus tard, je vous propose d’autres versions :
Silueta porteña 1936-01-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.
Plus ancien enregistrement en stock. La voix un peu acide de Cabral n’est pas forcément la plus agréable, mais c’est tout à fait dansable.
Silueta porteña 1936-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
Cette version est sans doute celle qui passe le plus souvent et c’est justifié.
Silueta porteña 1956-05-18 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Vingt ans après la première vague, Varela donne sa version. J’aime beaucoup l’introduction qui bat comme un cœur (je ne suis pas médecin, mais j’espère que votre cœur ne bat pas ainsi). Même si l’orchestre de Varela n’est pas le plus apprécié en milonga, je trouve cette version assez sympathique et il m’arrive de la passer.
Silueta porteña 1956-08-02 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Montero.
Cette version en duo est jolie, mais sans doute un peu trop liée pour en faire une milonga intéressante à danser. On se contentera donc de l’écouter avec ravissement.
Silueta porteña 1958 – Los Muchachos De Antes.
Une version tonique et courte à la flûte et guitare. C’est agréable à écouter, mais pas forcément à danser pour les véritables danseurs de milonga. Mais cela peut faire plaisir aux timides de la milonga.
Silueta porteña 1967-03-17 – Los Siete Del Tango con Gloria Velez y Lalo Martel. C’est notre milonga du jour.Silueta porteña 1970 – Orquesta Donato Racciatti.
On retrouve la tonicité et la joie de Racciatti dans cet enregistrement. Il est sans doute d’un tempo un peu rapide pour la plupart de danseurs et finalement un peu trop régulier pour amuser les bons danseurs de milonga.
Silueta porteña 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.
On reste en Uruguay. Villasboas adopte un tempo un peu plus modéré que son compatriote.
Silueta porteña 2003 – Los Mancifesta. Une autre version rapide, peut-être trop rapide, mais avec des danseurs bien échauffés et prêts à tout, c’est peut-être à tenter. Reste à trouver ces danseurs. On retrouve un duo.Silueta Porteña 2011 – Luces de Buenos Aires.
On change d’univers et là, on arrive au summum du plat. Ce n’est pas très intéressant, à mon avis.
La plupart des orchestres contemporains jouent cette milonga et vous pourrez donner en commentaire des souvenirs de vos pas avec un de ces orchestres.
L’après-midi criollo, au ciel limpide et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. La bannière argentine est toute ta fierté… Et que de soleil contiennent tes yeux !
Ricardo Malerba; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti
Ricardo Malerba était bandonéoniste et ses frères étaient violoniste (Carlos) et pianiste (Alfredo). Carlos est mort au Portugal lors d’une tournée en 1931 et il se peut que Violín, soit un hommage de Ricardo à son frère trop tôt disparu. Quoi qu’il en soit, ce titre mérite d’être le tango du jour. Il a été enregistré il y a exactement 80 ans.
Les violonistes de Malerba à cette époque sont Alfredo Lattero, Ernesto Gianni, Francisco Sanmartino et José López. Il m’est impossible de dire lequel effectue les magnifiques solos de violon que l’on peut entendre dans cette œuvre. Son frère, Alfredo avait entretemps épousé Libertad Lamarque. Cette dernière lui a permis de travailler à Radio Belgrano, à condition qu’il propose des tangos rythmés à la D’Arienzo… Pour cela il avait un autre atout, son pianiste, Dante Smurra qui était particulièrement réputé au point qu’en 1938, il avait été sollicité pour remplacer Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo. Dante a refusé l’offre, pour rester fidèle à Malerba. Avec ce dernier, il a composé Cuando florezcan las rosas, Embrujamiento (leur plus grand succès, repris également par D’Arienzo), La piba de los jazmines, un des hits de Malerba et bien sûr Violín, notre tango du jour.
Extrait musical
Violín 1944-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina
Les paroles
En lunfardo, un violon (un violín) est une femme.
Hoy mi violín está soñando con un amor en el atril, sus cuerdas vibran tiritando porque vive recordando que hoy está lejos de mí.
Es mi violín el alma mía y su canción es mi sentir, mi corazón que la quería, que la quiere y no la olvida, va llorando en mi violín.
Violín, violín… La quiero mucho más, la quiero más que ayer mi amor no tiene fin. Violín, violín… quisiera que mi voz, en alas de tu voz, llegara hasta mi amor. Violín, violín… me quiso igual que yo y ha de volver a mí, la esperaré y tú también, violín.
Ricardo Malerba ; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti
Les paroles ne laissent pas de doute sur le fait qu’elles ne s’adressent pas à Carlos, le frère violoniste mort en 1931, mais il se peut que Malerba ait écrit la musique en pensant à son frère. Les hommages de musicien à musicien sont très fréquents dans le tango, bien que généralement plus explicites.
Traduction libre
Violín, violín… […] mi amor no tiene fin.
Aujourd’hui mon violon rêve avec un amour sur le pupitre, ses cordes vibrent en frissonnant parce qu’il vit en se souvenant qu’aujourd’hui elle est loin de moi. Mon violon est mon âme et son chant est mon sentiment, mon cœur qui l’a aimée, qui l’aime et ne l’oublie pas, il pleure dans mon violon. Violon, violon… Je l’aime tellement plus, je l’aime plus qu’hier mon amour n’a pas de fin. Violon, violon… Je voudrais que ma voix, sur les ailes de ta voix, atteigne mon amour. Violon, violon… Elle m’aimait comme moi, et elle reviendra vers moi, je l’attendrai, et toi aussi, violon.
En lunfardo, un violon (un violín) est une femme. Je suis donc parti de cette idée. Les papillons, ce sont ceux du creux du ventre quand on est amoureux.
Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)
J’ai toujours adoréLoco turbión et me suis demandé pourquoi seulement Caló l’avait enregistré. C’est sans doute que cette version est parfaite. Je vous invite donc à savourer ce tango du jour, enregistré il y a 78 ans.
Loco turbión, dès le titre, on est en appétit. Loco, fou et turbión, averse violente, mais aussi choses emportées dans un « tourbillon ». Si on ne prête pas attention aux paroles, on peut imaginer le passage de l’averse. Au début, une marche, puis la montée de la tension, des mouvements contradictoires, comme le vent qui agite les arbres à l’approche de la tourmente. L’averse pourrait être le puissant duo d’Iriarte et Arrieta, puis le soleil réapparaît à la toute fin, jusqu’à la chute des deux dernières gouttes d’eau.
Extrait musical
Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta
L’exposition semble faire référence à un temps passé, comme quelqu’un qui se souvient. Le passage en mineur aux alentours de 0:30 et qui trouve son apogée dans le solo de violon à partir de 0:40. Roberto Arrieta commence à chanter à 1:00. À 1:30 Raúl Iriarte remplace Arrieta, puis à 1:37 ils chantent en duo, avec une émotion intense, qui se détend, puis Arrieta prend le relais, seul et ainsi de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tango. La musique semble effectuer des aller et retour, comme pour marquer les hésitations. Les instruments, puis les chanteurs semblent apporter leur pierre à la construction musicale, jusqu’à ce qu’ils se combinent dans le final en étant sur la « même longueur d’onde ». Les paroles confirment cette impression.
Les paroles
Les paroles renforcent l’idée de tourbillon, de dialogue, d’hésitation. Les chanteurs se répondent avant de s’accorder (à la quinte) et de développer un des magnifiques duos dont nous ravit le tango.
Tengo miedo de encontrarla Y de nuevo recordarla… Y achicar el corazón. Tengo miedo que en sus ojos, Al mirar estos despojos Yo adivine compasión. En mis días fue un dolor, En mis sueños, fue un rencor, Y en mi vida no hizo más que mal… Me tortura este recuerdo Que me acosa y me persigue En mis noches sin final.
En la fragua de espantos del sufrir, Ella puso entre brasas mi ilusión. Me ha enseñado a morir, Porque ya no es vivir, Escuchando en las sombras su reír. Y esa voz que me nombra sin cesar, Que me muerde en las noches con su mal, ¡Es un loco turbión!… Una garra brutal, Que me estruja el corazón.
Yo me hundo en la locura De un turbión, al recordarla Y quererla con pasión. Y el pensar en olvidarla, Es camino que conduce ¡A la desesperación! Es tormento sin final El fracaso de olvidar, ¡Y es plegaria que no escucha Dios! Es tortura interminable El recuerdo de sus ojos Y el arrullo de su voz.
Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)
Les parties chantées par Roberto Arrieta seul, sont en rouge. Celles qui sont chantées par Raúl Iriarte seul sont en bleu. Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras. Au final, ils reprennent en duo le refrain à partir de Y esa voz que me nombra sin cesar, qui était chanté par Iriarte seul la première fois. Le dernier couplet n’est pas chanté. C’est la partie où il souhaite l’oublier.
La météo du tango
Plusieurs tangos parlent d’averses soudaines et violentes, que ce soit de façon objective, comme el aguacero ou de façon figurée, comme Tormenta. El aguacero de Cátulo Castillo Letra : José González Castillo (Juan de León). Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe, nous en reparlerons le 26 août à l’occasion de l’anniversaire de cet enregistrement. Lluvia au moins une quarantaine de tangos parlent de pluie (lluvia), toujours au sens propre ou figuré. Pour rester dans les aléas climatiques, le vent a aussi sa voix, par exemple dans les tangos suivants. Cuando bronca el temporal de Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Marsili, que nous avons évoqué à propos de la version de Di Sarli de 1929. Tormenta d’Enrique Santos Discépolo, mais il y a d’autres tangos incluant tormenta (Antonio Bonavena, P. Montanelli, José De Cicco, José Luis Padula) qui parlent de tormenta, au réel comme au figuré. Huracán, une incroyable composition de Donato d’une puissance titanesque. Ventaval, plusieurs tangos de ce nom, comme Ventaval de Rodolfo Sciammarella par Mercedes Simone dans le film de 1939, qui se passe à Paris (le titre a pour fond d’écran, le Panthéon), mais qui est argentin, ou cruento vendaval de Miguel Martino et Jacinto Alí (MyL).
Les illustrations
Pour les illustrations, je suis parti de deux pistes. L’idée de tourbillon pour la première, tourbillon que m’évoque le mot turbión, et la musique qui semble circuler d’un côté à l’autre, rebondissant d’un instrument à l’autre, d’un chanteur à l’autre et l’idée de la femme perdue, inaccessible, qui s’en va. En résumé, n’arrivant pas à choisir, je vous propose les quatre images. N’hésitez pas à indiquer en commentaire celle qui vous plaît le plus, peut-être que je changerai la photo de couverture en fonction de vos avis.
L’image de couverture
Je souhaitais garder l’ambiguïté entre l’averse, le tourbillon et la belle. J’ai hésité entre deux styles, un abstrait à la Arcimboldo, ou les fleurs et nuages colorés remplacent les légumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finalement opté pour la femme fleur tourbillonnante, mais comme j’aime bien les autres aussi, je vous présente le lot.
Cliquez sur les images pour les agrandir.
Tengo miedo de encontrarla y de nuevo recordarla…. J’ai peur de la rencontrer et d’à nouveau me souvenir d’elle.
L’image de fin
En général, je souhaite proposer une image d’un style différent pour l’image de fin. C’est donc la version orageuse qui clôture l’article, mais j’aime bien aussi celle de la belle qui s’évapore dans les nuées tourbillonnantes.
Es tortura interminable el recuerdo de sus ojos y el arrullo de su voz. C’est une torture interminable, le souvenir de ses yeux et le roucoulement de sa voix.
Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des éclairs, semblant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volé avant de rejoindre l’Olympe. Elle est devenue inaccessible, divine et cruelle.
Le tango du jour, Deja el mundo como está, (Laisse le monde comme il est) a été enregistré par Biagi avec la voix d’Andrés Falgás en mars 1940. Il faut s’intéresser aux paroles, relativement originales, pour comprendre pourquoi ne pas changer le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut épargnée par la seconde guerre mondiale, tout n’y était pas rose en 1940.
La Década Infame (la décennie infâme)
La década infame se situe entre deux coups d’État qui ont secoué l’Argentine (1930-1943). Entre les deux différentes élections truquées et les manipulations politiques douteuses. Les causes de la década infame sont en grande partie issues du crash du 1929, la chute du commerce international ayant durement touché les possibilités d’exportations de l’Argentine, engendrant un chômage massif. Le rôle de l’Angleterre, sa mainmise sur l’économie argentine, n’est pas sans rappeler l’actualité de l’Argentine d’aujourd’hui, il suffit de remplacer Royaume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idée du problème. L’Argentine revit de façon cyclique le même phénomène en alternance à chaque décade. En résumé, la situation sociale était plutôt morose et la répression des mouvements populaires féroce durant toute la période. Il fallait bien se changer les idées avec le tango pour voir la vie en rose.
La Década de Oro (L’Âge d’or)
L’actuel groupe de Boedo rend hommage aux écrivains du Groupe littéraire de Boedo à travers divers portraits sur les murs du quartier. Ici, Roberto Arlt, dont la plume enflammée dénonce les injustices sociales.
À l’opposé de la situation politique, la situation artistique était florissante. L’Argentine était tournée vers l’Europe et en littérature, le groupe de Florida avait pour modèle les écrivains européens. Ils étaient plutôt issus des hautes classes de la société, celles où on parlait couramment le français et où on était attentif à toutes les modes européennes. Ces écrivains soignaient la forme de leurs écrits, sans doute plus que le contenu. On trouve parmi eux, Jorge Luis Borges. Le bipartisme argentin fait que le principal groupe concurrent, celui de Boedo avait pour sa part des préoccupations plus sociales et avait tendance à passer la forme au second plan. Une de ses figures de proue était Roberto Emilio Arlt.
Quinquela Martin — Motivo de puerto. Émail sur fer (1946). 0,88×0,98 m.
On retrouve la même dichotomie en peinture, avec d’un côté le groupe de Paris, lié au surréalisme, alors en vogue en France et de l’autre, des peintres plus préoccupés des questions sociales dont le plus connu est sans doute Quinquela Martin, celui qui a donné à la Boca l’image qui plaît tant aux touristes en mettant de la couleur sur les tristes tôles des maisons de l’époque. Je l’avais évoqué au sujet du tango « El Flete ».
Je pense que vous m’avez vu venir, cette période est également une década de oro pour la musique et notamment le tango. Le tango de cette époque fait le lien entre l’Europe et notamment la France, beaucoup de musiciens argentins s’étant installés ou ayant fait le voyage en Europe et notamment à Paris avant de rentrer d’urgence en 1939 à cause de la Seconde Guerre mondiale. Ceci fait qu’à Buenos Aires s’est retrouvé tout ce qui comptait en matière de musique de tango. Là encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intellectuelle et destinée au concert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournés vers le bal. Cette période est donc à la fois tragique pour la population et extrêmement riche pour la création artistique. Je vais m’intéresser, enfin, au tango du jour et voir pourquoi il ne faut pas changer le Monde.
Extrait musical
Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro
Les changements chromatiques, du grave vers l’aigu à chaque début du couplet, font monter l’intensité dramatique. Inconsciemment on associe ces montées chromatiques à une accélération du rythme, comme si le disque tournait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tempo reste content sur toute la durée du morceau.
Les paroles
Hoy sos un hombre descontento y amargado después que has derrochado tu bienestar. Te has convertido en enemigo de la vida porque ella te convida a trabajar. Por eso mismo es que todo te molesta y se oye tu protesta por los demás. Con el tono llorón de un agorero decís que el mundo entero lo deben transformar.
Deja el mundo como está, que está hecho a la medida… (aunque parezca mentira) Deja el mundo como está vos debes cambiar de vida… (No has muerto viejo) Le quieres poner rueditas… ¿Dónde lo quieres llevar? Sólo vos lo ves cuadrado y redondo los demás. Deja el mundo como está, con sus malas y sus buenas, con sus dichas y sus penas… ¡Deja el mundo como está! Qué cosa buena has de encontrar a la deriva o es que esperas de arriba tu porvenir. Sólo se logran con trabajo y sacrificios los grandes beneficios para vivir. Al fin, tu queja es el clamor de un fracasado, ya me tienes cansado de oírte gritar… Que anda el mundo al revés y está deshecho y vos… ¿Con qué derecho lo pretendes cambiar?
Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella
Dans la version de Biagi, Falgás chante ce qui est en gras et le chœur insiste en chantant la partie en rouge. Dans la version de Canaro, ce qui est chanté par Famá est la partie en gras et Canaro fait un dialogue en chantant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, contrairement à Biagi. Pour sa part, dans la version de Donato, Lagos chante les mêmes couplets que Falgás, mais sans la reprise de la fin du refrain.
Traduction libre :
Aujourd’hui, tu es un homme mécontent et amer après avoir dilapidé ton bien-être. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite à travailler. C’est pourquoi tout te dérange et que ta protestation est entendue par-dessus tout. Avec le ton pleurnichard du pessimiste, tu dis que le monde entier doit être transformé.
Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure… (crois-le ou pas) Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois changer de vie… (Tu n’es pas mort, mon vieux) Tu veux y mettre des roulettes… Où veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois carré et tous les autres le voient rond. Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mauvais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines… Laisse le monde tel qu’il est !
Le passage suivant n’est pas chanté dans aucune des trois versions, mais il est intéressant à saisir : Ce qu’il y a de bon à se laisser aller à la dérive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un travail acharné et de sacrifices que l’on peut obtenir les grands avantages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un échec, là, tu me fatigues de t’entendre crier… Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est défait, et toi… de quel droit prétends-tu le changer ?
Autres versions
Ce tango a rencontré l’air du temps et en quelques mois, il a été enregistré trois fois. Par son auteur, Biagi, puis par Canaro et enfin Donato. Il me semble intéressant de comparer les trois versions. Les trois ont des caractères communs, mais les versions de Canaro et de Donato sont plus traditionnelles. Elles ont le même dynamisme et l’impression de marche haletante que dans la version de Biagi, mais ce dernier propose des enrichissements convaincants et un étagement des plans musicaux plus riches, plus variés que ceux de ses collègues qui sont totalement dans la marche et moins dans la subtilité.
Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro
Le rythme est d’environ 139 BPM et est régulier tout au long de l’interprétation, même si on a une impression d’accélération suggérée par les montées chromatiques.
Deja el mundo como está 1940-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y contracanto por Francisco Canaro
On note dans cette version, des variations de rythme (145 à 135). Les parties chantées sont plus lentes. Canaro a également choisi de faire un dialogue où il répond à Famá, jouant donc le rôle de celui qui l’encourage à travailler. La clarinette, le piano et les violons semblent aussi se lancer dans la discussion pour finalement « parler » en même temps, comme le fait le chœur dans la version de Biagi.
Deja el mundo como está 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos
C’est le tempo le plus lent des trois versions, avec environ 135 BPM sur la partie instrumentale et 133 sur la partie chantée. Les montées chromatiques sont présentes, mais moins marquées que chez Biagi.
La fin du Monde
Pardonnez ce titre racoleur. Je veux juste vous parler de comment se terminent ces titres et comment les agencer dans une tanda. La terminaison des trois versions. On a vu que dans la version de Biagi, il y a une accélération simulée avec en apothéose la reprise finale du couplet par le chœur. L’intensité est donc maximale à la fin. Dans la version de Canaro, le mélange des voix des instruments à la fin suggère également un apogée, un paroxysme. Pour Donato, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mélodique du violon qui devient plus expressive et présente, mais d’impression d’explosion finale, contrairement aux deux autres versions. Cette caractéristique, avec le fait qu’elle est d’un tempo plus lent, me pousserait à ne pas terminer une tanda avec ce titre, mais plutôt de le mettre en début de tanda. Les versions de Canaro et Biagi, avec leur apothéose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tanda. Bien sûr, ce qui compte est également ce qu’on met avant dans le cas de Biagi et Canaro et après dans celui de Donato. Par exemple, si on termine une tanda de Donato par ce titre, cela veut dire que les précédents sont sans doute moins dynamiques. La tanda sera donc plutôt calme, voire peut-être un peu plate, mais cela peut convenir, par exemple après des milongas, pour que les danseurs reprennent leur respiration. Comme toujours en la matière, il n’y a pas de règle qui résiste à l’observation de la milonga. C’est l’ambiance du moment qui décide.
Ce titre me fait penser à la chanson de Ralph Zachary Richard reprise notamment par Julien Clerc et Alpha Blondy
Le tango du jour a été enregistré il y a exactement 91 ans par Adolfo Carabelli à la tête de l’Orquesta Típica Victor. Le chanteur d’estribillo est Alberto Gómez, mais un autre soliste fait de ce titre une merveille, le violoniste Elvino Vardaro.
Nous avons largement parlé de la Victor et de ses orchestres. Carabelli est son premier chef d’orchestre. Alberto Gómez a enregistré deux fois ce titre en mars 1933. Le 6, comme chanteur de la version « chanson » et le 13, pour une version de danse. Il est intéressant de comparer les deux versions pour encore plus se familiariser entre les deux types de tangos que certains danseurs, voire DJ n’assimilent pas toujours.
Elvino Vardaro (Buenos Aires le 18 juin 1905 – Argüello 5 août 1971)
Elvino Vardaro. Enfant, dans les années 40 et dans les années 60. Sur la dernière image, on remarque que son pouce droit a perdu une phalange, à la suite d’un accident quand il avait cinq ans.
Le 10 de julio 1919, il donne son premier concert. Au programme de la musique classique. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il commence alors à jouer au cinéma pour accompagner les films muets. Rodolfo Biagi puis Luis Visca l’y remarquent et finalement, Juan Maglio (Pacho) en 1922 vient le chercher au cinéma pour l’intégrer dans on orchestre. Il a alors 17 ans. Son professeur de violon, Doro Gorgatti lui aurait dit : « Quel dommage que vous jouiez des tangos, vous pourriez jouer très bien du violon ! ». Une chance pour nous qu’il ait poursuivi dans sa voie. Il travaille en effet avec différents orchestres et intègrera les prestigieux orchestres de la Victor où il fera merveille, comme vous pourrez l’entendre dans le tango du jour. Il montera à diverses reprises des orchestres de tailles différentes quintette, sextette, septuor et même típica, mais sans réel succès et peu d’enregistrements. En revanche, il a participé quasiment à tous les orchestres, Canaro, Di Sali, do Reyes, Firpo, Fresedo, Maffia, Piazzolla, Pugliese et a terminé sa carrière dans l’orchestre symphonique de l’orchestre de Cordoba. Sa virtuosité a inspiré à Argentino Galván une composition musicale « Violinomanía », qu’il a heureusement enregistrée avec le Brighton JazzOrquesta, un orchestre qu’il dirigeait dans les années 1940. Ce n’est pas du tango, mais je le placerai en fin de cet article pour que vous puissiez juger de sa virtuosité. Je ne vous donne pas d’autre indication pour l’écoute du tango du jour. Si vous ne détectez pas immédiatement le violon de Vardaro, arrêtez le tango, mettez-vous au reggaeton.
