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Mosterio - BYC

Mosterio 1939-09-11 – Orquesta Francisco Canaro Canta Ernesto Fama

Alberto Gambino Letra: Fortunato Benzaquen (Alí Salem de Baraja)

Cer­tains trou­vent, croient, veu­lent, imag­i­nent que le tan­go est sérieux. Heureuse­ment, ce n’est pas ou, pour le moins, pas tou­jours le cas. Je pense que ce tan­go humoris­tique va vous le prou­ver. Je laisse la place à Fran­cis­co Canaro et Ernesto Famá, mais aus­si à deux autres paires de joyeux drilles, Fran­cis­co Lomu­to avec Fer­nan­do Díaz et Enrique Rodríguez avec Rober­to Flo­res.

Extrait musical

Mosterio. Alberto Gambino Letra: Fortunato Benzaquen (Alí Salem de Baraja).
Moste­rio. Alber­to Gam­bi­no Letra: For­tu­na­to Ben­za­quen (Alí Salem de Bara­ja).
Moste­rio 1939-09-11 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro Can­ta Ernesto Famá

L’essentiel de la saveur de ce morceau est dans les paroles. Je vous invite donc à les suiv­re en direct, soit en ver­sion orig­i­nale, soit dans la ver­sion traduite. Vous recon­naîtrez, même si vous n’êtes pas fam­i­li­er avec l’Espagnol, les noms de D’Arienzo, Lomu­to, De Caro et Canaro.

Paroles

Todo en la vida es Moste­rio
y nadie sabe por qué.
Moste­rio es haber naci­do
y hac­erse grande después.
Moste­rio son las car­reras,
Moste­rio el andar a pie.
Moste­rio la cuen­ta ‘el sas­tre
y Moste­rio el aje­drez.
Pero hay algo en esta vida
que hay que creer o reven­tar
porque si fuera Moste­rio
no podríamos ni hablar,
por eso cuan­do le digan
que Moste­rio es el com­er,
ust­ed con­teste ensegui­da
que eso es Moste­rio al revés.

¿Que por qué D’Arienzo es ñato
y Lomu­to del­ga­di­to?
¡Moste­rio!
¿Que por qué De Caro es rico
y Canaro mil­lonario ?
¡Otro Moste­rio!
¿Que por qué todos los días
sale el sol por la mañana
y por qué tu viejo quiere
de que se case tu her­mana?
¡Moste­rio!
¿Que por qué no nacen chicos?,
otro Mosle­rio tam­bién.

Todo en la vida es Moste­rio
y nadie sabe por qué.
Moste­rio es haber naci­do
y hac­erse grande después.
Moste­rio son las car­reras,
Moste­rio el andar a pie.
Moste­rio la cuen­ta ‘el sas­tre
y Moste­rio el aje­drez.
Todo es Moste­rio señores
y a nadie le impor­ta nada,
todo en la vida se aca­ba
y nadie sabe por qué
y aunque le vaya al revés
y pare en el cemente­rio
toda la gente dirá
eso sí que es Moste­rio.
Alber­to Gam­bi­no Letra: For­tu­na­to Ben­za­quen (Alí Salem de Bara­ja)

Dans la ver­sion de Canaro, Famá chante ce qui est en gras. Lomu­to et Díaz repren­nent ce qui est en rouge. Rodriguez et Flo­res changent les paroles de la par­tie rouge et soulignée, sans doute pour ne pas par­ler des orchestres con­cur­rents…

D’ailleurs, lorsqu’ils repren­nent ce refrain, c’est pour par­ler, deux fois, de Rodriguez…

Voici le texte mod­i­fié par Rodriguez et Flo­res :

Por qué mi papi es tan grande
Y yo chiq­ui­ti­to.
Y Por qué todos los chicos
Hoy se dejan big­oti­tos
Y por qué Rodriguez es grande
Y María
Luisa del­gati­ta (María Luisa Notar est la femme de Rodriguez)
Y por qué Rodriguez
Siem­pre la lle­va a la cale­si­ta.

On notera qu’aucune des ver­sions n’utilise le dernier cou­plet. Peut-être que Alí Salem de Bara­ja l’utilisait dans ses inter­ven­tions radio­phoniques…

Traduction libre

Tout dans la vie est Moste­rio (défor­ma­tion de mis­te­rio, mys­tère) et per­son­ne ne sait pourquoi.
Moste­rio, c’est être né et ensuite devenir grand.
Moste­rio sont les cours­es, Moste­rio est la marche.
Moste­rio la fac­ture du tailleur et Moste­rio les échecs (jeu).
Mais il y a quelque chose dans cette vie que vous devez croire ou détru­ire parce que si c’é­tait Moste­rio, nous ne pour­rions même pas par­ler, donc quand ils vous dis­ent que Moste­rio mange, vous répon­dez immé­di­ate­ment que c’est Moste­rio à l’en­vers.

Pourquoi D’Arien­zo est ñato (a un petit nez) et Lomu­to mai­gre ? Bien sûr, vous qui con­nais­sez ces deux chefs d’orchestre, vous savez que c’est le con­traire. D’Arienzo est nar­igón (a un gros nez) et Lomu­to est un peu envelop­pé…
Moste­rio !
Pourquoi De Caro est-il riche et Canaro mil­lion­naire ? Là encore, les paroles se veu­lent taquines. De Caro peut sig­ni­fi­er « coû­teux », il n’était pas par­ti­c­ulière­ment riche. En revanche, Canaro qui fut très pau­vre dans son enfance, avait le sens des affaires et fut réelle­ment mil­lion­naire… Cepen­dant, il peut s’agir, surtout en 1939, d’une référence au tan­go écrit (paroles et musique) et joué par Canaro « Si yo fuera mil­lonario » (Si j’é­tais mil­lion­naire).
Autre Moste­rio !

Pourquoi tous les jours, le soleil se lève le matin et pourquoi ton vieux (père) veut que ta sœur se marie ?
Moste­rio !
Que, pourquoi ne nais­sent pas d’enfants ?
Un autre Moste­rio aus­si.

Tout dans la vie est Moste­rio et per­son­ne ne sait pourquoi.
Moste­rio, c’est être né et ensuite devenir grand.
Moste­rio sont les cours­es, Moste­rio est la marche.
Moste­rio la fac­ture du tailleur et Moste­rio les échecs.
Tout est Moste­rio, messieurs et per­son­ne ne se soucie de rien, tout dans la vie se ter­mine et per­son­ne ne sait pourquoi et même si cela va dans l’autre sens et s’ar­rête au cimetière, tout le monde dira que oui, ça c’est Moste­rio.

Traduction des ajouts de Rodriguez

Pourquoi mon père est-il si grand, et moi, tout petit.
Et pourquoi tous les gars, de nos jours, se lais­sent-ils la petite mous­tache.
Et pourquoi Rodriguez est grand et Maria Luisa mince (la chanteuse María Luisa Notar est la femme de Rodriguez).
Et pourquoi Rodriguez, l’emmène tou­jours au manège ? (pour cela, je n’ai pas d’explication…).

Autres versions

Moste­rio 1939-07-14 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz y coro.

C’est la plus anci­enne ver­sion. Lomu­to, cité dans les paroles, inter­prète de bonne grâce ce titre. Cette pre­mière ver­sion est très proche musi­cale­ment de celle de Canaro, comme c’est sou­vent le cas.

Moste­rio 1939-07-25 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Rober­to Flo­res.

On con­naît Rodriguez et son goût pour les titres humoris­tique, par­fois à la lim­ite d’une cer­taine vul­gar­ité. Il ne pou­vait pas pass­er à côté de ce titre. Sim­ple­ment, comme nous l’avons vu, il n’avait pas envie de faire de la pub­lic­ité à ses con­cur­rents et il adapte les paroles pour se met­tre en valeur.
Rober­to Flo­res, El Cha­to, a la voix et la dic­tion qui vont bien pour inter­préter ce titre.

Moste­rio 1939-09-11 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro Can­ta Ernesto Famá.

C’est notre tan­go du jour et donc, la dernière ver­sion enreg­istrée, près de deux mois après celles de Lomu­to et Rodriguez. Peut-être que ce retard à l’allumage, rare chez Canaro, qui cherche tou­jours à surfer sur l’actualité, est, car il était réservé sur le vers qui le con­cerne… Quoi qu’il en soit, il joue le jeu et comme Lomu­to, il se met en scène. D’ailleurs, c’est lui qui fait les répons­es à Famá…

Alberto Gambino

Il ne faut pas con­fon­dre le com­pos­i­teur de notre tan­go du jour avec cet autre Argentin « Alber­to Gam­bi­no » qui a joué Brassens et qui est l’auteur de la Pur­pu­ri­na. Il fut célèbre dans les années 1970…

Notre Alber­to Gam­bi­no est né le 28 juil­let 1899 et est mort le 8 junio 1987. Il était ban­donéon­iste et vio­loniste, directeur d’orchestre et com­pos­i­teur de quelques thèmes, sou­vent humoris­tiques, comme notre tan­go du jour.

Ces thèmes furent enreg­istrés prin­ci­pale­ment dans les années 30 par les mêmes orchestres que pour Moste­rio avec quelques com­plé­ments de l’époque, comme Mer­cedes Simone ou Rober­to Fir­po.

Alí Salem de Baraja (Fortunato Benzaquen)

De son vrai nom For­tu­na­to Ben­za­quen, mais plus con­nu sous son pseu­do­nyme de comé­di­en « Alí Salem de Bara­ja ». Il joua dans quelques films dans les années 1940.

Corazón de turco de Lucas Demare (scénario de Hernán de Castro)

Sor­tie en Argen­tine le 9 mai 1940. On notera que Lucio Demare, le frère aîné de Lucas, a com­posé la musique du film. On reste en famille… Lucas Demare est aus­si le réal­isa­teur de Mi noche triste en 1952, un film plus sat­is­faisant pour les ama­teurs de tan­go que nous sommes.
En Argen­tine, on appelle Tur­co (Turc), tous ceux qui vien­nent du Moyen-Ori­ent… Le film racon­te l’histoire d’un immi­gré qui aime une fille de bonne famille…
Un détail amu­sant. Lorsqu’il est propul­sé can­di­dat et qu’il doit faire un dis­cours, il par­le de mis­te­rio et même de moste­rio avec un petit début de la chan­son. Il se pose d’ailleurs trois fois des ques­tions dans le film, de la même façon que dans le tan­go.

