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La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Pourquoi une femme noire tenant un bongo sur plan de surfeurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une explication. Alors partons à la découverte de la Rumbita candombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui continue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.

Extrait musical

La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Comme l’indique le titre, on reconnaît rapidement un rythme de rumba. J’écris « un » rythme de rumba, car il y a en a des dizaines. Historiquement, la rumba est originaire de Cuba où elle a été mêlée avec diverses danses, notamment d’origine africaine. Cela se reconnaît par la complexité des rythmes qui sont loin des rythmes codifiés en Europe. Il n’est qu’à demander à un danseur européen moyen de faire sonner le clave de la salsa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa culture.
N’étant pas moi-même un spécialiste de la rumba, j’ai essayé de déterminer le type de rumba utilisée dans cette composition. Parmi la centaine de possibilités, je trouve que la rumba yambu (une des trois principales rumbas cubaines) est un assez bon candidat.

La rumbita candombe de D’Arienzo et Mauré que j’ai mixé avec un rythme de rumba yambu.

Bien sûr, la version de D’Arienzo est un peu particulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milonga en prenant plus de libertés par rapport au rythme original que les autres interprétations. On notera, par exemple, une cadence bien plus rapide.

Le Général Juan Manuel de Rosas assistant à une manifestation de candombe vers 1838 assistant à une manifestation de candombe vers 1838.

De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sympa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le considéraient comme un libérateur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit probablement témoigner de sa proximité. On remarquera les tambours du candombe. Le peintre, Martín Boneo s’est représenté avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du couple (Manuelita) est en rouge au côté de l’homme noir assis.

Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Les différentes versions disposent de paroles légèrement différentes. Celles de l’enregistrement de D’Arienzo et Mauré sont les plus divergentes par rapport aux paroles originales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles originales et donnerai quelques indications pour les autres versions.

Presten todos atención
Que ya empezó
Y a virutear esta milonga
Que el rey negro bautizo

No es su cuna el arrabal
Negro y cumbe

Por eso es que
Todos le dicen
La milonga candombe

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

A bailar a cantar
A seguir sin parar

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

Que se va y se fue
La milonga candombe.

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Prêtez tous attention.
Ça a déjà commencé et pour virutear (référence à la viruta et l’usure du plancher) cette milonga que le roi noir a baptisée.
Ce n’est pas son berceau les faubourgs
Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres)
C’est pourquoi tous l’appellent la milonga candombe
Ae ae ae ae
À danser, à chanter
À continuer sans s’arrêter,
Ae ae ae ae
Car elle s’en va et est partie
La milonga candombe.

Autres versions

Je commence par les auteurs de la musique, Osvaldo Novarro et Tito Luar.

La rumbita candombe 1942-06-02 – Hawaiian Serenaders con Osvaldo Novarro.

Les Hawaiian Serenaders est un groupe argentin, malgré ce que pourrait laisser penser son nom. Il fut actif durant une vingtaine d’années après sa création en 1940 par le chanteur Osvaldo Novarro (Héctor Villanueva) associé à Tito Luar (Raúl Fortunato) (Directeur d’orchestre, tromboniste et violoniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour.
Les deux hommes étaient d’origine vénézuélienne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’histoire.

À l’origine du groupe Hawaiian serenaders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osvaldo Novarro dans les années 30.

À ce sujet, il est amusant de noter qu’il y a eu un autre groupe nommé The Hawaiian Serenaders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (probablement un pseudonyme…). Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter une de mes 600 cumparsitas par ces Grecs « hawaïens »…

La cumparsita 1941 – Felix-Mendelssohn & His Hawaiian Serenaders.

Les sonorités sont beaucoup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…

La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. C’est notre titre du jour.
La rumbita candombe 1943-06-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Oscar Serpa et surtout l’interprétation magnifique de Fresedo fait que cette version peut très bien être proposée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.

