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El amor hace fruncir…

El amor hace fruncir 1930-09-10 — Orquesta Edgardo Donato


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J. C. Cupeiro

« El amor hace frun­cir », l’amour fait fron­cer les sour­cils, quel pro­gramme ! En général, le fron­ce­ment des sour­cils mar­que la colère, la frus­tra­tion et à min­i­ma une gêne ou une émo­tion désagréable. Il est donc fort prob­a­ble que notre auteur, J. C. Cupeiro, ait écrit sous le coup d’une expéri­ence désagréable.
Quoi qu’il en soit Dona­to a décidé d’enregistrer ce titre et cela nous donne l’occasion de l’écouter, sans fron­cer les sour­cils.

Extrait musical

El amor hace frun­cir 1930-09-10 — Orques­ta Edgar­do Dona­to

Ce thème est à la lim­ite du canyengue. Les pas sont appuyés. De petites répons­es, qua­si humoris­tiques, notam­ment au piano, don­nent un peu de légèreté. Les vio­lons se démar­quent pro­gres­sive­ment pour ren­dre plus douce la musique dans la sec­onde par­tie. On pour­rait dire que, si les sour­cils sont très fron­cés au début, l’amour fini par avoir le dessus et que, finale­ment, les choses s’arrangent. On notera aus­si les ban­donéons agiles de Juan Tur­turiel­lo, Vicente Vilar­di et Miguel Bonano.
Puisque j’y suis, je ter­mine la liste des musi­ciens. Edgar­do Dona­to dirige et joue du vio­lon avec les vio­lonistes Arman­do Pio­vani et Pas­cual Martínez.
On retrou­ve pour les par­ties restantes deux frères d’Edgardo, Osval­do au piano et Ascanio au vio­lon­celle et José Campe­si à la con­tre­basse.

En savoir plus

On aurait bien aimé en savoir plus, mais ce titre sem­ble recéler plusieurs mys­tères.

Il s’agit vraisemblablement de la seule version enregistrée de ce thème

Je n’ai pas trou­vé trace d’autre inter­pré­ta­tion enreg­istrée de ce titre. L’interprétation de Dona­to est intéres­sante, avec la pro­gres­sion évo­quée dans le chapitre sur l’écoute. En l’absence d’autres enreg­istrements et même d’autres œuvres de ce com­pos­i­teur, il est dif­fi­cile de dire si c’est l’orchestration de Dona­to ou la com­po­si­tion qui est à l’origine de cet effet.

De plus, Dona­to n’a pas enreg­istré d’autre titre le même jour. C’est donc un thème com­plète­ment orphe­lin.

On notera toute­fois qu’il a cer­taine­ment eu un brin de suc­cès, car il a été dif­fusé à Radio Fécamp le lun­di 6 novem­bre 1933 entre 17 h et 17 h 30, comme en témoigne cette annonce du pro­gramme dans « The Wire­less World » du 3 novem­bre 1933.

Orches­tral Con­cert for Chich­ester and Bogn­or Lis­ten­ers: Sig­na­ture Tune. The Night by the Sea; Poor But­ter­fly (de Phillip­pi); Vio­lin Solo, Sou­venir (Drd­la); Selec­tion from Count­ess Mar­it­sa (Kálmán); Stop the Sun- atop the Moon (Robin­son); Beau­ti­ful (Gille­spie); El amor hace frun­cir (Cupeiro); Ileartae­hes (Klen­ner); The Way to the Heart (Lincke).

Il sem­blerait donc que ce soir-là, Radio Fécamp a dif­fusé un pro­gramme d’orchestre.

On remar­que que cette dif­fu­sion est dédi­cacée aux audi­teurs de Chich­ester et Bogn­or. On pour­rait s’étonner qu’une radio française ait une atten­tion pour des audi­teurs anglais. Pour le com­pren­dre, il faut tenir compte de plusieurs points :

  • Le West Sus­sex est juste en face de Fécamp. On peut donc con­sid­ér­er que les rela­tions entre les deux sites étaient courantes, d’autant plus que l’on pou­vait acheter en France des excur­sions fer­rovi­aires pour ces villes à par­tir de Newhaven, Brighton et Portsmouth. Si aujourd’hui les con­nex­ions mar­itimes sont très réduites par rap­port à l’époque, il reste tout de même Le Havre — Portsmouth qui est tou­jours active. On se sou­vien­dra égale­ment que les deux rives de la Manche étaient des lieux de vil­lé­gia­tures très prisés.
  • Les Ondes cour­tes (Radio Fécamp émet­tait sur 225,9 m / 1327 kHz avec une puis­sance de 0,7 kW en 1933) se reflè­tent sur l’ionosphère et peu­vent faire le tour de la Terre. La puis­sance de Radio Fécamp était suff­isante pour qu’elle soit cap­tée à très longue dis­tance. De fait, le pro­gramme de Radio Fécamp était émis tan­tôt en français et tan­tôt en anglais.
  • Si le fon­da­teur de Radio Fécamp était Français (André Fer­nand Eugène Alexan­dre Le Grand), deux admin­is­tra­teurs anglais y ont été asso­ciés (même s’ils ont quit­té la radio en 1932, l’année précé­dente).

Les paroles sont indisponibles, si jamais elles ont existé

Cela nous aurait aidés à être sûrs du sens du tan­go, mais ce n’est pas essen­tiel, d’autant plus que, comme nous l’avons sou­vent vu, les paroles ne sont pas tou­jours en adéqua­tion avec le titre de la musique.

L’auteur, J. C. Cupeiro, est peu connu et il semblerait que ce soit son seul tango enregistré.

Le nom, Cupeiro, est d’origine espag­nole, ini­tiale­ment issu du vil­lage de Cupeiro en Gal­ice.

Il y a eu un Jorge Cupeiro, coureur auto­mo­bile, né en 1937 à Buenos Aires (quarti­er de Reco­le­ta). Il est ten­tant d’y voir le fils de l’auteur. On notera d’ailleurs que le coureur était surnom­mé « El Gal­lego », ce qui con­firme des racines espag­noles gali­ci­ennes, rel­a­tive­ment fraich­es.

Le patronyme Cupeiro est courant en Espagne et en Argen­tine.

Répartition du patronyme Cupeiro dans le Monde avec détail Espagne et Argentine. Source https://forebears.io/es/surnames/cupeiro#place-tab-2014
Répar­ti­tion du patronyme Cupeiro dans le Monde avec détail Espagne et Argen­tine. Source https://forebears.io/es/surnames/cupeiro#place-tab-2014

Comme on peut le voir sur le site forebears.io https://forebears.io/es/surnames/cupeiro, ce nom d’origine gali­ci­enne est surtout répan­du en Espagne et Argen­tine (don­nées de 2014) ; quand on regarde les détails, on se rend compte que c’est en Espagne, notam­ment en Corogne et Lugo (Gali­cie) et en Argen­tine, dans la Province de Buenos Aires.

On remar­quera que la répar­ti­tion des Cupeiro est sen­si­ble­ment la même que celle des Gali­ciens exilés qui furent entre 1850 et 1960 plus de deux mil­lions à s’exiler vers, prin­ci­pale­ment, les Amériques.

Dans cette carte représentant l'émigration galicienne, on remarque la correspondance avec l'émigration des Cupeiro. L'Argentine a attiré les Cupeiro, mais aussi les Galiciens, en général.
Dans cette carte représen­tant l’émi­gra­tion gali­ci­enne, on remar­que la cor­re­spon­dance avec l’émi­gra­tion des Cupeiro. L’Ar­gen­tine a attiré les Cupeiro, mais aus­si les Gali­ciens, en général.

On notera qu’un Cupeiro s’est intéressé au phénomène de l’émigration gali­ci­enne en Out­remer et notam­ment en Argen­tine. Il s’agit de Bieito Cupeiro Vázquez, né en Corogne (Gal­ice) en 1914. Il a écrit un traité « A Gal­iza de alén mar » (De Gal­ice à Out­remer).

Comme d’autres Cupeiro, Bieito a fait le voy­age à Buenos Aires (en 1936) où il est entré à la « Fed­eración de Sociedades Gal­le­gas, Agrarias y Cul­tur­ales », actuelle « Fed­eración de Aso­cia­ciones Gal­le­gas ». Il devien­dra égale­ment le prési­dent de la fra­ter­nité gali­ci­enne (Irman­dade Gale­ga). Ce Gal­lego sem­ble donc bien légitime pour avoir écrit sur le sujet…

Cupeiro Vázquez, Bieito, 1989. A Galiza de alén mar, Sada-Ediciós do Castro.
Cupeiro Vázquez, Bieito, 1989. A Gal­iza de alén mar, Sada-Edi­ciós do Cas­tro.
Recensement électoral des Galiciens en Argentine selon leur province d'inscription (selon l'Instituto Nacional de Estadística).
Recense­ment élec­toral des Gali­ciens en Argen­tine selon leur province d’in­scrip­tion (selon l’In­sti­tu­to Nacional de Estadís­ti­ca).

Les délices de la Galice

Un des plus agréables témoins de la venue des Gali­ciens à Buenos Aires, est la belle Casa de Gali­cia où a lieu deux fois par semaine, la mer­veilleuse milon­ga Nue­vo Chique organ­isée par Marcela Pazos et musi­cal­isée par Daniel Borel­li, sans oubli­er l’adorable serveuse, Vicky Pan­tanali

Nuevo Clique, la milonga del corazón. https://www.facebook.com/nuevochique.milongadelcorazon?locale=es_LA
Nue­vo Clique, la milon­ga del corazón.

À bien­tôt, les amis ! Peut-être à Nue­vo Chique ?

No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce

“No te cas­es” (ne te marie pas), c’est le con­seil don­né par ce tan­go com­posé par Dona­to avec des paroles de Car­los Pesce. Ceux qui nous con­nais­sent savent que nous n’allons pas suiv­re cette direc­tive. Cepen­dant, les com­plex­ités de l’administration argen­tine font que nous avons fail­li baiss­er les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était con­fir­mé après deux mois de bagarre et deux reports de date.

Extrait musical

Disque Vic­tor 38092. No te cas­es est sur la face A.
No te cas­es 1937-01-23 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Le motif sym­pa­thique des ban­donéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comp­tine enfan­tine. Se suc­cè­dent ensuite des suc­ces­sions de pas­sages ordon­nés et d’autres plus trou­blés, comme s’il y avait un débat con­tra­dic­toire pesant le pour et le con­tre.
À 59 sec­on­des com­mence la chan­son. Lagos chante le refrain avec quelques répliques par­lées par un inter­venant non iden­ti­fié qui joue le rôle du futur mar­ié.
Est-ce Dona­to ? Ce n’est pas impos­si­ble. Canaro effectue sou­vent, ce type d’interventions.

Paroles

¡No te cas­es! ¿A qué val­or ?
Seguí nomás así, que sos un gran señor.
¡No te cas­es! ¿Que vas hac­er? ¡que peli­grá! Ya vas a entrar
¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá!
Gor­do y feliz como un sultán Pobre de vos
¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí…
Sin com­pli­carme con la exis­ten­cia
Si es un plac­er lle­gar a fin de mes.
Edgar­do Dona­to Letra: Car­los Pesce

En rouge, les répliques de l’intéressé.

Traduction libre

Ne te marie pas ! À quelle valeur ?
Con­tin­ue comme ça, tu es un grand seigneur.
Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel dan­ger ! Tu vas com­pren­dre.
Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira !
Gros et heureux comme un sul­tan, Pau­vre de toi
Me mari­er, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ain­si. Et si…
Sans me com­pli­quer l’ex­is­tence
Si c’est un plaisir de join­dre les deux bouts. (arriv­er à la fin du mois)

Le futur mar­ié qui inter­vient en réponse, pense que son copain va finale­ment se mari­er, même s’il donne le con­seil con­traire.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de ce titre, mais…

Libo­rio no te cas­es 1931-04-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

Un fox­trot adressé à un cer­tain Libo­rio qui lui donne les mêmes con­seils. Rap­pelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aus­si un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tan­go et jazz.
Le Libo­rio en ques­tion pour­rait être Argenti­no Libo­rio Galván (18 ans au moment de cet enreg­istrement, ou le com­pos­i­teur moins con­nu, Augus­to Libo­rio Fis­tol­era Mallié (32 ans au moment de cet enreg­istrement). Il peut s’agir égale­ment d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduar­do Armani et René Cóspi­to (musique), Alfre­do Enrique Bertonasco et Domin­go L. Mar­tignone (paroles). Le L. de Mar­tignone est pour “Luis”, pas Libo­rio…

No te cas­es 1937-01-23 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est notre tan­go du jour.
Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor y coro.

Encore Canaro, qui ne voulait pas vrai­ment se mari­er avec Ada Fal­cón, ou plutôt, qui craig­nait de divorcer de la Française, sa ter­ri­ble épouse… On peut donc imag­in­er qu’il se lance le con­seil, avec un peu de retard à tra­vers cette jolie valse com­posée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabi­no avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.

17 février 2025

Ce n’est pas un événe­ment dans l’histoire du tan­go, mais, ce jour, Vic­to­ria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boe­do). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comu­nal 5 ou en visio…
Ce bâti­ment est le pre­mier de ce type à Buenos Aires. Il mar­que une volon­té de redonner une empreinte verte à la ville.

Le Sede comu­nal 5 (boe­do) avec son mur végé­tal­isé. À droite, la struc­ture des anciens entre­pôts Tata a été con­servée et util­isée pour fournir de l’ombre dans le parc.
La ter­rasse végé­tal­isée et le sys­tème de col­lecte de l’eau pour l’ar­rosage du parc adja­cent.
L’en­trée du Sede comu­nal 5 et le parc.

Notre lieu de mariage est un petit coin de ver­dure dans la grande ville, à deux pas de notre mai­son (deux pas ou plutôt 200 mètres).
Et pour les curieux d’histoire, ce lieu char­mant est le fruit de la lutte des habi­tants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entre­pôts de la com­pag­nie Tata.

Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vrai­ment plus sym­pa main­tenant.
Les habi­tants man­i­fes­tant pour obtenir la place et faire obsta­cle aux pro­jets indus­triels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boe­do, à l’angle de Inde­pen­den­cia.

Nous ne suiv­rons donc pas les con­seils de nos pré­cieux aînés…

À bien­tôt les amis !

Lors de notre dernier pas­sage en France pour le fes­ti­val Niort Tan­go (10/2024). Ici, à La Rochelle.

La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio

Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar

La Shun­ca est la cadette d’une famille. C’est égale­ment une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse plan­er un petit sous-enten­du. Entrons dans la valse et lais­sons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous men­er assez loin des rives de l’Argentine.

Qui est la Shunca ?

Comme nous l’avons vu, la Shun­ca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peu­ple d’Amérique cen­trale et plus pré­cisé­ment du Mex­ique (région de Mex­i­co), bien loin de l’Argentine. Cela pour­rait paraître éton­nant, mais vous vous sou­vien­drez que nous avons sou­vent mis en valeur les liens entre le Mex­ique et l’Argentine dans d’autres anec­dotes et que les musi­ciens voy­ageaient beau­coup, pour enreg­istr­er dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur car­rière.
Les deux auteurs, Loren­zo Barce­la­ta et Ernesto Cortázar, sont mex­i­cains. Par ailleurs, on con­naît l’engouement des Mex­i­cains pour la valse jouée par les mari­achis et que même Luis Mar­i­ano chan­ta avec son titre, « La valse mex­i­caine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shun­ca dans le réper­toire du tan­go argentin. Nous avons d’autres exem­ples, comme la Zan­dun­ga. Nous ver­rons que ce n’est pas un hasard…

Extrait musical

La Shun­ca 1941-01-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.

La valse est instau­rée dès le début avec un rythme soutenu, alter­nant des pas­sages légatos et stac­catos. À 42s arrivent l’air prin­ci­pal. À 1:05 Romeo Gavi­o­li com­mence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Hora­cio Lagos se lance à son tour pour for­mer un trio avec les deux autres chanteurs. Comme sou­vent, la fin tonique est con­sti­tuée de dou­bles-croches qui don­nent une impres­sion de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.

Des duos et trios à gogo

Dona­to a aimé utilis­er des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs iden­ti­fiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio.
Trios Hora­cio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavi­o­li :
Estrel­li­ta mía, La Shun­ca, Luna, Volverás….pero cuán­do (valses)
Sin­fonía de arra­bal (tan­go).
Trios+ Hora­cio Lagos, Lita Morales avec chœur :
Mañana será la mía (valse).
No se haga mala san­gre (pol­ka).
Trio+ Félix Gutiér­rez, Luis Díaz avec chœur :
La Nove­na (tan­go)
Duos Hora­cio Lagos, Lita Morales :
Car­naval de mi bar­rio, Cha­pale­an­do bar­ro, Sins­a­bor, Som­bra gaucha (tan­gos)
Duos Romeo Gavi­o­li, Lita Morales :
Mi ser­e­na­ta, Yo te amo (tan­gos).
Duos Gavi­o­li, Hora­cio Lagos :
Aman­do en silen­cio, Lon­ja­zos (tan­gos)
Noches cor­renti­nas (valse)
Repique del corazón, Sen­tir del corazón (milon­gas).
Duos Anto­nio Mai­da, Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani) :
Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachue­lo, Ruego, Una luz en tus ojos (tan­gos).
Duos Hora­cio Lagos, Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani) :
Si tú supieras, Te gané de mano (tan­gos).
Cara negra, Sacale pun­ta (milon­gas)
Duos Hugo del Car­ril et Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani) :
Rosa, poneme una ven­tosa (tan­go)
Mi more­na (paso doble)
Duo Daniel Adamo et Jorge Denis :
El lecher­i­to (milon­ga)
Duo avec Teó­fi­lo Ibáñez :
Madre Patria (paso doble)
Duo Rober­to Morel y Raúl Ángeló :
T.B.C. (tan­go)
Duo+ Anto­nio Mai­da avec chœur :
Sandía cal­a­da (ranchera)
Duo+ Car­los Viván avec chœur :
Mamá (tan­go)
Duos+ Félix Gutiér­rez avec chœur :
La nove­na, Que Haces! Que Haces! (tan­go)
Duos+ Hora­cio Lagos avec chœur :
Hacete car­tel, Hay que aco­modarse (tan­gos)
Vir­genci­ta (valse)
Pier­rot apa­sion­a­do (marche brésili­enne)
Duo+ Juan Alessio avec chœur :
Hola!… Qué tal?… (tan­go)
Duo+ Lita Morales avec chœur :
Triqui-trá (tan­go)
Duos Luis Díaz avec chœur :
Chau chau, Sev­eri­no, El once glo­rioso, Felici­ta­me her­mano (tan­gos)
Can­dom­bian­do (max­ixe)
Ma qui fu (tar­entelle)
Ño Agenor (ranchera)

C’est un beau record.

Paroles

La luna se ve de noche,
El sol al amanecer,
Hay quienes por ver la luna
Otra cosi­ta no quieren ver.

Me dicen que soy boni­ta,
Quién sabe porque será,
Si alguno tiene la cul­pa
Que le pre­gun­ten a mi papá.

Shun­ca para acá, Shun­ca para allá,
¡Ay!, las olas que vienen y van,
Shun­ca para acá, Shun­ca para allá,
¡Ay!, car­iño me vas a matar.
Loren­zo Barce­la­ta Letra: Ernesto Cortázar

Traduction libre et indications

La lune se voit la nuit,
Le soleil à l’aube,
Il y a cer­tains qui voient la lune
Une autre petite chose, ils ne veu­lent pas la voir.

Ils me dis­ent que je suis jolie
Qui sait pourquoi c’est le cas,
Si quelqu’un en a la faute
Deman­dez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shun­ca)

Shun­ca par ci, Shun­ca par-là,
Oh, les vagues qui vont et vien­nent,
Shun­ca par ici, Shun­ca par-là,
Oh, chéri, tu vas me tuer.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement argentin de ce titre, je vous pro­pose donc de com­pléter avec des ver­sions mex­i­caines…

La Shun­ca 1941-01-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.
La Shun­ca 1938 – Las Her­manas Padil­la con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shun­ca par Las Her­manas Padil­la avec Los Costeños. On notera la men­tion “Can­ción Tehua­na” et le nom de Loren­zo Barce­la­ta.
La Shun­ca 1998 — Marim­ba Her­manos Moreno Gar­cía. C’est une ver­sion récente, mex­i­caine.

Shunca et Zandunga, hasard ?

Ben, non. La Zan­dun­ga est un air espag­nol orig­i­naire d’Andalousie (jaleo andaluz) qui est devenu l’hymne de l’Isthme de Tehuan­te­pec que nous avons déjà évo­qué à pro­pos de Tehua­na.

En 1937, le réal­isa­teur Fer­nan­do de Fuentes réal­isa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle prin­ci­pal. Elle y chante La Shun­ca.
La Zan­dun­ga a été arrangée par divers auteurs comme Loren­zo Barce­la­ta et Max Urban (pour le film), Andres Gutier­rez, A. Del Valle, Guiller­mo Posadas ou Máx­i­mo Ramó Ortiz.
La Shun­ca attribuée à Loren­zo Barce­la­ta et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.

La zan­dun­ga 1939-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.

Dans ces extraits du film La Zan­dun­ga, vous pour­rez enten­dre pre­mière­ment, La Shun­ca, puis voir danser la Zan­dun­ga. J’ai ajouté le générique du début où vous pour­rez de nou­veau enten­dre la Zan­dun­ga.

3 extraits de la Zan­dun­ga 1937 du réal­isa­teur Fer­nan­do de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle prin­ci­pal. Elle y chante la Shun­ca.

Je pense que vous avez décou­vert le chemin emprun­té par ce titre. Loren­zo Barce­la­ta a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la dif­fu­sion du film et des dis­ques, l’air est arrivé en Argen­tine où Dona­to a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exem­ple de pont, ici entre le Mex­ique et l’Argentine.

À bien­tôt les amis !

Sin un adiós 1931-12-24 — Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez

J. Navarrete Letra: Francisco Antonio Lío

Je ne veux pas vous faire pass­er un amer Noël, mais, curieuse­ment, les tan­gos enreg­istrés le 24 décem­bre ne sont pas d’une grande gai­eté. J’ai choisi un des moins dés­espérants, Sin un adiós que Dona­to et Ibáñez enreg­istrèrent la veille de Noël 1931.

Extrait musical

Sin un adiós 1931-12-24 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Teó­fi­lo Ibáñez.

Ce titre est assez orig­i­nal à cause du solo de piano de son frère, Osval­do. Le jeu est un peu jazzy. Vous pou­vez l’entendre à par­tir de 35 sec­on­des. C’est la par­tie B.
À 1’10″ la reprise de la par­tie A est presque un soulage­ment de retrou­ver une orches­tra­tion plus habituelle, pour les danseurs.
La reprise de la par­tie B sera effec­tuée par Teó­fi­lo Ibáñez, qui restera accom­pa­g­né par tout l’orchestre, mar­quant le rythme.
Je reviens sur ce sur­prenant solo de piano. Est-ce que Edgar­do a voulu faire une fleur à son frère en cette veille de Noël ? Seize ans plus tard, Osval­do créera son pro­pre orchestre en embar­quant les musi­ciens de son frère, dont il avait quit­té le poste de pianiste l’année précé­dente. Osval­do (pianiste) et Ascanio (vio­lon­cel­liste) sont plus dis­crets que leur frère Edgar­do (vio­loniste). Ce solo de piano per­met de met­tre Osval­do en lumière, une trentaine de sec­on­des.

Paroles

Errante voy sin fe y sin esper­an­za
Bus­can­do aliv­io a mi dolor
Con su visión se pierde en lon­tanan­za
Y muer­ta está, en mi alma, la ilusión.

Ya no volveré a ver­la más, ni alcan­zan
Todas mis cuitas y mi pasión
Se marchó y llo­ran­do su tar­dan­za
Aún está mi pobre corazón.
J. Navar­rete Letra: Fran­cis­co Anto­nio Lío

Traduction libre

Errant, je vais sans foi et sans espoir, cher­chant un soulage­ment à ma douleur.
Avec sa vision qui se perd dans le loin­tain et morte est dans mon âme, l’il­lu­sion (sen­ti­ment amoureux).
Je ne la rever­rai jamais, et tous mes désirs et ma pas­sion n’y arriveront pas.
Elle est par­tie et pleu­rant son retard, tou­jours est mon pau­vre cœur.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre ver­sion de ce thème, même si le titre a été util­isé à de très nom­breuses repris­es, en tan­go et dans d’autres rythmes, mais ce sont des créa­tions d’autres auteurs.
Je vous pro­pose donc un par­cours musi­cal autour des titres enreg­istrés par Dona­to et dans lesquels il y a le mot “adiós”.