J’émets donc une hypothèse. Vu que, dans les années 30, For­tu­na­to Ben­za­quen était un locu­teur à suc­cès de la radio et qu’il se vouait à des pro­grammes humoris­tiques, je pro­pose que les enreg­istrements de notre tan­go du jour effec­tués de façon si groupée en 1939 ont été des­tinés à cap­i­talis­er sur un suc­cès radio­phonique. Ce suc­cès, repris par de grands orchestres de l’époque, ont sans doute incité le frère de Lucio Demare de choisir For­tu­na­to comme acteur. Et, logique­ment, Lucas Demare laisse For­tu­na­to faire quelques allu­sions à son suc­cès.

Par ailleurs, je pense que son surnom d’Alí Salem de Bara­ja vient de ce film, car c’est le nom de son rôle. Il se peut aus­si que ce soit le surnom pris à la radio et qu’il l’ait exploité, une fois devenu acteur. Le pub­lic aurait pu être heureux de met­tre une tête sur leur vedette radio­phonique.

Voir la bande annonce.

Si cela vous intéresse, voici le film en entier…

La quinta calumnia (1941) de Adelqui Migliar (scénario de Héctor Canziani et Belisario García Villar).

Là, Alí Salem de Bara­ja est un turc qui vient au sec­ours d’un com­merçant en sit­u­a­tion dif­fi­cile.

Voir la bande-annonce

El comisario de Tranco Largo de Leopoldo Torres Ríos

Leopol­do Tor­res Ríos a aus­si écrit le scé­nario avec Alber­to Vacarez­za. Sor­tie en Argen­tine le 21 octo­bre 1942. Là encore, le Turc jouer un rôle. Celui d’un com­mis­saire assas­s­iné afin de démas­quer les coupables.

Affiche du film El comisario de Tranco Largo de Leopoldo Torres Ríos.
Affiche du film El comis­ario de Tran­co Largo de Leopol­do Tor­res Ríos.

Je ne pré­tendrai pas que ces trois films renou­vel­lent l’histoire du ciné­ma, mais ils per­me­t­tent de mieux con­naître la vie des immi­grés et l’auteur des paroles sym­pa­thique de notre tan­go du jour.

On se quitte en compagnie de joyeux drilles

Fran­cis­co Canaro et Ernesto Famá, en com­pag­nie de Fran­cis­co Amor, l’autre chanteur vedette de Canaro en 1939. Ce dernier était moins adap­té que Famá pour cet enreg­istrement, tout comme Flo­res est par­fait pour ce type de titres avec sa dic­tion plus pop­u­laire.

Francisco Amor, Francisco Canaro et Ernesto Famá, vers 1939.
Fran­cis­co Amor, Fran­cis­co Canaro et Ernesto Famá, vers 1939.

À bien­tôt, les amis, et con­tin­uez à vous pos­er des ques­tions pour décou­vrir les mys­tères du tan­go…

El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Francisco Canaro (paroles et musique)

Le prénom Pan­taleón est bien con­nu dans le domaine du tan­go à cause de Piaz­zol­la qui l’avait en sec­ond prénom. Chi­no ‚me fait penser au génial Chi­no Labor­de, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tan­go jeu­di à Nue­vo Chique. En com­bi­nant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Fran­cis­co Canaro. Cette « milon­ga » fait par­tie de ces titres à la lim­ite du lun­far­do qui jouent sur les mots, mélangeant tan­go et castagne.

Extrait musical

El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.
Disque Odeón 55157. El Chi­no Pan­taleón est sur la face A et Y… No la puedo olvi­dar, sur la face B.

Le rythme de cette com­po­si­tion est un peu atyp­ique et il rend dif­fi­cile de la class­er, milongua tangue­an­da, milon­ga can­dombe. Ce n’est peut-être pas de tout pre­mier choix pour le bal…
La voix de Car­los Roldán est sym­pa.
On notera la fin abrupte, très orig­i­nale, comme si la musique avait été mise KO.

Paroles

Caballeros milongueros,
la milon­ga está for­ma­da
y el que cope la para­da
que se juegue todo entero,
si es que tiene com­pañero,
la gui­tar­ra bien tem­pla­da
pa’ aguan­tar cualquier tren­za­da
con razón o sin razón,
cara a cara, frente a frente,
corazón a corazón.

Era el Chi­no Pan­taleón
milonguero y cachafaz,
que al sonar de un ban­doneón
vibore­a­ba en su com­pás.
Era un tau­ra pa’ copar
y de ley como el mejor;
si lo entra­ban a apu­rar
era capaz de can­tar
“La vio­le­ta” o “Trovador”.

Caballeros milongueros,
vayan salien­do a la can­cha
porque el que hace la “patan­cha“
es señal que le da el cuero;
siem­pre el que pega primero
lle­va la may­or ven­ta­ja;
no le ponen la mor­ta­ja
al que tira sin errar;
no es de vivo, com­pañero,
el dejarse madru­gar.
Fran­cis­co Canaro (paroles et musique)

Traduction libre et indications

Messieurs les milongueros (dans le sens de bagar­reurs), l’affaire est for­mée (milon­ga a ici le sens d’affaire dou­teuse, désor­dre) et celui qui prend posi­tion doit tout jouer, s’il a un parte­naire (un parte­naire. Cela con­firme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse).
La gui­tare (peut aus­si faire allu­sion à l’argent) bien accordée pour résis­ter à toute bagarre avec rai­son ou sans rai­son,
Face à face, front à front, cœur à cœur.
C’é­tait le Chi­no Pan­taleón milonguero et inso­lent (cachafaz comme était surnom­mé Ovidio José Bian­quet, qui tra­vail­la avec Canaro pour ses revues musi­cales), qui, lorsque son­nait un ban­donéon (Ban­donéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gên­er l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme.
Il était un tau­ra (généreux) à boire et de ley (loy­al, véri­ta­ble comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ;
s’ils le cher­chaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pou­vait chanter « La vio­le­ta » (tan­go de Cátu­lo Castil­lo avec des paroles de Nicolás Oli­vari, chan­té par Mai­da et Gardel, puis, par Troi­lo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Car­los Alcaraz avec des paroles de Car­los Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt don­nés pour indi­quer que le type a du répon­dant dans la bagarre.
Messieurs les milongueros, sortez sur le ter­rain, car celui qui fait le « patan­cha » (pata ancha, la grosse pat­te, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ;
Celui qui frappe le pre­mier a tou­jours le meilleur avan­tage ;
Ils ne met­tent pas le linceul à celui qui tire sans se per­dre (per­dre de temps, sans errer) ;
Il n’est pas vivant, cama­rade, de se laiss­er devancer (madru­gar peut sig­ni­fi­er, devancer, gag­n­er du temps, atta­quer le pre­mier).
On voit que les paroles rich­es de lun­far­do, jouent sur les mots. Avec le vocab­u­laire de la milon­ga, on par­le bel et bien de bagarre.

Autres versions

Notre pre­mier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point com­mun, le prénom Pan­taleón…

Pan­taleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo. (Eleu­terio Irib­ar­ren Letra: Fran­cis­co Anto­nio Bas­tar­di).
El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre milon­ga du jour.
El chi­no Pan­taleón 1942-06-17 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Par­fois, Lomu­to fait des choses plus intéres­santes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enreg­istrement que je trou­ve plus sym­pa à danser. On remar­quera, dès le début, une util­i­sa­tion dif­férente des instru­ments, ce ne sont pas les mêmes élé­ments qui sont mis en valeur. En ce qui con­cerne la voix, on peut préfér­er Roldán à Díaz, mais je trou­ve que cette milon­ga est rel­a­tive­ment joueuse et qu’elle pour­rait trou­ver sa place dans une milon­ga. Sa fin est en revanche plus clas­sique avec les deux accords fin­aux, habituels.

El chi­no Pan­taleón 1953-03-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas y Mario Alon­so.

Canaro reprend sa com­po­si­tion pour l’enregistrer en duo. On pour­rait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est tou­jours Mar­i­ano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940.
La ver­sion ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la ver­sion de 1942, notam­ment à cause de ses dia­logues et des paus­es dans la musique.

Qui est Pantaleón ?

Je n’ai pas d’autre ver­sion de cette milon­ga en stock. Cepen­dant, il reste un autre titre par­lant d’un Pan­taleón et ce prénom est accom­pa­g­né d’un nom de famille, Lucero.
Écou­tons ce titre.

Yo Soy Pan­taleón Lucero 1979 — Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). (Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res)

Ce titre com­posé au début du vingtième siè­cle par Faus­to Fron­tera avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res a été enreg­istré par Chiqui en 1979. Il ne sem­ble pas y avoir d’autres ver­sions enreg­istrées.

Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Rober­to Goyeneche sur la pho­to de gauche.

Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Yo soy Pan­taleón Lucero
de pro­fe­sión may­oral,
cump­lo cuarenta en enero
aunque algunos me dan más.
Nací por el Bar­rio Norte
y me crié por el sur,
tal vez no ten­ga dinero,
pero me sobra salud.

Si me quieren, tam­bién quiero
si no me quieren, tam­bién,
soy querendón y sin­cero
porque soy hom­bre de fe.
Ami­go que sale malo
yo lo olvi­do y ter­minó,
pero no puedo olvi­dar­la
a la que a mí me olvidó.

Yo soy Pan­taleón Lucero
no sé si recor­darán,
deci­dor y refranero
y criol­lo a car­ta cabal.
Matear amar­go es mi vicio
mi des­dicha, enam­orar,
qué ale­gría, can­tar siem­pre
así las penas se van.

(Coda)
Yo soy Pan­taleón Lucero,
pa’ lo que guste man­dar.
Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res

Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Je suis Pan­taleón Lucero, may­oral (pré­posé aux bil­lets du Tramway) de pro­fes­sion,
J’au­rai quar­ante ans en jan­vi­er, bien que cer­tains m’en don­nent plus.
Je suis né dans le Bar­rio Norte et j’ai gran­di dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’ar­gent, mais j’ai beau­coup de san­té.
S’ils m’ai­ment, j’aime aus­si. S’ils ne m’ai­ment pas, égale­ment. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi.
L’ami qui devient mau­vais, je l’ou­blie et c’est fini, mais je ne peux pas oubli­er celle qui m’a oublié.
Je suis Pan­taleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en sou­venez, un décideur et un diseur et un créole absol­u­ment (l’expression a car­ta cabal sig­ni­fie, pleine­ment).
Boire le mate amer est mon vice, ma mis­ère, tomber amoureux, quelle joie, tou­jours chanter, ain­si les cha­grins s’en vont.
(Coda)
Je suis Pan­taleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez deman­der.

En savons-nous plus sur Pantaleón ?

Nous avons main­tenant trois por­traits d’un Pan­taleón.