La negrita candombe (La rumbita candombe) 1943-07-16 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

La version de Canaro est sans doute celle qui est la plus connue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la version de D’Arienzo, le rythme de la rumba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses percussionnistes de son orchestre de jazz, Canaro peut proposer une introduction au tambour et une orchestration un peu différente.

Paroles de la version originale

Presten todos atención
Que va a empezar,
Esta será la nueva danza
Que tendremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
El cabaré
Por eso es que la llamamos
La rumbita candombe.

(Estribillo)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
A bailar, a cantar
A seguir sin parar,
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
Ya se va, ya se fue
La rumbita candombe.

El autor de su compás
Es un bongó,
Que se enamorado de una milonga
Un domingo se casó
Y es por eso que al vibrar,
Sentimental su ritmo es
Mezcla de rumba
Y candombe federal.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Traduction libre des paroles de la version originale

Prêtez tous attention.
Ça va commencer,
Ce sera la nouvelle danse que nous devrons danser…
Son berceau était l’illusion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’appelle, la rumbita candombe.

(Refrain)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (chœur)
À danser, à chanter
À continuer sans s’arrêter,
Ae, ae, ae, ae (chœur)
Déjà elle s’en va, déjà elle est partie
La rumbita candombe.

L’auteur de son rythme est un bongo, qui est tombé amoureux d’une milonga.
Un dimanche, il s’est marié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.

Paroles de la version de Canaro et Roldán

Presten todos atención
Que va a empezar,
Esta será la nueva danza
Que tendremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
Que le dio fe,
Por eso es que la llamamos
La negrita candombe.

Así, así, así, así
Así, así, así, así (coro)
A bailar, a cantar
A seguir sin parar,
Así, así, así, así (coro)
Ya se va, ya se fue
La negrita candombe.

El autor de su compás
Es un bongó,
Que al arribar a la Argentina
De una criolla se prendó…
Y es por eso que al vibrar,
Sentimental su ritmo es
Mezcla de rumba
Y candombe federal.

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella (y?)

Traduction libre de la version de Canaro et Roldán

C’est pourquoi nous l’appelons
La negrita candombe.
(La rumbita est passée de la musique, petite rumba à une negrita, petite femme noire).
Comme ceci, comme cela, comme cela
(contrairement aux autres versions, Roldán chante « así » et pas « ae »).
Comme ceci, comme ça, comme ça
Danser, chanter
Pour continuer sans s’arrêter,
Comme ceci, comme ça, comme ça
Déjà elle s’en va, déjà elle est partie
La negrita candombe.
L’auteur de son rythme est un bongo, qui à son arrivée en Argentine, d’une créole, est tombé amoureux…
(la localisation en Argentine et la mention d’une créole ancrent la chanson. Canaro était Uruguayen de naissance et les esclaves étaient en grande partie originaires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant).
Et c’est pourquoi, quand il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.

Quelques éléments sur la milonga candombe

Même si le propos de Osvaldo Novarro et Tito Luar était de créer un nouveau rythme à base de rumba en le mixant avec des rythmes de candombe, cette expérimentation qui n’a pas donné d’autres musiques est contemporaine de l’apparition de la milonga candombe.
En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milonga candombe.
Sa première milonga candombe est Pena mulata (écrite en 1940).

Pena mulata 1941-02-18 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).

C’est le plus ancien enregistrement de milonga candombe. Amis DJ, si vous avez une milonga candombe d’avant 1940, c’est sûrement un candombe ou un autre rythme… Ce n’est pas interdit de le passer, mais prenez vos précautions pour ne pas mettre en difficulté les danseurs qui sont souvent moins à l’aise avec les milongas candombe et qui peuvent être totalement perdus avec des candombes.

Aleluya 1943-12-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán (Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo).

Et une version par Piana lui-même :

Aleluya 1944 – Sebastián Piana con Jorge Demare.

Une version brute, un peu rugueuse, mais qui fait bien sentir les origines de l’inspiration de Piana.

