Archives par étiquette : Iceberg

Frío 1938-07-26 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Joaquín Mauricio Mora Letra: José María Contursi

Sans doute influ­encé par la tem­péra­ture polaire de ces derniers jours à Buenos Aires, j’ai choisi Frío (Froid) pour l’anecdote du jour. Cette ver­sion mag­nifique et presque orphe­line a été enreg­istrée par Canaro et Mai­da il y a exacte­ment 83 ans… Cet enreg­istrement par­le d’un froid interne, mais il a été enreg­istré en hiv­er, comme l’a été l’année précé­dente Invier­no (l’hiver) par les mêmes… Je vous invite à grelot­ter.

Un petit mot sur Joaquín Mauricio Mora (1905–1979)

Cer­tains tal­ents passent un peu dans l’oubli, tout comme ce mag­nifique tan­go du jour et je suis con­tent de les rap­pel­er à notre sou­venir.
Joaquín Mora est né en 1905 en Uruguay, d’une mère de ce pays et d’un père argentin. Il fit de sérieuses études musi­cales au point de devenir pro­fesseur de piano et il se toqua pour le ban­donéon qui bien qu’aussi un instru­ment à touch­es exige une dex­térité dif­férente. Avec cet instru­ment qu’il apprit de façon auto­di­dacte, il jouera dans de nom­breux orchestres, par exem­ple avec Azu­ce­na Maizani et le Trio Irus­ta-Fuga­zot-Demare en Europe et il fut l’un des ban­donéon­istes de Miguel Caló.

Por­traits de Joaquin Mora. En haut dans l’orchestre de Miguel Calo en 1935, en bas avec les musi­ciens de son orchestre en 1936. À droite, avec son orchestre en Uruguay

Il tour­na égale­ment en Amérique du Sud, et joua même avec la Sono­ra Matancera (en 1949).

Cartes de musi­cien de Mora : Colom­bie — Man­agua au Nicaragua — Medel­lín (Colom­bie).

Un jour il perdit son ban­donéon et il con­tin­ua comme pianiste…
Mais il fut aus­si un com­pos­i­teur intéres­sant.
Par­mi ses com­po­si­tions, citons celles dont nous avons des enreg­istrements. Une bonne par­tie étant avec des paroles de Con­tur­si :
Al ver­la pasar / Como aque­l­la prince­sa / Escla­vo / Frío / Más allá / Sin esper­an­za (Vals)
Tan­gos sans paroles de Con­tur­si (instru­men­taux ou avec d’autres paroliers) :
Div­ina (marche puis en tan­go) / En las som­bras / Mar­gari­ta Gau­thi­er / Si volviera Jesús / Ushua­ia / Volver a ver­nos / Yo soy aquel mucha­cho

Extrait musical

Frío 1938-07-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

Le mode mineur pré­dom­i­nant dans cette musique donne un air de tristesse. Mai­da chante déli­cate­ment, mais en suiv­ant le rythme soutenu de l’orchestre qui ne se calmera que dans les dernières sec­on­des par un ralen­tisse­ment (cal­en­do ou même moren­do).

Paroles

De vrai­ment très belles paroles, mais José María Con­tur­si nous a habitué à ces textes splen­dides et sim­ples.

Por qué seguir penan­do así
Si el sol no bril­la para mí,
En esta noche inacabable, mi quer­er
Se desan­gra lenta­mente por ti.

No sé si el vien­to lle­vará
Mi voz, cansa­da de lla­mar,
Giro la vista, angus­ti­a­do
De ver a mi lado
Som­bras, nada más.

Me ago­b­ia el peso de las penas mías
Anduve tan­to y tan­to, sin lle­gar,
Mi espíritu cansa­do, nece­si­ta
Que­brar sus alas mus­tias y olvi­dar.
Si encon­trara un reparo en el camino
Donde el alma pudiera cobi­jar,
Garúa de recuer­dos y este frío
Este frío mor­tal, mi soledad.

Busqué la paz en la oración
Mi voz, un rezo musitó,
Y en las pal­abras,
Las primeras que aprendí
Y el recuer­do de mi madre, me ahogó.