Adiós a Gardel 1936-10-07 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Sur le disque, il est indiqué que c’est un Cor­ri­do. Je n’en suis pas totale­ment con­va­in­cu. Quoi qu’il en soit, Hora­cio Lagos chante le refrain com­posé et écrit par Rafael Hernán­dez en l’honneur de Gardel, mort en 1935.

Adiós mujer 1929-09-19 — Orques­ta Dona­to-Zer­ril­lo.

Les ama­teurs de vieux tan­gos appré­cient l’association de Edgar­do Dona­to et Rober­to Zer­ril­lo. Comme c’est Noël, je leur offre cet enreg­istrement…

El adiós 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Je n’étais pas très ent­hou­si­aste avec les autres titres pro­posés, mais là, on est devant un chef‑d’œuvre. Alors, quoi de mieux pour vous dire à bien­tôt, les amis, et Joyeux Noël !

Sin un adiós. Petit délire de sai­son (même s’il fait trente degrés à Buenos Aires). Espérons que le Père Noël retrou­vera sa Mère Noël et qu’il vous déposera plein de cadeaux mérités au pied de votre arboli­to de navi­dad.

Sentir del corazón 1940-12-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio

Benito R. Atella (musique et paroles)

Ceux qui me con­nais­sent comme DJ, savent que, quand les danseurs le peu­vent, j’aime pass­er des milon­gas dynamiques et joueuses. Sen­tir del corazón est l’une de ces milon­gas qui peu­vent faire naître des sourires aux lèvres. Pour­tant, l’histoire qu’elle con­te n’est pas si allè­gre.

Extrait musical

Sen­tir del corazón 1940-12-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Romeo Gavio.

Dona­to a aimé avoir des duos, voire des trios de chanteurs. Cette milon­ga exploite par­faite­ment le Duo Lagos et Gavi­o­li. L’ensemble est mené avec allé­gresse jusqu’au final qui se ter­mine de façon ferme, presque abrupte, ajoutant au plaisir des danseurs qui peu­vent la savour­er jusqu’à la dernière note.

Paroles

Milon­ga de mi Argenti­na
de aquel tiem­po colo­nial
Desnu­da está la div­ina
musiq­ui­ta de arra­bal

Y que en las noches de far­ra
más de un gau­cho fed­er­al
tam­bién vol­có en su gui­tar­ra
tu can­ción sen­ti­men­tal.

Si fuiste por tus com­pas­es
Milon­ga sen­ti­men­tal
Tren­záronse grandes ases
de mi típi­co arra­bal
Bur­loni­ta y com­padrona
el paisano en su can­ción
Entona con voz dul­zona
el sen­tir del corazón
Ben­i­to R. Atel­la

Traduction libre des paroles

Milon­ga de mon Argen­tine, de cette époque colo­niale. Nue est la divine petite musique des faubourgs.
Et que, dans les soirs de fête, plus d’un gau­cho fédéral a égale­ment ver­sé dans sa gui­tare, ta chan­son sen­ti­men­tale.
Si tu fus par tes rythmes, milon­ga sen­ti­men­tale, tres­sant les grands as de mon faubourg typ­ique, moqueuse et com­pagnonne, le paysan dans sa chan­son, entonne de sa voix douce, le sen­ti­ment du cœur.

Autres versions

Petite mois­son pour cette belle milon­ga. La ver­sion de Dona­to qui est celle du jour et deux enreg­istrements par Miguel Vil­las­boas, l’Uruguayen.

Sen­tir del corazón 1940-12-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Romeo Gavio. C’est notre milon­ga du jour.
El sen­tir del corazón 1960 — Miguel Vil­las­boas y su Quin­te­to Bra­vo del 900.

Cette ver­sion instru­men­tale est sym­pa­thique, mais peut-être un peu trop calme pour les ama­teurs de milon­ga, ou pas, car elle com­porte des petites sub­til­ités qui peu­vent don­ner matière à jeu. On notera que son titre a été com­plété par le déter­mi­nant “El” (Le).

El sen­tir del corazón 1998 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Une autre ver­sion instru­men­tale de Vil­las­boas (avec égale­ment le El au début du titre), un peu plus tran­quille que celle de Dona­to et qui peut être servie aux danseurs.

Vous avez donc le choix de trois ver­sions avec des car­ac­tères légère­ment dif­férents, mais toutes sont accept­a­bles, au moins dans cer­taines milon­gas où il y a des danseurs de milon­gas.

Gauchos federales y gauchos matreros

L’indication du temps colo­nial et la men­tion du gau­cho fed­er­al, évo­quent l’histoire de Mar­tin Fier­ro (livres de José Rafael Hernán­dez). Ce gau­cho enrôlé de force dans la guerre de con­quête con­tre les Indi­ens (gau­cho fed­er­al) et qui, méprisé par les mil­i­taires, finit par désert­er et se trans­former en gau­cho matrero (hors-la-loi), lorsqu’il se rend compte que son ranch et sa famille ne sont plus.
Il se rend chez les Indi­ens et revient en ter­ri­toire colonisé (La vuelta de Mar­tin Fier­ro).

Auguste Mon­voisin. Un Gau­cho fed­er­al, un des “sol­dats” de Rosas pour sa cam­pagne de coloni­sa­tion con­tre les Indi­ens 1842.

Le gau­cho fed­er­al était tout le jour à cheval, même si cette pein­ture de Ray­mond Auguste Mon­voisin, un pein­tre français, le mon­tre plutôt à la mode ori­en­tal­iste. Sans le mate, on pour­rait penser que la scène se passe en Afrique du Nord…
Il porte la chemise de laine rouge, habituelle chez ces sol­dats.

Gabriel Biessy. La mort du gau­cho Matrero de Gabriel Biessy 1886.

Les gau­chos rebelles sont chas­sés par les autorités et cer­tains ter­mi­nent mal, comme, Juan Mor­eira. La pein­ture de Gabriel Biessy, un autre pein­tre français, dévoile la mort d’un des autres gau­chos hors-la-loi.
Ces gau­chos, même si leurs mœurs étaient assez rudes n’étaient pas à pro­pre­ment par­ler des brig­ands, mais des cav­a­liers arrachés à leur ranch pour aller en guerre et qui se sont rebel­lé con­tre ce qu’on leur fai­sait faire. Mar­tin Fier­ro, le gau­cho emblé­ma­tique de l’œuvre de José Hernán­dez est devenu un sym­bole de la con­struc­tion de l’Argentine qui s’est con­stru­ite en sup­p­ri­mant ceux qui l’occupaient avant, les peu­ples pre­miers (Indi­ens) et les gau­chos, qui auraient volon­tiers con­tin­ué de vivre de la même façon sans être oblig­és d’aller tuer des Indi­ens.
Par­don, les amis, d’avoir mis un peu de tristesse. La prochaine fois que vous danserez cette milon­ga, peut-être offrirez-vous un peu de vos pen­sées à tous ces êtres détru­its par les guer­res.
À bien­tôt !

Una vez 1946-11-08 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo

Nous avons vu le 9 août un tan­go du même titre Una vez inter­prété par la Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigée par Mario Mau­ra­no avec le chant de Orte­ga Del Cer­ro. La ver­sion du jour est celle com­posée par Osval­do Pugliese et n’a donc rien à voir avec celle de Car­los Mar­cuc­ci. Je vous pro­pose d’en savoir un peu plus sur cette œuvre roman­tique et mag­nifique.

Extrait musical

Una vez 1946-11-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán (Osval­do Pugliese Letra : Cátu­lo Castil­lo).
Par­ti­tion de Una vez de Osval­do Pugliese et Cátu­lo Castil­lo. Alfre­do Gob­bi est en pho­to avec son vio­lon en haut à gauche et en bas à droite, le sourire de Mar­i­ano Mores.

Un pre­mier appel est lancé par les ban­donéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapi­de­ment, les cordes passent en pizzi­cati et Morán lance sa voix charmeuse et cares­sante. On retrou­ve donc un peu le principe de la ver­sion de Mar­cuc­ci avec la voix en con­tre­point avec les cordes. L’harmonie est cepen­dant plus tra­vail­lée, avec un enchevêtrement des par­ties plus com­plexe. Le soliste laisse par­fois la place aux instru­ments qui don­nent le motif avec leur voix pro­pre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tan­gos de danse. On pour­rait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont telle­ment habitués à ce type de com­po­si­tion qu’ils seraient bien frus­trés si le DJ se les inter­di­s­ait.

Paroles

Una vez fue su amor que llamó
y después sobre el abis­mo rodó,
la que amé más que a mí mis­mo fue.
Luz de su mira­da, siem­pre, siem­pre hela­da.
Sabor de sins­a­bor, mi amor,
amor que no era nada.
Pequeñez de su burla mor­daz,
una vez, sólo en la vida, una vez.

Pudo lla­marse Renée
o aca­so fuera Manón,
ya no me impor­ta quien fue,
Manón o Renée, si la olvidé…
Muchas lle­garon a mí,
pero pasaron igual,
un mal quer­er me hizo así,
gané en el perder, ya no creí.

Luz lejana y mansa
que ya no me alcan­za.
Mi voz gritó ayer,
hoy, amor, sin esper­an­za.
Una vez, fue su espina tenaz
una vez, sólo en la vida, una vez.
Osval­do Pugliese Letra : Cátu­lo Castil­lo

Traduction libre

Une fois, c’é­tait son amour qui m’ap­pelait puis vagabondait au-dessus de l’abîme, celle que j’aimais plus que moi-même.
La lumière de son regard, tou­jours, tou­jours glaciale.
Le goût sans goût, mon amour, amour qui n’é­tait rien.
La petitesse de sa moquerie mor­dante, une fois, seule­ment dans la vie, une fois.
Elle aurait pu s’ap­pel­er Renée ou peut-être que c’é­tait Manón, je m’en moque de qui c’é­tait, Manón ou Renée, si je l’ai oubliée…
Beau­coup sont venues à moi, mais elles sont passés égale­ment, un mau­vais amour m’a fait comme ça, j’ai gag­né en per­dant, je n’y croy­ais plus.
Lumière loin­taine et douce qui ne m’atteint plus.
Ma voix a crié hier, aujour­d’hui, amour, sans espoir.
Une fois, ce fut son aigu­il­lon tenace une fois, seule­ment dans la vie, une fois.

Autres versions

Con­traire­ment à la ver­sion de Car­los Mar­cuc­ci, il y a divers enreg­istrements de ce titre com­posé par Pugliese avec des paroles de Castil­lo.

Una vez 1945 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Osval­do Morel.

Un an avant Pugliese, Dona­to pro­pose son enreg­istrement. Si on retrou­ve la puis­sance de la com­po­si­tion de l’antimufa, la voix de Morel a un peu de mal à con­va­in­cre, mal­gré son prénom d’Osvaldo. Le résul­tat n’est pas vilain, mais à mon avis, ce n’est pas trop per­ti­nent pour Dona­to d’avoir voulu met­tre à son réper­toire, ce titre qui s’éloigne trop de son style, style qu’il cher­chait à mod­erniser pour rat­trap­er l’évolution.

Una vez 1946-10-31 — Orques­ta Osmar Mader­na con Pedro Dáti­la.

Précé­dant de peu la ver­sion enreg­istrée par Pugliese, celle de Mader­na avec Pedro Dáti­la est intéres­sante. Le piano de Mader­na est plus déco­ratif que celui de Pugliese et la voix de Pedro Dáti­la est expres­sive, sans doute autant que celle de Alber­to Morán, si on peut préfér­er ce dernier, c’est peut-être aus­si, car sa voix nous est plus famil­ière. Même si on préfère la ver­sion de Pugliese, celle de Mader­na est tout à fait dansante, voire plus que celle de l’auteur de la musique.

Una vez 1946-11-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. C’est notre tan­go du jour.
Una vez 1964 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca con Luis Roca.

Sala­man­ca n’a pas la répu­ta­tion de faire de la musique pour la danse et cet enreg­istrement ne con­tredi­ra pas ce fait. Cela n’interdit pas d’aimer cette ver­sion et de détester le DJ qui vous la pro­poserait en bal 😉

Una vez 1968-05-31 — Alber­to Morán accom­pa­g­né par una Orques­ta dirigée par Arman­do Cupo.

Si Cupo a fait quelques enreg­istrements intéres­sants et que le chanteur, Morán, est le même que dans la ver­sion de Pugliese (24 ans plus tard), il est dif­fi­cile de s’enthousiasmer pour cette ver­sion.

Photos

Le fait que ce soit Mores et Gob­bi sur la par­ti­tion m’a don­né l’idée de vous pro­pos­er des pho­tos de Pugliese et de Castil­lo.

Pugliese, Pugliese, Pugliese, lancé par les artistes et tech­ni­ciens du spec­ta­cle pour con­jur­er le mau­vais sort. Pugliese, antim­u­fa…
Castil­lo, Castil­lo, Castil­lo, mais là, cela n’a aucun effet antim­u­fa (anti-poisse).

Chapaleando barro 1939-08-31 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Arturo Castillo Letra: Celedonio Esteban Flores

« Cha­pale­an­do bar­ro » éclabouss­er de boue est un titre très évo­ca­teur. Même si en Argen­tine la plu­part des vil­lages ont la majorité de leurs rues en terre, pierre ou sable, à Buenos Aires, le goudron a rem­placé la terre salis­sante, mais qui a vu des jeux d’enfants, enchan­tés de s’éclabousser de boue. Retroussez votre bas de pan­talon et par­tons à la recherche de ce Buenos Aires, embour­bé au fond de notre mémoire col­lec­tive.

Extrait musical

Cha­pale­an­do bar­ro 1939-08-31 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales.
On retrou­ve ce sym­pa­thique cou­ple, Hora­cio Lagos et Lita Morales, qui peut être lais­saient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Cha­pale­an­do bar­ro 1939-08-31 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales.

On retrou­ve ce sym­pa­thique cou­ple, Hora­cio Lagos et Lita Morales, qui peut être lais­saient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Paroles

Bar­rio de casas bajas
Por el lado de Pom­peya
Donde puso la mis­e­ria
Un broc­ha­zo de dolor
La pato­ta de pibes
Jue­ga al ran­go en el bar­ro
Y en la esquina, has­ta la masa un car­ro
Pelude­an­do, se quedó
Bar­rio viejo de gua­pos y milon­gas
Viejo bar­rio mis­ton­go, de arra­bal
Si me diera la caña, la vida
Qué papa sería, volverte a encon­trar
Yo conoz­co tu rante apología
La tris­teza infini­ta de un hog­ar
La angus­tiosa tris­teza de aquel ciego
Que el pobre Car­riego, lo hiciera inmor­tal.

Arturo Castil­lo Letra: Cele­do­nio Este­ban Flo­res

Traduction libre

Quarti­er de maisons bass­es
Du côté de Pom­peya (quarti­er du Sud de Buenos Aires)
Là où la mis­ère a mis
Une touche de douleur (broc­ha­zo, coup de brosse en pein­ture)
La bande des gamins
Jouer au ran­go (saute-mou­ton) dans la boue
Et dans le coin, jusqu’à la pâte un char­i­ot
Embour­bé, il est resté
Vieux quarti­er de Gua­pos et Milon­gas
Vieux quarti­er triste, de faubourg
S’il m’a don­né la verge, la vie
Quelle chance (la papa peut sig­ni­fi­er génial, comme en Buenos Aires es una papa) ce serait de vous ren­con­tr­er à nou­veau
Je con­nais votre apolo­gie vagabonde
La tristesse infinie d’un foy­er
La tristesse angois­sée de cet aveu­gle
Que le pau­vre Car­riego rendrait immortelle.

(Evaris­to Car­riego, poète argentin 1883–1912 qui fut con­sid­éré comme le poète des faubourgs et des gens hum­bles et de Paler­mo (même si pour ces paroles, on est à l’opposé de la ville, la mis­ère était la même, ces faubourgs n’étaient pas encore [avant 1912] le Paler­mo des touristes d’aujourd’hui…).

Celedonio Esteban Flores (El negro Cele)

Mort à 51 ans (1896–1947), il laisse une vaste pro­duc­tion de plus d’une cen­taine de tan­gos.

Par­mi ceux-ci, vous recon­naîtrez Mar­gotMano a manoMala entrañaViejo cocheEl bulín de la calle Ayacu­choViejo smok­ingPor qué can­to asíMale­vi­toCan­cheroCor­ri­entes y Esmer­al­daMucha­choSen­ten­ciaPobre gal­lo batarazSi se sal­va el pibe, La mari­posa et La musa mis­ton­ga

Celodonio Flo­res a égale­ment pub­lié deux recueils de poèmes : Cha­pale­an­do bar­ro (1929) et Cuan­do pasa el órgano (1935).
Ses tan­gos et ses poèmes le pla­cent comme l’un des plus grands écrivains de poésie lun­far­da (argot portègne).
Je vous pro­pose ici, la liste des poèmes de son livre de 1929, celui qui a le même nom que notre tan­go du jour (mais dans lequel les paroles de ce tan­go, ne sont pas présentes…).

Liste des poèmes de Chapaleando barro (1929)

Madre
Her­mani­ta Bue­na
Novia
Seño­ra
Musa Rea
La Musa Mis­ton­ga
Tan­go
Con­se­jos Reos

Motivos del suburbio

Bai­lon­go Arra­balero
La Muchacha fea
La Muchacha lin­da
Tardecita de Domin­go
Acuare­li­ta
El des­per­tar del sub­ur­bio
Cuan­do la tarde se inc!Jna
E l café de mi bar­rio
Canil­li­ta
EJ Per­ro Fla­co
Apronte
La Muerte de la Bacana
El Bagal­lo
El As de los Ases
Mimosa
Oro Viejo

Los de la barra

Batien­do un jus­to
Car­l­i­tos
Can­tor Bacán
Y aho­ra yo.
Gau­cho
Envio
A mi mucha­cho que se fué
Pun­to Alto
Ten­ga Mano Tal­lador
Acos­ta Viejo

Intimas

Mirá Viejo
Ded­i­ca­to­ria
Cuan­do llegue aquel da
Inti­ma
Mirá si soy bueno
Y que Dios la bendi­ga
Gor­riones
Si tuviera tiem­po
Bohemia
Pobre Gal­lo

De la mala vida

Ten­go miedo
Ingen­u­a­mente
Mano a Mano
Sen­ten­cia
Car­ta Bra­va
El Tal­la
Imitación
El Aliv­io
El Guapo
Nun­ca es tarde
Mala Entraña
Mishiadu­ra
Mar­got
La Per­can­ta aque­l­la
Pol­ca
Sonati­na

Niños jugan­do a pídola 1777 – 1885. Fran­cis­co De Goya.

Cha­pale­an­do bar­ro. Pour la pho­to de cou­ver­ture, je suis par­ti de cette œuvre de Fran­cis­co de Goya, Niños jugan­do a pídola 1777 – 1885. La pídola, c’est le saute-mou­ton que les Argentins appel­lent Ran­go. Comme Goya n’a pas daigné faire jouer ses petits Espag­nols dans la boue, j’ai mod­i­fié l’environnement pour le ren­dre plus con­forme aux paroles de Cele­do­nio Flo­res.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Car­los Viván, l’auteur et le com­pos­i­teur de ce tan­go fut un bon vivant et ce tan­go touche de très près sa vie qui fut claire­ment par­mi les plus insta­bles pos­si­bles. Le seul point éton­nant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le sup­pos­er, à la fin de sa vie tour­men­tée… L’abondance des ver­sions à l’âge d’or et par la suite, prou­ve que ce sujet touchait la sen­si­bil­ité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno
Par­ti­tions de Cómo se pianta la vida de Car­los Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De mucha­cho rana
Me arras­traron cie­gos
En mi juven­tud
En milon­gas, tim­bas
Y en otras macanas
Donde fui pal­man­do
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia cham­pagne
Brin­dan­do amoríos
Bor­ra­cho la alze
Mi vida fue un bar­co
Car­ga­do de haz­a­ñas
Que jun­tó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezon­gan los años
Cuan­do fieros desen­gaños
Nos van abrien­do una heri­da
Es triste la pri­mav­era
Si se vive desteñi­da

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era

Los veinte abriles can­taron un día
la milon­ga triste de mi berretín
y en la con­tradan­za de esa algar­abía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagan­do aque­l­las ranadas
Final de los vivos
Que siem­pre se da
Me encuen­tro sin chance
En esta juga­da
La muerte sin grupo
Ya ha entra­do a tal­lar

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era
Car­los Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouil­lard m’ont entraîné à l’aveu­glette dans ma jeunesse, dans les milon­gas (Car­los Viván était un grand danseur de tan­go), les tim­bas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma san­té.
Mon verre bohème de cham­pagne blond, trin­quant aux amours, ivre, je l’ai levé (Car­los Viván était plutôt ama­teur de Whisky, sans doute à cause de ses orig­ines irlandais­es).
Ma vie a été un navire plein d’ex­ploits, qui rejoignit les plages marines et s’é­choua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lun­far­do, s’enfuir), comme les années grog­nent quand de féro­ces décep­tions nous ouvrent une blessure.
Le print­emps est triste s’il se vit déteint.
Com­ment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si “Avril” en Argen­tine tombe en automne, c’est l’équiv­a­lent de l’ex­pres­sion “Print­emps” pour mar­quer les années. Dans le vers précé­dent, il par­lait d’ailleurs de print­emps) ont chan­té un jour la milon­ga triste de ma lubie et dans la con­tredanse de ce brouha­ha, Il me man­quait au plus pro­fond de mon âme une inno­cence (piolín, ver­lan de limpio, pro­pre, per­son­ne sans casi­er judi­ci­aire…).
Aujour­d’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive tou­jours.
Je me retrou­ve sans chance dans ce jeu dan­gereux.
La mort sans men­tir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélec­tion de ver­sions illus­trant le suc­cès du thème pen­dant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azu­ce­na Maizani con con­jun­to
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alber­to Vila con gui­tar­ras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orques­ta Luis Petru­cel­li con Rober­to Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orques­ta Pedro Maf­fia con Car­los Viván.

Car­los Viván chante sa com­po­si­tion. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 — Rober­to Mai­da acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Rober­to Mai­da avant Fran­cis­co Canaro

Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Tania avec le même orchestre que Rober­to Mai­da.

Cómo se pianta la vida 1932 — Orques­ta Típi­ca Auguste-Jean Pesen­ti du Col­i­se­um de Paris.

En France aus­si, la vie des tangueros est un peu dis­solue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno. C’est notre tan­go du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da.
Cómo se pianta la vida 1959c — Héc­tor Mau­ré con gui­tar­ras y ban­do­neon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impres­sion­nant pro­posé par Troi­lo et Plaza qui offre un trem­plin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon par­ti­c­ulière­ment expres­sive. Une ver­sion que je trou­ve con­va­in­cante et touchante. Pas de danse pos­si­ble, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Abel Cór­do­ba.

C’est la plus orig­i­nale et tra­vail­lée, un cran au-dessus de celle de Troi­lo, mais il faut être vrai­ment fan de Cór­do­ba pour être enchan­té par cette ver­sion. Je préfère les ver­sions de danse ou celle de Troi­lo avec Goyeneche, mais la beauté du tan­go est qu’on a le choix et cha­cun pour­ra trou­ver son bon­heur dans la très grande var­iété de ces enreg­istrements.

T.B.C. 1953-08-11 — Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló

Ascanio Ernesto Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

Nous vivons dans un monde de fous et le poids d’un bais­er volé est sans doute telle­ment lourd aujourd’hui que l’on n’oserait plus écrire des paroles com­pa­ra­bles à celles de notre tan­go du jour. Les ini­tiales T.B.C. sig­ni­fient Te bese (je t’ai embrassé). Mais nous ver­rons d’autres sig­ni­fi­ca­tions pos­si­bles pour les pre­mières ver­sions.