Les titres apparentés au candombe, composés par Sebastián Piana

• Juan Manuel 1934 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Milonga federal)
• Pena mulata 1940 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Marcha candombe)
• Carnavalera 1941 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Milonga candombe)
• Papá Baltasar 1942 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Milonga candombe)
• Aleluya 1944 – Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo (Milonga negra)
• Ahí viene el negro Raúl 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (Tango candombe)
• Calabú 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (Canción de cuna candombe)
• El vendedor de velas 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe pregón)
• Huevitos de olor 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe pregón)
• La aceituna del negro 1973 – Sebastián Piana – Letra: León Benarós (candombe pregón)
• La criada de misia Jovita 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• La mulecona 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Lorenzo Barcala 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Marychambá -1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Matando hormigas 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe pregón)
• Soldao, pelo colorao 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Tomá pa’ shuca 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Carumbaié – Sebastián Piana Letra: Julián Centeya (Milonga candombe)
• Jacinto retinto – Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Carnelli (Milonga candombe)
• Pastelera – Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo (Milonga negra)
• Se casa el negrito – Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Carnelli (Milonga candombe)

Pour terminer, un peu de théorie musicale du candombe avec les jeux des tambours.
Pour la partie candombe, c’est un peu plus facile, car nous sommes plus accoutumés à ces rythmes.
Le candombe utilise trois types de tambours :
Tambor chico
https://youtu.be/p2CL5-Ok4SI
Tambor repique
https://www.youtube.com/watch?v=VwxzY1fgrUw&t=96s
Tambor piano
https://youtu.be/K77E_k0S_q8
Les trois tambours jouant ensemble :

Les trois types de tambours du candombe, de gauche à droite : Tambor repique, tambor chico, tambor piano et un autre tambor chico.

Et les surfeurs ?

Ah oui, j’allais oublier. Mais vous avez sans doute deviné.
La femme noire, c’est la negrita de Canaro, le tambor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le candombe et les surfeurs et l’exocet, c’est une partie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.

Une affiche publicitaire pour Hawaï de la Pan American Airways.

Le surf à Hawaï semble être une très vieille activité, comme en témoigne James Cook en 1779.

Duke Kahanamoku en 1910.

À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sandwich, nom qu’avait donné Cook en l’honneur de John Montagu de Sandwich, l’inventeur du sandwich. Attention, il ne faut pas les confondre avec les Îles Sandwich du Sud, revendiquées, comme les Îles Malouines, par l’Argentine…

Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémisphère Nord et les Îles Sandwich du Sud, revendiquées par l’Argentine.

À bientôt les amis !

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli

José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra: Arturo Juan Rodríguez

Le tango du jour est instrumental, et en écoutant la musique sensuelle de Di Sarli, je suis sûr que la plupart de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pensé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en proposant cette image de couverture. J’ai imaginé cette illustration en me référant à Géricault, un peintre qui a donné à la fois dans le militaire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 orientales que Di Sarli célébrera trois fois par le disque ?

De l’importance de l’article

Il peut échapper aux personnes qui ne parlent pas bien espagnol, la différence entre las (déterminant pluriel, féminin) et los (déterminant pluriel, masculin). Las 33 orientales, ça pourrait-être ceci,

Los ou las ?

mais los 33 orientales, c’est plutôt cela :

El juramento de los 33 orientales Juan Manuel Blanes (1878).

Je vous raconterai l’histoire de ces 33 mecs en fin d’article, passons tout de suite à l’écoute.

Extrait musical

Les compositeurs sont José Felipetti (bandonéoniste et éditeur musical) et Alfredo Rosario Mazzeo, violoniste, notamment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Polito (qui fut pianiste également de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la particularité d’utiliser un archet de violon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette version que vous puissiez ne pas connaître. Je suis sûr que dans les cinq secondes vous aviez repéré que c’était Di Sarli, avec ses puissants accords sur son 88 touches (le piano) et les légatos des violons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les successions de fortissimos mourant dans des passages pianos (moins forts) et les accords finaux où dominent le piano font que c’est du 100% Di Sarli.

Il s’agit du troisième enregistrement de Los 33 orientales par Di Sarli. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres versions

Les trois disques de Los 33 orientales par Carlos Di Sarli.