Joaquín Mauri­cio Mora Letra: José María Con­tur­si

Rober­to Mai­da ne change que ce qui est en gras. Podestá, chante tout et fait même des repris­es…

Traduction libre des paroles

Pourquoi con­tin­uer à pleur­er ain­si si le soleil ne brille pas pour moi, en cette nuit sans fin, mon amour saigne lente­ment pour toi.
Je ne sais pas si le vent portera ma voix, fatiguée d’ap­pel­er, je détourne le regard, angois­sé de voir des ombres à mon côté, rien de plus.
Le poids de mes peines me sub­merge, j’ai tant et tant marché, sans arriv­er, mon esprit fatigué, a besoin de bris­er ses ailes desséchées et d’ou­bli­er.
Si je trou­vais une retraite sur le chemin où l’âme pou­vait s’abrit­er, un crachin (pluie fine) de sou­venirs et ce froid, ce froid mor­tel, ma soli­tude.
Je cher­chais la paix dans la prière, ma voix mur­mu­rait une obsécra­tion, et dans les mots, les pre­miers que j’ap­pris et le sou­venir de ma mère, je me noy­ais.

Ce joli texte et cette exquise musique n’ont pas fait beau­coup d’adeptes. On notera tout de même une ver­sion par Alber­to Podestá avec l’auteur, Joaquín Mora.

Frío 1938-07-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est notre tan­go du jour.
Frío 1960 — Alber­to Podestá Acc. Joaquín Mora y su orques­ta.

On se rend compte avec cette ver­sion de l’écriture nova­trice de Mora que le clas­si­cisme de Canaro avait estom­pée. En fait, c’est presque l’inverse, car la musique de Mora donne des références à la musique clas­sique française de l’époque. Pfffff. Pas facile à expli­quer, tout cela.
C’est à écouter, mais c’est une belle réal­i­sa­tion.

À demain, les amis et mer­ci à ceux qui ont lu jusqu’au bout. Je me suis ren­du compte aujourd’hui que cer­tains ne voy­aient que le chapô et la pho­to sur Face­book, nég­ligeant de cli­quer sur le lien où se trou­ve l’anecdote du jour…

Faîtes pass­er l’in­fo si vous pensez que les anec­dotes peu­vent les intéress­er.

Les anec­dotes de tan­go, c’est un site, pas une pho­to avec trois lignes sur Face­book. Pensez à cli­quer sur le lien…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous par­ler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce mer­veilleux tan­go immor­tal­isé par les deux angeli­tos (D’Agostino et Var­gas) par­le à tous les danseurs. C’est une com­po­si­tion de Ángel D’Agosti­no et Alfre­do Attadía, Enrique Cadí­camo lui a don­né ses paroles et son nom. Par­tons en train jusqu’à Tres Esquinas à la décou­verte du berceau de ce tan­go.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agosti­no a com­posé ce titre dans une ver­sion som­maire pour une saynète nom­mée « Armenonville » mon­tée par Luis Ara­ta, Leopol­do Simari et José Fran­co. Comme on peut s’en douter, cette pièce par­lait de la vie des pau­vres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agosti­no jouait cette com­po­si­tion au piano sous le titre, Pobre Piba (Pau­vre gamine).

Ara­ta-Simari-Fran­co

Une ving­taine d’années plus tard selon la légende (his­toire) D’Agostino fre­donnait le titre que reprit Var­gas à la sor­tie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadí­camo imag­i­na le pre­mier vers « Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas ». Alfre­do Attadía qui était le pre­mier ban­donéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrange­ments. Il doit cepen­dant d’avoir son nom à la par­ti­tion par son apport sur le phrasé des ban­donéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Var­gas qui devrait donc à ce dou­ble titre avoir aus­si son nom sur la par­ti­tion 😉

Extrait musical

Com­mençons par écouter cette mer­veille pour se met­tre dans l’humeur prop­ice à notre décou­verte.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Tres Esquinas. Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo. À gauche, deux cou­ver­tures, puis par­ti­tion et accords gui­tare et disque.

