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Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez

Le Carnaval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs « tanguaient » sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, les places ou les salles de concert, comme le Luna Park. Mais Carnaval, c’était bien plus que le seul tango. C’était un moment de libération dans une vie souvent difficile et parfois, l’occasion de rencontres, comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.

Extrait musical

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.

Paroles

En los ojos llevaba la noche
y el amor en la boca…
Carnaval en su coche
la paseaba triunfal.
Serpentina de mágico vuelo
fue su amor de una noche;
serpentina que luego arrastró mi dolor
enredada en las ruedas de un coche
cuando el corso en la sombra quedó…

Otra vez, Carnaval,
en tu noche me cita
la misma bonita
y audaz mascarita…
Otra vez, Carnaval,
otra vez, como ayer,
sus locos amores
le vuelvo a creer.
Y acaso la llore
mañana otra vez…

Fugitivas se irán en la aurora
la ventura y la risa…
¡Tendrán todas mis horas
una gris soledad!
En mis labios habrá la ceniza
de su nuevo desaire;
y despojos del sueño tan sólo serán,
un perfume rondando en el aire
y en el suelo un pequeño antifaz…
Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez

Traduction libre

Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche…
Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement.
Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ;
serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…

Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée…
Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire.
Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…

Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires…
Toutes mes heures auront une solitude grise !
Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ;
et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…

Autres versions

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour.
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.
Otra vez carnaval 1981-08-12 – Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña. Une version à écouter.

Carnaval

Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements.
Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.

1869, l’état autorise le carnaval et l’organise

C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.

Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).

Tango et carnaval

Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à Buenos Aires, mais aussi à Montevideo et Rosario, notamment.

Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro – 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.

Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)

La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées :
“Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones.
-Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.”
« L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…)
-Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).

Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.

Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.

La fin de la dictature et le retour du Carnaval

Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.

Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.

En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.

Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».

Petit jeu (très facile)

Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…

Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.
À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…

Réponse au petit jeu

J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango.
Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus.
Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine.
Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le pseudonyme Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman.
Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans…
Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.

Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…

Un petit cadeau

J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.

Quelques images de Carnaval de 1889 à nos jours.

À bientôt, les amis !

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro

Lucio Demare (Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot)

Mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Le tango du jour parle des aubes de Montmartre (Paris, France).
Le tango est né à Paris…
Pardon, sans Paris, le tango ne serait pas ce qu’il a été/est. C’est dans cette ville qu’il a acquis ses lettres de noblesse et qu’il a pu revenir en Argentine et devenir ce que l’on sait. Si vous ne le savez pas, regardez mon article sur l’âge d’or du tango.

Plusieurs centaines de tangos font référence à la France et à Paris, mais aussi aux grisettes, ces jeunes Françaises qui à l’instar de Madame Yvonne quittaient la France pour le « rêve » argentin (voir par exemple Bajo el cono azul).
Canaro qui a fait à diverses reprises le voyage à Paris a sans doute été sensible à cette composition de Demare qui devait également lui évoquer les paysages de la Butte Montmartre.

Extrait musical

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Francisco Canaro

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Las grises mañanitas de Montmartre,
donde iluso derroché mi juventud,
serán eternas en mi triste vida,
porque las recuerdo para mi inquietud.
Al igual que un amor cicatrizado
e imborrable en un tierno corazón,
mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Pero sos, mujer,
pobre insensata que en el mundo triunfás;
la frágil barca de tu vida quizás
naufragará porque el timón de tu esperanza
se quebrará en la mar,
y humillada ya,
mis mañanitas de Montmartre verán
la fría nieve del destino caer
sobre tu almita acongojada
destruyendo aquellos sueños
que forjaste con afán.

Nuevamente volverás a ser aquella
que paseaba exenta de pudor
por esas calles en que todas las mujeres
pecadoras, guardaban su dolor.
Y en las tinieblas de tu pobre vida,
por ingrata nunca más encontrarás
quien te devuelva con un beso de cariño
la luz de tu esperanza, que se apaga ya.

Lucio Demare Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot

Traduction des paroles

Les petits matins gris de Montmartre, où j’ai insouciamment gaspillé ma jeunesse, seront éternels dans ma triste vie, parce que je m’en souviens par mon inquiétude.
Comme un amour cicatrisé et indélébile dans un cœur tendre, mes petits matins de Montmartre tant chéris sont pour moi un délire et une grande passion.
Mais tu es, femme, une pauvre insensée, qui triomphe dans le monde ;
La frêle barque de ta vie fera peut-être naufrage parce que le gouvernail de ton espoir se brisera en mer, et, déjà humiliée, mes petits matins de Montmartre verront la neige froide du destin tomber sur ta petite âme angoissée, détruisant ces rêves que tu t’es forgés avec empressement.
Une fois de plus, tu redeviendras celle qui a marché sans honte dans ces rues où toutes les femmes pécheresses gardaient leur douleur.
Et dans les ténèbres de ta pauvre vie, pour être ingrate, plus jamais tu ne trouveras quelqu’un pour te rendre avec un baiser d’affection la lumière de l’espoir qui s’est déjà éteinte.

Mañanitas De Montmartre – Couverture de la revue La Canción Moderna du 16 juillet 1928.

Autres enregistrements

Ce titre n’a pas été beaucoup enregistré, mais on trouve quelques versions intéressantes :

Mañanitas de Montmartre (Mañanita de Montmartre) 1928 – Lucio Demare y su Orquesta Típica Argentina.

Superbe version. Elle est généralement attribuée au Trío Argentino, Agustín Irusta (ténor), Roberto Fugazot (ténor) et Lucio Demare (pianiste), mais comme vous pouvez l’entendre, c’est une version instrumentale et il me semble qu’il faut donc l’attribuer à l’Orquesta Típica Argentina, celui qui a travaillé en Espagne (Notamment à Barcelone de 1928 à 1935) et dont le noyau était effectivement le trio des deux chanteurs et du pianiste envoyé par Canaro pour diffuser la musique argentine en Espagne.

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Mañanitas de Montmartre 1930 – Lucio Demare (piano).

Version instrumentale par le compositeur.

Mañanitas de Montmartre 1930 – Agustín Irusta accomp. Lucio Demare (piano).

Agustín Irusta est accompagné au piano par Lucio Demare pour cet autre enregistrement. C’est le dernier de la série enregistrée par Demare en Espagne. On dirait une version enregistrée de façon amateur.

No nos veremos más – Mañanitas de Montmartre 1952-06-18 – Lucio Demare (piano).

Lucio Demare encore au piano avec « No nos veremos más » la valse que nous avons présentée le 11 février dans le cadre des Anecdotas de Tango

Mañanitas de Montmartre 1968-07-30 – Lucio Demare (piano).

Toujours Lucio Demare et encore au piano.

Mañanitas de Montmartre 1970-04-14 – Orquesta Aníbal Troilo.
Mañanitas de Montmartre 1972-08-18 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Raúl Garello.

Cet enregistrement a été effectué lors d’un concert organisé par la SADAIC (la SACEM argentine). On reconnaîtra l’ orchestration et les arrangements effectués par Raúl Garello qui ont assez profondément modifié le caractère de l’œuvre.

La version de Canaro est relativement archaïque, de style canyengue, mais c’est la seule qui peut se prêter à la danse.

Lucio Demare est un pianiste et un des rares compositeurs à avoir enregistré beaucoup de tangos au piano. Ce pianiste égaré dans les rues sous l’aube pâle de Montmartre est sans aucun doute Lucio Demare. Il joue du piano debout…