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Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette publicité, les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, Radiolandia, Antena, Goles, Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était Héctor García qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de Carlos Gardel qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de No quiero verte llorar et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi)

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta Francisco Canaro

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de Silencio, du même Gardel.

Milagro (Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (Rodolfo Sciammarella, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un enregistrement en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à Buenos Aires.

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra: Joaquín Dicenta (Joaquín Dicenta Alonso)

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du folklore, mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

Rosa de otoño [Guillermo Desiderio Barbieri Letra: José Rial, hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un vals criollo. C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre histoire…

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [Néstor Feria Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Alberto Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

Falsedad [Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

Monotonía (Hugo Gutiérrez Letra : Andrés Carlos Bahr)

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

Pienso en ti (Julio De Caro Letra : Jesús Fernández Blanco)

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con Violeta y Lidia Desmond (Las hermanas Desmond).

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les danseurs pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme la Cumparsita, et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto Cristal était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, Guillermo Barbieri, José Ricardo, les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro

Lucio Demare (Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot)

Mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Le tango du jour parle des aubes de Montmartre (Paris, France).
Le tango est né à Paris…
Pardon, sans Paris, le tango ne serait pas ce qu’il a été/est. C’est dans cette ville qu’il a acquis ses lettres de noblesse et qu’il a pu revenir en Argentine et devenir ce que l’on sait. Si vous ne le savez pas, regardez mon article sur l’âge d’or du tango.

Plusieurs centaines de tangos font référence à la France et à Paris, mais aussi aux grisettes, ces jeunes Françaises qui à l’instar de Madame Yvonne quittaient la France pour le « rêve » argentin (voir par exemple Bajo el cono azul).
Canaro qui a fait à diverses reprises le voyage à Paris a sans doute été sensible à cette composition de Demare qui devait également lui évoquer les paysages de la Butte Montmartre.

Extrait musical

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Francisco Canaro

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Las grises mañanitas de Montmartre,
donde iluso derroché mi juventud,
serán eternas en mi triste vida,
porque las recuerdo para mi inquietud.
Al igual que un amor cicatrizado
e imborrable en un tierno corazón,
mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Pero sos, mujer,
pobre insensata que en el mundo triunfás;
la frágil barca de tu vida quizás
naufragará porque el timón de tu esperanza
se quebrará en la mar,
y humillada ya,
mis mañanitas de Montmartre verán
la fría nieve del destino caer
sobre tu almita acongojada
destruyendo aquellos sueños
que forjaste con afán.

Nuevamente volverás a ser aquella
que paseaba exenta de pudor
por esas calles en que todas las mujeres
pecadoras, guardaban su dolor.
Y en las tinieblas de tu pobre vida,
por ingrata nunca más encontrarás
quien te devuelva con un beso de cariño
la luz de tu esperanza, que se apaga ya.

Lucio Demare Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot

Traduction des paroles

Les petits matins gris de Montmartre, où j’ai insouciamment gaspillé ma jeunesse, seront éternels dans ma triste vie, parce que je m’en souviens par mon inquiétude.
Comme un amour cicatrisé et indélébile dans un cœur tendre, mes petits matins de Montmartre tant chéris sont pour moi un délire et une grande passion.
Mais tu es, femme, une pauvre insensée, qui triomphe dans le monde ;
La frêle barque de ta vie fera peut-être naufrage parce que le gouvernail de ton espoir se brisera en mer, et, déjà humiliée, mes petits matins de Montmartre verront la neige froide du destin tomber sur ta petite âme angoissée, détruisant ces rêves que tu t’es forgés avec empressement.
Une fois de plus, tu redeviendras celle qui a marché sans honte dans ces rues où toutes les femmes pécheresses gardaient leur douleur.
Et dans les ténèbres de ta pauvre vie, pour être ingrate, plus jamais tu ne trouveras quelqu’un pour te rendre avec un baiser d’affection la lumière de l’espoir qui s’est déjà éteinte.

Mañanitas De Montmartre – Couverture de la revue La Canción Moderna du 16 juillet 1928.

Autres enregistrements

Ce titre n’a pas été beaucoup enregistré, mais on trouve quelques versions intéressantes :

Mañanitas de Montmartre (Mañanita de Montmartre) 1928 – Lucio Demare y su Orquesta Típica Argentina.

Superbe version. Elle est généralement attribuée au Trío Argentino, Agustín Irusta (ténor), Roberto Fugazot (ténor) et Lucio Demare (pianiste), mais comme vous pouvez l’entendre, c’est une version instrumentale et il me semble qu’il faut donc l’attribuer à l’Orquesta Típica Argentina, celui qui a travaillé en Espagne (Notamment à Barcelone de 1928 à 1935) et dont le noyau était effectivement le trio des deux chanteurs et du pianiste envoyé par Canaro pour diffuser la musique argentine en Espagne.

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Mañanitas de Montmartre 1930 – Lucio Demare (piano).

Version instrumentale par le compositeur.

Mañanitas de Montmartre 1930 – Agustín Irusta accomp. Lucio Demare (piano).

Agustín Irusta est accompagné au piano par Lucio Demare pour cet autre enregistrement. C’est le dernier de la série enregistrée par Demare en Espagne. On dirait une version enregistrée de façon amateur.

No nos veremos más – Mañanitas de Montmartre 1952-06-18 – Lucio Demare (piano).

Lucio Demare encore au piano avec « No nos veremos más » la valse que nous avons présentée le 11 février dans le cadre des Anecdotas de Tango

Mañanitas de Montmartre 1968-07-30 – Lucio Demare (piano).

Toujours Lucio Demare et encore au piano.

Mañanitas de Montmartre 1970-04-14 – Orquesta Aníbal Troilo.
Mañanitas de Montmartre 1972-08-18 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Raúl Garello.

Cet enregistrement a été effectué lors d’un concert organisé par la SADAIC (la SACEM argentine). On reconnaîtra l’ orchestration et les arrangements effectués par Raúl Garello qui ont assez profondément modifié le caractère de l’œuvre.

La version de Canaro est relativement archaïque, de style canyengue, mais c’est la seule qui peut se prêter à la danse.

Lucio Demare est un pianiste et un des rares compositeurs à avoir enregistré beaucoup de tangos au piano. Ce pianiste égaré dans les rues sous l’aube pâle de Montmartre est sans aucun doute Lucio Demare. Il joue du piano debout…