Je pense que vous avez remar­qué ce fameux phrasé dès le début. On y telle­ment habitué main­tenant que l’on pense que cela a tou­jours existé… Lorsque Var­gas chante, le ban­donéon se fait dis­cret, se con­tentant au même titre que les autres instru­ments de mar­quer le rythme et de pro­pos­er quelques orne­ments pour les ponts. On notera le superbe solo de vio­lon de Hol­ga­do Bar­rio après la voix de Var­gas et la reprise du ban­donéon (vers 2:20). Var­gas a le dernier mot et ter­mine le titre.

Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Atta­dia, mais il y a fort à pari­er que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intem­porelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas,
viejo balu­arte de un arra­bal
donde flo­re­cen como glic­i­nas
las lin­das pibas de delan­tal.
Donde en la noche tib­ia y ser­e­na
su antiguo aro­ma vuel­ca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duer­men las chatas del cor­ralón.

Soy de ese bar­rio de humilde ran­go,
yo soy el tan­go sen­ti­men­tal.
Soy de ese bar­rio que toma mate
bajo la som­bra que da el par­rral.
En sus ochavas com­padrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una mal­e­va
la ardi­ente ceba de mi pasión.

Nada hay más lin­do ni más com­padre
que mi sub­ur­bio mur­mu­rador,
con los chi­men­tos de las comadres
y los piro­pos del Picaflor.
Vie­ja bar­ri­a­da que fue estandarte
de mis arro­jos de juven­tud…
Yo soy del bar­rio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre des paroles

Je suis du quarti­er de Tres Esquinas (plus un vil­lage qu’un quarti­er au sens actuel), un ancien bas­tion d’une ban­lieue où les jolies filles en tabli­er fleuris­sent comme des glycines (Il s’ag­it des tra­vailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sere­ine le géra­ni­um déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dor­ment les logis du cor­ralón (le cor­ralón est un habi­tat col­lec­tif, le pen­dant du con­ven­til­lo, mais à la cam­pagne. Au lieu de don­ner sur un couloir, les pièces qui accueil­lent les familles don­nent sur un bal­con. Au pluriel, cela peut aus­si désign­er le lieu où on par­que le bétail et tout l’attirail de la trac­tion ani­male. Je pense plutôt au loge­ment dans ce cas à cause des géra­ni­ums qui me font plus penser à un habi­tat, même si les cor­ralones étaient proches. Les géra­ni­ums éloignent les mouch­es qui devaient pul­luler à cause de la prox­im­ité du bétail).
Je viens de ce quarti­er de rang mod­este, je suis le tan­go sen­ti­men­tal.
Je suis de ce quarti­er qui boit du maté à l’om­bre de la vigne.
Dans ses ochavas (la ocha­va est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présen­tent un petit pan de façade oblique) j’é­tais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mau­vaise l’ap­pât brûlant de ma pas­sion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus com­padre que mon faubourg mur­mu­rant, avec les com­mérages des com­mères et les com­pli­ments du Picaflor (les piro­pos sont des com­pli­ments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quarti­er qui fut l’é­ten­dard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quarti­er qui vit à part en ce siè­cle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme sou­vent, les ver­sions immenses sem­blent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remar­quable de l’époque, si on exclut Hugo Del Car­ril à la gui­tare et notre sur­prise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 — Hugo Del Car­ril con gui­tar­ras.

Il me sem­ble dif­fi­cile de s’attacher à cette ver­sion une fois que l’on a décou­vert celle des deux anges. On retrou­ve l’ambiance de Gardel, mais cet enreg­istrement ne sera nor­male­ment jamais pro­posé dans une milon­ga.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co. J’ai eu le bon­heur de décou­vrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il met­tait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tan­go­postale (Toulouse France) où il a sus­cité un ent­hou­si­asme déli­rant. Il nous reste le disque pour nous sou­venir de ces moments intens­es mag­nifiés par la voix de Javier Di Ciri­a­co.

Le jeune Ariel Ardit relève toute­fois le défi et pro­pose plusieurs ver­sions élec­trisantes de ce titre. Voici un enreg­istrement pub­lic en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit inter­prète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme tra­di­tion­nelle), mais c’est une mag­nifique ver­sion avec une grande richesse des con­tre­points. Ariel Ardit donne beau­coup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On com­prend l’approbation du pub­lic.