Extraits musicaux
En premier, je vous propose la version de danse. Elle a été enregistrée une semaine après la version en chanson.
Ventarrón 1933-03-13 — Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez
Dans cette version, le deuxième soliste, c’est le violoniste Elvino Vardaro. Je vous laisse l’écouter et avoir la chair de poule en l’entendant. Fabuleux.
Ventarrón 1933-03-06 Alberto Gómez accompagné par un orchestre
Il n’est pas certain que l’orchestre soit la Típica Victor. C’est une version chantée et donc, l’important, c’est le chanteur, l’orchestre est au second plan. Cette version n’est pas pour le bal et est à mon avis musicalement moins intéressante. Je reste donc avec ma version chérie, celle du 13 mars que je propose de temps à autre en milonga, notamment en Europe où la Típica Victor a plutôt la cote.
Les paroles
Por tu fama, por tu estampa, sos el malevo mentado del hampa; sos el más taura entre todos los tauras, sos el mismo Ventarrón. ¿Quién te iguala por tu rango en las canyengues quebradas del tango, en la conquista de los corazones, si se da la ocasión?
Entre el malevaje, Ventarrón a vos te llaman… Ventarrón, por tu coraje, por tus hazañas todos te aclaman…
A pesar de todo, Ventarrón dejó Pompeya y se fue tras de la estrella que su destino le señaló.
Muchos años han pasado y sus guapezas y sus berretines los fue dejando por los cafetines como un castigo de Dios.
Solo y triste, casi enfermo, con sus derrotas mordiéndole el alma, volvió el malevo buscando su fama que otro ya conquistó.
Ya no sos el mismo, Ventarrón, de aquellos tiempos. Sos cartón para el amigo y para el maula un pobre cristo.
Y al sentir un tango compadrón y retobado, recordás aquel pasado, las glorias guapas de Ventarrón.
Pedro Maffia Letra : José Horacio Staffolan
Dans la version de danse du 13 mars, Gomez ne chante que deux couplets (en gras dans le texte). En revanche le violon chante tout le reste, c’est lui la vedette de ce tango. Dans la version chanson, Gomez chante la totalité des couplets, dans l’ordre indiqué, sans reprise. De brefs moments instrumentaux donnent une petite respiration, mais la voix est quasiment toujours présente et on peut avoir une impression de monotonie qui fait que ce tango ne pourrait pas porter de façon satisfaisante à l’improvisation. Il convient donc dans cette version de porter attention aux paroles. Heureusement, elles ne posent pas de problème particulier. En voici une traduction libre : Par ta renommée, par ton image, tu es le méchant attitré du gang ; tu es le plus caïd parmi tous les caïds, tu es le Ventarrón même (vent furieux). Qui t’égale pour ton rang dans les brisées du tango canyengue (façon de danser du canyengue, inspirée de la posture du combat à l’arme blanche), dans la conquête des cœurs, si l’occasion s’en présente ? Dans l’assemblée des voyous, ils t’appellent Ventarrón… Ventarrón, pour ton courage. Pour tes exploits tout le monde t’acclame… Malgré tout, Ventarrón a délaissé Pompeya (quartier de Buenos Aires) et a suivi l’étoile que son destin lui a indiquée. De nombreuses années ont passé et ses témérités et ses faussetés, il les a abandonnées pour les cafés, comme un châtiment de Dieu. Seul et triste, presque malade, avec ses défaites mordant son âme, le bagarreur est revenu cherchant sa renommée qu’un autre a déjà conquise. Tu n’es plus le même, Ventarrón, de cette époque. Tu es un cave pour l’ami (le footballeur Messi dirait bobo plutôt que cave) et pour le lâche un pauvre hère. Et quand tu sens un tango amical et passé de mode, tu te souviens de ce passé, des gloires téméraires de Ventarrón.
Là où on revient à mon violoniste adoré
Je vous l’avais promis, on termine avec d’Elvino Vararo, le meilleur violoniste de tango du 20e siècle. Argentino Galván a écrit Violinomanía en l’honneur de la virtuosité d’Elvino Vararo. Celui-ci l’a enregistré à la tête du Brighton Jazz Orquesta en 1941 à Buenos Aires. Elvino dirigeait cet orchestre à la radio « El Mundo » et pour des concerts dans différents lieux, cabarets,confiterias, bals…
Violinomanía 1941 — Brighton Jazz Orquesta, direction et violon, Elvino Vararo (Argentino Galván)
Pour être complet, je devrais sans doute citer qu’il a enregistré le même jour Frenesi, un morceau de « Rumba fox-trot », toujours avec le Brighton Jazz et les chanteurs Nito et Roland. C’est moins virtuose, mais représentatif d’un orchestre de Jazz à l’âge d’or du tango.
Frenesi 1941, Brighton Jazz Orquesta, direction et violon, Elvino Vararo, con Nito y Roland (Alberto Domingez)
Pour clore le chapitre en revenant au tango, même si c’est du tango à écouter et pas à danser, voici Pico de oro qu’Elvino a enregistré avec son orchestre en 1953.
Pico de oro 1953 – Elvino Vardaro y su Orquesta Típica (Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo).De nombreuses années ont passé et ses témérités et ses faussetés, il les a abandonnées pour les cafés, comme un châtiment de Dieu.
Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.
Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…
Extrait musical
En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas
Les paroles
Milonga de aquel entonces que trae un pasado envuelto… De aquel 911 ya no te queda ni un vuelto… Milonga que en lo de Laura bailé con la Parda Flora… Milonga provocadora que me dio cartel de taura… Ah… milonga ‘e lo de Laura…
Milonga de mil recuerdos milonga del tiempo viejo. Qué triste cuando me acuerdo si todo ha quedado lejos… Milonga vieja y sentida ¿quién sabe qué se ha hecho de todo? En la pista de la vida ya estamos doblando el codo. Ah… milonga ‘e lo de Laura…
Amigos de antes, cuando chiquilín, fui bailarín compadrito… Saco negro, trensillao, y bien afrancesao el pantalón a cuadritos… ¡Que baile solo el Morocho! — me solía gritar la barra «e los Balmaceda… Viejos tangos que empezó a cantar la Pepita Avellaneda… ¡Eso ya no vuelve más!
Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).
Traduction
Milonga de cette époque qui apporte un passé révolu… De ce 911, il ne te reste, pas même une pièce (monnaie rendue)… Milonga que j’ai dansée que j’ai dansée chez Laura (en lo de Laura) avec la Parda Flora… Milonga provocatrice qui m’a donné une réputation de brave… Ah… la milonga chez Laura…
Milonga aux mille souvenirs, milonga d’antan. Quelle tristesse quand je me souviens que tout est si loin ! Milonga vieille et sincère, qui sait ce qu’il est devenu de tout ? Sur la piste de la vie, nous avons atteint un âge vénérable (doblar el codo = passer un cap où il reste moins de temps à vivre que ce qu’on a vécu). Ah… la milonga chez Laura…
Amis d’antan, quand, enfant, j’étais un danseur compadrito… Veste noire, galon, et le pantalon bien français, à carreaux… Q’uil danse seul, le Morocho ! (homme à la peau sombre) — avaient l’habitude de me crier la bande et les Balmaceda… Wieux tangos qu’avait commencé à chanter la Pepita Avellaneda… (peut-être la Parda Flora) Cela ne reviendra plus !
Une brève et caricaturale histoire du tango
On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque. Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée… Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.
Allons au bordel
La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola. En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.
Les courtisanes
Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes. Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.
L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,
L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’étaient les Champs-Élysées qui étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.
La cocotte (cocote en espagnol) n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier. Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.
Les occasionnelles
L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.
Les maisons closes (prostibulos)
Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes… Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies. Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.
Les « Lo »
Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.
Lo de Hansen
Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875. Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine. Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.
Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.
Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. » « Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. » Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit. En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient. Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna. Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :
« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la « haute ». Solamente lo bailaban las mujeres alegres »
« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.
El Esquinazo, un succès à tout rompre
C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948. Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès. La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.
El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])
Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables. Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître. Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc. Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes. Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »
Lo de María la Vasca
Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait. C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.
El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.
Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.
Un mural réalisé par Eduardo Sabado, Ernesto Martinchuk en décembre 2024, représente Lo de María la Vasca.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.
Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz
La Parda Loreto
Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto. Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal. Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.
Lo de Laura
Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour. Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta. Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.
Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…
Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.
Les maisons de tango dans les paroles de tangos
Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.
En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo
Lo de Laura
C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.
En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas
No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)
Lo de Laura et Lo de María la Vasca
« Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »
No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)
Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)
Lo de Laura et lo de Hansen
En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.
Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)
Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.
Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».
Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et Roberto Maida.
¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos! Eran otros hombres más hombres los nuestros. No se conocían cocó ni morfina, los muchachos de antes no usaban gomina. ¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos! ¡Veinticinco abriles que no volverán! Veinticinco abriles, volver a tenerlos, si cuando me acuerdo me pongo a llorar.
¿Dónde están los muchachos de entonces? Barra antigua de ayer ¿dónde está? Yo y vos solos quedamos, hermano, yo y vos solos para recordar… ¿Dónde están las mujeres aquéllas, minas fieles, de gran corazón, que en los bailes de Laura peleaban cada cual defendiendo su amor?
¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya, que quité en lo de Hansen al loco Cepeda? Casi me suicido una noche por ella y hoy es una pobre mendiga harapienta. ¿Te acordás, hermano, lo linda que era? Se formaba rueda pa’ verla bailar… Cuando por la calle la veo tan vieja doy vuelta la cara y me pongo a llorar.
Francisco Canaro Letra: Manuel Romero
On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici : On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac). Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre. Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.
La Vasca [Juan Calos Bazán]
Lo de María la Vasca
Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.
On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.
El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]
Lo de Hansen
Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires : No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires). Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.
La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli
Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).
Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.
Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…
Anoche en lo de Tranqueli Bailé con la Boladora Y estaba la parda Flora Que en cuanto me vio estriló, Que una vez en los Corrales En un cafetín que estaba, Le tuve que dar la biaba Porque se me reversó.
Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…
Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette). Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca. Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.
Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…
Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière. Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura. Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !
En guise de conclusion, provisoire…
Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels. J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas). Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.
El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).
L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir. À suivre…
Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.
Felicia est un tango abondamment enregistré. La version d’aujourd’hui est un peu plus rare en milonga, car la sonorité particulière de Sassone n’est pas recherchée par tous les danseurs. Il a réalisé cet enregistrement le 11 mars 1966, il y a 58 ans.
Florindo Sassone (12 janvier 1912 – 31 janvier 1982) était violoniste. Il a commencé à monter son orchestre dans les années 1930. Le succès a été particulièrement long à venir, mais il a progressivement créé son propre style en s’inspirant de Fresedo et Di Sarli. D’ailleurs, comme nous l’avons vu avant-hier avec Pimienta de Fresedo, les correspondances musicales sont nettes au point que l’on peut confondre dans certains passages Fresedo et Sassone dans les années 60. À Di Sarli, il a emprunté des éléments de sa la ligne mélodique et du dialogue entre le piano et le chant des violons. Il gère son orchestre par bloc, sans mettre en valeur un instrument particulier avec des solos. Pourtant, il a des musiciens de grand talent dans son orchestre :
Piano : Osvaldo Requena (puis Norberto Ramos)
Bandonéons : Pastor Cores, Carlos Pazo, Jesús Méndez et Daniel Lomuto (puis Orlando Calautti et Oscar Carbone avec le premier bandonéon Pasto Cores)
Violons : Roberto Guisado, Claudio González, Carlos Arnaiz, Domingo Mancuso, Juan Scafino et José Amatriali (Eduardo Matarucco, Enrique Mario Francini, José Amatriain, José Votti, Mario Abramovich et Romano Di Paola autour de Carlos Arnaiz, Claudio González et Domingo Mancuso).
Contrebasse : Enrique Marcheto (puis Mario Monteleone et Victor Osvaldo Monteleone)
Autre élément de son originalité, ses ponctuations qui terminent une bonne part de ses phrases musicales et des instruments plus rares en tango comme :
La harpe : Etelvina Cinicci
Le vibraphone et les percussions : Salvador Molé
Écoutez le style très particulier de Sassone avec ce très court extrait de La canción de los pescadores de perlas (version de 1974).
Les dix premières secondes de la canción de los pescadores de perlas 1974. Remarquez la harpe et le vibraphone.
Extrait musical
Felicia 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone.
Les paroles
Il s’agit ici d’un tango instrumental. Felicia peut être un prénom qui fait penser à la joie (feliz en espagnol, félicité en français). Cependant, Carlos Mauricio Pacheco a créé des paroles pour ce tango et elles sont loin de respirer l’allégresse. Il exprime la nostalgie pour sa terre natale (l’Uruguay) en regardant la mer. Il peut s’agir du Rio de la Plata qui est tellement large qu’il est difficile de ne pas le prendre pour une mer quand on le voit depuis Buenos Aires.
J’ai imaginé qu’elle pourrait être Félicia avec ses yeux couleur de mer, la mer qui évoque les paroles écrites par Pacheco, même si on n’a pas d’enregistrement d’une version chantée.
Allá en la casta apartada donde cantan las espumas el misterio de las brumas y los secretos del mar, yo miraba los caprichos ondulantes de las olas llorando mi pena a solas: mi consuelo era el mirar.
Desde entonces en mi frente como un insondable enigma llevo patente el estigma de este infinito pesar. Desde entonces en mis ojos está la sombra grabada de mi tarde desolada: en mis ojos está el mar.
Ya no tendré nunca aquellos tintes suaves de mi aurora aunque quizás se atesora toda su luz en mis ojos. Ya nunca veré mis playas ni aspiraré de las lomas los voluptuosos aromas de mis flores uruguayas.
Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco
J’ai 65 versions différentes de ce titre et pas une n’est chantée. On se demande donc pourquoi il y a des paroles. C’est sans doute qu’elles ont été jugées un peu trop tristes et nostalgiques et pas en adéquation avec la musique qui est plutôt entraînante dans la plupart des versions.
Le vibraphone et la harpe dans le tango
Sassone a utilisé assez systématiquement la harpe et le vibraphone dans ses enregistrements des années postérieures à 1960. C’est un peu sa signature, mais il n’est pas le seul. Je vous invite à identifier ces instruments dans les titres suivants. Amis danseurs, imaginez comment mettre en valeur ces « dings » et « bloings ».
Vida mía 1934-07-11 — Tito Schipa con Orquesta Osvaldo Fresedo (Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo).
Il peut s’agir d’un autre orchestre, mais on entend clairement le vibraphone dans ce titre et pas dans la version de danse chantée par Roberto Ray enregistrée moins d’un an avant, le 13 septembre 1939. Je présente cette version pour illustrer mon propos, mais la voix criée de Schipa n’est pas des plus agréables, contrairement à la version formidable de Ray.
Orquesta Osvaldo Fresedo. À gauche, on voit bien le vibraphone. À droite, on voit bien la harpe. Le vibraphone est caché à l’arrière.El vals soñador 1942-04-29 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón (Armando Pontier Letra Oscar Rubens). On entend par exemple le vibraphone à 6 et 22 secondes.
Nina 1971 — Florindo Sassone (compositeur Abraham), le même thème enregistré en 1971.
Pour en savoir plus sur les instruments de musique du tango, vous pouvez consulter l’excellent site : Milongaophelia. Il manque quelques instruments comme la scie musicale, l’orgue Hammond, les ondes Martenot et éventuellement l’accordéon, mais leur panorama est déjà assez complet. Comme danseur, vous pouvez vous entraîner à les reconnaître et les choisir pour dynamiser votre improvisation en passant d’un instrument à l’autre au fur et à mesure de leurs jeux de réponse. Voici Florindo Sassone en représentation au Teatro Colón à Buenos Aires, le 21 juillet 1972. Vous pourrez entendre (difficilement, car le son n’est pas génial) :
(00:00) Organito de la Tarde (Castillo Cátulo (Ovidio Cátulo Castillo González) Letra : José González Castillo (Juan de León). On retrouve l’inspiration de Di Sarli dans cette interprétation.
(05:45) La cumparsita (Gerardo Matos Rodríguez Letra: Pascual Contursi)
(08:53) Re Fa si (Enrique Delfino). On y entend bien la harpe et le vibraphone.
Sur la vidéo on peut remarquer la harpe, le vibraphone, mais aussi les timbales, pas si courantes dans un orchestre de tango.
Et pour en terminer avec le tango du jour, un tango assez original, car il s’agit en fait d’un morceau de musique classique française, de Georges Bizet (Les pêcheurs de perles) qui a donné lieu à différentes versions par Sassone, donc celle que je vous offre ici, enregistrée en 1974. Vous y entendrez la harpe et le vibraphone, nos héros du jour.
La canción de los pescadores de perlas 1974 — Orquesta Florindo Sassone.
Nous sommes à présent au bord de la mer, partageant les pensées de Carlos Mauricio Pacheco, songeant à son pays natal.
Carlos Mauricio Pacheco, pensant à son Uruguay natal en regardant les vagues.
Sondage
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Fresedo est un vieux de la vieille, mais dont le style a beaucoup évolué au cours de sa longue carrière de chef d’orchestre. Pimienta, est un des fleurons de la partie la plus intéressante de ses 70 ans de tango. Il en est le compositeur et ici l’interprète.
Le blason du quartier de La Paternal où les parents d’Osvaldo se sont installés quand il avait 10 ans. Six ans plus tard, il jouait pour la première fois en public. À 16 ans, il était encore un « gamin », un pibe, el Pibe de la Paternal.
Fresedo a commencé à jouer en public à 16 ans, en 1913. À partir de 1920, il a commencé à enregistrer, jusque dans les années 1980, environ 1200 titres.
Dizzy Gillespie en 1955 (John Birks Gillespie ; 21/10/1917- 06/01/1993) a joué avec Osvaldo Fresedo en 1956.
À plus de 90 %, ce sont des tangos. Moins de deux pour cent sont des valses ou des milongas. Le reste sont différents rythmes, pasodobles, scottishs, congas, fox-trots, chansons, rancheras, rumbas, shimmys et autres. En effet, comme beaucoup d’orchestres de tango, il jouait d’autres styles, car dans les bals de l’époque se dansaient de nombreux styles et pas seulement ceux issus du tango. Dans les programmes des événements un peu plus conséquents, il y avait en général deux orchestres annoncés. Un de tango et un de « Jazz » (le reste). N’oublions pas qu’il a joué avec Dizzy Gillepsie.
S’il a enregistré avec différents chanteurs, dont Carlos Gardel et réalisé de merveilleux enregistrements avec Roberto Ray et Ricardo Ruiz, la majorité de sa production de tango sont instrumentaux.
C’est le cas de notre tango du jour, Pimienta, enregistrée le 10 mars 1939 auprès de la RCA Victor. Le numéro de matrice est 12706-1 et le disque est la référence 38682B.
Le même jour, il a enregistré avec Ricardo Ruiz, un tango magnifique, mais que peu de DJ passent en milonga, bien qu’il soit parfaitement dansable. Je vous le propose aussi à l’écoute
Extrait musical
Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. L’impressionnant glissando qui est une caractéristique de plusieurs titres de Fresedo donne l’impression que quelque chose chute. Comme danseur, il est difficile de résister à l’envie de faire quelque chose pour marquer « l’atterrissage ». Mi gitana 1939-03-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz – Juan José Guichandut Letra : Enrique Cadícamo.
Autre versions de Pimienta par Osvaldo Fresedo
De 1939 à 1962, Fresedo a enregistré quatre fois Pimienta. Cela nous donne une idée de la progression de son style sur cette période. Voici les quatre enregistrements par ordre chronologique :
Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. C’est l’enregistrement du jour. Un des grands titres pour les danseurs. Pimienta 1945 Osvaldo Fresedo.
C’est un enregistrement public, à la radio, dans le cadre de la Ronda Musical de las Américas. Osvaldo Fresedo dirige son Gran Orquesta Argentina avec le merveilleux Elvino Vardaro comme premier violon et Emilio Barbato au piano. J’ai coupé le blabla au début pour ne garder que la musique. La musique est relativement courte, seulement 1,45 minute, sans doute à cause du format imposé par la radio et du bavardage initial (50 secondes). La qualité sonore est médiocre comme la plupart des « grabaciones radiales » (enregistrement à la radio), mais on peut remarquer un certain nombre de différences dans l’orchestration par rapport à la version originale de 1939.
Pimienta 1959-01-23 — Osvaldo Fresedo.
Vingt ans après la première version, celle-ci est d’un style très différent. Plus « symphonique », plus enrichi, avec une orchestration complètement renouvelée. On retrouve tout de même les chutes, mais il me semble que la danse n’y trouve pas son compte. C’est joli, mais je ne le propose pas en milonga, malgré quelques trouvailles intéressantes d’une meilleure superposition des plans et des chutes assez impressionnantes.
Pimienta 1962-10-04 — Osvaldo Fresedo.
Encore différent de la version de 1959, on trouve ici le « Fresedo-Sassone ». En effet, on trouve dans cette version les « glings » chers à Sassone qui fait que l’on ne retrouve pas du tout l’esprit de Fresedo tel que le conçoivent les danseurs habitués à ces titres des années 30-40. Malgré des impacts intéressants, cette version est sans doute un peu monotone pour la danse. En résumé, hormis pour l’illustration, je reste avec la merveilleuse version de 1939.
Qui est pimienta ?
La pimienta est le poivre. Je ne pense pas que Fresedo pensa à faire l’apologie de cette épice quand il a écrit le titre. N’ayant pas trouvé d’information sur le sujet, j’ai cherché d’autres tangos parlant de pimienta. Il n’y en a pas dans ma discothèque, pourtant assez vaste. Il y a bien une milonga Azúcar, pimienta y sal d’Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) et avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar).