On notera que la version de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tangos par face, ici La Cachila et Los 33 orientales. Sur la face A, il y a Cuatro vidas et Sueño de juventud. Le passage de 78 à 33 tours permettait de plus que doubler la durée enregistrable. Mais ce n’est que la généralisation du microsillon qui permet d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 minutes par face. Ce disque est donc un disque de « transition » entre deux technologies.

Paroles

Bien qu’il soit instrumental dans les versions connues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez.
Au cas où elles seraient perdues, je vous propose un extrait de celles d’un autre tango appelé également los 33 orientales, à l’origine et rebaptisé par la suite La uruguyaita Lucia.
Il a été écrit en 1933 par Eduardo Pereyra avec des paroles de Daniel López Barreto.
Je vous le propose à l’écoute, dans la version de Ricardo Tanturi avec Enrique Campos (1945).

La uruguyaita Lucia 1945-04-12 – Ricardo Tanturi C Enrique Campos

Y mientras en el cerro; de los bravos 33 el clarín se oía
y al mundo una patria nueva anunciaba
un tierno sollozo de mujer, a la gloria reclamaba
el amor de su gaucho, que más fiel a la patria su vida le entregó.
Cabellos negros, los ojos
azules, muy rojos
los labios tenía.
La Uruguayita Lucía,
la flor del pago ‘e Florida.
Hasta los gauchos más fieros,
eternos matreros,
más mansos se hacían.
Sus ojazos parecían
azul del cielo al mirar.

Ningún gaucho jamás
pudo alcanzar
el corazón de Lucía.
Hasta que al pago llegó un día
un gaucho que nadie conocía.
Buen payador y buen mozo
cantó con voz lastimera.
El gaucho le pidió el corazón,
ella le dio su alma entera.

Fueron felices sus amores
jamás los sinsabores
interrumpió el idilio.
Juntas soñaron sus almitas
cual tiernas palomitas
en un rincón del nido.
Cuando se quema el horizonte
se escucha tras el monte
como un suave murmullo.
Canta la tierna y fiel pareja,
de amores son sus quejas,
suspiros de pasión.

Pero la patria lo llama,
su hijo reclama
y lo ofrece a la gloria.
Junto al clarín de Victoria
también se escucha una queja.
Es que tronchó Lavalleja
a la dulce pareja
el idilio de un día.
Hoy ya no canta Lucía,
su payador no volvió.

Eduardo Pereyra Letra: Daniel López Barreto

Traduction libre et indications

Et pendant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le clairon a été entendu et au monde il annonça une nouvelle patrie, un tendre sanglot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gaucho, qui le plus fidèle à la patrie lui a donné sa vie.
Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait.
La Uruguayita Lucía, la fleur du bled (pago, coin de campagne et la population qui l’habite) Florida.
Même les gauchos les plus féroces, éternels matreros (bourrus, sauvages, qui fuient la justice), se faisaient apprivoiser.
Ses grands yeux semblaient bleus de ciel quand elle regardait.
Aucun gaucho ne put jamais atteindre le cœur de Lucia.
Jusqu’au jour où un gaucho arriva dans le coin et que personne ne connaissait.
Bon payador et bien beau, il chantait d’une voix pitoyable.
Le gaucho lui demanda le cœur, elle lui donna son âme en entier.
Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’interrompirent l’idylle.
Ensemble, leurs petites âmes rêvaient comme de tendres colombes dans un coin du nid.
Lorsque l’horizon brûla, s’entendit derrière la montagne comme un doux murmure.
Le couple tendre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de passion.
Mais la patrie l’appelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire.
Jointe au clairon de victoire, une plainte s’entend également.
C’est Lavalleja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du couple en une journée.

La version de José « Natalín » Felipetti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela permet tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 orientales et même à Lavalleja, que je vous présenterai dans la dernière partie de l’article.