Ascanio

Ascanio Ernesto Dona­to

Ascanio Dona­to (14 octo­bre 1903 — 31 décem­bre 1971) est un des 8 frères de Edgar­do Dona­to, l’interprète de notre tan­go du jour. Con­traire­ment à son grand frère, Edgar­do (vio­loniste) ou même son petit frère, Osval­do (pianiste), Ascanio est peu con­nu. Le site TodoTan­go, qui est en général une bonne source, l’indique comme vio­loniste, alors qu’il était vio­lon­cel­liste.
Sa fiche dans le réper­toire des auteurs uruguayens est plus que som­maire : https://autores.uy/autor/4231. Avec seule­ment la date de nais­sance et un seul de ses prénoms et pas de date de décès. En effet, con­traire­ment à son aîné, Edgar­do qui est né à Buenos Aires, Ascanio est né à Mon­te­v­ideo.
L’œuvre a été déposée le 22 jan­vi­er 1929 (n° 40855) sous le nom de A.E. Dona­to (Ascanio Ernesto Dona­to). À l’époque, il était déjà vio­lon­cel­liste avec ses frères, Osval­do au piano et Edgar­do à la direc­tion et au vio­lon. On notera que le dépôt a eu lieu en 1929, mais que le tan­go a été enreg­istré pour la pre­mière fois en 1927.
Un autre dépôt a été effec­tué en Argen­tine le 19 décem­bre 1940 (# 2535 | ISWC T0370028060) et cette fois, le dépôt est au nom d’Edgar­do. Cepen­dant, les pre­miers dis­ques men­tion­nent A. Dona­to.

Dif­férents dis­ques de T.B.C.

Les pre­miers dis­ques indiquent bien A. Dona­to. Celui de Veiga réal­isé à New York indique E Dona­to et pas les auteurs du texte, chan­té. Celui de Rafael Canaro réal­isé en Espagne indique juste Dona­to. Celui de De Ange­lis indique E. Dona­to et celui du quin­tette du pianiste Oscar Sabi­no, de nou­veau, A. Dona­to… On notera que le pre­mier disque, celui de Car­los Di Sar­li à gauche ne men­tionne pas les auteurs des paroles, l’œuvre étant instru­men­tale.

Je pro­pose de con­serv­er l’attribution à Ascanio, d’autant plus que je verse au dossier une par­ti­tion qui lui attribue l’œuvre…

Extrait musical

Par­ti­tion de T.B.C. indi­quant A.E. Dona­to, donc, sans ambiguïté, Ascanio Ernesto Dona­to.
T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Rober­to Morel y Raúl Ángeló

Paroles

Les paroles sem­blent avoir été ajoutées postérieure­ment. Nous y revien­drons.

Te besé
y te cabri­aste
de tal man­era
que te pusiste
hecha una fiera.
Y has­ta qui­siste,
sin más moti­vo,
darme el oli­vo
por ser audaz.

Total
no es para tan­to,
no ves
que esta­ba “colo”.
Pen­sá
que fue uno sólo
y al fin
te va a gus­tar.
No digas que no,
que cuan­do sepas,
besar
dan­do la vida
serás
tu quien me pida
y sé
qué me dirás.

Bésame,
que no me eno­jo,
bésame,
como en el cine.
Un beso de pasión,
que al no poder res­pi­rar,
me deten­ga el corazón.
Bésame,
Negro queri­do,
el alma
dame en un beso
que me haga estreme­cer
la sen­sación
de ese plac­er.
Ascanio Dona­to Letra: Rober­to Fontaina; Víc­tor Soliño

Traduction libre

Je t’ai embrassée et tu t’es telle­ment fâchée que tu es dev­enue une bête sauvage. Et tu voulais même, sans plus de rai­son, t’enfuir (Dar el oli­vo, c’est par­tir, fuir) pour avoir été auda­cieux.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas si mal, ne vois-tu pas que c’é­tait « colo » (Loco, fou en ver­lan).
J’ai pen­sé que ce serait un seul et qu’au final tu aimerais. Ne dis pas non, que quand tu sais, embrass­er en don­nant la vie, tu seras celle qui me deman­dera et je sais ce que tu me diras :
Embrasse-moi, que je ne me fâche pas, embrasse-moi, comme au ciné­ma. Un bais­er de pas­sion, que de ne plus pou­voir respir­er, mon cœur s’ar­rête.
Embrasse-moi, mon chéri (Negro est un surnom affectueux qui peut être don­né à quelqu’un qui n’est pas noir), donne-moi un bais­er à l’âme qui me fasse sec­ouer la sen­sa­tion de ce plaisir.

Comme pour beau­coup de paroles de tan­go, il con­vient de faire des hypothès­es quant à la sig­ni­fi­ca­tion exacte. Le fait que des femmes et des hommes l’aient chan­té per­met de rel­a­tivis­er l’affaire, ce ne sont pas d’horribles machistes qui vio­len­tent des femmes non con­sen­tantes.
Cer­tains voient dans le tan­go des his­toires de bor­dels, mais dans la grande majorité, les his­toires sont plutôt sen­ti­men­tales, c’est-à-dire qu’elles par­lent de sen­ti­ments. Que ce soit l’illusion, l’amour fou, la détresse de l’abandon, le repen­tir, le regret. En dehors de l’époque des pro­totan­gos et des pre­miers tan­gos qui avaient des paroles assez crues et où les mecs fai­saient les bravach­es, la plu­part des titres est plutôt roman­tique.
Je veux voir dans le texte de ce tan­go une idylle nais­sante, peut-être entre des ado­les­cents, pas le cas d’un tai­ta qui s’impose à une mina désem­parée, d’autant plus que le texte peut être vu des deux points de vue, comme le prou­vent les ver­sions que je vous pro­pose.
Pour la tra­duc­tion, j’ai choisi de faire par­ler un homme, puisque ce sont des hommes qui chantent notre tan­go du jour et le dernier cou­plet pour­rait-être la réponse de la femme qui se rend aux argu­ments, à la sol­lic­i­ta­tion de l’homme. Mais on peut totale­ment invers­er les rôles.
Les pre­miers enreg­istrements sont instru­men­taux. T.B.C. peut dans ce cas sig­ni­fi­er Te Bese, ou TBC (sans les points) qui désigne la tuber­cu­lose… TBC est aus­si un club nau­tique de Tigre (près de Buenos Aires) TBC pour Tigre Boat Club. De nom­breux tan­gos font référence à un étab­lisse­ment, ou un club. Mais le fait qu’il soit à Tigre et pas à Mon­te­v­ideo lim­ite la portée de cette hypothèse.
L’excellent site bibletango.com indique que le titre serait inspiré par un club assez spé­cial de Mon­te­v­ideo, mais sans autre pré­ci­sion. Si on excepte l’acception TBC=Tuberculose, je ne trou­ve pas de club en rela­tion avec T.B.C. à Mon­te­v­ideo.

Avec les paroles de Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño, le doute n’est plus per­mis, c’est bien Te bese qu’il faut com­pren­dre.
Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño tra­vail­laient à Mon­te­v­ideo. Ce qui con­firme l’origine uruguayenne de ce titre.

Autres versions

Ce tan­go a été enreg­istré à divers­es repris­es et en deux vagues, à la fin des années 20 et dans les années 50.
Les enreg­istrements de 1927 et 1928 sont instru­men­taux.

T.B.C. 1927-11-28 — Orques­ta Julio De Caro.

Pre­mier enreg­istrement, instru­men­tal.

T.B.C. 1928-11-26 — Sex­te­to Car­los Di Sar­li. Une ver­sion instru­men­tale.

Une autre ver­sion instru­men­tale.

Rosi­ta Quiroga nous pro­pose la pre­mière ver­sion chan­tée.

T.B.C. 1929-01-22 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras y sil­bidos.

Je trou­ve cette ver­sion fraîche et déli­cieuse. Toute sim­ple et qui exprime bien le texte. Remar­quez les sif­fle­ments.

T.B.C. (Te bese) 1929-06-19 — Genaro Veiga — Orques­ta de la Madriguera.

Cette ver­sion a été enreg­istrée à New York, ce qui une fois de plus prou­ve la dif­fu­sion rapi­de des œuvres. On n’est pas obligé d’apprécier la voix un peu traî­nante de Veiga.

T.B.C. (Te bese) 1930 Orques­ta Rafael Canaro con Car­los Dante y Rafael Canaro.

Rafael se joint à Car­los Dante pour le refrain dans un duo sym­pa­thique. Cette ver­sion a été enreg­istrée en Espagne, par le plus français des Canaro.

T.B.C. (Te bese) 1952-12-05 — Florindo Sas­sone con Rober­to Chanel.

Une ver­sion typ­ique de Sas­sone qui remet au goût du jour ce thème. C’est un peu trop grandil­o­quent à mon goût. Rober­to Chanel, sem­ble rire au début, sans doute pour dédrama­tis­er sa demande. En revanche, l’orchestre passe au sec­ond plan et cela per­met de prof­iter de la belle voix de Chanel.

T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Rober­to Morel y Raúl Ángeló. C’est notre tan­go du jour.

Après l’écoute de Sas­sone, on trou­vera l’interprétation beau­coup plus sèche et nerveuse. Pour le pre­mier disque de ce tan­go de son frère (ou de lui…), c’est un peu tardif, mais c’est plutôt joli. Cela reste dans­able. Comme dans la ver­sion de Rafael Canaro qui ini­tie le pre­mier duo, le refrain est chan­té par Morel et Ángeló.

T.B.C. (Te bese) 1957-07-17 — Diana Durán con orques­ta.

À com­par­er à la ver­sion de Rosi­ta Quiroga de 28 années antérieure. On peut trou­ver que c’est un peu trop dit et pas assez chan­té. Je préfère la ver­sion de Rosi­ta.

T.B.C. (Te bese) 1960-10-19 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Lalo Mar­tel.

Lalo Mar­tel, reprend le style décon­trac­té et un peu gouailleur de ses prédécesseurs.

T.B.C. (Te bese) 1990 C — Los Tubatan­go.

Et on ferme la boucle avec une ver­sion instru­men­tale avec un orchestre qui s’inspire des pre­miers orchestres de tan­go…

T.B.C. Inspiré de Psy­ché ran­imée par le bais­er de l’Amour — Anto­nio Cano­va.

J’ai util­isé un des bais­ers les plus célèbres de l’histoire de l’art, celui immor­tal­isé dans le mar­bre par Anto­nio Cano­va et que vous pou­vez admir­er au Musée du Lou­vre (Paris, France) pour l’image de cou­ver­ture.

Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Osvaldo Donato Letra: Ricardo Olcese

Les Argentins sont de grands lecteurs. Il n’est qu’à voir les cen­taines de mètres de queue pour vis­iter le Salon du livre et le nom­bre de librairies pour s’en ren­dre compte.
Notre tan­go du jour s’appelle Un libro (un livre) a été enreg­istré par Edgar­do Dona­to avec Hora­cio Lagos il y a 83 ans.

Extrait musical

Un libro 1941-08-06 Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Dona­to était un homme dis­trait, il pou­vait oubli­er sa femme dans le tramway ou atten­dre le chanteur pour un enreg­istrement alors qu’il était en face de lui. Sa musique lui va bien. Le thème com­mence comme une prom­e­nade guillerette. Puis arrive la voix sans égale de Hora­cio Lagos.

Paroles

Con el alma heri­da, casi der­ro­ta­do
Ancló mi esper­an­za en tu dulce amor,
Me diste un alien­to que ya no aguard­a­ba
Mi vida lisi­a­da por tan­to dolor.

Todo mi tor­men­to, se fue por encan­to
Y tu gran aliv­io fue mi sal­vación,
Entonces de nue­vo vi al sol de mi vida
Reha­cien­do el cora­je de mi corazón.

Un libro como hay tan­tos en la vida
Que (se) leía en mi errante rodar,
Desahu­ci­a­do por la suerte
Dan­do tum­bos sin cesar.
Un libro de plac­er inter­minable
De ince­sante sins­a­bor,
Salpic­a­do en tus pági­nas de oro
Por un lodo maldito y traidor.
Osval­do Dona­to Letra : Ricar­do Olcese

Traduction libre

Avec l’âme blessée, presque vain­cue, j’an­cre mon espérance dans ton doux amour.
Tu m’as don­né un souf­fle auquel je ne m’at­tendais plus, ma vie paralysée par tant de douleurs.
Tous mes tour­ments ont dis­paru par magie et ton grand soulage­ment a été mon salut.
Puis, j’ai de nou­veau vu le soleil de ma vie, restau­rant le courage de mon cœur.
Un livre comme il y en a tant dans la vie que j’ai lu dans mon errant vagabondage, dés­espéré par la chance, trébuchant sans cesse.
(J’en­tends Que leía, mais un lecteur, Philippe Con­stant entend Se leía, ce qui pour­rait mod­i­fi­er un peu le sens. Si vous avez un avis sur la ques­tion, lais­sez un com­men­taire…).
Un livre de plaisir sans fin d’insipidité inces­sante, éclaboussé sur tes pages dorées par une boue mau­dite et traîtresse.

Ricar­do Olcese a écrit les paroles de quelques
autres tan­gos comme :
Mirá lo que soy, Tu engaño et, en col­lab­o­ra­tion avec Nestor Rodi, Buenos Aires de ayer et Che pebe­ta.

Autres versions

Il n’y a pas d’autres ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc d’écouter un autre enreg­istrement du même jour de Dona­to…

Un libro 1941-08-06 Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est notre tan­go du jour.

Pour le sec­ond enreg­istrement de la journée, Lita Morales se joint à Hora­cio Lagos pour chanter :

Mañana será la mía 1941-08-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales y coro.

Demain tu seras mienne. Le titre est par­faite­ment adap­té à la rela­tion entre les deux chanteurs de cette valse…

Au cen­tre Edgar­do Dona­to et à droite Hora­cio Lagos que regarde avec atten­tion, Lita Morales.

Il se dit que Lita Morales et Hora­cio Lagos se seraient mar­iés, mais rien ne le prou­ve. Ce cou­ple, si c’é­tait un cou­ple, était très dis­cret et mys­térieux. Le regard que Lita envoie à Hora­cio me fait penser qu’ils ont a min­i­ma eut une idylle.
Sur le plan artis­tique, ils ont tous les deux com­mencé par enreg­istr­er du folk­lore et ont arrêté rapi­de­ment la car­rière (1935–1942 pour Hora­cio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être que l’ar­rêt de Lita en 1941 était pour cause de nais­sance, il se dis­ait que Lita était enceinte lors de son pre­mier arrêt. Ceci pour­rait expli­quer son retour tardif, elle a repris, lorsque son (leur) enfant était devenu plus autonome.
On avait déjà par­lé de cela à pro­pos de Sins­a­bor.

L’orchestre de Donato de 1932 à 1945

L’orchestre de Dona­to reste sta­ble sur une grande péri­ode. Ses deux frères sont respec­tive­ment pianiste (Osval­do) et vio­lon­cel­liste (Ascanio Ernesto). On notera le nom­bre impres­sion­nant de chanteurs ayant par­ticipé avec l’orchestre.

L’orchestre de Dona­to.

Directeur : Edgar­do Dona­to

Les musiciens

Vio­lonistes : (Edgar­do Dona­to), Domin­go Milil­lo, Arman­do Pio­vani et José Pol­lici­ta.
Ban­donéon­istes : Juan Tur­turiel­lo, Vicente Vilar­di et Miguel Bonano.
Pianiste : Osval­do Dona­to
Vio­lon­cel­liste : Ascanio Dona­to
Con­tre­bassiste : José Campe­si

Les chanteurs

Sopra­nos : Lita Morales
Ténors : Hora­cio Lagos, Romeo Gavi­o­li, Félix Gutiér­rez, Alber­to Gómez, Arman­do Pio­vani, Juan Alessio, Daniel Adamo et Pablo Lozano.
Bary­tons : Anto­nio Mai­da, Hugo Del Car­ril, Jorge Denis, Alber­to Podestá et Rober­to Bel­trán.

En 1936, Dona­to était à la tête d’un orchestre énorme.

Vio­lonistes : Arman­do Julio Pio­vani, Domin­go Mir­il­lo et José Pol­lici­ta
Ban­donéon­istes : José Roque Tur­turiel­lo, Vicente Vilar­di, Eliseo Marchesse et José Budano.
Accordéon­iste : Wash­ing­ton Bertoli­ni (Osval­do Bertoni) qui était égale­ment pianiste. Il jouait du piano avec et sans bretelles (en France, l’accordéon est surnom­mé « piano à bretelles »).
Pianiste : Osval­do Dona­to
Vio­lon­cel­liste : Ascanio Dona­to
Con­tre­bassiste : José Campe­si

Sur la pho­to, on les trou­ve :
De gauche à droite et au pre­mier plan.
Debout, Edgar­do Dona­to et Hora­cio Lagos.
Assis au piano, Osval­do Dona­to.
Deux ban­donéon­istes, José Budano et Vicente Vilar­di.
Puis Wash­ing­ton Bertoli­ni avec son accordéon.
Et deux autres ban­donéon­istes, José Roque Tur­turiel­lo et Eliseo Marchesse.
À l’arrière, de gauche à droite, un vio­loniste Domin­go Mir­il­lo.
Un vio­lon­cel­liste, Ascanio Dona­to
Deux vio­lonistes José Pol­lici­ta et Arman­do Julio Pio­vani.
Un con­tre­bassiste, José Campe­si.
Voilà, je vous laisse jouer au jeu des sept erreurs pour iden­ti­fi­er les change­ments dans l’orchestre entre ces deux pho­tos. Ce n’est pas si dif­fi­cile.

À demain, les amis !

La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal Troilo

Francisco Canaro

Quand on pense à l’Argen­tine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans rai­son. Les Argentins sont de très grands ama­teurs et con­som­ma­teurs de viande. Chaque mai­son a sa par­il­la (bar­be­cue) et en ville, cer­tains vont jusqu’à impro­vis­er leurs par­il­las dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a égale­ment des par­il­las amé­nagées et si vous préférez aller au restau­rant, vous n’aurez pas beau­coup à marcher pour obtenir un bon asa­do. Le tan­go du jour, la tabla­da a à voir avec cette tra­di­tion. En effet, la tabla­da est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero

Cor­rales viejos, matadero, la tabla­da…

Extrait musical

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo
La tabla­da. La cou­ver­ture de gauche est plus proche du sujet de ce tan­go que celle de droite…
La par­ti­tion est dédi­cacée par Canaro à des amis d’U­ruguay (auteurs, musi­ciens…).

Autres versions

La tabla­da 1927-06-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion presque gaie. Les vach­es « gam­badent », du pas lourd du canyengue.

La tabla­da 1929-08-02 — Orques­ta Cayetano Puglisi.

Une ver­sion pesante comme les coups coups don­nés par les mataderos pour sac­ri­fi­er les ani­maux.

La tabla­da 1929-12-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion est assez orig­i­nale, on dirait par moment, une musique de dessin ani­mé. Cette ver­sion s’est dégagée de la lour­deur des ver­sions précé­dentes et c’est suff­isam­ment joueur pour amuser les danseurs les plus créat­ifs.

La tabla­da 1936-08-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to.

Une des ver­sions le plus con­nues de cette œuvre.

La tabla­da 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Cette ver­sion française fait preuve d’une belle imag­i­na­tion musi­cale. Ale­many est prob­a­ble­ment Argentin de nais­sance avec des par­ents Polon­ais. Son nom était-il vrai­ment Ale­many, ou est-ce un pseu­do­nyme, car il a tra­vail­lé en Alle­magne avant la sec­onde guerre mon­di­ale avant d’aller en France où il a fait quelques enreg­istrements comme cette belle ver­sion de la tabla­da avant d’émigrer aux USA. Ses musi­ciens étaient majori­taire­ment argentins, car il avait fait le voy­age en Argen­tine en 1936 pour les recruter. Cette ver­sion est donc fran­co-argen­tine pour être pré­cis…

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est notre tan­go du jour.
La tabla­da 1946-09-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

L’introduction en appels sif­flés se répon­dant est par­ti­c­ulière­ment longue dans cette ver­sion. Il s’agit de la référence au train qui trans­portait la viande depuis La Tabla­da jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient sif­fler pour sig­naler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de cam­pagne.

La tabla­da 1950-11-03 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion bien guillerette et plutôt sym­pa­thique, non ?

La tabla­da 1951 — Orques­ta Rober­to Caló.

C’est le frère qui était aus­si chanteur, mais aus­si pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enreg­istrement), de Miguel Caló.

La tabla­da 1951-12-07 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion qui se veut résol­u­ment mod­erne, et qui explore plein de direc­tions. À écouter atten­tive­ment.

La tabla­da 1955-04-19 — Orques­ta José Bas­so.

Dans cette ver­sion, très intéres­sante et éton­nante, Bas­so s’éclate au piano, mais les autres instru­ments ne sont pas en reste et si les danseurs peu­vent être éton­nés, je suis sûr que cer­tains apprécieront et que d’autres me maudiront.

La tabla­da 1957 — Mar­i­ano Mores y su Gran Orques­ta Pop­u­lar.

L’humour de Mar­i­ano Mores explose tout au long de cette ver­sion. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigol­er, c’est à pré­conis­er.

La tabla­da 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa ver­sion est égale­ment assez foi­son­nante. Décidé­ment, la tabla­da a don­né lieu à beau­coup de créa­tiv­ité.
La tabla­da 1962 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

On revient à des choses plus clas­siques avec Rodol­fo Bia­gi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses orne­ments au piano. À not­er le jeu des ban­donéons avec le piano et les vio­lons qui domi­nent le tout, insen­si­bles au stac­ca­to des col­lègues.

La tabla­da 1962-08-21 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Le duo Grela, Troi­lo est un plaisir raf­finé pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laiss­er emporter par le dia­logue savoureux entre ces deux génies.

La tabla­da 1965-08-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

La spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique est sans doute un peu exagérée, avec le ban­donéon à droite et les vio­lons à gauche. Beau­coup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cepen­dant, pour les corti­nas et les enreg­istrements plus récents, le pas­sage en mono peut être une lim­i­ta­tion. Vous ne pour­rez pas vous en ren­dre compte ici, car pour pou­voir met­tre en ligne les extraits sonores, je dois les pass­er en mono (deux fois moins gros) en plus de les com­press­er au max­i­mum afin qu’ils ren­trent dans la lim­ite autorisée de taille. Mes morceaux orig­in­aux font autour de 50 Mo cha­cun. Pour revenir à la dif­fu­sion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tour­nent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur don­nera à enten­dre le ban­donéon dans une zone de la salle et les vio­lons dans une autre. Dans ce cas, il fau­dra lim­iter le panoramique en rap­prochant du cen­tre les deux canaux. Encore un truc que ne peu­vent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peu­vent donc pas être placés spa­tiale­ment de façon indi­vidu­elle (sans par­ler du fait que l’entrée ligne com­porte générale­ment moins de réglage de tonal­ité que les entrées prin­ci­pales).

La tabla­da 1966-03-10 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Une meilleure util­i­sa­tion de la spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique, mais ça reste du Sas­sone qui n’est donc pas très pas­sion­nant à écouter et encore moins à danser.

La tabla­da 1968 — Orques­ta Típi­ca Atilio Stam­pone.

Stam­pone a explosé la fron­tière entre la musique clas­sique et le tan­go avec cette ver­sion très, très orig­i­nale. J’adore et je la passe par­fois avant la milon­ga en musique d’ambiance, ça intrigue les pre­miers danseurs en attente du début de la milon­ga.

La tabla­da 1968-06-05 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo.

On ter­mine, car il faut bien une fin, avec Pichu­co et son cuar­te­to afin d’avoir une autre ver­sion de notre musi­cien du jour qui nous pro­pose la tabla­da.

Après ce menu musi­cal assez riche, je vous pro­pose un petit asa­do

L’asado

Je suis resté dis­cret sur le thème matadero évo­qué dans l’introduction. Matar en espag­nol est tuer (à ne pas con­fon­dre avec mate) qui est la bois­son nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas met­tre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourn­er autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.