Azúcar, pimienta y sal 1973 – Orquesta Héctor Varela con Fernando Soler y Jorge Falcón
Le sujet est une femme, au caractère variable. Voici ce qu’en dit un des couplets, le dernier :
Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar)
Traduction :
Je l’aime difficile comme elle est, avec son monde différent. Qu’importe son monde à l’envers, sans qu’il change facilement. Ni ce qu’ils disent de moi, parce que je l’aime ainsi. Rebelle et angélique. Ainsi, comme elle est le sucre, le poivre et le sel!
J’ai donc imaginé que Pimienta parlait d’une femme au caractère bien marqué. C’est ainsi que j’ai proposé l’image de couverture, avec une femme, disons, presque en colère…
Pimienta. J’ai imaginé que Pimienta s’adressait à une femme qui avait du tempérament. J’ai peut-être exagéré, non ?
Pour terminer, je propose cette beauté « angélique », mais avec une pointe de rébellion dans les yeux.
Cette milonga du jour a été enregistrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enregistrée par Donato et est toujours un succès dans les milongas. Cependant, son titre prête à interprétations et je choisis ce prétexte pour vous faire entrer dans le monde du tango du début du 20e siècle.
Edgardo Donato interprète ici une milonga écrite par son frère, pianiste, Osvaldo. Deux chanteurs interviennent, Horacio Lagos et Randona (Armando Julio Piovani). Ils ne chantent que deux couplets, comme il est d’usage pour le tango de danse.
Le disque
Sacale punta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Victor 38397.
Sur l’étiquette on trouve plusieurs mentions. Le nom de l’orchestre, Edgardo Donato y sus Muchachos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Horacio Lagos. Randona n’est pas mentionné. On trouve le nom des auteurs et compositeurs. L’auteur des paroles est en premier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pourrez écouter cette valse en fin d’article. Sur le disque, on peut remarquer sur l’étiquette l’encadré suivant…
Exécution publique et radio-transmission réservées à RCA Victor Argentina INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milonga 😉
Extrait musical
Sacale punta 1938-03-09 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)
Les paroles
Sacale punta a esta milonga Que ya empezó. Sentí que esos fueyes que rezongan De corazón. Y las pebetas se han venido De « true Vuitton ». (De truco y flor) El tango requiebra la vida (El tango es rey que da la vida) Y en su nota desparrama, Su amor.
Tango lindo de arrabal Que yo, No lo he visto desmayar ¡ Triunfó!. Tango lindo que al cantar Volcó, Su fe, su amor Varón tenés que ser.
Nada hay que hacer cuando rezongan El bandoneón Oreja a oreja las parejas Bailan al son, De un tango lleno de recuerdos Que no cayó. Si desde los tiempos de Laura Se ha sentido primera agua y brilló.
Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez. Seuls les deux premiers couplets sont chantés dans cette version.
Pourquoi un crayon à la milonga ?
Les paroles de cette chanson parlent donc de la milonga, du point de vue de l’homme qui se prépare à danser joue contre joue (oreille contre oreille) avec des jeunes femmes. « Saca punta » se dit pour tailler les crayons, faire sortir, la pointe, la mine. Cela se dit couramment dans les écoles.
Sacale punta. J’ai représenté le crayon bien taillé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite partie de l’énigme.
Ici, Sandalio a écrit « Sacale punta a esta milonga », sors-lui la pointe à cette milonga… Pour ceux qui pourraient s’interroger, sur l’intérêt d’apporter un crayon à la milonga. Une petite investigation qui je l’espère ne sera pas trop décevante :
Les autres textes de Sandalio Gómez
Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par Sandalio Gómez on trouve : Deux tangos : « Cumbrera » et « El mundo está loco ». Le premier est un hommage à Carlos Gardel et le second s’inscrit dans la tradition de « Cambalache » ou de « Al mundo le falta un tornillo », ces tangos qui parlent de la dégénérescence du Monde. Deux milongas : « De punta a punta » et « Mis piernas » qui est une milonga qui incite à se reposer, car les paroles commencent ainsi : « Sentate, cuerpo sentate, que las piernas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peuvent plus. Un paso doble : « Embrujo » parle d’un « envoutement » amoureux. Du grand classique et si ce n’était ce « Sacale punta », les paroles ne prêteraient pas à interprétation. On n’est pas en présence de textes de Villoldo qu’il a souvent fallu remanier pour respecter les bonnes mœurs.
D’autres musiques utilisant « Sacale punta »
Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale punta ». Par exemple, la milonga écrite par José Basso : « Sacale punta al lápiz » 1955-09-16 écrite par José Basso, mais qui n’a pas de paroles.
Sacale punta al lápiz 1955-09-16 – José Basso (Musique José Basso)
Si on reste en Argentine, on trouve plus récemment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont souvent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milonga de Basso et qui est interprétée par Neni y su banda. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous donnerai pas les paroles, mais sachez que le possesseur du lápiz (crayon) se vante de pouvoir en faire quelque chose au lit. Le groupe cubain Vieja Trova Santiaguera chante également « Sacale punta al lápiz ». Ce son est avec des paroles relativement explicites, la muñequa (poupée) faisant référence au même crayon que la cumbia susmentionnée.
Sácale la punta al lápiz – Vieja Trova Santiaguera
Le chanteur portoricain de Salsa, Adalberto Santiago, chante dans une salsa du même titre, « Sacale punta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa compagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit préparer la mine de son crayon pour pouvoir tout noter. On est donc ici, dans la lignée scolaire, du crayon dont on doit affuter la mine.
Sácale punta 1982-12-31 – Adalberto Santiago
Dans l’esprit du crayon pour écrire, on pourrait penser au carnet de bal pour inscrire les partenaires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le carnet et le crayon seront pour noter les coordonnées de la belle…
Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?
Comme vous l’imaginez, les pistes précédentes ne me satisfont pas. Je vais vous donner ma version, ou plutôt mes versions, mais qui se rejoignent. Pour cela, interrogeons le lunfardo, l’argot portègne. En lunfardo se dit : « de punta en blanco » qui signifie élégant. Il est donc logique de penser que le narrateur souhaite sortir ses meilleurs vêtements pour aller à la milonga. Toujours en lunfardo, « hacer punta » est aller de l’avant. On peut donc imaginer qu’il faut aller de l’avant pour aller à la milonga. Continuons avec le lunfardo : La punta est aussi un couteau, une arme blanche. Quand on connaît la réputation des compadritos, on se dit qu’ils peuvent être prêts à sortir le couteau à la moindre occasion à la milonga. Pour résumer, il se prépare avec ses beaux habits, éventuellement avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milonga qui a déjà commencé, pour danser joue contre joue et discuter ce qui se doit avec ceux qui se mettent en travers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un double sens à la Villoldo, surtout si on se réfère au fait que cette milonga se réfère au début du XXe siècle, époque où les paroles étaient beaucoup plus « libres ».
Lo de Laura
En effet, le dernier couplet, qui n’est pas chanté ici, parle du temps de Laura. Il s’agit de la casa de Laura (Laurentina Monserrat). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milonga était de bonne fréquentation au début du vingtième siècle.
Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…
Les danseurs pouvaient danser avec les « femmes » de la maison moyennant le paiement de quelques pesos. Je ne connais pas le prix pour cette maison, mais dans une maison comparable, Lo de Maria (La Vasca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la propriétaire, « El Ingles » (Carlos Kern) veillait à ce que les protégées soient respectées. On est toujours à l’époque du tango de prostibulo, mais avec classe. Il indique que dès l’époque de Laura, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milonga « En lo de Laura » (musique d’Antonio Polito et paroles d’Enrique Cadícamo). En effet, dans cette milonga, Cadícamo a écrit : « Milonga provocadora que me dio cartel de taura… », Milonga provocante qui me donna le titre de champion (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, compadrito, courageux, qui se montre…).
En lo de Laura 1943-03-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas – Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Pour vous donner une idée de l’ambiance de Lo de Laura, vous pouvez regarder cet extrait du film argentin « La Parda Flora » de León Klimovsky et qui est sorti le 11 juillet 1952. C’est bien sûr une reconstitution, avec les limites que ce genre impose.
Reconstitution de l’ambiance en Lo de Laura. Extrait du film argentin « La Parda Flora » de León Klimovsky sorti le 11 juillet 1952
Dans cette partie du film se joue « El Entrerriano » d’Anselmo Rosendo Mendizábal. En effet, une tradition veut que Mendizábal ait écrit ce tango en Lo de Laura. Il était en effet pianiste dans cet établissement et c’est donc fort possible. Il intervenait aussi à Lo de Maria la Vasca et certains affirment que cet dans ce dernier établissement qu’il a inauguré le tango. Notons que les deux affirmations ne sont pas contradictoires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose. Il décrit cela dans une lettre envoyée en 1934 à Héctor et Luis Bates et qui la publièrent en 1936 dans « Las historias del tango: sus autores » :
La couverture de la partition d’El Entrerriano avec la dédicace à Ricardo Segovia (en haut à droite). Cela valait bien 100 mangos… On notera l’erreur d’orthographe, il manque un « r » à Entrerriano »
“Existía una casa de baile que era conocida por « María la Vasca ». Allí se bailaba todas y toda la noche, a tres pesos hora por persona. Encontraba en esos bailes a estudiantes, cuidadores y jockeys y en general, gente bien. El pianista oficial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó « El entrerriano ». […] así se bailó hasta las 6 a.m. Al retirarnos lo saludé a Rosendo, de quien era amigo, y lo felicité por su tango inédito y sin nombre, y me dijo: « se lo voy a dedicar a usted, póngale nombre ». Le agradecí pero no acepté, y debo decir la verdad, no lo acepté porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al tener que retribuir la atención. Pero le sugerí la idea que se lo dedicase a Segovia, un muchacho que paseaba con nosotros, amigo también de Rosendo y admirador; así fue; Segovia aceptó el ofrecimiento de Rosendo. Y se le puso « El entrerriano » porque Segovia era oriundo de Entre Ríos.”.
José Guidobono
Traduction :
Il y avait une maison de danse connue sous le nom de « María la Vasca ». On y dansait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par personne. À ces bals, j’ai croisé des étudiants, des médecins et des jockeys [c’était une soirée spéciale du Z Club, club auquel Rosendo Mendizábal a d’ailleurs dédié un tango (Z Club)] et en général, de bonnes personnes. Le pianiste officiel était Rosendo et c’est là que « El entrerriano » a été joué pour la première fois. […] c’est ainsi qu’on a dansé jusqu’à 6 heures du matin. En partant, j’ai salué Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai félicité pour son tango inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédicacer, donne-lui un nom ». Je l’ai remercié, mais je n’ai pas accepté, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accepté parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remercier de l’attention. Mais j’ai suggéré l’idée qu’il le dédicace à Segovia, un garçon qui marchait avec nous, également ami et admirateur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accepté l’offre de Rosendo. Et il l’a intitulé « El Entrerriano » parce que Segovia était originaire d’Entre Ríos. […] Rosendo a ainsi gagné cent mangos (pesos en lunfardo). »
La face A du disque Victor 38397
Sur la face A du même disque Victor a gravé une valse. Elle a été enregistrée le même jour par Donato et Lagos, comme c’est souvent le cas. Cette valse est sublime, je vous la propose donc ici :
Ne pas confondre cette valse avec une au titre qui ne diffère que par deux lettres…
Quién será ? 1941-10-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos — Luis Rubistein (MyL)
Un clin d’œil pour les DJ
Felix Picherna, un célèbre DJ de l’époque des cassettes Philips, utilisait un crayon pour rembobiner ses cassettes. Il devait donc sacar la punta antes de la milonga. J’en parle dans mon article sur les tandas. Maintenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Laura ou dans votre milonga favorite.
Juan Antonio Collazo Letra : Roberto Fontaina ; Víctor Soliño
Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élégant et un peu précieux. Cependant, le tango du jour parle d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invitent à découvrir le personnage avec une caricature légère et entraînante. C’est aussi pour moi, l’occasion de vous faire souvenir d’un orchestre un peu oublié.
Même dans le monde du tango, il y a des personnes qui aiment paraître, qui ont la « nariz parada » (le nez relevé par la fierté), qui souhaitent péter plus haut que leur cul. Ce tango, dont les paroles qui sont de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, parlent d’un de ces personnages de banlieue qui joue à être de la haute (société). Ce tango a été enregistré à diverses reprises, en deux vagues. La plus ancienne version est une version chantée par Alberto Vila, accompagné à la guitare en 1927. L’année suivante, la Típica Victor enregistre une version instrumentale et en 1930 Irusta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (violon). Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons certains de ces enregistrements.
À propos de Niño bien
Niño bien a donné son nom à une milonga du jeudi à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a malheureusement disparu, comme tant d’autres.
Cette milonga était suffisamment fameuse pour que Brian Winter donne son nom à un de ses livres (Bien après minuit à la Niño bien). Une autre milonga fameuse qui elle aussi a disparu, Thunderland est l’autre héroïne parmi les milongas citées dans ce livre.
La captivante quête d’une Américaine dans les milongas portègnes pour retrouver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milonga aux USA. Pour le retrouver, elle devra découvrir tous les aspects du tango. Ce livre permet de se remémorer des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milonga Niño Bien évoquée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.
Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Enrique Fausta Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003)
Enrique (Fausta) Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003) est sans doute injustement oublié, Il était un brillant pianiste, chef d’orchestre et compositeur de tangos comme Este es tu tango, connu par les enregistrements de Ricardo Tanturi avec Roberto Videla ou Enrique Rodriguez avec Armando Moreno. J’imagine que son oubli vient en particulier du fait qu’il n’a enregistré que dans les années 50, un moment où le tango de danse était en régression. Il n’a donc pas été réédité aussi rapidement que les monstres sacrés. Je suis donc content de lui redonner justice, comme j’avais ressorti de l’oubli Donato Racciatti il y a une vingtaine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrouvera une similitude entre Mora, Racciatti et Firpo, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évoquer Nina Miranda ou Olga Delgrossi, voire Tita Merello qui a aussi chanté ce titre. Elsa Moreno a enregistré une douzaine de titres avec le cuarteto d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le premier de la série.
Extrait musical
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Les paroles
Niño bien, pretencioso y engrupido, que tenés berretín de figurar; niño bien que llevás dos apellidos y que usás de escritorio el Petit Bar; pelandrún que la vas de distinguido y siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá.
Vos te creés que porque hablás de ti, fumás tabaco inglés paseás por Sarandí, y te cortás las patillas a lo Rodolfo sos un fifí. Porque usás la corbata carmín y allá en el Chantecler la vas de bailarín, y te mandás la biaba de gomina, te creés que sos un rana y sos un pobre gil.
Niño bien, que naciste en el suburbio de un bulín alumbrao a querosén, que tenés pedigrée bastante turbio y decís que sos de familia bien, no manyás que estás mostrando la hilacha y al caminar con aire triunfador se ve bien claro que tenés mucha clase para lucirte detrás de un mostrador.
Juan Antonio Collazo Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño
Traduction
Niño bien (enfant de « bonne famille »), prétentieux et vaniteux, qui a pour but (loisir), le paraître ; Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ; Pelandrún (personne oisive et paresseuse) qui se meut de façon distinguée et qui parle toujours de l’estancia (ferme de gros propriétaire terrien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gagner sa vie, sort tous les jours pour vendre des fainás (pains plats à base de farine de pois chiches, aliment pour les pauvres, mais que vendent aussi les pizzerias argentines). Tu crois que, parce-ce que tu parles de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodolfo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode). Parce que tu portes la cravate carmin et que tu vas comme danseur au Chantecler et que tu t’envoies biaba de gomina (coiffure avec une quantité exagérée de gomina), tu te prends pour une rana (grenouille, personne avisée) et tu es un pauvre gil (imbécile, médiocre, cave). Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bordel éclairé au pétrole (kérosène), qui a un pedigree plutôt trouble et tu dis que tu descends d’une bonne famille, Tu ne soupçonnes pas que tu montres le fil et, lorsque tu marches d’un air triomphant, il est très clair que tu as beaucoup de classe pour briller derrière un comptoir.
La photo de couverture
Pour cette image, je ne suis pas parti de photos. Je vais vous expliquer la démarche, à la lueur des paroles du tango.
Siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu parles toujours du domaine de ton papa, cependant ton vieux, pour gagner la pitance, sort tous les jours pour vendre des fainás (Galettes à base de farine de pois chiches)].
Au couplet suivant : « te cortás las patillas a lo Rodolfo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valentino), tu es un efféminé.
La fainá est une galette à base de farine de pois chiches. C’est une sorte de pizza du pauvre, que l’on trouve encore aujourd’hui dans les pizzerias portègnes. À l’époque, elles étaient vendues par des vendeurs ambulants.
Pour l’image, je suis parti de l’idée d’avoir le Niño Bien au premier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de partir de son modèle, à savoir Rudolph Valentino, cet acteur de l’époque du cinéma muet qui était considéré comme particulièrement beau. Pour le père, j’ai décidé de mettre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véritable vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chiches, cuites au four à pizza, à la poêle, ou sur des installations plus sommaires, comme on peut le voir sur la photo. Voici les images originales :
À gauche, Rudolph Valentino. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas identifié le studio (photo ou cinéma). À droite, le « père » est en fait Ricardo Ravadero, un vendeur ambulant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette photo).
Autres versions
Niño bien 1927-12-03 – Alberto Vila con guitarras.
Une jolie et simple version par Alberto Vila accompagnée par la guitare. Les trémolos de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.
Niño bien 1928-04-09 – Orquesta Típica Victor.
Cette version instrumentale. Sous ses airs de marche militaire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas triomphant dans la rue Sarandí…
Après la première vague des années 20-30, la relance du titre vient de la sortie du film d’Homero Manzi e Ralph Pappier « Pobre mi madre querida », sorti le 28 avril 1948. Hugo del Carril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se terminer en bagarre…
Nino bien 1948-04-28 (sortie du film) — Hugo del Carril. Extrait du film « Pobre mi madre querida » de Homero Manzi y Ralph Pappier Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno. C’est le tango du jour.Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…Niño bien 1956-06-14 — Tita Merello accompagnée par Francisco Canaro.
La gouaille incroyable de Tita Merello, fait de cette version un morceau d’anthologie. Pas garanti pour le bal, c’est d’ailleurs présenté comme une chanson, mais à ne pas rater.
Niño bien 1965c – Cuarteto Los porteñitos.
Un jour, il faudra que je vous parle un peu de ce talentueux musicien qui a réussi dans tous les genres, du jazz au tango, Santos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a formé un cuarteto avec Estaban Ubaldo De Lío et Héctor Davis à la guitare, Roberto Tierrita Guisado, qui était le premier violon de l’orchestre de Di Sarli (on connaît l’importance du violon pour les interprétations de Di Sarli). Lui-même, Santos Lipesker tient le bandonéon, mais il jouait d’autres instruments à vent comme le saxophone ou la clarinette. Ce cuarteto n’a enregistré, semble-t-il que deux cassettes. C’est sans doute dommage, car c’est plutôt réussi, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus apprécié dans les bals…
Niño bien, 1975c – Elba Berón accomp. Cuarteto A Puro Tango, dirigé par Miguel Nijensohn.
Avec Elba, on retrouve la gouaille de Tita, avec un accompagnement plus simple privilégiant la guitare, comme dans la première version que je vous ai proposée, celle d’Alberto Vila.
Cette anecdote publiée initialement le 8 mars 2024 a été complétée le 7 mars 2025 (traductions et nouvelles interprétations).
Le Niño Bien semble détonner dans le magasin et les clients le regardent avec un air étonné.
Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sublime tango s’appelait « Tinta Verde » (Encre verte). La version de ce tango du jour a été enregistrée par Anibal Troilo le 7 mars 1938, il y a exactement 86 ans, mais la musique a été écrite par Bardi en 1914. Une histoire d’amitié comme il en existe tant en Argentine.
Jetez l’encre
Agustín Bardi (13 août 1884 – 21 avril 1941) a écrit ce très beau tango en 1914. Il n’en existe pas à ma connaissance de versions chantées, toutes les versions sont instrumentales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tangos qui parlaient d’encre (tinta). Tinta roja (Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin teinté (les hispanophones disent vino tinto pour parler du vin rouge). Tinta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tinta verde qui avait toujours du succès comme en témoignent les enregistrements de D’Arienzo 1935 et Troilo 1938, celui dont on parle aujourd’hui). Tinta china (Antonio Polito Letra : Héctor Polito). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même succès, ce tango écrit en 1942 parle des personnes à la peau noire. Tinta china se réfère donc à la couleur de la peau. Tinta verde. J’ai gardé le suspens, mais je vous rassure, c’est impossible de deviner pourquoi ce tango s’appelle Tinta verde (encre verte). Ce n’est pas une histoire de couleur de peau (pas de petits Martiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émission d’Orson Welles mettant en scène la Guerre des Mondes d’Herbert George Wells (le plus grand pionnier de la science-fiction) n’a été diffusée que le 30 octobre 1938 et ce tango écrit en 1914. Je lève le suspens, il s’agit tout simplement de l’encre verte, celle que l’on peut mettre dans les stylos.
1 Je suis parti d’une photo de Octopus Fluids, le fabricant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espère que le collègue photographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trouvé sa photo si belle que je n’ai pas eu d’idée pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Fluids pour ceux que ça intéresse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks
Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car le tango étant instrumental, c’est difficile à vérifier. La preuve, la voici ; Agustín Bardi avait pour voisin et ami, Eduardo Arolas (24 février 1892 – 29 septembre 1924). Ce dernier était illustrateur en plus d’être bandonéoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il était donc coutumier de l’usage des encres. Curieuse coïncidence, à la même époque, Agustín Bardi travaillait pour une entreprise de transport, « La Cargadora » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet établissement, Agustín écrivait les étiquettes des expéditions à l’encre verte. Cela lui a donné d’écrire le tango pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), compagnon d’usage des encres.
Eduardo, qui était donc également illustrateur a réalisé la couverture de la partition qui lui était dédiée, à l’encre verte… La boucle est bouclée.
Extrait musical
Depuis 1914, il y a eu diverses versions du titre. Vous pourrez entendre la plupart en fin de cet article. Mais le tango du jour est l’excellente version de Troilo de 1938. Il l’a réenregistré, avec moins de bonheur à mon sens en 1970.
Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.
Je trouve amusant de proposer en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chantées par Fiorentino. Nous en reparlerons sans doute en octobre…
Tinta roja 1941-10-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino / Sebastián Piana Letra : Cátulo Castillo
Je vous laisse apprécier le contraste. Ces titres peuvent être compatibles, pour les DJ qui mélangent les tangos chantés et instrumentaux.
D’autres enregistrements
Cette histoire d’amitié, trop vite interrompue par la mort d’Eduardo Arolas (en 1924, à 32 ans), a donné lieu à de nombreuses et belles versions. Agustín Bardi aura le bonheur d’entendre les versions de D’Arienzo et Troilo, mais probablement pas l’intéressante interprétation de Demare. Ce dernier l’a enregistré plus d’un an après la mort de Bardi, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.
Tinta verde 1916 — Quinteto Criollo Atlanta. Une version acoustique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milongas, mais à découvrir, tout de même.Tinta verde 1927-10-17 — Osvaldo Fresedo. Une version un peu canyengue, moyennement intéressante, même pour l’époque. À réserver aux fans absolus de Fresedo et de la vieille garde.Tinta verde 1929-10-03 — Orquesta Pedro Maffia. Une version tranquille qui aura une sœur 30 ans plus tard.Tinta verde 1935-08-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typique de sa première période, avant l’arrivée de Biagi dans l’orchestre.Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.Tinta verde 1942-12-09 — Orquesta Lucio Demare. J’aime bien l’entrée du piano au début de cette version.Tinta verde 1945-10-30 — Orquesta Carlos Di Sarli. Magnifique solo de violon.Tinta verde 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli. Une version lente et majestueuse, comme sait en produire El Señor del Tango.Tinta verde 1957-06-19 — Orquesta Juan Cambareri. Une version un peu précipitée comme adore en proposé « El Mago del Bandoneón ». Amusante, quasiment dansable en milonga. Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occasion très particulière.Tinta verde 1959 — Orquesta Pedro Maffia. 30 ans après le premier enregistrement, Maffia joue avec une sonorité différente, mais un rythme proche.Tinta verde 1966-12-23 — Orquesta Armando Pontier. Une version assez originale. Pas forcément géniale à danser, mais agréable à écouter.Tinta verde 1967-11-14 Orquesta Juan D’Arienzo. Ce n’est clairement pas la meilleure version. Je ne proposerai pas en milonga, même si cela reste dansable.Tinta verde 1970-11-23 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tango de danse. C’est magnifique, mais sans doute insatisfaisant pour les meilleurs danseurs.
Il existe bien d’autres versions, les thèmes appréciés par Troilo ou D’Arienzo ont beaucoup de succès avec les orchestres contemporains. N’hésitez pas à donner votre avis sur votre version préférée en commentaire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très contraignant).
Agustin Bardi (à droite), a écrit ce tango pour son ami, Eduardo Arolas, à gauche.
Le tango du jour, Lágrimas a été enregistré il y a exactement 85 ans par Donato et Lagos. Maruja Pacheco Huergo, l’auteure des paroles a su trouver les mots pour parler de la détresse de l’abandon. Je vous invite donc, au-delà de ce thème, à découvrir cette femme exceptionnelle, auteure de tangos sublimes comme El adiós.
Le tango du jour
L’association Donato et Lagos a donné un grand nombre de tangos magnifiques. Celui d’aujourd’hui, qui fête son anniversaire aujourd’hui, parle de tristesse, mais la musique dynamique de Donato se démarque de la plupart des tangos portant ce titre « Lagrimas » en abandonnant la tristesse généralement de mise. On compatit aux larmes, mais on se laisse emporter dans la musique pour danser sur la piste ce tango entraînant. Notons que Donato a également enregistré une valse de ce titre écrite par Vicente Vilardi ; J. Pastene Letra : Juan De la Calle (Federico Saniez). Je reviendrai sur ce point dans quelques jours, au sujet de Lágrimas y sonrisas ; la tristesse et les valses.
L’orchestre de Donato
Edgardo Donato
Edgardo Donato était violoniste et au début de son orchestre, en 1930, il jouait en plus de diriger l’orchestre. Dans l’orchestre on retrouve deux des ses huit frères Osvaldo au piano et Ascanio au violoncelle. Petit cadeau, la composition de son orchestre en 1930 et en 1936. Dans l’orchestre de 1936, on remarque trois chanteurs qui ont produit plusieurs titres ensemble, leurs voix se mariant parfaitement.
Instrumentistes
Orchestre de 1930
Orchestre de 1936
Bandonéonistes
José Roque Turturiello Vicente Vilardi Miguel Bonano
José Roque Turturiello Vicente Vilardi Eliseo Marchesse José Budano
Violonistes
Edgardo Donato Armando Julio Piovani Pascual Humberto Martínez
Armando Julio Piovani Domingo Mirillo José Pollicita
Pianiste
Osvaldo Donato
Osvaldo Donato
Violoncelliste
Ascanio Donato
Ascanio Donato
Contrebassiste
José Campesi
José Campesi
Accordéoniste
Washington Bertolini (pseudo de Osvaldo Bertoni) qui était aussi pianiste.
Chanteurs
Luis Díaz Antonio Rodríguez Lesende Carlos Viván Teófilo Ibáñez
Horacio Lagos Lita Morales Romeo Gavio
L’orchestre d’Edgardo Donato en 1930 et 1936. Remarquez la présence de ses frères Osvaldo (Piano) et Ascanio (violonceliste)
L’orchestre d’Edgardo Donato en 1933 (ce n’est pas la composition du 6 mars 1939, mais il y a les trois frères Donato, Edgardo, Osvaldo et Ascanio.
Maruja Pacheco Huergo
Sous ses allures discrètes et modestes se cachait un génie. Maruja, Pacheco Huergo.
Maruja Pacheco Huergo de son véritable nom, María Esther Pacheco Huergo était une femme remarquable. Je vous propose donc quelques éléments sur Maruja (surnom hypocoristique de Maria). Si on se limite à sa production de tango, on pourrait citer El adiós, Don Naides, Milonga del aguatero, Sinfonía de arrabal, ou Vuelves et quelques autres dont elle est la compositrice et parfois aussi l’auteure, comme pour le tango du jour dont elle n’a écrit que les paroles. Mais elle a écrit aussi environ 600 titres dans tous les rythmes. C’était donc une compositrice particulièrement prolifique. Mais Maruja était aussi pianiste, chanteuse, auteure et actrice, voire professeur de piano et de chant. Le meilleur est qu’elle a fait tous ces métiers avec succès. Elle était l’épouse de Manuel Ferradás Campos, lui-même écrivain de tangos et journaliste, mais avec nettement moins de rayonnement que son épouse.
Extrait musical
Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos
Les paroles
Ansias de hundir en las sombras la angustia infinita que quiero ocultar. Ansias de llorar tu llanto, pena de quererte tanto, voy por un camino largo llevando en mi alma buena mi propio desencanto… arrastrando en mi agonía la cruz de mi resignación.
Lágrimas… En la amargura de mi vida son, bálsamo… Que cicatrizan mi dolor. Benditas una y mil veces estas lágrimas, sinceras, que brotaron de mi pobre corazón.
Lágrimas… Que enmudeciendo mis tristezas van, lágrimas… tibia llovizna de pesar. Hoy llegan hasta el cáliz de mi vida, suavizando la nostalgia de esta inmensa soledad.
Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo
D’autres enregistrements
Lágrimas n’a été enregistré que par Donato. Avec Horacio Lagos en 1939 et Oscar Peralta en 1956.
Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. Tango du jour.
C’est le tango du jour. J’ai eu la chance de le danser hier à la milonga Nuevo Chique avec l’excellent DJ Dany Borelli. Je confirme que malgré les paroles, le plaisir de le danser est total.
Lágrimas 1956-06-21 – Orquesta Edgardo Donato con Oscar Peralta
Cette dernière version va sans doute surprendre les fans de Donato qui oublient trop souvent que beaucoup de chefs d’orchestres ont eu une carrière très longue et que par conséquent, ils ont évolué pour rester dans l’air du temps. En 1956, on est plus en direction de l’écoute que du tango de bal, par exemple. Signalons que le même jour, Donato et Lagos ont enregistré De punta a punta une milonga écrite par Osvaldo Donato avec des paroles de Sandalio Gómez.
De punta a punta 1939-03-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos / Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez
Des rires aux larmes et des larmes aux rires
Nous reviendrons prochainement sur ce thème (le 26 mars), mais en attendant, deux titres.
Risas y lágrimas 1927-04-08 (valse) — Roberto Firpo con Jazz Band / F. Caso (rires et larmes)Lágrimas y sonrisas 1950 Roberto Firpo (Hijo) y su Cuarteto (valse) / Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (larmes et rires) où Pascual De Gullo a merveilleusement joué des passages des modes mineurs à majeurs pour moduler les variations d’émotion.
Nous terminons donc sur des rires, mais avec moi, vous le savez, le tango est une pensée heureuse qui se danse.
Ce tango a aussi été chanté avec sensibilité par deux hommes, Horacio Lagos et Oscar Peralta. Les hommes aussi peuvent pleurer les tristesses de la vie.
Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.
Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)
Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.
Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé. Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles. Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20. Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.
Retour au cornetín
Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article. Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes. C’est l’histoire de ce tango.
Extrait musical
Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino
Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (estribillo) – Disque Victor 60-0016-A
Les paroles
Eclipse de sol, film sorti le 1er juillet 1943 — Libertad Lamarque et Dringue Farías avec son cornetín. Le conductor sous le charme de Libertad Lamarque danse avec elle. On remarquera qu’il est indiqué Mayoral sur sa casquette, ce qui ne correspond pas à sa fonction de conductor.
Tarí, Tarí. Lo apelan Roque Barullo conductor del Nacional.
Con su tramway, sin cuarta ni cinchón, sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur). El cornetín, colgado de un piolín, y en el ojal un medallón de yuyo.
Tarí, tarí. y el cuerno listo al arrullo si hay percal en un zaguán.
Calá, que linda está la moza, calá, barriendo la vereda, Mirá, mirá que bien le queda, mirá, la pollerita rosa. Frená, que va a subir la vieja, frená porque se queja, si está en movimiento. Calá, calá que sopla el viento, calá, calá calamidad.
Tarí, tarí, trota la yunta, palomas chapaleando en el barrial.
Talán, tilín, resuena el campanín del mayoral picando en son de broma y el conductor castiga sin parar para pasar sin papelón la loma Tarí, tarí, que a lo mejor se le asoma, cualquier moza de un portal
Qué linda esta la moza, barriendo la vereda, mirá que bien le queda, la pollerita rosa. Frená, que va a subir la vieja, Frená porque se queja si está en movimiento, calá, calá que sopla el viento, calá, calá calamidad.
Tarí, Tarí. Conduce Roque Barullo de la línea Nacional.
Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo
Parmi les détails amusants :
On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir le tranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.
Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sûr le son du cornetín.
“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a dû paraître extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne « nacionale » pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.
Tangos sur le tranvía
Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)
El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
C’est le premier de la série à être enregistré.
Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.
Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943. Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.
Cornetín 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.
Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.
Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…
Autres titres parlant du tranvía
El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).
Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai pas si vous ne l’écoutez pas en entier.
El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre. El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.
Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.
El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL) Milonga del mayoral 1953 – Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo
Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías
En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.
Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.
Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.
Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.
Petits plus
« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les
On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.
Quelques sources
L’association des amis du Tranvía. Des passionnés qui vous feront revivre cette époque. Ils organisent des petits circuits dans des véhicules d’époque dans le quartier de Caballito. Pour patienter dans la file d’attente, ils vous proposent un historique. C’est très bien organisé et fait par des passionnés. Le trajet est gratuit, mais c’est sympa de leur acheter quelques souvenirs pour les aider dans leurs travaux de restauration de véhicules anciens.
Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)
5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.Reconstitution du tranvía du film « Eclipse de sol », car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.
Vicente Greco Letra : Pascual Contursi/Juan Sarcino/Jerónimo Gradito (trois versions des paroles)
Le tango du jour, el Flete a été enregistré il y a exactement 88 ans par Juan d’Arienzo. Je vous propose d’en voir un peu plus de ce tango qui est des premiers à avoir bénéficié de la collaboration avec Rodolfo Biagi.
Ceux qui parcourent les rues de Buenos Aires ont sans doute été surpris par l’abondance de ces camions antédiluviens et porteurs de charges parfois extravagantes.
Des camions de « Fletes » dans une rue de Buenos Aires.
Sur leurs flancs, l’indication « Fletes ». Ce sont des véhicules destinés aux livraisons. Si vous avez un canapé à vous faire livrer, ou tout un déménagement, vous ferez sans doute appel à un de ces services de fletes. El flete, c’est donc la charge, la livraison, le transport, le colis Le mot « flete » vient du français « Fret ». On pense aux merveilleuses toiles et splendides émaux sur métal de Quinquela Martin où on voit les porteurs plier sous le poids des paquets qu’ils chargent et déchargent des bateaux dans le port de la Boca.
Quinquela Martin — Motivo de puerto. Émail sur fer (1946). 0,88×0,98 m. Au centre, on voit la traversée d’une passerelle. La musique m’évoque la marche de ces hommes.
Si vous allez à la Boca le quartier qui doit tant à Benito Quinquela Martin, n’oubliez pas de voir son joyau, le musée maison de ce peintre.
Ceux qui n’ont pas l’occasion de venir à Buenos Aires pourront avoir une idée de ce musée en regardant cette vidéo.
Anecdote : Víctor Fernández, directeur du Musée Benito Quinquela Martín est également DJ de tango, ce qui limite ma culpabilité dans mon excursion dans ce superbe musée.
Là, où on revient à notre tango du jour, El Flete…
Le tango du jour est instrumental, on pourrait donc penser que l’on évoque le transport, le travail difficile de ceux qui l’effectuent, les véhicules lourdement chargés. D’ailleurs, la musique encourage à cette interprétation. Quelques pas rapides et un pas plus pesant, comme un homme qui porterait une lourde charge en descendant du bateau et qui ferait de temps à autre une pause. Cette interprétation est pour moi renforcée par l’enregistrement par Firpo, surtout celui du 16 février 1916. C’est un enregistrement acoustique, donc, avec les limites que cela implique. Dans cet enregistrement, je retrouve les pas alternés compatible avec le travail d’un flete, mais si on se souvent que Firpo aimait les tangos descriptifs (où la musique évoque les éléments réels), cela renforce l’hypothèse que le tango est en lien avec cette activité. Vous pourrez l’écouter à la fin de cet article.
Je te donne ma parole
Ou plutôt, mes paroles. En effet, pas moins de trois versions des paroles existent pour ce tango, bien que celui-ci soit quasiment toujours enregistré sans le chant. Il convient donc de les interroger et cela va donner des surprises par rapport à notre interprétation primitive.
Les paroles originales de Contursi (1914)
Pascual Contursi a écrit des paroles pour El Flete. Ce sont sans doute les paroles originales, celle d’une époque où le tango n’avait pas encore trouvé ses lettres de noblesse en France, Pays où Contursi terminera sa carrière. Dans les paroles de Contursi, un peu confuses, car très chargées de sous-entendus et de lunfardo, on comprend que le climat de crainte qu’inspiraient certains malfrats n’encourageait pas les compadrons à faire les fiers quand ils les croisaient. Ils dégonflaient la poitrine et faisaient profil bas pour éviter de paraître celui qui a le plus d’oseille (flouze, argent), car celui-ci, ils l’envoyaient dans l’autre monde
Le dan flete pa’ la otra población.
Les paroles renouvelées, de Gradito
En lunfardo, El Flete désigne un cheval léger de monte, brillant et léger. Rien à voir avec les chevaux devant tirer les lourds chariots des fletes de l’époque. Dans une des rares versions chantées dont on a l’enregistrement, Ernesto Fama chante le refrain des paroles de Gerónimo Gradito qui parlent d’un cheval de course, autre leitmotiv du tango. Le cheval de couleur noisette, vainqueur de la course, permet d’attirer l’attention d’une jeune paysanne sur son lad, ce qui le rend amoureux.
Il existe également des paroles écrites par Juan Sarcino et qui font également référence à un cheval, mais à ma connaissance, nous n’avons pas d’enregistrement de cette version et je ne les possède pas. Si vous avez une version enregistrée et les paroles, je suis preneur.
Extrait musical
El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est notre tango du jour. Il est le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments. À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.
Les paroles
Je propose ici les paroles par ordre chronologique. D’abord celles de Contursi, puis celles de Gradito. Elles nous content deux histoires très différentes, ce qui témoigne de la polysémie du mot Flete en espagnol argentin, mais aussi de l’évolution du tango qui des mauvais quartiers est passé dans la société plus aisée, où il était plus facile de parler d’un lad amoureux et de son cheval que de dangereux assassins rodant pour dépouiller les frimeurs.
Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi
Photomontage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malandrins et qui risque de le payer très cher. Mais que faisait-il dans cette galère, dans le port de la Boca ? Dans le fond des détails de la toile Día luminoso de « Benito Quinquela Martín.
Se acabaron los pesados, patoteros y mentaos de coraje y decisión. Se acabaron los malos de taleros y de palos, fariñeras y facón. Se acabaron los de faca y todos la van de araca cuando llega la ocasión. Porque al de más copete lo catan y le dan flete pa’ la otra población.
Esos taitas que tenían la mujer de prepotencia, la van de pura decencia y no ganan pa’l bullón. Nadie se hace el pata ancha ni su pecho ensancha de puro compadrón, porque al de más copete lo catan y le dan flete pa’ la otra población.
Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi
Ici, on décrit un monde assez noir avec des hommes armés (taleros, palos, fariñeras, facón). En fait, il s’agit de se moquer des compadritos qui jouent les durs et qui n’en mènent pas large, il retrouvent une attitude décente, ne gonflent plus la poitrine, car ici, celui qui a le plus de pépètes (argent),, ils le goûtent (tâtent pour trouver ses richesses) et lui donnent une expédition (Flete) dans l’autre monde (ils le tuent). Cette version des paroles peut également être compatible avec la musique, les alternances de la musique pouvant être les mouvements respectifs des assassins et de la victime.
Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito
On peut imaginer que ces paroles violentes ont incité Fama à adopter des paroles plus légères à une époque où le tango était en train d’entrer dans la bonne société.
Et quand tu es arrivé triomphant, le peuple t’a applaudi, et une petite paysanne t’a lancé des fleurs, puis elle s’est approchée et t’a tapoté la tête. Et elle, depuis, est mon seul désir…
Parejero; zaino escarceador, por tu pinta y color y por tu sangre sos todo un flete de mi flor… ¡Porque es tu corazón difícil de empardar ! En las canchas no tenés rival, y en una ocasión que has de recordar ganaste a un pangaré y, al jinetearte, así decía para mí:
¡Zaino, mi viejo amigo, de punta a punta, ganale! ¡Flete, todo he jugado, y en vos está mi esperanza! ¡Zaino! ¡Solo en la cancha ! ¡Correlo al galope, que atrás lo dejás ! ¡Flete, zaino de mi alma, tuya es la carrera que en ley la ganás !
Y al llegar vos triunfador el pueblo te aplaudió, y una paisanita flores te tiraba que después se acercó y tu cabeza palmeó. Y ella, desde entonces, ¡es mi único querer!…
Parejero; zaino escarceador, por tu pinta y color y por tu sangre sos todo un flete de mi flor… ¡Porque es tu corazón difícil de empardar ! En los pueblos no tenés rival como yo pa’el amor, y al correrla los dos siempre tenemos que ser: ¡Yo todo un buen varón y un bravo flete vos !
Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito
Ici, il s’agit d’un lad qui tombe amoureux d’une jeune paysanne qui a envoyé des fleurs au cheval dont il s’occupe et qui lui a caressé la tête. Cependant, le lad ne peut pas s’empêcher de faire le fanfaron, disant qu’il n’a pas de rival pour l’amour, tout comme « Châtaigne », son cheval, n’a pas de rival dans la course. Je suis un bon homme et toi un brave flete.
À mon avis, qui en vaut sans doute un autre, sans être une référence, ces paroles ne conviennent pas totalement à la musique. On a du mal à y voir la fièvre de la course, l’exaltation du vainqueur et l’amour naissant. Je pense que c’est juste le fait que El Flete peut aussi bien considérer l’expédition que le cheval de course qui est à l’origine de cette fusion.
Comme j’aime bien faire des hypothèses, je me dis que le cheval de course est en fait l’héritier du cheval qui passait les messages et qui était donc rapide. C’est un peu ce que sous-entend ce tango, Zaino est le messager de l’amour.
Quelques versions
À titre de comparaison, quelques versions de ce tango qui n’est vraiment célèbre que sous la baguette de Juan d’Arienzo.
Les versions de Roberto Firpo. Il y a plusieurs versions, instrumentales et au piano. Je vous propose ma préférée, celle de 1916.
El Flete 1916-02-16 — Roberto Firpo.
Malgré les limites de l’enregistrement acoustique, la musique est agréable à écouter. Cela nous permet de rappeler qu’à cette époque, Firpo était un chef d’orchestre de tout premier plan.
El flete 1928-03-07 Orquesta Francisco Canaro
Un des premiers enregistrements électriques du thème. Une version encore empreinte du canyengue et probablement bien adaptée aux paroles sombres de Contursi. On retrouvera Canaro 11 ans plus tard dans une versión bien différente.
El flete 1930-09-16 — Orquesta Típica Porteña dir. Adolfo Carabelli con Ernesto Famá.
C’est un bon Carabelli et le plus ancien enregistrement en ma possession avec une partie chantée. Les paroles, comme nous l’avons vu ci-dessus sont celles de Gradito. La musique est désormais intermédiaire entre le planplan du canyengue et les versions futures plus dynamiques.
El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo
C’est notre tango du jour. Le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments. À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.
El Flete 1939-03-30
El Flete 1939-03-30 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. On retrouve Canaro dans une version avec un de ses quintettes, le Don Pancho (Pancho est un surnom pour le prénom Francisco, mais aussi quelqu’un qui fait l’andouille en lunfardo…). Contrairement à la version de 1928, cette version est bien plus allègre et d’une grande richesse musicale, notamment dans sa seconde partie. C’est un très beau Canaro, avec les interventions magnifiques de la flûte de José Ranieri Virdo (qui était aussi trompettiste de Canaro, mais pas dans cet enregistrement).