S’il est dif­fi­cile de savoir si les deux Pan­taleón de Canaro cor­re­spon­dent au même per­son­nage. En revanche, il est peu prob­a­ble que le may­oral, qui sem­ble un être pais­i­ble soit le même que celui de la milon­ga de Canaro.
Je pro­pose donc de laiss­er la ques­tion en sus­pens et en com­pen­sa­tion, une petite remar­que.
Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mar­i­ano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un dis­trib­u­teur de bil­lets dans un tramway…
De nos jours, le terme chi­no est plutôt réservé aux Chi­nois.
Cepen­dant, en lun­far­do, la chi­na est la chérie, et, dans une moin­dre mesure chi­no est égale­ment util­is­able pour chéri.
Le terme « chi­no » définit égale­ment des métiss­es d’Indiens et de Noirs. Cela expli­querait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre.
Je fais donc l’hypothèse que El chi­no Pan­taleón est un per­son­nage som­bre de peau, bagar­reur, un des nom­breux com­padri­tos qui han­taient les faubourgs de Buenos Aires.

À bien­tôt les amis !

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

La nos­tal­gie et l’orgueil pour la pau­vreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tan­go. « Yo soy de Par­que Patri­cios » est de cette veine…
Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les sou­venirs et un passé à la fois loin­tain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Var­gas nous évo­quent de si belle façon.
Nous décou­vrirons l’origine du nom et ver­rons quelques images de ce quarti­er qui a tou­jours un charme cer­tain et que je peux voir de mon bal­con.

Extrait musical

Yo soy de Par­que Patri­cios 1944-12-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Par­ti­tion de Yo soy de Par­que Patri­cios de Vic­tor Felice et Car­los Lucero.

Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démar­rent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien mar­qué avec des alter­nances de piano, des pas­sages puis­sants et d’autres plus rêveurs chan­tés par les vio­lons.
Un peu avant la moitié du titre, Ángel Var­gas com­mence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quarti­er et qu’il y est né.
La séance de nos­tal­gie démarre, ponc­tuée de vari­a­tions mar­quées par l’orchestre, tan­tôt marchant et ryth­mique, tan­tôt glis­sant et suave.
Comme tou­jours chez ce « cou­ple » des anges, une par­faite réal­i­sa­tion, à la fois dansante, prenante et d’une grande sim­plic­ité dans l’expression des sen­ti­ments.
En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est con­sti­tué de longs glis­san­dos des vio­lons, procè­dent de la même con­struc­tion par oppo­si­tion.
On remar­quera dans les deux titres, comme dans de nom­breux autres, de cette asso­ci­a­tion qui enreg­is­tra près d’une cen­taine de titres (93 ?), ces petites échap­pées musi­cales qui libèrent la pres­sion de la voix de Var­gas, ces petites notes qui s’échappent au piano, vio­lon ou ban­donéon et qui mon­tent légère­ment dans un par­cours sin­ueux et rapi­de.

Paroles

Yo soy de Par­que Patri­cios
he naci­do en ese bar­rio,
con sus chatas, con su bar­ro…
En la humil­dad de sus calles
con cer­cos de madre­sel­vas
aprendí a enfrentar la vida…
En aque­l­los lin­dos tiem­pos
del per­cal y agua flori­da,
con gui­tar­ras en sus noches
y organ­i­tos en sus tardes.
Yo soy de Par­que Patri­cios
vie­ja bar­ri­a­da de ayer…

Bar­rio mío… tiem­po viejo…
Farol, cha­ta, luna llena,
vie­jas rejas, tren­zas negras
y un sus­piro en un bal­cón…
May­orales… cuar­teadores…
muchachadas de mis horas,
hoy retor­nan al recuer­do
que me que­ma el corazón.

Hoy todo, todo ha cam­bi­a­do
en el bar­rio, caras nuevas
y yo estoy ave­jen­ta­do…

(Mil nos­tal­gias en el alma)
Mis cabel­los flor de nieve
y en el alma mil nos­tal­gias
soy una som­bra que vive…
Recor­dan­do aque­l­los tiem­pos
que su ausen­cia me revive,
de mi cita en cin­co esquinas…
y de aque­l­los ojos claros.
Yo soy de Par­que Patri­cios
evo­cación de mi ayer…

Vic­tor Felice Letra: Car­los Lucero

Var­gas change ce qui est en gras. La phrase en rouge rem­place la plus grande par­tie du dernier cou­plet. Elle n’est pas dans le texte orig­i­nal de Car­los Lucero.

Traduction libre

Je suis de Par­que Patri­cios, je suis né dans ce quarti­er, avec ses char­i­ots, avec sa boue…
Dans l’hu­mil­ité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affron­ter la vie…
En ces beaux temps de per­cale et d’eau de Cologne (agua flori­da), avec des gui­tares dans leurs nuits et des organ­i­tos (orgues ambu­lants) dans leurs après-midis.
Je viens de Par­que Patri­cios, vieux quarti­er d’hi­er…
Mon quarti­er… le bon vieux temps…
Réver­bère, char­i­ots, pleine lune, vieux bars, tress­es noires et un soupir sur un bal­con…
Les may­orales (pré­posé aux bil­lets du tramway)… cuar­teadores (cav­a­liers aidant à sor­tir de la boue les char­i­ots embour­bés)… Les ban­des de mes heures, aujour­d’hui, elles revi­en­nent à la mémoire qui me brûle le cœur.
Aujour­d’hui, tout, tout a changé dans le quarti­er, de nou­veaux vis­ages et je suis vieux…
Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nos­tal­gies, je suis une ombre qui vit…
Me sou­venir de ces moments que son absence ravive, de mon ren­dez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs.
(Ce pas­sage n’est pas chan­té par Var­gas qui fait donc l’im­passe sur l’his­toire d’amour per­due).
Je suis de Par­que Patri­cios évo­ca­tion de mon passé…

Autres versions

La ver­sion de Var­gas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quarti­er de Par­que Patri­cios a sus­cité des nos­tal­gies et plusieurs titres en témoignent.

Yo soy de Par­que Patri­cios 1944-12-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.

Voici quelques titres qui par­lent du quarti­er :

Parque Patricios de Antonio Oscar Arona

Par­que Patri­cios 1928-09-12 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo (Anto­nio Oscar Arona (Músi­ca y letra)

Paroles de la version de Oscar Arona

Cada esquina de este bar­rio es un recuer­do
de lo mág­i­ca y risueña ado­les­cen­cia;
cada calle que des­cubre mi pres­en­cia,
me está hablan­do de las cosas del ayer…
¡Viejo bar­rio! … Yo que ven­go del asfal­to
te pre­fiero con tus calles empe­dradas
y el hechizo de tus noches estrel­ladas
que en el cen­tro no se sabe com­pren­der.

¡Par­que Patri­cios!…
Calles queri­das
hon­das heri­das
ven­go a curar…

Son­reís de mañani­ta
por los labios de las mozas
que en ban­dadas rumor­osas
van camino al taller;
sos román­ti­co en las puer­tas
y en las ven­tanas con rejas
en el dulce atarde­cer;
que se ador­nan de pare­jas
te ponés triste y som­brío
cuan­do algún mucha­cho bueno
tra­ga en silen­cio el veneno
que des­ti­la la traición
y llorás amarga­mente
cuan­do en una musiq­ui­ta
el alma de Milon­gui­ta
cruzó el bar­rio en que nació.

¡Viejo Par­que!… Yo no sé qué aira­da racha
me ale­jó de aque­l­la novia dulce y bue­na
que ahuyenta­ba de mi lado toda pena
con lo magia incom­pa­ra­ble de su amor…
Otros bar­rios mar­chi­taron sus ensueños…
¡Otros ojos y otras bocas me engañaron
el tesoro de ilu­siones me robaron
hoy mi vida, enca­de­na­do está al dolor!…

Oscar Arona

Traduction libre de la version de Oscar Arona

Chaque recoin de ce quarti­er est un rap­pel de l’ado­les­cence mag­ique et souri­ante ;
Chaque rue que décou­vre ma présence me par­le des choses d’hi­er…
Vieux quarti­er… Moi, qui viens de l’as­phalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au cen­tre-ville, ils ne peu­vent pas com­pren­dre.
Par­que Patri­cios…
Chères rues, blessures pro­fondes, je viens guérir…
Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en trou­peaux bruyants, se ren­dent à l’ate­lier ;
Tu es roman­tique dans les portes et dans les fenêtres avec des bar­reaux dans le doux couch­er de soleil ; qui se par­ent de cou­ples. Tu deviens triste et som­bre quand un bon garçon avale en silence le poi­son que la trahi­son dis­tille et tu pleures amère­ment quand, dans une petite musique, l’âme de Milon­gui­ta a tra­ver­sé le quarti­er où elle est née.
Vieux parc (Par­que Patri­cios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chas­sé tout cha­grin de mon côté avec la magie incom­pa­ra­ble de son amour…
D’autres quartiers ont flétri ses rêves…
D’autres yeux et d’autres bouch­es m’ont trompé, ils m’ont volé le tré­sor des illu­sions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…

Barrio Patricio de Juan Pecci

Bar­rio Patri­cio 1934 — Orchestre Argentin Eduar­do Bian­co (Juan Pec­ci).

Hon­nête­ment, je ne suis pas cer­tain que ce tan­go ait pour thème le même quarti­er, en l’absence de paroles. Cepen­dant, Juan Pec­ci est né dans le Sud du quarti­er San Cristo­bal à deux cuadras du quarti­er de Par­que Patri­cios, l’attribution est donc prob­a­ble. Pec­ci était vio­loniste de Bian­co avec qui il avait fait une tournée en Europe.

Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)

Bar­rio porteño (Par­que Patri­cios) 1942-08-07 — Osval­do Frese­do Y Oscar Ser­pa
(Ernesto Nativi­dad de la Cruz Letra: Héc­tor Romual­do Demat­tei).

Frese­do est plutôt de la Pater­nal, un quarti­er situé bien plus au Nord, mais il enreg­istre égale­ment ce tan­go sur Par­que Patri­cios.
Après le départ de Ricar­do Ruiz, l’orchestre de Frese­do sem­ble avoir cher­ché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Ser­pa soit le meilleur choix pour le tan­go de danse, mais l’assemblage n’est pas mau­vais si on tient en compte que l’orchestration de Frese­do est égale­ment renou­velée et sans doute bien moins prop­ice à la danse que ses presta­tions de la décen­nie précé­dente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait per­dre un peu de son âme et la décen­nie suiv­ante et accélèr­era cet éloigne­ment du tan­go de danse. Frese­do avait la répu­ta­tion d’être un peu éli­tiste, dis­ons qu’il s’est adap­té à un pub­lic plus « raf­finé », mais moins ver­sé sur le col­lé-ser­ré des milongueros.

Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Per­doná bar­rio porteño
Que al cor­rer tu vista tan­to,
Voy ven­ci­do por la vida
Y en angus­tias sé soñar.
Vuel­vo atrás y tú en mis sienes
Mar­carás las asechan­zas,
De esta noche tor­men­tosa
De mi loco cam­i­nar.

Han pasa­do muchos años
Y es amar­gu­ra infini­ta,
La que trai­go den­tro del pecho
Desan­gra­do el corazón.
Apa­ga­da para siem­pre
De su cielo, mi estrel­li­ta,
El regre­so es un sol­lo­zo
Y una pro­fun­da emo­ción.

Mi acen­to ya no tiene
Tus tauras expre­siones,
Con que canta­ba al bar­rio
En horas del ayer.
Por eso mi gui­tar­ra
Silen­cia su armonía,
En esta noche ingra­ta
De mi triste volver.

Ernesto Nativi­dad de la Cruz Letra: Héc­tor Romual­do Demat­te

Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Par­donne-moi quarti­er portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vain­cu par la vie et dans l’an­goisse je sais rêver.
Je reviens et toi, dans mes tem­pes, tu mar­queras les pièges, de cette nuit d’or­age, de ma folle marche.
De nom­breuses années ont passé et c’est une amer­tume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saig­nant mon cœur.
Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un san­glot et une émo­tion pro­fonde.
Mon accent n’a plus tes expres­sions bravach­es, avec lesquelles je chan­tais au quarti­er aux heures d’hi­er.
C’est pourquoi ma gui­tare fait taire son har­monie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.

Parque Patricios de Antonio Radicci et Francisco Laino (Milonga)

Cette géniale milon­ga est une star des bals. Deux ver­sions se parta­gent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, con­tem­po­raine de l’autre Fran­cis­co, Lomu­to avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux por­tent par­faite­ment l’improvisation en milon­ga, com­por­tent des cuiv­res pour une sonorité orig­i­nale et si on n’est sans doute un peu plus accou­tumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.

Par­que Patri­cios 1940-10-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá (Anto­nio Radic­ci y Fran­cis­co Laino, Músi­ca y letra).
Par­que Patri­cios 1941-06-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz (Anto­nio Radic­ci y Fran­cis­co Laino, Músi­ca y letra)

Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mi viejo Par­que Patri­cios
queri­do rincón porteño,
bar­ri­a­da de mis ensueños
refu­gio de mi niñez.
El pro­gre­so te ha cam­bi­a­do
con su rara arqui­tec­tura,
lleván­dose la her­mo­sura
de tu bon­dad y sen­cillez.
Cuán­tas noches de ale­gría
al son de una ser­e­na­ta,
en tus casitas de lata
se vio encen­der el farol.
Y al sonar de las vigüe­las
el tai­ta de ron­co acen­to,
hil­van­a­ba su lamen­to
sin­tién­dose payador (trovador en la ver­sión de Famá).

Anto­nio Radic­ci Letra: Fran­cis­co Laino

Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mon vieux Par­que Patri­cios, cher recoin de Buenos Aires, quarti­er de mes rêves, refuge de mon enfance.
Le pro­grès t’a changé avec son archi­tec­ture étrange, t’enlevant la beauté de la bon­té et de ta sim­plic­ité.
Com­bi­en de nuits de joie au son d’une séré­nade, dans tes petites maisons de tôle se voy­ait allumer la lanterne.
Et au son des vigüe­las [sortes de gui­tares] le tai­ta [caïd] avec un accent rauque, tis­sait sa com­plainte en se sen­tant payador.

Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Viejo Par­que Patri­cios 1952 — Orques­ta Puglia-Pedroza (San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia).

Une ver­sion plutôt jolie, mais qui ne devrait pas sat­is­faire les danseurs. Con­tentons-nous de l’écouter. On pour­ra s’intéresser à la jolie presta­tion au ban­doneón de Edgar­do Pedroza.

Viejo Par­que Patri­cios 1955-04-15 — Gerón­i­mo Bon­gioni y su Autén­ti­co Cuar­te­to “Los Ases” (San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia)

La ver­sion pro­posée par Bon­gioni est bien dif­férente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrou­vera une inspi­ra­tion de Fir­po et des Uruguayens comme Rac­ciat­ti et Vil­las­boas). Même si c’est très joueur, à la lim­ite de la milon­ga, le résul­tat est sans doute assez dif­fi­cile à danser par la plu­part des danseurs.

Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Bien que les deux enreg­istrements soient instru­men­taux, il y a des paroles qui ne sem­blent cepen­dant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.

Por los cor­rales de ayer
Mis años yo pasé,
Bar­rio flori­do
Yo fui el primero
Que te can­té.
En Alcor­ta y Labardén,
Caseros y Are­na,
Bor­dé mi nido de amor.
Y en una cuadr­era
Supe ser buen ganador,
El Pibe, El Chue­co y El Inglés
Por una mujer,
Se tren­zaron en más de una vez
Con este can­tor.

Porteño soy
De las tres esquinas,
Pin­ta can­to­ra
Para un quer­er.
Nací en el Par­que Patri­cios
Sobre los viejos cor­rales de ayer.
Porteño soy
De las tres esquinas,
Y en mi juven­tud flori­da
El lecher­i­to del arra­bal,
Y como tam­bién
Un bailarín sin rival.
San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia

Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

À tra­vers les cor­rales d’hi­er. Mes années j’ai passé. Quarti­er fleuri, j’ai été le pre­mier qui t’a chan­té.
À Alcor­ta et Labardén, Caseros et Are­na, j’ai brodé mon nid d’amour.
Et dans une course de chevaux (peut-être aus­si écurie), j’ai su être un bon gag­nant. El Pibe, El Chue­co et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte).
Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chan­tante pour un amour.
Je suis né à Par­que Patri­cios sur les anciens cor­rales d’hi­er.
Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laiti­er des faubourgs, et aus­si bien, un danseur sans rival.

Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián

Et pour ter­min­er avec les ver­sions, Par­que Patri­cio 2008 (Valse) par le Cuar­te­to de MateoVil­lal­ba avec la voix de Mau­ra Sebastián. C’est une com­po­si­tion de Mar­ti­na Iñíguez et de Mateo Vil­lal­ba. C’est une ver­sion légère, douce­ment val­sée et chan­tée avec des paroles dif­férentes.

Par­que Patri­cio 2008 (Valse) par le Cuar­te­to de MateoVil­lal­ba avec la voix de Mau­ra Sebastián


El Par­que de los Patri­cios

Ce quarti­er porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysag­iste français, Charles Thays.
Né à Paris en 1849, cet archi­tecte, nat­u­ral­iste, paysag­iste, urban­iste, écrivain et jour­nal­iste français a déroulé l’essentiel de sa car­rière en Argen­tine, notam­ment en dessi­nant et amé­nageant la plu­part des espaces verts de Buenos Aires, mais aus­si d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du sec­ond parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il par­tic­i­pa égale­ment à l’amélioration de la cul­ture indus­trielle de yer­ba mate (ger­mi­na­tion), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.

Le Par­que Patri­cios tel qu’il a été créé à l’o­rig­ine. Dessin de 1902.

Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre des­ti­na­tion. Nous en avons par­lé à divers­es repris­es. C’étaient les abat­toirs et la décharge d’ordures.
Beau­coup y voient le berceau du tan­go, voire de Buenos Aires. En fait, tout le ter­ri­toire actuel de la « Comu­na 4 » con­stitue le Sud (Sur), zone par­ti­c­ulière­ment prop­ice à la nos­tal­gie et notam­ment chez D’Agostino et Var­gas, qui ont pro­duit plusieurs titres évo­quant les quartiers de cette com­mune.
Le nom de Par­que Patri­cios ou Par­que de los Patri­cios a été don­né au parc par l’Intendant Bul­rich en l’honneur des Patri­cios, ce pres­tigieux batail­lon de l’armée argen­tine.

Les Patri­cios con­tin­u­ent aujour­d’hui à ani­mer la vie argen­tine, même si leur dernier engage­ment a été pour les Mal­ouines. À droite, l’u­ni­forme au début du rég­i­ment (1806–1807). À l’ex­trême droite, un offici­er.
La com­mune 4 de Buenos Aires, cor­re­spond sen­si­ble­ment au Sur « mythique » avec les quartiers très pop­u­laires de Par­que Patri­cios, Nue­va Pom­peya, Bar­ra­cas et La Boca. On pour­rait rajouter la zone inférieure de Boe­do qui appar­tient à la com­mune 5, cette zone chère à Home­ro Manzi.

Cette zone a été chan­tée dans de nom­breux tan­gos dont nous avons déjà par­lé comme :
Del bar­rio de las latas
Mano blan­ca
Tres Esquinas
El cuar­teador de Bar­ra­cas
En lo de Lau­ra
Sur
La tabla­da

Voici à quoi ressem­blait le quarti­er de Par­que Patri­cios au début du 20e siè­cle. On com­prend son surnom de bar­rio de las latas évo­qué dans le tan­go dont nous avons déjà par­lé.

Mais out­re cet habi­tat par­ti­c­ulière­ment pau­vre, la zone était égale­ment une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détri­tus de Buenos Aires.
Les ordures étaient trans­portées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.

Un mur­al repro­duisant le par­cours du train des ordures rue Oruro 1400.
El tren de la basura.

L’autre spé­cial­ité de la zone était les abat­toirs, Los Cor­rales, qui à la suite de la con­struc­tion de nou­veaux abat­toirs à Abas­to, sont devenus Los Cor­rales Viejos…

Cor­rales viejos matadero. Voir l’anecdote sur La tabla­da pour en savoir plus.

À bien­tôt les amis !

Deux détails du mur­al du train des ordures de la rue Oruro. On remar­quera que de véri­ta­bles « détri­tus » ont été util­isés, mais avec une inten­tion artis­tique évi­dente.

Nunca más 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Nun­ca más, est comme un cri lancé. Nun­ca más exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. Nun­ca más, c’est un des plus beaux thèmes enreg­istrés par D’Arienzo avec Mau­ré. Nun­ca más est une œuvre de deux des frères Lomu­to, Fran­cis­co qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tan­go qui exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. C’est notre tan­go du jour.

Extrait musical

Nun­ca más 1941-07-14 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.
Nun­ca más. Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to.

Paroles

En una noche de fal­sa ale­gría
tus ojos claros volví a recor­dar
y entre los tan­gos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuer­do matar.
Record­a­ba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida con­sagré,
pero ingra­ta te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi ale­gría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por bue­na
en tus dul­ces labios, nena,
me he que­ma­do el corazón.
Lin­da,
muñe­qui­ta mimosa,
siem­pre,
en mi corazón estás,
Nena,
acor­date de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuan­do dijo: ¡Nun­ca más!