Autres versions

Je vous propose 5 versions. Trois par Di Sarli plus deux dans le style de Di Sarli

Los 33 orientales 1948-06-22 – Carlos Di Sarli.

La musique avance à petits pas fermes auxquels succèdes des envolées de violons, le tout appuyé par les accords de Di Sarli sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sarli efficace pour le bal.

Los 33 orientales 1952-06-10 – Carlos Di Sarli.

Cette version est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dissonant, dans certains accords, accentuant, le contraste en les aspects doux des violons et les sons plus martiaux du piano.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour. La musique est plus liée, les violons plus expressifs. Le contraste piano un peu dissonant par moment et les violons, plus lyriques est toujours présent. C’est peut-être ma version préférée, mais les trois conviennent parfaitement au bal.

Los 33 orientales 1960 – Los Señores Del Tango.

En septembre 1955, des chanteurs et musiciens quittèrent, l’orchestre de Di Sarli et fondèrent un nouvel orchestre, Los Señores Del Tango, en gros, le pluriel du surnom de Di Sarli, El Señor del tango… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pouvez l’entendre avec cet enregistrement de 1960 (deux ans après le dernier enregistrement de Di Sarli).

Los 33 orientales 2003 – Gente De Tango (estilo Di Sarli).

Gente De Tango annonce jouer ce titre dans le style de Di Sarli. Mais on notera quand même des différences, qui ne vont pas forcément toute dans le sens de l’orchestre contemporain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le bandonéon semble parfois un intrus. Le systématisme de certains procédés fait que le résultat est un peu monotone. N’est pas Di Sarli qui veut.

Qui sont les 33 orientales ?

Rassurés-vous, je ne vais pas vous donner leur nom et numéro de téléphone, seulement vous parler des grandes lignes.

J’ai évoqué à propos du 9 juillet, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espagnols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabattus sur Montevideo et ont été délogés par les Portugais, qui souhaitaient interpréter en leur faveur le traité de Tordesillas.

Un peu d’histoire

On revient au quinzième siècle, époque des grandes découvertes, Christophe Colomb avait débarqué en 1492, en… Colombie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croyait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employer les noms actuels.

Colomb était parti en mission pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Alcaçovas, signé en 1479 entre la Castille et le Portugal, la découverte serait plutôt à inclure dans le domaine de domination portugais, puisqu’au sud du parallèle des îles Canaries, ce que le roi du Portugal (Jean II) s’est empressé de remarquer et de mentionner à Colomb. Le pape est intervenu et après différents échanges, le Portugal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Tordesillas qui donnait à la Castille les terres situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espagnole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méridien passant à 1546 km du Cap Vert est Espagnol, mais cela implique également, que ce qui moins loin est Portugais. La découverte de ce qui deviendra le Brésil sera donc une aubaine pour le Portugal.

À gauche, les délimitations des traités d’Alcaçovas et de Tordessillas. À droite, la même chose avec une orientation plus moderne, avec le Nord, au nord…

Je pense que vous avez suivi cette révision de vos cours d’histoire, je passe donc à l’étape suivante…
Les Brésiliens Portugais et les Espagnols, tout autour, cherchaient à étendre leur domination sur la plus grande partie de la Terre nouvelle. Les Portugais ont défoncé la limite du traité de Tortessillas en creusant dans la partie amazonienne du continent, mais ils convoitaient également les terres plus au Sud et qui étaient sous dominance espagnole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espagnols, qui avaient un peu négligé cette zone, établirent Montevidéo pour mettre un frein aux prétentions portugaises.
La situation est restée ainsi jusqu’à la fin du 18e siècle, à l’intérieur de ces possessions espagnoles et portugaises, de grands propriétaires commençaient à bien prendre leurs aises. Aussi voyaient-ils d’un mauvais œil les impôts espagnols et portugais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géographique.
Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juillet), mais les Espagnols se sont retranchés dans la partie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas bénéficié de cette indépendance pourtant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Plata.
Le 12 octobre 1822, le Brésil (7 septembre) proclame son indépendance vis-à-vis du Portugal par la voix du prince Pedro de Alcântara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépendance ou la mort ! Il est finalement mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825.
Dans son Histoire du Brésil, Armelle Enders, remet en cause cette déclaration du prince héritier de la couronne portugaise qui s’il déclare l’indépendance, il instaure une monarchie constitutionnelle et Pedro de Alcântara devient le premier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révolutionnaire, oui, mais empereur…
Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Artigas qui avait fait partie des instigateurs de l’indépendance de l’Argentine a été contraint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ainsi que des dizaines de milliers d’Uruguayens. Parmi eux, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe.