Je ne citerai pas d’autres versions, car elles n’apportent rien à notre propos. Voir, pour ceux que ça intéresse,
Héctor Varela (1950 et 1952),
Donato Racciatti y sus Tangueros del 900 (1959), où on retrouve la flûte, ici avec des guitares, mais le résultat est monotone.
Osvaldo Fresedo (1966), dans son style « Varela »…
La Tubatango (2006), une version amusante, joueuse comme une milonga et avec le retour de la flûte farceuse.
Je vais terminer cet article avec la Tubatango, mais dans une représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay.
La Tubatango, El flete, représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay
Vous remarquerez l’apparition d’un riche ivrogne qui se fera jeter de scène. La Tuba Tango s’est donc inspirée des paroles originales de Contursi, ce qui est logique, puisqu’ils ont adopté un style canyengue.
Sur scène, ils expulsent l’ivrogne, ils le ne le tuent pas, mais je reste sur mes positions…
Photomontage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malandrins et qui risque de le payer très cher. Mais que faisait-il dans cette galère, dans le port de la Boca ? Dans le fond des détails de la toile Día luminoso de « Benito Quinquela Martín.
Qui s’intéresse un peu, même de loin, au tango connaît Paciencia, (Patience), de D’Arienzo et Gorrindo. Je vous propose de le découvrir plus précisément, à partir de la version de Canaro et Maida enregistrée il y a exactement 86 ans.
Le prétexte étant le jour d’enregistrement, cela tombe sur cette version Canaro Maida, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidèle à sa composition toute sa vie. Je ferai donc la part belle à ses enregistrements en fin d’article. La beauté et l’originalité des paroles de Francisco Gorrindo avec son « Paciencia », ont fait beaucoup pour le succès de ce thème qui a donné lieu à des versions chantées, des chansons et même instrumentales, ce qui est toutefois un peu dommage 😉
Extrait musical
Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida
Il s’agit d’une version instrumentale avec estribillo réduit au minimum. Roberto Maida chante vraiment très peu. La clarinette de Vicente Merico est ici plus présente que lui. On constate dans cette interprétation le goût de Canaro pour les instruments à vent.
Les paroles
Dans cette version, les paroles sont réduites au minimum, je vous invite donc à les savourer avec les autres enregistrements de ce titre, sous le chapitre « autres versions ».
J’ai un portrait de ces vingt années-là,
Anoche, de nuevo te vieron mis ojos ; anoche, de nuevo te tuve a mi lado. ¡Pa qué te habré visto si, después de todo, fuimos dos extraños mirando el pasado! Ni vos sos la misma, ni yo soy el mismo… ¡Los años! … ¡La vida!… ¡Quién sabe lo qué!… De una vez por todas mejor la franqueza: yo y vos no podemos volver al ayer.
Paciencia… La vida es así. Quisimos juntarnos por puro egoísmo y el mismo egoísmo nos muestra distintos. ¿Para qué fingir? Paciencia… La vida es así. Ninguno es culpable, si es que hay una culpa. Por eso, la mano que te di en silencio no tembló al partir.
Haremos de cuenta que todo fue un sueño, que fue una mentira habernos buscado; así, buenamente, nos queda el consuelo de seguir creyendo que no hemos cambiado. Yo tengo un retrato de aquellos veinte años cuando eras del barrio el sol familiar. Quiero verte siempre linda como entonces: lo que pasó anoche fue un sueño no más.
Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo
Traduction
nous fûmes deux étrangers regardant le passé
Hier soir, à nouveau mes yeux t’ont vue, hier soir, à nouveau, je t’avais de nouveau à mes côtés. Pourquoi t’ai-je revue, si au final, nous fûmes deux étrangers regardant le passé ! Ni toi es la même, ni moi suis le même, Les années, la vie, qui sait ce que c’est ? Une fois pour toutes, la franchise vaut mieux ; toi et moi ne pouvons pas revenir en arrière (à hier).
Patience… la vie est ainsi. Nous voulions nous rejoindre par pur égoïsme et le même égoïsme nous révèle, différents. Pourquoi faire semblant ? Patience… la vie est ainsi. Personne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute. C’est pourquoi la main que je t’ai tendue en silence n’a pas tremblé à la séparation.
Nous ferons comme si tout ne fut qu’un rêve, que c’était un mensonge de nous être cherché ; ainsi, heureusement, nous reste la consolation de continuer de croire que nous n’avons pas changé. J’ai un portrait de ces vingt années-là, quand du quartier, tu étais le soleil familier, je veux toujours te voir jolie comme alors. Ce qui s’est passé la nuit dernière ne fut qu’un rêve, rien de plus.
Maida ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres versions où les paroles sont plus complètes. Le même jour, Canaro enregistrait avec Maida, la Milonga del corazón.
Milonga del corazón 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Une milonga qui est toujours un succès, 86 ans après son enregistrement.
Autres versions
Paciencia 1937-10-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Enrique Carbel. C’est le plus ancien enregistrement. On pourrait le prendre comme référence. Enrique Carbel chante le premier couplet et le refrain.Paciencia 1938-01-14 — Héctor Palacios accompagné d’une guitare et d’une mandoline. Dans cet enregistrement, Héctor Palacios chante toutes les paroles. Enregistré en Uruguay.
Héctor Palacios est accompagné par une guitare et une mandoline. Le choix de la mandoline est particulièrement intéressant, car cet instrument bien adapté à la mélodie, contrairement à la guitare qui est plus à l’aide dans les accords est le second « chant » de ce thème, comme une réponse à Magaldi. On se souvient que Gardel mentionne la mandoline pour indiquer la fin des illusions « Enfundá la mandolina, ya no estás pa’serenatas » ; Range (remettre au fourreau, comme une arme) la mandoline, ce n’est plus le temps des sérénades. Musique de Francisco Pracánico et paroles d’Horacio J. M. Zubiría Mansill. J’imagine que Palacios a choisi cet instrument pour son aspect nostalgique et pour renforcer l’idée de l’illusion perdue de la reconstruction du couple.
Paciencia 1938-01-26 — Agustín Magaldi con orquesta.
Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit également d’une chanson. L’introduction très courte (10 secondes) elle présente directement la partie chantée, sans le début habituel. Magaldi chante l’intégralité des paroles. Le rythme est très lent, Magaldi assume le fait que c’est une chanson absolument pas adaptée à la danse. On notera sa prononciation qui « mange le « d » dans certains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Palacios et d’autres de l’époque, également).
Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est la version du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette version, car Maida ne chante que le refrain, aucun des couplets.Paciencia 1938 — Orquesta Rafael Canaro con Luis Scalón.
Cette version est contemporaine de celle enregistrée par son frère. Elle a été enregistrée en France. Son style bien que proche de celui de son frère diffère par des sonorités différentes, l’absence de la clarinette et par le fait que Scalón chante en plus du refrain le premier couplet (comme l’enregistra Carbel avec D’Arienzo, l’année précédente.
Paciencia 1948 — Orquesta Típica Bachicha con Alberto Lerena.
Encore une version enregistrée en France. Lerena chante deux fois le refrain avec un très joli trait de violon entre les deux. Le dernier couplet est passé sous silence.
Paciencia 1951-09-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
14 ans plus tard, D’Arienzo réenregistre ce titre avec Echagüe. Dans cette version, Echagüe chante presque tout, sauf la première moitié du dernier couplet dont il n’utilise que « Yo tengo un retrato de aquellos veinte años […] lo que pasó anoche fue un sueño no más. Le rythme marqué de D’Arienzo est typique de cette période et c’est également une très belle version de danse, même si j’ai personnellement un faible pour la version de 1937.
Paciencia 1951-10-26 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica. Dans un style tout différent de l’enregistrement légèrement antérieur de D’Arienzo, la version de Varela et Desica est plus « décorative ». On notera toutefois que Lesica chante exactement la même partie du texte qu’Echagüe. Paciencia 1959-03-02 — Roberto Rufino accompagné par Leo Lipesker. Dans cet enregistrement, Rufino nous livre une chanson, jolie, mais pas destinée à la danse. Toutes les paroles sont chantées et le refrain, l’est, deux fois.Paciencia 1961-08-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Horacio Palma.
Comme dans la version enregistrée avec Echagüe, dix ans auparavant, les paroles sont presque complètes, il ne manque que la première partie du dernier couplet. Une version énergique, typique d’El Rey del compas et Palma se plie à cette cadence, ce qui en fait une version dansable, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce chanteur qui pousse plutôt du côté de la chanson.
Paciencia 1964 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin. Encore une version enregistrée en France, mais cette fois, instrumentale, ce qui est dommage, mais qui me permet de montrer une autre facette de ce titre.Paciencia 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
D’Arienzo et Echagüe ont beaucoup interprété à la fin des années 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Paciencia dans leurs concerts. Cette version de studio est de meilleure qualité pour l’écoute, mais il est toujours sympathique de voir D’Arienzo se démener.
Vidéo enregistrée en Uruguay (Canal 4) en décembre 1969 (et pas février 1964 comme indiqué dans cette vidéo).
Après la mort de D’Arienzo, les solistas de D’Arienzo l’enregistrèrent à diverses reprises, ainsi que des dizaines d’autres orchestres, Paciencia étant un des monuments du tango.
J’ai ici une pensée pour mon ami Ruben Guerra, qui chantait Paciencia et qui nous a quittés trop tôt. Ici, à la milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires, milonga que j’ai eu l’honneur de musicaliser en doublette avec mon ami Quique Camargo.
Ruben Guerra, Paciencia, milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires.18 août 2017.
Carlos Gardel et José Razzano (paroles et musique)
Con los amigos (a mi madre) est un thème écrit par Carlos Gardel et José Razzano. Mais la version que j’ai choisie pour le tango du jour a été enregistrée le 2 mars de 1943 par Tanturi et Castillo. La particularité est que la chanson originale s’est commuée en valse, mais ce n’est pas la seule surprise…
On connaît, un peu l’histoire de Carlos Gardel, je devrais dire les histoires pour ne pas fâcher mes amis Uruguayens et Argentins. Que Gardel soit enfant de France, ou de quelque qu’autre endroit, il a eu une relation particulière avec sa mère. Pas forcément celle qu’elle espérait, dans la mesure où il a fait les 400 coups et même des coups plutôt pendables. On sait cependant que Gardel avait un bon cœur et qu’il chérissait sa mère, même s’il ne l’a pas toujours entouré de toute l’affection qu’elle aurait pu attendre. Cette chanson doit sans doute être prise pour un regret, un remords, un hommage à sa mère qui a élevé seule ce chenapan de Gardel.
Extrait musical
Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Valse)
Les paroles
La pauvre mère de Gardel, Berthe Gardes (Berta) tenant une photo que vous découvrirez en fin d’article. C’est bien sûr un photomontage…
Con los amigos que el oro me produjo Pasaba con afán las horas yo Y de mi bolsa el poderoso influjo Todos gozaban de esplendente lujo Pero mi madre, no
¡Pobre madre!, yo de ella me olvidaba Cuando en los brasosdel vicio me dormí Un inmenso cortejo me rodeaba Yo a nadie mi afecto le faltaba Pero a mi madre, sí
¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho! Exclamo con dolor, todo acabó Y al ver que gime mi angustiado pecho Todos se alejan de mi pobre lecho Pero mi madre, no
Y cerca ya del último suspiro Nadie se acuerda por mi mal, de mí La vista en torno de mi lecho giro Y en mi triste en derredor a nadie miro Pero a mi madre, sí
¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho! Exclamo con dolor, todo acabó Y al ver que gime mi angustiado pecho Todos se alejan de mi pobre lecho ¡Pero mi madre, no!
Carlos Gardel et José Razzano (musique et paroles)
Je propose ici les deux premiers couplets et le dernier, pour vous donner une idée du thème de ce tango. Avec les amis que l’or me procurait, moi, je trompais les heures, et de ma poche, le pouvoir influait. Tous jouissaient d’un luxe splendide, mais ma mère, non ! Pauvre mère ! Moi, je l’oubliais quand dans les bras (emprise, mais j’aime mieux le changement de parole de la version de Canaro) du vice je m’endormis. Une immense cour m’entourait. Personne ne manquait de mon affection. Mais ma mère, si. […] Aujourd’hui, moribond, en larmes, défait, je crie de douleur, tout est fini et à voir ma poitrine oppressée gémir, tous quittent mon pauvre lit, mais ma mère, non. La morale de ce tango pourrait être que les amis faits par l’argent ne valent pas l’amour d’une mère.
Autres versions
Tout d’abord, un exemple de la chanson originale par Carlos Gardel, celle qu’il chantait pour exprimer ses regrets à sa mère. Il existe plusieurs enregistrements, 1919,192 0, 1930, 1933. J’ai choisi celui-ci où l’on ressent bien l’émotion dans la voix de Gardel.
A mi madre (Con los amigos) 1930-05-22 Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, José María Aguilar, Domingo Riverol (guitares).
Version en chanson, avec de jolies guitares. Bien sûr, pas pour la danse. D’ailleurs Gardel ne se danse pas, même si on danse sur plusieurs de ses titres quand ils sont joués par d’autres orchestres, comme celui de Tanturi ou celui de Canaro dans ce cas (voir ci-dessous).
Con los amigos (A mi madre) 1943-05-12 — Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián. Gardel à Nice en 1931. Il est au centre avec Charlie Chaplin. Pensait-il à ce moment à sa mère ? Charlie Chaplin, c’est Charlot, à ne pas confondre avec le chanteur Charlo 😉
Le tango du jour, Cuando bronca el temporal, a été enregistré par Di Sarli avec son sexteto, le premier mars 1929, il y a exactement 95 ans. Il a été écrit par l’auteur de la Cumparsita.
Un temporal, c’est une tempête. Une bronca, c’est une colère. Cependant, la tempête dont nous parlons aujourd’hui est autant dans les crânes que dans la ville. Une fois de plus, les paroles d’un tango jouent sur les mots. Ernesto Marsili a fait le parallèle entre la tempête qui se déchaîne à l’extérieur et les sentiments qui s’entrechoquent dans la tête de l’homme abandonné.
Il y a quelques semaines, en Argentine, il y a eu des tempêtes violentes. On déplore des morts, notamment à Mar del Plata, la ville natale d’Astor Piazzolla. À Buenos Aires, des centaines d’arbres ont été abattus et une fleur a perdu un de ses pétales.
Le ciel juste avant le début du temporal, à Buenos Aires.Floralis Genérica después del temporal. Un des pétales est au sol. Trois mois après, elle n’a toujours pas été réparée. En revanche, le parc a été réouvert quelques semaines plus tard, lorsque les arbres dangereux ont été sécurisés.
Extrait musical
Cuando bronca el temporal 1929-03-01 — Carlos Di Sarli (Sexteto)
Extrait musical
Cuando bronca el temporal 1929-03-01 — Carlos Di Sarli (Sexteto)
On a un peu de mal à imaginer la tempête ou les tempêtes. Pour les danseurs qui ne connaissent pas le titre, comme cette version est instrumentale, ce n’est pas forcément gênant. Carlos Di Sarli nous propose un tango plan-plan, bien canyengue. Je sais que certains adorent ce qu’il a enregistré à l’époque de son sexteto, mais pour ma part, je préfère ces années 40 et 50 pour la richesse des arrangements et la qualité de l’interprétation.
Bien sûr, comme DJ, je peux être amené à passer du canyengue, justement, car certains aiment cela.
Les paroles
La version de Di Sarli avec son sexteto est instrumentale. Cependant, Ernesto Marsili a écrit un texte qui fait le parallèle entre la tempête et les sentiments de l’homme abandonné. Peut-être temporairement. Elle est sortie se passer les nerfs (Pa´ sacarte el berretín).
Cuando bronca el temporal (Quand la tempête est en colère)
Mina, mina desalmada Que de puro empecinada, Una noche ´e tempestad Te piantaste del bulín… Me dijiste: “Está lloviendo voy a descolgar la ropa”, Y rajaste hecha una sopa Pa´ sacarte el berretín.
Desde entonces en la noche, Con su estrépito infernal Me despierta el temporal… Me parece que en el patio Otra vez vuelvo a escuchar, Tu nervioso taconear…
Me parece que estás cerca ¡Pero qué vas a ser vos!, Es el ruido de la lluvia Que lo engrupe al corazón, Que lo engrupe al corazón.
Cuando fría y despiadada Como pilcha abandonada, Me dejaste en la catrera No pensaste en mi dolor. Y olvidaste aquel cariño Que te contentó, es perfecto, De un rezongo, con un beso De un desdén con una flor.
Olvidaste aquel cariño Que yo no puedo olvidar, Aunque lo quiero lograr… Ni los ecos de tus pasos Cuando bronca el temporal, Con su estrépito infernal…
Me parece que estás cerca ¡Pero qué vas a ser vos!, Es el ruido de la lluvia Que lo engrupe al corazón, Que lo engrupe al corazón.
Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Marsili.
Bref résumé de l’intrigue
Charlo (Carlos José Pérez)
Les paroles, qui ne sont pas utilisées par Di Sarli, nous apprennent qu’elle est partie rentrer le linge à cause de la pluie qui arrivait (assurément un prétexte), puis est allée passer sa colère. Lui s’est endormi et l’orage l’a réveillé. Le bruit des gouttes d’eau évoquait les talons de la belle qui n’était toujours pas revenue. La fin n’est pas dite. Faut-il croire en son espoir de réunir le cœur ? Pas sûr. Je vous propose également une version chantée. La plus ancienne enregistrée dont je dispose dans ma collection (on peut toujours espérer trouver d’autres enregistrements. Le milieu de la recherche en tango est très actif) est celle de Francisco Lomuto. Elle est chantée par Charlo (Carlos José Pérez). Cette version est un eu antérieure à celle du jour, elle est du 10 décembre 1928.
Cuando bronca el temporal 1928-12-10 — Orquesta Francisco Lomuto con Charlo.
Seule la partie en rouge et gras des paroles est chantée par Charlo. Il se contente d’un couplet et du refrain. La musique est également empreinte de canyengue. C’était dans l’air du temps. J’aime bien la prestation de Charlo, dans ce titre.
Desde entonces en la noche, con su estrépito infernal me despierta el temporal… (Plus tard, dans la nuit, avec ses rugissements infernaux, l’orage me réveilla)
Le cono azul cache une histoire triste, mais vécue par des milliers de jeunes Françaises. Le tango du jour Bajo et cono azul a été enregistré par De Angelis et Floreal Ruiz, il y a exactement 80 ans, le 29 février 1944.
Comme il y a peu de 29 février, seulement les années bissextiles, on pouvait craindre qu’il soit difficile de trouver un enregistrement du jour. La richesse des enregistrements de tango, même si ce n’est qu’un faible pourcentage de ce qui a été joué permet de vous présenter cette perle.
Dedico esta nota a mi querida cuñada Marta cuyo cumpleaños es hoy. Ella tiene suerte (o mala suerte) de cumplir solo cada cuatro años).
La triste histoire de Susú et autres grisettes
La France, et notamment Paris, a été un réservoir inépuisable de femmes pour l’Argentine et notamment Buenos Aires. De beaux Argentins faisaient de belles promesses aux belles Françaises. Ces dernières, à la recherche du soleil (celui du drapeau de Manuel Belgrano ou tout simplement celui du ciel austral), font leur maigre bagage et se retrouvent au sein du rêve portègne. Las, là, les promesses se changent en trahison et les belles, dans le meilleur des cas deviennent « grisettes », à faire des œuvres de couture, mais beaucoup se retrouvent dans les bordels, à danser et à se livrer à d’autres activités usuelles dans ce genre d’endroit. On imagine leur détresse. C’est ce qui est arrivé à la Susú de ce tango, comme à tant d’autres qui ont inspiré des dizaines de tangos émouvants. Le point original de ce tango est que le narrateur connaissait et probablement aimait (il s’interroge sur ce point) Susú à Paris et qu’il l’a suivie quand elle est partie avec son « amour ». Aujourd’hui, vingt ans et « un amour » plus tard, elle continue de danser, mais elle qui se rêvait papillon, s’est brûlé les ailes à la chaleur de la lumière du projecteur et pleure dans l’ombre du salon où s’écrit jour après jour son malheur. Écoutons à présent ce thème qui unit Paris et le Cono sur (le cône du Sud), partie inférieure et triangulaire de l’Amérique latine.
Extrait musical
Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) – Orquesta Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi. L’introduction parlée dure 13 secondes…
Un certain nombre de tangos ont été enregistrés avec des paroles dites, généralement en début de musique. C’est le cas de ce tango ou ces glosas dites par Néstor Rodi dévoilent la tristesse du thème. La musique de De Angelis est rythmée et tonique et la voix de Floreal Ruiz, est également bien marquée. Je ne sais pas si c’est pour cela qu’il a pris le surnom de Carlos Martel. C’était peut-être aussi en hommage au plus fameux des Carlos du tango.
Les paroles
Bajo el cono azul gira tu silueta en el salón. Y yo, desde aquí como allá, en París, sueño igual que ayer, otra ilusión… Le papillon va se brûler les ailes…
Bajo el cono azul de luz bailando está Susú su danza nocturnal… Sola, en medio del salón se oprime el corazón cansada de su mal… Veinte años y un amor, y luego la traición de aquel que amó en París… ¡Mariposa que al querer llegar al sol sólo encontró la luz azul de un reflector!…
Bajo el cono azul envuelta en el tul gira tu silueta en el salón. Y yo, desde aquí como allá, en París, Sueño igual que ayer, otra ilusión… No sé si te amé… Acaso lloré cuando te alejaste con tu amor… ¡Triste recordar! ¡Sigue tu danzar!… Yo era sólo un pobre soñador…
Bajo el cono azul de luz no baila ya Susú su danza nocturnal… En las sombras del salón solloza un corazón su mal sentimental… Veinte años y un amor, que en alas de ilusión la trajo de París… ¡Mariposa que al querer llegar al sol sólo encontró la luz de un reflector! …
Alfredo De Angelis Letra: Carmelo Volpe. La partie en italique n’est pas chantée par Floreal Ruiz. Il reprend pour terminer le refrain à partir de No sé si te amé…
La traduction des paroles
Les paroles sont intéressantes, mais sujettes à erreurs d’interprétation. J’ai donc décidé de faire une traduction en français. Avec la traduction automatique du site, vous l’aurez dans une éventuelle autre langue parmi les 50 possibles.