SURPRISE : il reste une ver­sion en réserve à décou­vrir à la fin de cette anec­dote, vous ne pou­vez pas vous la per­dre ! Avis pour Thier­ry, mon tal­entueux cor­recteur, ce n’est pas une coquille, mais une for­mu­la­tion calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imag­in­er un lieu rel­a­tive­ment rur­al qui com­por­tait des espaces de ter­rains vagues, des usines, des maisons pour les pau­vres (cor­ralones) et des cafés, dont un qui se nom­mait Tres Esquinas du nom de ce quarti­er qui dis­po­sait toute­fois d’une sta­tion fer­rovi­aire du même nom… Voici de quoi vous repér­er. Atten­tion, cette zone n’est pas trop à recom­man­der aux touristes, mais on y organ­ise des peñas mag­nifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars rem­plis de cen­taines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fab­uleux en dansant, chacar­eras, gatos, zam­bas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus sur­prenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automa­tique­ment le style de la nou­velle danse en moins de deux sec­on­des. Si vous avez lu mes con­seils pour la chacar­era, vous savez déjà recon­naître celles à 6 et 8 com­pas­es et les dobles, c’est la par­tie fon­due de l’iceberg du folk­lore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cer­clé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachue­lo) qui mar­que la lim­ite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quarti­er est d’usines, de ter­rains vagues et est main­tenant bor­dé par l’autoroute qui va à La Pla­ta (la cap­i­tale de la Province de Buenos Aires). Le café pro­pre­ment dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toute­fois la ocha­va  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui mar­que l’entrée de ce qui était ce café his­torique.
La sta­tion de train por­tait aus­si logique­ment le nom du quarti­er.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aéri­enne de Google.

Le cer­cle rouge est le café Tres Esquinas. Le cer­cle jaune mar­que la zone où était située la gare de Tres Esquinas détru­ite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994–1996 a coupé en deux le quarti­er et prob­a­ble­ment mis un peu de désor­dre dans les baraque­ments de latas (voir Del bar­rio de las latas, le berceau du tan­go pour en savoir plus sur ce type de con­struc­tion)

Et pour ter­min­er, un court-métrage recon­sti­tu­ant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réal­isée par Enrique Cadí­camo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Var­gas enta­ment Tres Esquinas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuar­teador de Bar­ra­cas

Court-métrage sur un scé­nario et sous la direc­tion de Enrique Cadí­camo où l’on voit des scènes de café, pit­toresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuar­teador de Bar­ra­cas par Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas.

À demain, les amis !

Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio

Edgardo Donato Letra : Máximo José Orsi

Encore un por­trait de femme dans un tan­go. Celle-ci se prénom­mait Ros­alin­da. Cette valse rel­a­tive­ment rare, bien que sym­pa­thique est inter­prétée par Dona­to et chan­tée par Juan Alessio.
Ce chanteur n’a enreg­istré qu’avec Dona­to et sur une péri­ode très brève, un mois entre juin et juil­let 1935. Il est donc prob­a­ble que vous ne le con­naissiez pas. Je vous pro­pose donc cette petite ren­con­tre avec un chanteur de qual­ité.

Juan Alessio

Juan Alessio est dif­fi­cile à cern­er, car il est resté dis­cret. Par ailleurs, il ne sem­ble avoir enreg­istré qu’avec Dona­to et seule­ment les cinq titres que voici :

  • El día que me quieras 1935-06-13 (Car­los Gardel Letra: Alfre­do Le Pera)
  • Dios lo sabe 1935-06-13 (Anto­nio Poli­to)
  • Ros­alin­da 1935-07-03 (Edgar­do Dona­to Letra: Max­i­mo José Orsi)
  • Picaflor 1935-07-03 (Edgar­do Dona­to Letra: Max­i­mo José Orsi, les mêmes auteurs que notre valse du jour).
  • Hola!… Qué tal?… 1935-07-17 (Osval­do Dona­to Letra: San­dalio C. Gómez)

L’autre dif­fi­culté est qu’il n’a enreg­istré qu’une seule valse et que cette dernière est assez dif­férente des valses les plus appré­ciées de Dona­to. De 1930 à 1936, il y a des valses com­pat­i­bles, mais faire une tan­da avec ce type de valse risque de ne pas plaire.
Comme DJ, il se peut donc que je ne passe jamais cette valse, sauf pour une occa­sion par­ti­c­ulière, comme l’anniversaire d’une Ros­alinde ou d’une Ros­alin­da… Je con­tin­uerais ensuite avec les valses les plus appré­ciées de Dona­to.