Juan Antonio Lavalleja (photos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 orientales. Ils seront tous les deux présidents de le la république uruguayenne.

Où on en vient, enfin, aux 33 orientales

Après de terribles péripéties, notamment de Lavalleja contre les Portugais-Brésiliens qui avaient finalement délogé les Espagnols de Montevideo en 1816, il fut fait prisonnier et exilé jusqu’en 1821. L’année suivante, le Brésil obtenait son indépendance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalleja se rallia du côté de Pierre 1er, voyant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays.
En 1824, il est déclaré déserteur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de reprendre le projet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Plata.
Une équipe de 33 hommes a donc fait la traversée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté serment sur la Playa de la Agraciada (ou ailleurs, il y a deux points de débarquement potentiel, mais cela ne change rien à l’affaire).

El juramento de los 33 orientales sur la plage selon le peintre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débarquement (dans le cercle rouge). La pyramide commémore cet événement.

Ce débarquement et ce serment, le juramento de los 33 orientales marquent le début de la guerre d’indépendance qui se prolongera dans d’autres guerres surnommées Grande et Petite. Les Britanniques furent mis dans l’affaire, mais ils pensèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Monsieur Canning (qui a depuis perdu la rue qui portait son nom et qui s’appelle désormais Scalabrini Ortiz) ? Le salon Canning connu de tous les danseurs de tango est justement situé dans la rue Scalabrini Ortiz (anciennement Canning).
Les Argentins, dont le président Rivadavia espérait unifier l’ancienne province orientale à l’Argentine, ils se sont donc embarqués dans la guerre, mais le coût dépassait sensiblement les ressources disponibles. Le Brésil recevait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépendantistes uruguayens.
Un projet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépendants.
La Province de Buenos Aires, dirigée par Dorrego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finalement d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était également favorable au traité rendant l’Uruguay indépendant bien que Dorrego et Rosas ne faisaient pas bon ménage. L’exécution de Dorrego coïncide avec l’ascension au pouvoir de De Rosas et ce n’est pas un hasard…
L’histoire ne se termine pas là. Nos deux héros, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe qui avaient fait la traversée des 33 sont tous les deux devenus présidents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décennies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été simples à mettre en œuvre. Les paroles du tango de Pereyra et Barreto nous rappellent que ces années firent des victimes.
Les 33 orientales restent dans le souvenir des deux peuples voisins du Rio de la Plata. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Rivadavia à l’avenue Caseros et semble se continuer par une des rues les plus courtes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Rivadavia, elle prend le nom de Rawson, mais, si c’est aussi un tango, c’est aussi une autre histoire.

Alors, à demain, les amis !

Los 33 orientales. La traversée par les 33. Ne soyez pas étonné par le drapeau bleu-blanc-rouge, c’est effectivement celui des 33. Vous pouvez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette valse si agréable à danser, notamment dans la version qu’en donne Castillo avec son orchestre a failli ne pas voir de succès. Lançons-nous à la rencontre de la pulpera de la pulpería.

La pulpera de Santa Lucía

Tout d’abord, un peu de vocabulaire. Une pulpera, est une employée, ou une propriétaire de pulpería. Le « í » est donc important. La chanson parle d’une femme, pas de son établissement.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héctor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pourrait être inventée à l’image de son pays d’origine (son grand-père paternel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothèses, la plus probable est que cette femme était la fille d’un monsieur Miranda qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une histoire politique, on verra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Martin Garcia. Malheureusement, ce sont deux avenues, donc parallèles. Je propose donc plutôt l’angle de Martin Garcia et Montes de Oca, justement le bâtiment qui touche l’église de Santa Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dionisia Miranda si ces hypothèses ne sont pas trop fausses…

Évidemment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siècle et donc, ce bâtiment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un environnement rural et les gauchos devaient passer une bonne partie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio.