Sous le cône de lumière bleu, Susu danse sa danse nocturne… Seule au milieu du salon, le cœur oppressé, fatiguée de son mal… Vingt ans et un amour, et puis la trahison de celui qu’elle aimait à Paris… Papillon qui veut atteindre le soleil ne trouve que la lumière bleue d’un projecteur ! (réflecteur, mais pour faire un cône de lumière il vaut mieux un projecteur…)
Sous le cône bleu, enveloppée de tulle, virevolte ta silhouette dans le salon. Et moi, depuis ici comme là-bas, à Paris, je rêve comme hier, une autre illusion… Je ne sais pas si je t’aimais… J’ai peut-être pleuré quand tu es partie avec ton amour… Triste souvenir ! Continue de danser ! … Je n’étais qu’un pauvre rêveur…
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne… Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour… Vingt ans et un amour, que sur les ailes de l’illusion il l’a amenée de Paris… Papillon qui veut atteindre le soleil ne rencontre que la lumière d’un projecteur ! …
Autres tangos enregistrés un 29 février
De Angelis a enregistré le même jour Ya sé que siguen hablando avec le chanteur Julio Martel. Le même jour, Floreal ne pouvait donc pas prendre son pseudonyme de Carlos Martel, hein ?
Ya sé que siguen hablando 1944-02-29 – Alfredo De Angelis con Julio Martel. Enregistré le même jour que Bajo el Cono Azul.Canaro 1956-02-29 – Florindo Sasone. Une version curieuse, à la fois pour le thème, enregistré pour la première par Canaro en 1915 (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). C’est un mélange d’un des styles de Canaro et de Sasone, assez étonnant.Lagrimas 1956-02-29 Florinda Sasone. Enregistré le même jour, ce tango est plus dans l’esprit pur Sasone avec les dings si caractéristiques qui ponctuent ses interprétations.De qué podemos hablar 1956-02-29 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma. Ledesma, une des grandes voix du tango. Mais est-ce sa meilleure interprétation, je ne suis pas sûr.Mala yerba 1956-02-29 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con Rodolfo Galé. Enregistré le même jour que De qué podemos hablar. Cette valse n’est pas la plus entraînante, notamment à cause de la prestation de Galé, qui chante magnifiquement, mais pas forcément idéalement pour la danse.Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne… Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…
Ahora voy a tomar mate con yerba que no sea mala y con yuyos de sierras, y después a bailar el chamame qué estoy en la provincia de Corrientes. Qué la tristeza se va.
Et maintenant, je vais prendre un mate avec de la yerba qui ne soit pas mauvaise et des herbes de montagne. Ensuite, je vais danser le chamamé, car je suis dans la province de Corrientes, pour que la tristesse s’en aille.
El chamamé ya es Patrimonio Cultural Inmaterial de la Humanidad [Le chamame est désormais au Patrimoine Immatériel de l’Humanité (Unesco)]
Le tango du jour, Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945 par Aníbal Troilo et Floreal Ruiz. C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.
Extrait musical
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz
Les paroles
De tu país ya no se vuelve ni con el yuyo verde del perdón. De ton pays, on ne revient pas, pas même avec l’herbe verte du pardon.
Callejón… callejón… lejano… lejano… íbamos perdidos de la mano bajo un cielo de verano soñando en vano… Un farol… un portón… -igual que en un tango- y los dos perdidos de la mano bajo el cielo de verano que partió…
Déjame que llore crudamente con el llanto viejo adiós… adonde el callejón se pierde brotó ese yuyo verde del perdón… Déjame que llore y te recuerde -trenzas que me anudan al portón- De tu país ya no se vuelve ni con el yuyo verde del perdón…
¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?… ¿Adónde te has ido?… ¿Dónde están las plumas de mi nido, la emoción de haber vivido y aquel cariño?… Un farol… un portón… -igual que un tango- y este llanto mío entre mis manos y ese cielo de verano que partió…
Domingo Federico Letra: Homero Expósito
Traduction
Ruelle… ruelle… lointaine… lointaine… Nous étions perdus main dans la main sous un ciel d’été rêvant en vain… Un lampadaire… un portail (une porte cochère)… -Comme dans un tango- et les deux, perdus, main dans la main sous le ciel d’été qui s’en est allé…
Laisse-moi pleurer mon soûl avec les larmes d’un vieil adieu… Là où la ruelle se perd, cette herbe verte du pardon a germé… Laisse-moi pleurer et me souvenir de toi -tresses qui m’attachent à la porte- De ton pays, on ne revient pas, pas même avec l’herbe verte du pardon…
Où es-tu ?… Où es-tu ?… Où es-tu allée ?… Où sont les plumes de mon nid, l’émotion d’avoir vécu une telle affection ?… Un lampadaire… un portail… -tout comme un tango- et ces pleurs qui sont miens entre mes mains et ce ciel d’été qui s’en est allé…
Autres versions
Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.
Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le tango du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.Yuyo verde 1945-05-08 — Tania y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’enregistrement de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.
Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son Trío Saludos et les chanteurs Rubén Maciel et Rubén Sánchez. Je vous fais grâce de cette version kitch. Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à Rosario avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con Héctor Gatáneo. J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur. Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration. Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec Roberto Minondi. Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.
Yuyo verde 2019-03 – Orquesta Romantica Milonguera con Roberto Minondi.
Clin d’œil
Un cuarteto organisé autour du guitariste Diego Trosman et du bandéoniste Fernando Maguna avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la milonga La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.
La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…
Petite histoire, ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…
Francisco Canaro (Francisco Canarozzo) musique et paroles
Le tango d’aujourd’hui a été enregistré par Francisco Canaro avec le chanteur Ernesto Famá, le 27 février 1939, il y a exactement 85 ans. Mais je vous parlerai aussi de la version de son frère, Rafael, enregistrée la même année, en France et avec lui-même comme chanteur.
J’ai déjà cité deux Canaros, il s’agit en fait d’une famille de musiciens de tango que je vous invite à découvrir.
Les Canaros
De cette famille uruguayenne de musiciens, Francisco Canaro (Canarozzo) est sans doute le plus connu, mais il avait quatre frères musiciens de tango, Rafael, Humberto, Juan et Mario.
Francisco, l’aîné (26 novembre 1888 – 14 décembre 1964) était compositeur, chef d’orchestre et violoniste.
Rafael (22 juin 1890 – 28 janvier 1972) était compositeur, chef d’orchestre, contrebassiste et joueur de scie musicale. Il a passé une douzaine d’années en France avant la Seconde Guerre mondiale. Il a enregistré des tangos chantés en français, notamment avec Toussaint.
Juan (23 juin 1892 – 16 mars 1977) était compositeur, chef d’orchestre et bandonéoniste. Il est également passé par Paris, mais a beaucoup voyagé et ne s’y est pas fixé.
Humberto (16 août 1896 – 26 août 1952) était compositeur, chef d’orchestre et pianiste. Il n’est venu en France qu’après la Seconde Guerre mondiale.
Mario (14 mai 1903 – 19 juin 1974) est le seul à être né en Argentine, à Buenos Aires et ne pas avoir été chef d’orchestre. En revanche, il était compositeur, violoniste, bandonéiste et contrebassiste. Il termina sa formation musicale en France et en Belgique et resta à Paris, jusqu’en 1939, chassé, comme Rafael, par la guerre.
On constatera que les frères Canaro pouvaient à eux seuls faire un quintette de qualité. L’histoire des Canaro est également liée à la France. Ils ont permis au tango de se développer en remportant un immense succès en Europe. Tous les frères y sont passés. Francisco y a fait plusieurs séjours et Rafael et Juan s’y sont établis et n’en sont partis qu’à cause de la Seconde Guerre mondiale.
Le titre du jour nous donne une preuve de l’internationalisme du tango, peut-être le même jour (il y a un petit doute entre le 26 et le 27 février 1939, Francisco et Rafael enregistraient Por vos… yo me rompo todo.
Le dialogue transatlantique
La version de Francisco a été enregistrée à Buenos Aires (matrice 9814-1) et diffusée par Odéon en Argentine et en Angleterre. Le chanteur en est Ernesto Famá dont la voix gouailleuse et un peu ironique convient bien au thème.
Rafael a, pour sa part, enregistré chez Columbia, en France (matrice CL 7130-1). C’est lui qui chante, ainsi que le chœur de ses instrumentistes qui remprennent les « ma china » et le final, comme cela se faisait assez fréquemment à l’époque. À ce sujet, il y a deux jours, j’étais dans une milonga animée par un quatuor (qui va prochainement faire un tour en Europe) et où les musiciens faisaient le chœur. Le résultat était mitigé, car les voix étaient trop proches et désaccordées. Pour moi, cela gâchait leur prestation musicale, car les quatre étaient d’excellents musiciens. Espérons que pour leur tournée en Europe ils vont abandonner cette idée ou a minima ne laisser qu’un seul chanter ces brefs estribillos pour ne pas atténuer le plaisir des danseurs.
Version Francisco diffusée en Argentine, au centre, version Francisco éditée en Angleterre et à droite, la version de Rafael, éditée en France.
Extrait musical
Vous aurez le droit à deux pour le prix d’un.
Por vos… yo me rompo todo 1939-02-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto FamáPor vos… yo me rompo todo 1939 – Orquesta Rafael Canaro con Rafael Canaro y coro
Les paroles
Je suis comme l’oiseau qui chante et ne pleure pas. Comme la calandria, comme le zorzal, quand je chante, je chante, quand je ris, je ris. Quand j’aime, j’aime de tout mon cœur. Je suis comme l’oiseau qui chante et ne pleure pas et je cherche une chérie pour ma passion.
Yo soy como el ave que canta y no llora Como la calandria, igual que un zorzal Cuando canto, canto, cuando rio, rio Cuando quiero, quiero con todo el corazón Yo soy como el ave que canta y no llora Y busco un cariño para mi pasión Por vos yo me rompo todo Mi china Por vos yo me juego entero Mi vida Por vos yo seré doctor, todo un gran señor Rico y distinguido Por vos yo seré ladrón, guapo y con padrón Malo y atrevido Por vos yo me rompo todo Mi china Porque sos mi «metegol»
Francisco Canaro (Francisco Canarozzo) musique et paroles
Les paroles sont assez simples et sans trop de sous-entendus qui les compliquent. Voici, cependant, quelques indications :
Je suis comme l’oiseau qui chante et ne pleure pas La calendria (Mimus saturninus, espèce d’alouette) est un oiseau chanteur, très commun à Buenos Aires. Le zorzal (turdus rufiventris, merle à ventre roux) est un autre oiseau chanteur. C’était aussi le surnom de Carlos Gardel, référence en matière d e chant en Argentine…
Por vos yo me rompo todo […] Por vos yo me juego entero Plusieurs interprétations sont possibles, mais on pourrait traduire par il se met en quatre, en risque, en jeu.
Mi china La china est une femme de condition modeste, de la campagne, ou d’origine indienne, mais c’est aussi un terme affectueux. Cela peut aussi être un canif qui se dit « cortaplumas » selon le dictionnaire lunfardo de Dellepiane, ce qui prend sa saveur quand il se désigne comme étant un oiseau. Dans le cas présent, il est probable que ma chérie serait une traduction valable, comme le confirme l’expression Mi vida utilisée ensuite.
Il est vraiment prêt à tout, docteur, grand seigneur ou voleur, courageux, avec un casier judiciaire. Riche et distingué dans le premier cas, mauvais et audacieux dans le second.
Sos mi «metegol»
Un métegol, c’est un baby-foot (marquer un but). Le fait qu’il compare sa china (chérie) à un baby-foot peut sembler étrange. Peut-être est-ce la preuve de la passion des Argentins pour le foot et ce jeu. S’il aime cette femme autant que le baby-foot, c’est que c’est du sérieux. C’est peut-être moins glorieux s’il se réfère qu’il l’a à sa main et qu’il peut la manipuler comme les personnages du jeu. La preuve que cet engouement continue, en 2013, ils ont réalisé un film d’animation en 3D qui s’appelle Metegol… Le héros du film, Amadeo, est un passionné de football. Au point qu’il passe la ses journées, à jouer au baby-foot. Mais après qu’il eut battu le caïd du coin, ce dernier le met au défi de jouer dans un véritable match de football. Les personnages du babyfoot viendront prêter main-forte à Amadeo. Au-delà, cet argument se joue la lutte du passé et du futur. Le caïd, Grosso, veut raser la ville pour construire un immense stade de football. Tous les ingrédients de l’Argentine actuelle sont dans ce scénario, non ?
Metegol est un film argentin et espagnol d’animation en 3D. Il a été dirigé par Juan José Campanella et est inspiré du conte « Memorias de un wing derecho » de l’écrivain argentin Roberto Fontanarrosa
Le tango d’aujourd’hui a été enregistré par Juan D’Arienzo, le 26 février 1941, il y a exactement 83 ans. Los fuegos artificiales sont les feux d’artifice. Nous verrons dans cet article qu’on peut les voir réellement dans la musique.
Ceux qui connaissent un peu l’Argentine savent qu’ils sont fans d’expériences pyrotechniques. Cependant, contrairement à la France, ce ne sont pas les communes qui les proposent, ce sont les Argentins eux-mêmes qui rivalisent avec leurs voisins pour proposer le plus beau spectacle. Roberto Firpo et Eduardo Arolas se sont donc inspirés de ces feux d’artifice pour proposer un tango descriptif où se voient et s’entendent les fusées.
Roberto Firpo
Roberto Firpo, un des auteurs de cette musique, a souvent composé des tangos imagés, c’est-à-dire où la musique cherche à imiter des sons de la vie réelle. On connaît, par exemple : El amanecer (l’aube) avec ses oiseaux qui accueillent le soleil ; El burrito (l’âne) un pasodoble où on entend quelques facéties d’un âne ; El rápido (tango) imitation du train avec dans certaines versions des annonces du type (second service du restaurant). Biagi et Piazzolla par exemple, reprend ce thème de façon plus musicale, pour la danse dans le cas de Biagi et pour l’écoute en ce qui concerne Piazzolla, mais dans tous les cas on reconnaît bien le train ; La carcajada le rire.
Fuegos artificiales est donc dans cette lignée et il n’est pas difficile d’imaginer la trajectoire des cohetes (fusées) en écoutant les différentes versions de cette œuvre.
Roberto Firpo a composé énormément. Il n’est pas un chef d’orchestre de premier plan, mais tous les danseurs de tango ont dansé, parfois sans le savoir, bon nombre de ses créations interprétées par d’autres orchestres. En plus d’El amanecer, on pourrait citer, Alma de bohemio dont il existe des dizaines de versions, dont celle très exceptionnelle de Pedro Laurenz chantée par Alberto Podestá qui tient la note pendant une durée incroyable, Argañaraz (Aquellas farras), Didi, El apronte ou Viviani.
Extrait musical
Fuegos artificiales 1941-02-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.mp3. C’est le premier enregistrement de ce thème par D’Arienzo et celui qui fait l’objet de cet article.
Les paroles… la musique en images
Comme il s’agit d’un tango instrumental et que personne n’a eu l’idée d’y mettre des paroles. Je vous propose de voir les fusées du feu d’artifice dans la musique. En effet, pour travailler la musique, les logiciels spécialisés proposent différents outils. Un que j’aime bien est la représentation de la fréquence spectrale. Le principe est simple. Plus un son est grave et plus il est représenté en bas du spectrogramme. Mais ici, ce n’est pas la technique qui nous intéresse, mais ce qu’on peut voir avec cet outil. Nous allons voir trois versions. Celle de Firpo (le compositeur) en 1927, puis en 1928 et enfin celle qui fait l’objet de la composition du jour, celle de D’Arienzo de 1941.
Spectrogramme de la version de 1927 de Firpo. Observez les lignes obliques qui indiquent, de gauche à droite, une descente chromatique, une remontée chromatique (on dirait un V, visible dans la première moitié) puis une descente vers le spectre grave vibrée dans la seconde moitié. Ce sont les fusées du feu d’artifice qui montent et descendent. Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 28 et 1 h 36. Version de 1928 de Firpo. Elle est sensiblement différente de celle de 1927. La montée chromatique est effectuée par tout l’orchestre et la descente par les seuls violons. Le motif en V de la version de 1927 a disparu, certains éléments de la descente chromatique qui précédait se retrouvent désormais dans la montée, beaucoup plus puissante et par conséquent presque invisibles. Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 25 et 1 h 35. C’est la même que dans la version 1927. La même partie de la musique, mais d’un aspect totalement différent. Les montées et descentes se font en escalier. Les glissandos de violons ont disparu.Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo. Dans le même passage (1 : 29, à 1 : 36) les glissandos des violons ont disparu. Les notes en marche d’escalier sont typiques de D’Arienzo. Tout l’orchestre et notamment les bandonéons et le piano montent chromatiquement par saccades, puis le piano en solo entame une descente chromatique qu’il enchaîne avec une remontée, accompagné par l’orchestre.
Le motif est donc très différent de celui de Firpo et ne suggère que lointainement le feu d’artifice.
Pour le retrouver, il faut choisir un autre passage.
Ici, c’est le début de la version de D’Arienzo, dans une partie différente. À gauche, une montée chromatique saccadée au piano, suivi d’un silence (zone sombre au milieu). Ce silence accueille des coups fermes du bandonéon, puis enfin, une nouvelle montée chromatique, cette fois en glissando par les violons. C’est une évocation de la montée des fusées.
Mais là, on est loin de la description des versions de Firpo. Même la montée chromatique des cordes est courte et peu expressive, comme si D’Arienzo voulait faire oublier qu’il s’agissait d’un feu d’artifice. En effet, il en fait une pièce instrumentale, beaucoup moins imagée. Cependant, D’Arienzo n’a pas hésité à faire quelques tangos imagés, comme El Hipo où Echagüe a le hoquet (hipo), accompagné par de courts glissandos de violon, mais ce n’est pas le meilleur de sa production…
En observant les spectrogrammes, on peut tirer des idées sur la façon dont le musicien organise sa musique et sa composition.
Les enregistrements de Fuegos artificiales
Par Juan D’Arienzo
D’Arienzo a enregistré à deux reprises ce titre. . C’est la version proposée d’aujourd’hui.
Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo. Fuegos artificiales 1946 — Orquesta Juan D’Arienzo. Une version plus rare. La prise de son un peu brouillonne rend la danse moins intéressante. Cette version ne manquera donc pas en milonga.
On trouve deux ou trois autres enregistrements souvent attribués à d’Arienzo, mais ils ont été réalisés après la mort de celui-ci. Ce sont les mêmes musiciens qui ont repris les thèmes sous la direction du bandéoniste arrangeur de D’Arienzo, Carlos Lazzari. On peut donc presque considérer que c’est du D’Arienzo tardif. Le plus ancien est de 1977, un autre a été enregistré au Japon, mais est quasiment identique à celui de 1987 que je propose ici :
Fuegos Artificiales 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. Carlos Lazzari.
Par d’autres orchestres
Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. C’est le plus ancien enregistrement, par l’auteur de la partition. Une version bien canyengue, mais très expressive et descriptive. On aimerait sans doute un peu plus de vitesse pour rendre le spectacle plus dynamique. Nous en avons parlé ci-dessus.Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. Firpo s’est rendu compte qu’il pouvait accélérer son titre. Elle a également été présentée visuellement ci-dessus.Fuegos artificiales 1945-05-29 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme dans la version de 1941 de DArienzo, la partie descriptive est atténuée. Contrairement à D’Arienzo, la musique est plus coulée, sans les saccades et on a un peu l’impression de voir les explosions de lumière au loin, les instruments se mêlant comme se mêlent les étoiles d’un feu d’artifice. C’est une très belle version alternant les moments de tension et ceux de relâchement, mais avec un enchaînement, sans rupture. La musique est plus coulée. Pour la danse, cela peut manquer un peu de clarté pour des danseurs qui ne maîtrisent pas les subtilités de Troilo, mais ils pourront se raccrocher à la marcation la plupart du temps bien présente.
En 1952, Troilo enregistrera une autre version bien plus spectaculaire et évoquant les prémices du tango nuevo.
Fuegos artificiales 1952 — Orquesta Aníbal Troilo. Version plus spectaculaire que celle de 1945, annonçant les futurs succès de Troilo vers le tango dit nuevo.
On pourrait multiplier les exemples, mais maintenant vous saurez être attentifs aux éléments de feu d’artifice, par exemple chez Donato, Varela ou De Angelis qui en ont tiré également des versions intéressantes.
Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.
Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe. Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.
Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…
Extrait musical
Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les paroles
¿Te acuerdas del percal? Tenías quince abriles.
Percal… ¿Te acuerdas del percal? Tenías quince abriles, Anhelos de sufrir y amar, De ir al centro, triunfar Y olvidar el percal. Percal… Camino del percal, Te fuiste de tu casa… Tal vez nos enteramos mal. Solo sé que al final Te olvidaste el percal.
La juventud se fue… Tu casa ya no está… Y en el ayer tirados Se han quedado Acobardados Tu percal y mi pasado. La juventud se fue… Yo ya no espero más… Mejor dejar perdidos Los anhelos que no han sido Y el vestido de percal.
Llorar… ¿Por qué vas a llorar?… ¿Acaso no has vivido, Acaso no aprendiste a amar, A sufrir, a esperar, Y también a callar? Percal… Son cosas del percal… Saber que estás sufriendo Saber que sufrirás aún más Y saber que al final No olvidaste el percal. Percal… Tristezas del percal.
Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot. Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ». Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lunfardo, l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre. En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère. En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité. Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :
Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?
Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo
Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris. Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.
Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté. Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années. Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.
El vals de los quince años pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango. Milonga Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. . Parole et musique Agustín Carlos Minotti. Grabación DJ BYC Bernardo
Les enregistrements de Percal
Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.
Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero.
Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.
Percal 1947 ou 1948 — Francisco González et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.
Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno et récitatif por Julia de Alba.
Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.
Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) Oscar Brondel (guitare) con Rubén Maciel.
La particularité de cet enregistrement est qu’il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.
Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con Héctor Gatáneo.
Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).
Autre titre enregistré un 25 février
Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein.
Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Francisco Lomuto et Jorge Omar vous proposent la milonga du jour. Ce titre agréable à danser nous permet de nous intéresser à la mode masculine et au billard. Des souvenirs du bon vieux temps disparu (Qué tiempo aquel que no podremos ver más).
Cette milonga, une de plus, décrit un individu amateur de billard, sa tenue et sa façon de déambuler. C’est en somme un portrait qui peut se danser de façon amusante. Tous les instruments jouent en appuyant la rythmique, ce qui est bien dans le style de Lomuto, la plupart du temps inspiré du canyengue. Jorge Omar s’inscrit dans cette puissante présence du rythme, tout en en usant de sa diction parfaite pour mettre en valeur les syncopes de la partition. Quelques excursions du piano illuminent la musique C’est le seul instrument qui semble s’échapper de la machine pour proposer quelques fioritures qui allègent le résultat et offrent aux danseurs qui savent les saisir, des éléments ludiques.
Vous reprendrez bien un peu de homard Omar ?
s reprendrez bien un peu de homard Omar ?
Hier, j’évoquais, Nelly Omar, la muse d’Homero (encore Omar) et aujourd’hui, le chanteur en vedette est Jorge Omar. Seraient-ils de la même famille, frère et sœur, mari et femme ?
Que nenni. Mais ils sont d’autres points communs. Ils sont nés tous les deux en 1911, le 10 d’un mois, à Buenos Aires ou dans la province éponyme, sont chanteurs de tango et ont été au firmament dans les années 30-40. Mais leurs identités réelles lèvent les doutes :
Nilda Elvira Vattuone = Nelly Omar 1911-09-10
Juan Manuel Ormaechea = Jorge Omar 1911-03-10
Je vais donc me contenter de parler de Jorge, le chanteur héros du jour.
Sa carrière est essentiellement associée à Francisco Lomuto. Lorsqu’il a quitté cet orchestre, en 1943, il a repris une carrière de chanteur soliste, mais sans le succès qu’il méritait. Pour moi, il a donné un peu d’âme à l’orchestre de Lomuto avec sa diction parfaite et son expressivité.
Francisco Lomuto
Né en 1893, Francico Lomuto est un ancien du tango. Il fait partie d’une famille de musiciens. Son père, Víctor Lomuto était violoniste et sa mère Rosalía Narducci, pianiste. Parmi ses 9 frères et sœurs, plusieurs contribuèrent au tango. Victor, qu’il ne faut pas confondre avec son père qui porte le même prénom était bandonéiste et a passé une partie importante de sa vie en France, notamment avec l’orchestre de Manuel Pizarro. Héctor Antonio, pianiste (jazz) et compositeur. Il est l’auteur de rancheras, pasodobles et foxtrots, mais aussi du tango Yo seré como tú quieras et de la superbe valse El día que te fuiste. Enrique, pianiste (tango), chef d’orchestre et compositeur. Parmi ses compositions, les très beaux tangos Bésame mi amor ou Éramos tres. Oscar (Pascual Tomás) était pour sa part écrivain et journaliste et a écrit les paroles de quelques tangos comme Nunca más dont l’interprétation par Maure avec l’orchestre de D’Arienzo est une merveille.
Francisco himself
Pour revenir à Francisco, l’auteur de la musique et le chef d’orchestre du tango du jour, la milonga Qué tiempo aquel, il est un des éléments de ce qu’il est convenu d’appeler la Guardia Vieja (La vieille garde). La rencontre de Francisco Lomuto et Jorge Omar a marqué un tournant dans le style de l’orchestre. Progressivement en 1935 et surtout en 1936, avec l’arrivée de Martín Darré en remplacement de Daniel Alvarez comme premier primer bandonéon et arrangeur, son style se modernise avec des chefs d’œuvres comme Nostalgias ou Otra vez. Sur la fin de sa carrière, son style s’est encore adapté, notamment avec la participation d’Angel Vargas. On notera toutefois que la majorité de ses ultimes enregistrements concernent du jazz argentin. Encore un témoignage du déclin du tango de danse dans les années 50. Mais dans l’ensemble, il restera fidèle à son esprit « vieille garde » comme en témoigne Callecita de mi novia enregistré le même jour que la milonga dont nous parlons aujourd’hui.
Nostalgias 1936-10-28 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Un titre superbe dans un style relativement différent du Lomuto habituel.Callecita de mi novia 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Le style très imprégné de canyengue persiste dans cet enregistrement.
Ce style au rythme très marqué plait beaucoup aux amateurs d’encuentro, sans doute moins aux danseurs qui aiment improviser. Il faut de tout pour faire un monde et un DJ avisé saura sortir en temps utile un bon Lomuto.
Extrait musical
Qué tiempo aquel 1938-02-24 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les paroles
Un « taco » va con sombrero Requintado de ala corta, Un gesto de “qué me importa” Sobrador y pendenciero.
Pantalón “a la francesa” A cuadritos de fragacha, Que iba pidiéndole cancha Al barro del arrabal.
Qué tiempo aquel que no podremos ver más Que si se fue, no volverá, Qué tiempo aquel de nuestra vieja ciudad El del matón del arrabal, Que la biaba del progreso, Igual que a cinco de queso Me lo han dejado, Y hoy se pierde lentamente, Como el sol en el poniente Triste y derrotado.
Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores
Les paroles sont assez simples à comprendre. Il y a toutefois quelques éléments qui peuvent mériter une explication. Taco : C’est à la fois la queue du billard et un bon joueur de billard. Rien à voir avec les talons dans le cas présent, si ce n’est le « tac », le son du talon au sol ou des boules qui s’entrechoquent.
Une caricature amicale de Severo Vietri par Angel Vieyra
Pantalón « a la francesa » : on retrouve ce pantalon à la française dans au moins trois milongas. Celle qui nous occupe aujourd’hui, mais aussi dans De antaño une milonga écrite par Luis Rubistein (Juan D’Arienzo avec Alberto Echagüe, 1939-09-27) et dans Pantalon « a la francesa » écrite par Luisa Rosa González sur une musique de Severo Vietri. Vous n’avez sans doute pas entendu parler de Vietri. Je vous invite à consulter le blog du regretté Aldo Caseros pour mieux connaître ce bandonéoniste et compositeur. Le pantalon à la française est un pantalon large (plus confortable avec les tissus rigides, sans élasthanne, de l’époque) et resserré à la cheville. C’est un peu le type bombacha campesina, le modèle moins exagéré que la bombacha des danseurs professionnels de malambo et qui se vend toujours comme vêtement de travail. Beaucoup de danseurs de tango actuels adoptent ce type de pantalons amples avec cinq pinces, mais qui sont différents à la base. Je n’ai en revanche pas d’explication pour les cuadritos de fragacha. Sans doute un motif de tissus quadrillé (espagnol ?) ou des pièces destinées à réparer les accrocs. Que iba pidiéndole cancha/Al barro del arrabal. Marcher en se frayant un passage avec autorité, ici à la fange des faubourgs. On imagine bien le type marcher, chargé de son « importance ». Que la biaba del progreso. Qui l’assomme avec le progrès. Biaba est pour moi au sens figuré, le tueur évoqué au vers précédent est également figuré. Igual que a cinco de queso. L’expression usuelle est dejar chato como cinco de queso. C’est-à-dire qu’il laisse l’autre interdit, sans voix. Mon interprétation de ce passage est que le passage et le verbiage de cet individu devaient estomaquer les gens, les laisser comme « deux ronds de flan ».
Les enregistrements de Qué tiempo aquel
Il n’y en a pas d’autres à ma connaissance. C’est une milonga orpheline. En revanche, Lomuto a enregistré quelques autres milongas comme :
Aquí me pongo a cantar 1945-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera
No hay tierra como la mía 1939-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
Parque Patricios 1941-06-27 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
Et des milongas candombe. Lomuto est un assez bon choix pour une tanda de milonga.
Autres titres enregistrés un 24 février
Il y plusieurs autres titres enregistrés un 24 février de Gloria de Canaro 1927-02-24, bien canyengue à Y te parece todavía 1959-02-24 — Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde. Ce sera pour des 24 février des années à venir, mais en attendant, écoutez ces deux titres, extrêmes qui témoignent de la richesse du tango, aux limites de son répertoire traditionnel.
Gloria 1927-02-24 — Orquesta Francisco CanaroY te parece todavía 1959-02-24 – Orquesta Héctor Varela con Armando LabordeUn « taco » pensant au temps qui a disparu…
Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi
Il y a 76 ans, Aníbal Troilo enregistrait avec Edmundo Rivero, un des tangos avec le titre le plus court, « Sur ». Sur, en espagnol, c’est le Sud. Pour ceux qui sont nés dans l’hémisphère Nord, le Sud, c’est la chaleur. En Argentine, c’est l’inverse, mais le Sud chanté par Rivero n’est ni l’un ni l’autre. C’est ce Sud, que je vous invite à découvrir avec ce tango du jour aux paroles écrites par Homero Manzi.
<- Aníbal Troilo et Homero Manzi par Sabat.
Ce tango n’est pas un tango de bal, mais c’est un monument du tango. La musique est d’Anibal Troilo et les paroles, celles qui marquent le cœur de tous les tangueros sont d’Homero Manzi. Ernesto Sabato aurait déclaré qu’il donnerait toute la littérature qu’il avait écrite en échange d’être l’auteur de « Sur ». Intéressons-nous donc à ces deux monstres sacrés du tango, Homero et Sur.
Homero
Les deux se prénomment Homero, les deux sont fans de Buenos Aires, mais un seul est Manzi.
Saurez-vous découvrir lequel ?
Homero Manzi est un provincial, arrivé à Buenos Aires à l’âge de neuf ans. Il a vécu enfant et adolescent dans le quartier de Pompeya, au sud de Boedo, donc, dans le Sud de Buenos Aires. Les paroles nostalgiques de ce tango évoquent les souvenirs de cette enfance et les regrets des points de repère évanouis, mais en parallèle de sa vie amoureuse avec un baiser échangé et qui ne s’est transformé qu’en souvenir. Les lieux qu’il indique peuvent être partiellement retrouvés. Le plus facile est l’angle de Boedo et San Juan. C’est l’endroit où Homero Manzi a écrit Sur. Il abrite désormais l’Esquina Manzi, un lieu prisé par les touristes.
L’angle entre Boedo et San Juan où se trouve désormais l’Esquina Manzi. À gauche en 1948, à droite en 2015, avec les caricatures de Sabat, enlevées depuis et remplacées par des écrans qui les diffusent. La modernité. À l’intérieur, elles sont encore visibles.
« Pompeya y más allá la inundación ». Buenos Aires est régulièrement victime d’inondations. Cette année encore, mais la pire fut sans doute celle de 1912, celle qui toucha Pompeya, le quartier de Manzi.
En 1912, une voiture hippomobile transporte des rescapés sur l’Avenida Sáenz, recouverte d’eau. Ils viennent de zones encore plus inondées, le Riachuelo avait débordé.
On imagine l’impact de cet événement chez un enfant de 5 ans qui venait juste de quitter sa province de Santiago del Estero pour arriver avec sa mère à Buenos Aires. Parmi ces autres souvenirs, ce tango mentionne La esquina del herrero, barro y pampa. Certains y voient l’angle de Del Barco Centenera et de Tabaré, deux avenues que Manzi cite dans son tango, Mano Blanca, un autre de ses tangos emblématiques.
Mano Blanca (letra de Homero Manzi) par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas.(1944)
D’ailleurs un « musée » a été installé sur cet emplacement, en l’honneur de ce titre immortalisé par D’Agostino et Vargas.
Le petit chariot de Portenito et Mano Blanca avec les initiales peintes à la main et qui font que ce tango est le tango des fileteadores.Sur le trottoir d’en face le musée Mano Blanca, le bar el Buzón nommé ainsi à cause de la boîte aux lettres rouge qui occupe le trottoir devant l’établissement.
Extrait musical
Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero
Les paroles
Vous trouverez tous les enregistrements à écouter, en fin d’article.
San Juan y Boedo antigua, y todo el cielo, Pompeya y más allá la inundación. Tu melena de novia en el recuerdo Y tu nombre florando en el adiós. La esquina del herrero, barro y pampa, Tú casa, tu vereda y el zanjón, Y un perfume de yuyos y de alfalfa Que me llena de nuevo el corazón.
Sur, Paredón y después… Sur, Una luz de almacén… Ya nunca me verás como me vieras, Recostado en la vidriera Y esperándote. Ya nunca alumbraré con las estrellas Nuestra marcha sin querellas Por las noches de Pompeya… Las calles y las lunas suburbanas, Y mi amor y tu ventana Todo ha muerto, ya lo sé…
San Juan y Boedo antiguo, cielo perdido, Pompeya y al llegar al terraplén, Tus veinte años temblando de cariño Bajo el beso que entonces te robé. Nostalgias de las cosas que han pasado, Arena que la vida se llevó Pesadumbre de barrios que han cambiado Y amargura del sueño que murió.
Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi
Les enregistrements de Sur
Les enregistrements Sur, par Troilo
Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero, l’enregistrement, objet de cet article. Le plus ancien, à moins qu’un petit Français, lui ait brûlé la politesse. Voir le chapitre suivant…Sur 1953-09-21 (En vivo) — Ranko Fujisawa con Aníbal Troilo y Roberto Grela. Enregistrement par Radio Tokio d’un concert au Teatro Discépolo de Buenos Aires. Bandonéon (Troilo), Guitare (Grela) et voix (Omar).Sur 1956-08-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero arr. de Argentino Glaván. À comparer par la version de 1948 par les mêmes.Sur 1971-04-26 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Encore un qui a sa place au panthéon du tango. La partie instrumentale est particulièrement expressive, notamment, grâce aux pleurs du bandonéon de Troilo. Sur 1974-05 — Orquesta Aníbal Troilo con Susana Rinaldi. Le dernier enregistrement de Sur par Troilo a été effectué en public avec Susana Rinaldi dans un programme en hommage à Homero Manzi effectué par Antonio Carrizo, el caballero de la radio.
Cette version est pleine d’émotion. Impossible de ne pas essuyer une larme à son écoute notamment, lorsqu’elle chante pour la seconde fois, la fin du refrain. « Ya lo sé ».
Autres enregistrements de Sur
Là, il faut discuter un peu, Nelly Omar serait la première à avoir chanté ce tango. C’est ce qu’indique la Bible du Tango, qui a souvent d’excellentes informations. Malheureusement, sans référence précise et probablement sans enregistrement, cela reste difficile à confirmer. Cependant, si on se souvient que Nelly fut la muse d’Homero, celle qui lui inspira la chanson Malena lors de son exil au Mexique et qu’ils ont eu une relation mouvementée, cela n’a rien d’impossible. Comme Sur est un tango à écouter, je vous invite à voir Nelly Omar le chanter. J’ai choisi cette version, car c’est une de ses dernières versions enregistrées. Elle a parcouru toutes les époques du tango, depuis les années 1920 jusqu’au 21e siècle. La « Gardel en jupe » est une des étoiles indéboulonnables au firmament du tango.
Je ne peux pas confirmer la date, de cet enregistrement. La voix semble plus assurée que dans son dernier concert au Luna Park, à près de 100 ans. Je daterai donc cette vidéo de la première décennie des années 2000.
Plus étonnant, serait un enregistrement par Quintin Verdu en 1947, soit plusieurs mois avant Troilo. On peut facilement imaginer qu’un tango soit chanté avant d’être enregistré, car c’est le processus normal. En revanche, qu’il soit enregistré en France avant d’avoir été joué en Argentine alors qu’il est créé par deux Argentins qui étaient à Buenos Aires à l’époque est plus étonnant. En revanche, il existe bien un enregistrement de Sur par Quintin Verdu, avec le chanteur Agustín Duarte. C’est un enregistrement Pathé, malheureusement pas daté et ses références ne m’ont pas permis d’en valider la date : PA 2617 — CPT 7021. Cependant, comme tout ce qu’a réalisé Verdu, la musique est excellente et vaut la peine d’être écoutée. Duarte chante uniquement le refrain, dont il reprend la seconde partie comme final.
Sur 1947 ? – Orchestre Quintin Verdú con Agustín Duarte. Superbe, non ?Sur 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. La même année que Troilo, Julio Sosa enregistre Sur, dans une des rares versions qui peuvent se danser de façon agréable en tango.
C’est le moment de dire un petit mot sur ce chef d’orchestre, Luis Caruso, né à Buenos Aires en 1916, mais qui à l’âge de vingt ans s’est installé à Montevideo où il continuera sa carrière artistique. C’est pour cela qu’il est un peu moins connu aujourd’hui, mais il lui reste le titre de gloire d’avoir enregistré les cinq premiers titres avec Julio Sosa qui était au début de sa carrière (il venait de gagner un concours dont un lot était d’enregistrer 5 titres avec Sondor). Les cinq titres étaient : Sur 1948,Una y mil noches 1948, Mascarita 1949-01-31, La última copa 1948 (Valse) et un candombe (nous sommes en Uruguay…) San Domingo 1948. À cette époque, le cuarteto de Caruo comprenait, en plus de lui qui dirigeait et jouait le bandonéon, Rubén Pocho Pérez au piano, Roberto Smith à la contrebasse et Mirabello Dondi au violon.
Pour terminer cette liste qui pourrait être bien plus longue, je vous propose un extrait du film franco-argentin Sur qui débute par cette chanson interprétée par Roberto Goyeneche qui joue le rôle d’Amado. Ce film de 1988 a été dirigé par Fernando « Pino » Solanas qui a obtenu le premier pour cela au Festival de Cannes. Il a pour sujet, la dictature militaire qui s’est achevée 5 ans plus tôt. La musique qui a été enregistrée au studio Ion de Buenos Aires est jouée par un quatuor composé de Nestor Marconi au bandonéon, Raul Luzzi à la guitare, Carlos Gaivironsky au violon et Humberto Ridolfi à la contrebasse et chantée par Roberto Goyeneche. Plusieurs notice indiquent que la musique est de Piazzolla, vous aurez compris que c’est une erreur et on voit parfaitement dans le film qu’il ne joue pas le bandonéon dans cette interprétation et s’il a éventuellement arrangé la musique, il n’en est ni l’auteur ni l’interprête. Je vous propose donc cet extrait du film qui sera également la fin du chapitre sur les enregistrements de Sur…
Au début du film Sur, on voit les musiciens arriver et s’installer, puis arrive Goyeneche. Les musiciens sont : Nestor Marconi au bandonéon, Raul Luzzi à la guitare, Carlos Gaivironsky au violon et Humberto Ridolfi à la contrebasse.Le café Sur qui accueille le quatuor au début du film existe toujours. C’est l’Almacen Sur, à l’angle de Juan Darquier y Villarino, juste en face de la station Hipólito Yrigoyen de la ligne ferroviaire Roca.
Autres titres enregistrés un 23 février
Il y avait beaucoup de perles à piocher pour le 23 février. En voici quelques-unes qui pourront faire l’objet d’articles dans les années à venir…
El rebelde 1932-02-23 — Osvaldo Fresedo C Roberto Ray. On a évoqué cet orchestre hier avec le merveilleux Sollozos. Ce titre de 5 ans exactement antérieur n’a pas la même maturité.De todo te olvidas (Cabeza de novia) 1948-02-23 — Anibal Troilo C Floreal Ruiz. Le même jour, Troilo a aussi enregistré avec un autre chanteur, Floreal Ruiz. Ce titre est entré dans le langage commun, cabeza de novia), pour parler d’étourderies, d’oublis.El jagüel 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli. Comme DJ, j’aurais sans doute dû choisir ce titre ou Rodriguez Peña (président argentin), qui sont deux titres éminemment dansables par le seigneur du tango, Carlos Di Sarli. Ce sera pour une prochaine année 😉Rodriguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli. Enregistré le même jour que El Jagüel, un best of du tango dansé.Homero Manzi dans Pompeya, entre le souvenir lumineux de l’enfance et la désespération de l’avenir. Inspiré du style de Benito Quinquela Martín, le voisin de la Boca. Manzi semble marcher dans l’eau, souvenir des inondations qui l’ont accueilli à son arrivée à Buenos Aires en 1912.
Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo
Le 22 février 1937, Osvaldo Fresedo enregistre Sollozos (soupirs) avec Roberto Ray et le même jourSiempre es carnaval. Fresedo en a composé la musique et son frère Emilio, les paroles. Le premier enregistrement par Fresedo date de 1922, année de l’écriture de ce titre qui fut rapidement un succès et fût repris par divers orchestre. Fresedo le réenregistrera en 1937, la version qui nous occupe aujourd’hui, puis en 1952 et 1957.
SOS femme triste
Sollozos = sanglots. Les sanglots d’une jeune femme triste, qui se cache au milieu d’une foule de gens qui font la fête. Un homme (ou une femme) vient sécher ses pleurs provoqués par l’homme qui l’a trompée. Pour la consoler, il (elle) lui dit : « Olvide su pasado, olvide todo lo de ayer. No llore si él no ha llorado, ni pensó que sufre una mujer » (Oublie votre passé, oublie tout ce qui est d’hier. Ne pleure pas s’il n’a pas pleuré ni pensé qu’une femme souffre).
Sollozos 1937-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray
Les paroles
Osvaldo Fresedo a donc enregistré quatre fois ce titre, dont trois versions chantées. Les trois n’utilisent que la moitié des paroles écrites par son frère, Emilio. En revanche, en 1923, Rosita Quiroga chante l’intégralité des paroles. C’est bien sûr un tango à écouter, dans cette version. On apprend dans les paroles intégrales, celles chantées par Rosita Quiroga, que l’infidèle est présent, car elle porte son portrait dans un médaillon. Le fait qu’un femme chante la chanson ne gêne pas, car consoler peut aussi bien être le fait d’un homme que d’une femme. Pour l’image en fin d’article, j’ai représenté un homme consolateur, car la version de Fresedo et Ray m’a toujours fait penser à un homme. J’imagine que je me voyais en consolateur…
Vous trouverez tous les enregistrements à écouter, en fin d’article.
En un mundo de alegrías, entre el humo y copas de champagne, hay una almita afligida que se esconde por llorar. Atraído por su pena mi pañuelo lágrimas secó, mientras dijó: “Estoy enferma, sufro y lloro por mi amor”.