En toute fin d’ar­ti­cle, je vous pro­poserai une autre option 😉

Extrait musical

Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio

Comme vous pou­vez le con­stater, c’est une valse par­ti­c­ulière­ment lente. Elle peut donc être dif­fi­cile à danser, notam­ment pour les danseurs débu­tants. Les plus avancés pour­ront capter les petits orne­ments pour vari­er la danse, mais sans les élans habituels de la valse, il fau­dra faire preuve d’un bon sens de l’équilibre et bien respecter les axes pour en tir­er tout le plaisir pos­si­ble. Là encore, ren­dez-vous en fin d’article pour un jok­er.

Paroles

Je n’ai pas trou­vé les paroles de Max­i­mo José Orsi, je retran­scris donc unique­ment ce que chante Juan Alessio, tout du moins ce que j’ai cru enten­dre.

En mi vida sos la lin­da
Tu cari­ta feliz
En tus ojos hay ful­go­res
Con auro­ra de ilusión
Jun­to a ti Ros­alin­da
El amor sem­bran­do pasa
Como el beso de los vien­tos
Y entre el sol se devolvió

Edgar­do Dona­to Letra : Máxi

Autres versions

Il y a une seule valse enreg­istrée avec ce titre.

Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio

Mais il y a aus­si une ranchera du même titre, mais avec des auteurs dif­férents. On notera que la valse de Dona­to est à la lim­ite de la ranchera.

Ros­alin­da (Ranchera) 1955-04-14 — Trío Ciri­a­co Ortiz
Trío Ciri­a­co Ortiz (au cen­tre avec le ban­donéon), Ramón Andrés Menén­dez (à gauche) et Vicente Spina (à droite)

Máximo José Orsi

L’auteur des paroles, Máx­i­mo José Orsi, était acteur et paroli­er. Il est indi­recte­ment et con­tre son gré, à l’origine du suc­cès de Piana, Milon­ga sen­ti­men­tal. En effet, Orsi deman­da à Sebastián Piana une musique pour une des chan­sons d’un spec­ta­cle de Arturo De Bassi où il était acteur. Le résul­tat plut à De Bassi qui lui com­man­da un autre titre, ce fut Milon­ga sen­ti­men­tal.

Qui était Rosalinda ?

Il est dif­fi­cile de dire qui était la Ros­alin­da, car ce prénom d’origine ger­manique est très répan­du en Amérique du Sud au point qu’une revue men­su­elle argen­tine des années 30 à 50 por­tait ce nom. C’était une édi­tion de J. Hays Bell & Cia.

Le pre­mier numéro de cette revue pour la femme et le foy­er est paru en 1931, preuve que le prénom était à la mode à l’époque où Dona­to écriv­it sa valse.

Par ailleurs, dif­férents films por­tent ce titre, par exem­ple :

  • Ros­alin­da (1914) de Ricar­do de Baños et Alber­to Mar­ro (Espagne)
  • Ros­alin­da (1941) de Lam­ber­to V. Avel­lana (Philip­pines)
  • Ros­alin­da (1945) de Rolan­do Aguilar (Mex­ique)

C’est égale­ment le titre de télénov­e­las (les feuil­letons à l’eau de rose), la plus récente étant de 2009 (Philip­pines) et la plus con­nue, celle de 1999 (Mex­ique) avec la chan­son de Thalía.
En résumé, vous pou­vez imag­in­er la Ros­alin­da que vous voulez, de la guer­rière ger­manique avec des étin­celles dans les yeux, jusqu’à la plus mièvre des héroïnes de télénov­e­las.