Pour une version de chanteur, c’est tout à fait dansable. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprouverez beaucoup de plaisir à la danser, malgré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
reflejaban la gloria del día
y cantaba como una calandria
la pulpera de Santa Lucía.

Era flor de la vieja parroquia.
¿Quién fue el gaucho que no la quería?
Los soldados de cuatro cuarteles
suspiraban en la pulpería.

Le cantó el payador mazorquero
con un dulce gemir de vihuelas
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diamelas.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día tendrás que ser mía,
mientras llenan las noches del barrio
las guitarras de Santa Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuando el año cuarenta moría;
ya no alumbran sus ojos celestes
la parroquia de Santa Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a cantarle vidalas y cielos.
En la reja de la pulpería
los jazmines lloraban de celos.

Y volvió el payador mazorquero
a cantar en el patio vacío
la doliente y postrer serenata
que llevábase el viento del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía? »
¡Cómo lloran por ti las guitarras,
las guitarras de Santa Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Traduction libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du drapeau argentin) reflétaient la gloire du jour et elle chantait comme une calandre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de Santa Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gaucho ne voudrait pas d’elle ? Les soldats de quatre casernes soupiraient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazorquero (chanteur partisan de Rosas, militaire, gouverneur et putschiste) lui chantait avec un doux gémissement de vihuelas (instrument de musique apparenté à la guitare) sur la clôture qui sentait le jasmin, dans la cour qui sentait le diamelas (sorte de jasmin).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quartier sont remplies des guitares de Santa Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aussi le titre d’une ranchera de Brignolo) l’a enlevée à la mort de l’année quarante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de Santa Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revinrent pas lui chanter des vidalas et des cielos (danses). Sur la clôture de l’épicerie, les jasmins pleuraient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la sérénade plaintive et tardive qu’apportait le vent de la rivière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Comment, pour toi pleurent les guitares, les guitares de Santa Lucía !

Cette valse nous parle donc d’un temps ou le quartier était rural et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosistas.

Autres versions

La pulpera de Santa Lucía 1929-06-19 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette version est importante, car Corsini est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces guitaristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le succès a été tel que les auditeurs ont demandé un bis par téléphone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mordre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habitude, l’a enregistrée…

La pulpera de Santa Lucía 1929-07-03 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est une version lente avec l’originalité de la présence d’une guitare hawaïenne. Canaro utilisera cet instrument dans d’autres œuvres, dont justement une valse composée par William H. Heagney, tout aussi lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enregistrée le 9 novembre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 – Orquesta Francisco Canaro (William H. Heagney)

(Ce n’est bien sûr pas une version de la pulpera, c’est juste pour vous faire entendre une valse similaire avec de la guitare hawaïenne).

La pulpera de Santa Lucía 1930 — Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante.

Le frère de Francisco s’y colle ensuite avec Carlos Dante. Une version très rapide, plutôt chanson avec une forte présence de la guitare qui fait penser à Corsini.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. C’est notre merveille de valse du jour.
La pulpera de Santa Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une version très étonnante avec ses dissonances plaquées sur l’introduction. L’harmonica particulièrement expressif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la guitare qui donne le rythme et permet de rendre dansable cette version assez particulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la connaître pour l’harmonica qui lui imprime son caractère si puissant.

La pulpera de Santa Lucía 1977 Nelly Omar con guitarras — Jose Canet.