Volvió su cara hacia mi lado, acariciando su dolor. Oí sollozos y cortados, bajo habló: “Un hombre me engañó”. Le dije : « Olvide su pasado, olvide todo lo de ayer. No llore si él no ha llorado, ni pensó que sufre una mujer ».
Algo habría en su mirada que no fue preciso adivinar, ilusiones apagadas, odio y ganas de vengar. Dijo entonces que su vida de pasión en pena se tornó. Recordó felices días a su vieja y su honor.
Pobre, su quebranto mi alma hirió, que sin fuerzas me sentí, cuando vi su relicario y enseñó que el falso estaba allí. Pobre, con cuanta tristeza vio que por ella yo sufrí. El pintar de sus labios, la sonrisa para mí.
Osvaldo Fresedo – Osvaldo Nicolás Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo
Les enregistrements de Sollozos
Les quatre enregistrements de Fresedo
Sollozos 1922-08-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Cet enregistrement acoustique est d’une qualité musicale incroyable. Tout Fresedo est déjà dans cette musique. Un des rares titres antérieurs à 1926 que je pourrais, un jour de folie, passer en milonga.Sollozos 1937-02-22 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est celui dont on parle aujourd’hui.Sollozos 1952-09-18 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco. Cette version est clairement moins dansante, mais est jolie.Sollozos 1957-09-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Carlos Barrios. Fresedo a clairement abandonné les danseurs dans cette version. Je la trouve trop maniérée. À vouloir la rendre plus expressive, Fresedo et Barrios sont, pour moi aller un peu trop loin. Si la partie instrumentale peut à la limite passer en milonga, la partie chantée fait que ce titre devrait être réservé à l’écoute.
Autres enregistrements de Sollozos
Harmonium Frisia fabriqué par G.A. Goldschmeding (Hollande) vers 1930. Un clavier, 10 jeux, soufflerie à pédale.
Je commence par la première version enregistrée avec les paroles complètes d’Emilio Fresedo, celle de Rosita Quiroga accompagnée par une guitare et un harmonium [armonio]. La présence d’un harmonium n’est pas si étonnante que cela pour l’époque qui a vu de nombreux instruments plus ou moins hétéroclites rejoindre les orchestres de tango, comme la scie musicale ou les Ondes Martenot [assez proches comme sonorité et parfois indiqué l’un pour l’autre dans les années 30]. Il faudrait plusieurs articles pour traiter de l’évolution des instruments de musique, de la guitare et la flûte aux instruments du tango actuels. Ce sera pour une autre fois ; —)
Sollozos 1923 — Rosita Quiroga accompagnée par une guitare et un harmonium (armonio). Elle chante les paroles en entier.Sollozos 1928-04-30 — Orquesta Julio De Caro. De Caro a choisi de personnaliser son interprétation avec des changements de rythmes un peu surprenants qui confirment qu’il ne travaille pas pour les danseurs.Sollozos 1944-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba. Cette versión instrumentale est dans l’esprit de Fresedo. Le rythme est plus marqué, ce qui pourrait en faire un bon titre de danse, si la version de Fresedo n’avait pas tant de présence. Certains danseurs pourraient reprocher le choix au DJ de les priver de la version de 1937 par Fresedo et Ray.Sollozos 1967-08-21 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo, fidèle à lui-même propose une version énergique avec des éléments d’orchestration originales, rappelant un peu la version de De Caro. Pour moi, c’est plus du domaine du concert que de la danse, mais si un DJ le passe en milonga, il ne se fera sans doute pas écharper.
Autres titres enregistrés un 22 février
Il y avait beaucoup de choix. Parmi les titres qui auraient pu être les tangos du jour, voici quelques exemples :
Si supieras 1927-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo. On retrouve Fresedo et un titre associé à la Cumparsita. En effet, des paroles ont été accolées à l’air le plus célèbre du tango « Si supieras, que aún dentro de mi alma, conservo aquel cariño que tuve para ti… » (Si tu savais que même au creux de mon âme, je conserve cette affection que j’avais pour toi… ». Cet enregistrement étant instrumental, difficile de dire s’il y a un lien, cet air composé par José María Rizzuti n’a pas d’enregistrement avec paroles.Recuerdo malevo 1933-02-22 — Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, Domingo Riverol et Domingo Julio Vivas. Pas de danse, mais l’inoubliable Gardel dans un de ses grands succès. En attendant un tango du jour sur un de ses titres, vous pouvez toujours consulter « Gardel enfant de France ».Siempre es carnaval 1937-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray, l’autre titre enregistré le même jour par Fresedo et Ray.Senda Florida 1945-02-22 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. C’est un tango de danse, malgré son introduction chantée. Toutefois, ce n’est pas ce qui est le plus agréable à danser. Disons que c’est un tango qui hésite entre la danse et l’écoute.
On voit que ces quelques titres pourraient donner lieu à d’autres articles. Peut-être qu’ils auront leur chance un autre 22 février.
Atraído por su pena mi pañuelo lágrimas secó, mientras dijó: “Estoy enferma, sufro y lloro por mi amor”.
Cayetano Puglisi; Pascual De Gregorio Letra: Manuel Enrique Ferradás Campos
Le 21 février 1934, il y a 90 ans, Francisco Canaro enregistrait Diez añosavec Ernesto Famá, seulement 4 jours après l’avoir enregistré avec Ada Falcón. Je saisis cette occasion pour parler des chanteurs d’estribillo et rappeler la différence entre le tango chanson et le tango chanté.
Les deux enregistrements de Diez años par Canaro
Tout d’abord, nous n’avons aujourd’hui la trace sonore que des versions enregistrées. Il ne faut pas oublier que les orchestres se produisaient plusieurs fois par semaine et que seuls leurs « tubes » avaient les honneurs de la gravure. Nous avons ainsi perdu la grande majorité du répertoire de l’époque. Ce n’est pas l’absence d’enregistrement qui peut prouver que l’orchestre ne jouait pas tel ou tel air. Comme je l’indiquais en introduction, Canaro a enregistré deux fois ce thème en 1934. Le 17 février avec sa « chérie » Ada Falcón, et le 21 février avec Ernesto Famá. On pourrait penser qu’avec un si court intervalle, les enregistrements sont proches. Que nenni. Ils appartiennent en fait à deux genres différents. Le tango chanson et le tango chanté. Mais avant d’écouter les différences, faisons le point.
Il y a tango et tango…
Le tango fait partie d’un ensemble culturel qui est tout autant littéraire que musical, audiophile que danseur. Ces directions peuvent être réparties de façon différente chez chacune des personnes qui entre en contact avec un tango. S’il est danseur, il va souhaiter une musique qui porte à l’improvisation, sans surprises indécelables (variations de rythme arbitraires, par exemple) et avec un support rythmique suffisant pour que les deux partenaires du couple puissent se synchroniser. S’il est audiophile, il va se concentrer sur l’orchestration, les réponses des instruments, la virtuosité de tel ou tel trait et ainsi de suite. Il pourra le faire en restant dans son fauteuil, sans que la musique l’oblige à se mouvoir. Il va comparer les versions, pinailler sur des différences de tonalité d’un enregistrement à l’autre, sur l’accord du bandonéon et ainsi de suite. S’il est littéraire, il va savourer les paroles. Cependant, comme en cuisine, tous les plats ne se valent pas et il lui faudra des mets délicieux, écrits par de grands auteurs. Par chance, cela ne manque pas dans la culture tango.
Diez años transcurrieron desde entonces
cuando temblando llegué hasta ti,
Le danseur de tango « idéal »
Le danseur, celui qui m’intéresse, vu que je suis DJ peut et doit, avoir un peu des autres aspects pour mieux danser. Un danseur qui ne danserait que le rythme, sans écouter les phrases musicales, les réponses d’instruments et tous les développements qui font la richesse du tango serait bien à plaindre. Ce manque de sensibilité lui permettrait de danser sur Gotan Project et autres orchestres répétitifs, mais ce sera au détriment de l’improvisation et de la richesse de la danse. Certains débutants se contentent de reproduire des chorégraphies apprises en cours, sans chercher à les insérer dans le flux musical, ou mieux, à les déconstruire pour n’utiliser que les briques, au service de l’interprétation dansée de la musique. Sur l’aspect littéraire, la chose est moins claire. En effet, d’excellents DJ et d’excellents danseurs disent prêter peu d’attention aux paroles. Il est clair que pour un danseur qui improvise, les paroles sont de peu d’utilité. Il ne va pas se mettre à pleurer, se mettre à genoux ou autre fantaisie qui seraient dites dans le texte. Cela était bien clair à l’âge d’or du tango. Les orchestres proposaient des musiques adaptées à la danse. Qu’elles soient instrumentales ou avec chanteurs, mais il est temps de revenir à la distinction entre tango chanson et tango chanté.
Tango chanson et tango chanté
Un tango chanson est un tango destiné à l’écoute. Il est destiné à satisfaire les audiophiles et les littéraires. C’est un genre qui va se développer plus rapidement à partir des années 50, à cause de l’arrivée du microsillon (33 tours) et surtout du rock qui va remplacer le tango dans les activités des danseurs de l’époque. Les orchestres de tango se reconvertissent alors vers le concert, la télévision et la radio pour pouvoir continuer à jouer et vivre de leur art. Mais il ne faut pas limiter le phénomène aux années 50 et suivantes. En effet, même à l’âge d’or, il y a les deux types de musique. Pour faciliter le choix, les disques indiquent clairement si c’est destiné à danser ou à écouter. Il suffit de regarder l’étiquette…
Ada Falcón, avec accompagnement de l’orchestre Francisco CanaroFrancisco Canaro et son orchestre typique (Estribillo par Ernesto Famá)
Vous avez compris. Si le chanteur est indiqué en premier, c’est pour écouter. S’il est indiqué en second, c’est pour danser. C’est plutôt simple, non ? On trouve aujourd’hui des DJ et danseurs qui ne tiennent pas compte de cette différence et qui considèrent que l’on peut tout danser. Dans le cas d’Ada Falcón, c’est plutôt envisageable. En général, les voix de femmes, même pour des chansons, laissent plus de place à l’orchestre, notamment dans le registre grave, là où se trouve la rythmique. Ainsi, elles ne la masquent pas et il est possible de continuer à la suivre. Pour les chanteurs, surtout pour ceux qui en font des tonnes, c’est impossible. On pourrait mentionner la distinction que font certain entre cantor et cantante. Le premier chantant au service de la musique et le second se mettant en valeur, en jouant de tous les artifices possibles pour masquer l’orchestre qui de fait n’est qu’un accompagnement. Progressivement à partir des années 50, le cantante (avec une jolie voix de chanteur d’opéra) prend le dessus et on ne compte plus le nombre de chansons plus ou moins mièvres et désespérées qui en a résulté. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas bien, pas beau. Je dis juste que très peu de danseurs vont à la milonga pour se trancher les veines.
Comment distinguer les tangos chansons à l’écoute ?
Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos. En gros, c’est le refrain (estribillo). C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance. Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est dans ce cas un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose. Dans les années 50, sous l’impulsion de chefs d’orchestre comme Troilo, la partie chantée va prendre de l’ampleur, même pour le tango de danse. Ainsi, le même titre chanté par Valdez avec l’orchestre de Juan d’Arienzo est présenté comme un tango de danse, mais Valdez chante plus que le seul refrain. Voir ci-dessous, le chapitre sur les paroles.
Même si Valdez chante plus que les chanteurs de la génération précédente, il est encore présenté comme chanteur d’estribillo.
C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance. Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est pareillement un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose. Je termine -là ce sujet. Comme DJ, je mets du tango de danse, sauf si on me demande gentiment de mettre une tanda chanson. Après tout, il faut bien que le bar fasse son chiffre d’affaires.
Les paroles
Le refrain (estribillo)
Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos, le refrain (estribillo).
Diez años transcurrieron desde entonces cuando temblando llegué hasta ti, diez años que sirvieron para hundirme y quitarme hasta las ganas de vivir… Entonces, buenamente yo soñaba un mundo nuevo, para los dos. Y Dios, allá en el cielo solo sabe, hasta dónde yo he llegado por tu amor.
Estribillo (refrain) Manuel Enrique Ferradás Campos. C’est la seule partie que chante Fama
Les différentes parties chantées, selon les versions
Seule Ada Falcón chante tout. Elle termine en reprenant le refrain (Cuántas veces en mi pecho […] por tu cruel ingratitud.)
Ernesto Famá ne chante que l’estribillo, ce qui est en rouge.Jorge Valdez chante le premier couplet, le refrain et reprend la fin du refrain (Otra boca […] por tu cruel ingratitud.)Le dernier couplet, chanté uniquement par Ada FalconIci, une version pour homme du dernier couplet. Elle n’est pas utilisée dans les trois enregistrements présentés.
Autres enregistrements de Diez años
Je vous propose trois enregistrements de ce titre. Les deux avec Canaro et une version de 1958 par Juan d’Arienzo avec Jorge Valdez au chant. Vous avez vu les étiquettes, deux sont pour la danse (Fama et Valdez) et un pour l’écoute (Falcon).
Diez años 1934-02-17 Ada Falcón con acomp. de Francisco CanaroDiez años 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto FamáDiez años 1958-12-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez
Autres titres enregistrés un 21 février
Unión Civica 1933-02-21 – Juan Maglio (Pacho) y su orquesta de la guardia viejaTe quiero mucho más 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá (Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda). Il a été enregistré le même jour que Diez años. Murió la vecinita 1935-02-21 — Típica Victor C Alberto Gómez Dir Adolfo Carabelli (Guillermo Rivero; Juan Carlos Ghio Letra: Nolo López)Jalisco nunca pierde 1938-02-21 (Marcha) – Enrique Rodríguez C El « Chato » Roberto Flores (Lorenzo Barcelata ; T. Guizar). C’est une marche en l’honneur du territoire de Jalisco, au Mexique (le film Jalisco nunca pierde est sorti en 1937). Le fait que ce soit une marche rappelle qu’à l’époque, les bals n’étaient pas que tango, mais toutes danses, avec en général deux orchestres.Mi noche triste 1949-02-21 – Francisco Rotundo C Floreal RuízDiez años que sirvieron para hundirme
y quitarme hasta las ganas de vivir…
Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)
Le tango du jour, El Ingeniero,est indubitablement associé à Carlos Di Sarli. C’est assez logique, car il est le seul à l’avoir enregistré à la belle époque du tango. Il a enregistré le titre à trois reprises. En 1945, le 20 février, le 22 juillet 1952 et le 31 janvier 1955. Le titre est assez clair et pour une fois, il ne s’agit pas d’un surnom, d’un mot d’argot (lunfardo), mais bien de la fonction, du métier d’ingénieur. L’auteur de la musique, Alejandro Junnissi, dédicace sa composition « a todos los ingenieros egresados de las universidades argentinas » (À tous les ingénieurs diplômés des universités argentines). On retrouve dans cette dédicace, la fierté d’un âge d’or de l’Argentine, le début du vingtième siècle. Cet âge d’or se dévoile dans l’architecture, mais aussi par les créations industrielles. À la fin des années 20, l’Argentine était considérée comme un important pays industriel.
L’ingénieur
Luis Augusto Huergo est le premier ingénieur diplômé en Argentine. C’était le 6 juin 1870.
Un des héros discrets de ce succès est l’ingénieur que l’Argentine célèbre deux fois en juin, le 6 juin avec el Día del Ingeniero et indirectement le 16 juin avec el Día de la Ingeniería Argentina. La première date est en souvenir du premier ingénieur civil d’Argentine, Luis Augusto Huergo, diplômé le 6 juin 1870. Rien ne prouve que celui qui a inspiré Junnissi soit Huergo. Disons que c’est le métier qui est illustré ici.
Un pays à bonne école
Les efforts consentis en matière d’éducation par l’Argentine qui devait accueillir et « argentiniser » des millions de migrants donnaient leurs fruits et bientôt l’Argentine disposait de nombreuses universités, qui aujourd’hui encore restent prestigieuses.
Citons les Ingenierías de Córdoba y de La Plata ou l’Escuela de Ingenieros de Minas de San Juan.
Les pays étrangers, notamment européens, ont également investi en Argentine. Par exemple, l’École Centrale des Arts et Manufactures de Paris qui a ouvert une école d’ingénieurs à Buenos Aires.
Ces nouveaux ingénieurs ont permis le développement du pays, des ponts, du chemin de fer, de l’architecture et la découverte de pétrole a accentué le développement industriel du pays.
Les montagnes russes
L’essor industriel a été soutenu par une immigration extrêmement forte. La main-d’œuvre était abondante et déjà concentrée dans les villes, car les campagnes appartenaient à quelques propriétaires terriens et n’offraient que peu de débouchés aux nouveaux arrivants. Cette concentration explique aussi les problèmes politiques récurrents de l’Argentine, problèmes donnant lieu à des crises graves et des émeutes. À peine écrit ce tango, en 1930 que, la même année, en septembre, les militaires prenaient le pouvoir en destituant Hipólito Yrigoyen. Ce président au double visage a assumé deux fois la présidence. Double visage, car il prône une Argentine aux mains des ouvriers, mais commandite une répression sanglante contre des grévistes, réalisant par la même le premier pogrom d’Amérique du Sud (Semaine tragique, du 7 au 14 janvier 1919). Ceux qui suivent l’actualité de l’Argentine constateront que les événements actuels rappellent ceux des années passées, 2001, 1976, 1930, et autres. Bon, j’ai un peu oublié mon ingénieur dans tout cela. Revenons donc à la musique. Lorsqu’Alejandro Junnissi écrit sa musique, l’Argentine est encore dans une période relativement optimiste, malgré les contrecoups de la crise de 1929.
L’ingénieur mérite son tango ; le voici.
Extrait musical
El Ingeniero 1945-02-20 – Carlos di Sarli
La version est plus sèche, les violons moins lyriques que dans les versions des années 50. Même si Di Sarli a continué dans les années 50 à proposer du tango de danse, on sent dans cette évolution la transition que d’autres orchestres ont opéré de façon plus drastique. Le Di Sarli des années 50 est souvent le plus utilisé dans les milongas, car il tranche plus avec les autres orchestres de référence, les quatre piliers par son aspect plus romantique. Cela permet de donner du contraste à la milonga. Vous pourrez les entendre en fin d’article.
Les paroles
Alejandro Junnissi (n/d – 29 May 1956)
Vous m’attendiez au tournant. Toutes les versions enregistrées par de grands orchestres de tango sont instrumentales. Cependant, il existe au moins une version des paroles que je reproduis ici. Je n’imagine pas très bien le résultat, tant on est habitué à l’entendre avec les violons de Di Sarli. D’une façon plus générale, de nombreux tangos sont sans paroles, d’autres ont changé de paroles au cours du temps et certains textes de tango n’ont pas encore trouvé leurs musiques. Il reste du pain sur la planche pour les auteurs et compositeurs… Celui qui a écrit les paroles est Juan Manuel Guerrera. Sa création est récente, 2020, soit 90 ans après la musique. Si vous enregistrez une version d’El Ingeniero avec les paroles, je vous promets de la placer ici et si elle est dansable, je la diffuserai en milonga…
El Ingeniero
Y allá va el ingeniero Por las calles del dolor Camina solo Llorando Se va derrumbando Es pura desolación Tanto quiere Olvidar Que ha vivido sin quererlo para los demás Que ha dejado sus pasiones demasiado atrás Que ha olvidado entre sus cuentas animarse a más Tanto quiere Abandonar Un destino que sabe a nada El que eligió Y no cambió Y allá va el ingeniero Hundido en la frustración Su penar suena a nostalgia Con dejos de bandoneón Y allá va el ingeniero Con su arte en un cajón Ahora no juega, no apuesta Sus miedos no enfrenta Y gana su perdición “Soy un cobarde” Se dice tarde Y vuelve a reflexionar: “No es buena elección, la resignación Renunciar a un sueño, es como morir Sin resolución, no hay realización, Sin un ideal, tan triste es vivir” Y encuentra en lo que siente Respuestas que su mente Buscaba desde siempre Con científica obsesión Y allá va el ingeniero Se le muere el corazón Acompañan los violines Su dramática canción Y allá va el ingeniero Se desangra en su razón Pierde su tiempo, pensando En vez de arriesgando Y entierra su vocación Tanto quiere Regresar A un pasado irremediable que ha quedado atrás A un presente esperanzado que no volverá A un futuro imaginado que ya no será Tanto quiere Escapar De su vida equivocada La que él mismo eligió Y, sin valor, jamás cambió
Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)
Autres enregistrements
Signalons que le même jour, le 20 février 1945, Di Sarli enregistrera avec Jorge Durán, Porteño y bailarín, un tango composé par Carlos Di Sarli avec des paroles d’Héctor Marcó. Ce titre enregistré sur la matrice 80553-1 sera publié sur le même disque 60-0639, sur la face A et el Ingeniero, sur la face B. Ce dernier a été enregistré sur la matrice 80554-1.
Porteño y bailarín 1945-02-20 Carlos Di Sarli con Jorge Durán (Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó)
Les principaux enregistrements d’El Ingeniero sont ceux de Di Sarli. Il faut dire qu’il a mis la barre très haute et qu’il était difficile de proposer des versions surpassant les trois enregistrements du maître de Bahia Blanca.
El Ingeniero, 1945-02-20 – Carlos Di SarliEl Ingeniero 1952-07-22 – Carlos Di SarliEl Ingeniero 1955-01-31 – Carlos Di Sarli
Pour terminer, un enregistrement du 21e siècle. J’aime bien. Cependant, il est peu probable que je le propose en milonga, car le manque de franchise dans la marcacion fait que les versions originales sont à mon avis préférables pour danser.
El Ingenierro – Orquesta Típica de la Guardia Vieja 2002
Sylvie Sureda-Cagliani ; Chapitre II. Panorama de l’histoire de l’Argentine de 1930 à 1974 in Victimes et bourreaux dans le théâtre de Griselda Gambaro ; Presses universitaires de Perpignan http://books.openedition.org/pupvd/32217
Andrés H. Reggiani, Hernán González Bollo ; Dénatalité, «crise de la race» et politiques démographiques en Argentine (1920-1940) ; Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2007/3 (n° 95), pages 29 à 44
El Ingienero
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