Entre milon­gas y tim­bas, mi vida
pasan­do va estas horas inqui­etas,
de penas lleno, el alma oprim­i­da,
páli­do el ros­tro como una care­ta.
Arrepen­ti­da, nun­ca vuel­vas, jamás
a pedir des­o­la­da mi perdón.
¡No olvides que al decirme nun­ca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to

Traduction libre

Par une nuit de joie fac­tice, je me suis rap­pelé tes yeux clairs et entre les tan­gos, le vin et l’orgie, j’ai cher­ché fébrile­ment à tuer ton sou­venir.
Je me suis sou­venu de mon bon­heur sans pareil d’avoir con­sacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et soli­taire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illu­sion ») de ma vie, toute ma joie et ma pas­sion.
Mau­vaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es tou­jours, dans mon cœur, Petite, sou­viens-toi du cha­grin que ta bouche folle m’a don­né, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milon­gas et tim­bas (tripot, boîtes de jeu clan­des­tines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de cha­grins, l’âme oppressée, le vis­age pâle comme un masque.
Repen­tante, jamais tu ne reviens, jamais à deman­der, désolée, mon par­don.
N’oublie pas qu’en dis­ant plus jamais, tu m’as lais­sé, femme, sans cœur !… (la vir­gule change le sens de la phrase. Là, c’est prob­a­ble­ment lui qui est sans cœur, même s’il est sous-enten­du qu’elle a égale­ment été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon sub­tile de la met­tre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nun­ca más 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Gardel est le pre­mier à avoir enreg­istré le titre, env­i­ron deux ans après son écri­t­ure.

Nun­ca más 1927-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Trois ans après Gardel, Lomu­to enreg­istre le titre conçu avec son frère. Une ver­sion bien canyengue. Pas vilain, mais à réserv­er aux ama­teurs du genre. Le ban­donéon de Minot­to Di Cic­co est bien vir­tu­ose pour l’époque.

Nun­ca más 1931-08-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Alber­to Acuña y Fer­nan­do Díaz.

Une ver­sion plus tonique, qui mon­tre mieux la colère de l’homme aban­don­né. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs com­men­cent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas con­va­in­cu par ce duo. Ce ne sera pas ma ver­sion préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un prob­lème… Le plus éton­nant est que c’est la plus dif­fusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraî­nante, c’était juste un « mau­vais moment » à pass­er. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napoli­tano qui a rem­placé un autre frère de Lomu­to (Enrique) inter­vient de façon sym­pa­thique.

Nun­ca más 1931-11-10 — Alber­to Gómez con acomp. de gui­tar­ras.

Gómez pro­pose une ver­sion chan­tée, sans doute plus sym­pa­thique que celle de Gardel.

Nun­ca más 1932-01-12 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

On reste dans les ver­sions à écouter avec Ada Fal­cón. Elle met au ser­vice du titre sa dic­tion et son phrasé par­ti­c­uli­er. C’est un autre titre sym­pa­thique à écouter.

Nun­ca más 1941-07-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.

C’est notre tan­go du jour. Il reprend le début tonique de la ver­sion de 1931 de Lomu­to, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puis­sance. Une énergie fan­tas­tique se dégage de ce titre et don­nera un élan irré­press­ible aux danseurs. Ce qui est mer­veilleux est que Mau­ré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pen­dant son inter­ven­tion. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tan­go du jour…

Nun­ca más 1948-09-23 — Orques­ta Miguel Caló con Rober­to Arri­eta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est sur­pris par de nom­breux change­ments de tonal­ité. Même si la voix de Arri­eta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette ver­sion.

Nun­ca más 1950-04-25 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Miguel Mon­tero.

De fin à 1949 à fin 1950, Mon­tero a enreg­istré de quoi faire une tan­da calme et nos­tal­gique avec Lomu­to, mais je pense que ceux qui adorent Mon­tero sont plus des audi­teurs que des danseurs.

Nun­ca más 1956-08-31 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Sans son parte­naire ange, (D’Agostino), Var­gas pour­suit sa car­rière. L’orchestre de Toto pro­pose un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité. La voix de Var­gas est tou­jours mer­veilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nun­ca más 1974-12-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Avec son sec­ond chanteur fétiche, D’Arienzo renou­vèlera-t-il le suc­cès de la ver­sion de 1941 ? Pour moi, non. Cette ver­sion clin­quante comme beau­coup d’enregistrement de cette époque a lais­sé de côté la qual­ité de la danse au prof­it du spec­ta­cle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sen­si­b­lerie dans son inter­pré­ta­tion. Je vous con­seille de revenir au titre chan­té par Mau­ré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule ver­sion pour une milon­ga de qual­ité, celle de 1941, même si cer­taines autres fer­ont plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le cor­beau (The raven).En voici la ver­sion en anglais et à la suite, la ver­sion traduite en français par Charles Baude­laire.

Nev­er­more (Nun­ca más).

Paroles

‘Once upon a mid­night drea­ry, while I pon­dered, weak and weary,
Over many a quaint and curi­ous vol­ume of for­got­ten lore—
While I nod­ded, near­ly nap­ping, sud­den­ly there came a tap­ping,
As of some one gen­tly rap­ping, rap­ping at my cham­ber door.
“’Tis some vis­i­tor,” I mut­tered, “tap­ping at my cham­ber door—
Only this and noth­ing more.”

Ah, dis­tinct­ly I remem­ber it was in the bleak Decem­ber;
And each sep­a­rate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eager­ly I wished the mor­row; —vain­ly I had sought to bor­row
From my books surcease of sor­row – sor­row for the lost Lenore—
For the rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore—
Name­less here for ever­more.

And the silken, sad, uncer­tain rustling of each pur­ple cur­tain
Thrilled me – filled me with fan­tas­tic ter­rors nev­er felt before;
So that now, to still the beat­ing of my heart, I stood repeat­ing
“’Tis some vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door—
Some late vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door; —
This it is and noth­ing more.”

Present­ly my soul grew stronger; hes­i­tat­ing then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, tru­ly your for­give­ness I implore;
But the fact is I was nap­ping, and so gen­tly you came rap­ping,
And so faint­ly you came tap­ping, tap­ping at my cham­ber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Dark­ness there and noth­ing more.

Deep into that dark­ness peer­ing, long I stood there won­der­ing, fear­ing,
Doubt­ing, dream­ing dreams no mor­tal ever dared to dream before;
But the silence was unbro­ken, and the still­ness gave no token,
And the only word there spo­ken was the whis­pered word, “Lenore?”
This I whis­pered, and an echo mur­mured back the word, “Lenore!”–
Mere­ly this and noth­ing more.

Back into the cham­ber turn­ing, all my soul with­in me burn­ing,
Soon again I heard a tap­ping some­what loud­er than before.
“Sure­ly,” said I, “sure­ly that is some­thing at my win­dow lat­tice;
Let me see, then, what there­at is, and this mys­tery explore—
Let my heart be still a moment and this mys­tery explore; —
’Tis the wind and noth­ing more!”

Open here I flung the shut­ter, when, with many a flirt and flut­ter,
In there stepped a state­ly Raven of the saint­ly days of yore;
Not the least obei­sance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my cham­ber door—
Perched upon a bust of Pal­las just above my cham­ber door—
Perched, and sat, and noth­ing more.

Then this ebony bird beguil­ing my sad fan­cy into smil­ing,
By the grave and stern deco­rum of the coun­te­nance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghast­ly grim and ancient Raven wan­der­ing from the Night­ly shore—
Tell me what thy lord­ly name is on the Night’s Plu­ton­ian shore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

Much I mar­velled this ungain­ly fowl to hear dis­course so plain­ly,
Though its answer lit­tle mean­ing – lit­tle rel­e­van­cy bore;
For we can­not help agree­ing that no liv­ing human being
Ever yet was blessed with see­ing bird above his cham­ber door—
Bird or beast upon the sculp­tured bust above his cham­ber door,
With such name as “Nev­er­more.”

But the Raven, sit­ting lone­ly on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did out­pour.
Noth­ing far­ther then he uttered – not a feath­er then he flut­tered—
Till I scarce­ly more than mut­tered “Oth­er friends have flown before—
On the mor­row he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nev­er­more.”

Star­tled at the still­ness bro­ken by reply so apt­ly spo­ken,
“Doubt­less,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhap­py mas­ter whom unmer­ci­ful Dis­as­ter
Fol­lowed fast and fol­lowed faster till his songs one bur­den bore—
Till the dirges of his Hope that melan­choly bur­den bore
Of ‘Nev­er – nev­er­more’.”

But the Raven still beguil­ing all my fan­cy into smil­ing,
Straight I wheeled a cush­ioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the vel­vet sink­ing, I betook myself to link­ing
Fan­cy unto fan­cy, think­ing what this omi­nous bird of yore—
What this grim, ungain­ly, ghast­ly, gaunt, and omi­nous bird of yore
Meant in croak­ing “Nev­er­more.”

This I sat engaged in guess­ing, but no syl­la­ble express­ing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divin­ing, with my head at ease reclin­ing
On the cushion’s vel­vet lin­ing that the lamp-light gloat­ed o’er,
But whose vel­vet-vio­let lin­ing with the lamp-light gloat­ing o’er,
She shall press, ah, nev­er­more!