À la fin du 16e siè­cle, Jean de Garay appor­ta 500 vach­es d’Europe (et bien sûr quelques tau­reaux). Ces ani­maux se plurent, l’herbe de la pam­pa était abon­dante et nour­ris­sante aus­si les bovins prospérèrent au point que deux siè­cles plus tard, Félix de Azara, un nat­u­ral­iste espag­nol con­statait que les criol­los ne con­som­maient que de la viande, sans pain.
Plus éton­nant, ils pou­vaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la par­tie qui les intéres­sait.
Puis, la coloni­sa­tion s’intensifiant, la viande est dev­enue la nour­ri­t­ure de tous, y com­pris des nou­veaux arrivants. Cer­taines par­ties délais­sées par la « cui­sine » tra­di­tion­nelle furent l’aubaine des plus pau­vres, mais cer­taines par­ties qui étaient très appré­ciées par les per­son­nes raf­finées et nég­ligées par les con­som­ma­teurs tra­di­tion­nels con­tin­u­ent à faire le bon­heur des com­merçants avisés qui répar­tis­sent les par­ties de l’animal selon les quartiers.
Le tra­vail du cuir est aus­si une ressource impor­tante de l’Argentine, mais dans cer­taines provinces, l’asado (la gril­lade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est per­du. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la por­tion néces­saire à un moment don­né.
Les Argentins con­som­ment un kilo de viande et par per­son­ne chaque semaine. Je devrais écrire qui con­som­maient, car depuis l’arrivée du nou­veau gou­verne­ment en Argen­tine, le prix de la viande a triplé et la con­som­ma­tion a forte­ment bais­sée en quan­tité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qual­ité, les vian­des les moins nobles étant désor­mais plus recher­chées, car moins chères).

Asa­do a la esta­ca (sur des pieux) — Asa­do con cuero (avec la peau de l’animal) Asa­do dans un restau­rant, les chaînes per­me­t­tent de régler la hau­teur des dif­férentes grilles — asa­do famil­iar.

Tira de asa­do
La viande est attachée à l’os. C’est assez spec­tac­u­laire et plein d’os que cer­tains enlèvent avec leur couteau ou en cro­quant entre les restes de côtes.

Vacio (Vide)
Un morceau de choix, sans os, ten­dre et à odeur forte. IL se cuit lente­ment à feu indi­rect.

Matam­bre
Entre la peau et les os, le matam­bre est recher­ché. Il est égale­ment util­isé roulé, avec un rem­plis­sage entre chaque couche. Une fois découpé en ron­delle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le rem­plis­sage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.

Col­i­ta de cuadril
Par­tie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.

Entraña
Par­tie intérieure des côtes de veaux.

Bife de chori­zo
Bifteck de chori­zo, un steack à ne pas con­fon­dre avec la saucisse espag­nole de ce nom.

Bife Ancho
Un steack large, épais avec graisse.

Bife angos­to
Le con­traire du précé­dent, plus fin.

Lomo
La longe, une pièce de viande peu grasse.

Palomi­ta
Une coupe par­mi tant d’autres. J’imagine que cer­tains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.

Picaña
Arrière de la longe de bœuf de forme tri­an­gu­laire.

Achuras
Ce sont les abats.
Ils sont présen­tés en tripes, chori­zos, boudins, ris de veau, rognons et autres.
Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asa­do sans achuras, ce n’est pas un asa­do pour beau­coup.

Bon­di­o­la
Le porc passe aus­si un sale moment sur la par­il­la.
Beau­coup la man­gent en sand­wich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauf­fé sur la par­il­la.

Pechi­to de cer­do
La poitrine de porc fait aus­si par­tie des morceaux de choix de l’asado. Elle est con­sid­érée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).

Des légumes, poivrons, aubergines peu­vent rejoin­dre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas man­quer de pro­téines…

Le tra­vail de l’asador

C’est la per­son­ne qui pré­pare l’asado. Son tra­vail peut paraître sim­ple, mais ce n’est pas le cas.
Il faut pré­par­er les morceaux, par­fois les condi­menter (mod­éré­ment) et la cuis­son est tout un art. Une fois que le bois ou le char­bon de bois sont prêts, il faut régler la hau­teur de la grille afin que la viande cuise douce­ment et longue­ment et de façon adap­tée selon les pièces qui se trou­vent aux dif­férents endroits de la grille.
Beau­coup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuil­lère, voire avec le manche de la cuil­lère.
Hors de l’Argentine, il est assez dif­fi­cile de con­va­in­cre un bouch­er de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expli­quer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous fau­dra donc aller en Argen­tine ou dans un restau­rant argentin qui s’approvisionne bien sou­vent en bœuf de l’Aubrac (France).
La cou­tume veut qu’on applaud­isse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureuse­ment les ani­maux.
L’Argentine n’est pas le par­adis des végé­tariens, d’autant plus que les légumes sont sou­vent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de gross­es quan­tités, si vous payez en liq­uide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine four­mille d’astuces pour pay­er un peu moins cher.
Ne sortez pas l’American Express ici son slo­gan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas pay­er plus cher.
En ce qui con­cerne les autres pro­duits d’origine ani­male, le lait et les pro­duits laitiers ne sont pas les grands favoris et le pois­son coûte le même prix qu’en Europe et par con­séquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le mer­lu que l’on peut trou­ver à moins de 10 $ con­tre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, con­gelé et à la chair très pâle et grasse).
Bon, je me suis un peu échap­pé du domaine du tan­go, mais n’étant pas ama­teur de viande, il me fal­lait faire une forme de cathar­sis…

À demain, les amis !

Veneración 1933-07-13 — Orquesta Edgardo Donato

Osvaldo Donato Letra: Adolfo A. Vedani

Edgar­do Dona­to a fait une dou­ble réus­site en enreg­is­trant cette valse com­posée par son frère. La pre­mière est d’avoir exé­cuté une valse mag­nifique, la sec­onde est d’avoir écarté les paroles de cet enreg­istrement. En effet, si les paroles nous per­me­t­tent de com­pren­dre le titre, elles sont plutôt médiocres et il est vrai­ment préférable que les audi­teurs et danseurs imag­i­nent leur pro­pre his­toire sur la musique.

Extrait musical

Ven­eración 1933-07-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to.
Ven­eración. Par­ti­tion Osval­do Dona­to Letra: Adol­fo A. Vedani.

L’attention est attirée par les coups de « klax­on ». Cela attire aus­si l’attention des danseurs qui peu­vent se deman­der ce qui se passe et ce qui va pass­er. Après 25 sec­on­des, la valse démarre, elle tourne imper­turbable­ment, ce titre est entraî­nant et plait en général aux danseurs qui aiment les valses. Cer­tains n’aiment pas les valses, tant pis pour eux…

Paroles (extrait)

Ama­da mía, pido en mis rue­gos
Al de los cie­los con gran devo­ción
Que te con­serve fres­ca y lozana rosa
Tem­prana de mi hon­da pasión
Tu eres aliv­io de mis pesares que en otros lares
Yo con­quisté pues en tus labios
Que son dos corales hal­lé la dulce cal­ma que ambi­cioné.
Mujer ama­da diosa div­ina, con tu car­iño yo soy feliz.
Si el me fal­tara mi vida muere
Por qué tú eres mi úni­co amor pues con tus besos y tus cari­cias
Cal­mas las penas de mi exi­s­tir
Porque en mis noches de cru­el insom­nio
Sabes cal­marme con tu elixir

Adol­fo A. Vedani

Traduction libre

On com­prend pourquoi on ne trou­ve pas de ver­sion avec les paroles. L’intention est touchante, mais le résul­tat est assez pau­vre et plat.Mon aimée, je demande dans mes prières vers les cieux, avec une grande dévo­tion, qu’il te garde fraîche et lux­u­ri­ante rose.
Dès le début de ma pas­sion pro­fonde, tu es le soulage­ment de mes cha­grins, plus que toute autre per­son­ne généreuse (lare sig­ni­fie en lun­far­do per­son­ne généreuse, ou corps…).
J’ai con­quis ensuite sur tes lèvres qui sont deux coraux, j’ai trou­vé le doux calme que je con­voitais.
Femme aimée, déesse divine, avec ton affec­tion, je suis heureux.
Si elle me fai­sait défaut, ma vie mour­rait.
Parce que tu es mon seul amour et que de tes bais­ers et de tes caress­es tu apais­es les cha­grins de mon exis­tence.
Parce que dans mes nuits d’insomnie cru­elle, tu sais com­ment me calmer avec ton élixir.
Cet extrait des paroles per­met de com­pren­dre le thème de la valse. Comme la seule ver­sion enreg­istrée est celle de Dona­to et qu’elle est instru­men­tale, je pense que vous pou­vez oubli­er les paroles et ne garder que les images que vous souhaitez pour vous inspir­er dans la danse…

Autres versions

Il n’y a pas d’autre ver­sion… Vous pou­vez donc réé­couter cette jolie valse 😉

Mais avant de nous quit­ter, je vous pose la ques­tion de si vous préférez cette valse avec son assez longue intro­duc­tion de 25 sec­on­des ou en entrée directe. Comme DJ, j’ai ten­dance à sup­primer l’introduction en milieu de tan­da, mais beau­coup moins en début de tan­da, l’introduction étant un appel. Les danseurs peu­vent ter­min­er tran­quille­ment les miradas/cabeceos et être sur la piste au moment où la musique démarre. J’annonce juste au micro que ce sont des valses et que ça démarre après l’introduction.

Ven­eración 1933-07-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to (avec l’introduction de 25 sec­on­des).
Ven­eración 1933-07-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to (sans l’introduction)

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À demain, les amis !

Te gané de mano 1938-07-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona

Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes

Je t’ai gag­né, je t’ai bat­tu haut la main ou « Te gané de mano » comme il est dit dans ce tan­go exprime la joie de quelqu’un qui a gag­né. C’est une expres­sion util­isée par les joueurs de cartes. Mais est-ce si sûr qu’il a vrai­ment gag­né cet homme tri­om­phant ? J’ai retran­scrit, avec un peu de dif­fi­culté, les paroles chan­tées par Hora­cio Lagos et acces­soire­ment, Ran­dona. Je vous laisse décou­vrir le dernier mot de cette his­toire.

Extrait musical

Te gané de mano 1938-07-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani).

La musique démarre, assurée, comme quelqu’un qui marche en con­fi­ance. Par moment, la musique est presque sautil­lante, assuré­ment on par­le d’un vain­queur.
C’est alors que la voix d’Hora­cio Lagos lance avec force des paroles qui ne respirent pas telle­ment la joie. Que se passe-t-il ?
C’est alors que Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani), fait son entrée et en duo avec Hora­cio Lagos nous racon­te la fin de l’histoire. Je vous laisse décou­vrir les paroles, telles qu’elles sont chan­tées dans cette ver­sion. N’ayant pas trou­vé de ver­sion orig­i­nale, et ce titre n’ayant pas été enreg­istré par d’autres orchestres, il s’agit de la retran­scrip­tion de ce que chantent Lagos et Ran­dona. Il y a peut-être et même sûre­ment d’autres cou­plets, mais ils restent à décou­vrir. Ceux qui restent nos en dis­ent toute­fois suff­isam­ment, les voici.

Paroles (retranscription aussi peu maladroite que possible)

Te gané de mano
Perdó­name nena
Si él te dijo plan­to
Primero fui yo.
Des­per­taste al indio
Que esta­ba dormi­do
Y el indio está claro, se te rev­eló
Como yo era bueno
Me cristó un dis­en­so
Y ese fue el comien­zo de mi perdi­ción
Si al final ya asumo con tan­ta dis­cu­ta
Vos lo haces segu­ra
Y yo el pobre sifón.

Sé qué haces aho­ra la Mag­dale­na
Que anda cimen­tan­do que te engaña­do
No digas eso, no vale la pena
Qué me desar­ma de rui y mal­va­do
Sé que mi car­iño
No te intere­sa porque me le ha dicho
Más de una vez
No haga la otaria
Qué se te manya ese amor pro­prio que pade­ces.

Edgar­do Dona­to Letra: Juan Bautista Abad Reyes

Traduction libre et indications

J’ai gag­né haut la main, par­donne-moi, petite.
Si lui te lais­sa en plan, je fus le pre­mier.
Tu as réveil­lé l’indien qui était endor­mi et l’indien, c’est clair, tu l’as révélé (El indio, le sen­ti­ment intérieur, dif­férent chez lui et chez elle).
Comme moi, j’étais bon, cette faille me brisa et ce fut le com­mence­ment de ma perte.
Si finale­ment j’assume avec tant de dis­cus­sions, tu le fais assuré­ment et moi, suis le pau­vre mec (sifón = grand nez, mais je ne suis pas sûr d’entendre bien sifón).

Je sais que tu fais main­tenant la Madeleine (la pleureuse)
Qui va, cimen­tant le fait que je t’ai trompée. (Lagos chante « cimen­tan­do », mais on pour­rait dire aus­si « semen­tan­do », semant)
Ne dis pas ça, ça n’en vaut pas la peine
Ce qui me désarme de colère et de mau­vaiseté
C’est que je sais que mon amour ne t’intéresse pas, parce que tu me l’as dit plus d’une fois.
Ne fais pas l’andouille.
Que tu te manges cet amour pro­pre dont tu souf­fres.

On se demande à la fin, s’il a vrai­ment gag­né ou s’il joue à l’in­dif­férent ou au vain­queur fac­tice pour sur­mon­ter sa peine.

Juan Bautista Abad Reyes (1892–1965)

On doit à Juan Bautista Abad Reyes les paroles de quelques tan­gos, dont celui du jour.
Son par­cours est intéres­sant et j’ai donc décidé de vous en dire deux mots.
Il est né et mort en Argen­tine, mais est devenu citoyen et même député uruguayen entre les deux.
En 1919, il a gag­né un con­cours d’œuvres théâ­trales organ­isé par le jour­nal La Noche (La Nuit) de Mon­te­v­idéo et il tra­vail­la 20 ans comme rédac­teur en chef du jour­nal El Día (Le Jour), égale­ment de Mon­te­v­ideo…
Il a écrit les paroles de tan­gos, chan­sons, rancheras, pasodobles et autres et com­posé quelques titres. En voici un court extrait.

C = Compositeur / A = Auteur (parolier) / Compo. = Date probable de composition / Première interprétation, en italique. Date de la création publique, mais a priori, sans enregistrement / Premier enregistrement, plus ancien enregistrement existant (pour le moment).
CACom­po.TitrePre­mières inter­pré­ta­tions et enreg­istrements
 X1926Como luces de Ben­gala1926-04-07 Rosi­ta Quiroga
X 1926Musiq­ui­ta1926 Rosi­ta Quiroga/1926–09-14 Típi­ca Víc­tor
 X1928Caña amar­ga1928-05-26 Alber­to Vila
 X1928Te fuiste ja… ja…1928 Alber­to Vila
 X1928Arco iris1928-09-03 Fran­cis­co Canaro
 X1929Alma cuyana1929-05-29 Alber­to Gómez; Augus­to « Tito » Vila
 X1929Fal­ló la paica1929 Alber­to Gómez
 X1930Camini­to del olvi­do1930-01-21 Luis Petru­cel­li
 X1930El ido­lo roto1930 Azu­ce­na Maizani
 X1930cEnvidias 
 X1930Goya (pasodoble)1930 Lib­er­tad Lamar­que
XX1930Men­ti­ras (tona­da salteña)1930-11 Lib­er­tad Lamar­que/1931–01-10 Edgar­do Dona­to con Luis Díaz
 X1930No seas malo1930 Azu­ce­na Maizani
 X1930cNoviecita de otros tiem­pos 
 X1930Remi­gio (ranchera)1930 Orques­ta Tipi­ca Ricar­do L. Brig­no­lo
 X1930Ya sé tú his­to­ria, pebe­ta1930 Azu­ce­na Maizani
XX1931Sin­ver­guen­za ala­ban­cioso1931-09-07 Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Mer­cedes Simone
 X1934Con­fi­den­cia1934-04-11 Orques­ta Típi­ca Vic­tor C Hugo Gutiér­rez
 X1950Paisaje1950-12-14 Rober­to Car­lés /1951–08-09 Osval­do Frese­do con Arman­do Gar­ri­do
 X1951Ter­nu­ra Mucha­cho1951 Loren­zo Bar­bero Y Su Orques­ta De La Argen­tinidad
 X¿ ?Mirame bien a los ojos 

En dehors de cela, il est surtout con­nu pour ses créa­tions radio­phoniques, il tra­vaillera en effet dans divers­es radios où il pro­posera des chroniques ou des œuvres théâtro-radio­phoniques.

Philosophie de Juan Bautista Abad Reyes

Sa philoso­phie pour les paroles de ses tan­gos est la suiv­ante :

“Yo no vitu­pero el mal­e­va­je en el tan­go, ni el léx­i­co arra­balero. Al con­trario, lo esti­mo como expre­sión de col­or local y lo encuen­tro lleno de atrac­tivos dramáti­cos en manos de los ver­daderos poet­as. Lo peli­groso es pen­sar en arra­balero, con­ce­bir las obras en lun­far­do”.

Revista Feme­nil, 1930
Revista Feme­nil, 1930.

Traduction de la philosophie de Juan Bautista Abad Reyes

Je ne vilipende pas la «malveil­lance» dans le tan­go, ni le lex­ique des faubourgs. Au con­traire, je les estime comme une expres­sion de la couleur locale et je les trou­ve pleins d’attraits dra­ma­tiques entre les mains de vrais poètes. Le risque est de penser en faubourien et de con­cevoir les œuvres en lun­far­do.

Sur ces bonnes paroles, je vous dis, à demain les amis !

Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio

Edgardo Donato Letra : Máximo José Orsi

Encore un por­trait de femme dans un tan­go. Celle-ci se prénom­mait Ros­alin­da. Cette valse rel­a­tive­ment rare, bien que sym­pa­thique est inter­prétée par Dona­to et chan­tée par Juan Alessio.
Ce chanteur n’a enreg­istré qu’avec Dona­to et sur une péri­ode très brève, un mois entre juin et juil­let 1935. Il est donc prob­a­ble que vous ne le con­naissiez pas. Je vous pro­pose donc cette petite ren­con­tre avec un chanteur de qual­ité.

Juan Alessio

Juan Alessio est dif­fi­cile à cern­er, car il est resté dis­cret. Par ailleurs, il ne sem­ble avoir enreg­istré qu’avec Dona­to et seule­ment les cinq titres que voici :

  • El día que me quieras 1935-06-13 (Car­los Gardel Letra: Alfre­do Le Pera)
  • Dios lo sabe 1935-06-13 (Anto­nio Poli­to)
  • Ros­alin­da 1935-07-03 (Edgar­do Dona­to Letra: Max­i­mo José Orsi)
  • Picaflor 1935-07-03 (Edgar­do Dona­to Letra: Max­i­mo José Orsi, les mêmes auteurs que notre valse du jour).
  • Hola!… Qué tal?… 1935-07-17 (Osval­do Dona­to Letra: San­dalio C. Gómez)

L’autre dif­fi­culté est qu’il n’a enreg­istré qu’une seule valse et que cette dernière est assez dif­férente des valses les plus appré­ciées de Dona­to. De 1930 à 1936, il y a des valses com­pat­i­bles, mais faire une tan­da avec ce type de valse risque de ne pas plaire.
Comme DJ, il se peut donc que je ne passe jamais cette valse, sauf pour une occa­sion par­ti­c­ulière, comme l’anniversaire d’une Ros­alinde ou d’une Ros­alin­da… Je con­tin­uerais ensuite avec les valses les plus appré­ciées de Dona­to.

En toute fin d’ar­ti­cle, je vous pro­poserai une autre option 😉

Extrait musical

Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio

Comme vous pou­vez le con­stater, c’est une valse par­ti­c­ulière­ment lente. Elle peut donc être dif­fi­cile à danser, notam­ment pour les danseurs débu­tants. Les plus avancés pour­ront capter les petits orne­ments pour vari­er la danse, mais sans les élans habituels de la valse, il fau­dra faire preuve d’un bon sens de l’équilibre et bien respecter les axes pour en tir­er tout le plaisir pos­si­ble. Là encore, ren­dez-vous en fin d’article pour un jok­er.

Paroles

Je n’ai pas trou­vé les paroles de Max­i­mo José Orsi, je retran­scris donc unique­ment ce que chante Juan Alessio, tout du moins ce que j’ai cru enten­dre.

En mi vida sos la lin­da
Tu cari­ta feliz
En tus ojos hay ful­go­res
Con auro­ra de ilusión
Jun­to a ti Ros­alin­da
El amor sem­bran­do pasa
Como el beso de los vien­tos
Y entre el sol se devolvió

Edgar­do Dona­to Letra : Máxi

Autres versions

Il y a une seule valse enreg­istrée avec ce titre.

Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio

Mais il y a aus­si une ranchera du même titre, mais avec des auteurs dif­férents. On notera que la valse de Dona­to est à la lim­ite de la ranchera.

Ros­alin­da (Ranchera) 1955-04-14 — Trío Ciri­a­co Ortiz
Trío Ciri­a­co Ortiz (au cen­tre avec le ban­donéon), Ramón Andrés Menén­dez (à gauche) et Vicente Spina (à droite)

Máximo José Orsi

L’auteur des paroles, Máx­i­mo José Orsi, était acteur et paroli­er. Il est indi­recte­ment et con­tre son gré, à l’origine du suc­cès de Piana, Milon­ga sen­ti­men­tal. En effet, Orsi deman­da à Sebastián Piana une musique pour une des chan­sons d’un spec­ta­cle de Arturo De Bassi où il était acteur. Le résul­tat plut à De Bassi qui lui com­man­da un autre titre, ce fut Milon­ga sen­ti­men­tal.

Qui était Rosalinda ?

Il est dif­fi­cile de dire qui était la Ros­alin­da, car ce prénom d’origine ger­manique est très répan­du en Amérique du Sud au point qu’une revue men­su­elle argen­tine des années 30 à 50 por­tait ce nom. C’était une édi­tion de J. Hays Bell & Cia.

Le pre­mier numéro de cette revue pour la femme et le foy­er est paru en 1931, preuve que le prénom était à la mode à l’époque où Dona­to écriv­it sa valse.

Par ailleurs, dif­férents films por­tent ce titre, par exem­ple :

  • Ros­alin­da (1914) de Ricar­do de Baños et Alber­to Mar­ro (Espagne)
  • Ros­alin­da (1941) de Lam­ber­to V. Avel­lana (Philip­pines)
  • Ros­alin­da (1945) de Rolan­do Aguilar (Mex­ique)

C’est égale­ment le titre de télénov­e­las (les feuil­letons à l’eau de rose), la plus récente étant de 2009 (Philip­pines) et la plus con­nue, celle de 1999 (Mex­ique) avec la chan­son de Thalía.
En résumé, vous pou­vez imag­in­er la Ros­alin­da que vous voulez, de la guer­rière ger­manique avec des étin­celles dans les yeux, jusqu’à la plus mièvre des héroïnes de télénov­e­las.

Ros­alin­da, quelques cou­ver­tures de la revue Ros­alin­da, de 1940,1942 et 1944.

La petite surprise

Comme DJ, on a le priv­ilège de pou­voir mod­i­fi­er la musique. C’est l’a­van­tage d’u­tilis­er un logi­ciel spé­ci­fique et pas iTunes ou autre logi­ciel grand pub­lic pour la dif­fu­sion.
Comme un orchestre avant de com­mencer jouer, le DJ peut décider du tem­po de la musique. Il ne dit pas 1 — 2 et 1 2 3 comme les musi­ciens, mais il peut ajuster le rythme, par exem­ple pour vari­er l’ordre des morceaux dans une tan­da, voire en cours de route (avec un logi­ciel per­for­mant et bien maîtrisé). J’avoue recourir sou­vent à cet arti­fice qui me per­met de coller tou­jours le plus pos­si­ble aux capac­ités et/ou envies des danseurs présents.
Donc, cette valse, sans doute trop lente pour de nom­breuses occa­sions peut se voir offrir une chance en lui don­nant un peu d’élan.
Je vous pro­pose un résul­tat à com­par­er à la ver­sion enreg­istrée. Sur quelle ver­sion préféreriez-vous danser dans une milon­ga ordi­naire ?

Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio. Ver­sion accélérée.
Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio

Bien sûr, l’exercice va faire râler les ron­chon­chons et c’est tant mieux. Le DJ a pour but de don­ner du plaisir aux danseurs. La milon­ga n’est pas un musée, mais un lieu de diver­tisse­ment. Que la musique soit un peu plus rapi­de, un peu plus lente, un peu plus aiguë ou grave, cela ne va rien chang­er.