Ros­alin­da, quelques cou­ver­tures de la revue Ros­alin­da, de 1940,1942 et 1944.

La petite surprise

Comme DJ, on a le priv­ilège de pou­voir mod­i­fi­er la musique. C’est l’a­van­tage d’u­tilis­er un logi­ciel spé­ci­fique et pas iTunes ou autre logi­ciel grand pub­lic pour la dif­fu­sion.
Comme un orchestre avant de com­mencer jouer, le DJ peut décider du tem­po de la musique. Il ne dit pas 1 — 2 et 1 2 3 comme les musi­ciens, mais il peut ajuster le rythme, par exem­ple pour vari­er l’ordre des morceaux dans une tan­da, voire en cours de route (avec un logi­ciel per­for­mant et bien maîtrisé). J’avoue recourir sou­vent à cet arti­fice qui me per­met de coller tou­jours le plus pos­si­ble aux capac­ités et/ou envies des danseurs présents.
Donc, cette valse, sans doute trop lente pour de nom­breuses occa­sions peut se voir offrir une chance en lui don­nant un peu d’élan.
Je vous pro­pose un résul­tat à com­par­er à la ver­sion enreg­istrée. Sur quelle ver­sion préféreriez-vous danser dans une milon­ga ordi­naire ?

Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio. Ver­sion accélérée.
Ros­alin­da 1935-07-03 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Juan Alessio

Bien sûr, l’exercice va faire râler les ron­chon­chons et c’est tant mieux. Le DJ a pour but de don­ner du plaisir aux danseurs. La milon­ga n’est pas un musée, mais un lieu de diver­tisse­ment. Que la musique soit un peu plus rapi­de, un peu plus lente, un peu plus aiguë ou grave, cela ne va rien chang­er.

  • Oui, mais le ban­donéon de untel était accordé à 430 Hz, jusqu’en sep­tem­bre et en octo­bre à 440 Hz. Tu ne peux donc pas pass­er les deux dans la même tan­da, dit le Ron­chon­chon.
  • Tu es capa­ble d’entendre la dif­férence ? Demande le DJ, amusé.
  • J’ai l’oreille absolue, réplique le Ron­chon­chon.
  • Je te plains, dit le DJ com­préhen­sif. Alors, tu as sans doute remar­qué que j’ai passé la deux­ième prise du 16 juil­let 1952 et pas l’habituelle. Le ban­donéon de Xyzxyz a eu un prob­lème et il a emprun­té celui d’un col­lègue accordé en 440 Hz.
  • Oui, bien sûr, j’avais remar­qué qu’il y avait quelque chose de bizarre.
  • Ben, en fait, il n’a pas de sec­onde ver­sion et j’ai passé la ver­sion de Tan­go­Tunes (ou TTT) qui est au bon dia­pa­son, dit le DJ, mort de rire.

Je pour­rai con­tin­uer, ce petit con­te avec toutes ces anec­dotes de « spé­cial­istes », mais j’avoue que je m’occupe plus des danseurs que de ces DJ jaloux. Alors, dans la milon­ga, chers danseurs, prenez votre bonne humeur, affichez votre plus beau sourire et lais­sez-vous porter par la musique. Imag­inez que vous êtes en plein âge d’or du tan­go et qu’un orchestre sur scène vous présente ses nou­veautés, essaye de nou­veaux arrange­ments, joue un titre à la mode plutôt con­nu par un autre orchestre. Aujourd’hui, la diver­sité des expéri­ences et lim­itée par ce qui a été enreg­istré, un petit bout d’iceberg, tout le reste s’étant per­du faute d’avoir été enreg­istré et ne sera jamais retrou­vé.

Des orchestres con­tem­po­rains essayent de faire revivre des titres oubliés, de trou­ver de nou­veaux arrange­ments. Tout cela devrait raviv­er le plaisir de la décou­verte chez les danseurs. Donc, si un DJ dans mon genre vous fait de petites sur­pris­es, prenez-le bien, c’est un jeu, le tan­go n’est pas une langue morte. Asi­nus asinum non fricat.

Sondage