Then, methought, the air grew denser, per­fumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tin­kled on the tuft­ed floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy mem­o­ries of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and for­get this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il! —
Whether Tempter sent, or whether tem­pest tossed thee here ashore,
Des­o­late yet all undaunt­ed, on this desert land enchant­ed—
On this home by Hor­ror haunt­ed – tell me tru­ly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il!
By that Heav­en that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sor­row laden if, with­in the dis­tant Aidenn,
It shall clasp a saint­ed maid­en whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Be that word our sign of part­ing, bird or fiend!” I shrieked, upstart­ing–
“Get thee back into the tem­pest and the Night’s Plu­ton­ian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spo­ken!
Leave my lone­li­ness unbro­ken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

And the Raven, nev­er flit­ting, still is sit­ting, still is sit­ting
On the pal­lid bust of Pal­las just above my cham­ber door;
And his eyes have all the seem­ing of a demon’s that is dream­ing,
And the lamp-light o’er him stream­ing throws his shad­ow on the floor;
And my soul from out that shad­ow that lies float­ing on the floor
Shall be lift­ed – nev­er­more!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minu­it lugubre, pen­dant que je médi­tais, faible et fatigué, sur maint pré­cieux et curieux vol­ume d’une doc­trine oubliée, pen­dant que je don­nais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapote­ment, comme de quelqu’un frap­pant douce­ment, frap­pant à la porte de ma cham­bre. « C’est quelque vis­i­teur, — mur­mu­rai-je, — qui frappe à la porte de ma cham­bre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! dis­tincte­ment je me sou­viens que c’était dans le glacial décem­bre, et chaque tison bro­dait à son tour le planch­er du reflet de son ago­nie. Ardem­ment je désir­ais le matin ; en vain m’étais-je effor­cé de tir­er de mes livres un sur­sis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore per­due, pour la pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore, — et qu’ici on ne nom­mera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruisse­ment des rideaux pour­prés me péné­trait, me rem­plis­sait de ter­reurs fan­tas­tiques, incon­nues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apais­er le bat­te­ment de mon cœur, je me dres­sai, répé­tant : « C’est quelque vis­i­teur qui sol­licite l’entrée à la porte de ma cham­bre, quelque vis­i­teur attardé sol­lic­i­tant l’entrée à la porte de ma cham­bre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sen­tit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Mon­sieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre par­don ; mais le fait est que je som­meil­lais, et vous êtes venu frap­per si douce­ment, si faible­ment vous êtes venu taper à la porte de ma cham­bre, qu’à peine étais-je cer­tain de vous avoir enten­du. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scru­tant pro­fondé­ment ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mor­tel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas trou­blé, et l’immobilité ne don­na aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chu­choté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chu­chotais, et un écho à son tour mur­mu­ra ce mot : « Lénore ! » — Pure­ment cela, et rien de plus.
Ren­trant dans ma cham­bre, et sen­tant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bien­tôt un coup un peu plus fort que le pre­mier. « Sûre­ment, — dis-je, — sûre­ment, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mys­tère. Lais­sons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mys­tère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je pous­sai alors le volet, et, avec un tumultueux bat­te­ment d’ailes, entra un majestueux cor­beau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moin­dre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se per­cha au-dessus de la porte de ma cham­bre ; il se per­cha sur un buste de Pal­las juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; — il se per­cha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la grav­ité de son main­tien et la sévérité de sa phy­s­ionomie, induisant ma triste imag­i­na­tion à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimi­er, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien cor­beau, voyageur par­ti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneur­ial aux rivages de la Nuit plu­toni­enne ! » Le cor­beau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émer­veil­lé que ce dis­gra­cieux volatile entendît si facile­ment la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand sec­ours ; car nous devons con­venir que jamais il ne fut don­né à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa cham­bre, un oiseau ou une bête sur un buste sculp­té au-dessus de la porte de sa cham­bre, se nom­mant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le cor­beau, per­ché soli­taire­ment sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à mur­mur­er faible­ment : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aus­si, il me quit­tera comme mes anci­ennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tres­sail­lant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à‑propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infor­tuné que le Mal­heur impi­toy­able a pour­suivi ardem­ment, sans répit, jusqu’à ce que ses chan­sons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De pro­fundis de son Espérance eût pris ce mélan­col­ique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le cor­beau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîn­er les idées aux idées, cher­chant ce que cet augur­al oiseau des anciens jours, ce que ce triste, dis­gra­cieux, sin­istre, mai­gre et augur­al oiseau des anciens jours voulait faire enten­dre en croas­sant son Jamais plus !
Je me tenais ain­si, rêvant, con­jec­turant, mais n’adressant plus une syl­labe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient main­tenant jusqu’au fond du cœur ; je cher­chais à devin­er cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que cares­sait la lumière de la lampe, ce velours vio­let caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sem­bla que l’air s’épaississait, par­fumé par un encen­soir invis­i­ble que bal­ançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la cham­bre. “Infor­tuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a don­né par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressou­venirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore per­due !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon, mais tou­jours prophète ! que tu sois un envoyé du Ten­ta­teur, ou que la tem­pête t’ait sim­ple­ment échoué, naufragé, mais encore intrépi­de, sur cette terre déserte, ensor­celée, dans ce logis par l’Horreur han­té, — dis-moi sincère­ment, je t’en sup­plie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en sup­plie !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon ! tou­jours prophète ! par ce Ciel ten­du sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Par­adis loin­tain, elle pour­ra embrass­er une fille sainte que les anges nom­ment Lénore, embrass­er une pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore.” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le sig­nal de notre sépa­ra­tion, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redres­sant. — Ren­tre dans la tem­pête, retourne au rivage de la Nuit plu­toni­enne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme sou­venir du men­songe que ton âme a proféré ; laisse ma soli­tude invi­o­lée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et pré­cip­ite ton spec­tre loin de ma porte !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
Et le cor­beau, immuable, est tou­jours instal­lé, tou­jours instal­lé sur le buste pâle de Pal­las, juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; et ses yeux ont toute la sem­blance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruis­se­lant sur lui, pro­jette son ombre sur le planch­er ; et mon âme, hors du cer­cle de cette ombre qui gît flot­tante sur le planch­er, ne pour­ra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour ter­min­er, une ver­sion ciné­matographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simp­son (The Simp­sons) de Matt Groen­ingThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pou­vez affich­er les sous-titres dans la langue souhaitée…

La gayola 1941-06-23 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini

La gay­ola, je suis sûr que cer­tains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de con­tra­dic­tion et la date du jour fait que je vous pro­pose une ver­sion moins con­nue, mais tout à fait intéres­sante. Elle a été enreg­istrée deux semaines plus tard par Fran­cis­co Lomu­to et Fer­nan­do Díaz.

Extrait musical

La gay­ola 1941-06-23 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Le stac­ca­to ini­tial de l’orchestre donne le ton. C’est une ver­sion énergique. Cepen­dant, elle alterne avec des pas­sages plus doux. C’est une inter­pré­ta­tion en con­traste, sans monot­o­nie et qui reste dans­able de bout en bout.

Éditée par Julio Korn, dont nous avons par­lé à divers­es repris­es, La gay­ola, par­ti­tion pour piano avec Rodriguez en cou­ver­ture.

Paroles

¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ ven­garme
si mañana, jus­ta­mente, yo me voy pa’ no volver…
He venido a des­pedirme y el gus­ta­zo quiero darme
de mirarte frente a frente y en tus ojos con­tem­plarme,
silen­ciosa, larga­mente, como me mira­ba ayer…

He venido pa’que jun­tos recordemos el pasa­do
como dos buenos ami­gos que hace rato no se ven;
a acor­darme de aquel tiem­po en que yo era un hom­bre hon­ra­do
y el car­iño de mi madre era un pon­cho que había echa­do
sobre mi alma noble y bue­na con­tra el frío del des­dén.

Una noche fue la muerte quien vis­tió mi alma de due­lo
a mi bue­na
(tier­na) madrecita la llamó a su lado Dios…
Y en mis sueños parecía que la pobre, des­de el cielo,
me decía que eras bue­na, que con­fi­ara siem­pre en vos.

Pero me jugaste sucio y, sedi­en­to de ven­gan­za…
mi cuchil­lo en un mal rato envainé en un corazón…
y, más tarde, ya sereno, muer­ta mi úni­ca esper­an­za,
unas lágri­mas rebeldes
(amar­gas) las sequé en un bodegón.

Me encer­raron muchos años en la sór­di­da gay­ola
y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal…
Fui sin rum­bo por las calles y rodé como una bola;
Por la gra­cia de un men­dru­go, ¡cuán­tas veces hice cola!
las auro­ras me encon­traron largo a largo en un umbral.

Hoy ya no me que­da nada; ni un refu­gio… ¡Estoy tan pobre!
Sola­mente vine a verte pa’ dejarte mi perdón…
Te lo juro; estoy con­tento que la dicha a vos te sobre…
Voy a tra­ba­jar muy lejos…a jun­tar algunos cobres
pa’ que no me fal­ten flo­res cuan­do esté den­tro ‘el cajón.

Rafael Eulo­gio Tue­gols Letra: Arman­do José MaríaTagi­ni

Fer­nan­do Díaz chante tout ce qui est en gras.
Arman­do Moreno chante ce qui est en bleu.
(Entre par­en­thès­es, des vari­antes des paroles).
Gardel chante encore d’autres vari­antes que je ne repro­duis pas ici.

Traduction libre et indications

N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, juste­ment, je pars pour ne plus revenir…
Je suis venu te dire au revoir et je veux me don­ner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me con­tem­pler, en silence, pen­dant un long moment, comme tu me regar­dais autre­fois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)
Je suis venu pour qu’ensemble nous puis­sions nous sou­venir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me sou­venir de cette époque où j’étais un homme hon­nête et où l’affection de ma mère était un pon­cho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme con­tre le froid du dédain.
Une nuit, c’est la mort qui a revê­tu mon âme de deuil, ma ten­dre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu…
Et dans mes rêves, il me sem­blait que la pau­vre créa­ture, du ciel, me dis­ait que tu étais bonne, que je devais tou­jours te faire con­fi­ance.
Mais tu m’as joué sale­ment et, assoif­fé de vengeance…
mon couteau dans un mau­vais moment, je l’ai four­ré dans un cœur…
Et, plus tard, déjà sere­in, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restau­rant pop­u­laire).
Ils m’ont enfer­mé pen­dant de nom­breuses années dans la sor­dide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal…
J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, com­bi­en de fois j’ai fait la queue !
Les aurores me trou­vèrent bien sou­vent sur un pas de porte.
Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pau­vre !
Je suis seule­ment venu te voir que pour te laiss­er mon par­don…
Je te jure ; je suis heureux que le bon­heur te sourie…
Je vais tra­vailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue mon­naie en cuiv­re) afin de ne pas man­quer de fleurs quand je serai dans le cer­cueil.

Autres versions

La gay­ola 1927-05-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Cette pre­mière ver­sion est instru­men­tale.
La gay­ola 1927-08-20 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).
La gay­ola 1941-06-09 — Enrique Rodriguez con Arman­do Moreno.
La gay­ola 1941-06-23 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz. C’est notre tan­go du jour.

Et on ter­mine par qua­tre ver­sions à écouter.

La gay­ola 1957-07-22 — Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pon­tier pour faire car­rière solo et il se rap­prochera de l’orchestre de Fed­eri­co qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.

La gay­ola — Edmu­do Rivero accomp. Gui­tare.
La gay­ola — Edmun­do Rivero accomp. Hora­cio Sal­gan.

Il est intéres­sant d’écouter deux ver­sions, une à la gui­tare et l’autre avec un orchestre.

On ter­mine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trou­vait la mort dans un acci­dent de la route, juste après avoir chan­té ce titre avec l’orchestre de Leopol­do Fed­eri­co. En effet, c’était sa « cumpar­si­ta ». Il ter­mi­nait tou­jours ses presta­tions par La gay­ola.
Esto es mi hom­e­na­je al Varón del tan­go.