  • Oui, mais le ban­donéon de untel était accordé à 430 Hz, jusqu’en sep­tem­bre et en octo­bre à 440 Hz. Tu ne peux donc pas pass­er les deux dans la même tan­da, dit le Ron­chon­chon.
  • Tu es capa­ble d’entendre la dif­férence ? Demande le DJ, amusé.
  • J’ai l’oreille absolue, réplique le Ron­chon­chon.
  • Je te plains, dit le DJ com­préhen­sif. Alors, tu as sans doute remar­qué que j’ai passé la deux­ième prise du 16 juil­let 1952 et pas l’habituelle. Le ban­donéon de Xyzxyz a eu un prob­lème et il a emprun­té celui d’un col­lègue accordé en 440 Hz.
  • Oui, bien sûr, j’avais remar­qué qu’il y avait quelque chose de bizarre.
  • Ben, en fait, il n’a pas de sec­onde ver­sion et j’ai passé la ver­sion de Tan­go­Tunes (ou TTT) qui est au bon dia­pa­son, dit le DJ, mort de rire.

Je pour­rai con­tin­uer, ce petit con­te avec toutes ces anec­dotes de « spé­cial­istes », mais j’avoue que je m’occupe plus des danseurs que de ces DJ jaloux. Alors, dans la milon­ga, chers danseurs, prenez votre bonne humeur, affichez votre plus beau sourire et lais­sez-vous porter par la musique. Imag­inez que vous êtes en plein âge d’or du tan­go et qu’un orchestre sur scène vous présente ses nou­veautés, essaye de nou­veaux arrange­ments, joue un titre à la mode plutôt con­nu par un autre orchestre. Aujourd’hui, la diver­sité des expéri­ences et lim­itée par ce qui a été enreg­istré, un petit bout d’iceberg, tout le reste s’étant per­du faute d’avoir été enreg­istré et ne sera jamais retrou­vé.

Des orchestres con­tem­po­rains essayent de faire revivre des titres oubliés, de trou­ver de nou­veaux arrange­ments. Tout cela devrait raviv­er le plaisir de la décou­verte chez les danseurs. Donc, si un DJ dans mon genre vous fait de petites sur­pris­es, prenez-le bien, c’est un jeu, le tan­go n’est pas une langue morte. Asi­nus asinum non fricat.

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Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Mi ser­e­na­ta est un superbe tan­go chan­son, écrit par Edgar­do Dona­to. Il l’a enreg­istré à deux repris­es, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous pro­pose aujourd’hui la sec­onde ver­sion, moins con­nue que celle réal­isée 12 ans plus tôt. C’est le soir, lais­sez-vous bercer par cette séré­nade et soyez sym­pas, répon­dez aux chanteurs, pas comme la pim­bêche de ce tan­go.

Les rues de Buenos Aires et des alen­tours regorgeaient d’âmes seules et de musi­ciens, chanteurs, tou­jours prêts à pouss­er la chan­son­nette, notam­ment pour con­quérir une belle.
La séré­nade, favorisée par les nuits générale­ment clé­mentes de la région, fai­sait donc flo­res.
Le tan­go témoigne de cet engoue­ment, avec au moins une trentaine de titres con­tenant Ser­e­na­ta. Ce sont majori­taire­ment des tan­gos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pou­vait s’agir aus­si de habaneras ou boléros.
Le céré­mo­ni­al de la séré­nade pas­sait par la chan­son sous le bal­con, de l’autre côté de la clô­ture, comme dans la ver­sion d’aujourd’hui, par fois sur le bal­con, comme dans Ser­e­na­ta que nous avons déjà évo­qué… Nor­male­ment, la femme devait allumer une lumière pour sig­naler qu’elle était à l’écoute et si tout se pas­sait bien, le chanteur pou­vait espér­er aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au bal­con de façon acro­ba­tique, sauter la bar­rière, ou recevoir l’accueil sus­picieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi ser­e­na­ta 1952-06-25 – Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da y Alber­to Podestá.

La voix grave de Alma­da et la plus aigüe de Podestá for­ment un assez bel ensem­ble.

Mi ser­e­na­ta, Par­ti­tion avec Dona­to et Gavi­o­li en pho­to

Vous remar­querez qu’il est indiqué « Tan­go can­ción » (tan­go chan­son). Il est écrit égale­ment que les pal­abras (paroles) sont de Juan C. Thor­ry, que la musique est de Edgar­do Dona­to et que c’est une créa­tion de Romeo Gavio. Cela nous indique cer­taine­ment qu’avant de l’enregistrer, il l’a chan­té sur une des scènes de Buenos Aires.
La par­ti­tion est dédi­cacée par Dona­to à José Lec­toure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne con­naissiez pas ces deux indi­vidus, voici leur pho­to et leur CV.

Ismael Pace et José Lec­toure en com­pag­nie de tech­ni­ciens de la con­struc­tion du Sta­di­um Luna Park dont ils sont les pro­prié­taires (pho­to de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas dev­iné qui étaient réelle­ment les dédi­cataires… Le Luna Park est une immense salle de spec­ta­cle de Buenos Aires, on se sou­vient que Canaro l’a util­isée pour les car­navals à par­tir de 1936, voir par exem­ple Después del car­naval 1941-06-19 Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est aus­si une salle où des com­bats de boxe sont don­nés, tout aus­si vio­lents que les meet­ings poli­tiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la dédi­cace. Ils étaient amis de Dona­to, mais le thème de ce tan­go ne sem­ble pas totale­ment adap­té aux per­son­nages. On les imag­ine dif­fi­cile­ment grat­tant une gui­tare sous un bal­con, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi corazón
brindarte quiero un can­tar
que sea el refle­jo fiel
de car­iño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrel­la guiñó
y aquel día for­jé
mi primera ilusión.
Ser­e­na­ta que allí
para ti impro­visó mi amor,
tu prome­sa de amor,
tu mira­da, un clav­el,
dieron pre­mio a mi can­ción.

Hoy que ya el tiem­po pasó,
vine a tu reja a can­tar,
silen­cio fue el respon­der
a este triste dolor
que tu ausen­cia dejó.

Edgar­do Dona­to Letra: Juan Car­los Thor­ry (José Anto­nio Tor­rontegui)

Traduction libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chan­son qui soit le reflet fidèle d’une affec­tion sans pareille, fille de mon sen­ti­ment amoureux (ilusión, n’est pas une illu­sion…).
À ta clô­ture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes pre­miers sen­ti­ments.
Une séré­nade que là, pour toi, j’ai impro­visé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œil­let, ont don­né un prix (récom­pense) à ma chan­son.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clô­ture pour chanter, le silence a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a lais­sée.

Autres versions

Mi ser­e­na­ta 1940-01-11 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Romeo Gavio y Lita Morales.

C’est la pre­mière ver­sion, enreg­istrée par l’auteur, avec le duo gag­nant Lita Morales et Romeo Gavi­o­li. Qui d’autre que Roméo pou­vait lancer la séré­nade à Juli­ette, par­don, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un cou­ple dis­cret comme nous l’avons évo­qué lors de notre anec­dote sur El adios.
C’est sans doute la ver­sion préférée de la plu­part des danseurs et elle le mérite.

Mi ser­e­na­ta 1952-06-25 – Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da y Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.
Mi ser­e­na­ta 1955-09-02 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Mon­tero.
Mi ser­e­na­ta 1973 — Los Solis­tas de D’Arien­zo con Osval­do Ramos y Alber­to Echagüe
Mi ser­e­na­ta 1980 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Marce­lo Bion­di­ni y Gabriel Rey­nal.

Il s’appelle aus­si Dona­to, mais c’est son prénom et le résul­tat n’est pas for­cé­ment con­va­in­cant.

Mi Ser­e­na­ta 2022-06 — El Cachivache Quin­te­to. Sans doute la palme de l’originalité pour cette ver­sion.

Et pour ter­min­er, une belle ver­sion de la Roman­ti­ca Milonguera en video. C’est de 2017, donc logique­ment après la ver­sion de El Cachivache, mais je trou­ve plus sym­pa de ter­min­er ain­si.
C’est de nou­veau un duo, homme femme, comme la pre­mière ver­sion de 1940 par Dona­to. La boucle est fer­mée.

Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera avec Rober­to Minon­di et Marisol Mar­tinez en duo — “Mi ser­e­na­ta”

À demain les amis !

Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias

Pen­sa­lo bien, pense-le bien, ce titre est qua­si indis­so­cia­ble de la ver­sion du jour par Juan D’Arienzo et Alber­to Echagüe. Nous nous fer­ons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Bia­gi et Echagüe.

Pour ce qui est de la par­tic­i­pa­tion de Rodol­fo Bia­gi à la réal­i­sa­tion de ce chef‑d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enreg­istrement de Bia­gi avec D’Arienzo. Pour être pré­cis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enreg­istre Cham­pagne tan­go qui porte le numéro de matrice suiv­ant (12 364 con­tre 12 363 pour Pen­sa­lo bien). Les enreg­istrements suiv­ants se fer­ont avec Juan Poli­to, D’Arienzo ayant mis à la porte Bia­gi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.

Extrait musical

Penb­sa­lo bien. Juan José Vis­ciglio Letra: Nolo López; Julio Alber­to Can­tu­ar­ias. Arrange­ment de Charles Gor­czyn­s­ki. Il est indiqué Calvera sur la par­ti­tion au lieu de Vis­ciglio, mais c’est bien la par­ti­tion de la ver­sion de Vis­ciglio… À droite, une appli­ca­tion intéres­sante, Chordi­fy, qui per­met d’avoir les accords qui s’affichent en même temps que la lec­ture de la musique.
Pen­sa­lo bien 1938-06-22 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Le début stac­ca­to des ban­donéons, suivi de tous les instru­ments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directe­ment dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo effi­cace. Des phras­es des vio­lons adoucis­sent et con­trastent ce mar­quage appuyé du rythme.
Le thème prin­ci­pal appa­raît à 30 sec­on­des. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des con­tre­points du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 sec­on­des… Heureuse­ment qu’il y a eu deux pris­es de ce titre le même jour, cela lui a per­mis de chanter 50 sec­on­des…. À par­tir de 1:51, les ban­donéons explosent la cadence en pas­sant à des stac­catos en dou­bles croches. La vitesse n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si.
C’est sim­ple, effi­cace, dansant. Du bon tan­go de danse, le fait que son suc­cès ne se démente pas 86 ans plus tard le prou­ve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux pre­mières notes de ce thème, le tan­go vivra.

Paroles

No te pido expli­ca­ciones
No me gus­tan las esce­nas,
¿Decís que vas a dejarme?
Andá, qué le voy a hac­er.
Si es cier­to que has de mar­charte
Me causará mucha pena,
Mas pre­fiero esa fran­queza
A un inno­ble pro­ced­er.
No me expli­co por qué causa
Decidiste dar tal paso,
Si ayer mis­mo me juraste:
“Sos el dueño de mi amor.”
¿Te ha cansa­do la pobreza ?
¿Ya no me quieres, aca­so?
O encon­traste quien te quiera
Con más car­iño y fer­vor.

Pen­sa­lo bien
Antes de dar ese paso,
Que tal vez mañana aca­so
No puedas retro­ced­er.
Pen­sa­lo bien,
Ya que tan­to te he queri­do,
Y lo has echa­do al olvi­do
Tal vez por otro quer­er.

Te agradez­co los momen­tos
Más felices de mi vida,
Yo sé que vos me tra­jiste
La luz en mi soledad.
Ya ciego cor­rí a tu encuen­tro
A des­cansar en tus bra­zos,
Y mis noches angus­tiosas
Con tu paz, las bor­ré.
Es por eso que te imploro
De rodil­las : « No te vayas. »
Más que nun­ca yo pre­ciso
Las cari­cias de tu amor.
Escuchame… te supli­co
Por mi vieji­ta queri­da,
¡No te vayas!, Acor­date
Que vos juraste por Dios.

Juan José Vis­ciglio Letra: Nolo López ; Julio Alber­to Can­tu­ar­ias

Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 sec­on­des qui restent dans l’oreille, une mer­veille.

Les paroles du refrain dites par Fer­nan­do Ser­ra­no.

Traduction libre

Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes.
Tu dis que tu vas me quit­ter ?
Va. Qu’est-ce que je vais faire ?
S’il est vrai que tu dois par­tir, cela me causera beau­coup de cha­grin.
Mais je préfère cette fran­chise à un igno­ble procédé.
Je ne com­prends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais :
« Tu es le pro­prié­taire de mon amour. »
La pau­vreté t’a fatiguée ?
Tu ne m’aimes plus, peut-être ?
Ou tu as ren­con­tré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de fer­veur.

Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pour­ras pas revenir en arrière.
Pense-le bien.
Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.

Je te remer­cie pour les moments les plus heureux de ma vie.
Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma soli­tude.
Alors aveu­gle, j’ai cou­ru à ta ren­con­tre pour me repos­er dans tes bras.
Et mes nuits angois­sées, avec ta paix, je les avais effacées.
C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. »
Plus que jamais j’ai besoin des caress­es de ton amour.
Écoute-moi… Je t’en sup­plie pour ma chère mère.
Ne pars pas !
Rap­pelle-toi que tu as juré par Dieu.

Autres versions

Il existe trois tan­gos por­tant le titre Pen­sa­lo Bien, mais un seul enreg­istrement nous restitue la créa­tion de Juan José Vis­ciglio, Nolo López et Julio Alber­to Can­tu­ar­ias à l’époque de l’âge d’or du tan­go de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre tan­go du jour. Bien sûr, des orchestres con­tem­po­rains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en pro­pose deux.

Mais aupar­a­vant, je vais vous présen­ter les « faux » Pen­sa­lo bien.

Les « faux » Pensalo bien

Évidem­ment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas con­nu le même suc­cès que notre tan­go du jour.

Pensalo bien composé par Edgardo Donato

Pen­sa­lo bien 1926-12-14 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Cette ver­sion instru­men­tale a été com­posée par Edgar­do Dona­to. Dès les pre­mières sec­on­des, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instru­men­tal, per­son­ne ne pour­ra penser qu’il a le même titre que notre tan­go du jour.

Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López

C’est la ver­sion éti­quetée par erreur dans la par­ti­tion pub­liée par Charles Gor­czyn­s­ki. On remar­quera tout de suite que cette ver­sion n’a rien à voir avec la par­ti­tion présen­tée qui est bien celle de la ver­sion de Juan José Vis­ciglio (notre tan­go du jour).

Pen­sa­lo bien 1929-10-10 — Orques­ta Rober­to Fir­po con Teó­fi­lo Ibáñez.
Pen­sa­lo bien 1929-10-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.
Pen­sa­lo bien 1929-12-17 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Comme bien sou­vent, Canaro enreg­istre une ver­sion de danse et une ver­sion chan­son. Cette dernière avec Ada Fal­cón.

Pen­sa­lo bien 1959-09-21 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca con Luis Cor­rea.

30 ans plus tard, Sala­man­ca pro­pose cette ver­sion qui, je le recon­nais, aurait pu ne pas faire par­tie de ma sélec­tion…

Le « vrai » Pensalo bien

Pen­sa­lo bien 1938-06-22 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.
Pen­sa­lo Bien — Sex­te­to Milonguero con Javier di Ciri­a­co.

Pen­sa­lo Bien — Sex­te­to Milonguero con Javier di Ciri­a­co. Ce sex­te­to, aujourd’hui dis­paru, avait pro­posé des ver­sions per­son­nelles des grands suc­cès du tan­go. Ici, Pen­sa­lo Bien, chan­té par son leader, Javier Di Ciri­a­co. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sex­te­to et de la part de cet orchestre, on pour­rait atten­dre une ver­sion un peu plus énergique, mais c’est sym­pa­thique tout de même.

Pour ter­min­er, une ver­sion un peu « cabo­tine » de Fer­nan­do Ser­ra­no… 

Pen­sa­lo bien 2020, Fer­nan­do Ser­ra­no

C’est dans­able et si tout comme la ver­sion du Sex­te­to Milonguero, ça ne peut pas faire oubli­er l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recev­able danse une milon­ga. L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle mon­tre les deux instru­men­tistes (pianiste et ban­donéon­iste) à l’œuvre.

Pensez‑y bien, et à demain les amis !

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un arti­cle qui dis­ait que Tita Merel­lo avec «Yo soy así», avait don­né une place aux femmes dans le tan­go. Il me sem­ble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des inter­prètes de la pre­mière heure, Flo­ra Gob­bi, Rosi­ta Quirogan, Ada Fal­cón, Ani­ta Palmero, Azu­ce­na Maizani, Nel­ly Omar, Mer­cedes Simone, Lita Morales, Lib­er­tad Lamar­que, Tania, María Graña, Susana Rinal­di, Vir­ginia Luque, Ela­dia Blázquez, Nina Miran­da, Impreio Argenti­na, Olga Del­grossi et bien sûr et pas des moin­dres, Tita Merel­lo. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous par­le de tan­go.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois caus­es. La pre­mière est que les femmes ont eu une place impor­tante comme chanteuses, mais pas réelle­ment comme chefs d’orchestre ou musi­ci­ennes. Aujourd’hui, beau­coup de danseurs con­nais­sent et recon­nais­sent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est sou­vent, car ce sont des « cou­ples » que l’on est habitué à associ­er à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troi­lo-Fiorenti­no ou Rodriguez-Moreno. S’ils enten­dent Fiorenti­no avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le recon­nais­sent.

Les femmes ont plus sou­vent chan­té des ver­sions à écouter que des ver­sions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette rai­son, d’autant plus que la voix de femme dans un reg­istre plus aiguë laisse de la place aux instru­ments plus graves qui mar­quent générale­ment la pul­sa­tion, Main gauche au piano, con­tre­basse, ban­donéon… La preuve est que des ver­sions chan­tées de bout en bout par des femmes sont par­faite­ment dans­ables alors que par le même orchestre et à la même époque, une ver­sion chan­tée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exem­ple les enreg­istrements de Canaro qui a de nom­breux exem­ples de titres enreg­istrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, lais­sant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tan­gos. Là, elles n’ont pas tou­jours le beau rôle, comme en témoigne notre tan­go du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous mon­tr­er qu’il y a de nom­breuses femmes dans l’univers de tan­go, je vous pro­pose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, con­cen­trons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’écouter notre tan­go du jour, sachez qu’il existe un autre tan­go du même titre, Sin sabor joué par Tito Fran­cia qui en est le com­pos­i­teur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pour­rai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nom­breux à aimer ce duo mag­nifique, cette musique entraî­nante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milon­gas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Hora­cio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour for­mer un duo et finale­ment, l’orchestre ter­mine le tan­go. La struc­ture est très sim­ple, comme l’orchestration. C’est une belle ver­sion qui brille par sa sim­plic­ité et sa légèreté.

Paroles

Lle­van­do mi pesar
Como una maldición
Sin rum­bo fui
Bus­can­do de olvi­dar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desam­paro cru­el
Tratan­do de olvi­darte recordé
Con la ansiedad febril
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la real­i­dad
De toda tu cru­el­dad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encan­dilé
Lle­va­do en mi ansiedad de amar
Besos impreg­na­dos de amar­gu­ra
Tuve de tu boca en su fri­al­dad
Tu alma no sin­tió mi fiel ter­nu­ra
Y me brindó con su rig­or, mal­dad
Quiero disi­par toda mi pena
Bus­co de cal­mar mi sins­a­bor
Sien­to inaguantable esta cade­na
Que me ceñí al implo­rar tu amor

Ascanio Ernesto Dona­to Letra : Adol­fo Anto­nio Vedani

Hora­cio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Por­tant mon cha­grin comme une malé­dic­tion, sans but, j’ai cher­ché à oubli­er.
Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la soli­tude d’un cru­el aban­don.
Essayant de t’oublier, je me suis sou­venu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai don­né tout mon être et voy­ant la réal­ité de toute ta cru­auté, j’ai mau­dit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laque­lle j’étais ébloui), emporté par mon anx­iété d’aimer.
Des bais­ers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas sen­ti ma ten­dresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dis­siper toute ma douleur, je cherche à apais­er ma détresse (sins­a­bor, de sin sabor [sans saveur] sig­ni­fie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insup­port­able cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgar­do Dona­to et Hora­cio Lagos, l’équipe qui nous offre le tan­go du jour.

Sur cette pho­to, Lita Morales et Hora­cio Lagos ne sem­blent pas être le cou­ple ayant don­né le sujet de ce tan­go… Il se dit qu’ils se seraient mar­iés, mais rien ne le prou­ve. Ce cou­ple, si c’était un cou­ple, était très dis­cret et mys­térieux. Un indice, les deux ont com­mencé par enreg­istr­er du folk­lore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapi­de­ment la car­rière (1935–1942 pour Hora­cio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de nais­sance, Lita aurait été enceinte. Ceci pour­rait expli­quer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tan­go du jour est a pri­ori, la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée et la seule avant une date assez récente.

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales. C’est notre tan­go du jour.

Le Cuar­te­to Mulen­ga l’a enreg­istré vers 2008, avec le chanteur Max­imil­liano Agüero.

Sins­a­bor 2008c — Carte­to Mulen­ga Con Max­imil­liano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette ver­sion, mais elle a du mal à faire oubli­er celle de Dona­to, à mon avis.
C’est toute­fois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totale­ment trans­for­mé. En revanche, la Roman­ti­ca Milonguera nous en a don­né plusieurs ver­sions intéres­santes.

Sins­a­bor 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (Sur l’album Roman­ti­ca Milonguera de 2017).
Sins­a­bor 2018 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur l’album Duo de 2018). Cette, nou­velle ver­sion est plus tonique.
Sins­a­bor 2019 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur le sin­gle Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas ver­siones de 2019).

Rober­to Minon­di est un mag­nifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remar­quable.

Elle me per­met d’introduire la dernière par­tie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tan­go. Com­bi­en en con­nais­sez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous pro­pose une petite galerie de por­traits. Elle est très incom­plète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Com­bi­en de chanteuses recon­nais­sez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire appa­raitre le nom de la chanteuse.

Temo 1940-05-10 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar (Mario Celestino Corrales)

Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)

Temo (j’ai peur), est une valse mer­veilleuse qui depuis une quin­zaine d’années fait par­tie des valses les plus passées en milon­ga. Lorsque les pre­mières notes reten­tis­sent, les danseurs se ruent sur la piste.

Une équipe de choc

Cer­tains danseurs pensent que l’orchestre Típi­ca Vic­tor est un orchestre comme un autre. Il s’agit en fait d’un orchestre des­tiné aux enreg­istrements. Il ne se pro­dui­sait pas sur scène.
Son autre par­tic­u­lar­ité est qu’il a changé de chef au cours du temps. Le pre­mier Cara­bel­li n’est plus dans l’orchestre au moment de l’enregistrement de Temo. C’est le ban­donéon­iste Fed­eri­co Scor­ti­cati qui dirige l’orchestre à ce moment. Cet excel­lent ban­donéon­iste, encore un enfant prodi­ge a joué pour les plus grands orchestres et mal­gré sa dis­cré­tion, la com­pag­nie Vic­tor lui con­fia la direc­tion de l’orchestre, de 1935 à 1941. Il était mod­este, mais excel­lent.
La Vic­tor savait choisir ses musi­ciens, voici la liste de ceux qui tra­vail­laient pour l’orchestre au moment de l’enregistrement de notre valse du jour :
Fed­eri­co Scor­ti­cati (direc­tion et ban­donéon) Eduar­do Del Piano (ban­donéon), Hora­cio Golli­no (ban­donéon), Domin­go Triguero (ban­donéon), Héc­tor Stam­poni (piano), Elvi­no Var­daro (vio­lon), Víc­tor Felice (vio­lon), Víc­tor Braña (vio­lon), Abra­ham Gosis (vio­lon), Emilio González (vio­lon), Hum­ber­to Di Tata (con­tre­basse) et au chant, Mario Pomar. Que l’on sem­ble plus désor­mais appel­er par son nom réel, Cor­rales, je ne con­nais pas la rai­son de cette mode.