Une version sympathique, chantée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de Santa Lucía 1983 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Pour terminer, une version de l’autre rive. Bien dansante et amusante comme c’est le faire Villasboas avec son piano bien rythmé et ses violons qui flottent avec une sonorité si particulière. On notera également le magnifique solo du bandonéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez festif pour terminer ce tour des versions de la Pulpera de Santa Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milonga d’hier, j’abordai les origines noires du tango. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effectivement d’origine noire et plus précisément noire américaine. Il est descendant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père paternel, dont le nom de famille était Marshall qui a immigré en Argentine. Maciel fait plus Argentin que Marshall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Marshall, Maciel ?

Son partenaire dans la composition de ce tango est Héctor Pedro Blomberg qui comme son nom le suggère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père paternel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embarque sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voyage il écrivit des articles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrouver toutes les revues, car ils ont été publiés en 1920 dans un ouvrage Las Puertas de Babel. Le préfacier, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je reproduis cet extrait ici, car il est très évocateur du Buenos Aires des origines du tango : 

«Los puertos de Buenos Aires, y los barrios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puertas de Babel. Por ellos se entra en la ciudad monstruosa e inquietante donde todos los idiomas del mundo y todas las razas se confunden y mezclan. Arriba está la ciudad rica y poderosa. Abajo, es decir en las puertas de Babel, se aglomera la caravana de los parias, la turba sucia y doliente que arrastra por los puertos y los mares su desolación et su miseria.

Multitud de lamentables figurillas humanas desfilan. Marineros ingleses, borrachos y brutales, pasan juntos a suaves y contemplativos chinos. Holandeses et italianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancólicos que invocan a Alá, y añoran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cigarras del hambre — cantan y danzan en los cabarets siniestros: andaluzas de Cádiz y de Málaga, griegas de Salónica, mulatas martiniqueñas, inglesas de Liverpool u de Swansea. Todos los barrios trágicos de tierra son evocados en las puertas de Babel: el Bund, de Changai; el Solbrero Rojo, de Marsella; las callejuelas sucias de los barrios que circundan los grandes puertos. Y todas las canciones de la tierra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sorrento, que hacen soñar con el mar azul, fados portugueses, sensuales y lánguidos; canrates desolados de los archipiélagos, oídos en las radas de Oceanía; baladas cándidas, y fragantes que evocan las márgenes del Yang-Tse-Kiang; viejas guajiras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aquellas gentes van pasando bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amontonan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la tragedia estalla a cada paso, allí en las puertas de Babel. Hombres tatuados se apuñalean por alguna de aquellas cigarras del hambre, “gaviotas de todos los puertos”, como también las llama Blomberg. »

Préface de Las Puertas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville monstrueuse et inquiétante où toutes les langues du monde et toutes les races sont confondues et mélangées. Au-dessus se trouve la ville riche et puissante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassemble la caravane des proscrits, la foule immonde et triste qui traîne sa désolation et sa misère à travers les ports et les mers.
Une multitude de pitoyables figurines humaines défilent. Les marins anglais, ivres et brutaux, passent avec des Chinois doux et contemplatifs. Néerlandais et Italiens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélancoliques qui invoquent Allah et se languissent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sinistres cabarets : Andalouses de Cadix et de Malaga, Grecques de Thessalonique, mulâtres martiniquaises, Anglaises de Liverpool ou de Swansea. Tous les quartiers tragiques de la terre sont évoqués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le chapeau rouge de Marseille (le nom vient du chapeau que portaient les cochers des messageries Royales et qui a donné le nom à nombre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se diluent dans les lambeaux de Babel : les couplets de Sorrente, qui font rêver la mer bleue, le fado portugais, sensuel et langoureux ; les canrates désolés des archipels (probablement Canaries), entendus dans les rades de l’Océanie ; des ballades candides et parfumées qui évoquent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles guajiras de Cuba ; Lugubres couplets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en parlait à propos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tournant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mouettes de tous les ports », comme les appelle aussi Blomberg. »

Un petit documentaire pour terminer

Un documentaire réalisé par El VecinalRéseau social de Misiones. C’est en espagnol, mais des informations complémentaires sont proposés, notamment sur De Rosas.

Un documentaire réalisé par El VecinalRéseau social de Misiones