Julio Sosa chante la gay­ola avec l’orchestre de Leopol­do Fed­eri­co.
La gay­ola.

La gay­ola, la geôle, la prison. Remar­quez le numéro sur la porte… Cela vous rap­pelle un autre tan­go ?

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous par­le de son vécu, dans sa ville et des per­son­nages de la vie quo­ti­di­enne à tra­vers ses textes de tan­go comme : Bar­rio de tan­go, El ulti­mo organ­i­to, El pes­cante, Manoblan­ca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, Esquinas porteñas, est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si fine­ment exprimée par Var­gas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas. C’est une de ces com­bi­naisons mag­iques qui de 1940 à 1946 nous a pro­posé près d’une cen­taine de mer­veilles enreg­istrées.
Cette asso­ci­a­tion fonc­tionne si bien, qu’il est très rare que l’on pro­pose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instru­men­tal. La seule excep­tion, bien sûr, Café Domínguez qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tan­gos de la même époque et le résul­tat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour con­tin­uer la tan­da avec un des mer­veilleux titres enreg­istrés avec Var­gas. La plu­part des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi

Paroles

Esquina de bar­rio porteño
te pin­tan los muros la luna y el sol.
Te llo­ran las llu­vias de invier­no
en las acuare­las de mi evo­cación.
Trein­ta lunas cono­cen mi heri­da
y cien cal­lecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la sen­da que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esper­an­zas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muer­ta,
gol­pe­an­do en cada puer­ta
por qué la bus­caré.
Cal­lecitas, som­breadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Com­pañera del sol y las estrel­las,
se fue la tarde aque­l­la
camino de Dios.

Los vien­tos mur­mu­ran mi pena.
Las som­bras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches ser­e­nas
encuen­tro su nom­bre como una obsesión.
Esquini­ta de bar­rio porteño,
con muros pin­ta­dos de luna y de sol,
que al llo­rar con tus llu­vias de invier­no
manchás el paisaje de mi evo­cación.

Sebastián Piana Letra : Home­ro Manzi

Fer­nan­do Díaz chante ce qui est en gras et bleu
Ernesto Famá chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
Igna­cio Corsi­ni et Mer­cedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Var­gas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, con­tin­ue avec la pre­mière par­tie du dernier cou­plet (ce qui est souligné) et reprend la fin du pre­mier cou­plet, ce qui est en gras et souligné.

Traduction libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quarti­er de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes por­tu­aires, dont les habi­tants s’appellent selon cette car­ac­téris­tique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évo­ca­tion.
Trente lunes con­nais­sent ma blessure et cent petites rues nous virent pass­er.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce per­dait les espérances, la pas­sion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frap­pant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Com­pagne du soleil et des étoiles, elle est par­tie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents mur­murent ma peine.
Les ombres me dis­ent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sere­ines, trou­vant son nom comme une obses­sion.
Esquina de bar­rio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hiver­nales, tu tach­es le paysage avec mon évo­ca­tion.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

La plus anci­enne ver­sion enreg­istrée, rel­a­tive­ment lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro sem­ble affec­tion­ner. On peut remar­quer une belle intro­duc­tion que l’on ne retrou­ve pas dans la ver­sion enreg­istrée par son « jumeau » qua­tre jours plus tôt. L’interprétation a un car­ac­tère un peu ranchera. Cela tourne vrai­ment très tran­quille­ment, un peu pesam­ment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une ver­sion un peu plain­tive où Corsi­ni chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mer­cedes Simone con orques­ta.

Même si c’est une ver­sion a pri­ori à écouter, cette superbe ver­sion mérite à mon avis d’être dan­sée. Le rythme est beau­coup plus rapi­de. L’orchestre est en retrait pour laiss­er la place à Mer­cedes, mais la struc­ture de la valse est tou­jours per­cep­ti­ble, ce qui facilit­era la danse. On pour­ra en out­re la com­par­er à l’enregistrement de 1966 que je vous pro­pose égale­ment ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre valse du jour.

Il fal­lait au moins les deux anges pour rester au niveau de la ver­sion de Mer­cedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapi­de. On retrou­ve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être tou­jours effi­cace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a rem­placé Var­gas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résul­tat. Je trou­ve l’orchestre un peu siru­peux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins effi­cace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mer­cedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mer­cedes Simone est plus mûre, mais elle trans­met tou­jours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les tran­si­tions de l’orchestre entre les phras­es chan­tées par Mer­cedes, sont assez orig­i­nales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait pass­er la porte de la postérité. Brameri était pianiste, vio­loniste, accordéon­iste, com­pos­i­teur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enreg­istrements postérieurs de cette mag­nifique valse, mais je trou­ve bien de ter­min­er avec elle, d’autant plus que la fin un peu spec­tac­u­laire laisse claire­ment appa­raître « FIN », comme au ciné­ma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Plegaria 1940-04-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo Bianco

Cer­tains tan­gos sont « inter­dits » dans les milon­gas. On ne passe pas Gardel et surtout pas Volver, mais il y a une liste plus longue, le tan­go du jour en ferait par­tie même s’il n’a jamais fait par­tie des tan­gos inter­dits par la loi argen­tine. Atten­tion, cet arti­cle aura du mal à suiv­re ma devise selon laque­lle le tan­go est une pen­sée heureuse qui se danse.

Extrait musical

Avant de ren­tr­er sur les caus­es de l’interdiction, je vous le pro­pose à écouter. Il est inter­dit dans les milon­gas, pas à l’écoute. Si vous jugez en lisant l’article que l’interdiction est jus­ti­fiée, ou pas, vous pour­rez vot­er à la fin de l’article.

Ple­garia 1940-04-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz

On ne peut pas dire que ce soit vilain, non ?

Interdiction officielle du tango

Plusieurs caus­es ont provo­qué des inter­dic­tions du ou des tan­gos.

Interdiction du tango pour des raisons de bienséance

Les débuts inter­lopes du tan­go ont provo­qué sont inter­dic­tion, surtout à cause des paroles, des lieux et des débor­de­ments qu’il pou­vait sus­citer.
La bonne société voy­ait d’un mau­vais œil cette danse de voy­ous qui nais­sait dans les faubourgs, mais ses fils s’y aco­quinèrent. Le pou­voir religieux pous­sait des cris d’orfraie, jusqu’à ce que le danseur Casimiro Ain fasse une démon­stra­tion au pape. 
Le pape ayant don­né sa béné­dic­tion et le tan­go s’étant acheté une con­duite en Europe, les inter­dic­tions sont lev­ées et la bonne société se lance à son tour sans réserve dans la pra­tique de cette danse.

Tangos interdits par les dictatures militaires

Cepen­dant, la dic­tature mil­i­taire a repris la ques­tion en main et pub­lié une liste de tan­gos inter­dits, non pas à cause de la musique, bien sûr, mais à cause des paroles. Les extrêmes droites, sont rarement favor­ables à la cul­ture et n’aiment pas trop les cri­tiques.
A mi país de Rober­to Diaz et Rey­nal­do Martín
Acquaforte de C. Maram­bio Catán et H. Alfre­do Per­roti
Al mun­do le fal­ta un tornil­lo de Enrique Cadicamo
Al pie de la San­ta Cruz de M. Bat­tis­tel­la et E. Delfi­no
Bron­ca de Mario Bat­tis­tel­la et Edmun­do Rivero
Cabal­lo Criol­lo de J. Dale­vuelta et F. Ramirez de Aguilar
Cam­bal­ache de Enrique San­tos Dis­cépo­lo
Ciru­ja de T.A. Mari­no et E.N. de la Cruz
Gor­riones de Cele­do­nio Flo­res et Eduar­do Pereyra
Jor­nalero de Atilio Car­bone
Matu­fias de Ángel G. Vil­lol­do
Men­ti­ras criol­las de Oscar Arona
Pajar­i­to de Dante A. Liny­era
Pan de Cele­do­nio Flo­res et Eduar­do Pereyra
Que­vachaché de Enrique San­tos Dis­cépo­lo
Sol a sol de Daniel L. Bar­reto
Solo de Fer­nan­do Solanas
Bien sûr, cette liste n’est plus d’actualité, du moins tant qu’un gou­verne­ment ne juge pas de nou­veau que ces paroles peu­vent nuire à son pres­tige. Ceux qui suiv­ent la sit­u­a­tion en Argen­tine voient cer­taine­ment ce qui avive mes craintes.

Tangos « interdits » sans « interdit ».

Les tan­gos de Gardel sont réputés comme ne devant pas se danser. L’interdit est le plus fort sur Volver et sur Adios ami­gos, à cause de la fin trag­ique du chanteur. Le DJ n’ira pas en prison, mais cer­tains danseurs seront sur­pris.
D’un autre côté, Gardel n’a pas per­for­mé pour la piste de danse, c’est donc un moin­dre mal. Cepen­dant, on trou­ve plusieurs tan­gos réal­isés par la suite avec la voix de Gardel sur des instru­men­ta­tions mod­ernes. Ces « prouess­es » ont été ren­du pos­si­bles par les pro­grès tech­niques qui per­me­t­taient de couper des ban­des de fréquences. Le sys­tème est assez sim­ple, ce sont des ensem­bles de résis­tances et con­den­sa­teurs qui fil­trent cer­taines fréquences. Des poten­tiomètres per­me­t­tent d’ajuster les paramètres. Ain­si on peut ren­forcer la voix et baiss­er les fréquences où jouent les instru­ments. L’orchestre joue ensuite le morceau en appuyant suff­isam­ment pour mas­quer les restes de gui­tare des enreg­istrements orig­in­aux…

Par exemple par Canaro, dans les années 50 (1955 à 1959),

Ban­doneón arra­balero, Cho­ra, Madame Ivonne, Madre hay una sola, Mi noche triste, Siga el cor­so, Yira Yira.

Yira… Yira… 1955-11-13 1930-10-16 — Car­los Gardel con acomp. de la orques­ta de Fran­cis­co Canaro.

Par exemple De Angelis en 1973 et 1974

Alma en pena, Alma­gro, Ausen­cia, Cualquier cosa, Due­lo criol­lo, Esta noche me embor­ra­cho, Giusepe el zap­a­tero, Ínti­mas, La cumpar­si­ta (Si supieras), Mal­e­va­je, Me enam­oré una vez (ranchera), Melodía de arra­bal, adiós mucha­chos, Muñe­ca bra­va, Nel­ly (valse), Paler­mo, Rosas de abril (valse), Si soy así, Tomo y obli­go, Viejo jardín (valse), Viejo smok­ing, Yira Yira.