Extrait musical

Temo 1940-05-10 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar. Je vous laisse écouter cette mer­veille. On en repar­lera plus bas…

Paroles

Porque tus ojos me huyen
Aca­so no me amas ya…
Dime que lo haces tan sólo
Por ver si te quiero más…
Dilo, no ves que mi alma
Espera escuchar tu voz…
Entre can­ciones de besos
Me dices: “Te quiero, mi vida…”

Temo que ya no me quieras
Que ya no me quieras más…
Y es cru­el tor­tu­ra el pen­sar
Que no me amas, que a otro amás…
Dime que es fiel tu car­iño
Dime que es mío, muy mío,
Que sólo me huyen tus ojos
Por verme sufrir.

Aguar­iguay (Mario Luis Rafael­li) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Peras­so)

Traduction libre

Pourquoi tes yeux me fuient-ils ? Peut-être que tu ne m’aimes plus ?
Dis-moi que tu le fais juste pour voir si je t’aime encore plus…
Dis-le, ne vois-tu pas que mon âme attend d’entendre ta voix, entre deux chan­sons de bais­ers me dire : « Je t’aime, ma vie… »
 J’ai peur que tu ne m’aimes pas, que désor­mais tu ne m’aimes plus et c’est une cru­elle tor­ture de penser que tu ne m’aimes pas, que tu aimes un autre…
Dites-moi que ton affec­tion est fidèle, dis-moi que tu es mienne, bien mienne, que tes yeux se détour­nent seule­ment, car ils me voient souf­frir.

Autres versions

Le suc­cès de cette valse est lié unique­ment à la ver­sion de la Típi­ca Vic­tor. Donc, pas vrai­ment d’autres ver­sions à vous pro­pos­er. Sig­nalons toute­fois que l’orchestre Hypéri­on l’a à son réper­toire et la joue régulière­ment. Mal­heureuse­ment les ver­sions dis­ques ne sont pas géniales et il vaut mieux écouter l’orchestre en direct.
Je vous pro­pose donc un autre exer­ci­ce, une tan­da de valse de la Típi­ca Vic­tor

Une tanda de valses

Faire une tan­da de la Típi­ca Vic­tor n’est pas si facile. Il y a pour­tant près de 50 valses par cet orchestre, mais comme nous l’avons vu, cet orchestre a des styles très dif­férents selon les épo­ques et les directeurs qui se sont suc­cédé.
Le but de la Vic­tor était d’enregistrer les gros suc­cès de l’époque, pas de faire des tan­das homogènes. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un orchestre de bal, seule­ment d’un orchestre de dis­ques.

Construction d’une tanda avec Mario Pomar au chant

En général, on s’arrange pour plac­er dans une tan­da des titres du même orchestre. S’il y a un chanteur, on reste sou­vent avec le même chanteur, dans la même péri­ode et le même style.
Avec la Vic­tor, autour de la valse Temo, si on suit ce principe, on n’a que trois autres valses à pro­pos­er. Les voici par ordre chronologique avec Temo pour ter­min­er :

Vuelve otra vez 1939-05-08 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

Ce titre démarre d’une façon assez rapi­de. Il a con­tre lui de ne pas être beau­coup joué. Pour un pre­mier titre, il y a donc le risque que ça ne se lève pas assez vite. Il a un autre point faible, lorsque Pomar com­mence à chanter, le rythme a un peu ralen­ti. L’ingénieur du son a de plus net­te­ment bais­sé le vol­ume de l’orchestre pour favoris­er la voix, ce qui peut faire per­dre le pas aux danseurs. N’oublions pas le con­seil de Adol­fo Pugliese, à son fils, Osval­do : « regarde les pieds des danseurs. S’ils per­dent la musique, c’est de ta faute ». Sur une tan­da de trois, je ne met­trais pas ce titre.

Noche de estrel­las 1939-10-04 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

En revanche Noche de estrel­las est suff­isam­ment con­nu pour faire un pre­mier titre et même s’il n’est pas plus rapi­de que la précé­dente, ses jeux de vio­lons et ban­donéons la rende moins monot­o­ne. Pomar chante égale­ment de façon plus tonique. Sur une tan­da de trois, c’est un excel­lent pre­mier titre.

Ani­ta 1939-12-12 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

Ani­ta a un rythme plus rapi­de. Elle est entraî­nante. Le style est cepen­dant dif­férent des deux pre­mières valses. Pour ma part, cela me gêne. En revanche, la fin est entraî­nante. Le change­ment de tonal­ité vers un son plus aigu donne l’impression d’accélération. La fin est donc très sat­is­faisante pour les danseurs.

Temo 1940-05-10 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

On arrive à notre valse du jour, la vedette des enreg­istrements avec Pomar. Aucun prob­lème pour ter­min­er la tan­da, avec cette valse, car le titre est con­sen­suel. Cepen­dant, si on a passé avant Ani­ta, on peut trou­ver que la fin manque d’élan
Dans ce cas on pour­rait imag­in­er de pass­er Ani­ta en dernier. Mais c’est un peu comme ter­min­er un repas en reprenant du fro­mage après le dessert. C’est là que l’observation des danseurs est très impor­tante. En effet, selon le moment de la milon­ga, selon ce qu’on va met­tre ensuite, on ne fera pas le même choix. Il est sûr que les deux pre­miers titres iront au début d’une tan­da de qua­tre et que les deux derniers iront à la fin d’une tan­da de qua­tre. Si on fait une tan­da de trois, ce qui com­mence à devenir courant, notam­ment pour les valses, même à Buenos Aires. On pour­rait donc avoir :

Noche de Estrel­las — Ani­ta — Temo ou Noche de Estrel­las — Temo — Ani­ta.

Je pencherai plutôt pour la sec­onde solu­tion, car la petite décep­tion d’avoir Ani­ta après Temo sera absorbée par la fin plus tonique, mais c’est le type de cas où je prends la déci­sion dans les 20 sec­on­des qui précè­dent l’avant-dernier titre…

Exploration d’autres tandas à partir de Temo

Il y a d’autres pos­si­bil­ités que de se can­ton­ner aux qua­tre valses de Pomar.

Prendre une ou des valses de la Típica Victor, instrumentales ou par un autre chanteur.

C’est sou­vent ce qu’on fait quand on veut faire une tan­da des grands hits. Dans ce cas, on va plac­er les valses les plus fameuses de cet orchestre, comme Sin rum­bo fijo (chan­tée par Ángel Var­gas).

Sin rum­bo fijo 1938-04-18 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Ángel Var­gas.

La voix est moyen­nement com­pat­i­ble, mais la musique, si, et après tout, le chanteur ne chante qu’une toute petite par­tie, ce qui fait que les danseurs auront oublié la dif­férence de voix.
Atten­tion, cer­tains chanteurs ne vont pas du tout ensem­ble. Par exem­ple, Car­los Lafuente qui chante un mois avant Pomar la valse Ínti­ma risque d’être très gênant.

Ínti­ma 1940-04-11 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Car­los Lafuente.

Toute­fois, on peut faire pire en prenant une valse d’un car­ac­tère totale­ment dif­férent, ici, tou­jours par Lafuente, Lamen­tos de mujer :

Lamen­tos de mujer 1933-05-24 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Car­los Lafuente.

Dans ce cas extrême, les deux valses par Lafuente ne vont même pas ensem­ble. On notera que l’introduction très longue (40 sec­on­des) devra être coupée pour un pas­sage en cours de tan­da afin d’éviter que les danseurs, même les plus bavards, s’ennuient.
Si on ne veut pas pren­dre de risque de mélanger des voix incom­pat­i­bles, on peut mix­er avec de l’instrumental, par exem­ple en choi­sis­sant la valse Novia mía :

Novia mía 1938-01-07 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Pren­dre des titres célèbres pour faire une super tan­da est une excel­lente solu­tion. Son seul incon­vénient pour des milon­gas de très longue durée (8 heures ou plus comme j’en fais sou­vent), c’est que l’on grille toutes ses car­touch­es dans une tan­da. Si on veut faire une autre tan­da sem­blable quelques heures plus tard, on a moins de choix de morceaux phares. C’est aus­si le même prob­lème dans les événe­ments où se suc­cè­dent plusieurs DJ qui ne s’écoutent pas (ou qui tra­vail­lent avec des playlists immuables), on peut avoir deux fois de suite les mêmes morceaux. À Buenos Aires où les milon­gas durent sou­vent longtemps, il arrive qu’il y ait deux DJ. Lors de la pas­sa­tion de « pou­voir », on indique au col­lègue ce qu’on a passé pour qu’il évite les répéti­tions. Cela lui per­met aus­si de bouch­er les éventuels trous, les orchestres qui ne sont pas passés, par exem­ple. Pour ma part quand je passe après d’autres DJ, j’évite les répéti­tions et si j’anime tout un week-end (5 ou 6 milon­gas), je garde des tanga­zos (tan­gos très appré­ciés) pour chaque orchestre afin de pou­voir pro­pos­er une var­iété, sans épuis­er les titres incon­tourn­ables trop rapi­de­ment.

Prendre un titre par un autre orchestre

Pour les enreg­istrements anciens de la Típi­ca Vic­tor, avec Cara­bel­li, il est assez logique de mari­er les tan­das avec des titres de Cara­bel­li dirigeant son orchestre per­son­nel. Dans le cas de Scor­ti­cati, c’est impos­si­ble, il n’a pas enreg­istré avec ses pro­pres orchestres qui étaient par ailleurs tem­po­raires et plus de cir­con­stance que la volon­té de ce ban­donéon­iste d’avoir son orchestre. Cela se fait très peu en tan­go. En revanche, cela se pra­tique assez sou­vent en milon­ga et en valse. Cela peut être une bonne solu­tion. Encore faut-il que le DJ le fasse avec goût. Rien de plus frus­trant pour un danseur de s’élancer sur la piste avec un thème qui lui plaît et de se retrou­ver ensuite avec un titre qui ne l’inspire pas.
Voici une sug­ges­tion, un peu lim­ite, mais qui peut pass­er avec Temo, du moins à mon avis.

Con tus besos 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Con tus besos pour­rait faire un bon début de tan­da.

Pourquoi tu as peur, mon gars ?

Porteña linda 1940-04-30 — Orquesta Edgardo Donato y sus muchachos con Horacio Lagos (Milonga)

Edgardo Donato (Edgardo Felipe Valerio Donato) Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Les tan­gos par­lent sou­vent des jolies femmes. Celles-ci sont de Buenos Aires, mais d’autres villes ont droit à la mise en valeur de leurs femmes. Aujourd’hui, nous fer­ons un jeu et décou­vrirons une femme qui est sans doute une des inspi­ra­tri­ces de cette milon­ga pour Hora­cio San­guinet­ti, l’auteur des paroles.

Jeu des sept erreurs

Un petit jeu pour com­mencer. Voici une image avec une cou­ver­ture de par­ti­tion de Porteña lin­da et un disque de la firme Vic­tor, égale­ment avec Porteña lin­da. Cherchez, non pas néces­saire­ment les erreurs, mais ce qui est dif­férent (il y a moins de sept dif­férences à trou­ver). Réponse après les paroles et avant la décou­verte de Rosi­ta…

Extrait musical

À gauche, cou­ver­ture de la par­ti­tion pour piano et voix de Porteña lin­da et à droite, disque de Porteña lin­da.
Porteña lin­da 1940-04-30 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos (Milon­ga)

Hier, je vous avais pro­posé une ving­taine de ver­sions. Pour ce titre, seul Dona­to a enreg­istré sa com­po­si­tion, mais de si belle manière que cela com­pense…

Les paroles

Buenos Aires tiene
De noche y de día,
Mujeres tan lin­das
Que no las cam­biaría.

Sin hablar de más
Ni des­pre­ciar a las ingle­sas,
Y sin humil­lar
Por las france­sas.

Buenos Aires tiene
Mujeres tan lin­das,
Que uno ya pierde la razón
Y da el corazón.

Soy el canyengue
De esta milon­ga,
Porteña lin­da
No hay quién te pise el pon­cho,
Ayer creí que por Maipú y Tucumán
Iba a morir de amor.

Edgar­do Dona­to (Edgar­do Felipe Vale­rio Dona­to) Letra: Hora­cio San­guinet­ti (Hora­cio Baster­ra)

Traduction libre et indications

Buenos Aires a, nuit et jour, des femmes si belles que je ne les chang­erais pas. 
Sans en dire plus, ni dépréci­er les Anglais­es, et sans hum­i­li­er les Français­es. Buenos Aires a de si belles femmes que vous perdez la tête et don­nez votre cœur. 
Je suis le com­padre de cette milon­ga, Porteña lin­da (belle habi­tante de Buenos Aires) il n’y a per­son­ne pour te provo­quer (Pis­ar el pon­cho en lun­far­do sig­ni­fie chercher des nois­es. Les gau­chos posaient leur pon­cho au sol et l’adversaire, s’il accep­tait le com­bat le piéti­nait), hier j’ai cru qu’à l’angle de Maipú et Tucumán j’al­lais mourir d’amour. (Maipú et Tucumán est l’intersection de ces deux rues de Buenos Aires. Il y avait là un bar célèbre, car c’est ici que Car­los Di Sar­li a com­mandé les paroles du tan­go « Corazón ». à Héc­tor Mar­có).

Réponse au jeu des sept erreurs

Voici la réponse à notre petit jeu.

À gauche, cou­ver­ture de la par­ti­tion pour piano et voix de Porteña lin­da et à droite, disque de Porteña lin­da.

Si le titre est le même, ce n’est pas la même œuvre. La par­ti­tion est une pro­duc­tion espag­nole avec un com­pos­i­teur et un paroli­er dif­férent de la ver­sion de notre milon­ga du jour qui est une œuvre argenti­no-uruguayenne.

Cou­ver­ture de par­ti­tionDisque
TitrePorteña lin­daPorteña lin­da
TypeTan­go can­ciónMilon­ga tanguea­da
Com­pos­i­teurJoaquina Mar­ti MiraEdgar­do Dona­to
Paroli­erHilario Omedes (y Hernán­dez)Hora­cio San­guinet­ti
Date1934Avant avril 1940
Lieu de pro­duc­tionMadrid — EspagneBuenos Aires — Argen­tine

Joaquina Marti Mira, Hilario Omedes et Hernández

Dans la Gac­eta de Madrid n°126 du 6 mai 1935, on peut lire :
“70.657.— Porteña lin­da, tan­go can­ción; por Hilario Omedes y Hernán­dez, de la letra, y Joaquina Martí Mira, de la músi­ca, Madrid. Lit. Sucs. de Durán, 1934.— Folio con dos hojas. (44.872.)”.
On notera donc que cette œuvre a été pub­liée en 1934 et qu’un auteur sup­plé­men­taire est indiqué, Hernán­dez.
En ce qui con­cerne Hilario Omedes, cet auteur ne sem­ble pas avoir été pro­lifique. On con­nait de lui cette pièce de théâtre ¡Histéri­ca! Plutôt du niveau du comique troupi­er. En voici un court extrait que je vous ai traduit de l’espagnol :

« — Marie : Que dîtes-vous ? Fer­nan­do s’en va ? Il part de Madrid ? (Elle pleure) […] Lais­sez-moi seule !
- Don­cel­la : (Boulever­sée) Mais ne pleurez pas made­moi­selle… Oui… Je m’en vais ; mais ne pleurez pas… Comme si un homme méri­tait autant !
(En aparte) Per­dre un fiancé offi­ciel, passe encore, mais tout un batail­lon… Ji… i… Ji… i ; (Elle sort en pleu­rant, essuyant ses larmes avec son tabli­er). »

Hernán­dez, l’autre auteur cité par la Gac­eta de Madrid est peut-être Guiller­mo Hernán­dez Mir. Celui-ci est un peu plus pro­lifique. Il a écrit, des livres, nou­velles, mais aus­si pour le théâtre. Si vous voulez un exem­ple, La Feria (1915) : disponible en télécharge­ment gra­tu­it…

Quant à la com­positrice, Joaquina Martí Mira, elle a aus­si com­posé au moins un paso doble, égale­ment cité dans la Gac­eta de Madrid,
57.152.—De los Ardales, pasodoble, por “Mar­timi­ra” y “Mignon”, seudón­i­mos de doña Joaquina Martí Mira y D. Anto­nio Grau ; Dauset. ” Ejem­plar manuscrito.-—4.® apaisa­do con dos hojas. (36.562.)

N’ayant pas trou­vé un enreg­istrement de son tan­go Porte­na lin­da, je vous pro­pose Perdó­na­lo qu’elle a signé de son pseu­do­nyme Mar­timi­ra y Mignon. Anto­nio Grau Dauset a écrit les paroles. L’orchestre n’est pas iden­ti­fié. La chanteuse est Paqui­ta Alfon­so. L’enregistrement est au cat­a­logue de Juil­let 1930 de « La Voz de Su Amo » (édi­teur musi­cal de Barcelone), il est donc antérieur.

Perdó­na­lo 1930c — Mar­timi­ra y Mignon (Joaquina Martí Mira) Letra: Anto­nio Grau Dauset.
Her­al­do de Barcelona, vers 1930 (rubrique théâ­trale en page 9. Paqui­ta Alfon­so qui chante le titre de Joaquina Mar­ti Mira est con­nue. Faut-il en déduire une cer­taine notoriété pour la com­positrice de porteña Lin­da made in spain ?

Rosita

J’ai déjà par­lé du des­tin trag­ique de San­guinet­ti, ou plutôt d’Hora­cio Baster­ra qui est retourné dans son pays après avoir tué le mil­i­taire qui mal­traitait sa sœur. Sa fuite rocam­bo­lesque en Uruguay depuis Tigre avec l’aide d’Osvaldo Pugliese et de Cátu­lo Castil­lo pour­rait faire l’objet d’un roman.
Mais sa vie, courte et trag­ique lui a per­mis d’écrire au moins 155 titres (enreg­istrés à la SADAIC). Nous le retrou­verons donc à d’autres reprise dans les anec­dotes de tan­go.
Aujourd’hui, je vais juste évo­quer Rosi­ta, son grand amour.
Rosi­ta, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coif­fés en arrière et elle fumait.
On peut trou­ver son por­trait en fil­igrane dans dif­férentes com­po­si­tions de San­guinet­ti. Dans notre milon­ga du jour, par exem­ple, mais peut-être encore plus dans Prince­sa del fan­go.

Prince­sa del fan­go 1951-05-11 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Julio Sosa.
Enrique Mario Franci­ni Letra: Hora­cio San­guinet­ti (Hora­cio Baster­ra)

Je reviendrai sur ce titre le 11 mai, jour anniver­saire de son enreg­istrement par Julio Sosa.

Rosi­ta, que j’imag­ine un peu à la Evi­ta était une femme de la nuit, une princesse de la fange.

El huracán 1950-04-14 – Orquesta Edgardo Donato instrumental y con Carlos Almada

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Ce 14 avril est un jour faste, je vous pro­pose deux tan­gos du jour. Ils por­tent le même nom, El huracán, ils sont com­posés par les mêmes frères Dona­to et ils ont été enreg­istrés le même jour. La seule dif­férence est que l’un des deux est chan­té par Car­los Alma­da.

Extrait musical

Voici les deux tan­gos enreg­istrés par Dona­to, le com­pos­i­teur, le 14 avril 1950, il y a 74 ans.

El huracán 1950-04-14 — Orques­ta Edgar­do Dona­to instru­men­tal
El huracán 1950-04-14 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da

Ces deux ver­sions sont incroy­able­ment dif­férentes. Les instru­ments s’amusent énor­mé­ment dans la pre­mière ver­sion, instru­men­tale. Les nuances sont plus mar­quées.

La ver­sion chan­tée par Car­los Alma­da a un rythme plus soutenu. La voix de Car­los Alma­da dit presque plus que chante les paroles. Cette ver­sion tonique décoiffe plus que la précé­dente, mais perd sans doute un peu de son inten­sité musi­cale. Il fau­dra écouter les deux.

Les paroles

El huracán desar­raigó con cru­el­dad
el ros­al que plan­té en el jardín
de mi amor que cuidé con afán
y, al nac­er una flor, la traición
le cortó sin piedad su raíz
y el ros­al nun­ca más flo­re­ció.
Como al ros­al mi ilusión la mató
un amor de mujer que mintió.
Cristo soy con mi cruz al andar,
com­pasión solo doy al pasar.
Ven­daval que arrasó mi quer­er,
huracán trans­for­ma­do en mujer.

Fueron sus cari­cias
llenas de mal y traición,
labios que mintieron despi­ada­dos
y al besar su fal­sa boca
se me hela­ba el corazón.
Ilusión que se fue,
amor que mató.
Una mala mujer que lle­va
el veneno escon­di­do
en su negro corazón.

Te per­doné porque odi­ar yo no sé,
ni ren­cor para ti guardaré
sólo sé que su mal der­rum­bó
el Edén que hil­vané con fer­vor,
luz de amor que jamás volverá
a alum­brar a mi fiel corazón.
Vago sin fe con mi cruz de dolor,
hoy vivir para mí es cru­el­dad
juven­tud que le di sin dudar
y jugó sin piedad con mi amor.
Ven­daval que arrasó mi quer­er,
huracán trans­for­ma­do en mujer.

Osval­do Dona­to; Edgar­do Dona­to Letra: Nolo López (Manuel López)

Traduction libre

L’ouragan a cru­elle­ment dérac­iné le rosier que j’avais plan­té dans le jardin de mon amour que j’ai entretenu avec empresse­ment, et quand une fleur est née, la trahi­son a impi­toy­able­ment coupé sa racine et le rosier n’a plus jamais fleuri.
Comme le rosier, mon illu­sion a été tuée par l’amour d’une femme qui a men­ti.
Christ je suis avec ma croix quand je marche, la com­pas­sion je ne donne qu’en pas­sant.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un oura­gan trans­for­mé en femme.


Ses caress­es étaient pleines de mal et de trahi­son, ses lèvres qui men­taient impi­toy­able­ment, et embrass­er sa bouche, fausse me glaçait le cœur. L’illusion qui s’en est allée, l’amour qui tua.

Une mau­vaise femme qui porte le poi­son caché dans son cœur noir.

Je t’ai par­don­né parce que je ne sais pas haïr, je ne garderai pas de rancœur envers toi, ce que je sais c’est que ta mau­vaiseté a fait s’effondrer l’Eden que j’avais arrosé avec fer­veur, une lumière d’amour qui n’illuminera plus jamais mon cœur fidèle.

J’erre sans foi avec ma croix de douleur, aujourd’hui vivre pour moi, est une cru­elle jeunesse que je lui ai don­née sans hési­ta­tion et que j’ai jouée sans pitié avec mon amour.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un oura­gan trans­for­mé en femme.

Autres versions par Donato

Dona­to a enreg­istré deux ver­sions en 1950, mais il nous a lais­sé égale­ment deux ver­sions en 1932. Voici cette dou­blette :

El huracán 1932-12-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Félix Gutiér­rez — Prise 1.
El huracán 1932-12-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Félix Gutiér­rez — Prise 2.

Pour infor­ma­tion, c’est la ver­sion inau­gu­rale qui a été jouée avant cet enreg­istrement au Salón San Martín (en 1928), plus con­nu sous le nom de Salón Rodríguez Peña et aujourd’hui, Teatro El Vit­ral.
Pour mémoire, voici nos deux tan­gos du jour :

El huracán 1950-04-14 — Orques­ta Edgar­do Dona­to instru­men­tal
El huracán 1950-04-14 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da

Dona­to l’enregistrera une dernière fois en 1961 avec la voix d’Andrés Galarce.

El huracán 1961-11-01 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Andrés Galarce

Autres versions par d’autres orchestres

El huracán 1943 — Tres Gui­tar­ras Argenti­nas Dir. Guiller­mo Neira.

Une ver­sion incroy­able, com­ment les gui­tares vir­tu­os­es arrivent à pro­duire le son de la tem­pête. Main­tenant, un orchestre dont on pour­rait qu’il soit à la mesure du défi de la tem­pête, celui de Juan D’Arienzo.

El huracán 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo. D’Arienzo pro­duit une belle presta­tion, notam­ment grâce au piano de Ful­vio Sala­man­ca.
El huracán 1948-09-21 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis.

De Ange­lis, avec son piano encore plus présent que dans la ver­sion de D’Arienzo de 1944 donne une belle ver­sion. Le ren­du de la tem­pête avec les cordes ren­dant l’ef­fet de vent en com­pag­nie du piano est assez dif­férent. Une ver­sion qui défile, emportée par le vent, jusqu’à la dernière note.

El huracán 1952 — Orques­ta Tito Martín.

Pour représen­ter les années 50, j’ai choisi l’orchestre de Tito Martín, rarement dif­fusé en milon­ga. Il faut dire qu’il s’inscrit dans la lignée de ces orchestres à la manière de D’Arienzo et que donc on peut (doit ?) préfér­er pass­er l’original. Cepen­dant, il ne démérite pas et je pense que beau­coup de danseurs ne remar­queront pas qu’il ne s’agit pas de D’Arienzo… Ah ! vous pensez que l’on ne peut pas tromper les danseurs ? Lisez cette anec­dote jusqu’au bout et vous serez sur­pris…

El huracán 1967 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca.

L’ancien pianiste de D’Arienzo fait sa ver­sion per­son­nelle, assez orig­i­nale. Il récidi­vera avec une ver­sion sem­blable 8 ans plus tard.

El huracán 1973 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Sas­sone, tou­jours à la recherche du temps per­du. Sa recherche de joliesse nuit sans doute à la force du mes­sage. Pour moi, ce n’est pas une ver­sion con­va­in­cante. Le vent manque de con­vic­tion, dif­fi­cile de se faire emporter comme le rosier par son souf­fle.

El huracán 1987 — Los Solis­tas de D’Arienzo dir. by Car­los Laz­zari.

La majorité des DJ passent ce titre en annonçant qu’il est de D’Arienzo. C’est bien sûr faux, D’Arienzo étant mort en 1976, soit plus de 11 ans avant cet enreg­istrement… Cepen­dant, le chef d’orchestre est Car­los Laz­zari, ban­donéon­iste et arrangeur de D’Arienzo dans ses dernières années. Les musi­ciens sont égale­ment en grande par­tie ceux de l’orchestre. C’est donc un héritage et le men­songe n’est pas trop fort. Cela per­met de pro­pos­er une ver­sion plus énergique que celle de 1944, qui est un peu déce­vante sur ce point, bien que tout à fait con­ven­able pour la danse.

Je vous laisse donc tour­bil­lon­ner aux sons du ter­ri­fi­ant oura­gan qui déracine les rosiers.

Vous pou­vez con­tin­uer avec la plu­part des orchestres con­tem­po­rains qui con­tin­u­ent d’enregistrer de nou­velles ver­sions de ce titre, la plu­part dans l’esprit de D’Arienzo, mais le mieux, c’est de les danser en présence des orchestres, ce qui est pos­si­ble très sou­vent à Buenos Aires.

El adiós 1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Plus de 200 tan­gos ont dans leur titre le mot «Adios». C’est donc un thème fort du tan­go, mais la com­po­si­tion écrite par Maru­ja Pacheco Huer­go est de loin la plus célèbre. Je vous pro­pose, la ver­sion qui est con­sid­érée comme la plus belle, celle de Dona­to avec Lagos qui fête aujourd’hui ses 86 ans.

Il y a adiós et adiós

Il y a env­i­ron 200 tan­gos avec adiós dans le titre dont on a au moins un enreg­istrement et il faut rajouter une dizaine de valses et même une milon­ga.
Cepen­dant, tous les adiós ne sont pas sim­i­laires.
Con­traire­ment au français, adiós n’a pas la con­no­ta­tion défini­tive de l’adieu. En français, on dit surtout Adieu quand on ne compte plus se revoir, ou seule­ment en présence de Dieu (À Dieu), après la résur­rec­tion.
Pour les Argentins, ce n’est pas le cas. C’est un syn­onyme com­plet d’au revoir et il s’emploie donc de la même façon. Un Argentin qui vous dit adieu a l’intention de vous revoir, il vous recom­mande juste « à Dieu », c’est-à-dire qu’il vous souhaite d’aller bien pen­dant le temps de la sépa­ra­tion.
Cepen­dant, en Argen­tine égale­ment, le terme adiós a une sig­ni­fi­ca­tion défini­tive. On l’utilise égale­ment pour quit­ter un défunt, tout comme en France.
Dans le petit monde du tan­go, il est fréquent que l’on hon­ore un défunt en lui faisant un adieu musi­cal. Par­mi les titres célèbres dans ce sens, on a A Mag­a­l­di, cette valse d’adieu à Agustín Mag­a­l­di, com­posée par Car­los Dante et Pedro Noda et dont les paroles sont de Juan Bernar­do Tig­gi. On con­naît les mer­veilleuses ver­sions chan­tées juste­ment par Car­los Dante, notam­ment celle de 1947, 9 ans après la mort d’Agustín qui lui-même avait chan­té pour la mort de Gardel peu d’années aupar­a­vant. Nous en repar­lerons le 21 octo­bre…

Note : El adiós, porte un S à la fin, car c’est « À Dieu » (adieu), Dieu se dit « Diós » en espag­nol, ce n’est pas un S du pluriel. Comme DJ, com­bi­en de fois ai-je enten­du nom­mer ce titre « El adio »…

Maruja Pacheco Huergo

Maru­ja (María Esther) Pacheco Huer­go (3 avril 1916 — 2 sep­tem­bre 1983) était pianiste, com­positrice et parolière, mais égale­ment auteure (notam­ment de poèmes et scé­nar­ios), actrice et pro­fesseur de musique et de chant.
Elle a com­posé plus de 600 thèmes, pas tous des tan­gos, mais par­mi ses créa­tions dont nous avons une trace enreg­istrée dans notre domaine qu’est le tan­go, on pour­rait citer les titres suiv­ants :

Comme auteure et compositrice :

Sin­fonía de arra­bal, (paroles et musique) célèbre par le même chef d’orchestre que El Adios, notre tan­go du jour avec le trio enchanteur de Hora­cio Lagos, Lita Morales et Romeo Gavi­o­li.
Cuan­do sil­ba el vien­to une habanera dont elle a égale­ment écrit, paroles et musique.
Lejanía (une chan­son qu’a chan­tée Corsi­ni), Oro y Azul, El Silen­cio, Con sabor a tier­ra, Nenucha et env­i­ron 500 autres titres que vous me par­don­nerez de ne pas lis­ter ici, mais ce ne sont pas non plus des tan­gos.

Comme compositrice

Can­to de ausen­cia mise en musique d’un texte d’Homero Manzi
Don Naides avec des paroles de Venan­cio Clau­so
Gar­de­nias avec des paroles de Manuel Enrique Fer­radás Cam­pos (son mari)
Milon­ga del aguatero et Can­cionero porteño del siglo XIX avec des paroles d’Eros Nico­la Siri

Comme parolière

Sur des musiques de Dona­to, elle a écrit les paroles d’Alas rotas, Para qué, Lágri­mas et Triqui tra.
Ses 600 com­po­si­tions lui valent d’être inhumée au pan­théon SADAIC (société des auteurs et com­pos­i­teurs argentins) du cimetière de la Chacari­ta (Buenos Aires).

Virgilio San Clemente

Vir­gilio San Clemente est surtout un poète. On lui doit cepen­dant les paroles de El adios, et de quelques autres titres, comme la jolie valse Viejo jardín et sans doute Dulce amar­gu­ra (mais il y a un doute, car il est men­tion­né tan­tôt comme com­pos­i­teur ou comme paroli­er). Comme il m’est impos­si­ble de départager les deux pos­si­bil­ités, voici où j’en suis de l’investigation…

Sur le disque de gauche, Frese­do (1938), Vir­gilio San Clemente est indiqué comme com­pos­i­teur. Sur celui du milieu, Nano Rodri­go (1940), ce sont Tor­res et Alperi et sur celui de droite qui est une réédi­tion en vinyle de l’enregistrement de 1938 de Corsi­ni, il y a bien les trois noms, mais sans dis­tinc­tion de fonc­tion.
En résumé, si Vir­gilio était poète, il a peut-être com­posé un tan­go et à assuré­ment écrit les paroles d’autres.
Tor­res et Alperi ne sont pas des com­pos­i­teurs con­nus, on ne peut pas lever le doute sur la com­po­si­tion de ce titre tant que l’on n’a pas la par­ti­tion orig­i­nale que je n’ai pas encore trou­vée.
En atten­dant, je penche plutôt du côté où San Clemente s’est can­ton­né aux paroles pour Dulce Amar­gu­ra. Les deux œuvres sont écrites de façon com­pa­ra­ble, en trois par­ties et avec des rimes approx­i­ma­tives, mais dev­in­ables. Viejo jardín est dif­férent, il y a plus de cou­plets, mais les rimes sont égale­ment très approx­i­ma­tives. Ces indices, très légers n’invalident pas la pos­si­bil­ité qu’il soit l’auteur des trois textes.

Extrait musical

El adiós 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Les cordes sont très présentes dans cette ver­sion, en legati des vio­lons et en pizzi­cati. Quelques accents des ban­donéons. Le piano chante égale­ment sa par­tie à tour de rôle jusqu’à à 1 :42 entre en scène Lagos qui ne chante que très briève­ment, seule­ment le pre­mier cou­plet. Il explique le thème et laisse la parole aux instru­ments pour les 55 dernières sec­on­des.

Les paroles

En la tarde que en som­bras se moría,
bue­na­mente nos dimos el adiós ;
mi tris­teza pro­fun­da no veías
y al mar­charte son­reíamos los dos.
Y la des­o­lación, mirán­dote
al par­tir,
que­bra­ba de emo­ción mi pobre voz…
El sueño más feliz, moría en el adiós
y el cielo para mí se obscure­ció.

En vano el alma
con voz vela­da
vol­có en la noche la pena…
Sólo un silen­cio
pro­fun­do y grave
llora­ba en mi corazón.

Sobre el tiem­po tran­scur­ri­do
vives siem­pre en mí,
y estos cam­pos que nos vieron
jun­tos son­reír
me pre­gun­tan si el olvi­do
me curó de ti.
Y entre los vien­tos
se van mis que­jas
murien­do en ecos,
buscán­dote…
mien­tras que lejos
otros bra­zos y otros besos
te apri­sio­n­an y me dicen
que ya nun­ca has de volver.

Cuan­do vuel­va a lucir la pri­mav­era,
y los cam­pos se pin­ten de col­or,
otra vez el dolor y los recuer­dos
de nos­tal­gias llenarán mi corazón.
Las aves poblarán de tri­nos el lugar
y el cielo vol­cará su clar­i­dad…
Pero mi corazón en som­bras vivirá
y el ala del dolor te lla­mará.
En vano el alma
dirá a la luna
con voz vela­da la pena…
Y habrá un silen­cio
pro­fun­do y grave
llo­ran­do en mi corazón.

Maru­ja Pacheco Huer­go (María Esther Pacheco Huer­go) Letra: Vir­gilio San Clemente

Traduction libre et indications

Dans la soirée qui se meurt en ombres,
Nous nous sommes tout bon­nement dit adieu ; (un adieu comme si c’était un au revoir pour elle).
Tu ne voy­ais pas ma pro­fonde tristesse
Et quand tu es par­tie, nous sou­ri­ons tous les deux.
Et la déso­la­tion, de te regarder par­tir,
brisa d’émotion, ma pau­vre voix…
Le rêve le plus heureux est mort dans l’adieu
Et le ciel pour moi s’est obscur­ci.
En vain l’âme
d’une voix voilée
déver­sa le cha­grin dans la nuit…
Juste un silence
pro­fond et grave
pleu­rait dans mon cœur.

À pro­pos du temps écoulé,
tu vis tou­jours en moi,
et ces champs qui nous ont vus
sourire ensem­ble
me deman­dent si l’oubli
m’a guéri de toi.
Et par­mi les vents
mes plaintes s’en vont
mourant en échos
te cher­chant…
pen­dant qu’au loin
d’autres bras et d’autres bais­ers
t’emprisonnent et me dis­ent
que jamais, tu ne revien­dras.

Quand le print­emps brillera à nou­veau,
et que les champs se pein­dront de couleurs,
encore une fois, la douleur et les sou­venirs
rem­pliront mon cœur de nos­tal­gie.
Les oiseaux peu­pleront de trilles l’espace
et le ciel répan­dra sa clarté…
Mais mon cœur vivra dans l’ombre
et l’aile de la douleur t’appellera.
En vain l’âme
dira à la lune
d’une voix voilée, la douleur…
et il y aura un silence
pro­fond et grave
Pleu­rant dans mon cœur.

Autres versions

El adiós 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

Cette ver­sion fait jeu égal avec celle de Dona­to. Je sais que cer­tains danseurs préfèrent celle de Dona­to, mais pour moi, il est dif­fi­cile de les départager. Dans un bal, je peux pass­er indif­férem­ment l’une ou l’autre, selon l’ambiance que je veux don­ner. La ver­sion de Canaro marche de façon obstinée, avec de jolis pas­sages de vio­lons ondu­lants et des moments de piano qui ponctuent. Rien de monot­o­ne dans cette ver­sion, tou­jours entraî­nante.

El adiós 1938-03-15 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Avec un accom­pa­g­ne­ment de gui­tares, Corsi­ni chante l’intégralité des paroles. Corsi­ni a enreg­istré 12 jours après après Canaro, mais il a été le pre­mier à jouer le titre, comme en témoigne la par­ti­tion.

El adiós 1938 Hugo Del Car­ril con orques­ta.

C’est une ver­sion à écouter. La voix d’Hugo Del Car­ril exprime avec émo­tion les sen­ti­ments du nar­ra­teur. C’est à com­par­er avec l’enregistrement d’Ignacio Corsi­ni de la même époque. La voix de Del Car­ril pour­rait tenir la com­para­i­son avec les ver­sions de Mai­da et Lagos. L’orchestre est égale­ment agréable, on se prend à regret­ter qu’une ver­sion de danse ne soit pas venue com­pléter cet enreg­istrement.

El adiós 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est le tan­go du jour.
El adiós 1954-01-28 – Ángel Var­gas con su orgues­ta dirigi­da por Arman­do Laca­va.

Pour une ver­sion de chanteur, cette inter­pré­ta­tion de Var­gas. Donne la part belle à l’orchestre de Laca­va. Le thème est chan­té par les instru­ments avec des vari­a­tions d’intensités qui don­nent de la struc­ture à la musique. Après une minute Var­gas com­mence et chante, une minute env­i­ron, lais­sant les 45 dernières à l’orchestre, sauf une courte reprise de la sec­onde par­tie du refrain en final. Cette ver­sion de chanteur est presque un tan­go de danse.

El adiós 1963 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel.

Hier, je par­lai de Recuer­do. La ver­sion de El adiós n’est assuré­ment pas un tan­go conçu pour la danse. C’est musi­cale­ment sub­lime, même si la voix de Maciel peut par­fois être mod­éré­ment appré­ciée. Je sais que beau­coup de danseurs se bat­tront pour le danser sur la piste. Alors, je pour­rai le pass­er, mais il y a tant de belles choses de Pugliese par­faites pour la danse que Maciel ne sera pas une de mes pri­or­ités, même si les danseurs applaud­is­sent sou­vent (ce qui ne se fait pas à Buenos Aires).

El adiós 1973 — Hugo Díaz.

C’est la seule ver­sion instru­men­tale de ma sélec­tion, mais l’harmonica d’Hugo Díaz est comme une voix. Il com­mence par un cri déchi­rant et ensuite sem­ble pleur­er. La gui­tare le rejoint mais avec un tam­pon impa­ra­ble, qui s’ajuste par­fois aux accents les plus tristes de l’harmonica. Du très grand Hugo Díaz. À pri­ori, ce n’est pas pour la danse, mais cette ver­sion est telle­ment émou­vante qu’elle pour­rait par­ticiper à une belle tan­da par­ti­c­ulière. Il y a une ving­taine d’année, une danseuse ado­rait et lorsque j’animais la milon­ga, je pas­sais sou­vent cet artiste quand elle était là.
Pour ter­min­er, une ver­sion de 2010 par le Dúo Angelozzi-Cavaci­ni auquel s’est jointe Ivana For­tu­nati. Cet enreg­istrement est en hom­mage à Remo Angelozzi récem­ment décédé. Vous le con­nais­sez sans doute mieux sous son nom d’artiste, Raúl Angeló quand il était, notam­ment le chanteur de l’orchestre d’Edgardo Dona­to (en 1953).

El adiós 2010 — Dúo Angelozzi-Cavaci­ni jun­to a Ivana For­tu­nati. Ana­lia Angelozzi et Ivana For­tu­nati sont accom­pa­g­nées par Pablo Cavaci­ni et Jose Morán à la gui­tare et par Bocha Luca au ban­donéon.

Adiós queri­dos ami­gos, has­ta mañana.

Rosa de Fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto Aguirre

Manuel Jovés Letra : Antonio Viergol

Rosa de Fuego, la Rose de Feu, comme ils l’appellent. Quelle his­toire se cache der­rière ce titre énig­ma­tique ? Pour le décou­vrir, écou­tons la musique de Manuel Jovés et les paroles spec­tac­u­laires d’Antonio Vier­gol. La pre­mière ver­sion enreg­istrée de ce tan­go a un siè­cle, mais la ver­sion du jour a été ressus­citée il y a seule­ment 67 ans, jour pour jour.

Il est sou­vent con­seil­lé de déclar­er sa flamme avec des fleurs, mais par­fois, la rose la plus flam­boy­ante peut ne pas suf­fire. Nous allons plonger dans une ambiance mys­térieuse et avec une musique qui va sans doute en éton­ner plus d’un quand ils vont se ren­dre compte qu’il s’agit de Dona­to. Les plus éton­nés seront sans doute ceux qui oublient que les grands orchestres ont été act­ifs pen­dant plusieurs décen­nies et que donc, ils ont suivi les modes de l’époque.
Nous ver­rons égale­ment trois autres ver­sions. La plus anci­enne, enreg­istrée il y a donc un siè­cle par Juan Puli­do. Les deux ver­sions le plus récentes sont chan­tées par le même chanteur, Héc­tor de Rosas, au nom prédes­tiné pour ce titre. Ses enreg­istrements sont dis­tants de sept ans seule­ment, mais la plus grosse dif­férence vient des orchestres de Rober­to Caló et José Bas­so qui abor­dent le thème de façon très dif­férente.
Mais pour l’instant, intéres­sons-nous à notre tan­go du jour enreg­istré par Edgar­do Dona­to et Alber­to Aguirre, le 19 mars 1957.

Extrait musical

Rosa de fuego 1957-03-19 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Alber­to Aguirre

Les paroles

Rosa de Fuego, los hom­bres la llam­a­ban
Porque sus labios quema­ban al besar,
Y eran sus ojos dos ascuas que abrasa­ban
Y era un peli­gro su amor ambi­cionar.
Cuan­tos lograron, por ella ser mira­dos
Y de sus labios bebieron el plac­er,
Todos quedaron como car­boniza­dos
Entre los bra­zos de tan bel­la mujer…

Rosa de Fuego, feliz vivía
Rosa de Fuego, se divertía,
Has­ta tenía vanidad
De su dia­bóli­ca mal­dad…
Rosa de Fuego, los arru­in­a­ba
Rosa de Fuego, los cal­cin­a­ba,
Y al ver sus víc­ti­mas caer…
Se reía la mujer…

Mas cier­to día, cruzóse en su camino
Un hom­bre frío, de hielo el corazón,
Rosa de Fuego luchó con­tra su sino
E inútil­mente jugó con su pasión.
El hom­bre aquel, de san­gre de ser­pi­ente
De su mira­da, el fuego resis­tió,
Y de sus labios aquel beso can­dente
Se dom­ina­ba y escla­va se encon­tró…

Rosa de Fuego, ya no reía
Rosa de Fuego, se con­sumía,
Se le abrasa­ba el corazón
En el vol­cán de su pasión.
Y el hom­bre frío, la des­pre­cia­ba
Y el hom­bre frío, la mal­trata­ba,
Rosa de Fuego aún al morir…
Lo sen­tía reír…

Manuel Jovés Letra : Anto­nio Vier­gol

Traduction libre

Rosa de Fuego (Rose de Feu) ain­si les hommes l’appelaient
Car ses lèvres brûlaient quand elle embras­sait,
Et ses yeux étaient deux brais­es qui cal­ci­naient
Et c’était un péril de con­voiter son amour.
Com­bi­en réus­sirent à être regardés par elle
Et qui de ses lèvres burent le plaisir,
Tous restèrent car­bon­isés
Dans les bras d’une si belle femme…

Rosa de Fuego vivait heureuse
Rosa de Fuego s’amusait,
Elle tirait même de la van­ité
De sa méchanceté dia­bolique…
Rosa de Fuego les a détru­its
Rosa de Fuego, elle les a brûlés,
Et à voir ses vic­times tomber…
La femme riait…

Mais un jour, croisa son chemin
Un homme froid, au cœur de glace.
Rosa de Fuego s’est battue con­tre son des­tin
Et joua en vain de sa pas­sion.
Cet homme, au sang du ser­pent
Résis­tait à son regard et à son feu,
Et de ses lèvres au bais­er incan­des­cent
Fut dom­iné et elle s’est retrou­vée esclave…

Rosa de Fuego désor­mais ne riait plus
Rosa de Fuego, se con­sumait,
Son cœur brûlait
Au vol­can de sa pas­sion.
Et l’homme froid la mépri­sait
Et l’homme froid la mal­traitait,
Rosa de Fuego au moment de mourir…
Le sen­tit rire…

Autres versions

Rosa de fuego 1924 — Orques­ta Juan Puli­do. Colum­bia No.2186‑X, Matrice 93859. Un enreg­istrement acous­tique, mais de bonne qual­ité
Rosa de fuego 1957-03-19 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Alber­to Aguirre
Rosa de fuego 1957-06-19 — Orques­ta Rober­to Caló con Héc­tor De Rosas

Héc­tor de Rosas enreg­istre de nou­veau le titre, sept ans plus tard avec un autre orchestre pour une ver­sion bien dif­férente.

Rosa de fuego 1964 — Orques­ta José Bas­so con Héc­tor de Rosas. Héc­tor de Rosas
J’ai peut-être un peu for­cé le trait, l’homme de glace jette vrai­ment un froid.

Sacale punta 1938-03-09 (Milonga tangueada) — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Cette milon­ga du jour a été enreg­istrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enreg­istrée par Dona­to et est tou­jours un suc­cès dans les milon­gas. Cepen­dant, son titre prête à inter­pré­ta­tions et je choi­sis ce pré­texte pour vous faire entr­er dans le monde du tan­go du début du 20e siè­cle.

Edgar­do Dona­to inter­prète ici une milon­ga écrite par son frère, pianiste, Osval­do. Deux chanteurs inter­vi­en­nent, Hora­cio Lagos et Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani). Ils ne chantent que deux cou­plets, comme il est d’usage pour le tan­go de danse.

Le disque

Sacale pun­ta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Vic­tor 38397.

Sur l’étiquette on trou­ve plusieurs men­tions. Le nom de l’orchestre, Edgar­do Dona­to y sus Mucha­chos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Hora­cio Lagos. Ran­dona n’est pas men­tion­né.
On trou­ve le nom des auteurs et com­pos­i­teurs. L’auteur des paroles est en pre­mier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pour­rez écouter cette valse en fin d’article.
Sur le disque, on peut remar­quer sur l’étiquette l’encadré suiv­ant…

Exé­cu­tion publique et radio-trans­mis­sion réservées à RCA Vic­tor Argenti­na INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milon­ga 😉

Extrait musical

Sacale pun­ta 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani)

Les paroles

Sacale pun­ta a esta milon­ga
Que ya empezó.
Sen­tí que esos fueyes que rezon­gan
De corazón.
Y las pebe­tas se han venido
De « true Vuit­ton ». (De tru­co y flor)
El tan­go requiebra la vida (El tan­go es rey que da la vida)
Y en su nota despar­ra­ma,
Su amor.

Tan­go lin­do de arra­bal
Que yo,
No lo he vis­to des­ma­yar
¡ Tri­un­fó!.
Tan­go lin­do que al can­tar
Vol­có,
Su fe, su amor
Varón tenés que ser.

Nada hay que hac­er cuan­do rezon­gan
El ban­doneón
Ore­ja a ore­ja las pare­jas
Bailan al son,
De un tan­go lleno de recuer­dos
Que no cayó.
Si des­de los tiem­pos de Lau­ra
Se ha sen­ti­do primera agua
y bril­ló.