Yira… Yira… 1973-10-25 1930-10-16 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Gardel. La ver­sion de Ange­lis à par­tir de Yira Yira…

Par exemple Otros Aires en 2004

Aquel mucha­cho bueno (extraits de Aquel Mucha­cho Triste par Car­los Gardel en 1929), En direc­ción a mi casa (extraits de El Car­retero par Car­los Gardel en 1922), La Pam­pa Seca (extraits de El Car­retero par Car­los Gardel en 1922), Milon­ga Sen­ti­men­tal (extraits de Milon­ga Sen­ti­men­tal par Car­los Gardel en 1929), Per­can­ta (extraits de Mi Noche Triste par Car­los Gardel).
Les résul­tats sont plutôt moyens et si on peut con­sid­ér­er que cer­tains sont dans­ables, ce n’est pas une urgence de les pass­er.
Pour ma part je n’ai passé des titres de cette liste qu’à une seule reprise en plus de 20 ans de car­rière et c’était pour une milon­ga « spé­ciale Gardel » dans le cadre du fes­ti­val Tan­go postal (Toulouse, France). Heureuse­ment, le thème autori­sait de pass­er des titres com­posés par Gardel, mais joués par d’autres orchestres…

Interdits par devoir de mémoire

Le tan­go du jour fait par­tie de cette caté­gorie. Il a été com­posé par Eduar­do Bian­co qui a égale­ment écrit les paroles.
Ce tan­go, dans sa ver­sion de 1927 que vous pour­rez enten­dre ci-dessous est triste et ne donne pas du tout envie de danser. On imag­ine facile­ment sa dif­fu­sion lors d’un enter­re­ment.
En 1939, l’auteur qui était asso­cié à Bachicha pour la ver­sion de 1927, récidive. Cette ver­sion d’une grande émo­tion et tristesse ne se prête pas non plus à la danse.
Il en est autrement de la ver­sion de Frese­do qui pour­rait s’intégrer dans une tan­da.
Donc, les ver­sions avec Bian­co ne sont pas pass­ables car elles ne se prê­tent pas à la milon­ga, mais celle de Frese­do le pour­rait. Alors pourquoi l’interdire ?
Eduar­do Bian­co a dédi­cacé ce tan­go au Roi Alfon­so XIII d’Espagne (et aupar­a­vant dédié Evo­cación à Ben­i­to Mus­soli­ni), mais le plus grave est à venir…
Ce musi­cien etait con­sid­éré comme ayant des idées anti­sémites et comme étant sen­si­ble aux thès­es fas­cistes. Il fréquen­tait les milieux pron­azis.
Pour les nazis alle­mand, le tan­go con­sti­tu­ait une réponse aux Jazz des Noirs améri­cains qui avait le vent en poupe. Ils ont donc encour­agé le tan­go en Alle­magne, comme en témoignent les nom­breux tan­gos alle­mands de l’époque.
Lors d’un con­cert à l’ambassade d’Argentine à Berlin, Adolf Hitler aurait enten­du la musique jouée par Bian­co et aurait demandé que cette musique soit jouée par les déportés juifs aux portes des cham­bres à gaz (Jens-Ingo a attiré mon atten­tion sur le fait que ce point serait de la pro­pa­gande russe, je mets donc en ques­tion ce point, d’autant plus que l’ambassadeur d’Argentine qui est cité dans ces sources, Eduar­do Labougle Car­ran­za, a quit­té ses fonc­tions à Berlin an 1939 et donc avant la liste en place de la « solu­tion finale ».

Toute­fois, le poète roumain Paul Celan détenu en camp de con­cen­tra­tion a évo­qué cette hor­reur dans son poème Todesfuge. Selon Enzo Tra­ver­so, ce ne serait pas un témoignage direct, cette pra­tique n’étant pas for­cé­ment général­isée dans tous les camps et Celan n’aurait pas été dans le camp de Lublin — Maj­danek, où selon l’Armée rouge ce « rit­uel » aurait été pra­tiqué.
Si dans les camps la ver­sion n’était pas chan­tée, Alek­sander Kulisiewicz a ajouté des paroles et a même enreg­istré un disque (Songs from the Depths of Hell). Je ne vous le pro­pose pas ici, mais vous pou­vez l’écouter sur le site de la Smith­son­ian et même l’acheter.
S’il existe des « tan­gos de la muerte » (tan­go de la mort) qui por­tent réelle­ment ce titre, on a égale­ment bap­tisé ain­si, pour son usage macabre, ple­garia. Les SS l’avaient surnom­mé, « Muerte en fuga » « Todesfuge » (mort en fugue)…
Pour cette rai­son, même s’il y a des doutes sur cer­tains élé­ments de cette his­toire, on ne passe générale­ment pas ple­garia en milon­ga, même la belle ver­sion de Frese­do. Cepen­dant, si un DJ la passe, soyez indul­gents, pas comme cet indi­vidu qui attrapé une pau­vre DJ débu­tante en la trai­tant de nazi tout en la sec­ouant, car elle avait passé ce titre.

Adden­dum : Jens-Ingo a attiré mon atten­tion sur un livre qui remet­trait en ques­tion ces élé­ments.
https://www.tangodanza.de/Books_Dirk-E-Dietz-Der-Todestango–1726.html?language=en “It still cir­cles over the dancers, the ghost of the ‘death tan­go’ that the nefar­i­ous Eduar­do Bian­co once brought into the world to give the Nazis a fit­ting sound­track for their atroc­i­ties.
One of the dancers, his­to­ri­an and jour­nal­ist Dirk E. Dietz, has now stud­ied the phe­nom­e­non exten­sive­ly. In his inves­ti­ga­tion, he con­cludes that the fairy tale of the ‘death tan­go’ is based on an act of delib­er­ate com­mu­nist pro­pa­gan­da toward the end of World War II.

As inter­est in the tan­go grew, so did the spread of this leg­end. It is there­fore far from being true, as Dietz proves in detail in his book.
A strong book — and an impor­tant book for the tan­go.”.

Pour nous, DJ, même si cette his­toire est fausse, il nous faut savoir que l’on peut heurter la sen­si­bil­ité de cer­taines per­son­nes et donc pren­dre les mesures néces­saires avant de pass­er un titre de ce type. (Fin de l’addendum).

Extrait musical (bis)

Ple­garia 1940-04-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz

. Le rythme est tonique et la voix de Ricar­do Ruiz est comme tou­jours mag­nifique. Si on ne prête pas atten­tion aux paroles, on peut pass­er à côté de la tristesse du thème. Ce titre sans l’histoire fumeuse de Bian­co pour­rait pass­er en milon­ga, dans un moment d’émotion, par exem­ple en sou­venir d’un dis­paru, lors d’un hom­mage.

Les paroles

Ple­garia que lle­ga a mi alma
al son de lentas cam­panadas,
ple­garia que es con­sue­lo y cal­ma
para las almas desam­para­das.
El órgano de la capil­la
embar­ga a todos de emo­ción
mien­tras que un alma de rodil­las
¡pide con­sue­lo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuán­ta amar­gu­ra y dolor!
Cuan­do el sol se va ocul­tan­do
una ple­garia
y se muere lenta­mente
bro­ta de mi alma
cruza un alma doliente
y ele­vo un rezo
en el atarde­cer.

Murió la bel­la pen­i­tente,
murió, y su alma arrepen­ti­da
voló muy lejos de esta vida, 
se fue sin que­jas, tími­da­mente,
y di en que noche calla­da
se oye un can­to de dolor
y su alma triste, perdó­nala,
toda de blan­co can­ta al amor!

Eduar­do Bian­co

Les paroles sont tristes et peu­vent plomber l’ambiance de la milon­ga, mais rien de répréhen­si­ble dans leur con­tenu.

Prière qui vient à mon âme au son de lentes son­ner­ies de cloches, prière qui est con­so­la­tion et calme pour les âmes désem­parées.
L’orgue de la chapelle embar­que tout le monde dans l’émotion tan­dis qu’une âme à genoux demande du récon­fort, demande par­don !

Pau­vre de moi ! … Oh Seigneur ! …
Com­bi­en d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil va s’occulter
Une prière
et se meurt lente­ment
Jail­lit de mon âme
croise une âme souf­frante
Et adresse une prière
dans le soir.

Elle est morte la belle péni­tente, elle est morte, et son âme repen­tante a volé très loin de cette vie. Elle est par­tie sans se plain­dre, timide­ment, et fit que dans cette nuit silen­cieuse s’entend un chant de douleur. Et son âme triste, par­don­nez-la, toute de blanc chante l’Amour !

Les par­ties en gras et italique sont chan­tées par le choeur.
Le cou­plet en bleu n’est pas chan­té par Ricar­do Ruiz.

Autres versions

Ple­garia 1927-04-22 — Orques­ta Bian­co-Bachicha con Juan Rag­gi y coro.

Pas ques­tion de pass­er cette ver­sion en milon­ga, à cause du per­son­nage, mais aus­si, car il est loin d’être agréable à écouter et à danser. Le ban­nir n’est pas du tout un prob­lème. Je vous épargne leurs autres ver­sions de 1928 et 1929.

Ple­garia 1939-03-15 — Orques­ta Eduar­do Bian­co con Mario Vis­con­ti.

Cette ver­sion com­mence par une cloche lugubre et un chœur chan­tant comme pour un requiem. Puis Mario Vis­con­ti, chante avec beau­coup d’émotion sa prière, en réponse avec le chœur et les instru­ments. Pour moi, c’est assez joli, mais suff­isam­ment triste pour ban­nir cette ver­sion de toute milon­ga.

Ple­garia 1940-04-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est le tan­go du jour.

Les prières (plegarias)

D’autres tan­gos por­tent ce titre. En voici quelques-uns. Il y en a d’autres, comme quoi l’initiative de Bian­co n’est pas éton­nante. C’est un thème qui se retrou­ve au moins jusqu’aux années 50.

La ple­garia 1926-09-07 — Orques­ta Julio De Caro. Ce tan­go (instru­men­tal) a été com­posé par Emilio De Caro.
Ple­garia 1931-08-21 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” (Eduar­do Anto­nio De Maio avec des paroles d’Alfredo Alle­gret­to).

Il y a même une prière en valse par Anto­nio Sure­da avec des paroles de son frère Gerón­i­mo Sure­da. Je vous en pro­pose deux ver­sions. Les paroles sont une prière à la Vierge de Luján,

Ple­garia 1933-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

L’introduction est vrai­ment sin­istre. On peut la pass­er si on n’est pas sous Prozac.

Ple­garia 1933-07-22 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Cette ver­sion assez proche (et enreg­istrée seule­ment trois jours plus tard) de celle de Canaro, sans l’introduction dép­ri­mante.

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