Osval­do Dona­to Letra San­dalio Gómez. Seuls les deux pre­miers cou­plets sont chan­tés dans cette ver­sion.

Pourquoi un crayon à la milonga ?

Les paroles de cette chan­son par­lent donc de la milon­ga, du point de vue de l’homme qui se pré­pare à danser joue con­tre joue (oreille con­tre oreille) avec des jeunes femmes.
« Saca pun­ta » se dit pour tailler les crayons, faire sor­tir, la pointe, la mine. Cela se dit couram­ment dans les écoles.

Sacale pun­ta. J’ai représen­té le cray­on bien tail­lé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite par­tie de l’énigme.

Ici, San­dalio a écrit « Sacale pun­ta a esta milon­ga », sors-lui la pointe à cette milon­ga…
Pour ceux qui pour­raient s’interroger, sur l’intérêt d’apporter un cray­on à la milon­ga. Une petite inves­ti­ga­tion qui je l’espère ne sera pas trop déce­vante :

Les autres textes de Sandalio Gómez

Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par San­dalio Gómez on trou­ve :
Deux tan­gos : « Cum­br­era » et « El mun­do está loco ». Le pre­mier est un hom­mage à Car­los Gardel et le sec­ond s’inscrit dans la tra­di­tion de « Cam­bal­ache » ou de « Al mun­do le fal­ta un tornil­lo », ces tan­gos qui par­lent de la dégénéres­cence du Monde.
Deux milon­gas : « De pun­ta a pun­ta » et « Mis pier­nas » qui est une milon­ga qui incite à se repos­er, car les paroles com­men­cent ain­si : « Sen­tate, cuer­po sen­tate, que las pier­nas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peu­vent plus.
Un paso doble : « Embru­jo » par­le d’un « envoute­ment » amoureux.
Du grand clas­sique et si ce n’était ce « Sacale pun­ta », les paroles ne prêteraient pas à inter­pré­ta­tion. On n’est pas en présence de textes de Vil­lol­do qu’il a sou­vent fal­lu remanier pour respecter les bonnes mœurs.

D’autres musiques utilisant « Sacale punta »

Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale pun­ta ». Par exem­ple, la milon­ga écrite par José Bas­so : « Sacale pun­ta al lápiz » 1955-09-16 écrite par José Bas­so, mais qui n’a pas de paroles.

Sacale pun­ta al lápiz 1955-09-16 — José Bas­so (Musique José Bas­so)

Si on reste en Argen­tine, on trou­ve plus récem­ment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont sou­vent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milon­ga de Bas­so et qui est inter­prétée par Neni y su ban­da. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous don­nerai pas les paroles, mais sachez que le pos­sesseur du lápiz (cray­on) se vante de pou­voir en faire quelque chose au lit.
Le groupe cubain Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera chante égale­ment « Sacale pun­ta al lápiz ». Ce son est avec des paroles rel­a­tive­ment explicites, la muñe­qua (poupée) faisant référence au même cray­on que la cumbia sus­men­tion­née.

Sácale la pun­ta al lápiz — Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera

Le chanteur por­tor­i­cain de Sal­sa, Adal­ber­to San­ti­a­go, chante dans une sal­sa du même titre, « Sacale pun­ta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa com­pagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit pré­par­er la mine de son cray­on pour pou­voir tout not­er. On est donc ici, dans la lignée sco­laire, du cray­on dont on doit affuter la mine.

Sácale pun­ta 1982-12-31 — Adal­ber­to San­ti­a­go

Dans l’esprit du cray­on pour écrire, on pour­rait penser au car­net de bal pour inscrire les parte­naires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le car­net et le cray­on seront pour not­er les coor­don­nées de la belle…

Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?

Comme vous l’imaginez, les pistes précé­dentes ne me sat­is­font pas. Je vais vous don­ner ma ver­sion, ou plutôt mes ver­sions, mais qui se rejoignent. Pour cela, inter­ro­geons le lun­far­do, l’argot portègne.
En lun­far­do se dit : « de pun­ta en blan­co » qui sig­ni­fie élé­gant. Il est donc logique de penser que le nar­ra­teur souhaite sor­tir ses meilleurs vête­ments pour aller à la milon­ga.
Tou­jours en lun­far­do, « hac­er pun­ta » est aller de l’avant. On peut donc imag­in­er qu’il faut aller de l’avant pour aller à la milon­ga.
Con­tin­uons avec le lun­far­do : La pun­ta est aus­si un couteau, une arme blanche. Quand on con­naît la répu­ta­tion des com­padri­tos, on se dit qu’ils peu­vent être prêts à sor­tir le couteau à la moin­dre occa­sion à la milon­ga.
Pour résumer, il se pré­pare avec ses beaux habits, éventuelle­ment avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milon­ga qui a déjà com­mencé, pour danser joue con­tre joue et dis­cuter ce qui se doit avec ceux qui se met­tent en tra­vers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un dou­ble sens à la Vil­lol­do, surtout si on se réfère au fait que cette milon­ga se réfère au début du XXe siè­cle, époque où les paroles étaient beau­coup plus « libres ».

Lo de Laura

En effet, le dernier cou­plet, qui n’est pas chan­té ici, par­le du temps de Lau­ra. Il s’agit de la casa de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milon­ga était de bonne fréquen­ta­tion au début du vingtième siè­cle.

Lo de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Cette « mai­son » était située en Paraguay 2512. C’est main­tenant une mai­son de retraite…

Les danseurs pou­vaient danser avec les « femmes » de la mai­son moyen­nant le paiement de quelques pesos. Je ne con­nais pas le prix pour cette mai­son, mais dans une mai­son com­pa­ra­ble, Lo de Maria (La Vas­ca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la pro­prié­taire, « El Ingles » (Car­los Kern) veil­lait à ce que les pro­tégées soient respec­tées. On est tou­jours à l’époque du tan­go de prostibu­lo, mais avec classe.
Il indique que dès l’époque de Lau­ra, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milon­ga « En lo de Lau­ra » (musique d’Antonio Poli­to et paroles d’Enrique Cadí­camo). En effet, dans cette milon­ga, Cadí­camo a écrit : « Milon­ga provo­cado­ra que me dio car­tel de tau­ra… », Milon­ga provo­cante qui me don­na le titre de cham­pi­on (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, com­padri­to, courageux, qui se mon­tre…).

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas — Anto­nio Poli­to Letra Enrique Cadí­camo (Domin­go Enrique Cadí­camo)

Pour vous don­ner une idée de l’ambiance de Lo de Lau­ra, vous pou­vez regarder cet extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky et qui est sor­ti le 11 juil­let 1952. C’est bien sûr une recon­sti­tu­tion, avec les lim­ites que ce genre impose.

Recon­sti­tu­tion de l’am­biance en Lo de Lau­ra. Extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky sor­ti le 11 juil­let 1952

Dans cette par­tie du film se joue “El Entr­erri­ano” d’Ansel­mo Rosendo Men­dizábal. En effet, une tra­di­tion veut que Men­dizábal ait écrit ce tan­go en Lo de Lau­ra. Il était en effet pianiste dans cet étab­lisse­ment et c’est donc fort pos­si­ble. Il inter­ve­nait aus­si à Lo de Maria la Vas­ca et cer­tains affir­ment que cet dans ce dernier étab­lisse­ment qu’il a inau­guré le tan­go.
Notons que les deux affir­ma­tions ne sont pas con­tra­dic­toires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose.
Il décrit cela dans une let­tre envoyée en 1934 à Héc­tor et Luis Bates et qui la pub­lièrent en 1936 dans « Las his­to­rias del tan­go: sus autores » :

“Existía una casa de baile que era cono­ci­da por “María la Vas­ca”. Allí se bail­a­ba todas y toda la noche, a tres pesos hora por per­sona. Encon­tra­ba en esos bailes a estu­di­antes, cuidadores y jock­eys y en gen­er­al, gente bien. El pianista ofi­cial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó “El entr­erri­ano”. […] así se bailó has­ta las 6 a.m. Al reti­rarnos lo saludé a Rosendo, de quien era ami­go, y lo felic­ité por su tan­go inédi­to y sin nom­bre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a ust­ed, pón­gale nom­bre”. Le agradecí pero no acep­té, y debo decir la ver­dad, no lo acep­té porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al ten­er que ret­ribuir la aten­ción. Pero le sug­erí la idea que se lo ded­i­case a Segovia, un mucha­cho que pasea­ba con nosotros, ami­go tam­bién de Rosendo y admi­rador; así fue; Segovia acep­tó el ofrec­imien­to de Rosendo. Y se le puso “El entr­erri­ano” porque Segovia era ori­un­do de Entre Ríos.”.

José Guidobono

Tra­duc­tion :

Il y avait une mai­son de danse con­nue sous le nom de « María la Vas­ca ». On y dan­sait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par per­son­ne. À ces bals, j’ai croisé des étu­di­ants, des médecins et des jock­eys [c’était une soirée spé­ciale du Z Club, club auquel Rosendo Men­dizábal a d’ailleurs dédié un tan­go (Z Club)] et en général, de bonnes per­son­nes.
Le pianiste offi­ciel était Rosendo et c’est là que « El entr­erri­ano » a été joué pour la pre­mière fois. […] c’est ain­si qu’on a dan­sé jusqu’à 6 heures du matin.
En par­tant, j’ai salué Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai félic­ité pour son tan­go inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédi­cac­er, donne-lui un nom ». Je l’ai remer­cié, mais je n’ai pas accep­té, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accep­té parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remerci­er de l’attention. Mais j’ai sug­géré l’idée qu’il le dédi­cace à Segovia, un garçon qui mar­chait avec nous, égale­ment ami et admi­ra­teur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accep­té l’offre de Rosendo. Et il l’a inti­t­ulé « El Entr­erri­ano » parce que Segovia était orig­i­naire d’Entre Ríos. […] Rosendo a ain­si gag­né cent man­gos (pesos en lun­far­do). »

La face A du disque Victor 38397

Sur la face A du même disque Vic­tor a gravé une valse. Elle a été enreg­istrée le même jour par Dona­to et Lagos, comme c’est sou­vent le cas.
Cette valse est sub­lime, je vous la pro­pose donc ici :

Qué será ? 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Pepe Guízar (MyL)

Ne pas con­fon­dre cette valse avec une au titre qui ne dif­fère que par deux let­tres…

Quién será ? 1941-10-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Luis Rubis­tein (MyL)

Un clin d’œil pour les DJ

Felix Pich­er­na, un célèbre DJ de l’époque des cas­settes Philips, util­i­sait un cray­on pour rem­bobin­er ses cas­settes. Il devait donc sacar la pun­ta antes de la milon­ga.
J’en par­le dans mon arti­cle sur les tan­das.
Main­tenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Lau­ra ou dans votre milon­ga favorite.

Felix Pinch­er­na util­isant un cray­on pour rem­bobin­er sa cas­sette de corti­na. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04–9/

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

Le tan­go du jour, Lágri­mas a été enreg­istré il y a exacte­ment 85 ans par Dona­to et Lagos.
Maru­ja Pacheco Huer­go, l’auteure des paroles a su trou­ver les mots pour par­ler de la détresse de l’abandon. Je vous invite donc, au-delà de ce thème, à décou­vrir cette femme excep­tion­nelle, auteure de tan­gos sub­limes comme
El adiós.

Le tango du jour

L’association Dona­to et Lagos a don­né un grand nom­bre de tan­gos mag­nifiques. Celui d’aujourd’hui, qui fête son anniver­saire aujourd’hui, par­le de tristesse, mais la musique dynamique de Dona­to se démar­que de la plu­part des tan­gos por­tant ce titre « Lagri­mas » en aban­don­nant la tristesse générale­ment de mise.
On com­patit aux larmes, mais on se laisse emporter dans la musique pour danser sur la piste ce tan­go entraî­nant.
Notons que Dona­to a égale­ment enreg­istré une valse de ce titre écrite par Vicente Vilar­di ; J. Pas­tene Letra : Juan De la Calle (Fed­eri­co Saniez).
Je reviendrai sur ce point dans quelques jours, au sujet de Lágri­mas y son­risas ; la tristesse et les valses.

L’orchestre de Donato

Edgar­do Dona­to

Edgar­do Dona­to était vio­loniste et au début de son orchestre, en 1930, il jouait en plus de diriger l’orchestre.
Dans l’orchestre on retrou­ve deux des ses huit frères Osval­do au piano et Ascanio au vio­lon­celle.
Petit cadeau, la com­po­si­tion de son orchestre en 1930 et en 1936. Dans l’orchestre de 1936, on remar­que trois chanteurs qui ont pro­duit plusieurs titres ensem­ble, leurs voix se mari­ant par­faite­ment.

Instru­men­tistes Orchestre de 1930 Orchestre de 1936
Ban­donéon­istes José Roque Tur­turiel­lo
Vicente Vilar­di
Miguel Bonano
José Roque Tur­turiel­lo
Vicente Vilar­di
Eliseo Marchesse
José Budano
Vio­lonistes Edgar­do Dona­to
Arman­do Julio Pio­vani
Pas­cual Hum­ber­to Martínez
Arman­do Julio Pio­vani
Domin­go Mir­il­lo
José Pol­lici­ta
Pianiste Osval­do Dona­to Osval­do Dona­to
Vio­lon­cel­liste Ascanio Dona­to Ascanio Dona­to
Con­tre­bassiste José Campe­si José Campe­si
Accordéon­iste   Wash­ing­ton Bertoli­ni
(pseu­do de Osval­do Bertoni)
qui était aus­si pianiste.
Chanteurs Luis Díaz
Anto­nio Rodríguez Lesende
Car­los Viván
Teó­fi­lo Ibáñez
Hora­cio Lagos
Lita Morales
Romeo Gavio
L’orchestre d’Edgar­do Dona­to en 1930 et 1936. Remar­quez la présence de ses frères Osval­do (Piano) et Ascanio (vio­lon­celiste)

L’orchestre d’Edgar­do Dona­to en 1933 (ce n’est pas la com­po­si­tion du 6 mars 1939, mais il y a les trois frères Dona­to, Edgar­do, Osval­do et Ascanio.

Maruja Pacheco Huergo

Sous ses allures dis­crètes et mod­estes se cachait un génie. Maru­ja, Pacheco Huer­go.

Maru­ja Pacheco Huer­go de son véri­ta­ble nom, María Esther Pacheco Huer­go était une femme remar­quable. Je vous pro­pose donc quelques élé­ments sur Maru­ja (surnom hypocoris­tique de Maria).
Si on se lim­ite à sa pro­duc­tion de tan­go, on pour­rait citer El adiós, Don Naides, Milon­ga del aguatero, Sin­fonía de arra­bal, ou Vuelves et quelques autres dont elle est la com­positrice et par­fois aus­si l’auteure, comme pour le tan­go du jour dont elle n’a écrit que les paroles. Mais elle a écrit aus­si env­i­ron 600 titres dans tous les rythmes. C’était donc une com­positrice par­ti­c­ulière­ment pro­lifique.
Mais Maru­ja était aus­si pianiste, chanteuse, auteure et actrice, voire pro­fesseur de piano et de chant. Le meilleur est qu’elle a fait tous ces métiers avec suc­cès. Elle était l’épouse de Manuel Fer­radás Cam­pos, lui-même écrivain de tan­gos et jour­nal­iste, mais avec net­te­ment moins de ray­on­nement que son épouse.

Extrait musical

Lágri­mas 1939-03-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos

Les paroles

Ansias de hundir en las som­bras
la angus­tia infini­ta que quiero ocul­tar.
Ansias de llo­rar tu llan­to,
pena de quer­erte tan­to,
voy por un camino largo
lle­van­do en mi alma bue­na
mi pro­pio des­en­can­to…
arras­tran­do en mi agonía
la cruz de mi res­i­gnación.

Lágri­mas…
En la amar­gu­ra de mi vida son,
bál­samo…
Que cica­trizan mi dolor.
Ben­di­tas una y mil veces estas lágri­mas,
sin­ceras, que bro­taron
de mi pobre corazón.

Lágri­mas…
Que enmude­cien­do mis tris­tezas van,
lágri­mas…
tib­ia lloviz­na de pesar.
Hoy lle­gan has­ta el cál­iz de mi vida,
suavizan­do la nos­tal­gia
de esta inmen­sa soledad.

Edgar­do Dona­to Letra: Maru­ja Pacheco Huer­go

D’autres enregistrements

Lágri­mas n’a été enreg­istré que par Dona­to. Avec Hora­cio Lagos en 1939 et Oscar Per­al­ta en 1956.

Lágri­mas 1939-03-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. Tan­go du jour.

C’est le tan­go du jour. J’ai eu la chance de le danser hier à la milon­ga Nue­vo Chique avec l’excellent DJ Dany Borel­li. Je con­firme que mal­gré les paroles, le plaisir de le danser est total.

Lágri­mas 1956-06-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Oscar Per­al­ta

Cette dernière ver­sion va sans doute sur­pren­dre les fans de Dona­to qui oublient trop sou­vent que beau­coup de chefs d’orchestres ont eu une car­rière très longue et que par con­séquent, ils ont évolué pour rester dans l’air du temps. En 1956, on est plus en direc­tion de l’é­coute que du tan­go de bal, par exem­ple.
Sig­nalons que le même jour, Dona­to et Lagos ont enreg­istré De pun­ta a pun­ta une milon­ga écrite par Osval­do Dona­to avec des paroles de San­dalio Gómez.

De pun­ta a pun­ta 1939-03-06 Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos / Osval­do Dona­to Letra San­dalio Gómez

Des rires aux larmes et des larmes aux rires

Nous revien­drons prochaine­ment sur ce thème (le 26 mars), mais en atten­dant, deux titres.

Risas y lágri­mas 1927-04-08 (valse) — Rober­to Fir­po con Jazz Band / F. Caso (rires et larmes)

Lágri­mas y son­risas 1950 Rober­to Fir­po (Hijo) y su Cuar­te­to (valse) / Pas­cual De Gul­lo Letra : Fran­cis­co Gul­lo (larmes et rires) où Pas­cual De Gul­lo a mer­veilleuse­ment joué des pas­sages des modes mineurs à majeurs pour mod­uler les vari­a­tions d’émotion.

Nous ter­mi­nons donc sur des rires, mais avec moi, vous le savez, le tan­go est une pen­sée heureuse qui se danse.

Ce tan­go a aus­si été chan­té avec sen­si­bil­ité par deux hommes, Hora­cio Lagos et Oscar Per­al­ta. Les hommes aus­si peu­vent pleur­er les trist­esses de la vie.

Gato 1937-02-12 (Tango) — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Homero Manzi

¡Gato! Este bicho es tu retra­to
¡ Gato ! Dibu­ja­do con car­bón
¡Gato! Del som­brero a los zap­atos
¡ Gato ! Se denun­cia tu ambi­ción

Les danseurs qui ne con­nais­sent pas ce tan­go sont éton­nés par les cris et miaule­ments de chat. S’ils en con­nais­sent le titre, Gato, qui sig­ni­fie “chat”, cela leur sem­ble plus clair.
Cepen­dant, ce chat n’est pas un quadrupède, mais un bipède comme le chante Lagos :
Dans le bois de la vie vit un bipède sans plumes.
Lagos utilise bípe­do au lieu de para­jo (oiseau) dans le texte de Manzi. On peut imag­in­er que ce choix a été fait, car en bon chanteur d’estri­bil­lo, Lagos ne chante qu’une par­tie du texte. La fin est beau­coup plus explicite. Je l’ai repro­duite en bleu dans les paroles ci-dessous.
Pour insis­ter sur le fait que l’on par­le bien d’un homme élé­gant, à l’époque, Gato pou­vait sig­ni­fi­er Madrilène ou homme essayant de sor­tir avec de jolies femmes en por­tant un cos­tume aus­si beau que pos­si­ble et en payant ce qu’il faut…
Par exten­sion, le terme s’est éten­du aux femmes qui accep­taient de l’ar­gent pour être avec ces hommes, devenant un syn­onyme de pute.
Aujour­d’hui, un gato est une insulte pour qual­i­fi­er quelqu’un d’in­férieur et que l’on méprise. Ce terme se retrou­ve beau­coup sur les murs de Buenos Aires pour qual­i­fi­er des per­son­nages poli­tiques que les auteurs con­sid­èrent comme véreux. Macri Gato est un clas­sique du genre.
Mais le gato de l’époque de ce tan­go est sim­ple­ment un homme qui aime la sape pour s’at­tir­er les faveurs des plus belles. Beau à l’ex­térieur, mais vide à l’in­térieur, comme le dit le cou­plet omis par Lagos.

Extrait musical

Gato 1937-02–12 — Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos

L’archive sonore présen­tée ici, l’est à titre d’ex­em­ple didac­tique. La qual­ité sonore est réduite à cause de la plate­forme de dif­fu­sion qui n’ac­cepte pas les fichiers que j’u­tilise en milon­ga et qui sont env­i­ron 50 fois plus gros et de bien meilleure qual­ité. Je pense toute­fois que cet extrait vous per­me­t­tra de décou­vrir le titre en atten­dant que vous le trou­viez dans une qual­ité audio­phile.

Paroles

En el bosque de la vida, vive un bípe­do sin plumas,
Que cam­i­na entre la gente en favor de su dis­fraz.
Que se mues­tra cuan­do hay bue­nas, pero en las malas se esfu­ma,
Que se esti­ra en l´aliviada y s´encoge en el cin­char.
Que se apropia de lo ajeno, que se viste con espuma,
Que aparenta estar sobran­do y no tiene pa´ empezar.

¡Gato! Este bicho es tu retra­to
¡Gato! Dibu­ja­do con car­bón
¡Gato! Del som­brero a los zap­atos
¡Gato! Se denun­cia tu ambi­ción

Expo­nente de este siglo, expre­sión de este momen­to,
Su chatu­ra es el ‘stan­dard’ que cir­cu­la en la babel.
Por aden­tro es un vacío, por afuera un mon­u­men­to
Reto­ca­do por la moda con un golpe de pin­cel.
Pro­totipo de mediocre, sin amor ni sen­timien­to,
Y arrastra­do por los vien­tos como un tro­zo de papel.

Edgar­do Dona­to Letra: Home­ro Manzi

Traduction des paroles

Dans la forêt de la vie, vit un bipède sans plumes, qui se promène par­mi les gens sous son déguise­ment.
Qui se mon­tre quand il y en a de bonnes choses, mais qui dis­paraît dans les mau­vais moments, qui s’étire dans les activ­ités faciles et se recro­queville face aux travaux dif­fi­ciles.
Qui s’ap­pro­prie ce qui est étranger, qui s’ha­bille d’éc­ume, qui sem­ble super­flu et ne pas savoir par où com­mencer.
Gato (Chat, mais c’est aus­si quelqu’un de faux trompeur, comme le décrit ce tan­go) ! Cette bête c’est ton por­trait
Gato! Dess­iné au fusain
Gato! Du cha­peau aux chaus­sures
Gato! Ton ambi­tion est dénon­cée
Représen­tant de ce siè­cle, expres­sion de ce moment, sa plat­i­tude est la « norme » qui cir­cule dans la Babel.
À l’in­térieur c’est un vide, à l’ex­térieur un mon­u­ment retouché par la mode d’un coup de pinceau.
Pro­to­type du médiocre, sans amour ni sen­ti­ment, et traîné par les vents comme un bout de papi­er.

Autres versions

Il existe quelques tan­gos sous ce titre, mais aucun autre n’a été enreg­istré (à ma con­nais­sance) avec la musique de Dona­to et les paroles de Manzi.
La créa­tion de Dona­to avec ses miaule­ments est iné­galée par les autres tan­gos ayant le même titre, comme le Gato de César Petrone inter­prété par Car­los Cobián con Genaro Veiga de févri­er 1928.
Le gato est aus­si une danse tra­di­tion­nelle, sem­blable à la chacar­era. On trou­ve donc beau­coup de musiques de Gato sous ce titre.

Gato 1928-02 — Car­los Cobián y su Orques­ta Argenti­na con Genaro Veiga.

Et ter­mi­nons avec notre tan­go du jour :

Gato 1937-02-12 (Tan­go) – Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est notre tan­go du jour.
¡Gato! Del som­brero a los zap­atos ¡Gato! Se denun­cia tu ambi­ción